Fières d’être sorcières ! – Les filles qui ont marqué l’histoire du Monde des Sorciers

Ouvrage de Laurie Calkhoven. Illustrations de Violet Tobacco. À paraître le 24 octobre 2019.

Si vous avez lu les sept tomes de la saga Harry Potter et vu les films de la franchise Les animaux fantastiques, vous avez forcément constaté que les sorcières ne comptent pas pour des prunes. « Sans ces jeunes filles et femmes d’action, le monde magique ne serait pas ce qu’il est. » Comme Ron Weasley le fait remarquer, sans Hermione Granger, lui et Harry Potter n’aurait pas tenu deux jours.

Laurie Calkhoven présente un panorama de ces femmes magiques. Chaque portrait commence par les qualités de la sorcière, avec une citation tirée d’un des livres/films. Suit une description détaillée des exploits (ou méfaits) de la femme présentée, avec une très belle illustration inspirée des actrices qui ont incarné ces personnages féminins inoubliables. Nos sorcières bien-aimées (bon, pas toutes…) sont courageuses, intelligentes, sportives, combatives, dévouées, aimantes, imprévisibles, aventurières ou encore déterminées.

Je n’en cite que quelques-unes : vous retrouverez évidemment Hermione Granger, Ginny Weasley, Minerva McGonagall et Tina Goldstein, mais aussi Bellatrix Lestrange, Dolores Ombrage ou encore Helga Pousoufle. « Les sorcières de J. K Rowling sont des mentors, des fondatrices, des résistantes, des mères, des inventrices, des criminelles, des professeures et des meneuses qui marquent ou ont marqué le monde magique de leur empreinte. »

0x0440

C’est avec plaisir que j’ai replongé dans les deux sagas au travers de leurs personnages féminins. Si l’œuvre de J. K. Rowling souffre de quelques défauts, on peut lui accorder sans chicaner que les femmes n’y sont pas de simples faire-valoir ou de pauvres love interests pour les protagonistes masculins. Elles sont des personnages forts, des éléments centraux des différentes intrigues, voire des icônes modernes pour plusieurs générations de jeunes lecteurs devenus grands.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Le ciel par-dessus le toit

Roman de Nathacha Appanah.

Loup est un jeune homme sensible et un peu différent. Il vient d’être incarcéré et il ne veut voir que sa sœur, Paloma. Pas sa mère, Phénix. Surtout pas sa mère. Que sa sœur. Mais pour tout comprendre, il faut remonter à la jeunesse de Phénix, quand elle portait un autre prénom et qu’elle était trop jolie, trop enfermée, mais si mal protégée des autres et d’elle-même. C’est peut-être ça qui explique que Loup et Paloma sont des enfants aimés tant bien que mal, peut-être plus mal que bien, mais aimés quand même, en dépit des non-dits et des colères. « Il ne faut rien regretter parce qu’il faut bien que ça se termine, ce faux-semblant qu’est l’enfance, il faut bien que les masques soient retirés, les imposteurs démasqués, les abcès crevés, il faut bien que cesse toute velléité du mieux, du magnifique, du meilleur, il faut bien en finir avec les belles paroles, les bons sentiments, les rêves doucereux, il faut bien, un jour, arracher à coups de dents sa place au monde. » (p. 31) La parenthèse carcérale, en séparant physiquement et administrativement les êtres, permettra-t-elle à une famille de renouer avec tous ses membres ?

Si vous cherchez un roman qui vous prend à la gorge et aux tripes dès les premières pages, vous avez trouvé. Ce court texte est une claque immense, un concentré d’émotion pure. Je ne connaissais pas Nathacha Appanah, mais je l’ajoute sans hésiter sur ma liste d’auteurs dont il faut que je lise tout. L’autrice a une voix qui dit tout en peu de mots, mais sans en oublier aucun. Chaque image frappe au cœur, chaque portrait est vivant et chaque sentiment hurle comme une craie sur un tableau noir.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Le bruit des tuiles

Roman de Thomas Giraud.

« Tout ce ciel, tout ce sable, cela a dû être simple d’avoir peur de vivre ici, d’avoir peur en vivant ici. » (p. 13) C’est l’histoire de Réunion, rêve d’une ville idéale qui a tourné au cauchemar dans les terres désertiques du Texas. Le projet est porté par Victor Considerant, polytechnicien et adepte de la doctrine de Charles Fourier. Pendant des semaines, l’homme harangue les foules pour convaincre du bien-fondé de son projet, « une réalisation grandiose dans le plus bel État du plus beau pays du monde » (p. 58). Finalement, une trentaine de colons français, belges et suisses se présentent au Havre. « Était-ce le manque de quelque chose qui les tenait prêts à tout quitter pour beaucoup de promesses ? » (p. 36) Après la longue traversée de l’Atlantique commence l’interminable périple à travers les jeunes États-Unis. Hélas, les terres que Considerant a achetées par correspondance ne valent rien. Stériles, brûlées par le soleil de l’été et le froid de l’hiver, elles ne produisent que pierres et poussière. Déconvenue, déception, désillusion, désespoir : voilà ce qui attend les colons. L’enthousiasme premier ne fait pas long feu et le beau projet s’effrite. Certains partent, d’autres meurent, et Réunion reste une illusion. « Au fond le langage lui fait défaut pour formuler le vide. Acculé à la honte, devant l’effondrement ou plutôt devant ce qui ne s’est jamais vraiment construit, il ne trouve rien d’autre que du vide à reformuler, de vieilles idées fades et collantes comme un vieux bonbon à ressasser. » (p. 196)

Avec cette chronique d’un échec annoncé, l’auteur brosse le portrait d’un maniaque du contrôle. « Il ne voulait pas vivre de l’improvisation, ne pas composer avec les aléas. » (p. 114) Victor Considerant est aussi complètement incapable de se remettre en question, car il estime que ses calculs sont bons, que l’erreur ne vient pas de là. Il ne comprend pas pourquoi ses plans ne tournent pas comme il l’imagine. « Ses dessins, il faudrait que, même si ça lui déplaît, il les ajuste pour tenir compte de la réalité. Pas l’inverse. » (p. 124) Sauf qu’en fait, le fouriériste n’a pas tout planifié : il reste une inconnue qu’il ne sait pas intégrer dans ses prévisions mathématiques. « Ce qui l’a le plus surpris, c’est que personne ne lui ait dit que le malheur devait se prévoir. » (p. 265)

Je ne connaissais pas l’épisode historico-géographique et socio-philosophique de Réunion. Il m’inspire autant d’admiration que de déception et de frustration. Le site a disparu, recouvert par Dallas qui n’était alors qu’un village, mais qui s’est prospèrement étendu sur des terres qui ont fait le malheur d’une poignée d’Européens. Preuve que le Far West est un monde plus cruel pour certains que pour d’autres. « Je ne veux pas recommencer à vivre là-bas comme j’ai vécu ici. Ailleurs sera mieux car ailleurs est toujours mieux. » (p. 78) La narration qui alterne sans cesse entre première et troisième personne rend le discours plus audible, plus direct, plus immédiat. C’est presque comme si on y était, les pieds dans la poussière et la tête étourdie par le soleil texan.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Histoire d’Adrián Silencio

Roman d’Éléonore Pourriat.

Cléo s’interroge depuis toujours sur son grand-père espagnol, Adrián Silencio. « Il y a ce que je sais, ce que je crois, ce que je crois savoir, et évidemment tout ce que je ne sais pas et tout ce que je ne saurai jamais. Quelques photos aussi. » (p. 13) Musicien dans des orchestres de tango, l’aïeul a fui l’Espagne franquiste et s’est installé en France où il a fondé une deuxième famille. Sur le point de s’installer aux États-Unis, Cléo sent qu’il est temps pour elle d’écrire l’histoire de cet homme et de renouer avec ses origines. « J’ai la sensation déjà de me défaire d’un carcan, d’opérer ma mue grâce à l’histoire ébauchée d’Adrián Silencio. » (p. 99) En quête d’informations, elle interroge sa grand-tante, son oncle, la mère, Google et les archives. Et elle fouille le cartable dans lequel son grand-père a accumulé toute une vie de paperasse et de lettres. « Ai-je le droit de déterrer les souvenirs qu’un homme a mis une vie à ensevelir ? » (p. 130) Des lieux et des noms inconnus surgissent. Le puzzle est immense et tant de pièces manquent. Lançant des messages à travers l’Atlantique, Cléo est déterminée à retrouver sa famille d’Espagne et à établir sa filiation ascendante pour mieux la transmettre à ses contemporains.

