Mercredi

Bande dessinée de Juean Berrio.

  • Un immeuble dans un quartier dans une ville.
  • Un vieux couple.
  • Un collectionneur de premiers numéros de journaux.
  • Un jeune intello qui se fait voler son sac à dos.
  • Un policier qui enquête sur une série de vols consécutifs.
  • Une jeune fille qui se fait photographier par des inconnus.
  • Un homme et son chien avec des manteaux assortis.
  • Une petite fille perd et retrouve son gros chien.
  • Une concierge avec quatre chats.
  • Un couple qui a bien du mal à communiquer.
  • Une vieille dame qui se demande de quel ami elle est amoureuse.
  • Deux voisines qui se demandent laquelle fait les meilleures affaires.

Certains de ces personnages sont un seul et même individu, parce qu’on ne peut pas être réduit à une étiquette. Ils se rencontrent pendant un instant et reprennent leur chemin. « Tiens, voilà Denis. À quoi peut-elle bien penser ? Je suis sûre que je pense tout le contraire… » (p. 56) Ce sont des vies minuscules qui se croisent et tissent des motifs uniques. On aperçoit certains personnages dans une case et on les retrouve un peu plus loin dans leur aventure personnelle. Il y a des détails à suivre comme un jeu de pistes, comme ce nom de rue inversé ou ces chouettes qui volent de statuettes en t-shirt. « Il m’arrive des choses que tu ne pourrais même pas imaginer. » (p. 78)

La quatrième de couverture annonce « Un mercredi comme tous les autres, l’aventure du quotidien. » Grâce à une simplicité graphique qui laisse toute leur place aux détails et à un élégant camaïeu de rouge et de brun, le lecteur est invité à saisir toute la poésie des choses infimes. Et c’est à regret qu’on referme le livre de ce mercredi extraordinairement ordinaire.

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À chat parlé

Textes de Martine Hermant. Illustrations de Patricia Fayat.

« Il est communément admis que les chats parlent. D’ailleurs, il suffit pour s’en convaincre de vivre avec eux : que vous racontent-ils ? » Donc, ici, la parole est aux chats : celui qui a perdu sa chère maîtresse, celui qui est reconnaissant d’avoir été sauvé, celui qui est toujours indépendant mais un peu moins sauvage. « Bon, ça va, je rentre, mais parce que je le veux bien. » Il y a le chat blessé, le chat handicapé, le chat abandonné. Et il y a toujours la peur d’aller chez-le-véto, avec les vilaines promesses que cela suppose. Mais aussi le chat qui adore sa balle, son coussin, sa couette. En vérité, ici, il est question de chats finalement heureux, repus et comblés. « S’il existe un univers où les rêves se rejoignent (ceux d’un petit chat comme ceux de sa mère adoptive, fut-elle humaine), il est forcément envahi de la douce espérance que perdure longtemps cette tendresse à dormir ensemble. »

Portés par les douces aquarelles qui emplissent la page, les textes célèbrent les chats, ces fameux compagnons dont certains d’entre nous ne sauraient se passer et qu’ils ne supportent pas de voir souffrir. Les droits d’auteur de cet ouvrage sont intégralement reversés à l’association Mélusine qui œuvre en faveur des chats errants, notamment en finançant des stérilisations à la place d’euthanasies.

Et qui voilà, prenant la pose à côté du livre ? Ma Minette à moi !

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Billevesée #234

Visiter les États-Unis, ça fait partie des voyages dont je rêve.

Dans la liste des villes et des états que j’aimerais voir, il y a la Nouvelle-Orléans et son passé si français.

Elle doit son nom aux colons qui l’ont fondée en 1718 et l’ont baptisée en l’honneur du régent Philippe, duc d’Orléans.

Alors, billevesée ?

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Le dernier colonel

Roman de Jean Lods.

Dans une forteresse qui donne sur la mer d’un côté et sur des marécages brumeux de l’autre, un colonel veille au calme de la ville et à ce qui se passe du côté de la frontière. « Le souci du colonel à cette heure avancée de la nuit naissait surtout du caractère flou et mouvant de celle-ci, personne n’avait pu en tracer le contour ni la matérialiser véritablement, elle se perdait au milieu des sables et des lagunes. » (p. 17) Le colonel s’inscrit dans une longue lignée d’officiers qui, s’ils avaient des traits de caractère particuliers, se confondent tout de même dans l’imaginaire collectif. « Il était vieux certes, comme tous les colonels qui l’avaient précédé et que, comme lui, on avait toujours connus ainsi. » (p. 23 & 24) Un jour, petit cheval gris apparaît sur le port : c’est une monture ennemie, ce qui signifie que l’adversaire se rapproche, que le conflit est proche. Mais l’assaillant est aussi insaisissable que la brume des marais et les attaques de la garnison sont autant de coups d’épée dans l’eau. Pauvre colonel, il a tant à penser pour sauver la ville. Et il y a sa fille, la jolie Lucile. De tout temps, il y a eu une fille de colonel dans cette forteresse. L’histoire de ne le dit pas, mais il y a fort à parier qu’elles ont donné des cheveux blancs à leur colonel de papa. Et voilà que Lucile se rapproche de Mario, jeune lieutenant de la garnison. Elle n’est plus la petite fille qu’il pensait. « Sans le savoir et pour la première fois peut-être, il était venu pour ouvrir ses yeux sur sa fille, lui qui ne l’avait jamais vraiment vue. » (p. 81) Alors que la ville et la forteresse se vident, le colonel doit se rendre à l’évidence : il ne peut lutter contre l’inéluctable. « Je sais, disait-il, est arrivé ce qui devait arriver. Je le savais depuis longtemps, je l’ai su avant tout le monde, je me suis battu contre cet ennemi dont personne ne connaissait le visage, je me suis battu en sachant que c’était inutile et que l’inéluctable était en marche, parce que je pensais que l’important était de se battre, pas de gagner. » (p. 151)

Impossible de ne pas penser au Désert des Tartares de Dino Buzatti, mais ici, finalement, il se passe quelque chose. L’attente n’est pas vaine et même si l’évènement perturbateur reste flou, il entraîne la profonde mutation d’un univers qui semblait figé. Le colonel est resté aveugle longtemps, mais il y avait des indices qui annonçaient la fin d’une ère : le manque de place sur un mur pour accrocher une longue suite de tableaux ou le port de l’uniforme qui n’est plus obligatoire. Devant un monde qui change et qui disparaît, il n’y a que deux choix possibles : accepter la transformation ou disparaître avec elle. Pour le colonel, il en va comme pour son amour secret et perdu : sa décision est en décalage avec la réalité. Le dernier colonel est une fable baroque aux contours incertains, un conte presque métaphysique, une de ces légendes qui fondent une cosmogonie. Et c’est un texte tout à fait envoûtant. Ce vieux colonel m’a fait penser à mon père : une force de la nature qui semble vouloir ignorer que, hélas, le temps peut finir par la renverser.

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La pendue de Londres

Roman de Didier Decoin.

Albert Pierrepoint est l’exécuteur en chef du Royaume-Uni. À partir de 1945, il se voit confier la mise à mort de plusieurs centaines de criminels de guerre nazis. « Pour les journaux britanniques, je n’étais plus seulement l’exécuteur en chef, j’étais devenu une sorte de justicier investi par les plus hauts responsables de la planète du devoir de venger des millions de victimes innocentes. » (p. 30) Or, une exécution à Hamelin le marque profondément, quand il doit procéder à la pendaison d’une très jeune femme. Outre sa fonction de bourreau, Albert tient un pub avec son épouse et aspire à une vie plus calme. Mais sa route va croiser celle de Ruth Ellis, une jeune femme accusée d’avoir assassiné son amant. Plus ou moins prostituée, Ruth a été modèle pour des photos osées, puis hôtesse de divers établissements de nuit. « Ruth n’a que ses rêves, et elle en change souvent, c’est selon les rencontres qu’elle fait, les hommes auxquels elle se donne et qui, après la première nuit d’amour dans la chambre qui sent le drap moite et l’haleine fade du petit matin, lui font des promesses inouïes qu’ils ne tiendront jamais. » (p. 119) Des hommes, elle en a connu beaucoup et peu sont restés. Elle pensait que David Blakely, coureur automobile, était le bon. Mais l’homme n’est pas un gentleman. Et Ruth, ivre de jalousie et de colère, commet un soir l’irréparable.

