Madame Bâ

Roman d’Erik Orsenna.

Sa demande de visa temporaire pour la France refusée, Madame Marguerite Bâ entreprend un recours en justice. Elle ne s’embrarasse pas de considérations diplomatiques et, avec l’aide de Maître Fabiani, elle écrit une lettre au Président de la République française. Point par point, elle reprend les questions du formulaire 13-0021 et les développe en remontant au plus loin dans ses souvenirs d’enfant, de femme, de veuve, de grand-mère et de citoyenne malienne. Puisqu’elle ne peut pas tout dire dans les trop petites cases du formulaire, elle déploie dans sa lettre toute l’histoire familiale, et avec elle, l’histoire du Mali.

Toute l’absurdité, la vacuité et l’artificialité des documents officiels sont férocement épinglées par la narratrice. Sa lettre, aux allures de roman fleuve, se découpe en chapitres dont les titres sont les intitulés stricts du formulaire 13-0021. Avec la méthode propre aux gens qui suivent une idée fixe, elle avance dans son récit sans rien oublier, pour combler tous les blancs que le formulaire ne ménage pas.

La France n’approuve pas les approximations de l’État Civil africain. Sur ce continent où l’administration travaille au rythme lent d’antiques ventilateurs plafonniers, tenir des registres à jour et sans contrefaçon relève de l’impossible. Les différents consuls et délégués venus de France s’échinent à nommer tout et tout le monde, à délimiter les villages, à poser des frontières, à établir les vraies filiations et à démêler le vrai du faux. L’agitation vaine des Blancs est d’autant plus risible qu’ils ne sont pas faits pour ce climat, ni pour ce « ciel de fer chauffé à blanc. » (p. 368)

La malédiction de l’ethnie de Madame Bâ, les Soninkés, c’est la « maladie du départ » (p. 32), celle qui pousse tous les siens à aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Ousmane, son père, de forgeron, est devenu contremaître de la centrale hydro-électrique du village. Son bel époux Balewell, un Peul, a quitté les troupeaux qui font la fierté de son peuple pour s’aliéner à la locomotive et au chemin de fer. Les cousins partent en France, « un paradis pour gogos » (p. 240), la tête pleine des images mensongères diffusées par la télévision et les magazines, fascinés par le miroir aux alouettes français.

A Kayes, Madame Bâ a grandi entre onze frères et sœurs et des parents qui s’affrontaient sans cesse. Mariama, mémoire de l’Afrique et gardienne de traditions millénaires, regardait avec mépris la passion de son mari pour le progrès. Entre islam teinté d’animisme et modernité, entre le crocodile protéiforme qui défend la famille et les embryons de taureaux canadiens congelés, le même affrontement a lieu entre Madame Bâ et son mari. L’Afrique se dessine peu à peu, entre misère et traditions légendaires, secouée de frissons de modernité et de volonté progressiste.

Madame Bâ elle-même est une femme coupée en deux. Deux volontés s’affrontent toujours en son sein. Elle n’a pas su choisir entre les études et la maternité, entre la fidélité au Mali et le devoir et l’espoir envers la France. Toujours, ce sont les autres et les évènements extérieurs qui décident pour elle, qui lui imposent des choix douloureux alors qu’elle ne veut rien d’autre que concilier les rêves qui battent dans sa tête et les obligations auxquelles elle fait face tous les jours.

La grande malédiction de Madame Bâ, c’est son nez. Appendice disproportionné dans le ventre de sa mère, il a fait croire à tous la venue d’un garçon. Cassandre noire, Madame Bâ sent les malheurs venir de loin pour s’abattre sur les siens. Femme trompée, elle flaire sur le corps de son bel époux les effluves des femmes qu’il fréquente, elle sent les lieux et les situations, tous les détails des infidélités de Balewell. Mais alors même que ce nez lui a annoncé toutes les tragédies auxquelles elle a résisté, il lui fait défaut dans l’appréhension de son plus grand malheur, la disparition de son petit-fils.

Le fleuve Sénégal, immuable et imperturbable, chemine toujours sur les terres désertées. Témoin éternel des changements humains, il assiste silencieusement à la décolonisation et aux multiples tentatives de co-développement entre le Mali et l’ancienne métropole. Et pour une fois, c’est de la France dont on a pitié. Certes, les forces vives du Mali partent en fumée dans les banlieues parisiennes. Certes, le pays connaît de graves retards de développement technique et culturel. Mais n’est-ce pas la France le personnage fantoche? L’ancienne puissance colonisatrice est animée par un puissant sentiment de honte. Toujours un peu de capitalisme dévorant, mais au centre de toutes les actions initiées en direction du Mali, il n’y a que la honte: honte d’avoir quitté si vite le pays, honte de toujours penser que les Africains sont des animaux, honte séculaire du paternalisme débonnaire. La France est dans ses petits souliers quand elle envoie des consuls, des délégués, quand elle distribue des Légions d’honneur plus de 70 ans après la Grande Guerre. La France a tout du mauvais élève qui cherche à se racheter. L’Afrique est forte et puissante, même sans elle. Son fonctionnement, sa logique, ses traditions lui permettent de vivre sans la métropole, et de vivre bien mieux, au milieu des reliques laissées par une France fuyarde et contrite. Madame Bâ s’interroge: « Quelle est cette maladie qui pousse toujours les Noirs à proposer leur aide aux Blancs? […] Sans notre appui, jamais la traite n’aurait si bien fonctionné. » (p. 387) Le problème de la France, c’est qu’elle ne peut se passer de l’Afrique

Madame Bâ, avec ses discours un peu naïfs et ses diatribes bien senties, distribue des coups de griffe un peu partout. Sans langue de bois, elle expose sans fausse pudeur son intimité physique et mentale. Cette liberté de ton lui permet tout, même de fustiger le sport chéri de l’Afrique. « Les spécialistes nomment ‘football’ cette activité épuisante et sans espoir. » (p. 259) Ce sport honni lui a ravi son petit-fils Michel qu’elle a élevé avec plus d’amour que ses huit enfants.  » Le football est un divertissement de manchots fainéants. […] Une majorité de paresseux, les mains sur les hanches, contemplent l’activité frénétique de quelques camarades. » (p. 371) L’enfant chéri a succombé à son tour à la « maladie du départ » et a disparu en France, alléché par « l’école rien que de foot » (p. 379) promise par les recruteurs français venus faire de « la prospection chez les sauvages » (p. 376) Pour retrouver et sauver son petit-fils de douze ans des griffes de l’ogre de football, il faut un visa de séjour à Madame Bâ, et on le lui a refusé. Et c’est là que commence son récit.

La narration se déploie lentement, majestueusement, comme les méandres du fleuve Sénégal, comme les branches interminables de l’arbre généalogique du peuple Soninké. Madame Bâ, narratrice principale, alterne entre des adresses directes, virulentes mais respectueuses envers le Président de la République française, des confidences confiantes à son avocat, des admonestations musclées envers elle-même et les fantômes de ses chers disparus. Elle se raconte à la première personne, mais certaines situations, les plus décisives, sont écrites à la troisième personne, comme si Madame Bâ était une simple spectatrice de sa propre histoire, incapable d’en modifier le cours tragique.

La dernière partie du récit, les cinquante dernières pages, sont prises en charge par un nouveau narrateur. Maître Fabiani, l’avocat qui a aidé Madame Bâ dans sa demande de recours, prend la parole pour expliquer la suite des démarches de sa cliente, cette cliente si particulière qui lui a appris l’Afrique là où il ne voyait que la misère. La fin de l’histoire était attendue. Madame Bâ va gonfler encore un peu plus le flot d’immigrants clandestins qui se presse aux portes de la France.

Ce texte d’Érik Orsenna change radicalement de tout ce que j’ai pu lire de lui. Nous sommes très loin de la poésie enjouée de La grammaire est une chanson douce ou de Dernières nouvelles des oiseaux. Ici, ni jeux de mots, ni de galipettes avec la syntaxe. La langue se fait témoignage et philosophie pour mieux coller à une existence hors du commun. Le texte tient en haleine, malgré quelques longueurs. Je referme le livre en me disant que j’ai peut-être acquis un peu de la sagesse évidente de ceux qui se contentent de l’essentiel, sans chercher ailleurs le bonheur qui est sous leur nez, quelle que soit sa taille.

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Anna Karénine, c’est moi

Roman d’Élisabeth Jacquet.

  • Alice Quester : 42 ans, célibataire, sans enfant, vie sexuelle décomplexée mais frustrée, traiteur à domicile, une soeur (Dorothée: avocate, mariée à Étienne, trois enfants, un avortement traumatisant), un frère (Loïc: activiste altermondialiste), un voison de palier (Laurent, peintre, marié à Agnès, problèmes de couple), un livre de chevet et de tous les instants : Anna Karénine, lu et relu. Elle vit son quotidien au rythme de sa lecture de l’oeuvre de Tolstoï. Tout est sujet à comparaison, tout est un peu « karéninien »: la préparation d’un buffet à thème, sa relation avec sa soeur et son frère, son célibat parfois douloureux, les courses dans un supermarché bio, etc.
  • Neil Larue : bel homme, propriétaire et associé d’une entreprise florissante, une femme (Franca: belle, blonde, distante), un fils (Giovanni: blond, quatre ans), un 4×4 de luxe, impliqué dans un mortel accident de la route, en quête de sens.
  • Logiquement, ces deux-là devraient se rencontrer.

Premier agacement dû à la forme: l’auteure est fâchée, brouillée, en guerre contre les virgules. Des phrases de plusieurs lignes enchaînent des idées différentes sans ménager un seul point de repos pour les yeux affolés du lecteur assoiffé, en quête éperdue d’un achoppement que serait une virgule salvatrice.

Alice se prend pour Anna, se rêve en Anna. Constamment, elle compare son existence et celle de ses proches aux personnages du texte de Tolstoï. Et même à la vie de Tolstoï. Au-delà d’une identification aux figures du livre, il y a transfert d’existence. Ce que Léon Tolstoï a vécu ressemble à ce que vit un-tel ou une-telle de l’entourage d’Alice. Les trois existences en viennent à se confondre: « Anna + Tolstoï + moi = même combat! » (p. 189)

Les parallèles entre la vie et le roman ou la vie de l’auteur sont construits avec différentes citations: celles de deux éditions d’Anna Karénine, celle de la biographie de Tolstoï par divers auteurs et notamment Henri Troyat – un compatriote -,  celles de la correspondance privée de l’auteur et de ses proches, etc. Ici arrive mon deuxième agacement dû à la forme: aucun extrait ne cite clairement sa source, son ouvrage et encore moins la page! Impossible de faire la différence entre les citations tirées de l’édition Folio de 1972 et celles tirées de l’édition Pléiade de 1951. La traduction n’a donc pas grande importance pour l’auteure? Pas davantage de précision pour les bribes de biographies ni pour les critiques sur l’œuvre de l’auteur. Alleluïa, il y a une bibliographie en page 127, lapidaire, somme toute une simple liste.

Troisième agacement dû la forme: quand l’auteure ne cite pas abusivement des textes qu’elle n’a pas écrit, elle paraphrase éhontément les écrits originaux. On a donc des lignes lapidaires et brouillonnes sur la passion qui unit Anna à son amant. Pour quelqu’un qui n’a pas lu Anna Karénine, cela peut être utile pour suivre les comparaisons qu’Alice effectue, mais pour un lecteur averti, cela reste un massacre en bonne et due forme.