Ce roman m’a beaucoup rappelé le Madeleine Project de Clara Beaudoux. Entre travail de mémoire et travail d’archives, la lente reconstitution du passé par Cléo tient de la quête identitaire et du voyage initiatique. Il n’est pas anodin que l’orthographe du prénom de l’aïeul change à mesure que Cléo rend à l’homme toute sa dimension espagnole : Adrien devient Adrian et enfin Adrián. En rendant à l’immigré son identité originelle, Cléo corrige son arbre généalogique en même temps qu’elle le complète de toutes les branches qu’elle découvre. Certains liens sont impossibles à tisser et des portes restent closes parce que la mort est passée avant et a éteint à tout jamais de précieuses mémoires. « N’est-il pas déjà trop tard ? Les grands-parents ne sont plus là pour témoigner et les parents sont à court de mots. » (p. 46) Portée par le fantasme d’une grande famille, Cléo n’a de cesse de rechercher les vivants pour faire parler les morts.

À la dictature de Franco répondent les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, chaque époque étant marquée par sa terreur propre. Si les bourreaux changent, aucune génération n’échappe aux blessures. Avec cette fresque familiale vibrante d’espoir, Éléonore Pourrait signe un très beau premier roman où sa narratrice reprend en main sa vie en écrivant celle de celui dont elle ignorait presque tout.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Opus 77

Roman d’Alexis Ragougneau.

Chez les Claessens, il y a le père, ancien pianiste et chef d’orchestre, la mère Yaël, soprano qui ne chante plus, le fils David qui a choisi le violon et s’est enfermé dans un bunker, et la fille Ariane, pianiste de renommée internationale qui se fait la voix d’une famille tout autant unie qu’éclatée par la musique. Paradoxalement, le point de départ se situe au moment des funérailles du père où seule Ariane, la fille, est présente. Elle joue l’Opus 77 de Chostakovitch dont on comprend très vite qu’il rythme les nombreux drames de la famille Claessens. « Jamais peut-être musique n’a davantage symbolisé le combat de la lumière face aux forces obscures. » (p. 164) À mesure que la partition se déroule pendant l’office funèbre, Ariane remonte ses souvenirs. Elle parle de son admiration sans bornes pour son père et de son amour inconditionnel pour son frère. Après la disparition volontaire de ce dernier, elle a tout fait pour attirer son attention, le faire sortir de sa retraite. Dans cette famille d’artistes, on ne sait que jouer à en mourir parce que c’est la seule façon de vivre. « Le vrai virtuose mondial, c’est celui qui a peur à s’en pisser dessus et qui avance seul devant trois mille spectateurs pour jouer du Ravel, Chopin, Rachmaninov, sans ciller. » (p. 23)

Je découvre Alexis Ragougneau avec ce texte et je suis immédiatement sous le charme. Immense violence, intense souffrance, entre silence et démence, chaque mot sonne juste et compose un opéra tragique d’excellente facture. En faisant de l’Opus 77 une œuvre maudite à plus d’un titre, l’auteur donne à la partition une nouvelle profondeur : on l’écoute différemment, peut-être plus intensément. On la ressent au cœur et on voudrait la vivre. Mais pour rien au monde je ne voudrais être à la place du soliste. Le roman d’Alexis Ragougneau est sans aucun doute un de mes chouchous de la rentrée littéraire.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Chroniques d’une station-service

Roman d’Alexandre Labruffe.

« Je suis au sommet de la pyramide de la mobilité en quelque sorte : le rouage essentiel de la mondialisation. (Sans moi, la mondialisation n’est rien.) » (p. 7) Beauvoire est pompiste dans une station-service de la région parisienne. En courtes phrases, il raconte son quotidien. Les automobiles qui s’arrêtent le temps d’un plein, d’un café, d’un sandwiche ou d’une miction. Les habitués qui viennent partager une partie de dames ou un verre. « Rares sont les clients qui me voient ou me parlent. Je suis transparent pour la plupart des gens. Certains se demandent sans doute pourquoi j’existe encore, pourquoi je n’ai pas été remplacé par un automate. Des fois, je me le demande aussi. » (p. 6 & 7)  Beauvoire est un observateur essentiellement passif, mais qui parfois, de bon gré ou à contrecœur, se retrouve acteur. Sans savoir pour qui ni dans quel but, il fait passer des messages. Il ose aussi aborder la sublime cliente japonaise qui passe une fois par semaine. Il se rebelle contre son patron en organisant des expositions sauvages sur les murs de la station. Quant au temps qui coule, poisseux comme l’essence, le pompiste le trompe en lisant, en regardant des films ou en pensant à Jean Baudrillard, philosophe qui semble donner à toute chose un sens plus profond, pour peu qu’on accepte de renoncer aux évidences. Avec la lueur vacillante des néons et des enseignes pour seules étoiles, Beauvoire rêve à plus grand, plus loin, mais pour quitter sa station-service, il faudrait un éclat, un coup de tonnerre qui peut-être jamais ne viendra.

Non-lieu par excellence, la station-service est un espace étrange : on ne s’y arrête que pour mieux repartir, regonflé, rempli, reposé. Ce lieu de passage où l’on ne laisse rien porte un nom trompeur. Une station, c’est là où l’on s’arrête, mais la finalité de la station-service n’est pas l’arrêt, c’est le renouvellement du mouvement. De fait, produire des chroniques sur l’impermanence, c’est paradoxal, c’est un pari pris sur l’éphémère. C’est vouloir écrire la répétition là où rien ne revient ni ne perdure. C’est parfaitement vain. Et donc tout à fait sublime. À l’image du premier roman d’Alexandre Labruffe.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Ceux qui partent

Roman de Jeanne Benameur.

  • Donato Scarpa, veuf inconsolé et acteur passionné par l’Énéide, et sa fille Emilia, artiste éprise d’indépendance, ont choisi de quitter l’Italie pour tenter une vie meilleure.
  • Andrew Jonsson appartient à la deuxième génération des immigrés. Son père, venu d’Islande quand il était enfant, s’est construit une belle affaire à New York. Mais Andrew ne s’intéresse qu’à la photographie et passe des heures à capturer les visages des déracinés qui débarquent à Ellis Island. Celui d’Emilia le marque au cœur pour toujours.
  • Esther Agakian, couturière qui sait habiller les corps pour protéger et sublimer les âmes, a quitté une Arménie où le sang de tous les siens a imbibé la terre.
  • Gabor le bohémien ne s’exprime qu’avec son violon. Mais pour Emilia qui a dénoué ses cheveux pendant un instant de pure extase, il pourrait quitter la route et utiliser des mots.
  • Lucile Lenbow a été élevée pour épouser un bon parti. Ce pourrait être Andrew, mais il faudrait accepter que le cœur du jeune homme batte plus fort pour une autre qu’elle.
  • Sigmundur Jonsson est fier de l’empire qu’il a construit. Il lui suffit d’un repas pour comprendre que son plus bel accomplissement est son fils. Et que son héritage n’est pas économique, mais islandais, et qu’il est indispensable qu’il le transmette enfin à Andrew.
  • Hazel, la prostituée qui a refusé d’être épousée par un client, s’est toujours réfugiée dans les livres. Après une dernière nuit de passe, elle décide d’accomplir enfin le projet pour lequel elle a quitté son île bleue et chaude de la Méditerranée.

D’un côté ou de l’autre de l’Hudson, ils sont une foule. Ils sont une poignée.

Après des jours de traversée, l’attente se poursuit sur le paquebot avant le débarquement, puis dans les immenses salles d’Ellis Island. L’Amérique est là, de l’autre côté de l’Hudson, mais encore inatteignable pour les débarqués qui attendent le précieux sésame. Ellis Island, ce n’est pas encore New York, et la grande ville semble aussi lointaine que ses immeubles sont hauts. Cette île d’où l’on voit la grande statue de la Liberté, c’est un peu le purgatoire des Européens déracinés : leurs péchés leur seront-ils remis ? L’Amérique sera-t-elle leur enfer ou leur paradis ?

