La construction et l’exploitation de l’usine électrique de Pulditch, c’est l’espoir de nombreux emplois pour les ouvriers de la ville. Ils forment une bande soudée, unie dans les bons moments et résolue dans les coups durs. Timmy, le Chamaillad, la Sardine, Joseph et tous les autres ne manquent jamais une occasion de jouer un tour pendable à l’odieux contremaître, Guessie Gallagher, ou de ridiculiser le sournois directeur Richard Graves. « Ce serait de la folie de te faire virer ! Faut savoir jouer la couille molle ! Plus y te prennent pour un couillon, plus t’es peinard et plus tu peux t’arranger pour les couillonner, tu piges ? » (p. 88) De grèves en luttes syndicales, pendant près de 30 ans, les hommes font leur possible pour conserver un emploi indispensable tout en préservant leur dignité d’individus laborieux. Et autour d’eux gravitent des femmes qui, tout autant, font de leur mieux chaque jour. Épouses, logeuses, filles perdues, religieuses, prostituées, voisines, toutes avancent la tête haute, refusant les schémas du passé et demandant de nouveaux droits. C’est la grande époque du débat sur l’avortement et la contraception.
La solidarité des travailleurs, les patrons menés à la dure par les ouvriers, les ambitions et les rancœurs, la lourdeur de la religion catholique, tout cela compose le quotidien d’une petite humanité humble et attachante. « Ils sont ensemble, se serrent les coudes, […]. Un pour tous et tous pour un. Des frères. Des mousquetaires. Les derniers des Mohicans. Une bande de gros durs qui ne tiennent plus sur leurs jambes et bêlent comme des moutons perdus dans la nuit. » (p. 371) L’auteur manifeste tant de tendresse et de compassion envers ses personnages qu’il est impossible pour le lecteur de ne pas partager ses sentiments, même envers les individus les moins aimables. Les quelque 600 pages du roman retracent les évolutions de la société irlandaise et mettent en résonance petite et grande histoire. C’est un très beau texte, riche d’émotion et d’humour.