
Roman de Tiffany McDaniel.
Chillicothe, Ohio, est connue pour sa papeterie et l’odeur nauséabonde qu’elle répand. Elle est aussi connue pour être une ville où la drogue fait des ravages. Arc et Daffy, jumelles, ont grandi auprès de leur mère et leur tante, toutes deux droguées jusqu’à l’os, et de leur grand-mère, seule personne qui a tenté de les sauver de l’aiguille. « Il n’y a rien de bon dans ce monde pour une femme qui a des amours redoutables. Et l’amour des cuillers figure en tête de liste. » (p. 51) Les jumelles grandissent en savant pouvoir ne compter que sur elles-mêmes. L’une creuse la terre et l’autre nage, l’une engrange un savoir encyclopédique et l’autre écrit des poèmes sur toutes les surfaces. Les sœurs s’attachent à polir la rudesse de leur existence et imaginent dès qu’elles le peuvent une vie plus douce et plus brillante, tout pour ne pas disparaître dans l’horreur qui pénètre dans leur maison. Hélas, l’héroïne s’empare d’elles et, comme elles l’ont vu faire toute leur enfance, elles sont contraintes à la prostitution pour gagner de quoi acheter leur dose. « Les pervers laissent des taches derrière eux. De la pisse, du sang, de la merde. C’est pas baiser. C’est se faire agresser. » (p. 170) Chillicothe, Ohio, est bientôt connue pour être la ville où des femmes junkies sont retrouvées assassinées dans la rivière.
Après Betty qui m’avait profondément secouée, Tiffany McDaniel propose à nouveau un roman où les femmes sont les victimes de la violence débridée des hommes, tous les hommes. « Cause probable de la mort : appartenance au sexe féminin. » (p. 108) Mais à nouveau, les femmes développent une solidarité à toute épreuve : chacune est la sœur de l’autre dans un monde où tout les attaque. Connectées à la nature, les femmes se proclament reines, sorcières et invincibles. « On ne peut pas mettre le feu à une femme et espérer que la chair des femmes qui viendront après elle ne sentira pas cette chaleur. » (p. 46) Le symbolisme est puissant et déploie une poésie éblouissante face à la cruauté sordide qui est dépeinte à chaque page. En ce sens, ce texte me rappelle la force évocatrice de Joyce Carol Oates : les protagonistes féminines évoluent dans une Amérique qui leur est hostile. « Ma mère et [ma tante] aurait pu être des reines dans un tout autre décor, si elles ne s’étaient pas senties à ce point chez elles dans le trou qu’elles semblaient creuser elles-mêmes chaque jour davantage. » (p. 80) Seule la nature est douce pour les femmes. Les descriptions de ce que la rivière fait à un corps sans vie pris dans ses remous ne sont pas une autre marque de violence, au contraire : les flots ici sont témoins et purificateurs.
Évidemment, la relation des jumelles est le ressort dramatique de ce roman. La relation fusionnelle d’Arc et Daffy est autant leur salut que leur malédiction. « Je n’ai jamais vraiment pensé à moi sans elle. » (p. 178) Incapable de vivre seule, chacune se sacrifie pour l’autre tout en l’entraînant inlassablement vers le pire. « Ce qu’une jumelle peut faire de mieux, c’est laisser sa sœur avoir la moitié de sa vie. » (p. 446) Comme dans Betty, l’autrice parle des traumatismes trop lourds infligés à l’enfance et au poids qu’ils font peser sur l’adulte. « Fais disparaître ta blessure. Mais pas ton cœur. Il faut que tu le protèges de ta propre amertume, car elle va s’installer en toi, à présent. » (p. 100)
Du côté sauvage est un roman puissant, dérangeant à plus d’un titre, mais également lumineux tant il parle d’amour et d’espoir. « Qu’est-ce qu’un rêve, sinon quelque chose que les femmes qui nous ont précédées ont fait ? » (p. 437) Je lirai très prochainement le deuxième roman de Tiffany McDaniel, L’été où tout a fondu.
Ma curiosité est à son paroxysme !
Très joli défaut !