« Que devient l’espoir lorsqu’on est parqué en longues files d’attente à l’intérieur d’un bâtiment ? » (p. 77) Une journée, une nuit et enfin un matin, c’est l’unité de temps pendant laquelle on s’attache aux personnages. En si peu de moments, on vit d’intenses éclairs de désirs, des passions fulgurantes qui hurlent des promesses d’impermanence. Chacun nourrit en son cœur des aspirations et des ambitions. Ce qui se joue en une nuit décidera de toute une vie.

Avec les personnages qu’elle tisse tout en finesse et en profondeur, Jeanne Benameur interroge l’identité de celui qui laisse tout derrière lui. « Les hommes cherchent leur vie ailleurs quand leur territoire ne peut plus rien pour eux, c’est comme ça. Il faut savoir préparer les bateaux et partir quand le vent souffle et que les présages sont bons. Tarder, c’est renoncer. » (p. 19) Quand cesse-t-on d’être un émigré pour appartenir à la terre où l’on a décidé de poser sa vie ? Existe-t-il une aristocratie des immigrés, héritée des passagers du Mayflower ? Une hiérarchie tacite et implacable ? Comment expliquer qu’une grande nation faite d’anciens immigrés méprise les nouveaux venus, les redoute et les trie ?

De Jeanne Benameur, je n’ai lu que Otages intimes qui, déjà, m’avait bouleversée. Cette nouvelle lecture confirme que j’ai rencontré une autrice à la plume inoubliable. Je vous laisse avec quelques extraits de ce superbe roman qui couronne la rentrée littéraire.

« On ne sait rien des vies de ceux qui débarquent un jour dans un pays. Rien. » (p. 6)

« Chacun se blottit encore dans sa langue maternelle comme dans le premier vêtement du monde. La peau est livrée au ciel nouveau, à l’air nouveau. La parole, on la préserve. » (p. 7)

« Sera-t-elle toujours quelqu’un qui ne fait pas complètement partie ? » (p. 11)

 « Attendre, c’est mourir salement. Ça tue l’espérance. » (p. 50)

 « La liberté, ces deux-là, sont venus la chercher ici. Mais ce n’est pas la même pour l’un et pour l’autre. » (p. 213)

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Les jungles rouges

Roman de Jean-Noël Orengo.

« Je suis khmer, pas vietnamien. Pas annamite. On ne s’entend pas. L’Indochine, pas exister ! L’Indochine, c’est votre histoire, pas la nôtre ! Mais votre occupation nous unit ! » (p. 19) Qui était Xa Prasith, figure énigmatique d’une Asie sud-orientale en pleine mutation ? Fils du boy du jeune couple Malraux, meilleur ami du futur Pol Pot, veuf inconsolable, père près au dernier sacrifice pour sauver son enfant, héros légendaire disparu dans des circonstances troubles : il était tout cela et plus encore. Son chemin croise celui de Catherine Leroy, photographe de guerre. Plus tard, c’est Marguerite Duras qui est fascinée par sa fille, Phalla, adoptée par un couple de Français. Le mystère qui entoure Xa Prasith n’est pas dissipé : pour que le voile se lève, il faudra un dernier voyage, un retour vers l’ancienne terre des jungles rouges. « Elles sont hantées, habitées des pires créatures de la terre, minuscules et voraces, de félins fous et surtout d’esprits, de fantômes – une armée de l’au-delà. Des jungles rouge meurtre, comme la couleur des pistes de ce pays menant vers les populations les plus reculées, les plus visitées de la colonie. » (p. 28 & 29)

Le 1er août 1954 marque la fin de la guerre d’Indochine, mais la guerre du Vietnam ne tarde pas à prendre le triste relais des affrontements. Les Américains ont remplacé les Français et le désir d’indépendance des populations autochtones est de plus en plus vivace. Mais tout passe et tout cesse. Des années plus tard, les morts ne sont plus que des chiffres et tout reste à dire et à inventer pour parler des conflits. « La guerre s’étiolait vers son aboutissement. Bientôt elle serait un souvenir immense offert en pâture au cinéma et à la littérature. » (p. 130) Le talent de Jean-Noël Orengo est d’éviter la fresque historique pour proposer ce qui est presque une chronique en prise directe. En suivant les voix des multiples intervenants de ce roman choral, on se frotte à une réalité dure, palpable, pleine d’odeurs et d’humidité. Les guerres d’indépendance ne sont pas les périodes historiques qui m’intéressent le plus, mais j’ai plongé avec beaucoup de curiosité et d’intérêt dans ce roman qui mérite amplement sa place dans la première liste des candidats au prix Renaudot.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Evelyn, May et Nell – Pour un monde plus juste

Roman de Sally Nicholls.

« Une dame qui se respecte ne monterait jamais sur un cageot pour haranguer des garçons livreurs. » (p. 10) Evelyn Collis, May Thornton et Nell Swancott sont de jeunes filles issues de milieux différents. Mais, inspirées par Sylvia Pankhurst et d’autres figures féminines, elles ont en commun d’être suffragettes et de vouloir un monde plus égalitaire et pacifique. « Quand les femmes voteront, on ne fera plus jamais la guerre. Quelle femme enverrait ses fils au massacre ? » (p. 11) Hélas, ce vœu pieux est balayé par la Grande Guerre. Les frères, pères, amis ou fiancés des jeunes filles partent au front. Restées en Angleterre, Evelyn, May et Nell ont des préoccupations différentes. L’une veut poursuivre des études à Oxford, l’autre cherche à assumer son homosexualité, la dernière enfin se démène pour trouver de quoi subvenir aux besoins de sa nombreuse famille. Leur engagement de suffragette les mène en prison ou les jette dans des bagarres violentes. Au terme des quatre ans de guerre, le droit de vote est enfin accordé aux femmes anglaises, mais le combat ne s’arrête pas. « Je ne serais pas contre aller voter. Mais tu connais quelqu’un qui écoute ce que disent les femmes ? » (p. 48)

En commençant cette lecture, je ne savais pas qu’il s’agissait d’un roman pour la jeunesse. J’ai donc été un peu déstabilisée par la simplicité du style et de la construction, mais pas déçue. Le texte aborde avec sérieux des sujets de fond, comme l’engagement politique, le lesbianisme ou l’émancipation des femmes, et ce sans s’encombrer d’un didactisme trop lourd. Les choses sont présentées clairement et le jeune lecteur est confronté à des thèmes complexes sans être infantilisé ou submergé par la difficulté. C’est tout à fait ce que j’attends d’un roman jeunesse. Je salue l’excellent travail du traducteur et/ou de l’éditeur sur les notes de bas de page. Le roman étant destiné à un lectorat jeune, il est important d’expliquer ce que sont les monuments, les œuvres ou les personnages historiques croisés par les personnages. Cela est fait avec une précision et une économie de mots remarquables.

Rien de plus normal que ce roman soit soutenu par Amnesty International : il est question de droits gagnés ici et encore bafoués ailleurs, et de tous les progrès qu’il reste à faire pour créer une société juste et égalitaire, où l’accès à l’éducation et à l’expression démocratique est acquis à tous. 100 ans après les évènements décrits par le roman de Sally Nicholls, et même s’il faut saluer les progrès et les acquis sociaux, il est impossible de se reposer sur des lauriers bien fragiles.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Malevil

Roman de Robert Merle.

