Roman d’Arthur Dayras.
À Lille, son diplôme d’architecte presque en poche, Victor remplit ses nuits d’alcool, de drogues, de musiques et de danses frénétiques. L’amour pour lui se résume aux étreintes sans lendemain et il méprise les attachements. Mais voilà Fleure. « Son visage prolonge la matinée. » (p. 18) Ces deux-là pourraient partager la même première histoire, au-delà de leurs différences. Fleure aime le calme des quotidiens connus, la douceur poussiéreuse des souvenirs et la tendresse tranquille. La routine lui est simple et naturelle, sans angoisse. « Pour Fleure, aimer, c’est une évidence. C’est effrayant, cette certitude ! Je voudrais y croire. Mais je ne peux pas… » (p. 133) Victor tremble devant cette histoire sage, cette relation rassurante, lui qui ne vibre que par l’extraordinaire et les surprises et qui ne sait pas s’attacher. « Il voudrait se prouver qu’il peut en aimer une. Que ce soit Fleure, épris par le besoin d’une aventure plus grandiose que ses nuits. Alors il s’applique dans l’intime. » (p. 79) Hélas, que peut l’amour têtu de Fleure contre un cœur aigre qui ne sait pas aimer, mais qui refuse de ne pas l’être ?
Victor, c’est exactement le dernier homme que j’ai connu : un égoïste qui promet tous les efforts, mais qui n’en réalise aucun et ne se montre digne d’aucun des serments grandiloquents qu’il lance pour se faire croire que c’est ça, aimer. « Je pense qu’il ne t’aimait pas. / Il le disait pourtant. / Il le disait pour lui. Pour ton regard qui l’enveloppait. Mais on n’aime pas ainsi, pas avec cette violence. Il n’a jamais aimé. » (p. 199) Plus Fleure pardonne les écarts, plus Victor se montre odieux, impatient, cruel et absent : tout n’est jamais assez pour l’homme qui croit tout mériter sans rien devoir. Ce dont parle un peu ce roman, c’est l’emprise et la difficulté de s’en libérer. « En elle montait un dégoût pour elle-même, pour sa naïveté. D’avoir aimé sans égal, de s’être fait acculer puis écraser dans un quotidien qui se dérobait. Et malgré tout, elle pensait à lui. C’était terrifiant. » (p. 193) Hélas, sortir d’une relation mauvaise, ce n’est pas toujours suffisant pour se sauver quand l’orgueil remplace le fléau de la passion et l’emporte sur le sentiment vrai.
Dans son premier roman, Arthur Dayras déploie un style puissant, parfois poétique jusqu’à l’étourdissement. « Pour se dire bonjour, chacun a enfoui sa tête dans le creux de l’épaule. Il est trop tôt encore pour s’embrasser, trop tard aussi pour se mentir. » (p. 23) L’auteur écrit à merveille les pudeurs des débuts et les tiédeurs acides des désillusions. Il me déplaît fortement que la fin du roman donne droit au caractère infect du protagoniste : sans être heureux, le dénouement aurait pu épargner Fleure et ne pas en faire une statistique supplémentaire.
Je vous laisse avec deux phrases d’une beauté éblouissante.
« Elle avance avec la légèreté d’une promesse. » (p. 41)
« Comme toutes les premières amours, leurs gestes sont gauches, pleins d’une tendresse d’aube. » (p. 62)
Il est vrai que les deux phrases que tu cites sont sublimes !
Oui, c’est magnifiquement écrit !