J’irai cracher sur vos tombes

Roman de Boris Vian.

Lee Anderson livre l’aveu jouissif d’une vengeance implacable. « Gérant de librairie à Buckton : voilà mon nouveau boulot. » (p. 12) Mais ce après quoi il court, c’est un objet sur lequel déverser sa haine et venger la mort du gamin, son petit frère. En attendant, il tue le temps avec une bande de jeunes gens aux mœurs plutôt légères. Puis il rencontre Jean et Lou Asquith et il sait qui subira ses foudres. Contrairement à Tom, son frère à la peau noire, Lee ne croit pas en la force de la religion pour surmonter les épreuves. « Il était trop honnête, Tom, c’est ce qui le perdait. Il croyait qu’en faisant le bien, on récoltait le bien, or, quand ça arrive, ce n’est qu’un hasard. Il n’y a qu’une chose qui compte, c’est de se venger et se venger de la manière la plus complète qui soit. » (p. 88)

Ce que personne ne sait, mais que certains soupçonnent, c’est que Lee Anderson est un nègre blanc. Et être nègre, ce n’est pas la meilleure façon pour un homme de rester en vie dans les années 1940, surtout s’il fricote avec des jeunes filles blanches. Mais Lee dissimule sa vraie nature. « Avec ces cheveux blonds, cette peau rose et blanche, vraiment, je ne risquais rien. Je les aurai. » (p. 49) Lee Anderson ne renie pas son sang, bien au contraire : « je sentais le sang de la colère, mon bon sang noir, déferler dans mes veines et chanter à mes oreilles. » (p. 85) Mais il se sert de sa différence de peau à son avantage pour exercer sa vengeance. Quoi de plus jouissif que de souiller deux filles blanches de toutes les manières possibles ? La vengeance de Lee s’accompagne en effet d’une quête de jouissance : le plaisir qu’il donne aux filles est d’autant plus partagé qu’il est lourd d’ironie et de cynisme. Au-delà des apparences, le mal se joue des pudeurs et des tabous.

Le récit que livre Lee Anderson est le lent déroulement d’une projection sur le futur. Dès le titre, une haine pure coule sur le texte et toute l’écriture en est imprégnée. La plume de Vian célèbre également le plaisir de blesser et de pervertir. Une fois sa vengeance consommée, la narration échappe à Lee et la fin du récit, attendue, est menée par un narrateur neutre, comme une caméra embarquée sur le capot d’une voiture de police qui filme tout au ralenti.

J’avais lu ce roman quand j’étais môme. Mon souvenir était flou et je ne me rappelais qu’un certain déplaisir. À le relire aujourd’hui, j’ai bien plus apprécié le style de Boris Vian et le cynisme de cette histoire. Au-delà d’une critique de la ségrégation et des brimades faites aux noirs, ce roman célèbre la liberté d’agir sans entrave et sans tabou. Tout simplement exaltant.
Le film de Michel Gast avec Christian Marquant, sorti en salle en 1959, est loin d’être fidèle au roman. Les personnages ont des noms différents et la poursuite de la vengeance n’est pas le cœur du film. Un autre méchant entre en scène et le héros principal a le cœur bien plus tendre que son homologue de papier. de noir, le film n’a en fait que la pellicule et l’histoire verse assez vite dans la parabole grossière du bon nègre/méchant blanc. La fin est d’un ennui considérable. Pas étonnant que ce pauvre Boris Vian soit mort durant la première projection du film…

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Et si c’était vrai / Vous revoir

Romans de Marc Levy.

Et si c’était vrai – Arthur découvre Lauren dans le placard de sa salle de bain, mais elle s’étonne qu’il puisse la voir. Elle est dans le coma depuis plusieurs mois, à l’hôpital, mais étrangement, elle se promène toujours dans son ancien appartement, reloué à Arthur. Entre eux s’engage une tendre relation. Mais la mère de Lauren envisage de mettre fin au coma de sa fille. Arthur refuse l’inévitable. Avec l’aide d’un ami, il enlève le corps inanimé de Lauren. Mais une patiente dans le coma qui disparaît, ça cause une certaine agitation. Lauren et Arthur savent que leur amour est fragile et leur bonheur éphémère.

Vous revoir – Lauren est sortie de son coma. A son réveil, Arthur promet de lui raconter une histoire extraordinaire. Puis il disparaît. Lauren reprend sa vie, son internat, mais le souvenir de cet homme l’obsède. De son côté, Arthur aime toujours Lauren, mais il s’en est éloigné pour la protéger. Le destin s’ingénie toutefois à croiser leurs chemins.

Les deux histoires sont mignonnes, charmantes, fraîches, pétillantes, gentilles, etc. Voilà voilà… La romance mêlée de merveilleux a fait la renommée de l’auteur. Il est certain qu’il ne peut pas prétendre être un narrateur de génie, ni une force de la syntaxe. Numéro un des ventes de livres en France, il s’en sort plutôt bien avec des textes qui flirtent un peu-beaucoup avec la chick-litt

J’ai toutefois une pensée émue pendant que j’écris ce billet. J’ai lu ces deux livres à une personne qui m’était chère et qui nous a aujourd’hui quittés. J’ai lu d’autres textes de l’auteur depuis, mais il est tout à fait inutile d’en parler. Selon moi, toutes les histoires de Marc Levy se ressemblent, avec plus ou moins les mêmes éléments.

J’ai vu le film de Mark Waters avec Reese Witherspoon. Encore plus niais que le livre, le film péche par une réalisation brouillonne et une interprétation ridicule. Les adaptations cinématographiques sont souvent décevantes, et elles le sont encore plus quand le film n’a du livre que le nom…

Marc Levy, c’est fait…

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Félicie la souris

Roman d’Enid Blyton. Illustrations de Jeanne Bazin.

