Pierre Abélard, à 38 ans, est un professeur et un philosophe renommé. Les scolares (élèves) se pressent pour suivre ses enseignements et les femmes se pâment devant ce bel homme intelligent et à la réputation sans tâche. Quand le chanoine Fulbert engage Abélard en tant que professeur pour sa pupille Héloïse, il ne sait pas qu’il fait entrer le loup dans la bergerie. « Seriez-vous non seulement la fille la plus jolie, mais également la plus savante de France ? » (p. 25) Le badinage tourne rapidement à la luxure et Héloïse apprend moins de grammaire que de choses sur la vie. Quand Fulbert ouvre enfin les yeux sur ce qui se passe sous son toit, sa colère est sans borne et même le mariage de sa filleule avec le professeur ne calme pas sa fureur. Il fait châtrer Abélard qui, ainsi diminué, décide d’entrer dans les ordres et demande à Héloïse d’en faire autant. Voilà les deux amants séparés à tout jamais, l’une dans un couvent d’Argenteuil puis au Paraclet, l’autre dans un monastère breton, même si leur amour reste entier. « Leur séparation révèle un sentiment qui les dépasse. Chacun des deux, par écrit, déplore l’infortune de l’autre plus que la sienne. » (p. 101)
Qui ne connaît pas les tristes amours d’Héloïse et Abélard ? Le sentiment amoureux gagne ses lettres de noblesse avec ces deux amants superbes et désespérés. « Pour moi, t’aimer comme je t’aime relève du sacré, et dépasse la philosophie, est du domaine de la sagesse de vie plus que du raisonnement. » (p. 262) Superbe, donc ? Pas sous la plume de Jean Teulé : il ramène l’amour à son expression première : la fesse, le poil, les génitoires et le con. Le premier tiers du roman n’est qu’une suite de scènes lestes et grivoises, à la limite du salace. Je le connais, Jean Teulé, je sais qu’il appelle une chatte une chatte, il ne fait pas dans la dentelle. Mais tout de même, tant de vulgaire était-il vraiment nécessaire ? Finalement, peut-être bien que oui puisque le reste du roman s’attache à montrer comment peut se sublimer une passion charnelle dévastatrice. Attention, je ne dis pas que Teulé se met soudain à fleurir ses phrases et qu’il parle avec la plume en cul de poule. On ne le refait pas, il garde le verbe leste et coquin. « Héloïse commence à en avoir ras la moule de son devenu cul béni de mari ! » (p. 284) Je reproche toutefois au bonhomme de mener une course au bon mot qui finit par épuiser l’hilarité complaisante du lecteur, et ici de la lectrice.
Dans le genre des biographies romancées dont Jean Teulé nous a gratifiés, j’ai préféré – et je vous les conseille – Je, François Villon et Fleur de tonnerre.