Octave est un publicitaire. Pardon, un créatif. Et, à en juger par le succès des campagnes qu’il a proposées, c’est un bon créatif. Mais on risque de lui en demander toujours plus. Alors, c’est décidé, il veut être licencié. Quoi de mieux, pour parvenir à ses fins, que de rédiger un livre sur son métier et de ne rien cacher. « Tout est provisoire et tout s’achète. L’homme est un produit comme les autres, avec une date limite de vente. Voilà pourquoi j’ai décidé de prendre ma retraite à 33 ans. C’est paraît-il, l’âge idéal pour ressusciter. » (p. 18) Du blasphème ? Même pas, ça fait longtemps que ce n’est plus vendeur.
Entre caféine, cocaïne, pornographie et majuscules, Octave dresse les portraits de l’homo consommatus et du publicitaire. Voici deux espèces créées par le monde moderne : elles cohabitent plus ou moins bien, mais elles ne peuvent se passer l’une de l’autre. La publicité, c’est l’obscénité rémunérée et la sexualité sans désir. Puisque tout devient consommation, c’est sans surprise que l’on assiste à la banalisation des excès. « Ne regarde pas la paille qui est dans la narine du voisin, mais plutôt la poutre qui est dans ton pantalon. » (p. 75) Le monde des publicitaires est délétère et éphémère : on n’y fait pas long feu, mais qu’importe si la flamme est belle. Et puis, si tout et tout le monde n’est que produit, rien n’est irremplaçable.
Alors qu’Octave essaie d’oublier Sophie, il travaille sur la campagne du yaourt Maigrelette, nouveau produit du super-puissant groupe agroalimentaire Madone. Pas facile de vendre du lait fermenté ? Fatigant ? Qu’à cela ne tienne, faites une pause avec les interludes publicitaires qui précèdent ou ponctuent chaque chapitre. Mais ne vous y trompez pas : Octave n’est pas heureux. Vous non plus d’ailleurs. Ah, vous ne le saviez pas ? « Vous êtes les produits d’une époque. Non. Trop facile d’incriminer l’époque. Vous êtes des produits tout court. » (p. 256) 99 francs parle de désespoir, de puits sans fond, de non-retour. Certes, il y a du cynisme, mais quasiment sans recul : avoir conscience du mal ne signifie pas vouloir le soigner.
Ce roman, c’est la victoire du name-dropping sur la littérature, c’est un slogan et un clip publicitaire sur plus de 250 pages. Octave/Frédéric Beigbeder nous montre comment la publicité mène le monde et manipule les consommateurs. « L’hédonisme n’est pas un humanisme : c’est du cash-flow. » (p. 20) Rien de très surprenant : il faudrait être somptueusement crétin pour ignorer que la consommation n’est plus la réponse à un besoin, mais la création de désirs inassouvissables. « Pour savoir que l’argent ne fait pas le bonheur, il faut avoir connu les deux : l’argent et le bonheur. » (p. 201 & 202) Si vous voulez savoir ce qui fait le bonheur, ce n’est pas ce roman qui vous le dira. Ne soyez pas triste, reprenez un rail ou faites les courses. Si le ton est volontiers insolent et désabusé, il est de ceux qui m’ennuient et m’agacent. Et, surtout, le message ne me convainc pas : personne n’est obligé de subir la société de consommation et je ne parle pas seulement des pratiques des adeptes de la décroissance.
Film de Jan Kounen avec Alexandre Dujardin.
Le film respecte le découpage du roman, mais propose une fin alternative plus radicale. La ressemblance est troublante entre Jean Dujardin et Frédéric Beigbeder qui fait quelques apparitions. Je m’interroge sur la mention « film familial » en conclusion : l’adaptation cinématographique est plus trash que le livre, ou peut-être l’est-elle autant, mais l’image est plus percutante que le mot. Toujours est-il que le film est une fidèle transcription du roman, mis à part quelques détails. Je pourrais dire que j’ai préféré l’œuvre de Jan Kounen, mais j’ai surtout apprécié la performance de Jean Dujardin. Globalement, ni le film ni le livre n’emportent mon adhésion.