Au Pays des Jouets, à Miniville, vit Félicie la souris. Elle habite dans la Maison de poupées, avec Papa Pierre, Maman Claire et leurs enfants, Benoît, Blandine et Benjamin. Toute la journée, plumeau ou cuillère à la main, elle s’affaire dans la maison. Femme de ménage, femme de chambre, cuisinière et nourrice, elle sait tout faire, et avec le sourire. Organiser un anniversaire en quelques heures? Pas de problème! Préparer des vacances à la dernière minute? Félicie s’occupe de tout! Et elle est la plus heureuse des souris.

Enid Blyton est principalement connue pour ses autres héros de la littérature pour enfant, notamment Oui-Oui et Jojo Lapin, ou encore le Club des Cinq et le Clan des Sept. Je leur ai tous fait honneur, et j’étais toute fière de me vanter, quand j’avais douze ans, d’avoir tout lu! Mon personnage préférée dans l’œuvre de l’auteure reste Félicie la souris, Mary Mouse en version originale, qui est un peu moins renommée. N’est-elle pas adorable cette petite demoiselle au tablier impeccable, au museau frais et aux grands yeux tendres? N’est-elle pas géniale cette nounou infatigable et cette employée de maison irréprochable?

Un peu Mary Poppins, un peu bonne marraine et fée, un peu Miss Marple, ce petit génie domestique a un charme désuet tout à fait délicieux. Satisfaite de sa condition de domestique dans une maison bourgeoise où Madame doit se reposer pour cause de santé fragile, Félicie respecte la hiérarchie sociale du début du siècle. Tout faire pour les autres, se dévouer corps et âme pour ses maîtres, c’est tellement gratifiant! C’est une lecture un peu ironique de cette oeuvre pour les enfants, mais le message est tout de même clair.

Le plus drôle, c’est quand Félicie devient maman. Un matin, il y a 6 souriceaux dans un berceau. C’est normal. Les choses de la vie sont bien enrubannées, c’est charmant.

Les illustrations de Jeanne Bazin sont pimpantes et pétillantes. J’ai retrouvé avec plaisir le gendarme qui embête souvent Oui-Oui, Germain le Pingouin et Pom le Panda. Tout un univers vieillot qui m’a beaucoup marquée !

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Washington Square

Roman d’Henry James.

À New York, au milieu du 19e siècle, le docteur Sloper est un praticien reconnu et respecté. « Il aimait son travail et l’exercice d’un talent dont il était agréablement conscient. » (p. 17) Veuf assez jeune d’une épouse qu’il adorait, il a élevé leur fille Catherine avec l’aide de sa sœur, Mrs Penniman, dans sa superbe demeure de Washington Square. Rapidement, il comprend que son enfant n’est ni belle, ni particulièrement intelligente ou intéressante. « Je n’espère rien, se disait-il ; de sorte que si elle me réserve une surprise, ce sera un bénéfice net ; dans le cas contraire, je n’aurai rien perdu. » (p. 27) Catherine est une jeune fille douce, tendre, d’un calme exceptionnel et d’une banalité remarquable. C’est donc avec un étonnement mêlé de méfiance que le docteur Sloper constate l’intérêt que le jeune Mr Morris Townsend porte à Catherine. Le prétendant traîne une vilaine réputation de dépensier et le docteur est convaincu qu’il n’en veut qu’à la fortune de sa fille.

Alors que le docteur Sloper tente de convaincre Catherine de se défier de Morris, Mrs Penniman encourage les jeunes amoureux dans leur passion. Catherine est rapidement éprise et elle porte à Mr Townsend une confiance aveugle. Les fiançailles sont conclues sans l’accord du père et Morris semble déterminé à épouser sa jeune amie. « Vous devez me dire que si votre père m’est tout à fait hostile, s’il interdit absolument notre mariage, vous me resterez fidèle. » (p. 90) Mais quand le docteur Sloper annonce qu’il privera sa fille de tout héritage si elle épouse celui qu’il considère comme un aventurier et un coureur de dot, quelle sera la réaction du fiancé ?

Henry James propose un roman qui pourrait être très classique : une jeune fille trompée par un fiancé indélicat et un père soucieux de l’avenir et des intérêts de son enfant. Mais à lire de plus près, ce n’est pas du tout le sujet. En premier lieu, le docteur Sloper est un tyran domestique qui s’assume : « Toutes les deux ont peur de moi, bien que je sois inoffensif. […] C’est précisément là-dessus que je fonde mon action, sur la terreur salutaire que j’inspire. » (p. 109) En outre, il se targue de connaître parfaitement la nature humaine et les motivations des gens qu’il côtoie. De sorte que s’il cherche à empêcher le mariage entre Catherine et Morris, ce n’est pas tant pour protéger sa fille que pour prouver qu’il avait percé à jour la vraie nature du jeune homme. Enfin, le docteur Sloper a une bien piètre opinion des femmes : seule son épouse était digne d’intérêt et il traite avec indifférence, voire mépris, sa sœur et sa fille. Il entend être respecté sous son toit et maîtriser les destinées des femmes dont il a la charge, aussi pénible la conçoit-il.

Mrs Penniman est une entremetteuse écervelée et niaisement romantique. La veuve est un des éléments majeurs du malheur de sa nièce, mais elle n’en prend jamais conscience et ne cesse de soupirer après le beau prétendant. À l’opposé de ce tempérament de midinette, Catherine est dotée d’un étonnant caractère : elle est toujours d’humeur égale, ignorante des passions et des éclats. Elle respecte véritablement son père et ne souhaite aucunement le contrarier. Mais on la découvre opiniâtre, fermement résolue à attendre son bonheur. En outre, quand elle comprend la véritable nature des sentiments que lui porte son père, elle cesse d’attendre quoi que ce soit de lui et se constitue une vie intime, certes solitaire, mais parfaitement solide.

Le narrateur se présente comme le biographe de Catherine Sloper. Il prend régulièrement la parole et s’adresse au lecteur en toute familiarité. Même s’il diffère les révélations, il ne laisse aucun espoir quant à l’issue de la romance entre la jeune fille et Mr Townsend. Le ton primesautier qu’il emploie pour relater les longues et malheureuses fiançailles de Catherine et Morris dissimule à peine un cynisme profond envers la bonne société new-yorkaise. Henry James, comme Edith Wharton, est très habile à faire la critique des personnages et des caractères d’une bourgeoisie trop pénétrée de sa propre importance. Et c’est avec un délice sadique que le lecteur assiste à des passions de salon qui dévastent les âmes et les existences.