Didier Decoin s’est emparé de deux destins pour composer un roman touchant à l’atmosphère envoûtante. Albert Pierrepoint et Ruth Ellis ont bien existé : la pendaison de la seconde a profondément ému la population anglaise et le gouvernement qui, près de dix ans après cette exécution, a aboli la peine de mort. D’un chapitre à l’autre, on suit les existences d’Albert et de Ruth. Le premier accomplit sa sinistre tâche avec efficacité et compassion : inutile de faire souffrir trop et trop longtemps les condamnés, la meilleure exécution est celle qui va vite. « Une mort par pendaison entraîne la rupture instantanée des vertèbres cervicales. » (p. 5) La seconde mène une existence débridée et instable, obsédée par l’envie de s’élever dans la société. Le contraste est fort entre l’homme qui aspire à une vie bien rangée et la femme qui brûle la sienne par les deux bouts.

La pendue de Londres est un bon roman, mais de Didier Decoin, je vous recommande surtout John l’Enfer et Abraham de Brooklyn, deux magnifiques portraits d’hommes.

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Persuasion

Roman de Jane Austen.

Sir Walter Elliot est un homme vaniteux et au caractère faible. Il ne pense qu’aux apparences et ne sait pas maîtriser ses dépenses. Hélas, plusieurs années après le décès de son épouse, il n’est plus en mesure de gérer leur domaine de Kellynch-Hall. Il est contraint de le louer à des étrangers et de loger dans une maison plus modeste. Sir Walter a trois filles. L’aînée, Elizabeth, célibataire à 29 ans, ressemble à son père dans ses attitudes et ses ambitions vaines. La cadette, Marie, est mariée et mère et se plaint continuellement. La benjamine, Anna, est une personne douce et bien disposée qui ne cherche qu’à contenter sa famille et ses proches. Pour eux, quelques années plus tôt, elle a rompu ses relations avec Frédéric Wenworth, un marin qui n’était pas au goût de son père ou de son amie, Lady Russel. « Dans sa jeunesse, on l’avait forcée à être adulte, plus tard elle devint romanesque, conséquence naturelle d’un commencement contre nature. » (p. 22) Alors que Kellynch-Hall est loué par l’amiral Croft, la famille Elliot voit revenir le capitaine Wenworth. La douce flamme entre lui et Anna a-t-elle vraiment été soufflée, des années auparavant ? La jeune femme saura-t-elle enfin affirmer ses désirs, même s’ils vont à l’encontre de ceux de son père et de ses sœurs ? « Si j’ai eu tort en cédant autrefois à la persuasion, souvenez-vous qu’elle était exercée pour mon bien, je cédais au devoir. » (p. 141) Se noue également une intrigue amoureuse entre Sir Walter et Mme Clay, une femme dont les manières laissent à désirer.

Ce roman de Jane Austen ne m’a pas autant plu que les précédents que j’ai lus. Il y a pourtant beaucoup de choses qui sont caractéristiques de l’auteure : la société de Bath, les relations plus ou moins sincères, les amours contrariées, les aveux qui tardent, etc. Même si j’ai trouvé Anna charmante et attachante, elle manque de ce caractère volontaire qui anime les grandes héroïnes de Jane Austen. Certes, il n’est pas facile de se mesurer à Elizabeth Bennett, à Emma ou à Catherine Morland, mais la comparaison, ici, ne joue pas en faveur de la trop douce Anna. « Elle comprit sa pensée. Il ne pouvait pas lui pardonner, mais il ne voulait pas qu’elle souffrît. Il y était poussé par un sentiment d’affection qu’il ne s’avouait pas à lui-même. Elle ne pouvait y penser sans un mélange de joie et de chagrin. » (p. 60) Toutefois, il est impossible de ne pas apprécier la plume de Jane Austen, son acuité mordante sur la société de son temps et le regard franc et sans concession qu’elle pose sur les défauts ridicules de ses personnages.

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Billevesée #233

Le beffroi, c’est la tour qui porte les cloches du village.

Le clocher, c’est la tour qui porte les cloches de l’église.

Attention, faut pas mélanger les pouvoirs !

Alors, billevesée ?

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Le grand marin

Roman de Catherine Poulain.

Lili, avec un anorak et un sac, a quitté la France pour aller pêcher en Alaska. Elle ne pense qu’à ça, ne veut que ça. « Je voudrais qu’un bateau m’adopte. » (p. 11) À Kodiak, elle rode sur le port jusqu’à ce le Rebel l’accepte à son bord. Au milieu de matelots endurcis, elle pêche la morue noire. Elle n’a peur de rien, Lili, sauf peut-être des services de l’immigration puisqu’elle n’a pas de carte verte. Elle n’est jamais en repos : même en dormant, elle s’agite. À bord, elle se blesse plusieurs fois. Lili, elle ne veut que la mer, mais la mer ne veut peut-être pas d’elle. Qu’importe le froid, les blessures, les viscères de poisson qui se glissent partout et la fatigue, Lili voudrait ne jamais retourner au port. « Je ne veux plus être sur terre. Je crois que j’aime mieux me noyer. » (p. 176) Peu à peu, elle gagne sa place à bord et au sein des marins. En dépit de l’euphorie des pêches abondantes, Lili a toujours la même obsession : aller à Point Barrow, dont on dit que c’est le bout du monde. Jusqu’où s’enfuira-t-elle, Lili ? À quoi tente-t-elle d’échapper ? « Je veux me battre […], j’veux aller voir la mort en face. Et revenir peut-être. Si je suis capable. » (p. 224) Et il y a Jude, le grand marin qui voudrait l’épouser et s’installer à Hawaï avec elle. Peut-elle être libre, Lili, si elle se laisse attacher ? « Ses yeux de pierreries sur moi, ses yeux de poignard et d’amour très sauvage, ses yeux de fauve jaunes qui ne me lâchaient plus jusqu’à me faire sombrer. » (p. 245) Mais la dérive, est-ce vraiment la liberté ?

Il y a des lectures comme des tremblements de terre qui renversent tout. Le grand marin est l’une d’elles. Je me suis profondément reconnue dans ce personnage, pas uniquement parce que je partage son prénom/surnom, mais surtout parce qu’il semble tellement perdu, tellement désespéré d’échapper à ses démons. « Et personne ne m’attendra plus jamais enfin. » (p. 19) Lili a des idées fixes : manger du popcorn, aller à Point Barrow, repeindre un mât. Ce sont autant de balises, d’objectifs qui aident à avancer un jour de plus. Lili a quitté Manosque-les-Plateaux, ou serait-ce Manosque-les-Couteaux, pour une raison qu’elle ne dit pas, mais qu’il n’est pas besoin de connaître pour comprendre l’urgence qui anime la jeune femme : partir ou mourir, c’est bien simple. « Je repense Manosque-les-Couteaux chaque jour et chaque nuit. Je ne veux pas qu’on ait ma peau. » (p. 16) Outre la référence à Jean Giono, on ne peut pas manquer de comprendre l’étouffement causé par ce petit village de France au surnom si singulier. Alors oui, partir, même si le but n’est pas une fin en soi. « Il faudrait toujours être en route pour l’Alaska. Mais y arriver, à quoi bon. » (p. 5) Si Lili refuse d’aller à Hawaï, c’est pourtant un bout du monde qui vaut l’Alaska, ces deux états américains étant isolés du reste de l’Union. Ce sont deux îles, chacun à leur manière, où il est possible de penser que la dernière frontière a été atteinte. À moins que la dernière frontière ne soit la mort.

Le grand marin est un roman vibrant, brûlant, extrêmement dynamique. On peut y avoir le mal de mer, mais j’y ai trouvé la beauté et la liberté propres aux grands espaces.

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Daddy Love

Roman de Joyce Carol Oates.