Néanmoins, je reconnais l’énorme travail de recherche effectué par l’auteure. Il lui a fallu farfouiller dans le roman et dans les écrits critiques. Mais pourquoi ne pas citer les sources? Pourquoi ne pas les citer??? Cela relève probablement d’un parti pris tout à fait raisonné de sa part, mais pourquoi ne le partage-t-elle pas avec ses lecteurs? C’est réellement dommage, car ça donne l’impression d’un texte un peu bâclé. Il est certain que l’adjonction de notes en bas de page ou en fin d’ouvrage est un travail fastidieux, mais cela donne une vraie légitimité au roman, un sérieux indiscutable. En prépa, mes profs m’aurait écharpée si j’avais osé laisser traîner une citation sans référence! (Rectification: ils m’ont écharpée…)

Je déplore un recours quasi systématique à la critique biographique, ou beuvisme, d’après le travail critique de Sainte-Beuve. Il s’agit de relire toute l’œuvre d’un auteur à la lueur de sa vie, chaque évènement de l’existence de l’écrivain est jugé déterminant dans ses choix littéraires et productions. Ce n’est pas complètement faux, puisqu’il est évident que Tolstoï s’est inspiré de ses proches pour créer les personnages de son roman et des évènements de sa vie pour alimenter son œuvre. Mais ça ne fait pas tout! Et il est agaçant de voir le personnage d’Alice chercher par tous les moyens à relier telle ligne du texte à tel évènement réel. L’imagination et la part créatrice font quand même beaucoup et tout ne peut pas s’expliquer. Au fil du texte, cette systématisation critique et littéraire est épuisante, parce qu’on perd le fil de l’histoire.

La narration aussi fait perdre haleine. Les premières lignes laissent à penser qu’Alice livre un récit en son nom propre, à l’aide d’une classique et rassurante première personne du singulier. Quelques pages et déjà, c’est l’affolement pour la lectrice rationnelle que je suis: mais qui parle? Alice, oui, par moments, c’est certain. Mais il y a une autre voix, une voix qui parle d’Alice à la troisième personne du singulier. Deux narrateurs, pourquoi pas? Mais pourquoi ne pas dévoiler l’identité du second? Serait-ce Léon Tolstoï, revenu des morts, qui livre sur la vie d’Alice le même genre de considérations qu’elle se permet de faire sur la sienne? Ou Anna Karénine, sortie des limbes, qui fait entendre sa voix sur le « roman » d’Alice Quester? Le narrateur donne une indication, mais cela n’aide pas vraiment: « La couverture du livre qui traîne sur le canapé d’Alice Quester n’a rien à voir avec la mienne, d’une édition plus ancienne: elle représente le tableau d’Ivan Kramskoï, le peintre qui fit également le portrait de Tolstoï au moment où celui-ci écrivait son oeuvre, et peignit ensuite ce portrait en s’inspirant dit-on, du personnage d’Anna. » (p. 198) Les deux narrateurs lisent donc Anna Karénine dans deux éditions différentes, ce que le lecteur a pu constater avec les citations du texte original d’après deux versions différentes. Bon, et après? On n’en saura pas plus sur l’identité de la deuxième voix narratrice.

Je suis une lectrice aux yeux fragiles… Je ne supporte pas le changement inutile, surabondant et injustifié de polices d’écriture. Quand une marque apparaît, elle a droit à un traitement de faveur: hop, une autre police! Quelqu’un parle à la radio? Hop, on change de style! C’est fatigant et agaçant quand ça ne justifie pas vraiment un choix littéraire. Le lecteur n’a pas besoin qu’on le prenne par la main et qu’on balise les discours selon leur émetteur. En fait, si, pour ce texte, il en aurait besoin! Impossible d’identifier le second narrateur, mais que d’effets pour signaler qu’Alice écoute la radio ou ouvre un magazine!

Élisabeth Jacquet enchaîne les poncifs et les banalités sur le roman et la comparaison entre littérature et réalité. Il y a des questionnements rhétoriques que mes profs n’auraient pas reniés et qui auraient fait d’admirables et imbuvables sujets de dissertations. L’auteure croit-elle découvrir les rapports entre roman et vie? Entre personnages et existences? Tout cela n’est que portes ouvertes enfoncées et discussions de comptoir…

La quatrième de couverture annonce qu’Alice va « suivre de près […] cet homme aperçu au volant d’une voiture ou sur les pages people d’un magazine: Neil Larue. » Mouais… Les deux zigotos ne se rencontrent qu’en page 310, alors que le roman se referme page 325. Vous me direz que le roman continue sans le lecteur, et que la trajectoire des personnages est écrite au-delà des mots. Peut-être. Mais il ne faut pas tant annoncer pour donner si peu. Que la rencontre survienne si tard n’est pas ce qui me déplaît: on a appris à connaître Alice et Neil, leurs désirs, leurs névroses, leurs blessures. Mais la quatrième de couverture nous ment, et toutes les pages qui précèdent la rencontre semblent bien longues.

Bref, beaucoup de pourquoi et de questions vaines à la fin de cette lecture. J’ai lu à plusieurs reprises le texte de Léon Tolstoï, le superbe Anna Karénine, sans en faire une référence absolue comme Alice Quester, et j’en garde un poignant souvenir que le texte d’Élisabeth Jacquet n’a pas su faire vibrer. Heureusement, il ne l’a pas non plus ébranlé, et il m’a donné envie de relire l’oeuvre originale. Les classiques, parfois, il n’y a que ça de vrai.

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L’heure de l’ange

Roman d’Anne Rice.

Lucky le Renard, Tommy Crane, Toby O’Dare. Des déguisements, des mensonges. Quels que soient son nom et son visage, il est un assassin hors pair. Le panache et l’efficacité de ses meurtres n’ont d’égale que son incroyable capacité à disparaître. Depuis une dizaine d’années, il répond sans sourciller aux contrats que lui confie son commanditaire, l’Homme Juste qui se dit « du côté des gentils » (p. 27) Après une mission particulièrement pénible, il rencontre Malchiah, un séraphin qui dit être son ange gardien et qui prétend lui offrir l’occasion de racheter ses crimes en se mettant au service du Créateur. Lucky accepte et plonge au coeur de l’hiver 1257, dans la ville de Norwich en Angleterre. Il a pour mission de protéger et secourir Meir et Fluria, deux parents juifs accusés d’avoir tué leur fille Léa.

Adolescente, j’ai vu plusieurs fois Entretien avec un vampire réalisé par Neil Jordan d’après le roman éponyme de l’auteure. L’adaptation cinématographique m’a toujours charmée, et je pensais indûment que le livre serait aussi bon, voire meilleur. Quelle déception après plusieurs pages! Même constat avec Lestat le vampire, La reine des damnés et autres titres des Chroniques des vampires que j’ai aussi abandonnés après quelques dizaines de pages. Quand j’ai vu un titre d’Anne Rice dont le sujet n’était pas les monstres buveurs de sang, j’ai décidé de retenter l’expérience, pour savoir si ce sont seulement les vampires qui me font détester les écrits de l’auteure, ou si le style de cette dernière est seul responsable.

Le personnage de Lucky/Toby est tout d’abord très difficile à comprendre. Des bribes d’informations laissent entrevoir une enfance traumatisée et des rêves brisés. Il faut attendre le récit de Malchiah, sur tout un chapitre, pour découvrir la jeunesse laborieuse et courageuse de Toby, le drame qui l’arrache à l’humanité et qui brise ses espoirs de Conservatoire et anéantit sa foi en Dieu. On découvre pendant toute la première partie du livre les circonstances qui ont fait de lui un tueur à gages d’élite. J’ai particulièrement apprécié ses désirs mystiques de jeune garçon, son ambition de devenir un frère dominicain avant de succomber à la passion de la musique et du luth. Son goût pour l’histoire est cependant trop peu mis en avant quand on voit à quel point cette composante est essentielle à la suite de l’histoire. La fascination mêlée de scepticisme que Toby éprouve pour la religion est intelligemment traduite dans son admiration pour la basilique de San Juan Capistrano et son talent pour le luth.

Le titre est assez énigmatique. La première explication, page 137, est pour le moins confuse : « Le regard du Créateur englobe le temps. Il sait tout ce qui est, était et sera. Il sait tout ce qui pourrait être. Et Il est Celui qui enseigne à tous, pour autant que nous puissions comprendre. » La seconde, page 141, est un peu plus explicite: « Rappelle-toi qu’il n’y a ni passé ni avenir là où Se trouve le Créateur, mais seulement le vaste présent de toutes les choses qui vivent. » L’ange, étymologiquement « messager de Dieu », est donc dans un présent perpétuel, là où le Seigneur a besoin de lui? Pas très clair…

L’incursion dans la juiverie de Norwich est intéressante. La haine et la suspicion qui entourent la communauté juive, symbolisées par la rouelle, sont impartialement représentées, du simple point de vue historique. Je suis ravie que l’auteure n’ait pas pris parti, et qu’elle ait pris soin de représenter les travers des deux religions.

Dans l’ensemble, c’est une lecture plaisante qui se mène rapidement, mais qui reste sans grand intérêt littéraire. A en juger par les dernières pages, une suite ne devrait pas se faire attendre longtemps. Je ne la guetterai pas.

Un grand merci à et aux éditions qui m’ont offert ce livre. A noter que l’ouvrage paraît aujourd’hui. Belle synchronisation tout à fait fortuite!

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La peau de chagrin

Roman d’Honoré de Balzac.

Le récit s’ouvre sur la ruine de Raphaël de Valentin. Son dernier sou sacrifié sur une table de jeu, désargenté et solitaire, il songe à mourir, à se jeter tête première dans les eaux froides et sombres de la Seine. Il doit sa survie à un magasin de curiosités dans lequel il acquiert un antique talisman, une peau d’âne légendaire, qui est censée exaucer le moindre de ses souhaits. L’objet magique en poche, il rencontre des amis et se livre à une soirée de débauche. À son ami Émile, il raconte ses trois années de réclusion, consacrées à l’étude et à l’écriture de La Théorie de la Volonté, son chef-d’œuvre. Il raconte aussi son amour malheureux et non payé de retour pour la froide et insensible comtesse Foedera, à laquelle il sacrifie ses maigres économies et sa santé. Désespéré par cette passion vaine, empli de haine pour cette coquette inaccessible, au terme de cette nuit décadente et vidé par sa confession, il décide de brûler son existence en caprices et excès. La vie de Valentin ne tient désormais qu’à un fil. Chaque souhait exprimé réduit l’existence du jeune homme de quelques jours, de quelques mois ou de quelques années, à mesure que la peau de chagrin rétrécit. Terrifié par le pouvoir du talisman, il tente de vivre en reclus, de se soustraire au monde pour ne plus se laisser tenter par ses attraits. Son amour pour Pauline, la fille de son ancienne logeuse devenue riche, semble lui rendre goût à l’existence, mais la peau de chagrin continue de diminuer, et avec elle les jours de Raphaël.

La première partie du livre, où Raphaël raconte ses misérables années dans sa mansarde puis sa passion fatale pour Foedera, est insupportablement longue. La confession n’en finit pas, et on s’impatiente de découvrir le pouvoir de la peau de chagrin, de voir s’exercer son emprise sur la vie du héros. Mais quand, enfin, il se décide à l’utiliser, il conçoit rapidement le danger qu’elle représente et il n’a de cesse de vouloir le contrer. Ce qui donne un texte frustrant, qui ménage une trop grande attente pour une trop courte satisfaction.

« Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit. » (p. 58), voici les sages paroles du vieux marchand, aux allures de sorcier ou de gourou oriental. Le vieux bonhomme enjoint donc à pratiquer l’ataraxie, ce qui est assez illusoire dans un siècle de décadence comme celui où vit Raphaël. J’ai lu avec ironie la description de sa vie studieuse, dans la misérable chambre d’une miteuse pension de famille. Le jeune homme se contente de quelques biscuits, de bol de lait et de la contemplation des astres éternels. Pas étonnant qu’il se lance à cœur perdu dans son amour pour Foedera, et plus tard dans une vie au train fastueux. Amoureux romantique dans un monde hyper-réaliste et matérialiste, il se cogne à toutes les portes. Sa période d’écrivain maudit est encore celle où il est le plus glorieux. Au moins, il ne gêne personne et il ne fait pas trop de bruit.

