Présentes – Ville, médias, politique… Quelle place pour les femmes ?

Texte de Lauren Bastide.

L’autrice est la créatrice du podcast La Poudre qui donne la parole aux femmes. Dans cet ouvrage, elle compte. Parce que c’est en comptant que l’on prend conscience de la sous-représentation des femmes dans tous les espaces et médias. Les statistiques et chiffres composent une démonstration irréfutable : les femmes sont encore largement minoritaires, partout. « Ça fait des siècles qu’on associe le discours des femmes à une certaine forme d’irrationalité, voire d’hystérie, qui préconditionne toutes leurs prises de parole publiques et façonne les perceptions de leurs discours. Les femmes sont condamnées à être les Cassandre de la société, celles qui disent toujours la vérité et qu’on ne croit jamais. » (p. 183) Alors, pour se faire entendre, elles créent des espaces pour parler des sujets qui les concernent – et tous les sujets les concernent – puisqu’on ne leur donne pas ou peu ou mal la parole dans les espaces existants, souvent dirigés par des hommes et principalement ouverts aux hommes. « C’est pour moi le geste le plus féministe qu’on puisse accomplir : créer des espaces où les récits des femmes peuvent se déployer sans entrave. » (p. 199) Mais au-delà de ça, il faut adapter les espaces, tous les espaces, aux femmes et non l’inverse. Et leur ouvrir tous les espaces : public, artistique, scientifique, médiatique, politique, sportif, etc.

Laurent Bastide aborde de nombreux sujets qui tous rejoignent la question du féminisme : intersectionnalité, patriarcat, validisme, lesbophobie, grossophobie, homophobie, racisme, harcèlement de rue, port du voile, mansplaining, cyberharcèlement, plafond de verre, plafond de mère, etc. « J’aimerais ne plus entendre que le féminisme constitue une sorte de police de la pensée qui obligerait la société à se conformer à sa vision. » (p. 181) Le ton est assez piquant, mais surtout limpide, criant d’évidence et hurlant de vérité. L’autrice emploie les mots justes, surtout s’ils fâchent. Les notes de bas de page sont pertinentes non seulement parce qu’elles renvoient à des sources qui semblent innombrables, mais surtout parce qu’elles donnent le nom des hommes en tout petit : dans le corps de texte, c’est celui des femmes qui est au centre, pas celui de leurs bourreaux et pas celui des oppresseurs. Et la bibliographie en fin d’ouvrage est monumentale, à double titre : grand nombre de références et mise en avant de productions féminines.

L’amie qui m’a offert ce livre estime que chaque femme devrait l’offrir à une autre femme, pour que toutes aient accès à cette démonstration indispensable. Et pour moi, cette lecture a été aussi fluide et impactante que Moi les hommes, je les déteste.

Quelques extraits pour vous convaincre de lire ce texte !

« J’ai voulu écrire un livre engagé et radical. J’ai voulu aussi écrire un livre accessible et convaincant. » (p. 7)

« Pour que les femmes soient respectées, crues, valorisées, il faut, avant tout, œuvrer à ce qu’elles soient vues et entendues. » (p. 9)

« Ce qu’il y a de plus redoutable dans l’invisibilisation des femmes, c’est qu’elle est invisible. » (p. 9)

« Les femmes sont invisibilisées partout où l’on produit de la connaissance, partout où l’on contribue à modeler l’inconscient collectif de la société. Et il ne peut pas y avoir de société juste si les représentations collectives se construisent en oubliant la moitié de l’humanité. » (p. 16)

« Il y a une urgence à dire le nom des femmes et à faire applaudir leurs accomplissements. » (p. 18)

« Vous pensez sûrement que j’exagère, mais c’est ça, le quotidien du féminisme en France. Des femmes qui disent des choses sensées et qui se font aussitôt insulter. » (p. 47)

« La blanchité, comme le masculin, est un faux neutre. Un point de vue qu’on présuppose objectif alors qu’il est, comme tout point de vue, fait de biais et d’imprégnation culturelles inconscientes. » (p. 104)

« Oui, Internet, c’est de la bombe. Mais c’est aussi un espace où les violences contre les femmes sont considérées comme allant de soi. » (p. 154)

« Les femmes sont mes sœurs et j’agis pour cela, pour manifester une communauté de destins avec toutes celles qui subissent, comme moi, l’oppression patriarcale. » (p. 238)

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Carton rouge

Album d’Émile Jadoul.

Notre petit héros aux longues oreilles aime jouer au football. « Chaque jour je prends mon ballon pour aller à l’école. On s’amuse bien avec les copains. » Une fois à la maison, il ne trouve que Papa pour jouer avec lui… Mais Papa ne semble pas très friand de ce sport !

Et Maman ? On ne lui demande si elle a envie de jouer au football ? Ce sport est uniquement une affaire de garçons ? Je suis venue à cette lecture pour le lapin protagoniste et je la quitte avec une irritation certaine !!!

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Une joie féroce

Roman de Sorj Chalandon.

Jeanne n’a pas 40 ans, mais elle a un cancer. « Je me suis demandé si le mal était entré en moi par effraction ou si je lui avais offert l’hospitalité. S’il s’était invité ou si je l’avais accueilli. » (p. 13) De séances de chimio en perte de cheveux, Jeanne se sent de plus en plus démunie, peu soutenue par son mari. Mais il y a Brigitte, Assia et Mélody, elles aussi atteintes de cancers féminins. Elles l’accueillent dans leur grand appartement et, ensemble, les quatre femmes espèrent des lendemains plus gais. « Elle l’a prise dans ses bras. Comme on console, comme on protège, comme on épuise un immense chagrin. » (p. 100) Unies par la maladie, les amies sont également liées par de lourdes et tristes histoires de maternité. Et pour réunir une mère et sa fille, elles organisent un braquage.

Voici donc le jour où j’ai lu toute la fiction de Sorj Chalandon. Une joie féroce est un beau livre, mais pas le meilleur de l’auteur à mon sens. Il y manque un je ne sais quoi, quelque chose qui m’aurait vraiment étreint le cœur. Toutefois, comme souvent, Chalandon sait monter des secrets et des mensonges qui explosent la confiance quand ils sont révélés, tout en rendant la vérité laide, bien que nécessaire. J’attends maintenant le prochain roman de l’auteur. Avec une féroce impatience.

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Tout est bon dans le Breton

Bande dessinée de Fabien Delettres. À paraître le 15 mai.

La Bretagne, ça vous gagne ? Peut-être après la lecture de cet album ! J’y ai passé de nombreuses vacances étant enfant et ça reste la région de France que je préfère. C’est aussi celle des Bretons : la Bretagne, ils l’aiment, ils la défendent, ils la revendiquent ! « Le Breton n’est pas chauvin, il est juste lucide ! Pas de pollution, pas de bruit, pas de métro bondé, pas de bouchon, ah si, mais on les fait sauter à l’heure de l’apéro ! » (p. 13)

Si l’esthétique « hermine et triskel » vous déplaît, si le beurre doux est le seul que vous aimez ou encore si vous râlez contre la pluie, passez votre chemin, la Bretagne n’est pas pour vous. Et tant mieux, ça en fera plus pour les Bretons et les vrais amateurs de cette région enchanteresse. À la fois abécédaire, manuel de survie du non-breton, lexique, revue de presse de la PQR ou encore annexe du Guinness Book, cette bande dessinée prête à sourire. L’humour est parfois un peu lourd et caricatural, mais il est comme le kouign-amann :généreux ! N’y voyez pas malice, le ton est bon enfant. Et de toute façon, si ça vous déplaît, on saura vous faire comprendre que vous vous méprenez… « Le Breton ne ferme jamais sa gueule quand il a tort, alors imagine quand il a raison. » (p. 22)

Après cette lecture, j’ai surtout plus envie que jamais d’aller m’installer dans une chaumière face à l’océan, quelque part sur la pointe du Finistère…

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Discours de réception du prix Nobel de la littérature – Stockholm, 7 décembre 1993

Discours de Toni Morrison.

En 1993, Toni Morrison a reçu le prix Nobel de littérature. Comme c’est l’usage pour chaque lauréat, elle a prononcé un discours à l’occasion de la remise de ce prix. En quelques dizaines de pages, elle développe un texte aux allures de conte africain. « Ce qui inquiète cette femme, c’est que la langue dans laquelle elle rêve, la langue qu’elle a reçue à la naissance, se retrouve manipulée, exploitée, confisquée même, à des fins scélérates. » (p. 11 & 12) Il est question d’une très vieille femme noire, aussi aveugle que sage. Et il est question des jeunes générations, des générations futures. Évidemment, il est question du langage, de l’écriture et de la façon dont la littérature doit être utilisée pour faire sens et faire communauté. « Nous sommes mortels. C’est peut-être cela, le sens de la vie. Mais nous sommes source de langage. C’est peut-être cela, la mesure de notre existence. » (p. 25)

En peu de phrases et beaucoup d’images, Toni Morrison prouve s’il en était besoin qu’elle méritait amplement le prix Nobel de littérature. Je ne peux que vous conseiller la lecture de son discours, mais surtout de son œuvre.