Robbie a cinq ans quand il est arraché à sa mère sur un parking de centre commercial. En essayant de sauver son fils, Dinah est gravement blessée, mais elle ne perd jamais l’espoir de retrouver son petit garçon. Désormais, Robbie s’appelle Gideon et il vit avec Daddy Love qui est convaincu de l’avoir sauvé d’une mauvaise famille. « Daddy Love est ton destin. Daddy Love sera à la fois ton père et ta mère. » (p. 50) Pendant six ans, entre punitions, récompenses, sévices sexuels et cajoleries, Gideon vit sous la coupe de son ravisseur. Daddy Love n’en est pas à son premier kidnapping. Il aime tant les petits garçons, mais pas au-delà de onze ou douze ans. Quand l’adolescent pointe son nez, Daddy Love se débarrasse de sa proie et en attrape une autre. Pour Gideon, l’heure va bientôt sonner. À moins qu’il échappe enfin à son terrible geôlier.

Joyce Carol Oates traite avec talent les sujets sensibles qui vont du tragique au glauque. Ici, on a presque toute la gamme : kidnapping, pédophilie, torture physique et psychologique pour l’enfant, désespoir, souffrance physique et dépression pour les parents. Pendant les six ans où ils attendent que leur fils leur soit rendu, Dinah et Whit restent ensemble dans la douleur, mais séparés par celle-ci, voguant sur deux flots différents. L’épisode liminaire de l’enlèvement est particulièrement atroce. Il est réécrit plusieurs fois sur plusieurs chapitres, avec des variations subtiles, comme pour saturer la narration de cet évènement dramatique et en extraire toute l’horreur, l’étaler autant que possible. « Elle avait conscience de sa terrible perte. La main de l’enfant arrachée à la sienne. Maman avait dû lâcher prise. » (p. 27) Joyce Carole Oates livre ici un terrifiant portrait de serial killer et de prédateur sexuel, mais également un glaçant portrait de victime. Daddy Love est un roman dur, parfois dérangeant jusqu’à la nausée, mais qui entre parfaitement dans l’œuvre globale de cette auteure américaine aux obsessions si sombres.

De cette auteure, allez voir Fille noire, fille blanche, Le musée du Dr Moses, Mon cœur mis à nu, Mudwoman et Nous étions les Mulvaney.

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À la recherche de la carotte bleue

Album de Sébastien Telleschi.

« L’histoire de la Carotte Bleue débute il y a bien longtemps… Pour découvrir ses origines, il faut remonter jusqu’aux temps obscurs de la préhistoire. À cette époque, en surface, les terribles volcans crachent du feu et de la lave. Les lapinamouths laineux, lapinosaurus rex et autres lapinotrigres à dents de sabre font régner la terreur. Les lapins, eux, confortablement installés au fond de leur terrier, vivent paisiblement de la cueillette des gigacarottes. » (p. 2) L’un d’eux découvre un jour la Carotte Bleue qui devient immédiatement sacrée. Pas de bol, les lapins n’arrêtent pas de la perdre, de la trouver, de la reperdre et de la retrouver… Pendant des siècles, la tribu des lapins cherche la Carotte Bleue partout dans le monde, alors qu’elle est à portée d’incisive. Ouvrez les yeux, les lapins ! On dit pourtant que les carottes sont bonnes pour la vue !

D’une époque à l’autre, on retrouve les mêmes personnages : le lapin baraqué couvert de tatouages, le lapin qui pionce au milieu des carottes, le vieux lapin qui perd la boule, la jolie lapine très très jolie, le lapin cuisinier irascible… Ça vous dit de rencontrer Lapinothep II, Caïus Lapinobalez, Christophus Lapinobellomus Colombus à bord de la Santa Carotta ou encore Jean Lapinojaurès ? Il suffit de tourner les pages et de sauter à travers les siècles. « Les temps ont changé : il faut encore plus de carottes pour nourrir des lapins de plus en plus nombreux. Alors, les lapins sont partis les cultiver sous la terre. Le savant Lapinojinius invente une énorme machine qui fonctionne à la vapeur de carotte. Dans la chaleur et la graisse, des lapino-mécanos font ronfler ce monstre mécanique. » (p. 18) La galerie de personnages à la fin est hilarante. Elle fait rouvrir l’album depuis le début pour retrouver tous les lapins à chaque époque. Suivez le guide, Jeannot Lapin, adorable chef de gare qui se révèle finalement bien gourmand…

Si les lapins sont les héros de cette histoire, n’oublions pas les souris qui chipent autant de carottes qu’elles le peuvent et qui s’infiltrent partout : dans les pyramides, dans le cirque romain, dans le château fort, dans les tranchées, dans la fusée… Il leur suffit d’un trou de souris, et hop, elles débarquent ! Évidemment, cet album est bourré d’humour, de références, d’anachronismes et de détails loufoques. Comme ce petit linge qui sèche un peu partout ou ce tutu rose dans les tranchées. Ou comme Star Wars et Star Trek qui s’invitent dans la fusée des lapins. À la recherche de la Carotte Bleue est un album pour les enfants qui se régaleront à chercher la racine tant convoitée, mais c’est aussi un livre pour les grands : il y a de quoi se marrer bien fort quand on aime dénicher des références un peu partout !

Ce n’est plus un secret, j’aime les livres-jouets et les objets papier qui dépassent la seule activité de lecture. Avec cet album « cherche et trouve », je suis servie. 43 cm de haut sur 33 cm de large, voilà largement de quoi se perdre dans les pages et les détails, à la recherche de cette fameuse carotte ! J’ai mis le temps, mais je l’ai trouvée à toutes les époques et dans toutes les planches, cette sacrée carotte !

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Frankenstein ou le Prométhée moderne

Roman de Mary Shelley.

Alors qu’il mène une exploration polaire, Robert Walton sauve Victor Frankenstein, un scientifique en perdition dans les étendues glacées du nord de l’Europe. L’histoire de cet homme est saisissante : Frankenstein a très tôt développé une passion pour la chimie et les mystères de l’existence. « Un des phénomènes qui avaient singulièrement retenu mon attention était la structure du corps humain, et même tout être doué de vie. D’où vient, me demandais-je souvent, le principe de la vie ? […] Pour examiner les causes de la vie, nous devons d’abord connaître celles de la mort. » (p. 49 & 50) Après de longues recherches, il s’est trouvé en capacité d’animer la matière inerte. Obsédé par ses travaux, il s’est éloigné de ses amis et de sa famille. Au prix de longs efforts, Frankenstein a donné vie à un être qu’il a composé d’ignoble façon. Horrifié par sa créature, il s’est enfui et est tombé dans une longue maladie, souhaitant oublier ses travaux et ses expérimentations. Hélas, livrée à elle-même, la créature a survécu et elle nourrit une haine farouche envers le créateur qui l’a abandonnée. Résolue à se venger, elle s’en prend aux proches de Frankenstein.

Il y a des livres que je suis convaincue d’avoir lus. Et puis, en fait, non. Frankenstein fait partie de ces œuvres à qui je tente de faire enfin honneur. Entre roman épistolaire, récit rapporté et récits en abîme, ce texte présente une forme intéressante qui ménage le suspense jusqu’aux dernières pages, même si l’histoire m’était déjà connue. La preuve qu’un roman est un chef-d’œuvre est qu’il arrive toujours à surprendre son lecteur. La figure du créateur indigne et du démiurge irresponsable est magnifiquement traitée par Mary Shelley qui a offert au genre gothique, avec ce livre, son dernier grand roman.

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Les batailles d’Hastings

Roman d’Éric Haviland.

