En chute libre

Roman de Carl de Souza. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Jeremy Kumarsamy est un ancien champion de badminton de niveau international. À la suite d’une mauvaise blessure qui l’a laissé handicapé et menacé d’arrestation pour avoir agressé une autorité sportive, le jeune homme se terre dans la demeure familiale de Port-Benjamin dans les îles Fernandez, sous la surveillance de sa mère et d’un vieil employé de maison.

Alors que la guerre des Malouines fait rage en Argentine, Jeremy revient sur son enfance. Il évoque en pensée sa mère Ivy, totalement dévouée à son mari Samy. Il y a aussi Felicity, sa tante, si fascinante et si belle, et si désespérément absente. L’univers du jeune garçon vole en éclats avec la déclaration d’indépendance des îles Fernandez. « Les îles flottaient quelque part dans l’océan Indien, amarres larguées. Les Anglais avaient perdu la trace de la tranquille colonie qui, elle-même, ignorait où elle se trouvait. » (p. 112) Samy Kumarsamy est totalement anéanti par le retrait des troupes anglaises et sa déchéance entraîne toute la famille. De vaguement insolent, Jeremy devient un enfant intenable. Une seule chose le passionne, le badminton, au point de l’entraîner loin de chez lui, dans les plus grandes compétitions mondiales, mais aussi dans le monde adulte où la politique se moque des destins personnels. « Il fallait mettre fin aux incartades du gamin que rien d’autre n’intéressait que le bad, Albion Hall était la solution. » (p. 98)

Entre passé et présent, Jeremy répond à l’impérieux besoin et au pressant devoir de se souvenir. « Le gamin que j’étais s’est extrait de mon rêve enfiévré pour mieux me talonner, il sait qu’avec mon handicap je ne vais pas lui échapper. » (p. 165) Des îles Fernandez à Londres, on suit le destin sportif d’un garçon pour qui le badminton n’était pas seulement une valeur familiale ou une tradition britannique, mais avant tout un accomplissement presque mystique. Albion Hall, ancienne église reconvertie en salle d’entraînement, est le sanctuaire où Jeremy souffre et communie au sport avec des adversaires aussi passionnés que lui.

Après un début prometteur, ce roman s’essouffle. Ou peut-être est-ce moi qui n’ai pas gardé mon intérêt éveillé. Le long voyage à rebours de l’auteur est trop égocentrique, sans remise en question. Il ne fait que gémir sur des personnes perdues, des occasions manquées et des volontés avortées. Toutefois, j’ai aimé suivre la décolonisation de cet archipel perdu dans l’océan Indien.

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Billevesée du dimanche #32

Voilà un petit outil devenu incontournable dans tous les bureaux et sur tous les ordinateurs. J’ai nommé la clé UBS. Mais savez-vous ce que signifient les lettres USB ? Je les décrypte pour vous : Universal Serial Bus.

Cet article hautement instructif a surtout pour but de vous montrer la dernière merveille qui est entrée en ma possession : une clé USB lapin !

Alors, billevesée ?

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Bizango

Roman de Stanley Péan. Prix lu dans le cadre du Prix Océans.

Le bizango, qu’est-ce donc ? « 1. En Haïti, membre d’une société secrète dotée du pouvoir de se dévêtir de sa peau humaine et d’adopter toute autre forme de son choix, le plus souvent celle d’un animal volant ou rampant. 2. Victime d’un tel sorcier, condamnée à se métamorphoser en bête carnivore à la tombée de la nuit. » (p. 9)

Dans un quartier de Montréal, une maison de retraite part en fumée. Après le sinistre, une vieille femme affirme avoir été sauvée des flammes par son époux, pourtant décédé depuis plusieurs années. Andréa Belviso, jeune journaliste à la plume efficace, fait de cette déclaration un article qui corrobore les nombreux témoignages déposés sur le net. En effet, le nombre de personnes qui affirment avoir été sauvées ou aidées par un proche disparu ne cesse d’augmenter. Il y a donc un homme caméléon qui se cache derrière toutes ces rencontres étonnantes.

Le même soir, Gemme, superbe prostituée haïtienne, est sauvée des griffes du lieutenant de son mac par un inconnu. Ce mystérieux étranger n’a pas de nom, pas d’odeur et pas de visage. « On aurait dit qu’il n’avait pas de visage à proprement parler. Ou plutôt que ses traits étaient constamment en train de se réarranger. »(p. 49) En outre, l’homme est télépathe et se glisse au plus profond des inconscients des personnes qu’il approche. Gemme et le bizango sont en fuite et tentent d’échapper à Chill-O, caïd qui dirige la pègre haïtienne implantée à Montréal.

Le don du bizango, celui de « pouvoir adopter à volonté une apparence dictée par les désirs et attentes de leurs vis-à-vis » (p. 55), est à la fois une chance et une malédiction. Difficile de dire si le bizango de ce roman est le sorcier ou la victime. Difficile également d’éprouver de la sympathie pour les personnages : j’ai trouvé Gemme trop paumée sous ses airs de sainte et j’estime dommage que l’auteur n’ait pas offert au moins une piste pour comprendre la personnalité du bizango.

Sexe, drogue, violence : ce roman noir est un classique du genre. Hélas, c’est presque un poncif. La touche surnaturelle apportée par les traditions vaudou haïtiennes offre heureusement un peu d’exotisme et d’imprévu. On découvre un peu la communauté haïtiano-québécoise, mais nous voyons surtout le mauvais côté et bon nombre de clichés.

Si j’ai aimé retrouver les idiomes québécois et autres spécialités locales, je me suis rapidement ennuyée en lisant ce polar. Je le sais, ce genre recueille très rarement mes faveurs. Même quand j’en aborde un avec l’esprit ouvert, je suis rapidement agacée et mon intérêt s’émousse. Cela n’a pas manqué avec le roman de Stanley Péan. Dommage pour moi. J’espère que les amateurs du genre apprécieront ce texte.

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L’empreinte à Crusoé

Roman de Patrick Chamoiseau. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Depuis vingt ans déjà, Robinson habite son île déserte. Il se présente comme un homme au-delà des peurs et de la solitude, un être apaisé et en harmonie avec lui-même et son univers : « l’idée de mourir là ne m’effrayait plus ; » (p. 21) Le naufragé s’est créé une civilisation pour lui seul : « j’étais de fait la seule survivance capable d’assumer le nom d’homme ; » (p. 25) Mais voilà qu’un jour, à l’occasion d’une promenade commémorative, Robinson découvre une empreinte d’homme sur le sable. Pour Robinson, la stupeur se mêle de terreur : « quelqu’un d’autre que moi-même était maintenant sur l’île ! » (p. 45)

Passée la première prostration, Robinson décide de se mettre en chasse et de débusquer l’intrus. Il refuse de partager l’île et veut s’affirmer seul maître du territoire qu’il a lentement apprivoisé. « j’attendais cet autre pour le combattre ; j’attendais pour le tuer, et pour rester vivant ; » (p. 57) Ne plus être le centre, ne plus être unique, c’est inimaginable pour Robinson. L’Autre, impensable pendant des années, est une irréalité qui a pris corps. Au cours de sa traque, Robinson redécouvre l’île et se redécouvre humain. Et si cette empreinte n’était pas une menace, mais une promesse ? Robinson se découvre « une soif inapaisable pour une goutte d’humanité » (p. 86) : il ne peut plus se suffire en tant qu’homme, il a besoin de sortir de lui-même.

L’empreinte est permanente, à jamais figée dans le sable de la plage originelle. Elle représente la folie et l’obsession du naufragé. Cette empreinte dans le sable, signe ô combien fugace, c’est la signature de l’humain et la preuve que l’île est devenue le tableau d’un homme. Toutefois, même si cette marque ne disparaît pas, elle est un paraphe dérisoire, la preuve ridicule d’une existence particulière au sein d’un univers qui ne cesse pas de s’épanouir, avec ou sans l’homme.

Ce nouveau Robinson parle sans majuscule, ni point. Son récit est un continuum de pensées et de paroles, un discours débité sans reprendre haleine. Le point-virgule n’y est pas respiration, ce n’est que la marque d’une pensée effilochée qui se livre par bribes impatientes. Par un surprenant effet de mimétisme, la parole se fait jungle comme celle de l’île. Dans les notes en fin d’ouvrage, Patrick Chamoiseau justifie son choix du point-virgule : « Le point-virgule s’est imposé, je ne sais pas pourquoi, peut-être l’idée du flux de conscience, de l’instabilité mentale, de la saisie qui ne raconte pas. Ce n’est pas le point-virgule de Flaubert. » (p. 239)

Patrick Chamoiseau offre un roman riche d’une grande intertextualité. J’avais préféré le Robinson de Michel Tournier à celui de Daniel Defoe. Le premier m’était plus sympathique et plus humain, car plus sensuel. Le Robinson Crusoé de Patrick Chamoiseau est, selon moi, plus proche de Tournier que de Defoe. Cette nouvelle robinsonnade explore des thèmes classiques comme la solitude, l’humanité, l’altérité, la folie, la culture face à la nature. Mais l’auteur les traite avec une plume nouvelle et une audace littéraire très marquée. Surtout, lisez bien les quelques pages du Journal du capitaine. Ne vous précipitez pas, lisez-les comme elles se présentent afin de découvrir l’histoire de ce Robinson, l’histoire de tous les Robinson. Patrick Chamoiseau se place au bout d’une longue lignée d’écrivains, mais son texte se veut celui des origines. C’est surprenant, époustouflant et superbement convaincant !

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Rêves oubliés

Roman de Léonor de Récondo. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Aïta, son épouse Ama, leurs fils Otzan, Zantzu et Iduri, ainsi que les grands-parents et les oncles, ont fui Irún pour Hendaye pour échapper aux soldats franquistes. Quitter l’Espagne est douloureux, mais Aïta n’a qu’une obsession : « Être ensemble, c’est tout ce qui compte. » Pendant plusieurs années, la famille vit dans la maison de Mademoiselle Églantine, une femme généreuse qui leur a ouvert ses portes. Mais la menace de la Seconde Guerre mondiale gronde déjà et la famille préfère quitter Hendaye, s’éloigner un peu plus de l’Espagne et chercher la tranquillité au cœur des Landes. « En se frayant un chemin d’une allée à l’autre, il s’est demandé en quoi le sol sur lequel il marchait était si différent de celui qui était de l’autre côté de la Bidassoa. C’est le même peuple qui vit ici et là-bas, c’est la même langue, et pourtant sa vie, ses pensées, ses racines à lui sont dans le sol espagnol. » (p. 31)

Le récit de l’exil fait par le narrateur extérieur est associé au carnet que tient secrètement Ama. Cette sorte de journal de guerre n’est pas une introspection vaine. Ama écrit ses peines, ses peurs et ses haines. Mais elle ne cède pas au désespoir. En toutes choses, elle sait pouvoir compter sur l’amour de son époux, sur le lien extraordinaire qui les garde unis. Aïta est un homme de la terre, de celle qui fait pousser la vie et de celle que l’on pétrit pour en tirer des formes. « Aïta m’a dit que ce n’était pas un bol pour boire, mais un récipient à rêves, où ce ne sont pas les lèvres qui se posent, mais les yeux qui se perdent. » (p. 41) Comme les poteries inachevées de son mari, Ama fait de son carnet un récipient pour l’espoir. Et qu’importe si le bol se fend, l’espoir qui s’en échappe n’en est pas moins puissant.

De 1936 à 1949, le lecteur suit la famille d’Aïta au gré des arrestations, des retrouvailles et des cicatrices laissées par la guerre. Si l’espoir du retour en terre espagnole s’amenuise à chaque jour qui passe, Aïta et les siens se renforcent dans l’adversité, ils relèvent la tête et font face à l’avenir. « J’ai compris, j’accepte maintenant que nos jours soient incertains. J’accepte aussi ce qu’ils recèlent d’inavouable et d’effrayant. » (p. 165) Sans pathos, ni excès, le récit de cet exil familial est un hommage aux peuples déracinés, un chant digne au-delà des frontières.