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Les sorcières de la république

Roman de Chloé Delaume.

2062, la France trépigne d’impatience à l’ouverture du procès qui va revenir sur le Grand Blanc. Que s’est-il passé entre 2017 et 2020 ? Pourquoi le pays a-t-il voté l’amnésie générale à 98 % ? « Je suis sûre d’avoir voté oui. Voulu quoi, pour éviter quoi ? C’était il y a plus de quarante ans. Et je ne sais toujours pas ce que j’ai eu, à ce point, intérêt à oublier. » (p. 101)

Sur le banc des accusés, une seule personne, la Sibylle. Vieille de plusieurs milliers d’années, née du temps de la Grèce antique, toujours aussi belle, elle raconte comment les déesses oubliées de l’Olympe ont décidé de reprendre les choses en main, de contrer la fin du monde annoncée pour décembre 2012, de renverser les pouvoirs phallocrates et d’instaurer un monde puissamment féminin. Pour ça, elles ont fondé le Parti du Cercle et fait élire Élisabeth Ambrose présidente de la République française. « Une secte d’intérêt public, qui prônait la sororité, l’autonomie orgasmique et les enseignements du Nouveau Commencement. Une cellule d’activistes pagano-féministes, qui pratiquaient la magie à des fins politiques. » (p. 10) La Sibylle a tout vu, bien avant tout le monde. Normal, c’est son métier. Mais personne n’a écouté ses avertissements. Normal, c’est toujours le cas. Le grand projet des déesses a échoué, on s’en doute, mais la Sibylle est là pour que personne n’oublie. « Au commencement était le Verbe et puis le Trademark a surgi. Je suis la gardienne de l’histoire, ma parole est copyrightée. » (p. 45) Évidemment, tout dépendra du verdict.

Ce que propose Chloé Delaume, c’est un roman féministe, presque un manifeste, sous forme de compte rendu d’audience. Mais attention, nous sommes face à un procès-spectacle : le Tribunal du Grand Paris a investi le Stade de France. Les gradins sont pleins à craquer ! La France de 2062 est une dictature du divertissement et de la consommation : chacun a l’obligation de participer, de s’exprimer, de soutenir le pouvoir en place. L’humour est féroce et jubilatoire, hautement décomplexé et misandre par touches bien dosées. Les échanges de mail entre Artémis et Jésus-Christ ont fait mes délices. Et si vous aussi, vous avez un peu moqué François Hollande qui subissait sans cesse des intempéries lors de ses sorties officielles, avez-vous pensé à une malédiction ? « Un coup des Sorcières de Salers, une association de socialistes auvergnates pratiquant le zoroastrisme et le culte de Ségolène Royal. » (p. 200)

À ranger très près du Pouvoir de Naomi Alderman, mais pas trop loin non plus de La république des femmes de Gioconda Belli, Les sorcières de la république brosse un portrait acide d’une société en perdition, empêtrée dans la crise des religions et le culte de la personnalité présidentielle. En rendant la magie accessible à toutes les femmes, Chloé Delaume fantasme un pays où les urnes ont moins de pouvoir que les chaudrons. « Changer un membre du PS en un objet utile, un traître écologiste en porte-parapluie, un ancien Président en un petit poney bai, ou Jean-François Copé en pain au chocolat, reconnaissez que c’était de bonne guerre. » (p. 324)

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La Comtesse des digues

Roman de Marie Gevers.

À la mort de son père, Suzanne reprend l’activité de Dyckgraef, ou comte des digues. Le long des eaux de L’Escaut, il faut veiller aux rives, aux effondrements et aux marées pour que le polder ne soit pas inondé. La jeune fille connaît son métier et est profondément attachée à son pays d’eau et de champs. Mais au village, on jase. A-t-on jamais vu une Comtesse des digues ? La fonction peut-elle s’exercer sans un homme, sans un mari ? Et la vibrante Suzanne, en proie aux premiers désirs, ne sait à qui elle pourrait donner sa main ? Pas à Monne, le grossier brasseur. Peut-être à Triphon, fidèle employé de son père. Ou encore à Max Larix, nouveau propriétaire d’une parcelle. Mais plus que sa main, c’est son cœur que la trop raisonnable Suzanne veut offrir. Pour cela, elle aura à accepter quelques renoncements d’orgueil.

Cette histoire est simple et charmante, tranquille et inéluctable comme les saisons. « Le soleil couché, le vent se leva, sautant à l’ouest, et une brume envahit les prés et les champs humides. Ce fut l’automne. » (p. 151) Dès le début, j’ai su à qui Suzanne lierait son existence, mais j’ai pourtant pris plaisir à suivre ses émois dans un paysage superbe. Marie Gevers dépeint à merveille des lieux qu’elle connaît et qu’elle aime. J’ai évidemment tiqué devant le discours qui professe que seul le mariage peut dompter les ardeurs des jeunes filles solitaires, mais il faut remettre le texte dans son contexte : il a été écrit en 1929. Je choisis de retenir l’écrin de nature dans lequel repose cette histoire d’amour de facture très classique, mais douce et plaisante.

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Les ronces

Ouvrage poétique de Cécile Coulon.

Comment résume-t-on la poésie ? Le peut-on ? Le faut-il ?

Cécile Coulon, c’est un génie brut qui parle d’amour et de souvenir, de montagnes et d’enfance, de nostalgie et d’attente, de course à pied et de déambulation dans les sommets. Entre délicatesse et brutalité, ses mots refusent la banalité.

« Je voudrais que la poésie soit aussi naturelle à ceux / qui m’entourent que l’émotion / qui jaillissait cette nuit-là, devant cette place, / avec cette facilité improbable des moments / qui n’auraient pas dû être, / qui furent tout de même, mal fichus, débordants / de grâce et de paroles impassibles. » (p. 15)

« Tu venais d’arriver dans mon désir à la manière / d’un voyageur qui se trompe de quai. » (p. 19)

« Il faudrait plus souvent dire aux êtres tristes / que ce qui ne doit pas arriver / généralement, n’arrive pas. » (p. 33)

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Nellie Bly – Dans l’antre de la folie

Bande dessinée de Virginie Ollagnier et Carole Maurel.

En 1887, la jeune journaliste Nellie Bly se fait passer pour folle et manœuvre pour être envoyée sur l’île de Blackwell afin d’étudier les conditions d’internement des femmes et dénoncer des pratiques inhumaines. Traitée comme les autres pensionnaires, elle endure l’insalubrité, la faim, la cruauté, voire la torture et le sadisme du personnel soignant. Aucune guérison possible entre les murs de l’asile, aucune compassion à espérer. « La folie qu’on attribuait aux femmes était souvent l’expression des violences qui leur avaient été faites. » (p. 128) Nellie se lie d’amitié avec des femmes aussi peu folles qu’elle-même, mais envoyées là pour des raisons fallacieuses. « Sans leur avoir donné la moindre chance de s’expliquer, le médecin condamna ces pauvres femmes à rester probablement jusqu’à la fin de leurs jours chez les fous. Tout cela parce qu’elles n’étaient pas parvenues à remplir ce rôle assigné aux filles. » (p. 43) Et de fait, c’est Blackwell qui fait naître la folie, qui anéantit tout espoir et qui pousse à la démence, seul refuge des âmes meurtries.

Quand elle quitte les lieux, Nellie tente d’alerter le grand public et d’obtenir de meilleures conditions de vie pour toutes les femmes recluses à Blackwell. « Folle d’impuissance face à l’institution qui ne l’écoute pas. Folle de rage d’être considérée comme démente. Folle d’angoisse à l’idée de rester enfermée toute sa vie ici. » (p. 88) Le scandale fait les gros titres, mais les mesures correctives sont lentes et insuffisantes. La jeune femme ne renonce pas et donne au journalisme d’investigation ses lettres d’humanité. « La charité n’autorise pas la maltraitance. » (p. 46)

L’ouvrage s’achève par des interviews des deux autrices. Elles expliquent comment elles ont découvert le travail et l’engagement de Nellie Bly. Il est hautement symbolique et indéniablement puissant que ce livre ait été produit par des femmes. Je salue notamment les illustrations de la folie, entre spectres et tentacules infernaux qui s’insinuent partout.

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Petit Lapin cherche un ami

Album de Céline Claire et Aurore Damant.