Et n’est-il pas insupportable cet homme attiré uniquement par les femmes entourées de luxe? L’amour dans la pauvreté lui est inconcevable. La jeune et jolie Pauline lui tend les bras depuis le début, et il s’acharne à ne voir en elle qu’une soeur. Il faut qu’elle soit devenue une riche héritière, vêtue de baptiste, les cheveux ornés de fleurs, pour qu’il lui trouve du charme. Insupportable et pervers… Voyeur qui s’introduit dans les appartements de la femme qu’il convoite, il n’est qu’un pleutre. Aveuglé par sa passion pour l’éclatante de comtesse qui ne tait pas son dégoût des hommes et de l’amour, il refuse d’admettre l’échec amoureux, et il s’embourbe dans un délire passionné absolument insupportable.

Dans l’ensemble, ce roman m’a agacée. Raphaël est un pleurnicheur insupportable, incapable de savoir ce qu’il veut, et encore plus incapable d’accepter l’échec. L’attrait mystique du roman, la peau de chagrin et ses légendaires pouvoirs, sont réduits à l’état de curiosités. Flirtant avec le fantastique macabre, le texte manque de force et semble plus bouffon que terrifiant.

J’ai cependant retrouvé avec plaisir le désabusé dandy Eugène de Rastignac, une des grandes figures de La Comédie Humaine. Voilà un personnage qui a de la classe et de la prestance ! Ça change du minable Raphaël de Valentin et ses atermoiements !

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La petite fille aux allumettes

Conte d’Hans-Christian Andersen. Illustré par Malayen Goust.

Une petite fille, blonde et adorable, marche vaillamment dans les rues de la ville. C’est le dernier soir de l’année. Tout le monde se presse pour retrouver chez soi une table garnie et un feu nourri dans la cheminée. Personne ne s’arrête pour lui acheter une des boîtes d’allumettes qu’elle transporte depuis le matin. La petite fille est affamée et transie. Épuisée, elle se laisse tomber contre un mur. Pour réchauffer ses petites mains gelées, elle frotte quelques allumettes, et à la lueur tremblotante du petit morceau de souffre, elle voit se déployer toutes les merveilles dont elle n’osait rêver: un poêle ronronnant, une table généreuse, un arbre illuminé. Merveille des merveilles, l’enfant voit se dessiner le doux visage de sa grand-mère. Et dans les bras de son aïeule, la petite fille aux allumettes s’éteint et s’envole vers les étoiles.

Ce qui me fait tant apprécier les contes de cet auteur, c’est la naïve intrusion du merveilleux dans le quotidien. J’aime, bien entendu, les loups qui parlent, les belles endormies pendant des siècles et les pommes empoisonnées. Mais Andersen n’a besoin de presque rien pour rendre une histoire magique.

La fin de ce conte me touche particulièrement. Ici, pas de mariage grandiose ou de reconnaissance glorieuse. L’enfant trouve le bonheur dans le repos, et ce qui est un malheur pour le spectateur est la plus belle fin possible pour la pauvre héroïne. Loin des fastes déployés d’une cour majestueuse, l’accomplissement se trouve dans des désirs simples, et puisqu’elle ne peut pas vaincre son plus grand ennemi, le froid, la fillette rend les armes et trouve enfin la sérénité.

Petite fille, j’ai souvent essayé de voir s’illuminer mes rêves au gré d’allumettes sacrifiées… Mais nous sommes les acteurs de nos rêves, n’est-ce pas ?

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Otto, autobiographie d’un ours en peluche

Album de Toni Ungerer.

Baptisé Otto, cet ours en peluche raconte son histoire. À la sortie de l’atelier de fabrication, il est offert à David. Le jour où lui et sa famille sont arrêtés, David offre l’ourson à son ami Oskar qui le garde précieusement contre lui à chaque bombardement qui terrorise Berlin. Séparé de son deuxième propriétaire, Otto sauve la vie d’un G.I. en prenant une balle à sa place. De retour au pays, le soldat offre la peluche à sa fille Jasmine. Brutalement arrachée à sa nouvelle amie, Otto pense finir ses jours dans une poubelle quand une clocharde le ramasse et le vend à un antiquaire. Rafistolé, l’ourson s’empoussière derrière la vitrine de la boutique jusqu’au jour où son premier ami le reconnaît.

Tendre et sans animosité, l’ourson fait le récit imagé d’une existence mouvementée, de l’Allemagne nazie à l’Amérique prometteuse. J’ai toujours été admirative de l’œuvre picturale de l’auteur-dessinateur, et tout particulièrement des Trois brigands qui ont bercé mon enfance de délicieux cauchemars. Les illustrations d’Otto sont un peu trop violentes, il me semble, pour un album destiné à de tous jeunes lecteurs. Les visages grimaçants de douleur ou de tristesse contrastent férocement avec les paroles naïves de l’ourson.

La tache violette sur son œil et les multiples ravaudages le rendent unique, comme l’est toute peluche adorée pour un enfant. La mienne n’a plus rien du lapin blanc et duveteux que j’ai reçu pour ma naissance, mais pour rien au monde je ne m’en séparerai ! C’est ma merveille, le témoin de mon enfance. Qui sait ? Elle écrira peut-être un jour son histoire, et la mienne…

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Céanothes et Potentilles

Roman de Martine Pagès.

Blanche est vendeuse de fleurs. Blanche a quarante ans. Blanche se désespère autant de ses kilos superflus que de ses centimètres manquants. Blanche est seule, dans un petit appartement. Elle n’a que ses fleurs, toute sa vie sur un balcon. Ses petites journées étriquées se partagent entre un emploi qu’elle aime au sein d’une équipe qui la méprise, et des trajets en train qu’elle tente de rendre dramatiques pour en supporter l’interminable lenteur et les innombrables retards. Blanche cherche l’amour, le sel qui manque à sa vie. Alors il y a Anthony, le voisin de palier. Il y a ses yeux bleus et son blouson de cuir. Il y a son incessant et assourdissant silence. Pour attirer son attention, Blanche monte à l’assaut de sa porte close, à grand renfort de tintamarre et de tenues affriolantes.

Aux premières lignes, j’ai craint une histoire sur une célibataire pimpante, qui assume ses kilos et son addiction au chocolat à tartiner et à la vodka. J’ai craint une bluette insupportable dans le genre de celles que vit Bridget Jones. Rien de tout ça. Blanche est une héroïne attachante et inquiétante tout à la fois. Sa folie amoureuse, presque adolescente, pour le bel indifférent fait froid dans le dos. Ses plans, simples, sont dérisoires. Elle sait qu’elle se lance contre un mur et elle accepte de s’y briser. Elle sait qu’elle ne croit pas vraiment que son entreprise de séduction va aboutir. Et c’est terriblement bouleversant.

Son langage, tout en expressions désuètes et réflexions désabusées, est digne des grandes amoureuses littéraires. Anthony est là, sur son palier. Il donne un visage et des yeux bleus à l’amour, mais plus que l’homme, c’est l’amour qu’elle aime, c’est l’amour qu’elle veut. Sur les rythmes d’Elvis et de la Môme, elle vit une passion transfigurée.

La préface de Philippe Leroy-Beaulieu, singulier et émouvant poème, est à lire et à relire en épilogue, en épitaphe.

Les céanothes, les potentilles, les impatiences, les hortensias, les luzernes, les rosiers, les pétunias, les bégonias nains, les thuyas, les lavandes, les pivoines, les ficus, les lilas, les coquelicots, les pissenlits, les chrysanthèmes composent une symphonie florale, colorée et parfumée qui accompagne les malheurs de Blanche. Loin d’être un fastidieux cours de botanique appliquée, ce roman se grignote page après page, s’effeuille, passionnément, à la folie.

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Parlez-moi de sérénité

Recueil de citations choisies par Helen Exley.

L’ataraxie, ou absence de troubles, plus simplement appelée sérénité, était une vertu très prisée des penseurs antiques. Dans toutes les cultures et toutes les époques, il s’est trouvé des sages pour reconnaître à la sérénité toute sa valeur, lui rendre hommage et la pratiquer.

Les pensées et les citations s’enchaînent entre deux illustrations, toiles de maîtres et paysages à couper le souffle. Les Navajos et les textes upanishad laissent entendre des réflexions fondées sur une sagesse millénaire. Goethe, Hermann Hesse, Lao-Tseu, Nietzsche, Blaise Pascal, et bien d’autres, personnalités politiques et autres anonymes se succèdent le temps d’une phrase.

Le recueil est charmant, mais comme tout recueil, il pèche par sa fonction même. La succession d’extraits et de citations est très artificielle et forcément incomplète. L’exhaustivité est impossible, mais on se demande pourquoi lui et pas un autre. Et on se demande aussi pourquoi telle illustration face à telle phrase.

Je ne crois pas aux grigris ni aux porte-bonheur, mais j’avoue avoir gardé ce tout petit livre (il tient dans la main) dans ma poche pendant les épreuves du bac. C’était il y a sept ans. Tempus fugit

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L’élégance du hérisson / Mme Géniale

Roman et album lus en parallèle pour le Challenge Monsieur et Madame.

Roman de Muriel Barbery.

Renée Michel est concierge d’un hôtel particulier dans un beau quartier parisien. Pour tous les résidents, Madame Michel est le stéréotype de la gardienne d’immeuble, revêche et inculte. Or Madame Michel dissimule sous des dehors austères une richesse d’esprit hors du commun. Grande admiratrice des auteurs russes, tout particulièrement de Tolstoï, elle cultive son image de veuve acariâtre et bornée pour mieux jouir en secret des merveilles artistiques et intellectuelles qu’elle consomme en fin gourmet. Littérature russe, peinture anglaise, cinéma japonais, philosophie phénoménologique, tout y passe. Alors, quand Madame Michel se trahit, elle ne sait plus vraiment à qui parler, ni de quoi. La petite Paloma aux penchants suicidaires, du quatrième étage, perce à jour la concierge érudite. Le nouveau résident du cinquième, Kakuro Ozu, esthète et humaniste, ne se laisse pas non plus duper par l’apparente bêtise de la gardienne. Entre ces trois êtres se nouent des relations d’amitié et d’émulation intellectuelle. Ils se livrent, avec jubilation, à une analyse fine, insolente et ironique de leur époque et de leur entourage. Tout le monde est crucifié sur l’autel de leur verve assassine, de la bourgeoise névrosée aux chiens permanentés.

J’ai été plus que séduite, enchantée dirais-je, par la qualité de la narration. On touche vraiment avec ce texte à ce que j’appelle, dans le jargon hérité de deux ans de khâgne, l’art du récit. Pas de temps morts inutiles, pas d’effets superfétatoires. J’ai particulièrement apprécié la construction du récit, avec les deux voix narratrices, celle de Madame Michel et celle de Paloma. Ce sont deux points de vue sur l’existence, l’une du haut de l’expérience, l’autre riche de bon sens élémentaire.

Ma sensibilité grammaticale de khâgneuse a été touchée par les déclarations d’amour à la langue française. En voici un morceau choisi : « Moi, je crois que la grammaire, c’est une voie d’accès à la beauté. Quand on parle, quand on lit ou quand on écrit, on sent bien si on a fait une belle phrase ou si on est en train d’en lire une. On est capable de reconnaître une belle tournure ou un beau style. Mais quand on fait de la grammaire, on a accès à une autre dimension de la beauté de la langue. Faire de la grammaire, c’est la décortiquer, regarder comment elle est faite, la voir toute nue, en quelque sorte. » (dixit Paloma, p. 168)

Ce livre est comme une sucrerie qu’on garde longtemps dans la bouche: délicieux et qui finit hélas trop vite.

Album de Roger Hargreaves.