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Zanzaro Circus : Windows du passé surgies de l’oubli

Roman de Jack-Alain Léger.

Quatrième de couverture : En fanfare, Zanzaro, le clownesque auteur de livre, nous invite à le suivre dans le cirque qu’aura été sa vie. On y croise Françoise Sagan, Liz Taylor, Viva Superstar et Derrida. On y souffre avec lui les peines, mais aussi les joies, que lui vaut sa maladie : la psychose maniacodépressive. Comme autant de pop-up surgis sur un écran d’ordinateur, des bribes du passé s’imposent à son souvenir. Et l’on se réjouit de son sens de la dérision. Et on l’accompagne sur la piste d’une vie tout entière consacrée à l’art : à la musique, à l’écriture, à la musique de l’écriture.

J’ai abandonné ce livre à la page 99 sur 201. J’avais fait la moitié du chemin, j’aurais pu achever ma route. Mais je suis sortie épuisée de la logorrhée assommante de l’auteur. Sa parole folle, emballée comme un dragster sous acide, a eu raison de mon attention, de mon intérêt et de ma patience.

L’auteur parsème son propos d’expressions, de mots ou de phrases en anglais. D’ordinaire, j’aime le métissage et les textes cosmopolites. Mais là, sans raison peut-être, je reproche à Jack-Alain Léger une attitude de poseur un peu vaine et particulièrement agaçante. « La devise de ma mère, anglaise par son père, son élégance : ne pas peser, ne pas s’imposer, ne pas s’appesantir, avoir le désespoir gai, se retirer juste avant le heurt, se souvenir que la gloire est le deuil éclatant du bonheur, en rire, en rire de peur, glad to be unhappy ! comme chante Billie Holiday. » (p. 24) Apparemment, l’auteur n’a pas fait sienne cette devise. Je n’ai pas ressenti cette légèreté névrosée qu’il prône.

Jack-Alain Léger joue avec le texte et avec la page en changeant brusquement de police ou de casse. Le but est clair : ne se soumettre à aucune norme, refuser la routine, provoquer la surprise. Certaines parties sont intitulées « aria » ou encore « récitatif » : l’hommage à la musique est palpable. Il y a de la mélodie dans l’ADN de l’auteur, mais je n’ai pas su lire cette portée, ni suivre les notes. Anyway, the show must go on ! Mais ce sera sans moi.

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Bêtes de somme – Mal de chiens

Bande dessinée d’Evan Dorkin (scénario) et Jill Thompson (dessins).

Âme égarée – Bégueule le beagle ne peut pas dormir dans sa nouvelle niche parce qu’elle est hantée. Les chiens du quartier font appel au sage Berger, un bobtail bien avisé. Pour aider Bégueule à retrouver le sommeil, cinq chiens et un chat appellent l’esprit tourmenté du fantôme.

La nuit, tous les chats… – Des hordes de chats noirs envahissent la communauté de Sommers Hill et annoncent le retour de sorcières qui veulent réveiller une ancienne divinité. Les chiens sont bien décidés à préserver la tranquillité du quartier.

Ne réveillez pas un chien qui dort… – Un vilain chat noir se venge de la meute en réveillant des chiens morts. Voilà que des zombies déambulent en ville ! « Soyons sérieux, crotte ! Il faut protéger notre voisinage ! » (p. 18) Il n’est plus temps d’être comme chien et chat : il faut se débarrasser des morts-vivants.

Un chien et son gars – Les chiens trouvent un humain dans la niche de Cador, un humain qui les comprend et parle leur langue. Mais le jeune garçon a un comportement bien étrange alors que s’approche la pleine lune.

Calamité – C’est le printemps à Sommer Hills et le douloureux hiver n’est plus qu’un mauvais souvenir. « Dire qu’à une époque, notre seul souci, c’était d’avoir une bonne pâtée. » (p. 147) Tout semble calme jusqu’à ce qu’une pluie de grenouilles s’abatte sur la ville. Derrière ce phénomène étrange se cache en fait une terrible menace.

La portée« Ce n’est pas la première fois que vous vous comportez avec sang-froid face au surnaturel. C’est pourquoi la ligue des sages bergers m’envoie ici vous proposer de rejoindre ses rangs. » (p. 92) Les cinq chiens et le chat ont commencé leur apprentissage pour devenir des sages bergers. Une femelle se présente à eux pour qu’ils l’aident à retrouver ses petits. Mais les chiens ne sont encore que des novices et ils ne maîtrisent pas toutes les incantations qu’ils lancent.

Les rats de Sommer Hills – Sans-Famille ne cesse de penser à Dymphna, la chatte noire qui a failli causer la perte de Summer Hills en invoquant des zombies. Il est persuadé qu’elle n’est pas morte et part à sa recherche dans les égouts de la ville.

La profanation – Certains n’apprécient pas le retour de Dymphna et la soupçonnent de vouloir nuire à nouveau. Mais le plus important n’est pas là : une tombe du cimetière est ouverte et un humain a été massacré. De plus, un chant étrange retentit dans les airs, un chant que les rats vénèrent. La menace qui plane sur Summer Hills est encore imprécise, mais elle ne cesse de grandir. « Sommer Hills souffre d’un mal. Un mal puissant et inconnu qui attire ici des phénomènes contre nature. Ce mal doit être dépisté et éliminé. » (p. 92)

J’ai passé un très bon moment avec Bégueule le beagle, Terry le terrier, Cador le husky, Dobey le doberman, Carl le carlin et Sans-Famille le chat. Cette fine équipe à poils et à pattes ne mène pas la vie tranquille des animaux de compagnie. Même si les pelouses où sont posées leurs niches sont vertes et fleuries, les cabots et le matou voient des horreurs sans pareil.

Grande amoureuse des toutous et des matous, j’ai apprécié les scènes qui mettent des mots sur les comportements classiques de nos bestioles favorites. Ainsi, un des chiens ne peut s’empêcher de mettre son museau sur l’arrière-train de ses congénères et le chat se fait parfois avoir quand il se passe la patte derrière l’oreille. J’ai particulièrement été touchée et amusée par Carl, l’irascible carlin, qui cache un gros cœur et un courage certain. « Non mais, vous avez tous bu l’eau des toilettes, ou quoi ? Ça n’existe pas, les fantômes ! C’est juste des histoires à faire japper les plus jeunes de la portée. » (p. 10)

Un peu de surnaturel, quelques légendes canines et voici une très bonne intrigue. Il faut avoir le cœur bien accroché parce que les chiens sont assez malmenés. Nos chers compagnons ne sont pas des poules mouillées, mais ils ne sont pas en acier trempé. La présence du chat de gouttière est à la fois drôle et attendrissante : c’est une belle illustration de la tolérance et de la mixité. Point à noter : on ne voit pas un seul humain – normal, s’entend – dans cet ouvrage. La part belle est faite aux animaux. Le grand talent du dessinateur, c’est d’avoir donné chaque personnage une personnalité bien définie sans pour autant humaniser les animaux.

La bande dessinée d’Evan Dorkin et Jill Thompson est bourrée d’humour et les dialogues sont savoureux. Le dessin est très réussi, parfois superbe. Entre aquarelles et gouaches, l’image est très dynamique et vraiment profonde. L’organisation de la page n’est jamais systématique et se décline entre petites cases et grandes surfaces. Impossible de s’ennuyer en tournant les pages de cette bande dessinée : tout est fait pour attirer et réveiller le regard. C’est une belle performance qui donne envie de lire la suite. Je l’attends avec impatience !

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Billevesée du dimanche #31

Aujourd’hui, séquence nostalgie…

L’an dernier, j’ai vécu à Mayotte pour raisons professionnelles pendant plusieurs mois. Je me suis régalée de plats locaux et de paysages superbes. J’ai aussi vécu les agitations sociales de l’automne, mais ce n’est pas le plus marquant de mon séjour. J’ai croisé beaucoup de bestioles que je n’ai pas l’habitude de voir sous mes latitudes parisiennes, notamment les moustiques. Mais les bêbêtes qui m’ont fait craquer, ce sont les MAKIS !

Oubliez les spécialités japonaises à base de poisson, je vous parle d’un mammifère arboricole endémique de l’île de Mayotte, de la famille des lémuriens. Les makis vivent principalement dans les arbres et mettent très rarement les pattes sur le sol. Ils se balancent de branche en branche et d’arbre en arbre avec une agilité époustouflante. Outre le fait qu’ils sont d’extraordinaires acrobates, ce sont aussi – et surtout – des gloutons insatiables. Certains Mahorais les considèrent comme des nuisibles, mais l’espèce étant protégée, il est interdit de les chasser et de les exterminer.

Si vous croisez ces adorables bestioles pelucheuses, n’hésitez pas à vous approcher. La première frousse passée, ils ne vous lâcheront plus si vous leur tendez quelques morceaux de fruits. C’est ainsi que je leur ai offert mes dernières pommes et oranges. Mes photos prouvent qu’il ne faut pas leur en promettre : les makis adorent manger ! Ma dernière photo, c’est celle d’une maman maki avec son petit accroché à son ventre, un peu à la façon des marsupiaux. Craquant, non ?

Gratouiller ces bestioles et visiter l’île au lagon vous tente ? N’hésitez pas à consulter les offres de Corsair pour vous rendre dans le tout dernier département français !

J’ai écrit ce billet dans le cadre du partenariat entre Canalblog et Corsair. Corsair est une compagnie aérienne qui vous emmène vers des destinations aussi diverses que Montréal, Mayotte ou Pointe-à-Pitre. Canalblog et Corsair proposent aux blogueurs de décrire leurs souvenirs de vacances et de tenter de gagner un aller-retour pour deux personnes vers l’une des destinations desservies par la compagnie aérienne. Toutes les informations dans cet article : Publiez vos impressions de voyage et repartez en voyage avec Corsair.

Amis blogueurs, vous pouvez aussi tenter votre chance, soit en publiant un billet comme le mien sur votre blog, soit en laissant un commentaire où vous décrivez vos propres souvenirs de vacances. Pour voir les modalités de participations, reportez-vous au lien précédent.

Toutes les photos de cet article sont ma propriété exclusive.

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Loin du centre

Premier roman de Jacques Braunstein. À paraître le 23 août 2012.

Le narrateur, DJ parisien d’une certaine notoriété, raconte à une jeune fille sa jeunesse dans les années 1980. « J’arrive à l’âge où chaque jour je m’invente un nouveau regret. Et je me laisse aller à les explorer. Ils me permettent de me replonger dans ma jeunesse passée. J’envisage ce que j’aurais pu ou dû faire. Ai-je fait les bons choix ? Pas toujours. D’autres auraient-ils été plus justes ou plus profitables ? Sans doute. Même s’ils n’auraient rien changé au fond. La délectation avec laquelle je m’abandonne à ces conjectures a quelque chose de morbide. Elles me détournent de ce qui aujourd’hui encore est jeune en moi, de ce qui est jeune dans le monde qui m’entoure. » (p. 11) Dans ce flot ininterrompu de paroles, de souvenirs et de réflexions, le narrateur revient sur la première vraie blessure de sa vie.