C’est le choc dans le pensionnat d’Abbey School. Cynthia, une des élèves, s’est pendue. Le traumatisme est immense pour Eleanor qui a découvert le corps de sa camarade dans la chambre qu’elles partageaient. C’est vrai qu’elle était bizarre, Cynthia. Solitaire, mutique, brusque, elle avait noué peu de relations avec les autres filles. « Une amie, Cynthia ? Plutôt une camarade de chambre imposée par Miss Huntney. » (p. 16) Il y a bien eu ce match de rugby où, l’espace de quelques heures, Cynthia a été une héroïne pour l’école et l’équipe d’Hastings à qui elle a offert une victoire inattendue contre l’équipe de Bodiam. Et cette fois où elle a partagé cette boîte de biscuits avec Eleanor. Cette dernière ne cesse de se questionner : a-t-elle manqué la demande d’aide de sa camarade ? Aurait-elle pu faire davantage ? Et pourquoi se pendre dans la chambre ? « Mais Cynthia avait voulu que ce soit Eleanor qui la trouve. Était-ce pour la punir de ne pas l’avoir sortie de son enfer qu’elle cherchait maintenant à l’y faire tomber de toute la puissance de son cadavre ? Était-ce un dernier geste d’amour vers Eleanor, parce qu’on ne peut pas mourir tout seul, qu’il faut toujours remettre sa mort à quelqu’un d’autre ? » (p. 53) Les funérailles approchent : Eleanor et ses amies aimeraient rendre un dernier hommage à celle qui a traversé leurs jeunes existences en frappant un retentissant coup de tonnerre qui marque la fin de l’adolescence.

Quelle délicatesse et quelle finesse dans ce récit ! Le sujet peut laisser craindre un pathos pesant, mais il n’en est rien. Certes, la mort plane dès les premiers mots du récit et la disparition d’une jeune personne est forcément absurde et laisse des traces indélébiles, mais le dynamisme d’Eleanor rappelle que la vie ne s’arrête jamais vraiment, qu’elle ne cède que quelques instants face à la mort, et qu’il y a toujours un chemin à poursuivre. Dans ce très court roman, Éric Haviland dépeint avec talent l’atmosphère si particulière des pensionnats britanniques de jeunes filles. Même de nos jours, avec portables et virées shopping, il reste quelque chose d’inaltérablement digne dans le comportement de ces jeunes filles riches. Et même le Clan, entité sans visage composée de pestes qu’il n’est pas besoin d’individualiser, est un rouage indispensable au bon équilibre de l’institution.

Les batailles d’Hastings parle de jeunesse, d’expérience douloureuse et de tous les combats qu’il faut mener. Il n’y a pas de petites victoires quand il s’agit de se relever.

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Billevesée #232

Que vous perdiez votre emploi ou que vous vous inscriviez dans un club de sport, vous êtes licenciés.

Un même mot pour deux choses différentes, ça m’étonne et me fascine toujours.

Quoi que… Perdre son boulot et faire du sport, c’est chiant tout pareil, non ? Un petit verre pour se remettre, je ne vois que ça…

Alors, billevesée ?

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Christine

Roman de Stephen King.

Quand Arnie Cunningham voit Christine pour la première fois, il sait qu’elle sera à lui. Christine, c’est une Plymouth Fury de 1958 dans un état désastreux, à peine bonne pour être vendue en pièces détachées. « Cette voiture, c’était un gag, un mauvais gag, et je ne comprendrai jamais ce qu’Arnie put lui trouver, ce jour-là. » (p. 15) Mais Arnie tient tête à ses parents et retape la voiture qui retrouve peu à peu son éclat d’antan. Et le jeune homme gagne en assurance, perd ses vilains boutons d’acné et trouve une petite amie en la personne de la jolie Leigh. Mais il y a quelque chose qui ne va pas. Dennis, le meilleur et unique ami d’Arnie le sent bien : cette voiture a une mauvaise influence sur son copain. « Acheter une vieille bagnole et quoi ? Elle vous changera la tête, votre façon de penser, et changera ainsi votre métabolisme ? Libérera votre vrai moi ? » (p. 113) Arnie change, mais pas en bien : il devient plus brusque, comme s’il était constamment en colère, exactement comme l’ancien propriétaire de Christine, Rollie LeBay qui, bien que mort, semble traîner dans les parages. Comment expliquer que les jeunes brutes qui ont démoli la voiture meurent dans des accidents étranges et atroces ? Comment expliquer l’infecte odeur qui émane de la voiture pourtant retapée à neuf ? Comment expliquer, justement, que Christine semble aussi neuve qu’au jour de sa fabrication alors qu’Arnie n’a pas vraiment les moyens d’acheter toutes les pièces de rechange ? Dennis est bien décidé à sauver son vieux copain et la petite amie de celui-ci, mais il sait bien que Christine ne se laissera pas envoyer à la casse sans se défendre.

Voilà un très bon roman de Stephen King. Dans le style bagnole maléfique, j’avais déjà beaucoup apprécié Roadmaster, voiture qui ouvrait un portail sur une dimension pas franchement rassurante. Ici, Christine est un véhicule possédé par l’esprit de son vieux propriétaire et animé par une soif de mort et de sang tout à fait glaçante. Attention, ne vous mettez pas entre elle et Arnie ! Christine est pire qu’une femme jalouse et exclusive. « Une voiture ordinaire pouvait-elle devenir le lieu de résidence d’un démon dangereux et puant ? Une maison hantée roulant sur Goodyear ? » (p. 318) La réponse est évidemment affirmative quand il s’agit d’un roman de Stephen King, et c’est délicieusement terrifiant !

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L’Autre

Roman de Charlie Galibert.

Sous-titre : Miettes et fragments posthumes pour une biographie de Janus Sculmeister dit Goodfellow dit Goodbrother et pour éclairer la véritable histoire de Jean E. Sisatac.

Parfois, la quatrième de couverture fait admirablement son boulot : elle en dit suffisamment pour mettre l’eau à la bouche sans tout dévoiler. Donc, pour vous, cette fameuse quatrième.

Les contours à peine dessinés de Goodbrother dans le roman Sistac prennent forme dans ce récit d’aventures alternant méditations métaphysiques, mises en scène burlesques et méticuleux travail du biographe. C’est qu’il existe des indices qui pourraient donner à penser que Goodbrother n’est pas qu’un personnage de fiction… Qui est véritablement Janus Schulmeister (ou Ripberger), alias Goodfellow, alias Goodbrother ? Un tueur mécanique autrichien aussi froid que le canon de son Mauser ? Un centaure satanique sorti des déserts américano-mexicains pour semer mort et désolation dans son sillage ? Ou l’une de ces légendes de l’Ouest, l’un de ces mythes colportés d’un bivouac à l’autre par les garçons vachers et les derniers Indiens à se souvenir d’une époque encore sauvage ?

Il est apparu en tout cas dans Sistac, sous les contours à peine dessinés d’un chasseur de prime implacable et toujours dans l’ombre. Mais il existe des traces, des résidus, des fragments matériels qui laissent penser que Goodbrother n’est pas qu’un personnage de fiction. Roman éclaté, en miettes et comme dispersé par les coups de vent capricieux du souvenir, L’Autre est l’exploration en forme d’inventaire d’une âme noire absolument pas tourmentée dans un monde qui l’est beaucoup plus. Alternant les méditations métaphysiques et le récit d’aventures, le méticuleux travail du biographe et la mise en scène burlesque, Charlie Galibert s’y promène d’une plume enlevée et hilarante, dressant le portrait à la fois minuscule et cosmique d’un monstre littéraire que chacun, comme en mauvaise part, porte en soi : l’Autre.

Dans Sistac, Goodbrother était une figure inquiétante et insaisissable. Après la traduction du roman en anglais, un chercheur américain a cru reconnaître en ce personnage un Autrichien qui aurait réellement existé. Après une discussion avec Charlie Galibert, cela ne devait finir que par un nouveau roman. Ou peut-être est-ce une biographie. Mais quid de Sistac, s’interroge l’éditeur ? « Le problème n’en demeure pas moins entier de savoir si, Good ayant réellement existé, Sistac n’est lui-même qu’un simple personnage de roman ou bien s’il est la transformation fictionnelle de la biographie d’un jeune Toulousain qui aurait réellement vécu et qui, dans les années 1860, aurait survécu quelques années dans l’Ouest américain. » (p. 12)

Personne ou personnage, Goodfellow/Schulmeister/Goodbrother est de fait de l’étoffe des légendes. Avec sa multitude de noms et son identité jamais fixée, il semble défier les lois de la société et du récit, apparaissant là où on ne l’attend pas. Il a combattu à Gettysburg et il en a gardé une fidélité éternelle envers les armes, surtout son Mauser dont il a fait le prolongement de lui-même, voire sa famille. « Il s’était fait adopter par Mother Mauser. » (p. 29) Un autre prolongement fantastique de cet homme est Satan, son cheval. Parcourt ainsi les plaines de l’Ouest un centaure armé redoutable dans la traque et le tir. « Avec le Mauser, Good traquerait la nuit en chacun de ses repaires pour la peupler de spectres en haillons de sang, tous parfumés de l’arôme perdu de son enfance. Il enfanterait avec cette Mère les multitudes qui mettraient le monde à bas. » (p. 19) Good ne craint pas la mort, plutôt d’être à court de munitions ou désarmé face à un adversaire.