Madame Géniale ne se mouche pas du coude. Elle nourrit une haute opinion d’elle-même, de ses qualités et de ses capacités. Tout ce qu’elle fait, c’est génial. Génial, non ? Voilà une Madame bien horripilante. Elle est imbue d’elle-même et a toujours réponse à tout, même quand elle a tort. Je ne la connaissais pas.  En voilà une dont je ne retiendrai pas le nom.

Lecture comparée – Le seul point commun entre Madame Michel et Madame Géniale, c’est la coupe de cheveux : moche et démodée. Madame Michel est aussi modeste et discrète que Madame Géniale est exubérante et vantarde. Le génie, ça ne s’auto-attribue pas ! Si on en a, ce sont les autres qui le reconnaissent. Madame Michel dissimule des trésors de culture et de raffinement derrière la porte close d’un appartement défraîchi. Il faut l’intrusion de Paloma et la délicatesse de Monsieur Ozu pour révéler la grandeur de la concierge. Madame Géniale étale à grand bruit son ingéniosité et sa supériorité, et tient bien davantage de la concierge que Madame Michel. Madame Géniale, c’est la pipelette des Mystères de Paris. Madame Michel, c’est une gouvernante anglaise, le tea-time en moins.

La comparaison n’est pas flatteuse pour l’album d’Hargreaves. Il ne peut pas gagner à tous les coups… Mais je me suis encore bien amusée avec ce petit travail de mise en regard et de miroirs déformants !

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Firmin : autobiographie d’un grignoteur de livres

Roman de Sam Savage.

Citation du bandeau promotionnel: « Firmin, le rat que Walt Disney aurait inventé s’il avait été Borges. Si lire est ton plaisir et ton destin, ce livre a été écrit pour toi. » Alessandro Baricco.

Firmin a vu le jour dans le carphanaüm du sous-sol de la librairie Pembroke Books de Boston, sur les pages de Finnegans Wake, « le chef-d’œuvre le moins lu du monde ». (p. 19) Flo, sa mère, est une souris obèse et ivrogne qui ne rentre au nid que pour distribuer son lait alcoolisé à ses douze frères et sœurs. Douze tétins, treize souriceaux, le compte est faux. Firmin est un avorton qui gagne rarement sa place au jeu des mamelles musicales. Pour survivre, il grignote ce qu’il a sous les dents: des livres. Et encore des livres. Sans le savoir, il apprend à lire. Sa biblio-boulimie le rend aventureux. De rayons en étagères, il explore la librairie et accroît sa culture littéraire. Sa rencontre avec le libraire Norman Shine marque le tournant de son existence. Mais c’est auprès de l’écrivain raté Jerry Magoon, auteur de science-fiction minable, qu’il va vivre ses plus belles heures. Autour de lui, le quartier de Scollay Square est voué à la démolition. Chaque jour est le témoin d’un ballet de pelleteuses de plus en plus étendu. Les immeubles tombent les uns après les autres. Tout l’univers de Firmin s’effondre à mesure qu’il se retrouve seul.

La biblio-boulimie, quelle maladie géniale! Se goinfrer de Dickens, de Fitzgerald, de Gogol et de Steinbeck, picorer un peu de Spinoza, de Lewis Carroll et de Stendhal, et finir avec une part de Flaubert et de Faulkner, c’est le repas idéal ! Il a ses préférés : il cite allégrement la Lolita de Nabokov ou Anna Karénine de Tolstoï, et il s’identifie sans vergogne à L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche de Cervantès. « J’ai découvert un lien remarquable, une sorte d’harmonie préétablie, entre goût et qualité littéraire. Pour savoir si un livre valait la peine d’être lu, je n’avais qu’à grignoter une portion de l’espace imprimé. […] « Bon à manger, bon à lire est devenu ma devise. » (p. 52)

Alors, Firmin est-il un autre Rémi (voir le film d’animation Ratatouille), un autre rongeur qui s’élève au-dessus de sa condition, qui veut offrir aux siens la découverte d’un monde nouveau fait de saveurs nouvelles? Non. Firmin ne se fait aucune illusion sur la bêtise mêlée d’atavisme de sa fratrie et de ses congénères. Et il l’énonce férocement: « La seule littérature que je hais de toute mon âme est la littérature consacrée aux rats, souris comprises. Je méprise ce bon vieux Ratty dans Du vent dans les saules. Je pisse à la raie de Mickey Mouse et de Stuart Little. Si affables, si mignons avec leurs petites pattes, ils me restent en travers de la gorge comme de grosses arêtes de poisson. » (p. 56 & 57) Voilà une bestiole bien antipathique ! Je ne suis pas une fan inconditionnelle de Mickey et Stuart Little ne m’a jamais fait fondre, mais Ratty a fait les belles heures de mes premières lectures !

Firmin méprise son espèce, le monde entier et les humains en particulier, leur physique glabre, leurs habitudes dégoutantes. « Le mot ‘infester’ m’intéresse assez. Les gens normaux n’infestent pas, ils n’y arriveraient pas s’ils le voulaient. Seuls les puces, les rats et les juifs infestent. » (p. 85) Mais il y a des humains qui trouvent grâce à ses yeux: les acteurs. Quand il ne dévore pas des livres, il passe des heures au cinéma, à voir et revoir les films de Fred Astaire et de Ginger Rogers, pour mieux s’imaginer dans leur peau, et vivre ses aventures au rythme de leurs sauts et entrechats. Il adule aussi les filles, ses « mignonnes », des films qui passent après minuit, en rêvant de posséder ces corps tout en courbes.

Firmin est un avorton rétroprognathe. Il est mythomane, pervers, sexuellement déviant et obsédé par les corps de femmes. Il est cynique et méprise la race humaine. Féru de phrénologie, il catalogue les humains selon leur caractère, sans pitié. Mais comme dit l’autre, « on n’empêche pas un petit cœur d’aimer ». Sa courte existence est traversée de passions. La première pour Norman Shine, dont une touffe de cheveux a masqué la bosse de la traîtrise, tourne court. Jerry Magoon est le second humain qu’il aime, tout en toisant avec un mépris mêlé de condescendance ses habitudes d’alcoolique.

Le malheur de Firmin, c’est de posséder l’intelligence d’un humain, coincée dans le corps malingre d’un rongeur honni. C’est aussi d’avoir conscience de sa grande supériorité intellectuelle sans pouvoir la partager, ni s’exprimer. Il se voudrait aristocrate, il n’est que bourgeois. Fin gourmet littéraire, il est aussi mélomane et pianiste, et il exécute avec talent les oeuvres de Gershwin ou de Cole Porter. Mais ses talents artistiques ne sont que facéties aux yeux de Jerry qui pleure de rire quand il le voit penché sur un ouvrage quatre fois plus gros que lui ou assis devant un piano d’enfant. L’art ne rapproche pas les espèces, et Firmin n’est que le facétieux animal de compagnie d’un ivrogne utopiste.

Scollay Square, véritable quartier du vieux Boston, subit la loi de la modernisation. Les immeubles qui tombent sont autant de chef-d’œuvre de la littérature qui disparaissent dans les abîmes de l’oubli, au grand désespoir de Firmin. Le petit rongeur au corps débile me rappelle le vieil aveugle sénile, Jorge de Burgos,  du Nom de la rose. Ils sont tous les deux habités par leurs innombrables lectures, ils sont des bibliothèques vivantes vouées à disparaître.

Le texte est richement agrémenté par les illustrations de Fernando Krahn, qui a vraiment su tirer des mots une figure hideuse de petit rat tordu. La première de couverture du livre original est, à mon avis, bien plus réussie que celle choisie par Actes Sud, mais je ne vais pas chipoter sur les questions éditoriales.

Le livre se lit vite, un sourire narquois au coin des lèvres. A ce petit rat prétentieux et méprisant, j’ai souvent eu envie de dire: « Puisque tu n’aimes pas les humains, va vivre ailleurs! » J’aurais bien placé des tapettes au coin des pages… Je conseille ce texte aux amateurs d’humour noir et grinçant et de folie douce.

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Matilda / Mme Je-Sais-Tout

Roman et album lus en parallèle pour le Challenge Monsieur et Madame.

Roman de Roald Dahl.

Cinq ans à peine, et Matilda est déjà « une adorable petite dévoreuse de livres. » (p.11) Après avoir englouti tous les livres pour enfants de la bibliothèque, elle a lu l’intégrale de Charles Dickens et de Jane Austen, et elle se régale des textes de John Steinbeck et d’Ernest Hemingway. Mais ses parents sont loin d’éprouver de la fierté pour leur petit prodige. Le père est un concessionnaire automobile verreux, la mère est incapable de passer une journée sans jouer au Loto ou sans regarder ses feuilletons à la télé. Matilda est l’objet de leurs continuelles brimades et moqueries. Haute comme trois pommes, elle n’en a pas moins du caractère et le sens de la justice. Elle décide de se venger avec des facéties d’enfant, en s’en prenant essentiellement aux cheveux de son père, avec de la glu, de la lotion décolorante ou des histoires de fantômes. C’est à l’école qu’elle fait surtout montre de son génie. La douce institutrice, Mlle Candy, a fort à faire pour la soustraire à l’acharnement haineux de Mlle Legourdin, la directrice de l’établissement. Mais les enfants le savent, les miracles existent.

Voilà une bien charmante histoire. Un conte de fées des temps modernes. Tout y est: les parents qui abandonnent leur enfant, la vilaine sorcière, les fées charitables, et l’enfant héros. Je ne connais pas les noms des personnages dans la version originale, mais la traduction est savoureuse. Les parents de Matilda répondent au patronyme de Verdebois, tout à fait approprié quand on sait comment le père bidouille les moteurs de voitures avec de la sciure de bois. M. et Mme Verdebois sont d’immondes bestioles xylophages. Les livres sont faits de pâte de bois. Les parents Verdebois sont donc d’infâmes empêcheurs de tourner en rond dans le monde des livres. C.Q.F.D !

Sous son apparence de dompteur de fauves, Mlle Legourdin répond bien à son nom, et assume sa réputation d’ogre de la cour de récréation. Les fées tutélaires sont Mme Folyot (presque Folio), la bibliothécaire, et Mlle Candy, l’institutrice. La première ouvre à l’enfant le monde des livres. La seconde, malgré son passé de Cendrillon, est aussi une fée. Elle protège les dons de Matilda. Son nom évoque la douceur des sucreries dont se régalent les gamins. Elle est un peu agaçante tout de même avec son éternelle gentillesse et son regard de Calimero… Et comme dans tout conte de fée qui se respecte, tout est bien qui finit bien: les méchants ont été boutés hors de la place, et les gentils prennent leur aise devant une tasse de thé et des tartines de confiture !

Le plus drôle, c’est quand Matilda se révèle être une Carrie des bacs à sable. Le conte pour enfants perd de sa mièvrerie et gagne en férocité et en drôlerie. Les illustrations de Quentin Blake soulignent le côté un peu farfelu des personnages. Loin des rondeurs habituelles que nous sommes habitués à voir dans les albums pour la jeunesse, le trait de Quentin Blake ressemble aux dessins satiriques des journaux.

Le texte se lit à toute allure. Normal, me direz-vous, c’est pour des enfants de 10 ans… Quand j’avais 10 ans, et que je l’ai lu pour la première fois, je l’ai dévoré aussi vite. Je m’étais promis de le relire, et je procrastinais depuis trop longtemps. Voilà qui est fait ! Les challenges ont du bon !

Album illustré de Roger Hargreaves.

Madame Je-Sais-Tout a réponse à toutes les questions que ses amis lui posent, de la plus évidente à la plus farfelue. Madame Je-Sais-Tout lit beaucoup, tout le temps. Elle veut qu’on lui pose des questions plus difficiles. Mais dans des contrées où elle ne connaît personne, il vaudrait mieux qu’elle donne sa langue au chat…

Simple comme bonjour, la morale de cet album est aussi très drôle. Et comme toujours, le personnage et les illustrations ne manquent pas de réalisme tout en gardant ce côté gribouillage/coloriage qui a fait leur renommée.