Comme l’annonce le titre, le petit héros cherche un ami. Il part en forêt et propose à tous ceux qu’il croise de le rejoindre pour un pique-nique dans la clairière. Petit Lapin n’a qu’une crainte, c’est de croiser le loup que l’on dit très dangereux. Mais est-il vraiment prudent de convier toutes les créatures qui peuplent les bois ?  « Petit Lapin a des larmes qui coulent sur ses joues. Il a mal au genou et il a eu si peur… si peur d’être mangé ! »

J’ai évidemment choisi cette lecture pour la bouille du personnage. Comment résister à ces grands yeux et à cette trogne adorable, avec le petit foulard autour du cou ? Moi, je veux bien être l’amie de ce petit lapin couillon qui invite une sorcière et un dragon à son goûter…

Je profite surtout de cette chronique pour vous parler d’un site dont la démarche me séduit beaucoup, et où vous pouvez trouver ce petit livre. éco-album revend à prix réduit des albums destinés au pilon. C’est une opportunité idéale pour faire des cadeaux aux enfants (et aux grands enfants) sans se ruiner et en évitant la destruction de produits de consommation (les livres, donc) qui ont demandé des ressources pour être produits. Certes, le papier se recycle très bien, mais cela demande également de l’énergie. La première étape dans la gestion des déchets est de limiter la création de ces derniers !

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La papeterie Tsubaki

Roman d’Ito Ogawa.

Hatoko, dite Poppo, a repris la papeterie familiale après la mort de sa grand-mère qui l’a élevée seule. Et comme son aïeule, elle assume la fonction d’écrivain public. Carte de vœux, faire-part, lettre de rupture ou encore courrier de refus, la jeune femme exerce un métier désuet et pourtant indispensable à l’ère du numérique, dans un pays pétri de traditions. « J’écris tout ce qu’on me demande, c’est sûr. Mais c’est pour venir en aide aux gens qui en ont besoin. Parce que je veux leur apporter du bonheur. » (p. 138)

Au long des quatre saisons, Poppo accomplit sa tâche avec patience et abnégation, au gré de rencontres souvent originales et toujours uniques. Car confier ses mots au talent d’un inconnu, c’est une preuve de confiance qui nécessite de se découvrir et de révéler un peu de soi. Poppo s’efface derrière ce qu’elle écrit, afin que le destinataire ne sente pas son travail, mais uniquement le message qui lui est adressé. « Être écrivain public, c’est agir dans l’ombre, comme les doublures des grands d’autrefois. Mais notre travail participe au bonheur des gens et ils nous en sont reconnaissants. » (p. 61) Les histoires que Poppo entend sont singulières et touchantes parce que vraies, imparfaites aussi parce qu’humaines.

Avec elle, le lecteur découvre le rituel ancestral de l’écriture et l’art de la calligraphie, de la préparation de l’encre et du choix des instruments, du papier à la plume qui serviront à rédiger le message. On apprend aussi les règles de la correspondance, entre politesse, proximité et conventions. « Cette lettre était pleine de délicatesse : la délicatesse de ne pas franchir certaines lignes, de faire preuve de retenue, de ne pas semer le trouble. » (p. 101) À mesure que Poppo développe son art, elle renoue avec le souvenir de sa grand-mère et fait la paix avec ce que le passé a laissé en suspens. Au fil des jours, elle redécouvre la valeur profonde de l’amitié, de la filiation et des liens que l’on crée pour constituer sa propre famille.

De cette autrice, j’ai déjà lu et apprécié Le restaurant de l’amour retrouvé et Le jardin arc-en-ciel. Cet autre roman est tout aussi simple et charmant que les précédents, sans prétention, mais débordant de tendre humanité et de douceur de vivre.

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Les gens heureux lisent et boivent du café

Roman d’Agnès Martin-Lugand.

Diane a perdu son époux et sa fille dans un accident de voiture. Depuis des mois, elle s’enfonce dans un deuil morose. Ni ses parents ni son meilleur ami ne parviennent à la tirer de cet état. À l’approche de la triste date anniversaire, Diane décide de quitter Paris et de partir en Irlande. Elle loue une maison au bord de la mer et espère que la solitude et le grand air l’aideront à reprendre pied. Mais voilà que son ténébreux et orageux voisin s’évertue à lui pourrir la vie.

Alooooooors, par où commencer ? Un peu de contexte : j’ai lu ce livre à voix haute avec une amie pour pouvoir dire que, voilà, c’est fait, j’ai lu un livre de cette autrice que tout le monde encense. Une mise au point s’impose : chacun lit ce qu’il veut et il n’existe pas de bonne ou de mauvaise littérature. Toutefois, ne nous mentons pas : il y a des niveaux en littérature. Agnès Martin-Lugand évolue dans celui du feel good, du léger et des bons sentiments. Ce n’est pas ma tasse de thé, mais ce n’est pas ça que je reproche à ce roman.

Je lui reproche de ne pas respecter son lecteur à bien des égards !

  • Il massacre la conjugaison et la concordance des temps.
  • Il transforme un verre de vin en pinte de Guinness en 3 lignes. (Personnellement, je préfère, mais la chimie impose certaines limites…)
  • Il prône un masculinisme violent parfaitement toxique (pléonaaaaaaaasme !)
  • Il collectionne les fautes de frappe. (J’ai lu le livre en ebook, peut-être n’est-ce pas ce pas le cas de l’édition papier. Non, je n’irai pas vérifier.)
  • Il utilise des expressions, des mots et des formulations à mauvais escient : ça rend le texte bancal et non, ce n’est pas de la licence poétique !
  • Il transpire le sexisme et une forme assez lâche d’homophobie.
  • Il fait allumer plus de cigarettes qu’un humain ne peut en fumer.

Ce roman est un mauvais texte, même si la fin, heureusement, évite les pires clichés du romantisme éculé. « Il faut d’abord que je me reconstruise, que je sois forte, que j’aille bien, que je n’ai plus besoin d’aide. Après çà, seulement, je pourrai encore aimer. » Je n’ai ressenti aucune empathie pour Diane ni aucune patience envers l’odieux Edward. Seul Postman Pat, le chien, a trouvé grâce à mes yeux. Parce qu’il ne dit pas un mot et parce que ses réactions, certes prévisibles, ont l’immense avantage d’être crédibles.

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Le petit livre des gros câlins

Ouvrage de Kathleen Keegan. Illustrations de Mimi Noland.

« Les scientifiques du monde entier ont prouvé que les câlins sont aussi indispensables à notre bien-être physique qu’à notre équilibre affectif. » (p. 13) Par personne et par jour, il faudrait 4 câlins pour survivre, 8 pour se maintenir en forme et 12 pour se sentir vraiment heureux. Avec la moitié d’étreinte que me consent Bowie chaque jour, je suis loin du compte !

Ce petit livre ne vous apprendra rien de révolutionnaire, mais il fait office de doux et précieux rappel. « Les câlins, mieux que l’espéranto, parlent une langue universelle. » (p. 62) Hors de toute considération sensuelle ou sexuelle, cette pratique physique est accessible à tous, à tout âge. En abuser est sans conséquence négative, ce qui est assez rare quand quelque chose est aussi agréable ! « Autres avantages des câlins. Ils sont écologiques et ne polluent pas l’environnement. Ils économisent le chauffage central. Ils sont portatifs. » (p. 22)

Les dessins sont charmants, ces gros ours sont un peu bouffons, mais ne vous laissez pas avoir par le ton faussement léger du texte. C’est une tactique de survie que nous offre Kathleen Keegan, d’autant plus dans un monde qui se virtualise de plus en plus. Allez, faisons-nous des câlins !

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Bowie, les livres qui ont changé sa vie

Ouvrage de John O’Connell.

Quatrième de couverture – Le livre idéal pour découvrir les inspirations de David Bowie à travers les ouvrages de sa bibliothèque. David Bowie était un lecteur compulsif qui ne se déplaçait jamais sans sa bibliothèque portative. Trois ans avant sa mort, en 2013, dans le cadre de la mémorable exposition qui lui a été consacrée, il a offert au public une liste des cent livres l’ayant le plus influencé. Dans cet ouvrage, John O’Connell a choisi de les passer en revue en examinant leur impact sur la vie et l’œuvre de la star. Dans un premier temps, les titres semblent se succéder comme autant de pièces d’un puzzle insoluble : que viennent faire 1984 ou Sur la route à côté des Chants de Maldoror ? Fiction, essais, revues de bandes dessinées, occultisme, spiritualité, psychologie et histoire de l’art… La liste et les domaines qu’elle englobe sont pour le moins éclectiques ! Au fil des pages, l’auteur nous abreuve d’indices et d’une mine d’anecdotes qui permettent de se faire une idée plus précise de cet artiste transformiste. Un éclairage passionnant sur un esprit curieux, qui a su se nourrir de ses diverses passions pour construire une carrière et une œuvre devenues cultes.

Une bibliothèque mobile ! David Bowie avait une bibliothèque mobile, sorte de grande malle à étagères où il gardait ses ouvrages. Fallait-il vraiment un tel détail pour que je sois encore plus raide dingue fan finie du bonhomme ? Probablement pas, mais ça ne nuit pas ! « Le Victoria et Albert Museum publia la liste sur laquelle se fonde le présent ouvrage : celle des cent livres que Bowie considérait comme les plus importants et influents (ce qui ne signifie pas forcément ses préférés) parmi les milliers qu’il avait lus dans sa vie. » (p. 8)

John O’Connell explore l’influence des lectures de l’artiste britannique sur ses œuvres. Et c’est sans surprise que des influences apparaissent comme évidentes dans certains titres et textes du chanteur. Jamais de plagiat, mais toujours des hommages, des interprétations nouvelles. Assimilant tout ce qu’il touchait pour l’incorporer à sa création, David Bowie était un lecteur averti et sensible.