Un matin de printemps 1987, le narrateur s’est réveillé à côté de Sacha, la plus belle fille du lycée. Premier problème, il n’a aucun souvenir de la soirée. Deuxième problème, Sacha est morte. Pourtant, le lundi suivant, le jeune homme retourne dans la boîte à bac où il tente laborieusement de finir sa terminale, ne s’abstenant pas de sécher les cours et de fumer jusqu’au flou le plus profond. « Enfermés toute la journée, nous ne disposons que de nos soirées pour avoir dix-huit ans. » (p. 30) Pour le narrateur et ses amis, le plus important, c’est de pouvoir entrer en boîte : le Bus Palladium, les Bains-Douches, le Palace. Dans les lumières de la nuit et la musique des années 1980, entre rock et nouveaux sons, les adolescents font la découverte de la liberté, de l’ivresse et des filles. Mais vu deux décennies plus tard, le décor semble moins idyllique. « Peut-être que le Bus a toujours été comme ça, une boîte pour jeunes gens des beaux quartiers qui croyaient s’encanailler. Pour voyous et paumés qui pensaient côtoyer du beau monde. Le Bus n’était peut-être qu’un malentendu organisé. J’ai peut-être passé ma jeunesse sur un malentendu. » (p. 93)

Le narrateur cherche à comprendre ce qui est arrivé à Sacha, mais aussi à oublier ce terrible souvenir qui marque la fin de son insouciance. Et, comme tous les Parisiens, il vit dans l’angoisse diffuse des attentats qui secouent la capitale. « Ce printemps-là, j’oscillais constamment de l’abattement à l’euphorie, de la peur panique à l’indifférence. » (p. 74) L’adolescent se voudrait bohème, mais c’est difficile quand on vit de l’autre côté du périphérique alors que tous vos amis vivent intra-muros et sans compter. Être loin du centre, c’est être loin des boîtes de nuit, loin de la vie. Le degré de branchitude, avant l’heure, est inversement proportionnel au nombre de stations de RER qui séparent de Paris et des lieux où il faut se tenir. Avec le passage aux années 1990, tout pourrait devenir plus simple, mais le narrateur ne fait que glisser sur la même pente, celle que la mort de Sacha a initiée. « Mes souvenirs, j’en ai fait ce que je te raconte là, à force de revenir inlassablement sur cette poignée de réminiscences en désordre. Il n’y a pas d’autres témoins. Personne qui ait fait le lien à part moi. Je ne suis d’ailleurs pas le moins crédible. » (p. 25)

Loin du centre offre une peinture d’une époque, mais loin de l’image d’Épinal. C’est plus banal et plus sale, moins glorieux aussi, mais pas moins intéressant. Ce premier roman m’a rappelé celui de Jérôme Soligny, Je suis mort il y a vingt-cinq ans, toute en nostalgie douce-amère et souvenirs fervents. La musique y est omniprésente et les personnages sont impatients d’être jeunes et de tout goûter. La menace est explosive et elle peut surgir à chaque descente dans les souterrains parisiens. En suivant le narrateur, on découvre une géographie parisienne éclectique et débridée. Faut-il parler d’une génération désenchantée ? Oublions ce vocable à la mode et célébrons plutôt la jeunesse qui n’en finit pas de finir pour un peu qu’on se refuse à devenir sérieux. Loin du centre, près du cœur !

Merci à Christelle des  pour l’envoi de ce livre.

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Le ravissement de l’été

Roman de Luisa Etxenike.

Raul ne décolère pas depuis que sa mère lui a encore refusé de l’argent. Le jeune homme veut tout obtenir d’elle, son attention et sa fortune, mais il veut aussi se venger de cette femme si distante et méprisante. « Je devais découvrir à tout prix le passage menant à l’intimité de ma mère ; et une fois à l’intérieur, trouver son point faible, le fil lâche sur lequel tirer. Jusqu’à la défaire. » (p. 19) Raul ressasse un ressentiment qui remonte à l’enfance, à ces deux étés qu’il a passés avec sa famille dans un village des montagnes, avec pour seul guide Fermin, un enfant du pays. Pour assouvir sa vengeance, Raul sait qu’il doit retourner dans les montagnes et questionner Fermin. « Le village est tout près maintenant. Mais je conduis sans me presser. Justement parce que je suis anxieux, à l’affût. Au milieu de deux histoires, de deux époques qui m’appartiennent, comme dans le remous fécond d’une embouchure. » (p. 11)

La deuxième partie appartient à Fermin. C’est lui qui reprend la narration et qui évoque le souvenir de cet été où Isabel Urbieta, la mère de Raul, a fait de lui un homme. C’est Fermin qui est le lien entre le fils jaloux et la mère distante. Fermin s’est accompli dans la vigne et il voit le vin comme une promesse, une chance d’être digne de la seule femme de sa vie. La fin de l’histoire est l’œuvre d’Isabel. Mère indigne, elle ? Plutôt pleinement consciente de la nature de son enfant et luttant pour ne pas se laisser dévorer, ni par lui, par sa mémoire. Dans la dernière partie, Raul est presque absent, c’est à peine un souvenir qui s’efface déjà.

Chaque partie est racontée par un personnage différent. Ainsi, la même histoire est vue de trois points différents, transmise par trois mémoires qui se complètent et s’annulent. « Ce que je veux dire, c’est que raconter, ça change tout. On résume le souvenir, on le transforme en un point de vue. On l’affaiblit. On le réduit à une simple version des faits. » (p. 178) Le ravissement de l’été offre une touchante réflexion sur la mémoire et la validité des souvenirs. « Même le souvenir ne conserve pas les sensations. » (p. 168) Ainsi, le ravissement est à la fois le bonheur éblouissant du passage à la vie d’homme, mais aussi la perte de quelque chose. Comme dans l’œuvre de Marguerite Duras, le même terme désigne deux réalités qui ne sont pas si éloignées : dans l’extase, chacun se perd un peu.

Ce roman m’a beaucoup rappelé Mamita de Michel del Castillo. Tout part d’une mère indigne pour remonter vers le passé douloureux d’une femme blessée. De bourreau à victime, les rôles s’inversent, se partagent et se complètent. J’ai aimé cette histoire, même si j’ai trouvé la dernière partie confuse et la fin trop abrupte. Ce roman reste un très bon roman pour l’été.

Un grand merci à Christelle des  pour l’envoi de ce livre.

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Les mondes de Thorgal – Louve – Raïssa

Bande dessinée de Yann (scénario) et Roman Surzhenko (dessins).

Louve est la fille de Thorgal. Elle possède le don de parler aux animaux et de se faire comprendre d’eux. Elle rencontre une vieille louve qui a été chassée de sa meute par une congénère avide de puissance. « Tu sais quoi, Griz ? Moi, Louve, fille des étoiles, je vais t’aider à chasser cette Raïssa et à redevenir le chef de ton clan. » (p. 17) Mais ce n’est pas des loups dont Louve doit le plus se méfier. La part sauvage qui est en elle et qui effraie tant les humains est peut-être une puissance trop grande pour une petite fille.

À sa manière, Louve est aussi noble d’âme et courageuse que son père. Même si elle a peur, elle ne recule pas devant le danger. Mais au terme de cet épisode, la famille de Thorgal est définitivement séparée : l’archer est perdu dans les neiges du Nord, Jolan est auprès de Manthor, Aaricia reste seule dans le village du Northland, Aniel a disparu et Louve est captive d’un étrange domaine. J’espère que la suite permettra à tous ces chemins de se croiser. Il devient un peu lassant de courir sans cesse après les uns et les autres.

Roman Surzhenko s’adapte à merveille à l’univers graphique de Thorgal. Son trait rappelle les meilleurs albums de Rosinski. Pour ce qui est du scénario, il reprend des éléments de précédentes aventures et il en tire une intrigue très convaincante et bien menée. J’attends donc la suite avec impatience.

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Les mondes de Thorgal – Kriss de Valnor – Je n’oublie rien !

Bande dessinée de Giulio de Vita (dessins) et Yves Sente (scénario).

Kriss de Valnor est citée à comparaître devant le tribunal des Walkyries. Avant de décider si elle est digne d’entrer au paradis des guerriers, elle doit se soumettre au jugement de Freyja, la grande Walkyrie. « Nous ne savons pas qui tu étais avant que tu ne croises la route et ne pourrisses la vie du valeureux Thorgal. Si tu veux échapper à l’enfer, tu vas devoir me convaincre que tu mérites d’être sauvée. » (p. 8) Pour prouver sa valeur, Kriss de Valnor doit se rappeler l’enfant qu’elle était et expliquer comment elle est devenue cette froide et perfide guerrière solitaire.

Chercher du bon en Kriss de Valnor, c’est intéressant, mais c’est un peu dommage. J’aimais la vraie peste sans scrupule. En lui donnant un passé tourmenté, le scénariste suscite la compassion du lecteur. J’apprécie les rédemptions des vilains héros, mais Kriss de Valnor avait tout de même une certaine prestance en garce sanguinaire et cupide.

Le trait de Giulio de Vita rappelle celui de Rosinski et reste fidèle à l’esprit de la série Thorgal. Je lirai avec plaisir la suite du récit de la jeunesse de Kriss de Valnor. J’espère juste que les dieux d’Asgard ne décideront pas de lui offrir une nouvelle chance dans le monde des vivants !

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Billevesée du dimanche #30

Dans un journal, si vous cherchez les mentions légales obligatoires, il faut lire l’ours.

L’origine de ce terme reste floue. Pour certains, il s’agirait du surnom donné aux ouvriers pressiers chargés d’encrer les formes : leurs gestes lourds les faisaient ressembler aux animaux plantigrades. Pour d’autres, il s’agirait du terme anglais « les nôtres ». À vous de choisir !

Alors, billevesée ?

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Où je participe au prix Océans

France Ô a créé le prix France Ô, rebaptisé en prix Océans. Babelio proposait à ses membres de postuler pour intégrer le jury de lecteurs présidé par le grand Alain Mabanckou. J’ai tout récemment appris que ma candidature avait été retenue !

Voici la liste des livres en compétition, envoyé en trois fois. Le livre en gras est celui que j’ai sélectionné dans chaque envoi.

Mes camarades du jury et moi avons plusieurs mois pour lire cette alléchante sélection. Je vous donne rendez-vous tout au long de l’été pour découvrir mes avis sur ces livres et rendez-vous cet automne pour connaître le nom du lauréat.

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Thorgal – Série BD, suite

Bandes dessinées de Grzegorz Rosinski (dessins) et Yves Sente (scénario). Suite immédiate à la série Thorgal.

Moi, JolanJolan quitte les siens pour honorer sa promesse. Mais pour accomplir une destinée exceptionnelle, il doit définitivement quitter l’enfance et surmonter plusieurs épreuves. C’est à ce prix qu’il pourra fouler le seuil de l’initiation. Mais quatre autres candidats à l’initiation marchent également vers le château de Manthor. Face à l’adversité, le fils de Thorgal ne démérite jamais. « Moi, Jolan, je décide que je serai maître de mon destin. » (p. 48)

Séparé de sa famille, Jolan se montre digne de son père. Pendant ce temps, dans le Northland, Aaricia fait une surprenante découverte qui met en jeu l’avenir de sa famille.

Le bouclier de ThorJolan suit l’enseignement de Manthor avec d’autres jeunes gens aux pouvoirs extraordinaires. « Vous pénétrerez à Asgard et aurez alors trois jours pour passer la porte, rejoindre la forge de Thor, y dérober son bouclier d’airain et me le ramener. Celui qui réussira sera l’élu. » (p. 18) Par ailleurs, venue du fond des âges, une prophétie de magie rouge attend le retour de Kahaniel qui devrait se réincarner en Aniel, le fils de Thorgal et de Kriss.

Comme son père, Jolan fait montre de sa force physique, intellectuelle, mais aussi morale. Il n’a pas peur d’affronter les épreuves des dieux.

La bataille d’Asgard – Mathor charge Jolan d’aller quérir une pomme dans le verger d’Asgard. Le fruit doit permettre à la mère du mage rouge de retrouver son immortalité. Aidé d’une armée de curieux soldats, Jolan part dans le monde des dieux et il en rendra plus d’un mécontent. « Jolan Thorgalson ! Non seulement ton père a passé sa vie à perturber l’ordre des mondes en impliquant la gardienne des clés et même ma propre femme, mais il faut en plus que son propre fils s’introduise à Asgard pour remettre en cause les lois que j’ai établies ! » (p. 44)

La visite d’Asgard n’est pas une promenade de santé : entre dieux fourbes et colère divine, Jolan est fort occupé, d’autant plus qu’est venue l’heure de ses premiers émois amoureux. En parallèle et avec parcimonie, l’histoire de Thorgal se poursuit. Le guerrier pacifique n’a pas fini de voyager.