 Lecture comparée – Matilda est adorablement mignonne. Madame Je-Sais-Tout est un peu agaçante. Elles ont toutes les deux un (petit) nez pointu, ce doit être la preuve morphologique de la sagesse encyclopédique.

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Alzabane, l’oiseau de la Lune

Album de Jean-Sébastien Blanck, illustré par Fernando Falcone.

Au début des temps, la Terre n’était que gaz et fumée. En ces temps-là, la Terre était le monde des Oiseaux. Ils étaient immenses, minuscules, transparents, ronds comme des bulles, fins comme des pétales. Ils vivaient en essaim, et chaque essaim avait son ballet, immuable et majestueux. Chaque espèce occupait une altitude précise, dans l’atmosphère la plus propice: opaque, éthérée, dense ou humide. Un jour de malchance, un oiseau nommé Alzabane est séparé de son essaim et poussé par des vents inconnus vers des cieux inexplorés. Seul et sans espoir, il ne sait pas comment rejoindre les siens. Ses projets changent subitement une nuit où le ciel se dégage. Lumineuse, blanche et lisse, la Lune semble appeler Alzabane. L’oiseau fait alors le vœu d’aller là où aucun autre de son espèce n’a jamais fait battre ses ailes. Il veut rejoindre la Lune. Il traverse toutes les couches de l’atmosphère de la Terre, il rencontre les oiseaux des hauteurs, les oiseaux des altitudes inconnues. Alzabane rejoint enfin le froid glacial du cosmos infini. Ses ailes le rapprochent opiniâtrement de la Lune. Mais il y a des règles dans l’univers. Un petit oiseau blanc, même lumineux, ne peut pas franchir les barrières. Pour devenir une légende, celle de l’éternel oiseau de la Lune, Alzabane doit sacrifier encore un peu de sa liberté.

Poétique et délicat, ce conte féérique et spatial a des accents orientaux, comme s’il avait été inventé par Shéhérazade. Mais avec la boule rouge au bout de son bec, Alzabane est aussi un Rudolphe ailé, un petit animal entêté qui croit en sa singularité et qui va au bout de son rêve. Récit initiatique, le texte présente la trajectoire singulière, entre des milliers d’étoiles, d’un petit personnage touchant qui, pour devenir sidérant, choisit d’être sidéral.

Alzabane aurait pu être peint par Dali. Ses grandes nageoires ramifiées, son nez pointu agrémenté d’une boule écarlate, ses grands yeux mouillés, son voyage interstellaire au milieu de créatures aussi étranges et biscornues que lui, sa fascination pour la Lune, tout cela forme un tableau surréaliste des plus convaincants. Le site de l’illustrateur (en espagnol uniquement) vaut la visite. C’est une galerie douce-amère de portraits d’animaux un peu démoniaques, un peu étranges, pas vraiment rassurants, mais parfaitement fascinants. Ce bestiaire fabuleux et inquiétant n’est pas sans me rappeler les personnages grotesques et menaçants de Jérôme Bosch. Au début de l’album, les techniques graphiques de Fernando Falcone sont décrites ainsi: « [il] a combiné dessin, traitement numérique de l’image et la numérisation de matières comme le coton et le papier. » Il y a aussi un peu des papiers collés de Picasso, un peu de bricolage et de bidouillage pour obtenir l’image définitive.

Malgré tout ce substrat iconographique, les illustrations restent à la portée des jeunes lecteurs, avec des couleurs pastels très douces et des figures simples. Le ciel et les astres, en image de fond, sont simplifiés pour laisser toute la place à l’oiseau qui semble déployer ses ailes blanches et son bec pointu dans l’univers tout entier.

Je ne suis pas du tout spécialiste en littérature de jeunesse. J’ai des vieux souvenirs poussiéreux de mes lectures d’enfance. Et je n’ai peut-être plus la fraîcheur nécessaire pour en parler avec simplicité et pour l’apprécier tout simplement. Néanmoins, ce texte m’a charmée. Je le conseille aux parents qui veulent partager une belle histoire, qui fait un peu peur quand même, avec leurs bambins. Ni vraiment délire d’imagination, ni tout à fait rêve d’enfant, ce texte se lit avec plaisir et frissons, doucement, le soir, à la lumière d’une lampe de chevet tamisée par un voile bleu.

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Antigone / Mme Têtue

Pièce et album lus en parallèle pour le Challenge Monsieur et Madame.

Pièce de Jean Anouilh.

Polynice et Étéocle se sont entretués. Pour la cité, il faut une victime et un coupable. Polynice sera le coupable et on lui refuse toute sépulture. Son corps restera la proie des charognards. Antigone, à peine une jeune fille, se dresse contre l’édit de son oncle Créon. Entêtée, elle va chaque nuit couvrir le corps de son frère de terre. Armée d’une pelle d’enfant, elle veut offrir à Polynice le repos qu’il mérite. Cette révolte la condamne à mort. Sa soeur Ismène et son fiancé Hémon sont incapables de la détourner de son devoir et de sa décision. Sereine, elle devance son destin.

Première lecture de cette pièce quand j’avais à peine 10 ans. Premier éblouissement. Chaque relecture confirme ce sentiment. L’Antigone d’Anouilh est le personnage de femme le plus sublime que j’ai jamais croisé au fil de mes lectures. Elle accomplit sa tâche avec la douce résignation et le serein enthousiasme des martyrs.

Les centres d’intérêt de la blonde Ismène sont ceux d’une jeune fille à marier. Le jeune et vigoureux Hémon n’est qu’un bloc de valeurs et de respect pour les traditions. Créon est un vieil homme qui a oublié à quoi peut pousser la jeunesse. Antigone est seule face eux: petite, noiraude, sale et rebelle, elle sait ne pouvoir trouver le courage qu’en elle-même.

Le thème de la résistance face au pouvoir en place est traité avec finesse. Quand on sait que la pièce a été écrite et produite pendant la seconde guerre mondiale, on ne peut s’empêcher d’identifier la France libre à Antigone, et Vichy à Créon. Tout simplement renversant de culot et de brio !

Album illustré de Roger Hargreaves.

Madame Têtue, quand elle a une idée dans la tête, elle s’y tient. Ses voisins lui disent que ce n’est pas raisonnable? Peu importe ! Si elle a décidé qu’elle ferait ceci ou cela, elle fait exactement ceci ou cela. Et plutôt que de reconnaître qu’elle avait peut-être tort, peut-être, elle continue et elle suit son idée.

Avec ses petits sourcils froncés et sa bouille contrariée, on pourrait croire que Madame Têtue est une incorrigible grincheuse. Et bien non, elle est tout simplement décidée, et elle part bille en tête, quitte à foncer droit dans le mur ! Adorable avec ses trois cheveux dressés sur le caillou, c’est une Madame que j’aimais beaucoup quand j’étais petite.

Lecture comparée – Antigone est moins brouillonne que Madame Je-Sais-Tout, mais leurs décisions respectives sont ancrées au plus profond d’elles. Madame Têtue, c’est une mini-Antigone qui joue à ne faire que ce qu’elle veut. Antigone, c’est une Madame Têtue qui a grandi et qui n’a rien oublié de ses jeux d’enfant. Pourquoi ne pas faire lire l’album d’Hargreaves aux élèves qui peinent sur l’oeuvre d’Anouilh ? Le principe élémentaire, c’est-à-dire la résistance en dépit du raisonnable, est clairement lisible dans les aventures de Madame Têtue. Ensuite, le raisonnement du personnage d’Antigone devient limpide.

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Challenge Monsieur et Madame

Après une boutade lancée à Latite en réponse à un de ses commentaires sur mon billet concernant Madame Sage, voici le Challenge Monsieur et Madame !

Pour sa première organisation de challenge, Latite a bien fait les choses ! Elle a associé chaque titre de la petite collection de Robert Hargreaves avec un titre de la littérature pour adultes. Enfin, presque chaque titre, il y a des blancs à combler, et pour cela, vous êtes tous invités à laisser vos idées et à participer ! On a tous un album ou deux de cette collection chez nous !

J’ai fait mon choix dans la liste infinie et hautement tentatrice éditée par Latite !

Alors, faites attention, invasion annoncée de Monsieurs et de Madames sur la blogosphère littéraire ! C’est une délicieuse petite (re-)plongée en enfance tout à fait efficace pour affronter la grisaille du moment !

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À l’abandon

Texte de Laurence Tardieu, illustré par Aude Samama.

Une femme est allongée, joue contre l’herbe. Les pensées vont et viennent: l’enfance, la maternité, la musique, la solitude… Elle manque de lâcher prise, de se laisser glisser loin pour ne pas revenir. Mais sans cesse, la conscience reprend ses droits, la réalité se fait entendre.

Très court, ce texte d’une étonnante et touchante sobriété gagne en profondeur grâce aux superbes illustrations d’Aude Samama.

Il est difficile et dommageable d’en dire trop sur ce texte. Une seule solution : lisez-le !

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Mme Sage

Album illustré de Roger Hargreaves.

Madame Sage est … sage ! Elle ne saute pas dans les flaques, elle mange raisonnablement, elle fait tout ce qu’il faut faire. Mais à être trop sage, la vie finit par être un peu plate…

La collection des Monsieur Madame a fait les beaux jours de mon enfance. C’est un plaisir de la retrouver maintenant ! Bon, je ne les lirai pas tous. Mais un de temps en temps, c’est chouette. Ou alors, un challenge ? …

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Code barre

Nouvelle de Mouloud Akkouche.

Pour deux mots de trop, deux mots de travers, leur histoire s’achève. Au matin, il est parti sans un mot. C’était en 1987. C’était avant. 2009, dans un supermarché. Il fait ses courses avec le minuscule budget alloué par le centre d’aide sociale. Il calcule jusqu’au moindre centime. Elle est là aussi, derrière les écrans de contrôle du centre commercial. Elle le reconnaît. Franchira-t-elle l’écran pour le retrouver, pour rattraper le temps perdu depuis cette dernière nuit ?

Cette nouvelle n’a qu’un seul mérite : sa brièveté… 19 pages et c’est bien assez, bien trop pour ce que ça offre. Je n’ai aimé ni le texte ni la langue. Ni vraiment journalistique, ni vraiment documentaire, la narration flirte avec le voyeurisme et l’indiscret. L’intrigue n’a rien de réellement surprenant : on saisit dès les premières lignes le thème du mendiant et de la princesse. Et que dire du titre ? Aucune originalité ! Ou peut-être une vague allusion à la normalisation forcée et au consumérisme meurtrier. La dernière phrase, tout en pathos dégoulinant, est d’une insupportable mièvrerie. Ce que j’aime dans une nouvelle, outre sa concision, c’est une chute cinglante, éclatante, pas une fin molle et misérabiliste.

Toutefois, je ne déconseille pas définitivement ce texte. Je sais que certains y trouveront de la finesse et de l’émotion.

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Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates

Roman par lettres de Mary-Ann Shaffer et d’Annie Barrows.

Janvier 1946. Londres et toute l’Angleterre se relèvent péniblement de la guerre. Juliet, une jeune auteure qui s’est fait une renommée sous le nom d’Izzy Bickerstaff, parcourt le pays pour présenter le recueil des articles qu’elle a publiés pendant la guerre. Elle est épuisée et traverse une crise d’inspiration. Quand elle reçoit une lettre de Dawsey Adams, de l’île de Guernesey, membre du Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates, qui lui demande des ouvrages du poète Charles Lamb, elle découvre l’occupation dont ont été victimes les îles anglo-normandes et décide de creuser le sujet. Le Times lui ayant commandé trois articles sur les valeurs et les vertus de la lecture, le Cercle littéraire de Guernesey va lui donner matière à écrire. Elle découvre comment ce cercle a vu le jour pour couvrir une infraction au rationnement et au couvre-feu, comment Elizabeth la gouvernante de Sir Ambrose, Dawsey, Isola la guérisseuse, Eben le pêcheur, Will Thisbee le chiffonnier ont trouvé réconfort dans les livres aux plus cruelles heures de l’histoire de Guernesey, et comment la communauté a fait montre d’une loyauté sans faille envers ses membres, surtout les plus faibles.

