
Roman de Joy Sorman.
Né du viol d’une vierge par un ours, le narrateur déroule le récit de sa triste existence. Orphelin, l’enfant-ours est confié aux soins d’un montreur de fauves et découvre la cruauté banale subie par les bêtes asservies. « L’ours fut l’ami et le confident des puissants. Destitué, il vécut en bonne intelligence avec les hommes. Et aujourd’hui je suis le réprouvé. » (p. 33) Arraché à ses forêts et ses montagnes, l’homme-ours traverse d’abord un océan, puis un continent sauvage. Acheté par un cirque itinérant, il donne chaque soir son numéro de bête domptée, indifférent à ce qui n’est pas son repos, lui qui vit en retrait des humains et n’est pas tout à fait un animal. La solitude est son lot et il souffre surtout de ne pouvoir vivre l’amour charnel avec les femmes. La sensibilité de l’homme-ours et son pouvoir de raisonnement restent cachés, mais rien ne peut masquer au lectorat la profonde humanité de cet être hybride. « Au cirque, ce sont les bêtes bien plus que les hommes que l’on vient contempler. À moins que les hommes ne soient des bêtes. » (p. 106)
Ce conte animalier m’a profondément émue. Le métissage n’est pas monstrueux : c’est l’ignorance qui le rend ainsi. Le narrateur se conforme à une vie de bête, car il sait que personne ne comprendrait sa complexité. De miracle, il devient phénomène, et puisqu’il est plus simple de catégoriser sans tenir compte des détails, le voilà seulement ours, dépossédé de ce qui le différencie et le rapproche des humains. De son mieux, il embrasse son animalité, seule latitude qui lui reste pour exister dans un monde trop étroit pour sa singularité. « Je découvre ce pouvoir des bêtes sur les esprits humains […], le pouvoir de ranimer la démence, de provoquer la transe, une dévotion absolue, un amour affamé et un espoir insensé – qu’attendent-ils de nous ? Nous prennent-ils pour leurs sauveurs ? Je croyais être un roi déchu, je suis peut-être un dieu, tombé, soumis, domestiqué, mais un dieu. » (p. 75) Ce roman m’a évidemment rappelé le si génial essai de Michel Pastoureau, L’ours, histoire d’un roi déchu que j’ai soudain furieusement envie de relire !
Tu sais que ma PAL te déteste ? 😂
emoji avec la couronne d’ange ! 😀