Texte de Philippe Claudel.
Souvenirs d’enfance, mélodie des jours passés, amours scolaires et juvéniles, douceur de la grand-mère et de la mère. En visitant son passé, Philippe Claudel compare certains tableaux de son existence avec des toiles d’Émile Friant, peintre du siècle précédent. Il se retrouve dans les scènes immortalisées par l’artiste, mais également dans sa révolte. « Car j’ai toujours senti dans certains tableaux de Friant, dans ceux des jeunes années, une sorte de défi au monde, de hurlement, comme s’il avait livré en peu d’espace une part de lui que les autres ne soupçonnaient qu’à grand-peine. Comme s’il avait voulu jeter à la gueule de tous des paquets de chair. » (p. 56) Les années ont passé et le jeune Claudel est devenu un époux et un père. Envolée la légèreté de l’enfance, reste la gravité de l’âge d’homme. L’écrivain se demande s’il arrêtera d’écrire comme le peintre a cessé de peindre, de créer, pour ne produire que des œuvres de commande.
À la toute fin du roman, on comprend le lien qui unit Philippe Claudel et Émile Friant. Le titre résonne alors différemment et l’adieu devient moins pesant. Surtout, l’on comprend que l’écrivain s’adresse surtout à son aïeule. « Grand-Mère est venue, bien plus tard, s’installer dans mes romans sans que je l’y convie toujours. » (p. 36) Mine de rien, l’auteur parle encore du deuil : pas celui des personnes disparues, mais du passé qui reste pour toujours inaccessible et chaque jour plus grand. « C’est après tout le lot commun des hommes que d’apprendre à vivre avec de doux fantômes dont le nombre s’accroît sans cesse à mesure que les années meurent. » (p. 10) Et quand il parle de l’amour, Philippe Claudel le fait sans minimiser ses ravages, mais sans oublier les belles éclaircies qui suivent les douloureux orages. Aimer, oui, toujours, jusqu’à en crever, mais vivre avant tout. « Il est bête de réussir à se donner la mort avant que d’avoir pu faire le constat de l’évanescence des amours vives. » (p. 39)
Au revoir Monsieur Friant est un livre hommage très beau qui donne envie de découvrir les toiles du peintre. Comme dans Jean-Bark, quand il parle de ses chers disparus, Philippe Claudel évacue le pathos pour ne garder que le chagrin pur qui se sublime, avec le temps, en souvenir indestructible.