Roman épistolaire ou correspondance? La différence n’est pas minime. Au fil des lettres, j’ai oublié qu’il s’agissait d’une œuvre de fiction pour n’entendre que le témoignage des Guernesiais et leur expérience de l’occupation allemande dans l’île. J’ai découvert le statut particulier des îles anglo-normandes au sein du royaume britannique et pendant la seconde guerre mondiale. Londres a connu le Blitz et Paris l’occupation. Guernesey a connu les deux. Au détour d’une lettre, le texte se révèle extrêmement documenté et précis. La géographie de l’île et ses dix paroisses servent la dimension dramatique du récit.

Entre les lettres, les télégrammes, les articles et les notes personnelles de chacun, le texte présente de nombreux visages. Chaque interlocuteur a un petit style bien particulier, une petite touche personnelle qui vaut pour signature. Il n’y a, heureusement, pas l’artificialité propre aux romans épistolaires du XVIII° et XIX° siècles. D’une missive à l’autre, l’intrigue continue en assumant ses lacunes et ses ellipses, sans afficher la prétention de tout dire et de tout révéler.

Quand les soeurs Brontë, Jane Austen, Yeats, Sénèque, Marc Aurèle, Wordsworth ou Shakespeare font de la résistance, ça donne un récit riche et touchant, très humain. Le texte est certes un roman, mais il présente avec délicatesse et finesse un pan d’histoire tragique, sans pour cela tomber dans le pathos dégoulinant. Et pourtant, il y a une somme d’épisodes douloureux causés par la guerre: les enfants insulaires envoyés dans la capitale, loin de leurs parents, pour les soustraire à l’occupation allemande, sans savoir s’ils ne périront pas sous les bombes de l’envahisseur; la déportation de deux Gernesiais, l’un à Belsen et qui peut le raconter, et l’autre à Ravensbrück et qui laisse une orpheline. Mais dans tout conflit, on ne peut pas séparer les bons et les mauvais par une ligne trop droite, il y a toujours des dérapages et des miracles. Et il n’y a que ceux qui l’ont vécu qui peuvent le dire et en témoigner: « Et voilà que des Britanniques snobinards se mettent à confondre humanité et collaboration. » (p. 305)

Ce roman est superbe, je l’ai dévoré en quelques heures sous une polaire bien chaude. Il m’a fait rire, renifler, réfléchir. Exactement ce que je demande à tout bon texte. Quant à la tourte aux épluchures de patates, je n’ai pas osé tenter la recette, mais la voici pour les téméraires: « Purée de patates pour le fourrage, betteraves rouges pour sucrer et épluchures de patates pour le craquant. » (p. 78) Succin n’est-ce pas ?, rationnement oblige ! Si quelqu’un tente la recette, je veux bien savoir si c’est mangeable… En attendant une quelconque remontée après une tentative culinaire loufoque, je conseille le texte aux amateurs de belles histoires et aux férus d’Histoire.

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L’échappée belle

Roman d’Anna Gavalda.

Garance, Simon et Lola se retrouvent pour un mariage dans la campagne tourangelle. La réunion de famille tourne vite à la corvée, et à la première occasion, ils s’échappent pour retrouver le quatrième larron, leur frère Vincent, gardien de château. L’escapade prend vite des airs de dernière fois, un arrière-goût d’enfance et de grande nostalgie.

Le récit est court, j’avais lu la première version publiée gratuitement par France Loisirs lors de sa sortie.

Que dire de l’histoire ? Elle est charmante. Cette fratrie qui se retrouve et qui fait bloc contre le reste de la famille, contre les belles-sœurs et les cousines insupportables, contre les blagues racistes du tonton, contre le cérémonial emprunté d’un mariage bourgeois, c’est un peu celle qu’on rêve d’avoir (et que j’ai le bonheur de connaître).

Le récit est frais et joli. Il se déroule simplement entre secrets de frangines et blagues de potaches, entre deux pages de Poule Rousse, entre deux bornes kilométriques.

Mais je n’en garderai pas un souvenir impérissable. L’auteure a réécrit son texte pour une nouvelle publication, mais je n’ai pas trouvé dans cette version beaucoup plus que ce que proposait la première. Ça reste un texte de petite envergure, qui se lit rapidement dans le brouhaha d’un train de fin de semaine.

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Le potentiel érotique de ma femme

Roman de David Foenkinos.

Hector Balanchine, après une tentative de suicide ratée, se croit libéré de sa collectionnite. Après avoir entassé les piques pour apéritif, les timbres, les cuillères en porcelaine, après avoir fait passé ses six mois de convalescence pour un séjour aux États-Unis, il décide de reprendre son existence en main. Il rencontre Brigitte à la bibliothèque. Leur mariage est célébré en un rien de temps et un bonheur tranquille est au rendez-vous. Mais Hector, qui se croyait libéré de ses anciennes dépendances, se découvre une nouvelle addiction : il collectionne les moments où sa femme lave les vitres. Pour ne manquer aucune des prestations de son épouse, il installe une caméra dans l’appartement, qui va lui révéler bien plus que le talent ménager de Brigitte.

Ce petit roman, qui flirte sans se cacher avec la chick-litt, m’avait été recommandé par de nombreux lecteurs qui m’en avaient dit un bien que je n’ai pas trouvé… On m’avait parlé de sophistication, de psychologie. Je n’y ai rien trouvé de tel. Mais j’y ai trouvé bien d’autres plaisirs.

Tout d’abord le sarcasme et l’auto-dérision. Les personnages se savent médiocres et l’assument parfaitement. La soupe hebdomadaire chez Mireille et Bernard, aussi imbuvable soit-elle, est un rituel auquel il est impossible de ne pas sacrifier. Le poisson rouge nommé Orange Mécanique qui, en attendant, remplace les enfants, est un détail délicieux dans cet univers ridicule et étriqué. La passion et la connaissance du cyclisme, condition sine qua non pour entrer dans la belle famille, conduit à des situations burlesques.

Les collections passées d’Hector ne sont rien en regard de sa nouvelle obsession. Il veut dupliquer l’unique objet de son amour, accumuler les instants, enregistrer le même geste. L’érotisme peut certes trouver sa source dans des lieux bien différents selon les personnes, mais Hector pousse le vice à érotiser l’habitude, le machinal. Coup de génie ou coup de folie?

Hormis les trente premières pages que j’aurais supprimées sans vergogne, le récit se déroule rapidement et avec aisance. Je n’ai pas éclaté de rire, mais j’ai gardé tout au long de ma lecture un sourire narquois sur les lèvres, un genre de « nierk nierk nierk », comme quand on regarde un programme de télé-réalité en sachant que c’est nazissime, mais sans arriver à décrocher, parce que c’est toujours sympathique d’être en face d’un peu de niaiserie. Ça réconforte. Ce n’est pas la lecture de l’année, mais elle a agréablement occupé quelques heures d’oisiveté.

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Lady Susan

Roman épistolaire de Jane Austen.

Lady Susan Vernon est veuve depuis quelques mois. Elle n’était pas exactement ce que l’on peut appeler une épouse modèle. Aventurière et coquette, elle se joue des hommes et de leurs sentiments, et se plaît à laisser derrière elle des cœurs épris et des femmes humiliées. Sa réputation de femme frivole s’accompagne de celle de mauvaise mère. Après un séjour désastreux chez les Manwaring, elle trouve refuge chez son beau-frère, Charles Vernon. Au fait de sa conduite indigne, la famille la reçoit froidement. Prévenue contre elle, Réginald de Courcy, le frère de Madame Vernon, ne tarde pourtant pas à succomber à ses attraits et à ses manigances.

Ce qui est délicieux avec les romans épistolaires du XIX° siècle, c’est le ton mondain des lettres. De la fille à la mère, de l’amie à l’amie, de la maîtresse à l’amant, les missives ne se départissent jamais d’une grande élégance et d’une rouerie exemplaire. Chacun intrigue contre tout le monde à des fins plus ou moins avouables.

Ce qui est remarquable aussi dans les romans épistolaires, c’est la grande artificialité du récit qui gagne en cohérence ce qu’il perd en crédibilité. Comment expliquer que les lettres sont toutes réunies, par qui et pourquoi? Chaque lettre répond exactement à la précédente et lui fait parfaitement suite, même si les destinataires et émetteurs sont différents. Les rebondissements, impossibles à suivre en temps réel, sont pourtant livrés à chaud, le temps pour ces dames de reprendre leurs esprits et pour ces messieurs d’apaiser leur fureur. Les sentiments ne sont qu’exagération et éloquence. On écrit tout ce qu’on ressent, et la lettre devient brûlante, brûlot.

Ce court roman m’a rappelé l’œuvre magistrale de Choderlos de Laclos, ses superbes Liaisons dangereuses. Lady Susan a tout d’une marquise de Merteuil, rouée et libertine, à ceci près qu’elle connaît une fin moins tragique mais pas nécessairement plus heureuse, tandis que le jeune Réginald est un chevalier Danceny tout à fait benêt et manipulé, mais qui réussit mieux sa sortie.

Le texte se lit vite et avec plaisir. Les lettres sont courtes et donnent au récit un rythme palpitant. D’une missive à l’autre, tout change, les certitudes s’effondrent et les stratégies se retournent contre leur créateur. Bref, j’en redemande ! Et je le recommande !

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Les roses d’Atacama

Recueil de nouvelles de Luis Sepulveda.

Une nuit dans la forêt Aguaruna – Le narrateur suit la journée d’un homme de la forêt, en communion absolue avec la nature et dans l’acceptation sereine des règles éternelles.

L’île perdue – Le microcosme cosmopolite et interreligieux de la pension d’Artatore, dans l’île Losinj en Adriatique, est le reflet malheureux du conflit serbo-croate.

Les jumeaux Duarte – Le trapèze envers et contre tout.

Mister Simpah – Simpah accompagne les bateaux dans leur agonie en leur rappelant les ports où ils ont mouillé et les traversées qu’ils ont effectuées.

Sur les traces de Fitzcarraldo – Charles Fitzcarraldo est un homme aveugle à la beauté. Ses nombreuses expéditions ne lui ont jamais révélé la véritable nature de la forêt de Manu, gigantesque volière à ciel ouvert.

Shalom, poète – Le poète juif Avrom Sützveker s’est illustré durant le second conflit mondial par son anction anti-nazie et anti-faciste.

Le pirate de l’Elbe – Klaus Störtebeker était le Robin des bois de la Baltique, en lutte contre la Ligue Hanséatique.

Chuchu et le souvenir de Balboa – José Jésus Martinez est la voix de Panama. Il raconte avec brio les expéditions de Vasco Nunez de Balboa.

Le pays des rennes – La Laponie et les Lapons ont une culture, une langue, un mode de vie qui va au-delà du simple élevage des rennes.

Baleines de Méditerranée – Les sports de glisse et de rapidité sont un danger insuffisamment considéré et menacent les cétacés de la mer Méditerranée.

Tano – L’histoire de Don Guiseppe, émigré italien qui s’est installé au Chili en passant par l’Argentine.

Cavatori – À Carrare, en Italie, la taille et le travail du marbre sont la cause de nombreux décès. Mais l’art doit-il s’en formaliser ?

Un homme nommé Vidal – On peut être syndicaliste et admirer Greta Garbo.