Le bateau-sabre  – Jolan et ses quatre compagnons ont suivi l’enseignement de Manthor. Le mage rouge leur apprend que le monde va connaître de terribles bouleversements au nom d’un dieu unique. Si certains doutent de la puissance d’une telle divinité, Jolan fait preuve de sagesse. « C’est parce que je suis allé à Asgard et que j’ai assisté aux disputes stériles de nos dieux que je ne sous-estime pas la force d’un dieu unique. » (p. 9) Manthor charge Jolan et ses compagnons de préserver les hommes du Nord et leurs croyances afin de sauver les dieux d’Asgard. Pendant ce temps, Thorgal poursuit sa route vers Bag-Dadh pour retrouver son fils Aniel.

Monothéisme catholique contre paganisme viking : l’intrigue s’éloigne des fantasmagories de la science-fiction et revient sur un terrain un peu plus historique et plausible. Mais tout cela reste entouré de magie rouge et de mystère. Jolan et Thorgal n’ont pas fini de courir les routes du monde pour sauver les leurs et préserver l’ordre ancestral des choses.

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Depuis l’album Moi, Jolan, c’est le fils qui est au centre, même si le père vit toujours de nombreuses aventures. Avec le changement de scénariste viennent un changement de point de vue et un souffle nouveau et salutaire pour relancer l’appétit et l’envie de suivre cette série.

J’attends toutefois de lire la suite de ses aventures pour être vraiment convaincue. Le jeune héros blond est valeureux, mais il a un côté propret que n’avait pas son père. Il lui manque, pour le moment, la part d’ombre qui fait de Thorgal un héros complet et complexe. En l’état, Jolan n’est qu’un jeune chevalier sans tache et sans reproche, encore trop insouciant et naïf. À suivre, avec toujours autant d’attention et – pour l’instant – de plaisir.

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Cycle d’Ernaut de Jérusalem – Les Pâques de sang

Roman de Yann Kervran.

Rappelez-vous, à la fin de La nef des loups, Ernaut et son frère Lambert avaient débarqué en Terre Sainte et prenaient le chemin de Jérusalem. Nous les retrouvons quelque temps plus tard. Lambert est alité pour cause de mauvaises fièvres et Ernaut assiste seul aux processions, réjouissances et cérémonies de la semaine pascale de l’année 1157. Jérusalem est grosse de fidèles venus en pèlerinage pour célébrer la résurrection du Christ. Mais les festivités sont soudain entachées du meurtre de plusieurs pèlerins, dont plusieurs femmes. « Des bruits de fête parvenaient des environs, ainsi que quelques senteurs épicées, évadées d’une arrière-cuisine, une douce quiétude semblait régner. Cette supposée tranquillité allait-elle une nouvelle fois dissimuler un horrible meurtre ? » (p. 113) Ernaut est chargé de retrouver la famille des victimes, mais il semble que le meurtrier soit déjà sur leurs traces. « Il finissait par croire qu’il n’arriverait jamais à rejoindre la famille des victimes, qu’il serait perpétuellement en chasse de leurs traces. » (p. 137) Qui peut bien en vouloir à d’anonymes pèlerins ? Sont-ce les Sarrazins ou quelque obscur criminel au motif honteux ?

Dans le deuxième volume du cycle d’Ernaut de Jérusalem, on croise quelques personnages rencontrés à bord du Falconus (voir La nef des loups), mais on s’attache surtout aux pas d’Ernaut, colosse de chair et d’âme. Ce n’est plus le jeune insouciant un peu lourdaud du premier tome. Le jeune homme modère maintenant ses emportements et il n’a plus besoin de la surveillance de son ainé. Mais les terribles évènements qui secouent la semaine sainte lui révèlent une part sombre qu’il ne se connaissait pas. Sa force est plus grande qu’il ne croyait et elle pourrait être effrayante. Ernaut envisage l’avenir différemment : est-il vraiment fait pour être un colon ? Un autre développement intéressant est celui de son attirance pour la jolie Libourc : un Ernaut amoureux, cela augure une intrigue intéressante pour le prochain volume.

Chaque chapitre s’ouvre sur quelques paragraphes en italique qui présentent Ernaut et ses réflexions après la conclusion de l’affaire. Ainsi, le lecteur perçoit que quelque chose a mal tourné dans la mission du jeune homme et que ce dernier est bourrelé de remords. Reste à savoir ce qui s’est passé. Et c’est tout le talent de Yann Kervran de susciter une vive curiosité sans rendre le lecteur impatient. L’auteur s’y entend pour créer une atmosphère et pour entraîner le lecteur à la suite de ses personnages. C’est avec un réel plaisir que j’ai suivi Ernaut dans ses nombreuses déambulations et courses à travers la ville sainte.

Voici un polar médiéval sur fond de religion qui est bien loin du mauvais Da Vinci Code de Dan Brown ! Preuve qu’il est possible d’avoir un arrière-plan religieux sans verser dans le fanatisme ou la théorie du complot catholique ! L’auteur distille discrètement quelques réflexions pertinentes sur la situation politique de la ville sainte, mais sans prendre parti. « Ici, à Jérusalem, on aurait dit que la cité tout entière avait été partagée comme une tourte entre les puissants ordres religieux, sans que personne n’y trouve rien à objecter. » (p. 243) C’est donc toujours un plaisir de lire la plume de Yann Kervran et de plonger dans ses très bons romans historiques.

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Thorgal – Série BD

Bande dessinée de Grzegorz Rosinski (dessins) et Jean Van Hamme (scénario).

Pas question ici de donner une critique pour chaque album de cette série. Je veux surtout vous donner envie de la lire.

La magicienne trahieParce qu’il aime Aaricia, la fille de Gandalf le Fou, Thorgal Aegirsson est en mauvaise posture. Pour sauver sa vie, il accepte de servir pendant un an une magicienne. Il doit l’aider à se venger du roi des Vinkings du Nord, celui-là même qui veut sa perte. Dans la deuxième aventure de cet album, Thorgal est prisonnier d’un étrange jardin où le temps semble suspendu. Ivre de liberté, il n’aspire qu’à retrouver son pays de glace.

Nous rencontrons donc le ténébreux et mystérieux Thorgal : « Nul ne sait d’où tu viens, pas même toi. Mais on te prétend le fils d’Aegir, le géant qui règne sous la mer… On te surnomme aussi « fils des orages », car des orages tu peux avoir la colère et le tumulte. » (p. 7) Pour avoir déjà lu plusieurs fois toutes les aventures du Viking, je vous assure que ce n’est pas peu dire.

L’île des mers geléesThorgal et Aaricia sont sur le point de se marier, mais un aigle enlève la fiancée et la livre à un redoutable et mystérieux seigneur casqué. Thorgal retrouve Slive, la magicienne du premier épisode, et il apprend l’existence d’une civilisation venue des étoiles. Et il apprend qu’il est un fils des étoiles, atterri sur terre par hasard. « Pars, maintenant, Thorgal Aegirsson, remonte vers le soleil puisque le destin aura voulu que tu ne sois qu’un homme parmi les hommes. » (p. 47)

Le passé de Thorgal s’esquisse lentement. Il aspire au bonheur avec Aaricia, mais rien ne dit qu’il pourra l’atteindre.

Les trois vieillards du pays d’AranThorgal et Aaricia sont mariés et ils ont quitté le village viking. En chemin, ils entrent dans le pays d’Aran où, sans le vouloir, Aaricia accomplit une prophétie. « Loués soient les dieux, la prophétie s’est accomplie : nous avons une reine ! Nous enverrons nos émissaires aux quatre points cardinaux pour lui trouver un roi droit et fort, et le pays d’Aran retrouvera sa prospérité perdue. » (p. 9) Pour retrouver sa femme, Thorgal doit la disputer à d’autres concurrents qui voudraient la prendre pour reine. Mais il doit surtout affronter les Bienveillants, trois étranges vieillards aux motivations secrètes.

Thorgal fait une nouvelle fois la preuve de son courage, de sa force, de son intelligence, mais aussi de sa noblesse d’âme. Il rencontre aussi la gardienne des clés qui sera une des protagonistes d’une de ses prochaines aventures.

La galère noireThorgal et Aaricia ont trouvé la paix dans une communauté de paysans et ils attendent leur premier enfant. Mais il semble que la tranquillité ne sera jamais pour eux. Une jeune fille jalouse accuse Thorgal d’être un traître et le voilà enchaîné sur une galère à la place de Galathorn, un être qui fait de l’ombre au successeur du pays de Brek Zarith. Pour retrouver Aaricia, Thorgal est prêt à tout et ses adversaires en font les frais. « J’avoue que tu me surprends de plus en plus. Quel genre d’homme es-tu Thorgal ? Que faut-il pour te faire renoncer ? » (p. 23)

Dans cet album, le dessin est plus maîtrisé et le visage de Thorgal commence à se fixer pour ressembler à ce qu’il sera définitivement. Je ne suis pas encore séduite par les couleurs, mais le dessinateur sait créer des univers entiers très crédibles.

Au-delà des ombresThorgal a perdu Aaricia et il erre comme une ombre, accompagné de Shaniah, responsable du désastre qui a clôt l’album précédent. Voilà qu’un sombre vieillard et Galathorn lui offrent de retrouver Aaricia. Pour cela, il doit s’aventurer dans un univers terrifiant. « Ce n’est donc pas dans le deuxième monde que Thorgal devra aller pour sauver Aaricia, mais au-delà, jusqu’à la mort elle-même. » (p. 16) Au-delà des frontières de la vie, Thorgal apprendra que l’existence est fragile, mais que certains jouent avec elle comme avec une pelote de fils.

Voilà le premier album de Thorgal qui m’enthousiasme vraiment : le héros y apparaît torturé, sans cesse déchiré entre deux mondes et deux volontés. Le ténébreux Thorgal n’a jamais tant de puissance que quand il est séparé de sa famille, luttant contre les puissances éternelles.

La chute de Brek ZarithLa quête de Thorgal se poursuit. Il atteint enfin la cité où sont retenus son épouse et son fils. Mais le maître des lieux, l’usurpateur Shardar, refuse de rendre leur liberté aux prisonniers. « J’étais venu chercher les miens sans armes et sans haine, Shardar. Mais tu es allé trop loin dans l’abomination. Libère ma femme ou je te transperce. » (p. 45) Les retrouvailles de Thorgal et de sa famille seront mouvementées. Et surtout, son fils Jolan semble doté de pouvoirs extraordinaires.

La paisible contrée où Thorgal et les siens pourront poser leurs bagages est encore bien lointaine. Dans cet album, Aaricia prend davantage d’épaisseur et s’impose comme un personnage à part entière.

L’enfant des étoilesCet album explore le passé de Thorgal, notamment sa découverte par les Vikings. L’enfant venu des étoiles, c’est lui et il a vécu ses premières aventures, fait ses premières armes alors qu’il n’était qu’un petit garçon. Et depuis toujours, Thorgal court après son identité et ses origines. « Regarde les étoiles, Thorgal, regarde-les de tout ton être, car ce sont elles qui t’apprendront d’où tu viens. » (p. 38) Au terme de ses premières aventures, nul ne sait ce que Thorgal découvrira et retiendra de son passé.

Avec cet abum, on se sent mieux armé pour lire la suite des aventures de Thorgal. Il n’est définitivement pas un Viking, mais son identité n’est pas plus claire pour autant.

Alinoë Thorgal et sa famille se sont installés sur une île isolée. Loin du monde, ils souhaitent vivre en paix. Mais le jeune Jolan s’ennuie et désespère d’avoir un ami. Et voilà que surgit Alinoë, un jeune garçon muet aux cheveux verts. Et il semble très lié aux pouvoirs dont Jolan a déjà fait montre. Plus inquiétant, le jeune étranger se montre violent. « C’est bien ce que je craignais. Alinoë n’existe pas vraiment… C’est toi qui l’as imaginé ! » (p. 24) Aaricia veut défendre son fils, mais elle se trouve démunie alors que Thorgal est parti pour plusieurs jours.

