Premier roman de Gabriel Tallent.
Julia/Turtle/Croquette grandit seule avec son père, Martin, obsédé par la fin du monde. L’homme est brutal et abusif envers sa fille : il l’aime trop et il l’aime mal. « Il existe des parts d’elle qui demeurent sans nom, sans identification, puis il leur donne un nom, et elle se perçoit alors clairement à travers ses mots, et elle se déteste. » (p. 21) Depuis l’enfance, la gamine a appris à manier les armes blanches et les armes à feu et elle sait survivre seule dans la nature. Le père et la fille vivent isolés et, à l’image de Martin, Turtle se méfie de tout ce qui vient de l’extérieur et refuse toute aide. « Je n’arrive pas à croire qu’il t’élève comme ça. / Il m’aime, dit Turtle. […] Il m’aime beaucoup, insiste Turtle. » (p. 95) Mais sa rencontre avec Brett et Jacob, deux garçons de son âge, drôles et heureux, fait naître en elle le furieux désir et l’impérieux besoin de se libérer du joug paternel. Mais avant de se sauver elle-même, elle devra en sauver bien d’autres de la fureur de Martin.
My Absolute Darling présente l’éclosion d’une femme forte poussée par la volonté de vivre. Les sentiments ambivalents et paradoxaux de Turtle envers son père sont complexes et le combat qui se joue dans le cœur de la jeune fille maltraité est parfaitement dépeint. « Il ne veut pas me faire de mal. Il m’aime plus que la vie elle-même. Il n’est pas toujours parfait. Parfois, il n’est pas vraiment l’homme qu’il voudrait être. Mais il m’aime comme personne n’a jamais été aimé. Je pense que ça compte plus que tout. » (p. 210) Ce roman a toute sa place dans le catalogue des éditions Gallmeister, à l’instar de l’œuvre de David Vann avec laquelle il partage de nombreux sujets : la beauté hostile de la nature (normal puisque la maison d’édition est spécialisée dans les expressions littéraires du nature writing), la famille dysfonctionnelle, le corps maltraité ou encore la lutte pour la survie. À deux reprises, le roman cite Délivrance de James Dickey (récemment réédité chez Gallmeister, décidément…) et là encore, des ressemblances sont évidentes, notamment la transformation du protagoniste qui, pour survivre, va au bout de lui-même et de l’horreur.
Stephen King a été dithyrambique au sujet de ce roman et je partage pleinement son enthousiasme. My Absolute Darling est un chef-d’œuvre qui révèle le talent prodigieux de son auteur et j’espère vraiment qu’il ne mettra pas encore 8 ans à produire un nouveau roman.