Pendant un certain temps, il court après Sistac. Ou peut-être est-ce Sistac qui lui court après. Ce mystère restera entier, impossible à résoudre, tout comme il est impossible de voir en même temps les deux faces d’une même pièce. « Quand Good a envie de mourir, ou simplement qu’on lui fiche la paix, c’est Sistac qui revient. C’est bien cela le problème de l’ego, c’est qu’il y a toujours un alter. C’est bien cela le problème de l’alter, c’est qu’il a toujours un ego. » (p. 176)

Charlie Galibert fait encore montre de son talent pour les jeux de mots et de sonorité, dans un exercice de proximité imparfaite où les frontières se brouillent et les identités se mêlent. « L’homme de l’Ouest est souvent à cheval, mais pas sur les principes. » (p. 92) La ponctuation disparaît parfois et la narration devient un flot débridé, une récitation qui vire à la transe, comme investie d’un pouvoir mystique. L’Autre lève le voile sur quelques mystères de Sistac, juste ce qu’il faut pour que les deux hommes restent des mirages imprécis et fascinants chevauchant dans l’Ouest américain.

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La Lune et le Roi-Soleil

Roman de Vonda McIntyre.

Pour la gloire de Louis XIV, le père jésuite Yves de La Croix a capturé un couple de monstres marins, étranges créatures aquatiques. « Elles sautaient comme des dauphins et s’éclaboussaient. Elles se caressaient, enroulaient leurs queues autour d’elles et chantaient leur sensualité toute animale. Leurs ébats faisaient écumer l’océan. » (p. 8) Le mâle est mort pendant le voyage et son corps sera découpé et étudié, mais la femelle est bien vivante. Versée dans le bassin d’Apollon dans les jardins de Versailles, elle chante sa tristesse, sa solitude et la douleur de la captivité. Sa seule amie est Marie-Josèphe, la sœur d’Yves, dame d’atour de Mademoiselle. Après des années éprouvantes au couvent, Marie-Josèphe découvre avec émerveillement les beautés de Versailles et les fastes de la cour. Elle espère pouvoir reprendre l’étude des mathématiques et la composition musicale, deux de ses passions, tout en assistant son frère dans son étude de la dépouille marine. Mais la belle complicité qui unissait le frère et la sœur lors de leur jeunesse en Martinique semble émoussée et Marie-Josèphe se heurte à la réalité de la Cour. « L’adorable petite fille désireuse de le suivre dans n’importe quelle sottise était devenue une femme adulte qui l’adorait toujours, mais qui ne voulait plus obéir à son caractère ombrageux. » (p. 117) Mesquinerie et mensonge accompagnent le bal des faux-semblants. Ceux que la jeune fille prenait pour des amis ne sont finalement que des courtisans soucieux de leur propre réussite. Ses vrais soutiens sont finalement les personnes les moins démonstratives.

Ce roman est bien difficile à définir. Il tient du roman historique et on sent que l’auteure s’est vraiment documentée sur Versailles, ses usages et les personnes qui l’a fréquentaient. On assiste à une réconciliation entre Louis XIV et le pape Innocent XII, ainsi qu’à un fabuleux carrousel rassemblant des monarques du monde entier. On assiste également à la cérémonie du lever du roi, à des bals, à des banquets, aux intrigues de cour et aux secrets de filiation… Tout cela catapulte le lecteur dans les plus belles heures de Versailles. Ce roman est aussi une fable fantastique, l’intrigue n’a évidemment jamais eu lieu : pas de monstre marin dans les bassins du jardin, à moins que… Lisez pour vous faire un avis ! Dans cette histoire, Louis XIV, vieux et obsédé par l’immortalité, pense que manger la chair de la créature marine pourra lui apporter la vie éternelle. Mais Marie-Josèphe se bat bec et ongles pour sauver son amie. « Je suis attachée à la femme des mers de même que je suis attachée à vous ou à Haleed : je protège sa vie parce que c’est un être pensant et doué de raison, un être doté d’une âme, et parce que je ne souhaite pas que mon roi devienne un cannibale… » (p. 246) Tout est fait pour susciter de la compassion à l’égard de Marie-Josèphe : sa jeunesse, sa beauté, son expérience traumatisante au couvent, son innocence qui confine à la niaiserie, sa sensibilité, son amitié pour la femme des mers, etc.

La Lune et le Roi-Soleil est un texte divertissant et riche en rebondissements, peut-être un peu trop… Il y a foule de personnages – normal puisque nous sommes à la Cour –, mais il me semble que certains auraient pu être traités avec moins d’importance puisque leur rôle est inexistant dans l’intrigue. De même, il y a beaucoup d’intrigues qui se nouent et certaines n’aboutissent pas. Ce roman reste cependant une belle fable sur la liberté, la religion, et la tolérance.

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Billevesée #214

Pour pouvoir exercer leur profession, les avocats doivent appartenir à un barreau. Mais le barreau, quoi qu’est-ce ?

Au sens figuré, c’est l’enceinte réservée où plaident les avocats. T’es pas avocat, tu rentres pas. Par extension, le barreau désigne la profession de l’avocat, puis l’ordre auquel il appartient. La métonymie est mon amie !

Et puis, cette histoire de barreau est ironiquement drôle puisque les avocats plaident au sein d’un barreau pour éviter que leurs clients ne finissent derrière.

Alors, billevesée ?

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Le tour d’écrou

Nouvelle d’Henry James.

À l’occasion d’une soirée d’hiver, une société d’hommes entend le récit d’une étrange histoire vécue par une gouvernante dans un château isolé d’Angleterre. Chargée de l’éducation des jeunes Miles et Flora, neveu et nièce du maître de maison, la jeune femme est rapidement témoin d’apparitions inquiétantes. Les enfants ont un comportement exemplaire et adorable, mais quelque chose ne va pas. À cela s’ajoute le décès étrange de la précédente institutrice en place. « Y avait-il un secret à Bly ? Un mystère d’Udolphe, ou quelque parent aliéné, ou scandaleux séquestré dans une cachette insoupçonnée ? » Il y a des fantômes à Bly et ils en ont après les enfants. Ces derniers, cependant, ne semblent nullement troublés par cette proximité macabre. « Il y a des abîmes, des abîmes ! Plus j’y réfléchis, plus je vois des choses, et plus j’y vois des choses, plus elles me font frémir. » La traditionnelle innocence des enfants est remise en question et le dénouement ne pourra être que convulsif.

Henry James utilise les codes du roman noir, du roman gothique et des récits de fantôme pour proposer un texte qui a fortement marqué à l’époque de sa parution. Le sujet de la sexualité infantile fait scandale et choque bien plus que la brusque apparition d’un spectre au détour d’une allée dans un parc au crépuscule. Car s’agit-il vraiment d’une histoire de fantômes ? Ne serait-ce pas plutôt une histoire de fantasmes ? Voilà bien de quoi choquer la très puritaine Angleterre !

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Retour à Little Wing

Roman de Nickolas Butler.