Cet album m’a beaucoup effrayée la première fois que j’ai lu. Il peut se lire comme une aventure indépendante, mais il révèle une partie des grands pouvoirs que Jolan a hérités de son père, descendant d’une race très évoluée.

Les archersPour racheter un bateau et rejoindre les siens, Thorgal participe à un concours d’archers. Il rencontre la redoutable Kriss de Valnor, tireuse à l’arc hors pair, mais surtout dotée d’une fureur sans pareille. « Je te tuerai pour ça, Thorgal Aegirsson ! J’y mettrai le temps qu’il faudra, mais je te tuerai. » (p. 24) L’enjeu du tournoi est une bourse de pièces d’or, mais Thorgal est face à de féroces adversaires. Et le chemin qui mène à sa famille est encore long.

Nous rencontrons enfin Kriss de Valnor, aussi belle que brutale et cupide. Elle est de ceux qu’il vaut mieux amadouer qu’affronter, mais Thorgal n’est pas de ceux qui plient le genou.

Le pays QâKriss de Valnor enlève Jolan et Pied-d’Arbre pour contraindre Thorgal à l’accompagner dans une mission dangereuse. « Vous aurez le souci non seulement de me suivre et de m’obéir, mais également de me protéger en toutes circonstances. Car s’il m’arrivait quoi que ce soit, vous n’auriez jamais aucun moyen d’espérer jamais revoir vos chers disparus. » (p. 12) Thorgal, Tjall et Aaricia embarquent pour le légendaire pays de Qâ, terre sur laquelle Ogotaï et Tanatloc se sont longtemps affrontés.

Les yeux de TanatlocCet album fait suite immédiate au précédent. Thorgal, Aaricia, Kriss et Tjall ont pénétré les territoires interdits et tentent de rejoindre la cité de Mayaxalt pour renverser Ogotaï, un être surpuissant. Mais cette aventure rapproche Thorgal de ses origines plus qu’il ne l’aurait cru. « Comment savez-vous tout ça, si vous n’êtes pas un vrai dieu ? Comment savez-vous d’où venaient les parents de Thorgal ? » (p. 22) Pendant ce temps, Jolan apprend de Tanatloc comment utiliser ses pouvoirs.

Une nouvelle fois, l’aventure s’arrête en pleine action. Rendez-vous au prochain épisode ! Qu’il est palpitant de remonter aux origines de l’histoire de Thorgal et de voir comment elle s’incarne en Jolan !

La cité du dieu perduL’expédition se poursuit. Arrivés à Mayaxalt, Thorgal et ses comparses auront fort à faire pour accomplir leur mission et rester en vie. Et Thorgal apprend que sa destinée n’appartient pas à ce monde : « Ton existence n’est pas inscrite dans les lignes essentielles tracées de toute éternité pour les hommes de la terre et les dieux s’en irritent, car il est inadmissible d’être et de ne pas être en un même temps. » (p. 37)

Nous savions que Thorgal venait des étoiles, mais pas qu’il irritait les dieux du nord. Peu à peu, la mythologie scandinave et la science-fiction se mêlent étroitement pour tracer le destin du héros. Rosinski et Van Hamme proposent une intrigue haletante et très originale.

Entre terre et lumièreLes Xinjin ont fait de Jolan leur nouveau dieu, pour remplacer Tanatloc. Alors que Thorgal et Aaricia veulent rejoindre leur île dans le Northland, leur fils refuse de quitter le pays de Qâ. Il est pourtant évident que les Xinjin doivent réapprendre à vivre sans dieu. « Sans doute nous sera-t-il plus facile d’honorer ton souvenir que de servir ta présence. » (p. 11) Mais tous les Xinjin ne pensent pas ainsi et l’un d’eux décide de supprimer les parents de Jolan. C’est compter sans Kriss de Valnor qui a plus d’une corde à son arc.

Aaricia– C’est dans le passé d’Aaricia que le lecteur est cette fois plongé. Et l’on découvre que l’enfant, princesse des Vikings du nord, est éprise de Thorgal depuis son plus jeune âge. « Quand je serai grande, je me marierai avec toi, comme ça, je pourrai m’occuper de ton ménage et rester avec toi. » (p. 24) La petite princesse connaît aussi des aventures sans pareilles, comme rencontrer un dieu ou faire un arc-en-ciel.

J’aime ce genre d’album. Après quatre albums passés en pays de Qâ, il est bon de faire une pause, de s’attacher plus précisément à un personnage et de revenir aux sources de l’histoire pour mieux appréhender les albums à venir.

Le maître des montagnes – Piégé par une avalanche, Thorgal se réfugie dans une bergerie abandonnée et rencontre le jeune Torric qui fuit les soldats de Saxegaard. Sans comprendre comment, Thorgal voyage dans le temps plusieurs fois et finit par rencontrer Saxegaard. « Les évènements que nous vivons découlent d’autres évènements qui se sont produits dans le passé. Si on change quelque chose à ces évènements passés, leurs conséquences dans le présent seront changées de même. » (p. 24) À cause d’une terrible histoire amour, Thorgal risque de rester pris dans les pièges du temps.

Si comme moi, vous vous perdez rapidement dans les récits de voyage dans le temps, bonne chance ! J’aime cet album, mais je le re-comprends chaque fois que je le lis. Un cercle temporel immuable, en somme…

Louve – Thorgal et les siens reviennent dans leur village d’origine. Aaricia est enceinte.   Ils croisent Wor le Magnifique qui prétend unifier tous les peuples vikings. Mais Thorgal refuse toujours de se soumettre à l’autorité des hommes brutaux. « On peut très bien être un homme sans vouloir à tout prix aller casser la tête de son voisin. Et les Vikings ne seront jamais un grand peuple tant qu’ils se contenteront de pillages et de massacres. » (p. 13) Tandis que Thorgal tente une nouvelle fois de protéger les siens, Aaricia accouche seule dans une tanière. Et ce sera une fille.

J’aime particulièrement les dessins et les couleurs de cet album : ils sont très sombres, mais ils laissent pressentir un grand espoir, un apaisement momentané.

La gardienne des clésOn retrouve Volsung de Nichor et la gardienne des clés. Le premier doit dérober à la seconde la ceinture qu’elle ne quitte jamais. Ainsi muni, Volsung se révèle invincible et il projette de se rendre maître des Vikings. Thorgal parvient à déjouer ce plan, mais il comprend que son destin le place sans cesse en danger, ainsi que sa famille. « Je t’aime, Aaricia, tu es ce que j’ai de plus précieux au monde. Et c’est précisément pour cela que je dois partir. » (p. 47)

Ici commence le long exil de Thorgal loin des siens. Désormais, leurs histoires se dérouleront en parallèle, se croisant parfois, jusqu’à ce que Thorgal ait réglé ses comptes avec les dieux.

L’épée-soleil – Loin de sa famille, Thorgal croise Orgoff l’invincible qui possède une épée fantastique. « On dit qu’il est allé jusqu’au soleil pour y chercher une épée magique faite de rayons de feu. » (p. 7) Fait prisonnier et contraint de travailler à l’édification d’un gigantesque bâtiment, Thorgal ne tarde pas à s’échapper. Il retrouve Kriss de Valnor qui veut s’emparer de l’épée d’Orgoff pour s’assurer puissance et richesse.

C’est un album intéressant, mais sans portée véritable, plus un intermède qu’une véritable aventure. Mais c’est toujours un plaisir de regarder les dessins de Rosinski.

La forteresse invisible – Thorgal décide de rentrer chez lui. En chemin, il rencontre la vieille Alayin qui lui conte une histoire sur les dieux. « C’est ainsi que depuis des millénaires d’éternité, prisonnière et gardienne à la fois de sa forteresse invisible, Taïmyr veille sans relâche sur le secret de la mémoire des dieux. » (p. 14) Pour trouver enfin le repos, Thorgal doit effacer son nom de la pierre où les dieux l’ont inscrit. Mais il doit aussi effacer sa mémoire : « Si tu ne tues pas tes souvenirs, ce sont eux qui te tueront. » (p. 42) Ainsi libéré, Thorgal pourra-t-il enfin trouver la paix ?

L’exil de Thorgal prend un nouveau visage : sans mémoire et sans passé, il n’a plus rien à quoi se raccrocher et son voyage est gouverné par une nouvelle puissance maléfique.

La marque des bannisDésormais amnésique, Thorgal écume les mers et les côtes vikings sous le Saîghan-sans-merci, assisté de Kriss de Valnor qui se prétend son épouse et le pousse aux pires exactions. Pour le peuple des Vikings du nord, Aaricia et ses enfants deviennent donc des traîtres et ils sont bannis du village. « Nul en terre viking ne pourra vous donner asile, ni vous porter assistance sous peine d’être banni à son tour. » (p. 12) En route vers leur ancienne île, Aaricia et Louve sont capturées par Kriss de Valnor. C’est désormais à Jolan de sauver les siens.

Le jeune Jolan n’est plus un petit garçon et il est temps pour lui de prouver sa valeur. Aussi brave et noble que son père, il allie la force du Viking et la puissance mentale de la race de Thorgal.

La couronne d’OgotaïJolan est toujours sur la trace de sa mère et de sa sœur. Il rencontre Jaax le Veilleur qui lui demande de l’aide : « Alors, qu’attends-tu de moi ? / Que tu m’aides à réparer une grave erreur commise par tes ancêtres. » (p. 11) Jolan doit retrouver la couronne d’Ogotaï pour éviter que le temps et l’histoire soient considérablement bouleversés. D’un saut dans le temps à un autre, il met tout en œuvre pour sauver sa famille.

Encore une histoire de voyage temporel. Comme toujours je m’y perds, mais avec un réel plaisir ! Jolan révèle un caractère aussi intrépide que celui de son père. Comme lui, il refuse de se plier aux règles et reste prêt à tout pour sauver les siens.

Géants Les drakkars de Kriss de Valnor et Shaïgan-sans-merci ont capturé Galathorn, le seigneur de Brek Zarith. Grâce à lui, Thorgal a peut-être une chance de retrouver la mémoire. « Tu as le même visage, le même regard, la même voix… et aussi la même petite cicatrice sur la pommette droite. » (p. 9) Une nouvelle fois, Frigg, l’épouse du grand Odin, offre son aide à Thorgal, à la condition qu’il se rende dans le pays des géants pour retrouver un trésor disparu.

Toujours le premier à se fourrer dans des aventures invraisemblables, Thorgal doit sa survie à son courage et à sa force, mais aussi à la bienveillance des dieux. Pas de doute, c’est un héros au sens très classique du terme : à la fois valeureux et noble, il agit toujours pour le bien de la communauté et jamais en son nom propre ou pour son seul intérêt.

La cage – Thorgal a compris qu’il n’aurait jamais dû quitter les siens, même pour les protéger. Il met enfin le pied sur l’île où vivent sa femme et ses enfants. Mais Aaricia refuse de laisser approcher et le garde en cage : elle ne croit pas que cet homme est son époux. « Tu n’as pas intérêt à te faire passer pour Thorgal, car je ne sais pas si je pourrai lui pardonner les larmes de souffrance et de haine que je versais chaque nuit. » (p. 28) Aaricia n’a pas oublié son esclavage auprès de Kriss de Valnor et elle se méfie plus de son cœur que de sa peur.

Enfin, Thorgal a retrouvé sa famille ! Home Sweet Home ? Pas vraiment… Thorgal est un peu l’Ulysse des mers du Nord : il ne retrouve sa Pénélope que pour mieux repartir. Son odyssée est sans fin.

Arachnéa – Thorgal et sa famille ont décidé de quitter les terres du nord. Mais leurs barques sont séparées. Thorgal et Louve s’échouent sur les terres d’Arachnopolis, où tout le monde vénère Arachnéa. La cité lui offre régulièrement de jeunes hommes et décide de sacrifier Thorgal. « Mais je n’ai pas l’intention d’offrir sa nuit de noces à votre prétendue déesse. » (p. 31) Thorgal n’est qu’un homme, mais il ne craint jamais d’affronter les dieux, quelle que soit leur origine.