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A Midsummer Night’s Dream

Pièce de théâtre de William Shakespeare.

À Athènes, Thésée s’apprête à épouser Hippolyte, reine des Amazones. Toute la ville est en fête. De leur côté, Hermia et Lysander aimeraient se marier, mais le père de la jeune fille l’a promise à Demetrius, dont Helena est éperdument amoureuse. Lysander a beau plaider sa cause, tout semble vain : « You have her fathers’love, Demetrius : Let me have Hermia’s. Do you marry him. » (p. 48) Résolus à échapper à la tyrannie paternelle, Hermia et Lysander s’enfuient. Dans la forêt où ils décident de passer la nuit, ils sont rejoints par Demetrius qui poursuit Hermia et Helena qui poursuit Demetrius.

Alors que les humains se prêtent au jeu délicat de l’amour, le roi de la Forêt, Obéron, décide de se venger de son épouse, Titania, qui a contrarié un de ses projets. Par un sort, il la condamne à tomber follement amoureuse du premier être qui croisera son regard. À son réveil, la belle reine des fées aperçoit Bottom, artisan qui répète une pièce pour le mariage royal. Mais Bottom est loin d’être beau : le valet d’Obéron, Puck, l’a changé en âne pour lui jouer un tour.

Et, par erreur, Puck a administré un autre sort à la mauvaise personne : voilà que Lysander et Demetrius poursuivent de leurs ardeurs la vilaine Helena, laissant la belle Hermia désespérée dans les sombres profondeurs de la forêt.« O weary night ! O long tedious night, / Abate thy hours, shine comforts from the East, / That I may back to Athens by daylight / From these that my poorcompagny detest. » (p. 96) Heureusement, dès les premières lueurs de l’aube, les tourments de la nuit disparaissent comme un vilain rêve.

Dans cette pièce, Shakespeare s’amuse à chahuter les histoires d’amour et surtout les femmes qui sont les pigeonnes de la farce : Titania s’éprend d’un âne, Hermia est délaissée au profit d’une plus vilaine qu’elle et Thisbé, dans la pièce jouée en l’honneur du mariage de Thésée et Hippolyte, vit un amour malheureux.« Cupid is a knavish lad / Thus to make poor female mad. » (p. 96)

La tragédie sur les amours malheureuses de Pyramus et Thisbé est une mise en abyme à la fois réussie et hilarante. Les artisans qui la mettent en scène et incarnent les personnages sont des amateurs sans talent, ni finesse. Le drame devient bouffon quand un des personnages est obligé de se déguiser en mur pour représenter un mur, et même un trou dans le mur.

L’intrusion du monde magique des fées dans le monde rationnel des humains est permise par l’arrivée de la nuit, domaine du rêve et de l’incertitude. Après le lever du soleil, c’est à peine si l’on entend le facétieux Puck qui nous présente ses excuses, comme une voix lointaine venue du fond des songes.

Chaque fois que je relis cette pièce, je m’amuse toujours autant et je me régale avec l’anglais si désuet et archaïque de Shakespeare. Voilà un morceau à déclamer pour bien ressentir tout le rythme d’un texte parfaitement versifié et rimé.

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Belle du Seigneur

Roman d’Albert Cohen.

À Genève, quelques années avant le deuxième conflit mondial, Ariane Deume mène une vie morne aux côtés de son époux Adrien. Rien de plus important pour lui que les honneurs et la gloire. Obscur employé à la SDN, il est gratifié d’une promotion spectaculaire qu’il croit devoir à la sympathie que lui porte le sous-secrétaire général. Parfaitement stupide et imbu de lui-même, il aime pérorer sur ses multiples grâces et talents. Mari assommant et encombrant, il est convaincu que sa femme l’aime passionnément, en dépit de ses humeurs. Ce qu’il ne voit pas, c’est que sa femme lui échappe, au profit de Solal, le sous-secrétaire général dont il est tellement admiratif. Lumineux amants, Ariane et Solal vivent leur amour clandestin entre les murs de la maison des Deume. Entre eux, ce n’est que débauche de déclaration et surenchère d’efforts pour se plaire. Mais à ne vivre que d’amour, pour l’amour et dans l’amour, le couple s’auto-détruit.

L’ami qui m’a prêté ce livre m’a dit un soir que c’est un ouvrage dont on ressort différent après l’avoir refermé. Après Belle du Seigneur, impossible de considérer l’amour avec les mêmes yeux. Si Tristan et Iseult, Roméo et Juliette ou Tarzan et Jane ont marqué l’histoire du sentiment amoureux, Ariane et Solal lui donnent un nouveau souffle. J’ai eu l’impression de lire le Cantique des Cantiques, revu à la sauce moderne pour mon plus grand plaisir. La déclaration initiale de Solal est bouleversante. C’est de la pure poésie, un sublime langage d’amour et de séduction. « Au premier battement de ses paupières, je l’ai connue. C’était elle, l’inattendue et l’attendue, aussitôt élue en ce soir de destin, élue au premier battement de ses longs cils recourbés. […] Elle, c’est vous. » (p 48)

L’entreprise de séduction est bien différente. Époustouflant discours de Solal! La leçon de séduction est parfaitement odieuse, elle décortique tous les rouages de l’amour, et pourtant, ça marche! Albert Cohen est un maître en rhétorique amoureuse. En rhétorique tout court en fait. Les dialogues des oncles juifs de Solal, ou monologues quand on considère la parfaite herméticité de certains discours, sont des morceaux de choix. La théâtralité est au cœur du langage de ces personnages qui expriment leur haute opinion d’eux-mêmes au travers de discours verbeux et ampoulés. Et Cohen ne se gêne pas non plus pour exprimer son mépris des petits bourgeois bigots genévois. Il dresse des portraits au vitriol. Ses descriptions m’ont rappelé les peintures de Jérome Bosch, ses chimères humaines, croisements curieux d’animaux affreux. Délicieux de lire le portait de Mme Deume, avec sa petite boulette de viande qui se balance. Délicieux de suivre les journées inutiles et bouffies d’orgueil d’Adrien. Born to be a cocu pourrait être une belle définition de son existence. « Elle lui avait dit qu’il était mignon et il en avait été tout fier. Mignon mais cocu. Tous les cocus étaient mignons. Tous les mignons étaient cocus. » (p 773 et 774)