Une bombe explose et ravage presque tout sur son passage. Parmi les survivants, Emmanuel, propriétaire du château restauré de Malevil, et quelques-uns de ses amis, Colin, Peyssou, Meysonnier, La Menou, Momo et Thomas. Protégés par l’épaisseur des murs de la cave où ils tiraient du vin, ils pensent pendant longtemps être les seuls rescapés du feu dévastateur et s’organisent sans trop savoir pourquoi. « La marche en avant des siècles s’est interrompue. Nous ne savons plus où nous en sommes et s’il y a encore un avenir. » (p. 4) L’habitude et la volonté de survivre prennent le dessus et la petite communauté s’accroche à chaque signe : le retour d’un oiseau, la pluie et le soleil après des mois de ciel gris, la découverte d’un cheval. « Si on est vivant, c’est pour continuer. La vie, c’est comme le travail. Mieux vaut aller jusqu’au bout que non, pas le laisser en plan quand ça devient difficile. » (p. 85) Nourrissant pendant un temps l’espoir que d’autres personnes aient survécu, la communauté de Malevil en vient à le redouter quand le château fait l’objet d’attaques. « Malevil a été conçu comme une place forte inexpugnable où une poignée d’hommes en armes pouvait tenir en respect un grand pays. Rien de courbe, rien d’élégant. Tout est utile. » (p. 31)

Ce roman post-apocalyptique aux allures très nettes de robinsonnade a plutôt bien enduré le passage du temps, si ce n’est la langue qui accuse un sérieux coup de vieux par moment, avec des régionalismes et des tournures de phrases très désuètes. Je retiens surtout la réflexion qui entoure le mariage et la monogamie : ces institutions sont forcément remises en cause quand le nombre de femmes est inférieur à celui des hommes et que l’avenir de l’espèce est menacé. « L’homme est la seule espèce qui puisse concevoir l’idée de sa disparition et la seule que cette idée désespère. Quelle race étrange : si acharnée à se détruire et si acharnée à se conserver. […] Comme quoi […], ça suffit pas de survivre. Pour que ça t’intéresse, il faut aussi que ça continue après toi. » (p. 113) Et tout au long de son texte, l’auteur propose une critique assez subtile de la religion et de ses dérives : face à un cataclysme, d’aucuns sont propices à se tourner vers une puissance supérieure et à se laisser abuser par de faux prêcheurs prêts à tout pour asseoir leur domination. Mais qui dit fin d’un monde dit naissance d’un nouveau, et il est justement possible de tout réinventer en se débarrassant des chaînes du passé.

Je vais chercher l’adaptation cinématographique de ce roman, en espérant qu’elle soit aussi plaisante que le texte.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Le petit bonhomme de pain d’épice

Conte adapté par Anne Kalicky. Illustrations d’Olivier Latyk. À paraître le 18 septembre.

Tout commence avec la vieille qui prépare un pain d’épice et décide de le façonner en petit bonhomme. « Deux grains de raisin pour les yeux, une écorce d’orange pour la bouche, trois cerises pour les boutons de son habit et un beau chapeau sucre d’orge. » La suite, tout le monde la connaît : à peine cuit, le bonhomme s’échappe et tout le monde lui court après pour le rattraper. Il est bien heureux d’être libre, ce petit pain en forme d’homme. Il court, il court et entraîne toute une gourmande compagnie à sa suite. Hélas, comme sa cousine la galette, il rencontre le renard. Entre le rusé animal et le tendre biscuit, les paris sont vite pris.

Les auteurs/illustrateurs ont joliment repris ce conte traditionnel qui me faisait tant pleurer quand j’étais petite. Pauvre petit bonhomme, me disais-je, qui veut seulement être libre ! S’il échappe à la gourmandise des humains, il ne peut rien contre celle du renard, et ça me désole toujours autant ! Aujourd’hui encore, j’ai toujours un pincement au cœur quand je croque un petit bonhomme de pain d’épice.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

À babord, les Passiflore !

Album de Geneviève Huriet et Béatrice Marthouret (textes) et Loïc Jouannigot (illustrations).

Ouvrage regroupant trois histoires de la famille Passiflore. La première est inédite et son texte a été confié à Béatrice Marthouret. Quand à Loïc Jouannigot, il a repris ses pinceaux pour compléter certaines de ses illustrations.

À babord, les Passiflore !

Courant après un cerf-volant, les petits lapins Passiflore trouvent un jardin secret qui abrite un drôle de chantier : un bateau ! Pour une fois, la famille aux grandes oreilles fera mentir la légende : les lapins ne portent pas malheur à bord d’un navire. Et pour rendre sa gaîté au Capitaine Blaireau, ils vont mettre le bateau inachevé à l’eau.

Le premier bal d’Agaric Passiflore

Le petit Passiflore appréhende de participer à son premier bal. Plutôt mal intentionnée, la pie lui conseille de prendre des cours de danse auprès d’un pigeon et d’une grenouille. Mais à la surprise générale, Agaric va épater l’assistance. « Les lapins sont tous de fameux danseurs. Donne-leur un peu d’herbe rase, un rayon de lune pour les éclairer : ils danseront jusqu’à l’aube, grands et petits. » Et avec eux danse toute la forêt au son de la musique et sous les lampions.

La famille Passiflore déménage

Avec cinq enfants qui grandissent et ont toujours besoin de plus d’espace, Onésime Passiflore s’est mis en quête d’une maison bien plus grande. Il reste quelques travaux à terminer avant d’accueillir tout le monde, mais ce déménagement est une fête, pour peu qu’on accepte le changement et d’aller de l’avant.

Enfant, je n’ai pas été bercée par les albums de la famille Passiflore, mais cela fait des années que je me promets de combler enfin cette lacune. Ce bel album est l’occasion rêvée de passer à l’acte. Quelle joie de rencontrer Onésime, le père de Pirouette, Dentdelion, Mistouflet, Romarin et Agaric, et Tante Zinia qui veille sur cette remuante tribu ! Quel plaisir infini de regarder les aquarelles délicates de Loïc Jouannigot, pleines de détails charmants et amusants ! Il y a notamment une illustration dans la dernière histoire dont je suis prête à parier qu’elle est inspirée d’un tableau de Monet plein de coquelicots. Avec cette jolie famille Passiflore, j’ai passé un doux moment de lecture, plein de tendresse et de délicatesse.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Retour à Killybegs

Roman de Sorj Chalandon.

« L’important était que nos enfants soient libres et que leurs pères cessent de mourir. » (p. 94) En 2006, alors que la paix a été signée entre les Irlandais et les Britanniques, Tyrone Meehan a révélé avoir trahi l’IRA pendant 20 ans. Il sait que cet aveu sera suivi de représailles et qu’il lui reste peu de temps à vivre. Ses derniers jours sur terre, il décide de les passer dans le village où il a grandi. « Toutes ces années, je venais ici pour me guérir de la guerre. Obligé en rien, pressé par rien, ne redoutant personne. J’étais en retraite. Un ermite, un moine de nos couvents, un reclus. Je suis souvent retourné dans la maison de mon père, mais c’est pour y mourir que j’y suis revenu, il y a quatre jours. » (p. 29) Dans un journal tardif, il raconte son enfance, la violence et la disparition de son père, la découverte de Belfast et l’entrée dans l’IRA, les premières armes et les séjours en prison. Il raconte aussi la colère, la culpabilité et les raisons qui l’ont conduit à devenir le traître à qui tout le monde ferme sa porte. « J’allais tromper mon peuple pour que l’IRA n’ait pas à le faire. En trahissant mon camp, je le protégeais. En trahissant l’IRA, je la préservais. » (p. 119)

Comme Mon traître, ce roman prend aux tripes, là où naissent les sentiments les plus forts. Centré sur Tyrone Meehan, porté par sa voix brisée et étranglée de souffrance, le récit montre de quoi sont faits les héros contrariés et ce qu’il faut de courage pour renoncer à se battre. « Traître. Il me faudrait aussi trouver un autre mot. Ou me dire qu’un traître est aussi une victime de guerre. » (p. 119)

Une fois encore, Sorj Chalandon frappe là où mon cœur littéraire palpite. La plume est forte, ciselée, marquante. Le texte donne envie de lever des Guinness à la mémoire des martyres irlandais, morts de faim dans les prisons de Thatcher ou fauchés par les balles de son armée en pleine rue. « Quelqu’un laissait tremper mes lèvres dans la mousse ocre brun d’une bière. Mon amertume vient de là. Et je goûtais. Je buvais ce mélange de terre et de sang, ce noir épais qui serait mon eau de vie. » (p. 9)        

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Marquée au corps

Roman de Margaret Atwood.