Un peu de mythologie grecque pour le beau guerrier pacifique, c’est un pari réussi et une histoire très plaisante. Mais les araignées, non vraiment, ce n’est pas ma tasse de thé !

Le mal bleuCet album est raconté par Jolan : « Moi, je m’appelle Jolan. J’ai douze ans et je vais mourir. » (p. 3) Jolan a été mordu par un rat et une marque bleue s’étend sur tout son corps. Aaricia est également atteinte. Thorgal part à travers un étrange royaume pour trouver le remède qui sauvera les siens et toutes les victimes de l’étrange épidémie bleue.

Cette aventure est loin d’être l’une de mes préférées. Le schéma classique péripétie-dénouement est ici trop simpliste et l’univers créé autour de cette intrigue n’est pas vraiment original. Toutefois, les dessins sont toujours superbes.

Le royaume sous le sable – Aaricia aimerait rejoindre son pays. Après quelques hésitations, Thorgal accepte et comprend qu’il a déjà la contrée merveilleuse qu’il recherchait : « C’est toi, mon pays. Toi, Jolan et Louve, où que nous vivions… » (p. 8) Mais rien ne se passe jamais comme Thorgal le voudrait. Il trouve sur son chemin d’autres représentants du peuple des étoiles qui ne rêvent que d’asservir les hommes.

Décidément, le passé ne cesse jamais de courir après Thorgal. L’intrigue fait surgir du sable une mythique cité disparue, mais jamais le pouvoir et la richesse ne corrompront le fier guerrier.

Le barbareThorgal et sa famille ont été faits prisonniers. Sommés de servir un seigneur cruel, ils ne peuvent qu’obéir s’ils veulent survivre. « Tu n’es pas ici pour juger nos coutumes, barbare, mais pour obéir à ton maître. Tu n’es plus esclave, soit, mais souviens-toi du sort qui t’attend si tu quittes le palais. » (p.23) Une nouvelle fois, Thorgal doit participer à un tournoi pour sauver sa vie et les siens.

Une nouvelle fois, Thorgal est séparé des siens ! Bon, on prend la même histoire et on recommence. En tout cas, le Northland est encore loin !

Kriss de ValnorLaissé pour mort sur un îlot désertique, Thorgal est porté disparu. Aaricia et ses enfants ont été envoyés dans des mines d’argent qui sont surveillées par la perfide Kriss de Valnor. « Ne te méprends pas, Aaricia, cela fait plus d’un an que je suis ici, condamnée comme vous. » (p. 14) Pour sauver leur vie et retrouver Thorgal, Aaricia et Kriss n’auront d’autre choix que de s’allier.

Cet album marque-t-il vraiment la fin de Kriss de Valnor ? Rien n’est moins sûr. La toute dernière image est superbe et rappelle l’art amérindien.

Le sacrificeThorgal est toujours inconscient. Louve et Aniel sont brûlants de fièvre. Aaricia et son fils désespèrent de trouver asile et nourriture. Mais Vigrid, un jeune dieu, descend d’Asgard pour aider Aaricia et donner à Thorgal la chance de se sauver. Mais le guerrier n’aura que deux jours pour accomplir sa mission, sinon il mourra. Accompagné de Jolan, il passe une nouvelle fois dans le deuxième monde. « Aaricia m’a toujours dit que, quels que soient les difficultés et les dangers, tu n’abandonnais jamais. Qu’aucun obstacle ne te faisait peur et que tu luttais jusqu’au bout. » (p. 19) Ce que Thorgal ne sait pas, c’est que la plus grande des épreuves ne lui sera pas de celle qui se mène les armes à la main.

Il est émouvant de voir Thorgal vieillir. Ses temps blanchissent, son bras frémit un peu, mais son cœur reste vaillant et brave. Le flambeau est sur le point d’être transmis.

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Thorgal n’est pas un homme ordinaire. Cet archer aux dons exceptionnels n’use de son arme que pour se nourrir ou défendre les siens, pas pour tuer par plaisir. Sa force est sans pareille : dès les premières pages de sa première aventure, on le voit escalader une paroi enneigée à mains nues. Toutefois, bien qu’il soit taillé pour la guerre, il ne sera jamais un vrai Viking puisqu’il n’aspire qu’à vivre en paix auprès des siens. « Ni roi, ni esclave, mais un homme libre dont la seule attache était l’amour des siens. » (Le mal bleu, p. 5) Mais sa quête d’identité et la destinée que lui ont forgée les dieux l’éloignent sans cesse de cette quiétude à laquelle il aspire désespérément.

Comme la série de bandes dessinées Aria, dès les premiers albums, on entend les rumeurs et on voit les reliques d’une catastrophe qui a détruit une ancienne civilisation très développée, avec des technologies très abouties. Dans le monde primitif des Vikings ou du pays de Qâ, ces reliques sont élevées au rang d’objets divins et ceux qui en mésusent au rang de divinités. Mêler la mythologie scandinave et la science-fiction, ça fonctionne vraiment très bien, comme une osmose. Ceux qui n’aiment que modérément la science-fiction se régaleront des peintures de la culture scandinave. Et ceux que les mythes et légendes ennuient apprécieront que la science-fiction vienne dépoussiérer les vieilles histoires. Pour ma part, j’apprécie les deux et le plaisir de lecture n’en est que plus grand.

S’agissant des dessins, je n’aime pas beaucoup les premiers albums : le trait n’est pas fixé, les couleurs sont trop criardes. Mais rapidement, Rosinski acquiert une maturité qui s’accorde avec l’évolution du personnage central : le dessin devient plus grave, plus consistant et plus sombre. Comme très souvent, les vilains pas futés ne sont pas beaux et les perfides intelligents ont la gueule de l’emploi. Mais les gentils n’ont pas des gueules d’ange pour autant. J’apprécie que l’intrigue ne verse jamais dans un manichéisme simpliste. Certes, il y a des méchants très méchants, mais le parti pris est plutôt d’appuyer sur la part d’ombre de tous les personnages et surtout sur celle des protagonistes positifs.

J’ai commencé à lire cette série quand j’étais toute petite, quand je me faufilais en douce dans la bibliothèque parentale. Pendant longtemps, je n’ai plus ouvert ces albums et j’en gardais un souvenir confus et un peu effrayé. Les redécouvrir aujourd’hui est particulièrement plaisant : c’est comme retrouver des amis de longue date, reprendre le fil de leurs vies et découvrir de nouvelles histoires. Aux amateurs de séries et d’intrigues bien ficelées, je conseille vraiment l’œuvre de Rosinski et Van Hamme.

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Moon palace

Roman de Paul Auster.

Orphelin de mère et abandonné par son père, M. S. Fogg a été élevé par son oncle Victor. Quand M. S. est suffisamment grand pour vivre seul, Victor part sur les routes avec un groupe de musique, léguant de son vivant tous ses livres à son neveu, soit 1492 ouvrages. Seul à New York dans un appartement minable, sans ressource et refusant de travailler, M. S. vend tous les livres de son oncle après les avoir lus. Le jeune homme décide d’atteindre un niveau de conscience supérieur en laissant sa vie se dérouler sans rien tenter pour enrayer sa chute. « Je ferais de ma vie une œuvre d’art, me sacrifiant à ce paradoxe raffiné : chaque souffle de vie me préparerait à mieux savourer ma propre fin. » (p. 42) Seul, pauvre et sublimement désespéré, M. S. attend l’éclipse de lui-même.

Pendant des semaines, il erre dans Central Park, se nourrissant de ce qu’il trouve dans les poubelles et de ce que lui offre la générosité des passants. « J’étais la preuve vivante que le système avait échoué, que le pays béat et suralimenté de l’abondance se lézardait enfin. » (p. 103) Arrivé aux portes de la vie, l’expérience de Fogg s’achève grâce à l’aide de son ami Zimmer et de la jolie Kitty. Une fois remis, M. S. trouve un emploi d’homme de compagnie pour un vieillard aveugle, infirme et fantasque. Au service de Thomas Effing, M. S. apprend à se servir des mots pour dire les choses vraies. « Les mots ont plus d’exigences que cela, on rencontre trop d’échecs pour se réjouir d’un succès occasionnel. » (p. 195) Au-delà des mots qu’il lit et des choses qu’il décrit, le jeune homme doit aussi apprendre à écouter. Le vieux Effing souhaite écrire sa nécrologie avant sa mort. Mais pour ce faire, il entreprend le récit de ses jeunes années et raconte comment il est devenu ce vieil homme aveugle et paralytique. Finalement, dans la troisième partie du roman, M. S. Fogg retrouve son père et retrace toute l’histoire familiale.

Pas facile de se retrouver dans ce roman polymorphe. Ce qui semble d’abord être le récit initiatique de Fogg devient la métamorphose d’Effing qui aboutit à l’éclosion finale de Fogg. Au gré des récits enchâssés, la mythologie familiale dont est issu M. S. Fogg se dessine et le hasard en est bien absent. Des années 1960 aux années 1970, le jeune homme accomplit plusieurs révolutions, mais pas autour du soleil : autour de la lune. L’astre de nuit est omniprésent, qu’il s’agisse d’une enseigne lumineuse ou du message contenu dans un biscuit chinois. J’ai assez peu compris cette obsession pour la lune, mais il est certain qu’elle influence sans fin l’existence de M. S. Fogg.

Même si beaucoup d’éléments m’ont échappé, j’ai aimé cette lecture et l’écriture de Paul Auster. Voilà un texte assez tordu qui devrait plaire aux adeptes du genre.

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Billevesée du dimanche #29

Billevesée particulière : je réponds aujourd’hui au tag de Daniel. Il est question du dico des blogueurs.

1. Trouver un mot ou une expression, éventuellement en rapport avec le blogging.

2. Lui donner une définition avec un exemple, et en tirer un billet sur son blog.

3. Indiquer le lien vers son propre billet chez Bembelly qui collecte les définitions.

4. Taguer un certain nombre de collègues de la blogosphère, afin de les inviter à participer au Dico des blogueurs.

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1. Je choisis le mot SCREUGNEUGNEU. Je vous assure que c’est un mot !

2. SCREUGNEUGNEU – Vive exclamation que la Lili Galipette, animal qui furète régulièrement sur la blogosphère, lance fréquemment quand quelque chose ne se déroule pas comme elle le voudrait. Ex : « Screugneugneu », s’exclama Lili Galipette, quand la touche A de son clavier sauta pour la quatrième fois de la journée !

3. C’est fait.

4. Nan, sans façon. Il y a un contrat sur ma tête ! Screugneugneu !

Alors, billevesée ?

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Les braises

Roman de Sandor Marai.

Un vieux général reçoit une lettre. En quelques mots, 41 ans d’attente s’effacent. Le vieil homme met tout en œuvre pour organiser une soirée et un repas commémoratifs. En attendant son hôte, le général plonge dans ses souvenirs. Le jeune Henri s’était pris d’amitié pour son camarade Conrad, moins nanti que lui. « Leur amitié était profonde, grave comme les sentiments qui doivent durer une vie entière. Et, comme dans toute grande affection, il s’y mêlait un sentiment de pudeur et de culpabilité. On ne peut, en effet, voler impunément de ses proches nul être humain. » (p. 36) C’est évident, l’amitié qui unit les deux garçons est dévorante : Henri ne peut pas vivre seul et sans affection, et il s’engage sans mesure dans ce lien exclusif. « Ayant une grande affection l’un pour l’autre, ils se pardonnaient leur défaut capital : Conrad à son ami pardonnait sa fortune et le fils de l’officier de la Garde à Conrad, sa pauvreté. » (p. 57)

41 ans après une funeste partie de chasse et une soirée décisive, le général retrouve enfin Conrad. Entre eux se dressent quatre décennies d’attente, de rancune et rancœur. Se dresse aussi le souvenir de Christine qui, semble-t-il, n’a pas pu se résoudre à choisir entre les deux hommes. Mais qu’en est-il vraiment ? « Christine elle-même n’a pas dit la vérité. Conrad peut-être. Oui, peut-être la connaissait-il. » (p. 68) Henri a des questions et attend des réponses. Pourquoi Conrad est-il parti si vite ? L’a-t-il vraiment trahi ? Surtout, Henri en veut à Conrad et à sa fierté d’avoir laisser l’argent se dresser entre eux. « Tu n’as jamais accepté d’argent de moi, tu refusais le moindre cadeau. Tu n’as pas voulu que notre amitié devint une véritable fraternité. » (p. 131) Le face à face entre les vieux amis est glacial et inexorable. Se dessine une amitié qui a semé ses propres embuches.