J’ai pleuré de rire devant ces personnages grotesques, de petite envergure. Et chez tous les protagonistes, l’obsession de l’apparence, du paraître, est une névrose poussée à l’extrême. Passe encore qu’une amoureuse mette à sa toilette des soins particuliers, raffinés et interminables, mais l’accoutrement pittoresque que passe Mangeclous pour visiter son neveu confine au ridicule.

Impressionnant de constater l’incroyable diversité des registres de langue. Ils se succèdent et se répondent d’un chapitre à l’autre. Chaque personnage a son propre langage, et c’est toute la narration qui s’en ressent. Quand les personnages sont triviaux, comme peuvent l’être Mme Deume ou les oncles, le texte s’épaissit, s’alourdit, devient pâteux. Quand il s’agit d’Ariane et Solal, le texte s’envole, lyrique, glorieux et léger. Il coule avec aisance, même si les phrases sont longues (des chapitres sans une marque de ponctuation, ça surprend au début…). Surprenant aussi le changement de point de vue, de narrateur. On passe d’un récit détaché à la troisième personne, d’un regard dédaigneux jeté sur le monde, aux considérations de la bonne ou aux révâsserie d’Ariane. Pendant plusieurs chapitres, le narrateur nous prépare à la rencontre des amants, en portant son attention sur eux seuls. Mais le récit des retrouvailles est le fait d’un autre personnage qui raconte a posteriori le dénouement d’un drame annoncé pendant cent pages. Troublant, mais très excitant, car on ne sait jamais qui va prendre la parole, ou plutôt qui va imposer sa voix. Ce livre me semble être une foule où chacun cherche à crier plus fort que l’autre. Insolite chapitre 36, dans lequel le mari et l’amant se partagent la voix narratrice pour parler de la même femme.

Et tant d’autres détails exquis! La précision maniaque d’horloger suisse dans les horaires, les décomptes et les rendez-vous décompose le temps, le rend impalpable. le regard désenchanté jeté sur l’inefficacité de la SDN à la veille de la seconde guerre a de quoi dégoûter de la politique et des grandes organisations. L’antisémitisme de l’époque est décortiqué, amplifié, devient une obsession, une hantise, une composante banale du quotidien.

Un seul regret tout de même. J’aurais peut-être dû lire Solal (1930) et Mangeclous (1938) avant Belle du Seigneur (1969). Tout le passé de Solal et de ses oncles, à peine esquissé dans Belle du Seigneur, indique qu’il y a des informations manquantes. On trouve notamment des personnes qui ont l’air d’être, ou d’avoir été, importants mais qui sont à peine développés, comme l’est la vieille amante Isolde. Encore un cycle littéraire que j’attaque par la fin…

Et un extrait superbe pour finir en beauté.

« Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le délire sublime des débuts. » (p 466)

Huit jours pour lire ce monument de la littérature amoureuse. Huit jours à savourer ce livre comme un bonbon, gardé longtemps en bouche pour bien en extraire tout le sucre. Huit jours à me fabriquer un souvenir de lecture impérissable.

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Maus, un survivant raconte – L’intégrale

Bande dessinée d’Art Spiegelman. Ce volume comprend Mon père saigne l’histoire et C’est là que mes ennuis ont commencé.

Préface de Marek Halter : « Qu’y a-t-il de commun entre une bande dessinée et la Shoah ? « Zahkor » ! souviens-toi en hébreu. Cette injonction apparaît quelques 169 fois dans le texte biblique, comme si les sages réunis à Yavné, vers la fin du premier siècle, pour compiler les textes et les chroniques qui allaient composer le Livre des livres, avaient pressentis le rôle primordial dévolu à la mémoire dans le destin d’un peuple appelé à la dispersion et à l’exil. Art Spiegelman est le fils d’un des survivants des ghettos polonais. Né à Stockholm en 1948, il vit à New York et dessine des B. D. Maus, son livre, est l’histoire d’une souris dont le chat a décidé d’avoir la peau. La souris est le juif, le chat le nazi. Le destin de Maus est de fuir, de fuir sans espoir l’obsession du chat qui lui donne la chasse et lui trace le chemin de la chambre à gaz. Mais Maus est également le récit d’une autre traque, celle d’un père par son fils pour lui arracher l’histoire de sa vie de juif entre 1939 et 1945 et en nourrir sa propre mémoire, se conformant ainsi à l’obligation de se souvenir. De transmettre aussi. Et avec quelle énergie ! Car de la rencontre peu naturelle de la B. D. et de la Shoah naît un choc. Le choc d’une forme réputée mineure pour un événement majeur. Tout comme Woody Allen a su, avec ses images en noir et blanc, nous désintoxiquer du cinéma pour mieux nous le faire voir, Art Spiegelman parvient à effacer de notre souvenir les récits un peu fatigués de la Shoah pour leur substituer un montage neuf, contemporain et fort. D’où la réussite de Maus, cette œuvre de la première génération « d’après ». Grâce à l’art de Spiegelman, le destin de Maus ne cessera de nous hanter. »

Mon père saigne l’histoire (du milieu des années 30 à l’hiver 1944) – Art Spiegelman demande à son père de raconter son histoire, sa rencontre avec sa mère Anja et les années noires de la seconde guerre mondiale. Art a le projet de dessiner cette histoire en collant au plus près : « Je veux raconter ton histoire, comment ça s’est vraiment passé. » (p. 25). Vladek Spiegelman retrace alors sa jeunesse en Pologne, son mariage avec Anja, ses fabriques de tissus, sa capture en tant que prisonnier de guerre et toutes les combines qu’il a « organisées » pour faire vivre et sauver sa famille et celle de son épouse. Du ghetto à Auschwitz, Vladek tente de survivre.

