
Roman de Tiffany McDaniel.
Pour éprouver sa foi, un procureur passe une petite annonce et invite le diable à venir à sa rencontre. Celui qui se présente à Breathed, Ohio, pendant l’été 1984, c’est Sal, gamin noir aux yeux verts. Accueilli par le magistrat comme un membre de la famille, ce garçon en salopette crasseuse ne cesse d’étonner par sa grande sagesse et sa gentillesse. « Si tu continues à dire que tu es le diable, un de ces jours, quelqu’un va finir par te croire. Et qu’est-ce que tu feras à ce moment-là ? Ou bien tu seras le maître de sa croyance, ou bien tu en seras la victime. Dans un cas comme dans l’autre, c’est dangereux. » (p. 31) Peut-il vraiment être le diable, ce môme meurtri assoiffé d’amour ? Comment penser le contraire alors que des drames se produisent en ville et que la chaleur n’en finit pas d’exploser les thermomètres ? La canicule exacerbe les mauvais penchants et fait dérailler les esprits, et alors tout fond : la crème glacée, la peau, les principes moraux. « N’est-ce pas cela, le péché ? Un peu de vie trop près de la flamme ? Le diable est à la mèche, et la cire coule en fondant. » (p. 53)
Fielding avait 13 ans durant ce terrible été. Des décennies plus tard, alors qu’il est un vieil homme solitaire, il raconte les événements de cette saison maudite et il ressasse ses souvenirs qui lui sont autant des péchés que des démons. « Je suis devenu le fils de cet été-là. Cet été-là est mon père. C’est ma mère. C’est lui le responsable de ma violence. » (p. 191) Le terrible enchaînement des faits dévoile une mécanique abominable : en quelques semaines, une ville perd la tête et une famille se délite. Le gamin d’alors se sent éternellement coupable des conséquences sinistres de ses actes : si ces derniers n’étaient pas innocents, ils étaient toutefois involontaires ou pétris de bonnes intentions. Le poids des remords est l’enfer sur terre d’un homme dont l’enfance a éclaté sous trop de chagrins et de violence.
Un roman qui cite, même d’un mot, un roman de Stephen King, a forcément toute mon attention. Mais Tiffany McDaniel m’avait déjà convaincue avec ses autres romans, Betty (paru en France avant celui-ci, mais écrit après) et Du côté sauvage. Dans L’été où tout a fondu, l’autrice mêle poésie et horreur : une femme terrifiée par la pluie, un grand frère trop parfait pour ce monde, sept millions de marches et de mains tendues, des enfants disparus, une colombe foudroyée, le racisme mal dissimulé d’une Amérique qui n’en finit pas de remâcher la honte de la ségrégation, etc. Ce roman a tout d’une tragédie antique : l’implacable engrenage du destin, l’impuissance des humains face au mal, l’irrémédiable souffrance causée par la mémoire. Il est brillant, mais brutal : vous voilà prévenu·es…