Atteinte d’un cancer du sein, Rennie se remet péniblement d’une mastectomie, et le départ de son compagnon, Jake, ne l’aide pas à reprendre le dessus. S’ajoute à cela son béguin interdit pour son médecin, Daniel. Pour changer d’air, elle décide de réaliser un reportage touristique sur l’île de Saint-Antoine. « Rennie fait ce qu’elle fait parce qu’elle le fait bien, du moins est-ce ce qu’elle dit dans les soirées. Mais aussi, parce qu’elle ne sait rien faire d’autre, ce qu’elle ne dit pas. Elle a déjà eu des ambitions qu’elle perçoit à présent comme des illusions. » (p. 49) Ce qui devait être un article frivole de plus pour lecteurs en mal de divertissements faciles tourne rapidement à l’expérience extrême. Loin d’arriver dans des lieux paradisiaques, Rennie est confrontée à la pauvreté, la crasse et la corruption. Embarquée malgré elle dans la crise politique qui sévit dans l’île, la quarantenaire un peu paumée découvre ce qu’est véritablement la survie et comment aller au bout d’elle-même pour se réinventer.

Je me fais toujours une joie d’ouvrir un roman de Margaret Atwood, même sans savoir de quoi il retourne. Il aurait été préférable que je sache à quoi m’en tenir avec ce roman qui m’a douloureusement renvoyée à des angoisses qui me hantent en permanence depuis mon opération de la jambe. De fait, ce roman est un bon texte, mais je ne l’ai pas apprécié tant la dérive paniquée de Rennie ressemble à la mienne. Peut-être aurais-je dû interrompre ma lecture, mais j’étais curieuse de savoir si la protagoniste allait s’en sortir. Enfin, une remarque de forme : je ne comprends pas pourquoi le narrateur du premier chapitre est Rennie, puis devient un narrateur omniscient pour tout le reste du livre.

Publié dans Ma Réserve | Laisser un commentaire

Henri le lapin à grosses couilles

Album de LL de Mars.

Des glaouis, des roubignolles, des joyeuses, des coucougnettes, des boules, des roustons, des burnes, des noisettes, des roupettes, des testicules, des gonades, des valseuses, des bourses, Henri en a deux grosses. Deux très grosses. Et bene pendentes, comme on dit chez les papes.

Mais trop, c’est trop. Le petit lapin est bien embêté : il ne peut pas jouer comme les autres lapins, car ses attributs l’handicapent au quotidien. « Et en plus, toutes les mamans lapins le détestaient : quand il passait dans la rue, tous les lapinots disaient des tas de gros mots (essaie de les deviner. Y en a plein, c’est assez poilant). » Mais il n’est pas le seul lapin en difficulté à Rebonville : Héliette Rabinovitch est aussi affectée d’une différence physique. Dans l’adversité, ces deux pauvres lapinous vont se trouver des points communs.

Le titre de cet album (peut-être pour la jeunesse, mais à vous de voir) annonce le ton : ça va être graveleux. Mais pas que ! Il est surtout question d’acceptation de la différence et d’apprendre à tirer le meilleur parti de ce dont on dispose. Ou, pour reprendre et détourner un proverbe anglais, si la vie te donne de grosses gonades, fais-en de la limonade !

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Astérix et la Transitalique

Bande dessinée de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad.

Pour prouver la qualité des routes romaines, le sénateur Lactus Bifidus organise une course de chars dans la péninsule. Tous les peuples unis dans la pax romana peuvent participer, et même les barbares. Forcément, pour Astérix et Obélix, c’est une nouvelle occasion d’aller taquiner les Romains, et une occasion d’autant plus savoureuse qu’elle leur est donnée sur le territoire de Jules César. Lequel est bien décidé à voir gagner un vrai Romain. De fait, dès les premières étapes, la course semble truquée et à l’avantage de l’aurige Coronarivus, mais rien n’arrête nos irréductibles Gaulois préférés !

Quel bonheur de retrouver le même humour que celui Goscinny et Uderzo dans les dialogues, les noms des personnages et les situations. « Ave Bifidus, et sois actif ! » (p. 4) De fait, on est en terrain connu et il n’y a qu’à se laisser porter. Avec ce giro antique, on se bidonne à l’ancienne, sans prise de tête. « Obélix, mon ami, tu es dans le menhir ! / Ah oui ! Et si j’ai envie de changer de carrière ! » (p. 9) Tout le talent de Ferri et Conrad, c’est de respecter le canon astérixien (oui, j’invente des mots) tout en le renouvelant.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Par les routes

Roman de Sylvain Prudhomme.

La quarantaine un peu triste, Sacha emménage dans un petit meublé d’une ville de province. Il a pour projet de peindre et d’écrire. Mais son chemin croise à nouveau celui de l’autostoppeur. « J’ai pensé que c’était fou. Qu’il fallait un hasard extraordinaire pour que nous nous retrouvions là tous les deux. Ou peut-être autre chose qu’un hasard. Je me suis mis à la place de l’autostoppeur. J’ai pensé ce qu’il avait dû penser en apprenant que j’étais là. Ce qu’il était impensable qu’il n’ait pas pensé : que je venais le chercher. Que ce déménagement, je me faisais pour lui. »  (p. 24)

Je n’en dis pas plus de l’histoire. Sachez simplement qu’il est question d’une amitié dangereuse, où le désir et la peur s’affrontent. Et voyez si vous êtes prêts à partir par les routes, sur les traces d’un autostoppeur insaisissable. Et si je n’en dis pas plus, c’est aussi parce que, sans être capable de dire pourquoi, je n’ai pas tout compris. Ai-je manqué un mot, une phrase, un paragraphe qui aurait tout rendu limpide ? Aucune idée… Le fait est que je n’ai ressenti aucune sympathie pour Sacha ou pour l’autostoppeur. Tout m’a semblé nébuleux, comme un rêve poisseux dont on n’arrive pas à se débarrasser après une sieste trop longue. Enfin, le terme de l’histoire m’a laissée profondément dubitative, entre « Tout ça pour ça » et « C’est un peu court, jeune homme ». Cependant, quand j’entends les critiques et les avis qui fleurissent sur ce roman qui fait les gros titres de la rentrée littéraire, je pense qu’il s’agit vraiment d’un ressenti très personnel, que j’ai manqué un truc, et que d’autres lecteurs y trouveront sans aucun doute leur compte.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Ma Réserve | Marqué avec | Laisser un commentaire

La redoutable veuve Mozart

Roman d’Isabelle Duquesnoy. À paraître le 5 septembre.

À la mort de son époux, Constanze Mozart se jure de protéger l’héritage et la mémoire du compositeur et de faire justice à ce dernier, contre ceux qui l’ont négligé et n’ont pas su prendre la pleine mesure de son génie. « Puisque Vienne laissait crever ses artistes dans le dénuement, j’étais déterminée à faire en sorte que Wolfgang ne tombât jamais dans l’oubli. […] Et s’il le fallait, j’étais prête à bâtir de mes propres mains une statue à son effigie, à dessiner les plans d’un musée à sa gloire. » (p. 100 & 101) Rien n’arrête la veuve qui se dévoue à la mémoire de son époux. Passée la triste période de deuil, Constanze déploie une énergie inaltérable et une volonté inébranlable.

« On a tout écrit sur ton père beaucoup de louanges, autant de médisances, jusqu’aux circonstances de sa mort, qui n’ont pas suffi à calmer les calomnies. Mais qui connaît la vérité ? Moi seule. » (p. 8) Ce texte est une longue confession de Constanze à son fils aîné. Elle lui dit tout ce qu’elle a mis en œuvre pour faire vivre la gloire de Mozart. Elle a fait terminer le Requiem, elle a créé un festival en l’honneur de son époux, elle a encouragé son cadet à suivre les traces de son père. Redoutable, oui, mais aussi féroce, déterminée, résolue, Constanze est une muse d’outre-tombe pour Mozart, elle qui a su faire vivre son œuvre au-delà de la mort.

Entre revanche et hommage, le travail mené par la veuve du compositeur autrichien ne laisse pas d’étonner. Impossible de ne pas admirer cette femme aux projets bien arrêtés. « Ton père détestait les aristocrates, mais il ne souhaitait pas d’autre reconnaissance que la leur. Il rêvait d’en être admiré, ils l’humilièrent. Il avait faim de leurs compliments, ils l’endettèrent. Il rêvait de les faire danser, ils l’enterrèrent. Je n’ai pas d’autre but que leur faire regretter cette méprise. » (p. 108) Cependant, j’avoue avoir trouvé ce texte un peu vain : il est bien écrit, mais ce n’est pas une biographie exceptionnelle.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Un livre de martyrs américains

Roman de Joyce Carol Oates. À paraître le 5 septembre.