Art fait de son père un portrait sans concession. Il montre comment le vieil homme a gardé les habitudes de la guerre, entre récupération et économies avaricieuses. « Sur certains points, il est exactement comme les caricatures racistes du vieux juif avare. » (p. 133) Vladek est un vieil acariâtre bougon, remarié sans amour avec Mala après le suicide d’Anja. Le père d’Art jauge le quotidien à l’aune de son expérience de la guerre et d’Auschwitz. Irrémédiablement marqué, dans sa chair et dans son âme, par la Shoah, Vladek ne peut concevoir la légèreté de la nouvelle génération.

Et c’est là que mes ennuis ont commencé (de Mauschwitz aux Catskill et au-delà) – La seconde partie s’ouvre sur une réflexion d’Art face à son œuvre. Il se demande sous quels traits animaux il peut représenter les Français. Il remet en question le choix de son expression : « Il y a tant de choses que je n’arriverai jamais à comprendre ou à visualiser. J’veux dire la réalité est bien trop complexe pour une B. D. … Il faut tellement simplifier ou déformer. » (p. 176) Entre le postulat historique et sa représentation artistique et graphique se creuse un fossé qu’Art doute pouvoir combler. Se dessinant homme derrière un masque de souris, il montre son appartenance à un groupe, mais également les distances qu’il prend avec celui-ci.

Dans la seconde partie, Vladek poursuit le récit de son passage à Auschwitz. Il décrit comment, à force de combine et de chance, il a réussi à obtenir des places privilégiées et des avantages. Les images des camps sont connues, mais mises en bande dessinée, elles acquièrent une nouvelle épaisseur et une nouvelle vitalité. Les marches de la mort, la fin de la guerre et le retour au pays sont autant de thèmes déjà vus, mais le traitement que leur impose Art Spiegelman permet de les voir avec un œil nouveau.

Cette bande dessinée a l’épaisseur et la forme d’un roman. Découpée en chapitres, elle est également mémoires et confessions d’un vieil homme, testament et récit des origines pour le fils. Insérée à mi-parcours, on découvre une autre bande dessinée d’Art Spiegelman, celle où il illustre le suicide de sa mère. Mise en abîme de la mort et du récit familial, cette production met en scène des êtres humains perdus, solitaires et effrayants. Dans Maus, le recours à l’animal permet de se sauver un peu de l’horreur de la représentation.

Les souris sont les Juifs, les chats sont les Allemands, les cochons sont les Polonais, les chiens sont les Américains, etc. Je m’interroge sur le choix de la souris. Certes, la faiblesse de l’animal face au prédateur félin ne fait aucun doute. Mais j’y vois aussi une reprise des idéaux nazis : les juifs sont une vermine trop nombreuse qu’il faut exterminer. Quand les juifs cherchent à se déguiser, ils portent des masques de cochon pour se fondre la masse « honnête » de la population. Les juifs ne sont pas des citoyens au même titre que les Allemands ou les Polonais. Ils sont autre chose, autrement.

Les [S] des phylactères ressemblent aux S allemands du sigle SS. Ils zèbrent sans cesse les paroles, éclatent la parole en éclair de mots et font écho aux bombardements et aux coups. La peur suinte des pages. Le dessin en noir et blanc renforce cette impression de monde manichéen : sans cesse le personnage peut basculer dans le néant. Les mots parfois s’agencent en phrases laconiques dont la logique est évidente : « Beaucoup ont eu des plaies à cause du froid. Dans les plaies du pus, et dans le pus des poux. » (p. 55) L’horreur physique et les conséquences dramatiques de la saleté sont ici exprimées en termes factuels, irrémédiablement logiques. La langue de Vladek est caractéristique des émigrés : il inverse certaines parties de phrase et commet des erreurs. Il abuse des pronoms : en cela j’ai vu une nécessité de toujours mettre l’humain au centre, d’insister sur la personne en faisant mention d’elle sous toutes ses formes grammaticales.

La place du fils et, plus généralement, des générations issues des survivants, est fortement interrogée. « Je dois me sentir coupable quelque part d’avoir eu une vie plus facile qu’eux. » (p. 176) Ici parle la culpabilité du survivant et ainsi s’exprime le poids intemporel et inaliénable du souvenir. Entre le père et le fils, les relations sont souvent tendues. Art en veut à son père de vivre comme si la guerre allait frapper et Vladek ne sait vivre que dans la crainte et le ressentiment. Art reste un enfant qui se sent incapable d’être à la hauteur des attentes de son père. Quand on apprend la mort de Vladek, la tension retombe. Art reprend le récit, délivré du poids de l’approbation paternelle, et il achève plus aisément la mise en images de l’existence de son père.

Pas facile de parler de cette œuvre qui a déjà fait couler tant d’encre… Cette bande dessinée ne peut pas être saisie en une seule et première lecture. Il faudra y revenir pour mieux saisir certaines subtilités. Si les textes de Primo Levi et de Robert Anthelme m’ont fortement marquée, l’image d’Art Spiegelman a également fait impression pour longtemps.

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La P… respectueuse suivi de Morts sans sépulture

Pièces de Jean-Paul Sartre.