Hank, Lee, Kip et Ronny ont grandi à Little Wing. « Nous étions unis par le sentiment d’être différents de notre milieu et aussi peut-être par un sentiment de supériorité par rapport à l’endroit qui nous avait formés. En même temps, nous en étions épris. Épris d’être les rois d’une petite ville, perchés sur ces tours abandonnées, dominant notre avenir, en quête de quelque chose – du bonheur peut-être, de l’amour, ou de la gloire. » (p. 56) En dépit d’une amitié solide depuis l’enfance, ils se sont éloignés au fil des années. Ils sont respectivement devenus fermier, star de la musique, courtier et professionnel du rodéo. « Comment nos chemins ont-ils divergé en restant étroitement liés ? » (p. 20) À l’occasion des mariages et des naissances, ils se donnent des nouvelles. Puis Kip est revenu s’installer à Little Wing pour remettre à flots la vieille fabrique. Et Lee, fatigué par les tournées, ressent le besoin de retrouver ses racines et ses amis. « Je veux pouvoir revenir, vivre ici, et être qui je suis. Avec vous tous. » (p. 18) La petite ville du Wisconsin redevient alors le centre du monde de ces quatre hommes, de leurs épouses et de leurs enfants. Le bonheur semble facile, à portée de main. « J’avais dans le cœur un énorme puits d’amour que je sentais déborder, tout en le sachant intarissable. Devant nous, notre ami chantait, sa voix mêlée aux nôtres. » (p. 41) Mais il y a dans le passé, au cœur de cette quadruple amitié, des secrets et des rancœurs, des jalousies et des blessures.

Ce court roman est un magnifique hommage aux amitiés sur lesquelles se fondent des existences. Mais comme en amour, rien n’est jamais acquis et il faut agir pour préserver et faire prospérer l’amitié, surtout quand rôde le fantôme de quelques amours secrètes et ratées. La narration est portée par différentes voix au fil des chapitres. Celle d’Hank, celui qui n’est jamais parti, se mêle à celle de Beth, son épouse, à celles de Lee, de Ronny et de Kip. Ces différentes perspectives comblent les vides et soulèvent les voiles pour mieux révéler le tableau d’ensemble. Dans la région superbement décrite, les peines de cœur et les chagrins de la vie sont aussi violents qu’ailleurs. Les épouses s’interrogent sur leur place au sein de ce groupe d’amis et tout le monde envisage, à un moment ou un autre, de partir. C’est toujours pour mieux revenir.

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Billevesée #231

J’aime verbe « obérer ». J’aime sa rondeur, sa façon de résonner.

Oui, parfois, il faut pas chercher plus loin.

Et je ne manque jamais une occasion de le placer dans un texte ou dans une conversation. Faut savoir se ménager des petits plaisirs !

Alors, billevesée ?

Ouais, ben, essayez de trouver une illustration pour cette billevesée, vous !

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Les putes voilées n’iront jamais au Paradis !

Roman de Chahdortt Djavann.

À Mashhad, en Iran, des prostituées sont assassinées et leur cadavre est abandonné dans la rue. « Qui mènerait ici une enquête digne de ce nom pour une pauvre femme dont la vie ne valait pas la moitié de celle d’un homme ? Déjà que la vie d’un homme ne valait pas grand-chose… » (p. 3) Pour certains, c’est la justice divine qui s’applique enfin pour éliminer la perversion. Ainsi, les victimes sont coupables alors que le tueur est un justicier d’Allah. Les mollahs et les ayatollahs, touillant à leur sauce le Coran et son interprétation, se gardent bien de condamner l’homme et pointent toujours du doigt la femme. De toute façon, en Iran, les femmes ont toujours tort : si elles sont trop belles, elles sont des putes ; si elles ne sont plus vierges, même mariées ou veuves, elles sont des putes ; si elles sont seules dans la rue, elles sont des putes.  « Naître fille dans ce pays est un crime en soi. Vous êtes coupable parce que pas mâle. Et vous êtes putes parce que fille. Alors autant l’être pour de bon. » (p. 109) Quand elles ne sont pas tout simplement vendues, les filles sont mariées très jeunes, très souvent à des hommes bien plus âgés qu’elles et parfois déjà mariés. Dans ce pays rongé par la pauvreté, la drogue et le chômage, elles sont contraintes de faire le trottoir pour payer la dose des hommes de leur famille ou la leur, pour payer le loyer, pour élever leurs enfants, etc. Mais le sexe, le plaisir et le corps sont tabous et indignes aux yeux des mollahs. Et la femme est toujours la première accusée et la première condamnée. « La sécurité des femmes n’a jamais été aussi en péril que depuis que les dogmes islamiques font office de loi dans ce pays. » (p. 54)

Parmi elles, il y a Soudabeh et Zahra, amies depuis l’enfance et dont la si grande beauté ne fera pas leur bonheur. Contraintes à la prostitution, leur destin est sombre et forcément marqué du sceau de l’infamie. Mais ce texte n’est pas que fiction. L’auteure, Iranienne d’origine, évoque des faits divers commis dans son pays : près d’une vingtaine de prostituées ont effectivement été assassinées en Iran. « Je vais exhumer ces femmes et les faire exister dans votre imaginaire pour le malheur des ayatollahs, et écrire noir sur blanc qu’elles n’étaient pas des souillures, que leurs vies n’étaient pas condamnables, et que leur sang n’était pas sans valeur. » (p. 45) En imaginant les vies, les passés et les pensées de ces prostituées massacrées, Chahdortt Djavann ne fait pas l’apologie du sexe, mais celle de la liberté. Et si rien de ce qu’elle écrit n’est inédit ou surprenant, le texte, d’une grande beauté et d’une grande violence, a le mérite de ne pas entériner la loi du silence.

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La trahison de la reine

Roman d’Antonia Hodgson.

Quatrième de couverture : Printemps 1728. On traîne un homme jeune, bien habillé, dans les rues de Londres, jusqu’à la potence de Tyburn. À son passage, la foule le raille, le traitant de meurtrier. Thomas Hawkins essaie de rester calme. Il est innocent. Et il doit le prouver avant que la corde ne lui serre le cou. Il sait, bien sûr, que tout est de sa faute. Il était si heureux avec Kitty Sparks. Pourquoi s’est-il mis à fréquenter le criminel le plus dangereux de Londres ? Pourquoi avoir offert son aide à Henrietta Howard, la maîtresse du roi, dans sa lutte désespérée face à un mari brutal et impétueux prêt à tout pour servir ses intérêts ? Et, surtout, pourquoi avoir accordé sa confiance à la reine Caroline, cette femme pleine d’esprit, qui se révèle une redoutable calculatrice ?

J’ai abandonné après une cinquantaine de pages, je peux donc en dire bien peu sur le fond. En revanche, j’ai de quoi faire avec la forme. Les phrases accumulent les images figées et les clichés, les métaphores et les descriptions pesantes. La vraie qualité du style, ce n’est pas d’empiler des figures (de style, justement) jusqu’à saturer la page, sinon le texte vire à l’exercice (de style, précisément) et c’est au mieux divertissant quand c’est fait façon Raymond Queneau, au pire lassant et vite irritant. Sur les quelques pages que j’ai lues, les personnages n’ont que des réactions caricaturales et attendues, ce qui m’ennuie assez vite. Un mot sur le fond, tout de même : j’ai énormément lu de romans historiques quand j’étais plus jeune. Il faut croire que je suis devenue très exigeante parce que je repère très vite quand le roman qui se prétend historique tente de tordre l’histoire pour servir son propos. À mon sens, un bon roman historique s’inscrit dans l’époque qu’il dépeint, non pour l’utiliser, mais pour l’illustrer. Bref, c’est une lecture manquée pour ma part !

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Annihilation

Roman de Jeff VanderMeer.

