La déraison

Roman d’Agnès Martin-Lugand. (TW : su1c1de)

Madeleine est malade et se sait condamnée. Elle vit chaque jour de toutes ses forces. Si elle est en paix avec sa fin prochaine, elle veut aussi faire la paix avec son passé pour que sa fille, Lisa, ne le découvre pas après sa mort. « Moi qui craignais d’être effacée par ma mort, j’avais effacé une partie de ma vie. Une partie de moi était déjà morte depuis plus de vingt ans. Il me restait peu de temps pour lui redonner vie une dernière fois. » (p. 74) De son côté, Joshua vit enfermé dans une grande maison, se soulant de piano et d’alcool. Son fils, Nathan, ne sait plus comment le tirer de son désespoir ni l’aider à se débarrasser d’un passé trop lourd. Évidemment, Madeleine et Joshua ont vécu quelque chose d’intense et portent l’absence de l’autre comme un fardeau. Hélas, le temps manque, car Madeleine sera bientôt partie, pour toujours cette fois.

J’ai deux grands reproches à adresser à ce roman. Le premier est qu’il est inacceptable de glamouriser une tentative de suicide : une tempête, une falaise, une nuit tourmentée, c’est certes grandiose, mais les pulsions de mort et d’autodestruction sont bien plus quotidiennes et férocement banales. Mon deuxième reproche, c’est qu’on ne guérit pas d’une dépression de plusieurs décennies simplement en retrouvant son amour de jeunesse. La dépression est une maladie grave et longue – qui se soigne, c’est vrai – et ce ne sont pas des envolées du cœur qui la font disparaître en une nuit.

Pour le reste, je pense que c’est acté, Agnès Martin-Lugand n’est pas une autrice pour moi. Son style a certes considérablement progressé depuis Les gens heureux lisent et boivent du café et je salue le fait qu’elle maîtrise enfin la concordance des temps. Toutefois, tout reste trop follement romanesque, échevelé et finalement too much. Aucun personnage ne semble avoir de sentiments mesurés ou normaux. Vous me direz que la littérature permet de s’évader et de vivre plus intensément. Pourquoi pas… mais si je cherche une autre réalité, je lis de la fantasy ou de la science-fiction, pas de la littérature blanche où rien n’est crédible. La fin du roman est hautement lacrymale et c’est un festival de happy endings et de messages motivationnels. J’ai fortement grimacé devant le cliché très agaçant des enfants qui sont le portrait craché de leurs parents, ce qui entraîne inévitablement des quiproquos et des confusions, mais aussi cette idée très malaisante que les enfants peuvent vivre la vie que leurs parents n’ont pas eue.

L’ensemble n’est pas mauvais et ça se lit vite et sans trop de déplaisir, mais ce n’est pas ma came. J’aurai oublié cette lecture dans dix jours et les quelques émotions qu’elle a suscitées sont déjà éteintes. En revanche, je ne peux que recommander aux auteur·ices de faire appel à des sensitive readers ou aux éditeur·ices de mettre des avertissements en début de roman. Je ne m’attendais pas à tomber sur une tentative de suicide en page 3. Depuis quelque temps, je vais mieux et ma dépression est sous contrôle : fût un temps où une telle scène m’aurait hantée pendant des jours, voire aurait réactivé mes propres pensées suicidaires. Si j’ouvre un livre pour échapper à mon quotidien, ce n’est pas pour le prendre en pleine face.

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