La P… respectueuse – Lizzie Mac Cay est une prostituée qui a subi des violences de la part du neveu d’un sénateur et de ses amis. Un Nègre en cavale lui demande sa protection. Il est poursuivi pour le crime qu’a subi Lizzie et il lui demande de rétablir la vérité quand la police et la famille du sénateur Clarke l’interrogeront. Mais ces derniers tentent d’arracher à Lizzie une fausse déposition. Pour eux, une prostituée voire une femme vaut à peine mieux qu’un noir et la seule façon qu’elle a de gagner un peu d’estime est de vendre un être plus pitoyable qu’elle. La brusquerie et la vulgarité dont tous font preuve à l’égard de Lizzie et du Nègre finissent par avoir raison des résolutions de la prostituée, qui finit par accepter que soient achetés son mensonge et son silence. Fred, le neveu du sénateur, ne peut se défaire de l’attirance qu’il éprouve pour elle même s’il la déteste de l’avoir ainsi attaché : « Qu’est-ce que tu m’as fait ? Tu colles à moi comme mes dents à mes gencives. Je te vois partout, je vois ton ventre, ton sale ventre de chienne, je sens ta chaleur dans mes mains, j’ai ton odeur dans les narines. J’ai couru jusqu’ici, je ne savais pas si c’était pour te tuer ou pour te prendre de force. Maintenant, je sais. (Il la lâche brusquement.) Je ne peux pourtant pas me damner pour une putain. »

Jean-Paul Sartre a écrit cette pièce très peu de temps après la Seconde Guerre Mondiale. La haine raciale est alors une composante affligeante de la société américaine. La puissance du langage et les annotations scéniques font de cette pièce un concentré de haine et de violence, mais aussi d’émotion et de révolte. Le dégoût qu’éprouve Fred au sujet des Noirs et de la prostitution s’exprime par un dégoût des odeurs: ça pue le nègre et ça pue le vice.

J’ai toujours été interloquée par le titre et les points qui remplacent le mot complet. Censure de la part de l’éditeur peut-être, mais il me semble que c’est aussi une façon de montrer que la personne au-delà du mot qui la désigne est innommable. La juxtaposition du mot « putain », lourd d’opprobre et de sous-entendus négatifs, avec le qualitatif « respectueuse » est un des plus bels oxymores de la littérature. Inutile d’en dire davantage, le titre se vend tout seul et les trois points en disent beaucoup.

Morts sans sépulture – Lucie, Henri, François, Sorbier, Canoris ont été arrêtés par la milice en raison de leurs activités au sein de la Résistance. Ils attendent qu’on vienne les chercher, terrifiés par les séances de torture à venir, les séances où on leur demandera où est leur chef, Jean. Mais Jean est pris à son tour. Ils sont alors six à se regarder dans ce grenier, à se dire des vérités. Pire que les souffrances infligées par leurs geôliers, la présence des autres devient insupportable pour chacun.

Terrible confrontation ! Les bourreaux ne sont pas les miliciens qui ne sont que de falots personnages. Ce sont les alliés qui se détruisent les uns les autres. Déchirés par le poids de leur secret, ils tentent de défendre leurs idéaux jusqu’au bout, jusqu’à l’agonie. Chacun résiste différemment à la torture :du plus vieux qui ne crie pas au plus jeune qui sait qu’il craquera en passant par la femme qui ressort souillée, les victimes deviennent coupables et assassines.

Loin des images héroïques des résistants, Jean-Paul Sartre sert des personnages torturés au plus profond de leur être, des êtres faibles et faillibles, des hommes en somme, des hommes à qui l’impossible ne peut pas être demandé, des hommes qui, très humainement, tentent de sauver la vie encore un peu avant de renoncer.

Je n’aime Sartre qu’en dramaturge, ses romans ne me touchent pas. Mais ses pièces ! Je n’ai jamais eu la chance de voir ces pièces sur scène, mais je ne doute pas que les représentations doivent être à la limite du soutenable.

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Orgueil et préjugés

Roman de Jane Austen.

Mr et Mrs Bennet ont cinq filles : Jane, Elizabeth, Mary, Catherine et Lydia. « L’unique objectif de Mrs Bennet était marier ses filles. » (p. 9) Quand le domaine voisin de Netherfield Park est loué par un jeune homme aux rentes confortable, elle est persuadée que l’une de ses filles deviendra très vite la maîtresse de ces lieux. Le doux et discret Mr Bingley s’éprend rapidement de Jane. Les deux jeunes personnes s’entendent à merveille et leurs caractères semblent s’accorder à la perfection. L’ami de Bingley, le ténébreux Mr Darcy, après avoir dédaigné les charmes d’Elizabeth, succombe à sa vivacité d’esprit dénuée d’affectation et de minauderie. Après des péripéties causées par des personnes malveillantes et jalouses et alimentées par les préjugés que chacun conçoit à l’égard des autres, l’issue est heureuse pour les deux couples.

« C’est une vérité universellement reconnue qu’un homme célibataire doté d’une certaine fortune est nécessairement à la recherche d’une épouse. » (p. 7) Voilà comment s’ouvre le roman, sur un préjugé qui se pare des atours de l’universalité, qui enchaîne les jugements hâtifs et incisifs. L’auteure ne souscrit en rien aux préjugés que véhiculent ses personnages. Le ton désabusé et sarcastique de Mr Bennet à l’égard de son épouse est le sien, tout comme les réflexions sages et pertinentes d’Elizabeth sont l’expression de ses propres idées. Le roman nous est livré par une troisième personne tout à fait anonyme dont les yeux et la voix sont pourtant ceux de Jane Austen, au meilleur de son ironie et de sa férocité.

Férocité, c’est ce qu’il convient de ressentir entre les lignes des descriptions des personnages secondaires. Mr Bennet est un homme indifférent aux sujets qui causent l’agitation fébrile de son épouse. « Il n’était redevable envers son épouse que dans la mesure où elle contribuait à l’amuser par son ignorance et sa sottise. Ce n’est pas là le genre de bonheur qu’un homme souhaite en général devoir à sa femme, mais quand font défaut les autres facultés de divertir, le vrai philosophe tire profit de celles qui sont à sa disposition. » (p. 226) Goguenard, il néglige tout autant ses filles cadettes dont il « ne [cherche] jamais à limiter l’inconduite écervelée » (p. 205) quand elles se jettent au cou des officiers du régiment établi dans la ville voisine.