À chaque fin de chapitre, l’auteur nous conseille l’écoute d’un titre du grand Bowie et des lectures complémentaires pour continuer à nourrir notre curiosité. L’ouvrage se picore, au gré des envies. Et les illustrations de Luis Paadin sont un plaisir pour les yeux. En bonne adepte des listes que je suis, j’ai évidemment dressé celle des titres cités dans l’ouvrage, et ma liste d’envies de lecture a bien grossi en conséquence !

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Bride Stories – 5

Manga de Kaoru Mori.

Nous voici le jour des doubles noces de Leyli et Layla, turbulentes héroïnes du volume précédent. Elles épousent deux frères, Saman et Farsami. Mais il reste tant à faire avant l’arrivée des invités ! Il faut égorger les moutons et préparer le banquet. Les festivités commencent, et avec elles un long défilé de bénédictions et de cadeaux. Les jumelles ont bien du mal à rester sagement assises et elles mènent déjà leurs fiancés par le bout du nez ! La complicité des nouveaux couples est évidente et il semble certain que, une fois la folie de la jeunesse envolée, ces quatre jeunes gens seront heureux et mèneront une vie sage et rangée.

Henry Smith profite de la fin de la fête pour reprendre enfin son chemin vers Ankara, avec son guide Ali. La route est encore longue et les risques sont nombreux. Avant de refermer cet épisode, nous retrouvons Amir et Karluk, le jeune couple central de ce manga. Leur vie continue, même si la menace d’un conflit avec le clan Hargal pèse toujours. Amir continue d’exceller au tir à l’arc, mais elle respecte des lois immémoriales. « Quand je chasse dans la steppe, je ne touche jamais aux rapaces, car ce sont les messagers des cieux. » Aussi, quand elle trouve un faucon apprivoisé blessé, elle fait son possible pour le soigner.

J’apprécie beaucoup les postfaces de chaque volume de ce manga. L’autrice répond à des questions de ses lecteurs et donne de nombreuses précisions, comme l’usage des bols à thé ou la physionomie de certains animaux. C’est instructif tout en étant sympathique, ludique comme j’aime ! Je vais très vite emprunter la suite de cette histoire à la bibliothèque !

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Le légataire – Série intégrale

Attention, révélations possibles dans cet article qui présente une série BD entière !!!

Cette série est la suite du Décalogue.

Tome 1 : Le rendez-vous de Glasgow – Bande dessinée de Franck Giroud, Camille Meyer et Joseph Béhé.

Le livre de Simon est réédité et Gwen, toujours pas remise de la mort de son compagnon, gère son héritage littéraire. Au gré de diverses rencontres, elle est confrontée au Tueur de la Clyde, sérial killer qui semblait avoir disparu. L’omoplate portant l’étrange verset coranique et Nahik, même disparus, continuent de faire parler et d’inquiéter les intégristes islamiques. « Cela prouve qu’il existe quelque part une relique terriblement dangereuse ! Un faux très ancien, suffisamment bien imité pour tromper ceux dont la foi est chancelante ! » (p. 43)

Avec ce premier volume, Franck Giroud reprend un déroulement chronologique classique. Il ne va plus à rebours de l’histoire pour remonter aux sources du Décalogue, mais se projette vers le futur. Le suspense est toujours aussi intense et c’est très satisfaisant de retrouver des personnages qu’il avait fallu quitter très vite pour partir dans le passé. Cela promet des développements intéressants !

Tome 2 : Le songe de Médine – Bande dessinée de Franck Giroud, Camille Meyer et Joseph Béhé.

Merwan, intégriste repenti, est toujours hanté par la mort d’Halid Riza dont il est responsable. Il part à Zurich pour trouver les recherches menées par l’écrivain frappé d’une fatwa. Il ne sait pas que les intégristes musulmans qu’il a quittés sont également sur ses traces et sont déterminés à faire disparaître tout ce qui irait à l’encontre de leur vision d’un Islam violent et vengeur. Contrairement à ce que l’on pensait, le texte gravé sur l’omoplate est loin d’avoir disparu. « La Dernière Sourate ne doit pas être détruite : car le jour où plus personne ne songera à remettre l’Islam en question, il faudra bien restituer aux fidèles la véritable parole du Prophète ! » (p. 50) Les musulmans n’ont pas fini de se déchirer sur le sens profond de leur religion. Et le Vatican entend bien maintenir l’ordre établi.

J’avoue avoir un peu tiqué en voyant arriver l’Église catholique dans l’équation. Je crains un développement à la Da Vinci Code. Il semble certes inévitable que l’une des plus grandes religions monothéistes du monde se manifeste dans cette histoire, mais j’espère que l’auteur nous évitera un complot abracadabrant…

Tome 3 : Le labyrinthe de Thot – Bande dessinée de Franck Giroud, Camille Meyer et Joseph Béhé.

« Choisir pour une entreprise aussi délicate un homme traqué à la fois par la police et par les intégristes, je trouve cela un peu trop audacieux. » (p. 4) Merwan se demande en effet pourquoi le Vatican a besoin de lui. Dans l’attente de sa rencontre avec la personne qui tire les ficelles, il replonge dans les recherches d’Halid Reza. Jeune chercheur, Halid a travaillé avec le professeur Farag Idriss qui a échappé de peu à la destruction d’un monastère orthodoxe en Grèce. Il rencontre aussi Shelley, rescapée du même drame. Tous les trois partent en Égypte à la recherche du labyrinthe de Thot. Ce qu’ils trouvent dépasse leurs attentes, mais révèle également la vraie nature de chacun d’eux.

J’avais craint un délire catholico-complotiste mal géré, mais ce troisième album tient ses promesses et met en appétit pour la suite. J’avais été très frustrée de la disparition rapide d’Halid Reza dans le tome 2 du Décalogue. Il prend ici la place d’honneur et l’occupe très bien.

Tome 4 : Le cardinal – Bande dessinée de Franck Giroud, Camille Meyer et Joseph Béhé.

Le Vatican a fait appel à Aline, l’ancienne petite amie de Merwan, pour le convaincre de parler. « En quoi les déboires d’un jeune beur en cavale intéressent-ils un des membres les plus éminents de la curie romaine ? » (p. 17) Ce qui intéresse surtout l’Église catholique, c’est d’avoir un homme dans la place, au plus près des sources de l’intégrisme. C’est d’autant plus urgent qu’un attentat dévastateur a visé le Pape à Béthléem. « Si nous parvenons à parvenons à prouver que cet hymne à la tolérance émane bien de Mahomet lui-même, nous aurons de quoi saper durablement l’influence du fondamentalisme ! » (p. 23)

Ce quatrième épisode fait revenir un personnage du Décalogue et je n’aurais certainement pas parié sur son retour ! Finalement, cette série dérivée me plaît bien plus que l’autre, Les Fleury-Nadal. Parce qu’elle reste très proche de l’œuvre originale et tisse des liens très étroits avec elle. Elle ne se contente pas de combler des blancs, elle la prolonge !

Tome 5 : Le testament du prophète – Bande dessinée de Franck Giroud, Camille Meyer et Joseph Béhé.

Missionné par le Vatican, sous une fausse identité, Merwan cherche ce qu’Halid Reza, alors jeune universitaire, a caché dans un musée du Caire. Et surtout, il est en quête de vérité. La dernière sourate doit être révélée au grand public. « Vous avez fait du bon travail, Merwan ! De l’excellent travail ! Grâce à vous, il y aura peut-être un peu moins de haine et de sang dans le monde… » (p. 49) L’ancien fondamentaliste cherche aussi à racheter ses erreurs, peut-être à se racheter à ses propres yeux. Quant à la dernière sourate, elle reste un texte maudit quand elle est entre de mauvaises mains. Et son histoire n’est sans doute pas terminée.

Ah, qu’il est bon qu’une série s’achève sur un triomphe, et surtout que ses auteurs sachent quand mettre le point final ! Le légataire montre le talent de Frank Giroud, capable de tenir son sujet pendant tellement d’épisodes. Le dernier album laisse ce qu’il faut de suspense pour que l’imagination du lecteur fasse le reste. Bref, une sacrée bonne série de BD !

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Le plaisir

Livre de Maria Hesse.

Dans son introduction, Lara Moreno donne le meilleur des conseils et le meilleur résumé de ce livre. «  Ce livre peut se lire comme un livre d’anatomie. Pas n’importe lequel : un livre d’anatomie qui décrypte le paysage le plus humain du monde. Celui qui est capable de nous exploser au bout des doigts. »

Le plaisir s’apprend. Il se découvre. Il se travaille. Il s’apprivoise. « Mais si elles ne savent rien, comment vont-elles pouvoir demander ce qu’elles aiment ? » L’autrice-illustratrice raconte ses expériences et son approche du plaisir. Il n’existe pas de chemin tout tracé ni de formule magique. Chacune (oui, parce qu’il est ici question du plaisir féminin) doit trouver ce qui l’excite, mais aussi ce qui ne fonctionne pas.

