Nina est une belle rousse peu farouche qui aime les émotions sensuelles et les sensations fortes. Mariée par son père au comte François de Ladrière, elle rêve de la vie de château et se sent prête à n’être plus la femme que d’un seul homme. « C’est fou […] comme le mariage peut rendre romantique une mauvaise herbe comme moi. Je poussais entre les pavés des rues glauques et me voilà orchidée dans un jardin paradisiaque. » (p. 22) Convaincue que le mariage n’est que le premier pas vers une vie de rêve, elle attend son comte charmant. « Nina n’était plus la petite pute des rues, celles des chambres glauques et des pipes coquines. Elle était devenue une autre. L’épouse d’un comte qui pensait avoir capturé un ange. Et bêtement, tout bêtement, elle était tombée amoureuse de lui. » (p. 33) Mais le rêve parfumé de Nina va tourner court. Le comte voulait une épouse vierge et chaste, ce que Nina n’est manifestement plus depuis longtemps. La punition du maître des lieux est sans appel : Nina restera enfermée dans le château, privée des faveurs de son époux. Mais Nina n’est pas docile. Résolue à quitter les lieux, elle découvre dans le château des pièces secrètes, des pratiques sordides et un étrange cirque humain dont les membres assouvissent les désirs des clients du comte, « son terrifiant mari qui, non seulement avait quelque chose de Barbe Bleue, mais aussi de Dracula et de Barnum ! » (p. 110) Le château du comte est un lieu dont on ne s’échappe pas : « Vous ne savez pas qu’ici c’est l’enfer ! […] Vous êtes entrée dans le ventre du monstre, dans l’antre du diable ! La mort est une araignée qui a tissé sa toile dans chaque recoin de cette obscure demeure. » (p. 62) Nina va découvrir à ses dépends qu’une union avec le Diable est indissoluble, jusqu’à ce que la mort les sépare.
Ce court roman, issu de la collection des Lectures amoureuses de La Musardine, librairie érotique de Paris, annonce des « sensations délictueuses » (p.120). Mais l’intérêt premier est rapidement mouché par la surabondance de situations improbables voire grotesques. Certes, on ne demande pas à un fantasme d’avoir les pieds sur terre mais personne n’obligeait l’auteure à dévoiler les replis de ses désirs sur 180 pages. Une phrase du roman illustre parfaitement cette situation : « Les plus belles histoires d’amour sont celles qui ne sortent pas des livres. Dès qu’on vit un fantasme, on le tue. » (p. 145) J’ajouterai que ce sont celles qui ne sortent pas de l’esprit. En écrivant ces scènes érotiques, Nadine Monfils les a vidées de toute leur puissance. L’auteure faire dire à l’un de ses personnages qu’ « il faut se créer des manques pour attiser nos désirs et faire de nos fantasmes des obsessions. » (p. 125) Je souscris à l’idée et déplore que Nadine Monfils n’ait pas suivi son propre précepte.
Le texte offre quelques truismes qui, s’ils enfoncent naturellement des portes ouvertes, ont le mérite d’éviter d’hasardeuses réflexions socio-érotiques. « Ce n’est pas le corps qui est indécent, […], c’est le regard qu’on pose sur lui. » (p. 33) ou encore « Pute est un métier d’utilité publique. Si elles n’étaient pas là, il y aurait bien plus de viols dans les rues. C’est le racisme qui est vulgaire et malsain. Pas les putes. » (p. 87) Merci pour elles Nadine ! Sinon, on peut « se créer un amour de papier. Le seul qu’on peut déchirer, effacer et réécrire à sa guise. » (p.147)
Je trouvais la première de couverture sublime mais elle n’abrite rien de comparable. La quatrième annonce « les fantasmes les plus vénéneux d’une Belge surréaliste. Lynch violé par Fellini. » Mouais… Pour moi, c’est simplement Alice aux pays des pervers qui fait un détour par l’infâme et dispensable Eyes Wide Shut. Le Bal du Diable n’est qu’une nuit orgiaque, où la zoophilie et le sadisme ne sont que quelques-unes des expressions d’un désir général et galvaudé. On est bien loin des hauteurs infernales où Sade a élevé l’acte charnel et bien plus proche des peep shows qui offrent pour quelques pièces des spectacles très médiocres.
Un seul épisode m’a plu, celui où Nina en fuite entre dans la boutique d’un cordonnier fétichiste et féru de chaussures rouges. Selon lui, « les baskets sont les hamburgers du pied. Bientôt la sensualité se prendra en pilule. […] Mickey a tué l’érotisme. » (p. 125) Cette rencontre qui court sur quelques pages est une parenthèse de finesse et d’humour perdue dans un univers finalement mal dégrossi et fondé sur des légions de clichés de la littérature érotique.