Quand Luther Dunphy perd une de ses filles dans un accident de voiture et qu’il assiste à la lente dépression de son épouse, il se tourne vers le professeur Wohlman qui milite contre l’avortement. Il devient alors Soldat de Dieu et fait sien le combat fanatique des pro-vies. Au point d’assassiner le docteur Augustus Voorhees, le 2 novembre 1999, devant une clinique pour femmes de l’Ohio. « L’Armée de Dieu sait que chaque meurtrier avorteur tué signifie des vies d’enfants sauvés. »  (p. 18) Luther est jugé et condamné à la peine capitale. Pour les épouses et les enfants des deux hommes, il faut désormais vivre avec un poids énorme : être apparenté à un assassin ou à un assassiné, ce n’est pas une identité facile à afficher.

Au gré de témoignages croisés sur les deux hommes, faits par des parents, des amis, des témoins ou des professionnels, et au fil du récit de leurs deux existences, Joyce Carol Oates dresse deux portraits fictifs qui symbolisent les camps qui s’opposent avec acharnement autour de la question de l’avortement. Pro-vie ou pro-choix, il semble ne pas exister de demi-mesure. « Défendre les enfants à naître. Un homicide justifiable. » (p. 24)

À la lecture d’une phrase de la quatrième de couverture, je m’interroge. « Le lecteur est ainsi mis à l’épreuve, car confronté à la question principale : entre les fœtus avortés, les médecins assassinés ou les « soldats de Dieu » condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs américains ? » Pour moi, les premiers martyrs, ce sont les femmes à qui on refuse encore le droit de décider, à qui on impose une loi divine supérieure pour contrôler leur corps.

Lire ce texte a été perturbant. Je suis femme, je suis croyante, je suis pro-choix. Ce roman fait froid dans le dos parce qu’il dit le vrai, l’actuel, le concret. Si une dystopie comme La servante écarlate peut faire frémir dans ce qu’elle a de très plausible, le texte de Joyce Carol Oates n’a pas besoin d’être imaginaire pour être terrifiant. Je vous laisse avec quelques extraits très percutants.

« Le corps d’une femme ou d’une jeune fille violé par l’instrument de l’avorteur, comme a été violé son âme. Car celles que le Seigneur destine à être mères subissent souvent un lavage de cerveau et n’ont aucune idée de ce à quoi elles consentent. Une femme ne sait pas ce qu’elle veut. Surtout quand elle est enceinte et que son état mental est bouleversé par ce qu’on appelle les hormones. » (p. 20)

« Elles venaient le trouver en proie au désespoir. Elles venaient le trouver à la nuit tombée, et elles venaient parfois sous un déguisement. » (p. 218)

« Il avait sauvé des vies. La vie de jeunes filles et de femmes. Des filles qui avaient essayé d’avorter elles-mêmes par honte. » (p. 224)

« Dans leur religion […], il importait peu qu’une grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, l’avortement était un péché, un crime et une honte parce que c’était le ‘massacre des innocents’. On ne prononçait pas le mot à haute voix. » (p. 225)

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Ouverture à la française

Roman de Dora Djann.

Née dans le Kurdistan de Turquie, Ziné a souvent déménagé pendant son enfance, suivant ses parents au gré des contrariétés subies par le régime contre lequel ils s’élevaient. Un matin, le père part en premier vers L’Europe, rêvant d’une cité idéale dans laquelle installer sa famille. « À partir de ce moment-là, je passe mon temps à me répéter qu’il me manque. Comme je n’ai pas de pétales de fleurs à arracher sous la main, je compte avec les motifs de fleurs sur les étoffes. » (p. 48) La mère finit par le suivre, puis vient le grand voyage pour les enfants, le vrai déracinement avec l’installation en France. Passant d’activistes menacés à immigrés précaires, les parents font de leur mieux pour offrir le meilleur à leurs enfants, tout en préservant leur culture. « Mes parents, qui sont désormais libres de faire de la politique, n’ont cependant pas les moyens d’exprimer leurs opinions en France, car ils ne maîtrisent pas le français et on ne leur donne pas la possibilité de l’apprendre. Ils restent dans leur petit monde à faire la révolution. » (p. 97 & 98) Élevée dans la peur des hommes et du déshonneur, Ziné n’a d’autre possibilité d’échapper à l’emprise de sa famille que d’épouser son premier amour, un Français, sans le consentement de son père. « Le ravissement de l’Europe m’accompagne. J’ai droit à la parole. On me questionne sur la nature de mes envies, et on accorde de la valeur à mes réponses. » (p. 88) S’ouvre alors une longue décennie pendant laquelle le père et la fille ne se connaissent plus.

Le texte commence quand Ziné revient dans le quartier où vit celui qu’elle admirait et qu’elle aimait tant étant enfant. Après être retournée en Turquie sur les traces de son identité, la jeune femme sait enfin qui elle est et elle veut se présenter à son père. Pour un premier roman, c’est une réussite. Porté par une voix puissante et une plume déjà solide, le récit appelle à faire tomber les masques et à cesser d’imaginer l’autre pour enfin le voir et le retrouver. Le long cheminement de la fille vers le père est bouleversant. Dora Djann est une autrice à suivre !

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Après la fête

Roman de Lola Nicolle. À paraître le 22 août 2019.

« J’essayais de t’impressionner, mais tu ne m’écoutais pas, je le voyais bien. J’ai parlé vite pour combler ma gêne, coupé les mots en deux. Tu m’as embrassée. L’histoire débute sur une phrase jamais terminée. » (p. 11) Raphaëlle, la narratrice, raconte son bel amour avec Antoine, leurs années étudiantes et le début de la vie active. Mais ce roman, un peu comme l’annonce le titre, est surtout la chronique d’une séparation annoncée. Elle s’écrit au rythme d’une bande-son qui mêle musique populaire française et rap énergique. C’est un fond sonore un peu vain, que tout le monde entend sans vraiment l’écouter, comme dans les fêtes qui toujours finissent. « En arrivant sur la rive, tu m’avais murmuré : cette femme qui serait ma vie, je croyais que c’était toi. /, Mais j’étais seulement la femme de la mienne. Et nous en étions restés là, chacun pour soi. » (p. 137)

Avec ce premier roman, Lola Nicolle fait montre d’un talent à suivre, même si je déplore une tendance un peu artificielle à filer trop longtemps les métaphores. Mais je salue les très belles images qu’elle invente pour parler de l’amour, du plaisir et du désir. Avec simplicité et élégance, l’autrice dépeint les ravages silencieux du temps sur les espoirs et les ambitions.

Et quelques jolies phrases pour vous mettre en appétit.

« Longtemps, nous sommes restés au milieu de l’appartement, dans le creux de nos bras et dans ceux de la nuit. » (p. 28)

« La nuit tombait et dans nos corps, tu excellais. Tu anéantissais mes préjugés. Tu me cueillais là où jamais personne n’avait été, me dominais. » (p. 40)

« Tomber-amoureux, verbe du premier groupe : avoir la sensation que la conversation avec une autre personne est illimitée, et souhaiter que la discussion, sans cesse, se poursuive. Apprécier les silences, les chérir. » (p. 60)

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

La petite conformiste

Roman d’Ingrid Seyman. À paraître le 22 août.

Esther s’est toujours sentie en décalage avec sa famille. Face à ses parents de gauche, libertaires, juifs et adeptes du nudisme, elle a développé une obsession de l’ordre, qui ne fait que s’accroître quand elle entre dans une école catholique. Espérant jour après jour que ses parents finiront par divorcer, Esther apprend que la vie se plaît à faire des dégâts collatéraux et à tirer des balles perdues.

Cette histoire m’a rappelé En attendant Bojangles, ou quand les doux dingues sont surtout dingues, voire fous dangereux. Les manies du père n’ont plus rien d’excentrique quand elles déclenchent des crises de rage incontrôlables. « En fait, Babeth n’avait qu’un seul défaut : mon père. À cause de lui, elle était capable de dire (et de penser) à peu près tout et son contraire. » (p. 55) Pas étonnant que la gamine se réfugie dans l’ordre et la rigueur, seule façon de faire tenir son monde, monde dont des pans entiers s’effondrent régulièrement sous les explosions paternelles.