Les portraits qui ornent la première de couverture, visibles à la Bridgeman Art Library, annoncent ceux qui seront faits des personnages tout au long du livre. De bals en promenades dans la campagne, de conversations sur les prochains mariages en supputations amoureuses, le récit ne s’embarrasse pas de délicatesse quand il s’agit de se moquer des travers des petits nobles et petits bourgeois.

Jane, bien que fille aînée de la famille Bennet, n’est pas le personnage principal de cette critique acide de la société campagnarde anglaise. Sa fadeur et son écœurante magnanimité s’accordent en tout point avec la pâleur de son fiancé qui écoute davantage les avis de son entourage que les élans de son cœur. Elizabeth est la vraie héroïne du roman. Prompte à réagir et à dire ce qu’elle pense, tout en respectant les meilleurs usages de la société (ce n’est pas tout de même pas une rebelle!), elle s’enorgueillit de ses facultés de jugement. Il me semble qu’elle préfigure des personnages comme Jo des Quatre filles du Dr March, des femmes qui décident de leur avenir et construisent leur bonheur avec discernement, sans s’en laisser imposer par la famille ou les puissants.

Quelle terrible vision du rôle de la femme est ici présentée! La seule préoccupation de toute jeune fille bien née et sensée est de se trouver rapidement un époux riche. La cadette de la famille Bennet se jette au cou du premier guignol venu, brade sa vertu et cause bien des tracas à sa famille. La voisine se marie raisonnablement, en choisissant un homme médiocre qui ne l’aimera jamais et pour lequel elle n’éprouvera probablement pas beaucoup plus de sentiments. Jane rencontre son âme sœur, en toute mièvrerie. Même Elizabeth, si elle se défend de céder aux nombreuses avances qui lui sont faites, plonge avec délice et ravissement dans les pièges du mariage dès lors qu’elle est persuadée de faire le bon choix. Seule Mary retient mon attention et mon admiration. Elle est la seule fille Bennet à préférer ses livres aux agitations des bals et des rencontres amoureuses.

« L’orgueil […] me semble un défaut très répandu. […] On peut être orgueilleux sans être vaniteux. L’orgueil vient de l’opinion que nous avons de nous-même, la vanité, de ce que nous voudrions que l’on pensât de nous. » (p. 23) Les vaniteux se bousculent aux portes des salons où les personnages évoluent. Le cousin de Mrs Bennet, Mr Collins, pasteur infatué, n’a rien à envier à la superbe arrogance de Lady Catherine de Bourgh qui pense que sa supériorité la dispense de toute amabilité sincère. Les courtisans bornés sont aussi nombreux que les puissants persuadés de leur importance, et les deux espèces font montre d’une vulgarité toute dénuée de politesse et de modestie.

Je me suis régalée avec ce roman typiquement britannique et féminin. La plume acerbe de Jane Austen m’a ravie. Pas de complaisance à attendre de son côté. Et si le mariage et les relations amoureuses ne sont plus soumis aux mêmes règles que celles décrites dans le roman, il y a toujours du vrai dans les comportements hypocrites des uns et des autres.

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La perle

Roman de John Steinbeck.

À La Paz, Kino est pêcheur de perles. Tous les jours, il plonge pour remonter les huîtres qui contiennent son gagne-pain. Pauvre, il l’est depuis toujours. Aux côtés de sa compagne Juana et de leur fils Coyotito, il mène une vie laborieuse dont il se satisfait simplement. Tout est bouleversé le jour où il remonte du fond de l’océan une perle fabuleusement grosse. Le désir de possession s’empare de lui, le soupçon le submerge. Kino sait qu’il ne pourra pas garder la perle sans faire face à la cupidité et à la convoitise.

Terrifiant récit de la marche éternelle de l’humanité et de ses défauts incoercibles! Kino incarne des siècles de pauvreté héréditaire et résignée. Sa révolte le conduit à sa perte. Mais que peut-on face à la folie: « Cette perle est devenue mon âme, à présent, répondit Kino. Si je l’abandonne, je perds mon âme. » (p. 93) Kino vit selon des chants immémoriaux qui rythment ses actions au quotidien: le Chant de la Famille, le Chant de la Perle, le Chant du Mal. Autant de mélodies dont on n’entend pas la moindre note, mais qui résonnent pourtant de plus en plus fort à mesure que le drame se noue.

Par sa concision et sa rudesse, je considère ce texte davantage comme une nouvelle que comme un roman. Les personnages sont simples et puissants dans leur simplicité. Les sentiments qui les traversent sont brillamment exprimés. Le texte se lit avec une avidité comparable à celle qu’éprouvent les jaloux de la chance de Kino. Le récit est une perle : le langage enveloppe une situation tragique et la rend sublime.

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Oscar et la dame rose

Roman d’Éric-Emmanuel Schitt.

Oscar a une leucémie. L’opération de la dernière chance a échoué. Personne ne peut affronter le petit garçon. Personne, sauf Marie Rose, la « dame rose » qui visite les enfants. Elle lui conseille d’écrire à Dieu. Pendant douze jours, Oscar grandit de dix ans et il confie ses pensées à Dieu.

Première page et déjà, ça commence mal: « Écrire, c’est rien qu’un mensonge qui enjolive. » (p. 9) Monsieur Schmitt, je ne suis pas d’accord. L’écriture, c’est la révélation de ce qu’on n’arrivait pas à voir sans le passage par la plume, selon moi et je n’en démords pas !

Je n’y crois pas à ce langage trop direct de petit garçon effronté. La leçon de catéchisme est des plus indigestes: « Dieu n’est pas le Père Noël. Tu ne peux demander que des choses de l’esprit. » (p. 21) Les personnages sont insupportablement caricaturaux. Passe encore que la mémé de choc se fasse passer pour une ancienne catcheuse, reine des rings régionaux. Mais les camarades de souffrance d’Oscar sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase : entre le grand brûlé, le gamin qui souffre d’obésité infantile et le cas d’éléphantiasis, on déambule en pleine galerie des horreurs. Trop de pathos tue le pathos. Merci Monsieur Schmitt, on a compris que vous vouliez nous faire pleurer, inutile d’en rajouter ! Toute cette mièvrerie gâche l’effet voulu du livre, à mon avis. Au lieu de m’émouvoir, ça m’agace. Et si ça m’agace, je taille dans le vif.