Maria Hesse propose des portraits courts de femmes auxquelles la conquête du corps doit beaucoup ! Colette, Cléopâtre, Simone de Beauvoir ou encore Mata Hari. Avec un humour piquant, elle parle de jouissance sans gêne ni tabou. « En fin de compte, Lilith se lassa et décida de quitter l’Éden : c’était quoi ce paradis où il n’y avait pas moyen d’avoir un orgasme ? »

Face au male gaze, au patriarcat et à la domination masculine, l’autrice invite chaque femme à s’émanciper en s’emparant de son propre plaisir. « Le sexe a longtemps été raconté par l’homme, pensé par et pour lui. Certains ont du mal à concevoir que notre sexe puisse ne pas dépendre du leur, de même que notre état d’esprit. » Il s’agit d’apprendre à dire oui à l’orgasme, tout en sachant à dire non quand ça ne convient pas. Déculpabiliser le sexe et le plaisir, voilà un engagement qui me parle ! « Tous les corps sont beaux : apprenons à les aimer avec leur âge, leurs imperfections et dans leur diversité. »

J’ai été séduite par le travail de Maria Hesse en lisant Bowie. Je retrouve ici la beauté de ses dessins floraux et végétaux. Et la douceur épaisse du papier donne à cette lecture une dimension sensuelle incroyablement agréable.

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Mitterand, un jeune homme de droite

Roman graphique de Philippe Richelle et Frédéric Rébéna.

En 1935, François Mitterrand est un jeune étudiant en droit, issu d’un milieu catholique bourgeois de droite. Mais plutôt que la magistrature, c’est la littérature qui l’intéresse, si tant est qu’il puisse obtenir le prix Goncourt. Il a de l’ambition et abhorre l’incurie intellectuelle. « La modestie, c’est l’affaire des médiocres. » (p. 31) Ainsi, il préfère discuter avec un ouvrier qu’avec un camarade, si le premier est plus vif d’esprit que le second. « S’il fallait se limiter aux écrivains de droite, nous n’aurions qu’une demi-vision du monde. » (p. 9) Le jeune Mitterrand est un amoureux passionné, voire excessif, mais aussi un séducteur très sûr de lui. Prisonnier militaire pendant la Deuxième Guerre mondiale, il s’échappe avec succès et entre dans l’administration de Vichy, certain de pouvoir aider les prisonniers, les évadés et les réfugiés. Mais face à la politique outrageusement collaborationniste de Laval, la nécessité de résister s’impose.

Pour moi, François Mitterrand, c’est un vieux monsieur, président de la République quand j’étais enfant. Et surtout l’incarnation du socialisme. Grâce à cette bande dessinée, je découvre un homme bien plus complexe, ouvert à toutes les rencontres tant qu’elles sont stimulantes et émulatrices. Le dessin, en quelques traits, rend parfaitement hommage au visage de ce politique. Et j’ai bien envie maintenant de lire une biographie complète du bonhomme !

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Sur un air de fado

Roman graphique de Nicolas Barral.

Août 1968. Depuis quarante ans, la dictature de Salazar étouffe le Portugal. Mais on dit que la santé de l’homme est très mauvaise. « Tout le monde devrait foutre le camp d’ici… et surtout que le dernier à partir pense bien à éteindre la lumière ! » (p. 48) Fernando Pais est médecin. Il mène la vie tranquille d’un célibataire sans souci. Certes, il passe souvent à la PIDE pour donner des soins à un officier et croise ainsi des victimes des méthodes brutales de la police, mais il ne se mêle pas de politique. Ou plutôt, il ne s’en mêle plus depuis qu’il a dû lui sacrifier son grand amour. Témoin de la bêtise d’un gamin révolutionnaire qui veut venger un drame familial, Fernando secoue son lourd passé et retrouve l’espoir d’une autre existence. « N’ayant jamais connu que la dictature, nous avons appris à nous contenter du bonheur que Salazar nous octroie. » (p. 119)

Construit sur une alternance entre le présent et les souvenirs, cet ouvrage est une merveille de légèreté feinte et factice. Les fantômes y sont omniprésents et la douleur est sourde, fichée de longue date dans des cœurs qui ont appris à battre moins fort pour se préserver. Le réveil politique et humain de Fernando est touchant et donne la preuve que rien, jamais, n’est perdu.

Moi qui ne connais franchement pas grand-chose du Portugal, j’ai glissé sans peine dans cette histoire aux couleurs chaudes et aux sujets glaçants. Ce roman graphique brosse un panorama simple d’une période de l’histoire portugaise et m’a donné envie d’en savoir plus.

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Le dernier bain de Gustave Flaubert

Roman de Régis Jauffret.

« Je vous donne ici des phrases de mon cru dont le plus souvent vous ne trouverez trace ni dans mes œuvres ni dans ma correspondance ni d’une façon générale dans aucune archive. Deux siècles après sa naissance, un auteur doit se renouveler. » (p. 26 & 27) Gustave Flaubert est dans sa baignoire et, alors que la mort s’approche, il convoque ses souvenirs, ses amis, ses amants, ses maîtresses et ses personnages. Alfred Le Poittevin et Maxime du Camp, Élisa Schlésinger, Louise Colet et Guy de Maupassant, tous revendiquent une dernière fois l’attention de l’auteur. « Quand je suis remonté à la surface, elle avait disparu. Les personnages n’existent pas davantage que les dieux. » (p. 12) Le gueulard Flaubert entame une âpre discussion avec la Bovary qui lui reproche l’histoire qu’il lui a donnée. Dans un délire pré-mortem, il réécrit ses œuvres et sa vie.

J’avais beaucoup apprécié le roman Claustria de l’auteur. Je n’ai rien lu d’autre de lui, mais un texte sur Flaubert avait tout pour me plaire. La première partie a répondu à mes attentes : c’est avec tendresse que j’ai suivi le jeune Gustave dans son ivresse de mots et de lectures. « À la puberté la logorrhée me poussa plus dure encore que la barbe au pubis. » (p. 49) Avec compassion, j’ai assisté à ses crises d’épilepsie. Mais la deuxième partie m’a laissée sur le côté. Passant de la première à la troisième personne, la narration se veut résolument plus fantasmagorique. Mais ce que le texte gagne en imagination, il le perd en humanité. Bien loin de donner une dimension nouvelle et originale à un auteur sur lequel on a déjà tant écrit, Régis Jauffret en fait une silhouette encore plus floue, un ectoplasme. Dommage. Mais ce livre m’a donné envie de relire Madame Bovary, pour la énième fois.

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Bride Stories – 4

Manga de Kaoru Mori.

N’ayant toujours pas réussi à reprendre Amir à sa nouvelle famille, le clan Hargal cherche des alliés contre Numaji à qui il n’est pas en mesure de fournir une épouse. Et dans les environs, puisqu’il se dit que les tensions montent entre les Russes, les Perses et d’autres pays, il semble plus prudent de regrouper les forces.

Sur les rives de la mer d’Aral, les jumelles Leyli et Layla sont aussi ravissantes que turbulentes. En âge de se marier, elles rêvent à des époux riches et beaux, et si possible de ne pas être séparées. Alors que leur père ne doute pas de leur trouver des fiancés convenables, leur mère s’inquiète qu’elles ne soient pas prêtes pour le mariage. « Je vous ai préparé un programme d’entraînement pour jeune mariée !! On commence tout de suite, et sans rechigner ! […] C’est en s’acquittant correctement de son rôle de mère et d’épouse qu’on obtient le respect des autres !  John Smith observe les préparatifs de la noce avec passion, noircissant des pages entières de notes et se gavant de la cuisine locale. Et accessoirement, puisqu’il se fait passer pour un médecin afin de voyager plus tranquillement, il doit répondre à des cohortes de gens malades…

Cet épisode frais et léger est surtout un prétexte pour explorer les bords de la mer d’Aral et ses richesses. Les jumelles sont des personnages adorablement attachants, d’autant plus pour moi qui ai grandi avec deux petites sœurs nées le même jour ! Leurs gamineries sont moins insupportables qu’hilarantes. Je remarque surtout l’immense talent de la mangaka quand il s’agit de dessiner des animaux. Il y a notamment un superbe couple de loups, dynamique et criant de réalisme.

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Bride Stories – 3

Manga de Kaoru Mori.