Le premier roman d’Ingrid Seyman repose sur un style simple, mais vif. On ne badine pas avec la douleur ici : on l’expose crument, voire on la dissèque pour mieux la comprendre et la contrôler. Bien moins léger que ce que laissent entendre les premières lignes de la quatrième de couverture, La petite conformiste est la fable grave d’une enfance qui se heurte à la violence des amours imparfaites.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Cadavre exquis

Roman d’Agustina Bazterrica.

Les animaux sont devenus mortellement toxiques pour l’homme et sont exterminés systématiquement. Pour continuer à consommer des protéines animales, les humains ont mis en place une filière de production de viande humaine. De cela découle une industrie aussi bien rodée que l’ancienne industrie de viande animale. Les têtes sont soigneusement sélectionnées, les inséminations sont contrôlées, les pièces sont suivies. Et comme dans le cochon, tout est bon : la peau, la graisse, les cheveux, tout est transformé. Tout cela est encadré d’une communication parfaitement rodée. « Il y a des mots convenables, hygiéniques. Légaux. »(p. 16) Dans ce système bien organisé, Marcos travaille dans un abattoir. Son regard croise un jour celui d’une femelle. « Elle est belle […] mais sa beauté est inutile. Ce n’est pas parce qu’elle est belle qu’elle en sera plus savoureuse. » (p. 132) Marcos commet alors l’interdit : il considère cette pièce humaine bonne à être mangée comme un être vivant, un être humain, un être à aimer. Il la cache dans son garage, mais il sait dès le début qu’il ne pourra pas la garder.

 Le roman nous montre une société accrochée à la consommation de viande et qui refuse de changer de modèle alimentaire, comme si le régime carniste était un dogme. « Il faut respecter la nourriture. […] Toute assiette contient de la mort. Prenez-le comme un sacrifice que d’autres ont fait pour vous. » (p. 212) Devenu cannibale, l’homme est vraiment un loup pour l’homme. Cette dystopie alimentaire et/ou gastronomique fait froid dans le dos, mais reste parfaitement crédible. Tout comme sont terriblement crédibles les théories du complot qui fleurissent partout. « Tu ne te rends pas compte qu’ils nous manipulent ? Qu’ils nous font nous bouffer entre nous pour contrôler la surpopulation, la pauvreté, la criminalité. » (p. 219) Avec ce premier roman, Agustina Bazterrica signe un témoignage à charge contre l’industrie agroalimentaire et lance un appel au respect de la vie animale. Et évidemment, le film étant cité dans le roman, impossible de ne pas penser à Soleil vert.

Publié dans Mon Alexandrie | Marqué avec | Laisser un commentaire

Le soleil des rebelles

Roman de Luca di Fulvio.

Un matin d’hiver, le jeune Marcus II de Saxe perd tout : sa famille, son château, son titre, son royaume. « Pour garder son pouvoir et ton rang, tu ne peux pas compter sur Dieu, mais uniquement sur toi-même. Sur ta force et ta détermination. » (p. 7) Sauvé par la fille d’une pauvre sage-femme, il devient Mikael et se cache parmi les serfs en attendant de se venger d’Agomar qui a tué son père, mais surtout du prince d’Ojsternig qui lui a tout pris. Les années passant, il se rallie aux rebelles menés par Volod le Noir et s’engage auprès des miséreux et des opprimés et contre l’injustice. S’il agit au nom des siens qui ont été massacrés, il ne ménage pas non plus sa peine pour préserver Eloisa, la femme qu’il aime depuis toujours.

Voilà un gros roman que j’ai lu très vite et avec un certain plaisir. Sur le fond, c’est une œuvre divertissante. Sur la forme, je n’ai rien à reprocher au rythme, mais beaucoup à dire sur le style. L’intrigue est cousue du fil blanc dont on fait les cordes à bateaux, mais ce n’est pas le pire. La langue est affectée, souvent faussement poétique et lourdement lyrique, comme pour ajouter un côté ancien, ce qui est parfaitement crétin. À quoi sert de vouloir d’écrire dans une autre langue que celle de son époque ? Les dialogues sont peu crédibles, car trop écrits et peu naturels : il en ressort souvent un manque de fluidité dans les échanges. J’en termine avec la façon assez niaise dont sont présentés les sentiments, notamment l’amour, et les caractères : il ne faut pas s’attendre à beaucoup de finesse, car les méchants sont très cruels, les gentils sont très généreux et les traîtres sont très vils.

Dans l’ensemble, ce n’est pas un texte déplaisant, mais c’est sans doute un roman qui ravira les amateurs de lectures de vacances. Je ne souscris pas à cette distinction, car j’estime que tous les livres peuvent être lus à toutes les périodes de l’année. Mais si vous cherchez un livre sans prise de tête pour vous accompagner à la plage, celui-là ne sera pas pire qu’un autre.

Publié dans Ma Réserve | Laisser un commentaire

Cabane en péril !

Roman de Jean-Claude Lalumière.

Bernie, Félix, Simon, Hugo et Pierre sont copains à l’école et dans la cour de récréation, et ils partagent un secret : une cabane dans la forêt. Hélas, la future autoroute prévoit de passer par le bois. « Qu’est-ce qu’on va faire ? a demandé Félix. / S’ils s’approchent, on les bousille, a suggéré Hugo. / C’est facile à dire, a souligné Pierre. / Le combat sera déséquilibré, dangereux même. La possibilité du péril ne peut être ignorée. » (p. 17) Pour sauver leur cabane, les gamins sont prêts à se battre, quitte à mettre en place une ZAD si nécessaire ! Au passage, si Bernie peut impressionner la jolie Juliette, il sera doublement content. Et même si cela suppose de se mettre au théâtre.

Avec ce premier roman pour la jeunesse, Jean-Claude Lalumière explore un nouveau champ créatif. Mais je le préfère clairement quand il fait de la fiction pour adultes, pour la radio ou en littérature. Je garde un souvenir hilare et réjoui de son roman Le front russe. Le présent texte n’est pas déplaisant, mais j’ai clairement passé l’âge de ce genre d’intrigue. Et je rage devant les quelques coquilles laissées au gré des pages. Il me semble qu’un livre destiné aux enfants devrait être doublement vérifié. Mais là, c’est ma déformation professionnelle qui parle… Dans l’ensemble, ce roman invite les plus jeunes au militantisme, tout en mettant en garde contre les comportements malveillants ou extrêmes. Dans une époque où Greta Thunberg subit les pires attaques au motif qu’elle est jeune (et qu’elle est une fille, mais c’est un autre sujet), il est bon que la jeunesse soit encouragée à défendre ses idées : dans sa prise de parole, la jeune génération n’est pas moins légitime que les adultes ou que les vieux croulants des assemblés démocratiques !

Publié dans Ma Réserve | Marqué avec | Laisser un commentaire

Tous les hommes du roi

Roman de Robert Penn Warren.

Le gouverneur Willie Stark, dit Le Boss, n’aime pas que l’on contrecarre ses projets politiques. Quand le très intègre juge Irwin soutient un autre candidat que celui du Boss pour le poste de député, il ne sait pas qu’il court à sa perte. « Il y a toujours quelque chose à déterrer. / Peut-être pas avec le juge. / L’homme est conçu dans le péché et élevé dans la corruption, il ne fait que passer de la puanteur des couches à la pestilence du linceul. Il y a toujours quelque chose. […] Et débrouille-toi pour que ça pue. » (p. 62) C’est le narrateur, Jack Burden, qui est chargé par le gouverneur de trouver de quoi incriminer le juge. Ce faisant, il se confronte à son propre passé et met en branle une terrible mécanique qui va broyer des innocents et des coupables, sans distinction ni pitié.