Le douanier de Laufenburg – Entre la Suisse et l’Allemagne, il y a une frontière. Et il y a le Douanier, intraitable, tatillon et revêche.

Les roses d’Atacama – Le miracle d’une floraison unique, têtue et ponctuelle dans le désert d’Atacama.

Fernando – Un homme meurt et c’est tout un village qui fait œuvre de charité pour un chien abandonné.

Rêver s’écrit avec le « R » de Salgari – Le narrateur part en exploration à Madagascar à la poursuite d’un rêve d’enfance.

Un certain Lucas – Des citadins volontaires perdus en Patagonie argentine découvrent la valeur de la nature et entreprennent de la préserver.

L’amour et la mort – La mort d’un chat aimé est une leçon de vie qu’un père ne peut éviter à ses enfants.

Les roses blanches de Stalingrad – Les bombardiers de la Luftwaffe avaient un adversaire de taille en Russie: une escadre féminine déterminée à se battre comme des hommes.

« 68 » – Un peu de rock tchèque a réussi à se faire entendre au-delà du rideau de fer.

Papa Hemingway est visité par un ange« Chaque jour, Papa Hemingway me répond en m’apprenant que le métier d’écrire est un travail d’artisan. » (p. 113)

Juanpa – Le journaliste Juan Pablo Cardenas et sa revue Analisis se sont élevés contre Pinochet, au-delà des barreaux des prisons et des tentatives de muselage.

Rosella, la plus belle – Une trattoria d’Asti ne résiste pas à l’avancée de la modernité qui balaie des années de souvenirs.

Asturies – Toute la générosité d’une région et d’un peuple de marginaux continue de s’élever contre l’acculturation d’un continent qui oublie les différences qui le composent.

Monsieur Personne – Fritz Niemand, cobaye d’expériences nazies innommables, réclame justice des années après la guerre, révélant que le danger nazi gronde toujours.

Coloane – Francisco Coloane s’est toujours fait le porte-parole des marginaux, puisant dans la différence toute la force de ses récits.

Les amants – Sur le Rio Esmeraldas, l’amour se moque de la morale catholique et de l’évangélisation. Derrière cet amour, c’est tout un peuple qui se protège du reste du monde.

Gasfiter – Un plombier passionné transmet son savoir à des femmes décidées à conserver les biens des plus démunis.

Joyeux Noël! – Une femme médecin dans la forêt salvadorienne continue à sa façon le combat de son compagnon journaliste.

Compa – Chez les peuples du Sud, la douleur s’exorcice au quotidien, par le quotidien, dans la dureté et l’entêtement.

La voix du silence – Il était une fois Oscar, un compagnon que la torture n’a pas fait parler.

A la vôtre, Professeur Galvez ! – Un vieux professeur, passionné par son métier, rêve de sa classe et se réveille au matin avec de la craie sur les doigts.

La brune et la blonde – Carmen et Marcia, unies dans la torture, incarnent l’esprit des femmes puissantes.

Sepulveda livre dans chaque nouvelle un peu de son existence d’auteur activiste, de révolté, de baroudeur, de défenseur de la planète. Son amour pour la nature et son combat pour la dignité humaine dans le respect des richesses naturelles ont bien plus de valeur que tous les Grenelle et tous les Stockholm.

Sous la plume incisive et poétique de Sepulveda, l’imaginaire naît de la réalité et des vraies existences, le merveilleux se découvre au cœur des détails d’un quotidien inconnu. Les existences individuelles et anonymes sont croquées dans un carnet de voyage humaniste et poétique.

Ce recueil m’a beaucoup rappelé Les nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. J’y ai trouvé la même finesse, la même délicatesse dans la narration du malheur et des douleurs. L’auteur fait des constats pénibles et alarmants, mais il n’accuse pas l’homme, produit de la nature comme les plantes et les animaux qui disparaissent. Au-delà des dictateurs et des destructeurs, ce sont des systèmes qu’il met en cause, jamais des hommes.

Profondément attaché à son Chili natal, l’auteur fait entendre tout l’amour qu’il a pour sa terre et les siens et, au-delà, tout l’amour qu’il a pour les peuples d’ailleurs, jusqu’aux frontières boréales de la Laponie et de la Russie et jusqu’aux temps de la piraterie moyenâgeuse. Il n’y a pas de terre trop éloignée ou d’époque trop reculée pour qu’il n’y trouve des frères de combat et de douleur.

Chaque récit se lit indépendamment des autres, mais l’ensemble forme un chœur millénaire bouleversant, une voix de la terre qui s’élève contre les dictatures et les injustices. Tout simplement bouleversant, à lire sans aucun doute !

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Mal de pierres

Roman de Milena Agus.

« Si je devais ne jamais te rencontrer, fais qu’au moins, je sente le manque de toi. » C’est avec cette touchante pensée d’un soldat extraite du film La ligne rouge  que s’ouvre la lecture.

C’est en Sardaigne que grandit l’héroïne d’une histoire singulière. Longtemps rejetée par ses prétendants, elle est persuadée que l’amour n’est pas fait pour elle, qu’il lui manque la « chose principale » qui permet au bonheur de s’ancrer et de durer. Mariée par raison à un homme qu’elle n’aimera jamais, elle court toute sa vie après le souvenir du Rescapé, un convalescent qu’elle a croisé lors de la cure thermale où elle a soigné ses calculs rénaux. Revenue de cette cure, elle accouche quelques mois plus tard de son fils, la merveille tant espérée mais qui lui reste si lointaine. Son histoire, c’est sa petite-fille qui la raconte, d’après ce qu’elle a entendu, ce qu’on lui a répété, ce qu’elle a deviné et ce qu’elle a découvert.

Le portrait de cette femme aux cheveux extraordinairement noirs, au corps fait pour l’amour qui ne connaît que le plaisir sans le sentiment, est bouleversant de délicatesse. Elle n’a pas de nom. Elle est la « grand-mère », celle dont on raconte l’histoire en tentant de démêler le vrai du faux.

Le « mal de pierres » dont elle souffre ne semble pas être uniquement physique. Cette femme sublime et originale traîne une charge teintée de maléfices. Elle porte sur ses rondes épaules la bizarrerie de toute une famille, elle est la sacrifiée qui ne le sait pas, une Iphigénie inconsciente. Mais elle n’est pas malheureuse. Elle vit dans un univers dont elle détient seule la clé. Elle y laisse entrer de temps en temps sa petite-fille, mais garde tout secret entre les lignes de son carnet.

L’histoire est faite de souvenirs fantasmés et d’approximations romancées, sous le regard attendri de la petite-fille. Que sait-elle vraiment de son aïeule ? Que nous en dit-elle ? Dans quelle mesure faut-il croire ce qu’elle dit ? Le récit se replie sur lui-même à l’extrême fin de la lecture. Il ne nous reste ne fait qu’à le reprendre depuis le début, en balayant ce que l’on croyait être des vérités et en relisant nos soupçons à la lueur des dernières révélations.

C’est un texte émouvant, très fin qui laisse une fugace impression de nostalgie, comme quand on ouvre un album de famille et qu’on cherche à remettre des noms sur des visages estompés. Tout simplement sublime.

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Ma vie est tout à fait fascinante

Bande dessinée de Pénélope Bagieu. Édition spéciale avec un calendrier signé de l’auteure.

Pénélope Bagieu, ou Pénélope Jolicoeur, s’est fait connaître avec son blog Ma vie est tout à fait fascinante. En quelques coups de crayon, elle raconte ses journées de Parisienne indécrottable, de fashion victime, de trentenaire débordée entre ami(e)s et amoureux, de dessinatrice à la mode. Avec à chaque fois une grande rasade d’auto-dérision et des phrases percutantes, elle croque sa vie comme elle croque la vie et les macarons, à pleines dents et sans concession.

Cette bande dessinée reprend des planches de son blog et rassemble tous les thèmes qui lui coûtent cher : les vêtements et surtout les chaussures, les années et le passage à l’âge adulte, la famille et ses boulets, les amis et les potins. En moins de cent pages, elle offre une grande bouffée d’air frais.

Très facile de s’identifier à cette nénette touche-à-tout et maladroite, attachante et rigolote. Je n’avais pas lu de bande dessinée depuis un moment. C’est un chouette cadeau venu d’une chouette personne. Je vais la garder sur ma table de chevet. Une planche par jour, c’est salutaire !

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Un brillant avenir

Roman de Catherine Cusset.

Elena a grandi en Roumanie. Toute son existence est une lutte vers le meilleur. Elle brave ses parents en épousant contre leur gré Jacob, un juif. Elle fuit le malheur en quittant la dictature de Ceausescu pour Israël, terre de promesses pour son mari. Mais elle sait que le pays lui demandera un jour des comptes et elle refuse de lui sacrifier son fils. C’est aux États-Unis qu’Elena, qui se fait désormais appeler Helen, se construit une vie libre et sereine. La famille Tiberescu est devenue la famille Tibb, une famille d’immigrés qui a parfaitement réussi son insertion dans le pays le plus cosmopolite du monde. Déterminée à offrir le meilleur à son fils, elle voit d’un mauvais œil son mariage avec Marie, une jeune Française. Entre les deux femmes, une lutte terrible s’engage pour conserver l’amour du même homme, et pour lui offrir un brillant avenir. Mais peu à peu, de déchirements en reniements, Helen et Marie se retrouvent autour de sentiments communs et développent un respect qui se teinte d’une affection timide et réservée.

Le roman est finement construit, fait d’allers-retours successifs entre passé et présent. Deux histoires se déroulent en parallèle, et la première d’entre elles est irrémédiablement attachée à la seconde. D’une part, on suit le combat d’Elena pour échapper à la misère et aux pressions politiques, son combat pour offrir aux siens un avenir prometteur. D’autre part, on voit Helen, installée aux U.S.A., qui continue de se battre pour maintenir l’unité de sa famille. Deux trajectoires, deux destinées séparées par un mur, un rideau de fer, qui se rejoignent et se reconnaissent après des années de séparation.

Elena/Helen et Marie se ressemblent. L’amour les guide dans leurs choix, même si la différence de génération et d’éducation les fait réagir différemment devant des situations identiques. Leur conception du couple et de la famille diffère, mais la finalité est la même: préserver les leurs, leur offrir le meilleur.

La langue est délicate, pudique. Le récit douloureux d’une existence d’errance et de déracinement est fait sans pathos excessif. L’auteure a fait de son héroïne une passionaria de l’Europe de l’Est. Elle incarne la lutte de tous les peuples opprimés du bloc soviétique, mais aussi la volonté des plus faibles.

Toute l’histoire est portée par le chant hébreu traditionnel Hava Nagila. Il en résulte un dynamisme permanent. Même aux pires moments, le récit progresse, se relance, ne renonce jamais. La lecture est aisée, entraînante et touchante. Voilà un livre que je conseille à tout le monde.

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La cuisine des filles

Livre de recettes d’Ève-Marie Bouché, racontées par Claire de la Fayette, illustrées par Marianne Dupuy-Sauze.

C’est un livre pour adolescentes ou toutes jeunes femmes, donc il est tout à fait pour moi, qu’on se le dise! On y retrouve des recettes essentielles: les crêpes, les nouilles chinoises, le guacamole, la mousse au chocolat, les lasagnes, les roses des sables, etc. Que des incontournables que l’on connaît toutes, mais une piqûre de rappel ne fait jamais de mal !

La mise en page est un tantinet surchargée en couleurs, en graphismes et en photos. La lecture est un peu difficile aussi. La liste des ingrédients n’est jamais au même endroit, et il faut parfois chercher le temps de cuisson un petit moment…

Mais c’est un ouvrage ludique, qui fourmille d’idées et de conseils, mais aussi de petites blagues sympathiques et potaches. Il y a plein de trucs de filles pour plaire à un amoureux, pour régaler les copines, pour impressionner les parents, pour garder la ligne, pour organiser la plus chouette des soirées ou le pique-nique le plus rigolo.