Henry Smith cherche à rejoindre Ankara. Mais alors qu’il attend son guide, on lui dérobe son cheval et ses bagages. Il croise Talas, jeune veuve victime des mêmes voleurs. S’il n’est pas simple d’être un Occidental solitaire en Orient, il n’est pas non plus facile d’être une femme sans famille. Cette rencontre inattendue risque bien de perturber les projets du voyageur britannique. Et les autorités locales voient d’un mauvais œil cet homme blond à lunettes qui prend des notes sur tout. Serait-il un espion ? « On ne doit pas porter la main sur lui à la légère. Il ne faudrait pas fournir un prétexte à l’Angleterre pour exercer des représailles ! Agissez prudemment et ne vous faites pas remarquer par les Russes non plus ! »

En parallèle, on retrouve Pariya, la jeune amie d’Amir. Elle n’a toujours pas trouvé de fiancé, et son caractère impétueux n’est pas du goût des éventuels prétendants. Les lois du mariage semblent de plus en plus complexes à Henry Smith, et il ne remarque pas que la jolie Pariya en pince pour lui. Mais maintenant qu’il a retrouvé son guide, Ali, il est prêt à reprendre la route.

Grand plaisir de retrouver ce manga ! Et maintenant que j’ai compris pour de bon – je l’espère… – le sens de lecture, j’avance dans l’histoire à toute vitesse. Les chapitres s’enchaînent d’un volume à un autre, ce qui montre bien qu’on est face à un récit au long cours, et non à des épisodes isolés.

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La république des femmes

Roman de Gioconda Belli.

« J’ai en tête un parti qui proposerait de donner au pays ce qu’une mère donne à son enfant, qui prendrait soin du pays comme une femme prend soin de sa maison, un parti maternel qui considérerait que les qualités féminines qu’on nous reproche habituellement sont des compétences indispensables pour gérer un pays aussi mal en point que le nôtre. Au lieu d’essayer de prouver que nous sommes aussi « viriles » que n’importe quel macho et donc capables de gouverner, mettons l’accent sur notre côté féminin, ce côté qu’on a plutôt l’habitude de cacher comme si c’était une tare quand on est une femme qui aspire au pouvoir : la sensibilité, l’émotivité. » (p. 91)

Viviana Sanson est la présidente de la petite démocratie latino-américaine de Faguas. À la tête du Parti de la gauche érotique, elle a engagé de grandes réformes pour rendre aux femmes une place plus juste dans la société, grandement aidée par un phénomène naturel qui a fait chuter la testostérone et accru la docilité des hommes. « Il fallait en finir avec cette situation, trouver quelque chose pour arrêter le gaspillage de talent qui allait de pair avec le hasard d’être née femme. » (p. 96) Si le pays a globalement bien accueilli ces changements, une opposition misogyne ne décolère pas et hurle à la décadence. « C’était gênant, quand même, de reconnaître que cette révolution de femmes donnait des résultats. Il ne faudrait pas que ça leur monte à la tête. » (p. 52) La tentative d’assassinat contre la présidente choque donc beaucoup, mais n’étonne pas tant que ça. Et alors que Viviana Sanson, du fond de son coma, explore ses souvenirs, le Parti de la gauche érotique doit continuer à diriger Faguas.

Les chapitres alternent les points de vue, donnant ainsi la parole à l’entourage de la présidente et explorant du matériel d’archive, ce qui fait comprendre le caractère a posteriori du récit. Viviana Sanson a-t-elle survécu ? Qui désormais a pris la tête de Faguas ? Mais surtout, les archives présentent les idées et les décisions du Parti de la gauche érotique qui, pour être détonantes, sont loin d’être stupides. « Elles avaient réussi à montrer aux hommes que prendre soin du pays comme s’il s’agissait de sa propre maison n’était pas une mauvaise idée. » (p. 38) La république des femmes comble très exactement les manques de Herland de Charlotte Perkins Gilman et corrige les excès du Pouvoir de Naomi Alderman. Le roman propose une utopie réaliste : il ne s’agit pas d’éliminer complètement les hommes du paysage pour créer une société strictement féminine ni de les soumettre en leur imposant les mêmes violences que celles faites aux femmes depuis des millénaires. Ce que propose l’autrice avec ce texte aux airs de manifeste politique, c’est une société parfaitement égalitaire. En renvoyant les hommes aux responsabilités familiales et ménagères, Viviana Sanson montre que cette aliénation nécessaire doit être partagée entre les deux sexes et n’est pas dévalorisante.

Je vous laisse avec deux extraits et je vous encourage vivement à lire ce roman !

« Quand vous disiez que vous en aviez assez de voir les hommes détruire le pays, marre de la corruption et de toutes sortes d’abus, bien sûr que je comprenais ce que vous vouliez dire, pas besoin d’être une femme pour ça. » (p. 16)

« Pour abolir l’avortement, il ne faut pas l’interdire, mais arrêter de pénaliser la maternité. » (p. 148)

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Si ça saigne

Recueil de nouvelles de Stephen King.

Le téléphone de M. Harrigan – Gamin, Craig travaille pour le riche M. Harrigan. Il lui fait la lecture, arrose ses plantes et lui tient compagnie. Et un jour, il lui offre un téléphone portable. Le vieil homme est immédiatement accro à ce petit appareil qui lui permet d’explorer le monde depuis chez lui. « Fournir gratuitement des informations utiles, cela va à l’encontre de tout ce que je sais du monde des affaires. » (p. 27) Hélas, M. Harrigan meurt et Craig a l’idée étrange de glisser le téléphone dans la poche du costume du défunt. Et l’idée encore plus étrange d’appeler parfois cet appareil désormais enfoui sous terre. « Il ne faut pas appeler, si vous ne voulez pas qu’on réponde. » (p. 70)

La vie de Chuck – C’est l’histoire de la fin du monde : Internet s’éteint. L’électricité se coupe. Les catastrophes écologiques et technologiques se succèdent. Ou plutôt, c’est l’histoire d’un homme en costume qui se met à danser avec une inconnue, dans la rue, au son d’une batterie endiablée. Non, en fait, c’est l’histoire d’un gamin qui vit dans une maison dont une des pièces est verrouillée.

Si ça saigne – Holly Gibney est toujours à la tête de l’agence Finders Keepers. Alors qu’une bombe vient d’éclater dans un collège en Pennsylvanie, faisant de nombreuses victimes parmi les enfants, Holly a un sentiment étrange en regardant les informations. Et elle ne peut s’empêcher de repenser à l’outsider, mort dans une grotte au Texas. « Il est différents modèles à lui tout seul, tous construits à partir du même gabarit. » (p. 218) Comme à chaque fois qu’elle est obsédée par un problème, Holly s’investit corps et âme pour l’élucider.

Rat – Drew Larson a écrit quelques nouvelles et certaines ont été publiées. Mais son obsession, c’est d’écrire un roman. Jusqu’au jour où il a l’idée, la grande idée. Celle qui prouvera enfin qu’il est capable d’aller au bout d’une œuvre. « Depuis que je suis adulte, ou presque, j’essaie d’écrire un roman. Est-ce que je sais pourquoi ? Non. je sais seulement que c’est ce qui me manque dans la vie. Il faut que je le fasse. Et je le ferai. C’est très important. » (p. 340) Drew part s’isoler plusieurs semaines dans le chalet familial, se moquant bien qu’une tempête approche. Seul compte son roman, et Drew est prêt à tout pour en venir à bout.

En quatre textes de longueurs différentes, Stephen King reprend de vieilles ficelles, mais aucune n’est usée. Au contraire, elles sont patinées et c’est un plaisir régressif de retrouver certains sujets que le maître affectionne : critique des nouvelles technologies et de notre dépendance envers elles, histoire et politique américaines, pacte faustien, affres de l’écriture, etc. Jusqu’aux rats dont il avait déjà fait le centre d’une nouvelle. Comme il l’a souvent déjà prouvé, Stephen King est excellent dans le format court. C’est le cas dans Si ça saigne. Chaque nouvelle fonctionne parfaitement, simple et efficace. « C’était de la fascination, vous comprenez ? Cette fascination pour le bizarre que l’on ressent tous pour l’interdit. » (p. 64)

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Lille Atomic

Roman de Marc Capelle.

Quatrième de couvertureAlors que Juliette Moretti, l’énergique directrice de la librairie Place du Monde à Lille, se prépare à recevoir James Byron, roi du polar américain, pour le lancement mondial de son nouveau livre intitulé Lille Atomic, la femme de ménage fait une découverte macabre le matin même de l’événement : un cadavre gît au sous-sol de la librairie ! Qui pouvait en vouloir à ce pauvre Joseph Donzac, traducteur du livre de Byron, retrouvé étranglé et la bouche pleine de papier ? Et, surtout, pourquoi les cartons de livres prévus pour le lancement ont-ils disparu ? Quel mystère entoure Lille Atomic, l’énigmatique roman tenu sous embargo jusqu’à sa parution ?

Vous le savez, je ne lis quasiment pas de polar. Mais devant ce livre, impossible de résister !

  • Il se déroule à Lille, ma ville d’adoption et de cœur.
  • Il s’inspire d’une femme et d’un lieu devenus incontournables pour moi.
  • Il évoque la politique locale à laquelle je participe (à un très humble niveau) depuis un an.
  • Il met en scène les dessous peu élégants du beau monde du livre.