Une biologiste, une anthropologue, une géomètre et une psychologue constituent la douzième expédition envoyée dans la Zone X. « Notre mission était simple : poursuivre l’enquête gouvernementale sur les mystères de la Zone X en progressant lentement à partir du camp de base. » (p. 6) Que s’est-il passé ici ? Un cataclysme ? Une contamination ? Tout semble familier, mais le danger est partout et la Zone X influence ceux qui s’y trouvent en modifiant leur comportement, parfois jusqu’à la folie, souvent jusqu’à la mort. « Voir de la beauté dans la désolation change quelque chose en vous. La désolation tente de vous coloniser. » (p. 7) Les membres des précédentes expéditions ont tous disparu dans des circonstances troubles. Les quatre femmes trouvent une tour qui s’enfonce sur la terre, étrange bâtiment qui n’est indiqué sur aucune carte. Sur les murs, il y a des mots vivants et, dans les escaliers, une étrange créature s’enfonce vers les profondeurs. « C’est ainsi que la folie du monde essaie de vous coloniser : de l’extérieur, en vous forçant à vivre dans sa réalité. » (p. 82)

Le récit est porté par la biologiste qui devient rapidement insensible aux manœuvres d’hypnose de la psychologue. Quelque chose ne va pas dans cette expédition : les consignes ne sont pas identiques pour tout le monde et bien des choses se révèlent et viennent troubler les certitudes des protagonistes. Chaque découverte est un nouveau mystère qui prouve les mensonges du gouvernement. « C’était une mise à l’épreuve d’une confiance fragile. De notre curiosité et de notre fascination qui allaient bord à bord avec notre peur. Un test pour savoir si nous préférions l’ignorance ou le danger. » (p. 46) La biologiste rédige un journal, mais pour qui ? À qui s’adresse ses révélations et ses analyses ? L’identité des personnages est réduite à leur métier au sein de l’expédition. « Les sacrifices n’avaient pas besoin de nom. Les gens remplissaient une fonction n’avaient pas besoin d’être nommés. » (p. 100) Mission après mission, tous disparaissent et le mystère de la Zone X reste entier.

Dans la veine post apocalyptique, ce roman tire honorablement son épingle du jeu. En se concentrant sur un seul personnage et en observant les effets de la Zone X sur son comportement et ses pensées, l’auteur invite le lecteur à partager l’expérience du protagoniste, entre angoisse et émerveillement. Il n’en faut pas beaucoup plus pour créer une atmosphère unique, viscérale et qui colle à la peau. Annihilation est une courte dystopie de très bonne facture.

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En attendant Noël…

Album de Carole-Anne Boisseau et Galaxie Vujanic (textes) et Masami Mizusawa (illustrations).

Noël approche à Méli-Méloin ! « Lapingouin, Papingouin et Malapin partent chez le sapinier pour choisir le plus beau des sapins. » (p. 7) Lapingouin et ses copaingouins s’interrogent : comment le Père Noël arrive-t-il à fabriquer les jouets de tous les enfants et comment fait-il pour tout livrer en une seule nuit ? C’est dit, Lapingouin va monter la garde à côté du sapin pour découvrir le secret du Père Noël. Parviendra-t-il à garder les yeux ouverts toute la nuit ?

Qui ne sait pas à quel point j’aime Noël ? Et les lapins ? Mélangez les deux et j’ai des paillettes dans les yeux ! Ici, j’avais envie de cuisiner des sablés de Noël avec Lapingouin, de décorer le sapin avec ses parents et de faire des batailles de neige avec les copaingouins en attendant le grand jour.

Je suis encore une fois émerveillée par le talent de Masami Mizusawa et par son inventivité : il mélange les choses connues et les choses farfelues pour créer un univers unique, doux et regorgeant de curiosités. Regardez bien les pages et vous trouverez plein de détails charmants, inattendus et enjôleurs. Le monde de Lapingouin est poétique et onirique. Je voudrais m’y glisser comme dans un cocon. Quelle joie d’identifier tous les animaux hybrides sorties de l’imagination des auteurs : poissinelles, lutingouins et lutinchons sont là pour aider le Père Noël ! Maintenant, il est bien difficile d’attendre patiemment Noël. Pfff, encore 7 mois !

Découvrez l’univers de Lapingouin avec Les chocozœufs de Pâques, Ma première nuit chez Tortuchon et Chut, Lapingouin est amoureux.

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Pollyanna

Roman d’Eleanor H. Porter.

Pollyanna a perdu son père et sa mère, mais elle parvient toujours à se réjouir des choses de l’existence, même les moins agréables. Recueillie par sa tante Polly, une femme solitaire et stricte, l’enfant voit toujours le bon côté des choses et entreprend de partager son jeu du bonheur avec tout le monde. « Plus la situation est difficile, plus il est amusant de trouver des raisons de se réjouir. » (p. 42) Pollyanna rend le sourire à Mme Snow qui est alitée depuis très longtemps, à John Pendleton qui vivait seul et au jeune Jimmy Bean qui cherchait un foyer. Mais surtout, elle va apprendre à sa tante Polly à se réjouir. Et quand Pollyanna est une nouvelle fois cruellement éprouvée par l’existence, c’est toute la ville qui se mobilise pour rendre le sourire à cette charmante enfant qui a apporté le bonheur dans tous les foyers.

Le bonheur, pour peu qu’on le veuille, c’est contagieux ! C’est tout le sujet de ce roman jeunesse qui fut un best-seller lors de sa sortie en Amérique au début du siècle dernier. Une fois encore, les éditions Zéthel ont déniché une pépite qui a sa place de droit dans les bonnes bibliothèques d’enfant ! Chez cet éditeur, je vous conseille L’extraordinaire voyage de Sabrina et Le prince disparu.

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Qui veut la peau d’Imogen Tate ?

Roman de Lucy Sykes et Jo Piazza. À paraître le 1er juin aux éditions Stock.

En 1999, Imogen Tate était à la pointe du journalisme mode. En 2015, une révolution numérique et un long congé maladie plus tard, elle est complètement dépassée. Pas par la mode, mais par les nouveaux moyens d’en parler. Alors que Glossy, le magazine dont elle est rédactrice en chef, va devenir une application exclusivement numérique – exit le papier glacé, bonjour le clic déshumanisé –, Imogen doit composer avec Eve Morton, son ancienne assistante, devenue numéro deux du magazine, et dont les dents rayent le parquet. « Eve, vingt-six ans, un regard de pure ambition sous un trait d’eye-liner prune. » (p. 17) L’ambition, ce n’est pas une mauvaise chose, mais à la sauce d’Eve, c’est une machine de destruction massive et un mépris total des bonnes manières. « Personne ne se parle au téléphone. Fais-moi un mail. Ou un texte. Je gère cinquante trucs à la foi, alors s’il te plaît, ne m’appelle pas. » (p. 37) Chef tyrannique et sans-gêne, elle fait peu à peu perdre à Glossy son élégance et la confiance des créateurs de modes. « Je suis la nouvelle garde de la presse numérique, et toi l’arrière-garde de la presse magazine. » (p. 84) Désormais en retrait dans son propre magazine, Imogen doit rattraper son retard : Facebook, Twitter, Instagram et tous les autres réseaux sociaux sont la nouvelle façon de communiquer, et elle doit s’y mettre si elle veut, à 42 ans, garder sa place dans le monde impitoyable de la consommation ininterrompue. « L’hypothèse qu’un magazine puisse dégager des bénéfices en proposant ses articles gratuitement demeurait un mystère. […] Le monde de la presse avait tellement changé. Elle le savait. Sites, blogs, tweets, liens, envois multiples… Le public était devenu complètement accro. » (p. 29) Pauvre Imogen, pas facile de faire la mode en 140 caractères !

J’ai beaucoup de difficulté à accorder le moindre crédit au postulat de départ de ce roman : après six mois d’arrêt maladie, Imogen se retrouve dépassée par les nouvelles technologies. Or, l’intrigue se situe en 2015, à New York. Facebook et Twitter ont déjà quelques années, et à moins d’être une vieille dame recluse dans une cabane, il est hautement improbable qu’Imogen soit à ce point incapable d’utiliser ces réseaux sociaux. « Imogen savait pertinemment qu’elle montre une mauvaise foi, caractérisée, chaque fois qu’il était question d’Internet, elle enfouissait sa tête dans le sable. » (p. 44)  En outre, elle a suspendu son activité professionnelle pendant six mois, pas pendant six ans. Qu’elle ne sache pas ce qui a remplacé la disquette en 2015 relève de l’aberration ! OK si elle ne maîtrise pas le Cloud, mais le CD-Rom a vingt ans et la clé USB est entrée dans les usages depuis plusieurs années. Je suppose que le message à retenir est qu’Imogen négocie plutôt bien son rattrapage numérique et qu’une carrière n’est pas finie à 40 ans. Et encore heureux !