Ce long dialogue sur l’amitié m’a tout d’abord enthousiasmé, puis vivement agacée. Il ne s’agit en fait que d’un monologue puisque Conrad répond à peine, qu’il renvoie le général à ses questions. Finalement, trop de mystères restent non résolus. Le style de l’auteur est superbe, très noir et étouffant. Mais les braises qu’il a remué pendant tant de pages n’ont rien réchauffé et surtout pas mon attention.

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The Beats – Anthologie graphique

Anthologie graphique sous la direction d’Harvey Pekar, Ed Piskor et Paul Buhle.

« Le livre que vous avez entre les mains est une bande dessinée qui n’est ni une étude en profondeur, ni l’interprétation littéraire, d’ailleurs déjà proposées par des centaines de livres universitaires dans différentes langues. Il possède par contre une qualité en accord avec la popularisation vernaculaire des Beats. » (p. 5) Ainsi parle l’avant-propos avant de laisser place à de nombreux portraits.

Ce sont des biographies sincères, pas forcément flatteuses, mais pleines de respect, que livrent les auteurs. Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William S. Burroughs, les trois pères du mouvement beat sont présentés au travers de leurs influences littéraires et musicales. « “Beat », … ça veut dire crevé, mais c’est aussi la base des mots “béatifique”, “béatitude”. » (p. 19) Drogues, alcool, (homo)-sexualité, excès, spiritualité, pacifisme : les Beats touchaient à tous et contestaient en créant autre chose et autrement.

L’anthologie, sous la plume de plusieurs dessinateurs, présente la scène artistique et intellectuelle de San Francisco. Un des points névralgiques de ce renouveau, c’est la librairie City Lights : « City Lights n’est pas seulement une librairie et une maison d’édition, c’est un lieu public historique et un centre culturel international. » (p. 124) La baie est un creuset qui a abrité de nombreuses personnalités poétiques et musicales, comme Kenneth Patchen, Diane di Prima, Leroy Jones ou Gary Snyder. Les écrivains de la beat génération n’ont pas été les premiers à chercher un renouveau créatif, mais ils l’ont fait de telle manière qu’ils ont durablement marqué l’histoire. « Les Beats révolutionnent la culture et la conscience américaines. Ils démocratisent la poésie, ressuscitent la tradition orale et la sortent de l’université pour l’amener dans la rue. » (p. 131)

Les deux premiers tiers de l’ouvrage sont de la plume d’Harvey Pekar, Ed Piskor et Paul Buhle. Les auteurs sont convaincus et enthousiastes : ils ont lu les Beats et ils apprécient sans détour leurs œuvres. L’image, en noir et blanc, ressemble beaucoup aux comics américains. Les visages sont puissamment expressifs et évoquent des héros borderline. Le dernier tiers est l’œuvre d’autres dessinateurs qui s’expriment avec folie et liberté, sans complexe, ni contrainte, à la façon des Beats.

Cette anthologie graphique pourrait devenir ma bible sur la question Beat. Elle ne se prétend pas exhaustive, mais elle respecte l’esprit Beat et c’est finalement ce qui compte. Les éditions Emmanuel Proust ont aussi publié le roman graphique que je vous recommande souvent ici : Jim Morrison, poète du chaos, de Frédéric Bertocchini. Cette maison d’édition ne travaille pas sur les légendes, mais sur le fond des choses et sur les sources. Aucun doute : je vais étudier de près (et rapidement) le catalogue de cette maison d’édition !

Cette lecture est un pendant intéressant à ma lecture de Sur la route de Jack Kerouac et au visionnage du film de Walter Salles.

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Billevesée du dimanche #28

Le pique-nique reste un moment convivial incontournable de l’été. Sortons les nappes, les paniers et tout ce qui est bon et direction les parcs, les berges et les sous-bois !

L’étymologie du mot ne trompe pas : on sait où l’on va avec ce mot ! Il s’agit de picorer (pique) des petites choses (nique). Mais attention, à trop picorer de petites choses, on peut quand même faire un gros repas.

Alors, billevesée ?

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Carnet de Corée

Ouvrage de Serge Delaive.

En rangeant une armoire, Serge Delaive retrouve le carnet qui l’a accompagné lors de son séjour en Corée du Sud. Il était parti avec son épouse Sandra et leurs deux enfants à la rencontre de la famille biologique de Sandra, adoptée dans les années 1960. « À la fin des années 1960, les enfants coréens représentaient le meilleur rapport qualité-prix sur le marché, ils étaient vite “servis” et culturellement acceptables en Occident. Alors ils ont été livrés en masse. » (p. 42) Au gré des notes prises sur le carnet, on comprend que Serge et Sandra ont déjà séjourné deux fois en Corée du Sud pour retrouver la mère naturelle de Sandra.

« Occidental en goguette, naïf, qui note au vol ce qu’il saisit à l’avant-plan d’un tableau dont la perspective atteint une profondeur inouïe. Mais le flâneur au sens baudelairien reconnecte ses neurones. Se dégage de la boue encombrante. » (p. 62) Serge Delaive est un observateur modeste, mais alerte, qui sait garder sa place et qui sait que l’expérience de son épouse ne sera jamais la sienne. Il l’accompagne, il la regarde, mais cette histoire d’adoption et retour aux origines ne sera que celle de Sandra. Alors, pour Serge, le voyage est un dépaysement assumé, la quête d’un ailleurs différent des cartes postales. « Je cherche un exotisme différent, niché dans le quotidien, le détail saugrenu. » (p. 64)

On découvre la Corée du Sud, territoire coupé de son homologue du Nord. Le pays a été profondément marqué par l’occupation japonaise, mais il témoigne également d’un élan vers l’Occident. « Ceci marque la singularité de la culture coréenne : à la fois endogène, très particulière, construite au fil des siècles, mais aussi ouverte au monde, consciente de son étrangeté au sens premier du terme. » (p. 117) À lire Serge Delaive, j’ai eu l’impression d’un pays caméléon, à la fois attaché à son passé, mais aussi acteur de son futur. Également caméléon du fait de ses enfants adoptés qui reviennent – ou pas – et qui composent une population à cheval, entre deux terres.

Le carnet de voyage n’est pas que géographique, il est aussi intime. Il retrace un périple à rebours du temps, vers une autre culture et peut-être vers une autre identité – une identité augmentée – pour Sandra. La langue de Serge est libre, immédiate. On ressent vraiment la légèreté des réflexions jetées sur le carnet. Mais légèreté n’est pas pauvreté : l’évanescence des idées est celle des nuages qui s’accroche aux cimes, éternelle et éphémère. En marge du carnet, Serge Delaive livre des réflexions sur le voyage, son sens et la place du voyageur. « Le voyage en tant que radicalité contradictoire : à la fois en apnée dans le monde et aux marges d’un monde inaccessible. À l’extérieur complètement, en absence, mais en même temps, tellement là. L’expérience de la solitude entre douleur et extase. Quand ouverture rime avec barrières infranchissables. Alors nous sommes tels qu’en nous-mêmes, notre identité et notre étrangeté confondues. » (p. 126) Partir, mourir un peu ? Plutôt renaître, mais ailleurs.

Le texte s’agrémente de photographies en couleurs ou en noir et blanc. Il y a des petits clichés ou des images en pleines pages. Entre paysages, portraits, clichés insolites et instants pris sur le vif, la photographie remplace ce qui était autrefois l’aquarelle ou le fusain. L’équilibre est parfait, voire logique. Pour illustrer ce carnet de voyage moderne et décomplexé, la photographie est parfaitement légitime en ce qu’elle a d’instantané, mais aussi parce que, comme l’auteur, elle pose un regard neuf et sans cesse renouvelé sur les choses. Le Carnet de Corée de Serge Delaive se lit en douceur. Ne cherchez pas un guide de voyage ou une biographie, ce récit est atypique. Mais oublions les qualificatifs littéraires et disons ce qui est : Carnet de Corée est un beau texte qui m’a offert une escapade émouvante et dépaysante.

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Platon

Essai de François Châtelet.

« Platon est mort il y a vingt-trois siècles. Quel intérêt y a-t-il donc, pour nous qui sommes plongés dans les problèmes confus et complexes de la civilisation technicienne, problèmes dont l’étrange et constante nouveauté ne cesse de nous exalter et de nous accabler, à interroger un penseur si lointain, si évidemment vieilli ? » (p. 13) L’auteur présente la pensée de Platon, ainsi qu’une certaine histoire du platonisme. En projetant cette philosophie antique sur le monde moderne, il interroge ce dernier et donne des voies de réflexion. « Le platonisme définit une autre voie autrement fructueuse : celle d’une pensée que, par la médiation du discours dialogué de l’assentiment d’autrui et de la recherche de soi, prenant appui sur les bribes d’être subsistant au sein de ce faux être qu’est le monde naturel, cherche à découvrir, au-delà, l’Être véritable. » (p. 21)

Platon, après Socrate, a fondé sa pensée sur le logos que l’on traduit par dialogue ou discours. « De Socrate, Platon a appris qu’il fallait dialoguer non pour dire, mais pour laisser l’autre éprouver peu à peu l’inutilité, le vide de son discours. » (p. 24) Le dialogue permet de faire la différence entre l’opinion et le savoir. Le discours permet à l’homme de se libérer de la sujétion du sensible pour atteindre la vérité. Mais parler s’apprend : « Ainsi l’Idée est l’envers de la chose, c’est à considérer cet envers comme l’endroit authentique qu’invite la philosophie. » (p. 159)

François Châtelet présente aussi l’histoire de la Grèce telle que la concevait Platon. Le philosophe critiquait les fondements injustes de la démocratie. « Née d’une spoliation, elle s’achève par une spoliation. Le processus de dégénérescence est clair : les riches sont constamment dépouillés de leurs biens qu’on distribue au petit peuple. » (p. 79) Selon lui, la philosophie est en quelque sorte un sophisme : elle poursuit un but d’égalité, mais se fonde sur un passé d’injustice et de violence hérité d’autres régimes politiques. « Timocratie, oligarchie, démocratie, tyrannie, telles sont les étapes qui jalonnent le chemin nécessaire de la corruption. » (p. 82)

Par cette initiation à la philosophie de Platon, François Châtelet donne envie de découvrir les textes de l’auteur antique, de faire siens les mots et la pensée du fondateur de toute philosophie. Cet essai est brillant, mais également complexe. François Châtelet développe son propos en prenant de nombreux détours. Finalement, la conclusion est évidente, flagrante, mais il ne faut pas avoir manqué une étape.

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Les racines du yucca

Roman de Koulsy Lamko. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Le narrateur est un écrivain allergique au papier. « Tout bien pesé, mon allergie au papier n’était peut-être qu’un syndrome parmi tant d’autres. Le syndrome de l’impasse ! » (p. 257) Son médecin lui conseille de voyager, de quitter son quotidien et son confort pour combattre ses manies et ses phobies. L’écrivain part pour le Yucatan, pour animer des ateliers d’écriture. Là-bas, il rencontre Teresa qui lui présente le journal de guerre qu’elle a écrit pendant la guerre du Guatemala dans les années 1980. « Je tenais à apporter mon concours à la réécriture de son texte. » (p. 38) Il y a aussi Maria qui lui confie sa jeunesse malmenée et qui s’est jurée de ne plus se laisser faire.