« Je suis sûre que vos affaires habituelles de petits malfrats, de trafics de drogues, de règlements de comptes entre minables caïds à Moulins ou à Lille-Sud ne sont rien à côté de ce qui se passe dans le petit milieu des librairies. » (p. 43)

Alors oui, soyez-en certains, toute ressemblance avec des personnes ou des faits réels n’est absolument pas fortuite. Et pour vous dire à quel point l’auteur a le souci du détail, il ne manque pas de souligner le péché mignon de ma libraire préférée, j’ai nommé les guimauves !

L’intrigue est menée avec dynamisme, rythmée par les appels, les convocations policières et les parutions de la presse. Le crime est-il résolu ? Lisez donc et vous verrez qu’il faut bien plus que cela pour faire un bon polar !

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Les Fleury-Nadal – Série intégrale

Attention, révélations possibles dans cet article qui présente une série BD entière !!!

Cette série se lit en parallèle du Décalogue et en présente la famille centrale.

Tome 1 : Ninon – Bande dessinée de Frank Giroud et Lucien Rollin.

Chez les Fleury-Nadal, en 1797, Hector est un écrivain qui commence à rencontrer un certain succès et Eugène est auréolé de ses exploits en tant que capitaine de l’armée napoléonienne. Le premier hait le second et voudrait que leur jeune sœur, la très belle Ninon, l’admire autant que le militaire flamboyant. « Oh, frérot ! Frérot ! Comme je te déteste et comme je t’envie ! » (p. 55) Quand leur père, naturaliste passionné, est soupçonné d’affinités royalistes et emprisonné, Ninon fait tout pour le faire libérer. Et Hector, pour gagner sa reconnaissance, fait jouer ses relations. Mais sa jalousie envers Eugène obscurcit son jugement et les conséquences seront terribles, surtout dans une époque où la guillotine est prompte à endeuiller les familles.

Qu’il est bon d’avoir davantage de contexte pour comprendre la relation malsaine présentée dans Le Décalogue entre Hector et Eugène, quand ce dernier revenu traumatisé d’Égypte, est à la merci de son aîné. Nous rencontrons les jeunes sœurs de la famille, avec une Ninon aussi entêtée que fougueuse. Et beaucoup de choses se nouent alors que les Fleury-Nadal commencent à être décimés.

Tome 2 : Benjamin 1/2 – Bande dessinée de Frank Giroud et Daniel Hulet.

Sur les barricades parisiennes de 1830, le jeune Benjamin Fleury, élève à Polytechnique, défend la liberté. Fasciné par les théories saint-simonistes du père Enfantin, il adhère au projet de créer un canal entre la Mer Rouge et la Méditerranée. C’est en Égypte qu’il entreprend de donner vie à ce dessein monumental. Sur place, il retrouve une histoire qui a bercé son enfance. « C’est avec un émerveillement indicible que j’ai retrouvé les ambiances décrites dans Nahik et les scènes peintes par Desnouettes ! » (p. 21) Mais ce qui fascine surtout Benjamin, c’est le vieux portrait d’une jeune espagnole de toute beauté et celle qui semble être l’incarnation exacte et vivante du tableau.

Le Décalogue avait été avare de détails sur l’arrivée et la vie de Benjamin au pays des pharaons. Son obsession pour ce pays est désormais plus claire. Et la série consacrée aux Fleury-Nadal complète avantageusement la série-mère. Elle donne également envie de la relire !

Tome 3 : Benjamin 2/2 – Bande dessinée de Frank Giroud et Daniel Hulet.

Benjamin Fleury est parti à la recherche d’Aurore Beauchamp, sur les traces du pharaon Nepher et de son épouse. Ce couple oublié de monarques égyptiens a tenté de prôner une société pacifique où chaque être aurait renoué avec le divin. Comme une lointaine préfiguration du Décalogue écrit sur une omoplate de chameau… « Votre fascination pour Nahik, la rencontre avec le comte sur les barricades, le portrait de ma mère, votre décision de venir en Égypte, croyez-vous vraiment qu’il s’agisse d’une suite de hasards ? » (p. 50) Benjamin s’aventure dans un temple perdu. Il est prêt à tout pour sauver la femme qu’il aime.

Voilà un épisode un peu inférieur aux précédents. Il étoffe certes le personnage de Benjamin, mais ne dit pas grand-chose de plus de son histoire. Il referme un peu brutalement les péripéties égyptiennes de la famille Fleury et me laisse sur ma faim.

Tome 4 : Anahide – Bande dessinée de Frank Giroud et Didier Courtois.

Anahide est la sœur de Missak, protagoniste du tome 5 du Décalogue. En 1915, pendant la déportation des Arméniens par les Turcs, elle est enlevée par des Kurdes et réduite en quasi-esclavage. Après un bond jusqu’en 1987, on rencontre une jeune femme allemande d’origine turque. Elle accompagne sa grand-mère dans un voyage sur les traces de son passé. Et elle ne décolère pas face au refus de l’Europe d’accepter la Turquie parmi ses membres. « Quand on ne nous jette pas au nez la montée de l’intégrisme, on nous ressort le problème kurde ou le mythe du génocide ! » (p. 27) Or, il y a dans l’histoire européenne une part de l’histoire personnelle de cette Allemande. Quand les secrets de famille sont révélés, il y a des injustices à réparer.

Ce volume s’éloigne vraiment du Décalogue et donne à l’histoire générale une dimension internationale. C’est intéressant et l’histoire d’Anahide est vraiment bouleversante, mais cet album me donne le sentiment d’un certain remplissage. Ne rien savoir des proches de Missak après qu’il a échappé aux Turcs, c’est fondamental pour comprendre son histoire et ses choix.

Tome 5 : Missak 1/2 – Bande dessinée de Frank Giroud et Gilles Mezzomo.

Après une longue errance en Europe et des souffrances innombrables, Missak est à Ellis Island, prêt à se construire une nouvelle vie loin de l’Arménie et des Turcs. Étant mineur, il est confié à ses grands-parents qui tiennent un commerce florissant. Mais Missak ne peut pas raconter ses traumatismes ni ce qu’il a dû faire pour survivre. L’amour et la bonne volonté de ses proches ne suffisent pas à l’intégrer dans ce nouveau monde ou à effacer sa culpabilité. De mauvaises fréquentations en décisions douteuses, son avenir en Amérique semble compromis. « J’ai pas fui des brutes sanguinaires jusqu’au bout du monde pour me faire emmerder par des petits cons dans ton genre ! Par des branleurs qui n’ont jamais posé leurs godillots au-delà du Bronx ! » (p. 30)

Ku Klux Klan, prohibition et pègre new-yorkaise, voilà ce qui attend le jeune Missak à sa descente du bateau. Ce sont d’autres formes de violence pour cet adolescent perdu qui a oublié ce que sont la douceur et la bonté. Avec Nahik dans ses bagages, livre qu’il a protégé de tout, il garde vivace la mémoire des siens. Et ce volume m’a bien plus séduite que les deux précédents, car il prépare l’épisode 5 du Décalogue.

Tome 6 : Missak 2/2 – Bande dessinée de Frank Giroud et Gilles Mezzomo.

Rejeté par sa famille, Missak vit dans la rue et craint que Collins, agent de l’immigration qui a une dent contre lui, ne le rattrape et ne le renvoie en Europe. Il s’acoquine avec des personnes peu recommandables et est prêt à tout pour oublier l’Arménie et ses souffrances. « Tu n’as pas idée de ce que j’ai dû faire pour survivre ! Jamais je ne pourrais devenir quelqu’un de bien, grand-père… Parce que là d’où je viens, le bien n’existait plus ! » (p. 26) Hélas, fuir le passé devient de plus en plus difficile, et quand les erreurs les plus récentes ajoutent leurs casseroles, Missak comprend qu’il doit revenir sur ses pas et aider l’Arménie et les siens à obtenir justice.

Avec ce volume qui clôt la série consacrée aux Fleury-Nadal, Frank Giroud reboucle sur Le Décalogue, après avoir comblé certains blancs et élucidé des mystères. Il est dommage que la qualité ne soit pas au rendez-vous de tous les albums, mais les deux derniers sont excellents.

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Bride Stories – 2

Manga de Kaoru Mori.

Le père d’Amir exige son retour pour la marier à Numaji, chef d’un autre clan à la funeste réputation. « Nous leur reprendrons Amir, quitte à employer la force ! » (p. 57) La famille Eihon refuse et tout le village se mobilise pour défendre le jeune couple, même si le mariage n’est pas encore consommé. La première bataille est rude, mais Karluk se montre courageux. Entre lui et son épouse se développe une tendresse parfois maladroite, mais sincère. Il sera difficile de les séparer. Les mariés semblent tranquilles pour le moment, mais le clan Hargal n’a pas renoncé à Amir.