Passons sur cette image de la quarantenaire à la bourre sur les questions numériques. Passons aussi sur le name-dropping de luxe qui inonde les pages jusqu’à l’overdose. Le roman offre quelques réflexions évidentes, parfois maladroitement assenées et martelées, mais qui ont le mérite d’être claires. Oui, on consomme trop, on est fiché, on est foutu. Non, le numérique n’est pas que négatif, il faut apprendre à s’en servir, traquer les abus et promouvoir les bonnes pratiques qui passent surtout par une relation équilibrée entre réel et dématérialisé. Le harcèlement virtuel est traité d’assez loin, mais avec suffisamment de doigté pour interpeller sans susciter un engouement morbide. Bref, on le sait, on vit tous avec un écran dans le creux de la main : attention à ne pas se couper du monde, ni à vouloir réinventer l’eau chaude. Il y a des vieilles marmites qui font encore de très bonnes soupes !

Qui veut la peau d’Imogen Tate est un roman sans prise de tête, agréable à lire et avec un dénouement positif attendu. Cette histoire est tout à fait adaptable au grand écran, pour une comédie chic et générationnelle un peu acide. Le milieu de la mode rappelle inévitablement Le diable s’habille en Prada, à l’inverse qu’ici, c’est l’assistante qui tyrannise la boss. « Eve avait décidé de la saboter. » (p. 121) Cette lecture était plaisante, mais je n’en suis très clairement pas la cible puisque j’ai passé plus de temps à pointer ce qui ne fonctionnait pas qu’à profiter du divertissement.

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Billevesée #230

Il paraît que les soldes, c’est un truc de nanas.

Eh ben, niveau orthographique, c’est pas vrai !

Quand on évoque les soldes en magasin, le mot se met au masculin pluriel. Donc, les soldes sont exceptionnels et non exceptionnelles.

Alors, billevesée ?

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En attendant Bojangles

Texte d’Olivier Bourdeaut.

L’auteur l’annonce dès le début : il va raconter l’histoire de ses parents et de son enfance. Ce sera plus ou moins vrai. Vous êtes prévenus. Sa mère était une belle excentrique et son père se pliait avec bonheur aux jeux de son épouse. « Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. » (p. 9) Ah, on ne s’ennuyait pas chez eux ! Cocktail, dîners tardifs, invités à toute heure, musique de Nina Simone, voyages impromptus en Espagne. Lui-même, enfant, prend plaisir à alimenter la fantaisie de sa jolie maman. C’est tout de même plus drôle que la vie des autres gens. Mais voilà, sa mère n’est pas qu’excentrique, elle est malade. Et son père le savait pertinemment. « J’étais conscient que sa folie pouvait un jour dérailler, ce n’est pas certain mais, avec un enfant, mon devoir était de m’y préparer. » (p. 38) La vie devient soudain un peu moins drôle quand la mère est internée. Grâce aux carnets secrets de son père, l’auteur reconstitue la véritable histoire de ses parents, eux qui s’aimaient tellement qu’ils ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre.

Voilà une très belle histoire, rafraîchissante et étourdissante dans la première partie, plus grave et plus émouvante ensuite. Les jeux de mots et les pirouettes verbales foisonnent dans le texte qui a parfois des airs de marelle : on saute à cloche-pied d’une expression à une autre. Tant pis si l’on tombe, l’important est de jouer. Oui, c’est une très belle histoire d’amour et, en tant que telle, elle est très égoïste et très injuste pour ceux qui n’y participent pas ou partiellement. Je retiens une phrase du père sur les récits qu’il invente pour plaire aux inconnus et pour séduire sa future femme. « Je n’oblige personne à croire à mes histoires, elles vous ont plus, vous y avez cru ! J’ai joué avec vous, vous avez perdu. » (p. 24) Ces quelques mots résument l’essence même d’un bon roman : si l’on croit, on gagne une bonne histoire et au diable la vraisemblance !

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Un drame en Livonie

Roman de Jules Verne.

Dans ce roman, vous trouverez :

  • Un fugitif slave qui tente d’échapper à la police allemande.
  • Une jeune femme qui attend son fiancé, emprisonné dans les mines de sel.
  • Un commis de banque un peu trop bavard.
  • Une diligence accidentée.
  • Un meurtre et un vol dans une auberge isolée.
  • Un homme dont la capuche dissimule le visage.
  • Des billets de banque numérotés.
  • Un innocent accusé à tort.
  • L’opposition des Allemands et des Slaves dans les pays baltes.
  • Une dette qui arrive à échéance.

Résumer un roman de Jules Verne, c’est souvent une gageure et parfois du gâchis. Je préfère vous inviter à découvrir ce titre trop méconnu, loin des voyages extraordinaires et des machines sensationnelles. Ici, il est question d’honneur, de fidélité et d’amour. Amour pour l’amant, amour pour la famille, amour pour la patrie. Et je termine sur deux citations.

« Pour s’être espérés pendant des années et des années, on ne s’en aime que davantage, et on n’a pas à s’inquiéter de l’avenir. » (p. 61)

« Dans cette ville de Riga, si infestée de germanisme, il ne pouvait en être ainsi. Les hautes classes ne supporteraient pas que ce professeur, le représentant des intérêts slaves, fût quitte de l’accusation portée contre lui. » (p. 191)

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Misery

Roman de Stephen King.

Paul Sheldon se réveille dans un lit inconnu, le bas du corps parcouru de douleurs insupportables. Après un terrible accident de voiture dans une tempête de neige, il a été sauvé par Annie Wilkes qui l’a ramené chez elle. Mais Paul Sheldon n’est pas n’importe qui. Et Annie Wilkes non plus. Le premier est un auteur célèbre pour sa série mettant en scène Misery Chastain. La seconde est la fan numéro un du premier. Et une folle irrécupérable. « Vous me devez la vie, Paul. J’espère que vous vous en souviendrez. J’espère que vous ne le perdrez jamais de vue. » (p. 29) Puisqu’elle a sous la main son auteur adoré, elle lui demande d’écrire la suite des aventures de Misery. Drogué aux calmants, les jambes brisées, Paul Sheldon est à la merci de cette femme qui vit en marge de la société et dont le passé est des plus inquiétants. « Que voulez-vous, je suis cinglée, non ? Tous les journaux l’ont dit. Aussi timbrée qu’une lettre recommandée. » (p. 36) Paul en fera l’expérience à ses dépens. Dans la maison d’Annie, on ne dit pas de gros mots, on ne se plaint pas, on écoute et on obéit. « Je vous ai déjà répété qu’il ne fallait pas me mettre en colère. » (p. 126) Annie n’est visiblement pas novice en matière de sévices et de meurtres, mais Paul a la volonté de survivre et d’échapper à sa geôlière. Et surtout, il a le pouvoir de l’écriture et de l’imagination : tant qu’il travaille à l’histoire de Misery, il ne mourra pas. Pourvu qu’il trouve une solution avant d’écrire le mot « fin » !

J’avais vu le film avec Kathy Bates, il y a quelques années. Ce n’est pas la première fois que cette actrice incarne un personnage de Stephen King (voir Dolores Claiborne), mais dans ce rôle, elle était parfaite. Parfaitement terrifiante. Parfaitement folle. La scène de mutilation était édulcorée dans le film, mais déjà bien atroce. Dans le livre, telle que l’a pensée le King, elle est insoutenable de violence et de cruauté. Je n’en dis pas plus… mais vous vous doutez bien que la vie est moins facile quand on se fait raccourcir les extrémités !

J’ai dévoré ce roman en quelques heures, happée par l’atmosphère particulièrement étouffante de séquestration, de claustration, d’immobilité et de douleur dans laquelle baigne Paul Sheldon. Misery est un grand roman de Stephen King, un de ceux dans lequel il déploie tout son talent, ses thèmes favoris et probablement une bonne part de ses névroses.

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