Puisque le papier le repousse et peut lui être fatal, l’écrivain apprend à aligner les mots autrement. Face à lui-même et à sa voix, il dépose ses phrases dans un dictaphone, manuscrit moderne. Il décide de raconter l’histoire de Léa, une amie d’antan au destin ambigu. « J’eus l’intime conviction de ce que ni mon livre sur Léa mon amis d’enfance, ni le travail d’accompagnement que j’exerçais auprès de Teresa ne se feraient dans la sérénité d’un témoignage certes douloureux, mais inoffensif. » (p. 67) Écrire est chagrin, torture intime, crime contre soi-même. Le narrateur déploie sans fatuité une réflexion complexe sur l’écriture, les personnages et la place de l’auteur. « La pause descriptive. Quand le décor est héros, l’on n’invente plus, l’on décrit simplement en faisant taire sa propre imagination. Ne pas se priver de poésie quand la nature réclame d’être peinte en vrai. Mentir vrai, c’est aussi cela l’art du poète-romancier. » (p. 59)

L’auteur est un Africain exilé en Amérique latine qui n’oublie pas sa terre d’origine, aussi violente et perturbée soit-elle. « Dans mon pays de merde que j’adore (et qui se trouve être également le pays de Léa), le vice est magnifié, la vertu ridiculisée. » (p. 135) Mais ce que l’auteur découvre ou comprend auprès de Teresa et Maria, c’est que partout, le monde n’est que guerre et brutalité. L’écriture et la littérature ne protègent pas, mais elles conservent la fierté et le libre arbitre : elles offrent à l’homme qui sait manier les mots de se dresser contre l’innommable. Mais encore faut-il respecter la parole, ne pas la galvauder et ne pas la gaspiller.

Koulsky Lamko signe un texte superbe aux accents humanistes. Mais j’ai souvent été gênée par le rythme dolent du récit. Au gré des chapitres, parfois, je me suis ennuyée, en dépit de quelques passages éblouissants. Une lecture en demi-teinte et je m’en accuse : ce texte aurait mérité une lecture au calme, mais je l’ai parcouru dans un contexte agité. Il faudra que j’y revienne.

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Romain le lapin magicien

Album d’Antoon Krings.

Benjamin le lutin est furieux : quelqu’un lui chipe ses légumes dans son potager. « Ça sent le clapier à plein nez. » Et c’est sûrement Arsène Lapin, un gentleman rongeur qui a déjà visité son jardin. Quelle n’est pas la surprise de Benjamin quand il trouve un chapeau haut de forme entre les rangs de choux-fleurs ! Et deux oreilles blanches qui en dépassent ! « Une petite bête effarouchée apparaît enfin et bondit hors du chapeau : – Non, pitié ! Pas les oreilles ! » Il s’agit de Romain, un lapin magicien très élégant avec un nœud papillon noir. Mais Romain a besoin d’un partenaire pour réaliser son tour : « Il faut un lapin et un magicien pour sortir le lapin du chapeau. »

Benjamin et Romain décident de s’associer, mais à une condition : Benjamin ne doit pas tirer sur les oreilles de Romain. « C’est douloureux et très humiliant pour un lapin. » Après quelques répétitions, Benjamin a hâte de présenter son nouveau talent à tous ses amis. Saura-t-il tenir sa promesse à Romain pendant la représentation ?

Quand je vous disais qu’il ne fallait pas tirer sur les oreilles des lapins ! En cherchant un peu, la morale de cette histoire pourrait être qu’il faut respecter les demandes de ses amis et les promesses qu’on leur fait. Mais prenez surtout cet album pour ce qu’il est : l’occasion de regarder un joli lapin sous toutes les coutures ! Antoon Krings est particulièrement doué pour représenter des animaux et sa collection Drôles de Petites Bêtes est un plaisir pour les jeunes (et les moins jeunes) lecteurs ! Et je note qu’un album de cette jolie petite collection s’intitule Adrien le lapin. Et si mes yeux ne me trompent pas, ce petit animal-là est en chocolat…

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Malta Hanina

Roman de Daniel Rondeau. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Daniel Rondeau a été ambassadeur de France à Malte. À la lecture des premières pages, je craignais une autobiographie diplomatique et politique. Il n’en est rien. L’auteur ne se raconte pas, il a trouvé un sujet bien meilleur. « C’est cette petite république catholique dont je veux parler, raconter ce cœur précis des eaux, qui semble dériver sans mourir au fil du temps, et ne réclame à aucun Européen d’abdiquer ses souvenirs. » (p. 16) Mais le texte n’est pas qu’une description de l’île, c’est avant tout une déambulation amoureuse et érudite sur un petit territoire qui semble être le point vers lequel pointent toutes les boussoles.

« Le faucon maltais est celui que les chevaliers avaient pour obligation de donner, chaque année, pour la Toussaint, au vice-roi de Sicile en seule contrepartie du don que Charles Quint leur avait fait de l’archipel. Cette obligation a toujours été honorée. […] Le reste est littérature (Dashiell Hammet) ou cinéma (John Huston). » (p. 244 & 245) Loin des fantasmes qui entourent l’histoire de ce caillou, Daniel Rondeau raconte une Malte généreuse (Malta Hanina), accueillante, solaire et fière. Dans les jardins de Malte, on trouve des lauriers, des oliviers et des orangers. Dans ses rues, on trouve de nombreux Chrétiens, mais tout autant de Juifs et de Musulmans qui composent un peuple qui vit depuis toujours en harmonie. L’île est singulière par sa position géographique, mais aussi par son histoire. « Les deux piliers de l’identité maltaise : la religion et la langue. » (p. 218)

Mais Daniel Rondeau ne raconte pas que Malte : il évoque des ailleurs et des autres hommes, des légendes et des histoires qui toujours le ramènent à Malte. Le récit de l’auteur me fait l’effet d’une sage mémoire qui veut se révéler et dévoiler la vérité. Avec sa plume élégante et son érudition discrète, Daniel Rondeau écrit ce que je considère être une biographie de Malte : l’île est présentée comme une terre vivante que des hommes illustres ont foulée. En racontant la vie de ces personnages, l’auteur déroule celle de Malte, joyau et forteresse aux confins de la Méditerranée. Malta Hanina est un très beau récit avec des airs de prose poétique, mais, même si l’auteur ne se met au centre, le texte reste très personnel et attaché à une expérience particulière. À moins de visiter cette île, je ne pense pas pouvoir comprendre réellement le récit. Mais c’est peu dire que Daniel Rondeau donne envie de rencontrer Malte !

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Notre-Dame du Nil

Roman de Scholastique Mukasonga. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Au Rwanda, le lycée de Notre-Dame du Nil veut former l’élite féminine de demain. Il s’agit surtout de préserver la virginité de ces filles qui feront l’objet de mariages glorieux ou juteux. Pour une famille rwandaise, une fille représente une richesse précieuse. « Elle était assurée que sa fille recevrait au lycée Notre-Dame du Nil l’éducation démocratique et chrétienne qui convenait à l’élite féminine d’un pays qui avait fait la révolution sociale qui l’avait débarrassé des injustices féodales. » (p. 28) Perdu dans les montagnes et situé tout près de la source du Nil, l’établissement accueille un quota de filles issues de l’ethnie tutsie, mais cela ne plaît pas à toutes les élèves. Le microcosme du lycée reproduit naturellement la société rwandaise et les élèves Hutu dédaignent leurs camarades tutsis. Parmi elles, Gloriosa se voit déjà à la tête du parti du peuple majoritaire. Mais il y a aussi Immaculée la rebelle, Modesta la métisse, Véronica la rêveuse et Virginia qui ne pleure jamais.

Non loin du lycée, le vieux M. de Fontenaille est obsédé par l’ethnie tutsie et il est persuadé d’avoir trouvé l’incarnation de la déesse Isis. « Dans leur exode […], les Tutsi avaient perdu la Mémoire. Ils avaient conservé leurs vaches, leur noble prestance, la beauté de leurs filles, mais ils avaient perdu la Mémoire. Ils ne savaient plus d’où ils venaient, qui ils étaient. » (p. 72) Fontenaille en est persuadé : les Tutsi sont les descendants des pharaons noirs de Méroé.  Étrangement, tout le monde croit détenir sa propre vérité sur les Tutsi, mais ce sont encore eux les plus lucides. « J’ai aussi appris que les Tutsi ne sont pas des humains : ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes. » (p. 153) Leur histoire est aussi mystérieuse que le sang mensuel des femmes et la statue de Notre-Dame du Nil. Est-elle une ancienne vierge belge peinte en noir ? Une Tutsi ? Une Hutu ? Une déesse égyptienne ?

Le Rwanda veut écrire sa propre histoire loin des Belges et loin des blancs, mais les dérives ne sont pas loin et même les plus jeunes en ont conscience. « Mon père dit qu’on ne doit jamais oublier de faire peur au peuple. » (p. 186) Dans ce pays nouvellement débarrassé de la domination européenne, tous les moyens sont bons pour s’emparer du pouvoir et le garder : « Ce n’est pas des mensonges, c’est de la politique. » (p. 194) Rescapée des massacres qui ont ensanglanté le Rwanda, l’auteure mêle avec talent l’histoire légendaire des Tutsi de l’époque pharaonique à l’histoire contemporaine. On voudrait croire que le roman n’est que fiction, mais les accents de la vérité ne trompent pas. Ce qui passe dans l’enceinte du lycée Notre-Dame du Nil n’est pas un beau catéchisme ou une légende antique, ce n’est que l’expression banalement terrible d’un peuple qui se perd en croyant affirmer son identité.

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Billevesée du dimanche #27

La serrure est un dispositif de fermeture qui ne peut s’ouvrir qu’avec la clé correspondante. Cette semaine, j’ai quitté le monde des Bisounours et j’ai appris qu’on pouvait aussi l’ouvrir avec n’importe quoi quand on est animé de très mauvais sentiments.

Sachant que Saint Éloi est le patron des serruriers, mais aussi de tous ceux qui manient un marteau, dois-je comprendre qu’il est aussi le saint patron du sal..aud qui a tenté de forcer ma porte ? Y a des jours comme ça où je suis à deux doigts de ne plus avoir la foi…

Alors, billevesée ?

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Tangente vers l’Est

Roman de Maylis de Kerangal. Lu dans le cadre du Prix Océans.

Aliocha et Hélène se retrouvent dans le même wagon du Transsibérien. Le premier est un conscrit russe qui fuit l’appel, la seconde est une Française qui fuit un homme, voire une vie. À bord du train, chacun déserte et part vers l’Est pour un nouveau destin. « Le Transsibérien. La ligne mythique : deux rails en forme de ligne de fuite qui la conduiraient jusqu’au Pacifique. La piste de la liberté qui donnait sur l’océan. » (p. 62) Aliocha et Hélène ne se connaissent pas, mais entre eux s’établit une connivence inattendue qui dépasse la langue et les histoires personnelles. En aidant Aliocha, c’est un peu elle-même qu’Hélène tente de sauver. Mais la liberté est lointaine, tout au bout des rails et le terminus est une promesse incertaine. « Quinze minutes, c’est une éternité pour qui se tient caché dans les chiottes d’un train derrière une porte qui peut s’ouvrir à chaque instant. » (p. 108)

Ce très court roman m’a rappelé Le canapé rouge de Michèle Lesbre. Des personnages se croisent dans les wagons d’un train qui n’en finit pas d’avaler des rails. Ces héros voyageurs traînent avec eux de passés pas forcément tragiques, mais très certainement encombrants. Le voyage vers l’Est, c’est l’occasion de changer de peau, de faire table rase. Prendre la tangente, c’est habituellement éviter un obstacle déplaisant, se défiler devant l’adversité. Mais il est des défis qui ne valent pas la peine d’être relevés ou qui feraient perdre davantage que ce qu’ils ont à offrir. Et ceux qui en prennent conscience sont parfois plus braves que les téméraires qui ne faiblissent pas.

J’ai aimé cette histoire, mais je suis restée un peu à la marge du récit. En fait, j’ai voyagé sur le marchepied. Si j’ai apprécié, c’est surtout pour les paysages esquissés derrière les vitres du train. Mais le roman de Maylis de Kerangal reste un très beau texte, intimiste et émouvant.

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