Le germe

Roman de Tarjei Vesaas.

Il est une île dans les eaux norvégiennes, un morceau de terre isolée où l’été inonde la nature de sa générosité. La journée est belle, entre deux périodes de moisson. Tout le monde vit un peu plus lentement, se repose et profite de la beauté de l’île. Il suffit qu’un bateau débarque un passager pour que l’image s’étoile et se fissure. « Un étranger arrivait ici, Andreas Vest, dans sa quête éperdue d’un coin de terre qui puisse le guérir. » (p. 16) Mais qu’importe son nom et qu’importe les traumatismes qui le tourmentent : il va porter atteinte à la sérénité édénique qui baignait l’île.

« Ils sont à mes trousses. Ils me mettront en pièces, dit le fou. Me mettront en pièces. Je ne veux pas. Je ne veux pas. » (p. 100) Évidemment, toute l’île part aux trousses du criminel et venge l’innocence assassinée. Au terme de la chasse à l’homme et de la curée, il reste la mort et la culpabilité. Car pour un crime, tout le monde s’est rendu coupable, tout le monde a vu éclore en lui le germe du mal. Où trouver refuge devant l’énormité de la vengeance ? « Quand les choses tournent vraiment mal, il faut rentrer chez soi. Les murs du foyer sont là pour vous protéger. / Non ! Dans ces cas-là, il faut s’enfuir. C’est ce que les gens font. / […] Je te le répète, ce sont les murs du foyer qui protègent, qui encerclent. Faute, chagrin, honte, que sais-je ? – le foyer se referme sur tout ça et l’assume. Il ne sombre pas pour autant. » (p. 120 et 121)

À bien y regarder, l’horreur a mis le pied sur l’île quand une truie a mangé sa portée nouvellement née. Et dans le huis clos édénique de l’île, il est impossible d’échapper aux tourments de la culpabilité. « Il fallait s’expliquer avec soi-même, sans aide aucune. » (p. 195) Le verger, la porcherie et l’île sont autant de décors monumentaux dans lesquels se déroule la tragédie de ce triste théâtre humain. Sous la plume de Tarjei Vesaas, l’Eden connait l’Apocalypse et la grange, rouge et immense, est le tribunal des âmes. En une journée, au terme d’un lent paroxysme, le paradis est massacré et le retour au calme n’effacera pas les sillons laissés dans le sol par la folie des hommes.

Immense conteur, Tarjei Vesaas presse lentement un sinistre ressort et ne le relâche pas. Le relâcher, ce serait une péripétie de plus. Le contenir, c’est s’assurer de l’entière attention du lecteur qui, à bout de souffle, nerveusement épuisé, atteint la dernière page et reste incrédule devant le dernier mot. Avec une économie de mots qui me surprend et me ravit toujours, Tarjei Vesaas prouve une nouvelle fois sa magnifique puissance d’évocation.

Lisez – oh oui, lisez ! – ses autres romans déjà présentés ici : Palais de glace et Les oiseaux.

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