Dans ce récit a posteriori, Jack Burden retrace la gloire et la chute du gouverneur Stark, auxquelles se sont accolées les destinées plus ou moins misérables de nombreuses personnes, amies ou ennemies. Entre vieilles amours et rancœurs nouvelles, la jalousie et l’ambition poussent sur un terreau tristement fertile et férocement cynique. « La loi, c’est une couverture pour une personne dans un lit deux places où sont couchés trois types par une nuit gelée. On aura beau tirer dans tous les sens, y aura jamais assez pour couvrir tout le monde et quelqu’un finira forcément par choper une pneumonie. » (p. 155)

J’ai eu quelques difficultés à vraiment accrocher à cette histoire. Les nombreuses intrigues parallèles, contemporaines ou antérieures au récit principal, m’ont souvent semblé longues et mal rattachées à l’ensemble. J’ai cependant beaucoup apprécié le ton général qui m’a un peu rappelé Hemingway, en meilleur (Non, je n’aime pas vraiment le style d’Hemingway). La vision de l’homme portée par ce texte est sombre, mais pas noire, plutôt boueuse, comme si même dans le pire, l’homme n’était jamais que médiocre.

Publié dans Ma Réserve | Laisser un commentaire

Guerre et paix

Roman de Leon Tolstoï.

Faut-il résumer ce roman ? Peut-on résumer ce roman ? Est-il pertinent de résumer les batailles opposant la Russie à l’armée napoléonienne ? Où est l’intérêt de décrire chacun des nombreux personnages et chacune des intrigues amoureuses et sociales qui les rassemblent ?

Dans deux mois, voire dans deux semaines, nul doute que je serai bien en peine de me rappeler de qui unetelle est amoureuse et qui untel épouse-t-il par intérêt ou raison. Du même auteur, j’ai largement préféré Anna Karénine, pourtant lu quand j’étais une toute jeune adolescente. Le texte ne m’avait pas semblé si dense et ardu. Guerre et paix est un pavé, non pas indigeste, mais tout de même un peu lourd. Certes, il est passionnant de suivre Tolstoï dans ses réflexions sur la prétendue véracité du génie militaire de Napoléon. Certes, il est passionnant de voir deux personnages mettre en application des principes sociaux nouveaux, inspirés de la franc-maçonnerie, et qui tendent à abolir le servage. On retrouve là les idées sociétales de l’auteur. Mais dans l’ensemble, j’ai éprouvé assez peu de sympathie pour les personnages, à l’exception de Pierre, le héros le plus principal, si j’ose dire.

J’ai cependant l’intention de voir l’adaptation de ce roman par la BBC. Je vous laisse avec quelques extraits du premier livre.

« Si l’on ne se battait pas pour ses convictions, il n’y aurait pas de guerre. / Et ce serait parfait, répliqua Pierre. »

« Quelle est la mauvaise étoile qui nous pousse à guerroyer contre Napoléon ? »

« Je suis convaincu que nous devons, nous autres Russes, vaincre ou mourir. »

Quoi qu’il en soit, avec les trois tomes de ce roman, je signe une nouvelle participation au Défi des 1000 : 566 + 361 + 632 = 1559 pages.

Publié dans Ma Réserve | Laisser un commentaire

Wild

Récit de Cheryl Strayed.

Dévastée par le décès de sa mère, l’échec de son mariage et une addiction grandissante à la drogue, Cheryl Strayed a un matin décidé d’entreprendre seule la longue randonnée du Pacific Crest Trail, ou PCT. « Je pourrais enfin laisser mes problèmes derrière moi. En réalité, j’allais seulement m’en créer de nouveaux. » (p. 42) Pendant plusieurs mois et plus de 1700 kilomètres, elle avance pour prendre un nouveau départ et, pour se confronter à elle-même, physiquement et intimement. Elle randonne parfois avec d’autres marcheurs, mais la plupart du temps, elle est seule avec Monster, son sac de randonnée qui contient toutes ses possessions. « Avant de parcourir le monde à pied, je n’avais jamais pris conscience qu’il était si vaste – que même un kilomètre était vaste. » (p. 127) D’étape en étape, pas après pas, elle allège son chargement, sa tête et son cœur. Au bout du PCT, Cheryl sait qu’elle sera devenue quelqu’un d’autre, qu’elle aura grandi et qu’elle sera en mesure d’affronter l’existence. « Je ne me trouvais plus complètement nulle. Et je n’étais pas non plus une putain de guerrière amazone. Je me sentais simplement féroce, humble et concentrée sur moi-même, en sécurité dans ce monde. » (p. 252)

L’autrice commence son récit par la perte de ses souliers. Ça donne immédiatement le ton : il n’est pas question d’une sympathique randonnée d’une demi-journée, mais bien d’un total dépassement de soi, d’un renoncement complet. « Il s’avérait que cela n’avait pas grand rapport avec la marche. En fait, ça avait nettement plus de rapport avec l’enfer qu’avec la marche à pied. » (p. 55) Je comprends tout à fait que ce témoignage ait inspiré tant de personnes à tenter l’expérience du PCT. Moi-même, je me dis souvent que je devrais souvent tout lâcher pour faire le chemin de Compostelle : moins physique certes, mais pas moins éprouvant pour l’âme. La communion avec la nature, le retour à l’essentiel, c’est plus qu’un fantasme : ça semble devenir une nécessité. « J’étais un caillou. Une feuille. La branche pointue d’un arbre. Je n’étais rien pour eux ; ils étaient tout pour moi. » (p. 92)

Je n’ai pas vu le film, mais je tenterai à l’occasion.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

L’année du loup-garou

Roman de Stephen King, illustré par Berni Wrightson.

« Dehors, la neige recouvre peu à peu les traces de la créature. Le vent crie d’une voix déchirante qui évoque des hurlements de plaisirs. Mais d’un plaisir sans âme, sans Dieu, sans soleil – jouissance de gel opaque et d’hiver ténébreux. Le cycle du loup-garou a débuté. » (p. 16) Pendant un an, à chaque pleine lune, un loup-garou fait une victime à Tarkers Mills, petite bourgade du Maine. Jusqu’à ce qu’une des victimes en réchappe et traque la bête.

J’ai déjà lu ce texte qui a été adapté au cinéma. Je ne l’ai relu que pour le plaisir des superbes illustrations de Berni Wrightson qui s’accordent magnifiquement avec le texte du maître de l’horreur ! Voilà de grosses bêtes que je ne voudrais pas croiser par une nuit de pleine lune. Mais il y a peu de chances que ça m’arrive : moi, la nuit, je dors…

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire

Les délices de Tokyo

Roman de Durian Sukegawa.

Sentaro Tsujii gère sans passion la boutique de dorayakis (pâtisseries japonaises à base de pâte de haricots rouges) qu’il a rachetée, ne voyant presque pas passer les saisons. « Plus il travaillerait chaque jour, plus vite il serait libéré de la prison qu’était sa plaque chauffante. » (p. 35) Sa rencontre avec la vieille Tokue Yoshii va le réveiller. Il l’embauche et apprend avec elle à confectionner une vraie pâte de haricots. Mais la vieille dame cache bien mal un handicap qui la rend suspecte dans le voisinage, et le récent succès de la boutique, relancée par les excellents doriyakis, cesse brutalement. Puis Tokue cesse de venir à la boutique. « J’ai beau vivre en me croyant innocente, il m’arrive d’être broyée par l’incompréhension des gens. » (p. 101) Sentaro et Wakana, une adolescente solitaire qui avait noué un lien fort avec l’aïeule, vont la visiter et découvrir son secret. Et surtout, Sentaro va enfin trouver un sens à sa vie et un projet dans lequel s’investir pleinement.

Discrimination, isolement, renoncement, mais aussi amitié, gourmandise et plaisir de vivre, tout se conjugue admirablement dans ce joli roman très humain. Quand les solitudes se rencontrent, cela donne de belles rencontres, même s’il faut parfois un peu de temps pour que la pâte lève. « J’ai toujours fait des gâteaux. Parce que sinon, la vie était trop dure. Faire des gâteaux, c’était un défi, et un combat. » (p. 93) Le roman de Durian Sukegawa m’a rappelé Le restaurant de l’amour retrouvé d’Ito Ogawa : sans cliché ni guimauve, ces deux textes rappellent à quel point la nourriture peut rapprocher les êtres et nourrir les cœurs. Et je vous conseille l’adaptation cinématographique réalisée par Naomi Kawase : on y retrouve toute la douceur du livre.

Publié dans Mon Alexandrie | Laisser un commentaire