La couverture en plastique est une idée intelligente. Elle protège bien le livre et elle lui donne un côté cahier d’exercices, comme un cahier de vacances, qu’on a envie d’ouvrir tout le temps. Fermé par un bel élastique jaune, l’ouvrage garde bien au chaud tous les futurs délices qu’on saura concocter !

Voilà un livre de cuisine à mettre entre toutes les mains. Parce qu’il me semble que ces messieurs auraient de quoi apprendre. Et le titre peut se lire de deux façons: la cuisine par les filles et la cuisine pour les filles. Et oui messieurs, on adore quand c’est vous qui cuisinez !

Enfin, c’est un livre pour ceux et celles qui aiment la chick litt, comprendre rapidement la littérature pour les filles. J’imagine bien Bridget Jones réussir son premier guacamole grâce à ce livre et trépigner de fierté en culotte devant sa fenêtre ouverte aux passants!

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Les chiennes savantes

Roman de Virginie Despentes.

Louise travaille dans un peep-show. Le métier la contente. Elle fait ça sans effort, soutenue par l’alcool et les drogues. Elle vit la nuit, ne rencontre pas beaucoup de nouvelles personnes. Elle aimerait parfois être ailleurs. Mais elle continue, jour après jour, d’avancer sur le même chemin. Un soir, le peep-show où elle travaille n’ouvre pas. Elle est convoquée par la Reine-Mère, celle qui chapeaute tout le réseau de la prostitution et de l’exhibition de la ville. Deux filles ont été retrouvées mortes, écorchées jusqu’à l’os. La Reine-Mère est après un certain Victor, un beau parleur flambeur indigne de confiance. Louise, qui ne se donne à personne, qui ne laisse personne la toucher, découvre que les hommes sont des bêtes violentes pour qui les femmes sont des proies faciles et nécessaires.

Infâme lecture! La langue est détestable, vulgaire, lourde et sale. Elle colle au sujet: prostitution, violence, vies malhabiles et paumées. La narration est pénible: Louise peine à chaque mot, à chaque phrase. Le texte avance mal. Lire ce qu’elle raconte, c’est comme soulever le rideau rouge et lourd d’une boîte de strip-tease, être sommé d’assister à un spectacle dont on n’est pas nécessairement pas amateur. On en ressort vaguement dégoûté et sali. Si le but de l’auteure était de nous choquer et de nous envoyer de la saleté et de la perversion par paquets, elle a réussi.

Cette réussite ne veut pas dire que j’ai aimé le texte. Je l’ai trouvé inutilement racoleur et provocateur. L’intrigue aurait peut-être gagné à être un peu plus légère, moins enchaînée à la langue des bas-fonds et aux quartiers douteux. Certains diront qu’on ne peut parler des sujets spécialisés qu’en utilisant la langue qui les caractérise. Je pense qu’un peu d’ouverture d’esprit et de formulation n’est pas une tare.

Les personnages sont très caricaturaux. Il y a la danseuse lubrique qui aime qu’on la regarde, celle qui flirte avec la prostitution, la mère maquerelle imposante et majestueuse, le type à la gueule d’ange, etc. Dommage, le texte devient une énième réplique des films noirs, sans rien inventer de nouveau.

À qui recommander ce livre? À ceux qui aiment l’univers des nuits glauques et sordides, mais je ne suis pas certaine qu’ils passent sur ce blog… À ceux qui veulent découvrir l’écriture de Virginie Despentes dont on a tellement parlé. À ceux qui veulent une lecture coup de poing. Mais vraiment, je ne le recommande en fait à personne. Ce n’est, à mon sens, pas un bon livre.

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Les enfants de la soie

Roman historique de John Evans.

Judith Grainger a eu une vie mémorable. Après la grande peste noire à Londres, il lui a fallu fuir à Nîmes. La France n’est guère accueillante pour elle et sa famille. Ils sont protestants et Louis XIV est au pouvoir. La famille Grainger est poursuivie par le machiavélique Charles Montjoye. Après un exil éprouvant à Gênes, c’est un exil en Amérique qui attend Judith et les siens. Mais unis par la même passion de la soie, les membres de la famille Grainger surmontent les épreuves et forment un clan solide.

Belle saga familiale sur fond de persécutions huguenotes. Le texte file à vive allure et nous entraîne avec brio d’un bout de l’Europe à l’autre, jusqu’en Amérique. Il me semble que la traduction française est un peu maladroite par endroit. Il faudrait que j’aie la version originale sous le nez pour confirmer mes dires.

La description de la grande peste londonienne est fameuse ! J’aime que les épisodes historiques soient traités avec précision et rigueur sans devenir des cours magistraux. Il y a dans le texte ce qu’il faut de détails pour que le roman soit crédible et intéressant.

Et quelle richesse quand il s’agit de la soie ! Le texte se déploie, scintille, crépite comme autant de pièces de tissu que l’on froisserait et que l’on caresserait !

Ce n’est pas le meilleur roman historique que j’ai lu, mais il me laissera un bon souvenir. Ça doit être un truc de filles : on y parle de jolies choses qui font envie, alors ça me va…

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Le dissident chinois

Premier roman de Nell Freudenberger. À paraître le 14 janvier 2010.

Yuan Zhao est un peintre chinois. Membre de la communauté des performeurs artistiques de l’East Village de Pékin, il a été emprisonné à plusieurs reprises pour ses idées et ses œuvres. En participant à un échange inter-universitaire, il arrive à Los Angeles pour enseigner dans le lycée pour filles St Anselm’s. Il est accueilli par les Travers, une famille américaine typique qui, sous des apparences banales, dissimule des secrets et des problèmes de toute sorte. Cece Travers a bien des difficultés à maintenir le lien familial. Son époux Gordon la délaisse au profit de son travail de psychiatre et d’études généalogiques dont il a fait sa marotte. Leur fils Max flirte avec la dépression et les comportements à risque. Leur fille Olivia est devenue rapidement une jeune femme séduisante aux troubles alimentaires certains. Chacun évolue sans se soucier des autres. Cece accueille avec plaisir Yuan Zhao chez elle. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle aura très vite un deuxième hôte sous son toit, son beau-frère Phil, toujours éperduement amoureux d’elle. Dramaturge sur le point d’accéder à la gloire et à la reconnaissance, il traverse une crise de conscience et de responsabilités.

Habilement construit, ce texte se lit avec délectation. Le balancement entre première personne narratrice (Yuan Zhao) et troisième personne narratrice (Cece) donne un rythme très particulier au récit. On pourrait croire que Yuan Zhao est un personnage décidé et dynamique puisque l’auteure lui a confié le soin de la narration. On pourrait croire que Cece est une femme débordée et incapable puisque le pouvoir de narration lui est refusé au profit d’un narrateur extérieur. On pourrait le croire. Cette pirouette langagière n’est qu’une des facettes du jeu de dupes que l’auteure met en place dans son livre.

Véritable dilettante et arnaqueur, le dissident chinois cristallise toutes les différences qui opposent Orient et Occident. Mais le traitement fait de ce personnage donne de la grande Chine communiste de Mao une image plutôt bouffonne, faite de bureaucratie tatillonne et de comportements aliénés. Yuan Zhao ne représente que la part des artistes maudits: maudits par le régime. La seule possibilité pour lui de faire reconnaître son art et celui de ses camarades, c’est de s’expatrier pour s’offrir en pature aux Américains branchés.

Il n’y a pas de personnages secondaires réellement intéressants selon moi. J’ai en revanche été séduite par la ménagerie décrite dans la maison des Travers. Il y a deux chiens, un nommé Salty et un lévrier nain appelé Dr. Spock, un chat baptisé Prométhée, un cochon d’Inde prénommé Ferdinand, un lapin nommé Freud et un galago répondant au doux nom de Fionnula. Tous ces animaux différents contraints de cohabiter dans la belle villa de Los Angeles sont un miroir déformant de la tribu Travers et des personnes qui la côtoient, comme un horoscope chinois vivant.

Un point important dans le traitement des personnages est l’usage de diminutifs ou de surnoms. Cece s’appelle en réalité Cecelia. Phil n’est qu’une version tronquée du prénom de son beau-frère. Les enfants, Max et Livy, gardent les petits noms qui ont accompagné leur enfance. Le plus remarquable des polymorphismes nominaux est celui de Yuan Zhao, qui répond à de nombreux surnoms: « Petit Gros », « L’hermite au homard ». Les Américains, incapables de prononcer son nom en respectant les sonorités et le ton, le rebaptise à l’envi, et il gagne un grand nombre de nouveaux patronymes. Cette instabilité nominale caractérise bien les caractères mouvants et indistincts des personnages.

L’art, sa création et sa paternité sont des sujets récurrents. Le principal artiste, Yuan Zhao, ne produit strictement rien de nouveau. Joan la romancière écrit des textes que personne ne lit. Phil le dramaturge ne réalise pas sa pièce. La classe d’art dirigée par le dissident à St Anselm’s ne produira de toute évidence aucune œuvre artistique. Toute élévation de l’esprit semble impossible dans le microcosme de l’entourage des Travers. Tout n’est qu’ébauche ou copie, voire plagiat. L’art chinois que Yuan Zhao est venu faire découvrir aux Américains est par essence un art impalpable et inexposable. L’art chinois reste bien en Chine, comme le défendent certains penseurs, mais il reste aussi dans le passé de la Chine puisque sa seule validité est sa relation avec les événements politiques qui l’ont motivé. Plus qu’une manifestation artistique, les curieux et les amateurs américains viennent chercher du sensationnel.

La fuite du sommeil est une caractéristique commune à plusieurs personnages. Derrière l’insomnie se cachent l’inspiration, l’angoisse, la transgression. C’est la nuit que les masques tombent. C’est aussi autour de la piscine de la villa des Travers que beaucoup de choses se nouent et se dénouent, se révèlent. Le miroir d’eau est mollement secoué par les quelques brasses de certains, mais il est le plus souvent immobile, inutile et inutilisé, mais il est le témoin des vérités qui s’ébauchent et se dévoilent.

Je garderai de cette lecture un souvenir ému. Elle est la dernière de l’an 2009 et la première de l’an 2010. J’ai majoritairement lu ce texte dans un lieu qui m’est cher, par épisode. C’est une page qui se tourne, une autre. Ce livre rassemble beaucoup de choses et de doux souvenirs.

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E=MC² mon Amour

Roman de Patrick Cauvin.

Daniel Michon a 11 ans. Il vit à La Garenne, en banlieue parisienne. Surdoué, il est imbattable en cinéma, surtout les films avec Robert Redford et Jane Russel. Lauren King a 11 ans. Elle vit dans le XVI° et étudie au lycée franco-américain. Surdouée, elle sait résoudre des équations complexes et nourrit une passion profonde pour Jean Racine. Quand ces deux-là se rencontrent, c’est le premier amour qui commence en technicolor et en alexandrins. Après une année scolaire faite de rendez-vous volés et de baisers timides, ils décident de partir ensemble à Venise, comme de vrais amoureux, sous la tutelle excentrique et bienveillante d’Edmond-Julius Santorin, un chef de gare à la retraite, filou et menteur à ses heures.

Commencer et finir une histoire d’amour sur la formule d’Einstein, c’est osé, c’est charmant, c’est rafraîchissant. Ça ferait presque aimer les mathématiques.

Jolie petite romance juvénile, le ton y est léger, drôle, volontiers condescendant envers les idiots et les parents. J’ai très certainement découvert ce livre trop tard. Il m’aurait sans aucun doute enchantée adolescente. Maintenant, je regarde ça avec gentillesse et ironie. C’est une bluette qui ne finit pas si mal que ça. A faire lire aux tous jeunes adolescents.

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