Par ailleurs, la jeune sœur de Karluk est en âge de se marier et doit commencer à préparer son trousseau. C’est l’occasion d’explorer plus avant les merveilleux motifs de la broderie traditionnelle et le raffinement de la gastronomie locale. « Coudre en discutant ou filer la laine entre deux tâches, cela s’inscrit dans le quotidien, comme une évidence. C’est, en d’autres termes, un mode de vie. » (p. 167) La routine se déroule entre les obligations et la transmission des savoirs basiques et artistiques. Balkish, l’aïeule, semble acariâtre, mais est bienveillante et constitue la mémoire vivante du clan.

Avec l’abondant courrier que reçoit soudainement Henry Smith, le conflit entre le Royaume-Uni et la Russie s’impose dans le paysage. La tranquillité de la région pourrait bientôt voler en éclats. Dans la longue postface – elle aussi dessinée –, Kaoru Mori donne des explications culturelles et historiques et détaille son travail de recherche. Elle répond aussi aux questions de ses lecteurs. Me voilà embarquée dans une belle histoire et j’ai bien hâte d’en lire la suite !

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Bride Stories – 1

Manga de Kaoru Mori.

Nous sommes au 19e siècle, sur la route de la soie, dans des terres proches de la mer Caspienne. Amir vient d’épouser Karluk et a quitté sa famille pour le rejoindre. « La mariée venue à dos de cheval d’un lointain village par-delà les montagnes a huit ans de plus que le marié. » (p. 10) Amir a 20 ans, son époux est à peine un adolescent. La jeune femme doit trouver sa place dans sa belle-famille et s’adapter à de nouvelles habitudes. Elle est pleine de bonne volonté et démontre rapidement sa valeur. Chasseuse à l’arc hors pair, elle améliore l’ordinaire avec du gibier et, très vite, est adoptée par sa nouvelle famille. Mais voilà que son père, pour des raisons économiques et stratégiques, exige son retour afin de la marier à un autre homme. Une lutte se profile entre les clans Hargal et Eyhon : auquel ira la loyauté de la jeune Amir ?

Par les yeux de Smith, Anglais qui vit dans la famille de Karluk et étudie la culture locale, le lecteur est invité à s’émerveiller sur les détails des tenues, des bijoux, des tapis ou encore des boiseries sculptées. Chaque événement du quotidien, même simple et banal, est une occasion de mettre en valeur l’artisanat traditionnel et millénaire de l’Asie centrale. Plus que la romance historique entre Amir et Karluk, c’est cela qui a retenu mon attention et me donne furieusement envie de poursuivre ma découverte de cette série de mangas. Une fois encore, il m’a fallu quelques (beaucoup) de pages pour comprendre le sens de lecture. C’est un exercice finalement assez simple, mais qui appelle à l’humilité : c’est dès sa forme que l’œuvre demande notre attention et notre investissement.

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Seximsme Man contre le seximsme

Ouvrage d’Isabelle Collet, illustré par Phiip.

« Le sexisme, ce n’est pas le problème des femmes qui le subissent, c’est le problème de ceux et celles qui le reproduisent, le valident, le diffusent, s’en accommodent ou en tirent parti. » (p. 63) Voilà, j’ai posé le décor !

L’autrice est scientifique et dénonce le sexisme dans le monde des mathématiques, de l’informatique et plus globalement des sciences dites dures (comme leur b…, paraît-il). Elle commence par rappeler les croyances farfelues du passé, pour mieux les dézinguer. « Certains savoirs seraient en contradiction avec la nature même des femmes, comme la logique mathématique qui serait desséchante (c’est-à-dire qui rendrait stérile). Ou encore la science. » (p. 16) Combien de femmes ont été oubliées dans l’histoire des sciences, leurs travaux attribués à des confrères ou tout simplement volés par ces derniers ?

Bon, me direz-vous, aujourd’hui, l’égalité, on l’a, tout va bien. En droits peut-être, mais dans les faits, ce n’est pas si simple ! « Je pourrais longuement expliquer comment le système éducatif encourage plus les garçons que les filles. […] Les stéréotypes modèlent les esprits. » (p. 27) Isabelle Collet présente des chiffres, des statistiques et des données objectives édifiantes. Il existe VRAIMENT (oui, VRAIMENT) une organisation systémique et quasi inconsciente qui véhicule un sexisme qui devient, par endroit et pour certains, une norme sociale qu’il semble bien inutile de remettre en question. « L’école, malgré ses défauts, n’est pas la source des stéréotypes. Le plus souvent, elle laisse passivement le sexisme de la société passer à travers elle. » (p. 34) Alors que fait-on ? Où commence la lutte pour empêcher que le sexisme s’enracine de manière insidieuse dans les comportements des enfants et fasse des petits dans le monde du travail et de la science ?

« Axiome. Hommes et femmes ont les mêmes capacités intellectuelles et la société gagne à leur égalité. » (p. 2) Attendez, quoi ? On me dit dans l’oreillette que si les femmes sont aussi compétentes que les hommes, elles peuvent tout à fait faire carrière sans aucun problème ! Ah, si seulement c’était aussi simple ! L’autrice nous explique la perversité du sexisme bienveillant et botte le cul de la chimère d’un prétendu sexisme inversé. Pauvres hommes, vous aussi vous souffrez ? Personne ne le nie, enfin ! Mais… « L’agressivité ou les moqueries contre des hommes, des blancs ou des hétérosexuels peuvent être bien réelles, blessantes, voire haineuses, pour autant, elles ne s’appuient pas sur un rapport social historique installé. » (p. 46) Donc oui, on sait, #NotAllMen et tout ça, mais ce n’est pas le sujet ici. Le sexisme existe, screugneugneu, et c’est une plaie sociale à panser de toute urgence ! Parce que même si ta réflexion, Jean-Mi, n’était pas méchante ou était de l’humour, elle participe d’un mécanisme vicieux durablement installé !

J’ai ri jaune, mais j’ai ri fort, parce que le féminisme et la lutte contre le sexisme sont des sujets sérieux qui ne doivent pas nous faire perdre notre sens de l’humour. « Que veux-tu, je suis une femme, je suis émotive. Surtout quand on me dit que je suis émotive. » (p. 26) Nombre de situations décrites sont absurdes et pourtant criantes de vérité ! Alors oui, j’ai ri devant les petits malheurs de Seximsme Man, superhéros autoproclamé d’une cause dont il ne comprend pas les enjeux ! « Je n’aurai de cesse de le débusquer et de l’exposer. Je vais lui dessiner sa race qu’après il arrivera plus à marcher. (Ou une phrase équivalente, mais qui aurait du sens) Ce jour, je suis devenu Seximsme Man !!! Car qui de mieux placé qu’un homme blanc cisgenre hétérosexuel pornographe, hein ? » (p. 7)

Ah, j’oubliais, les personnages sont des lapins. Et le livre est publié aux éditions Lapin. Si ce n’est pas un double gage de qualité, ça ! Entre bande dessinée et abrégé de sociologie sur les fondements et les biais du sexisme, cet ouvrage est à diffuser largement !

Je vous laisse sur deux extraits aussi édifiants que rageants…

« Dire à une femme : ‘tu n’as pas besoin d’être féministe, car tu es suffisamment forte et compétente’ est un compliment des plus ambigus. » (p. 54)

« Une fille devient curieusement moins séduisante quand elle annonce qu’elle veut devenir mathématicienne ou informaticienne. » (p. 32 & 34)

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Les vies multiples d’Amory Clay

Roman de William Boyd.

Quatrième de couverture – Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la très jeune Amory Clay se voit offrir par son oncle Greville un appareil photo et quelques conseils rudimentaires pour s’en servir. Elle ignore alors que c’est le déclencheur d’une passion qui façonnera irrévocablement sa vie future. Un bref apprentissage dans un studio et des portraits de la bonne société laisse Amory sur sa faim. Sa quête de vie, d’amour et d’expression artistique l’emporte bientôt dans un parcours audacieux et trépidant, du Berlin interlope des années vingt au New York des années trente, de Londres secoué par les émeutes des Chemises noires à la France occupée et au théâtre des opérations militaires, où elle devient l’une des premières femmes photoreporters de guerre. Sa soif d’expériences entraîne Amory vers d’autres conflits, des amants, un mari, des enfants, tandis qu’elle continue à poursuivre ses rêves, à combattre ses démons. À travers le destin singulier et l’objectif téméraire d’une femme indépendante et généreuse, William Boyd nous promène au gré des événements les plus marquants de l’histoire contemporaine. Une ode magnifique à la liberté des femmes !

Impossible d’entrer dans cette histoire qui avait pourtant tout pour me plaire : un destin de femme forte et libérée dans l’Europe des années 1920 à 1970. Mais la plume dodelinante de l’auteur m’a lassée dès les premières pages. Mon intérêt a été un peu réveillé par les nombreuses photographies qui ponctuent les chapitres, mais pas suffisamment pour me convaincre à dépasser la centième page de ce roman.

Je vous laisse sur une citation de ce livre.

« Les histoires familiales, les histoires personnelles sont aussi sommaires et peu fiables que les histoires datant des Phéniciens, me semble-t-il. On devrait tout noter, combler les vides si l’on peut. Ce qui est la raison pour laquelle j’écris ceci, mes chéries. » (p. 19)

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