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Feu de glace

Roman de Nicci French. Lu lors de sa parution, en 2002 ou 2003.

Alice Loudon mène une vie paisible. Scientifique émérite, elle conjugue travail et vie conjugale dans un équilibre parfait. Il suffit d’un regard avec un étranger pour qu’elle abandonne tout. Avec Adam, elle découvre la passion sans limite. Adam est un alpiniste héroïque qui a secouru un groupe de randonneurs. C’est aussi un homme en proie à de violents démons. Il refuse qu’on l’abandonne ou qu’on le néglige. Exclusif, il impose à Alice une transparence et une disponibilité de tous les instants. Son passé est flou. En voulant combler les blancs, Alice s’aventure en terrain dangereux. Jusqu’où ira Adam pour la garder et pour dissimuler son passé ?

Mouaif… C’est un thriller. Pas ma tasse de thé (en porcelaine de Chine). Pour commencer, gros carton rouge pour la couverture de l’édition que j’ai choisie ! Hors-sujet complet ! Je me rappelle les cris et émois de mes camarades de classe qui l’ont lu en même que moi. Nous avions 15-16 ans, jeunes lycéennes impressionnables. Elles étaient toutes palpitantes et emballées par les exploits d’Adam et par sa féroce virilité (et féroce est bien édulcoré..). Et moi de considérer ce livre comme un gros navet et de me demander quelle fille normale pouvait avoir de pareils fantasmes ! Non merci, Tarzan, moi pas vouloir une lune de miel qui frôle l’asphyxie… Tout est trop « gros » pour moi dans ce genre de littérature: les personnages, les évènements, les situations. Le manichéisme des personnages est très vite agaçant. On a la gentille Alice qui quitte son gentil mari et qui est bien punie puisqu’elle a brisé son mariage. Et on a le vilain Adam qui fait des vilaines choses, mais c’est normal, il est méchant. Un peu bêbête… Ça pourrait presque être rangé avec les Chairs de Poule s’il n’y avait les quelques scènes torrides entre Alice et Adam. Une petite analyse des prénoms pour finir. Alice, c’est une énième version du personnage de Lewis Carroll : la petite fille désobéissante qui perd ses repères dans un monde étrange et inquiétant. Mais c’est bien fait pour elle, elle n’avait qu’à écouter sa maman. Adam, c’est le premier homme pour Alice, dans le sens où elle découvre sa féminité et son potentiel sensuel avec lui. Ça rappelle vaguement, et il faut vraiment creuser, Ève qui se découvre nue et rougissante après avoir croqué le fruit défendu. Et encore une fois, c’est à cause d’Adam qu’on expulse la femme du Paradis. Bref, ce n’est pas une lecture aussi désagréable que mon billet peut le laisser entendre. Il faut être réceptif au genre pour apprécier. Moi, ça me fait juste sourire au point de vouloir dire des bêtises à mon tour…

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Paul et Virginie

Roman de Bernardin de Saint-Pierre.

Paul et Virginie ont été élevés ensemble, comme frère et sœur. Leurs mères respectives leur ont donné le sein à tous les deux, et ils ont grandi dans la plus parfaite harmonie, sur les terres splendides de l’île de France. En grandissant, ils développent l’un envers l’autre de doux sentiments amoureux. Inquiète de cette attirance, la mère de Virginie envoie sa fille étudier en France, loin de Paul qui reste à se languir de son premier amour. Plusieurs années après, Virginie revient sur l’île. Mais le bateau qui la ramène vers l’élu de son cœur fait naufrage.

Que c’est beau ! Encore une madeleine de Proust ! Je me revois adolescente, pleurant à chaque page. Même quand je me dis que ça dégouline de bons sentiments, je ne peux m’empêcher d’affirmer que c’est un des plus beaux romans sentimentaux que j’ai jamais lus ! Hormis la bluette qui unit les deux héros éponymes, il faut souligner le talent avec lequel l’auteur évoque la nostalgie du paradis perdu, et l’errance adulte sur des terres qui ne seront jamais aussi accueillantes que l’étaient celles de l’enfance protégée. Ah, j’en reprendrais bien une tranche !

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Petite sœur

Roman de Patricia Macdonald.

Beth apprend la mort de son père et quitte Philadelphie pour régler les affaires courantes de la maison et de l’enterrement. Elle retrouve sa jeune sœur Francie. Celle-ci s’est amourachée d’un jeune garçon au passé lourd et aux intentions douteuses. Il ne compte pas partager Francie avec qui que ce soit, et surtout pas la propre sœur de celle-ci. Pour éviter qu’on l’éloigne de celle qu’il aime, il commet l’irréparable.

Premier et dernier essai avec Patricia Macdonald. Circulez, y a rien à voir ! Je n’aime définitivement les romans policiers et autres thrillers. Donc peu de choses à dire. Ajoutez à tout ça une très mauvaise traduction, à moins que le texte soit déjà bourré de répétitions et de fautes de langage dans la langue d’origine, et ça donne une lecture que je vais m’empresser d’oublier !

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Sarah et le lieutenant français

Roman de John Fowles.

La réputation de Miss Sarah Woodruff n’est plus à faire à Lyme, bourgade du sud-ouest de l’Angleterre. Pour tout le monde, elle est la malheureuse préceptrice qui s’est entichée d’un lieutenant français et qui lui a sacrifié son honneur. Depuis le départ sans retour de l’officier, Sarah, surnommée Tragédie, erre solitaire et mélancolique, le regard perpétuellement tourné vers le large, dans l’attente d’un vaisseau qui lui ramènerait son amant. Elle attire l’attention de Charles Smithson, fiancé à la délicate Ernestina Freeman. Charles essaie tout d’abord de n’entretenir que de plates relations avec Sarah, mais celle-ci se révèle être une femme complexe et torturée, aux desseins impénétrables.

Il en est des fins de romans comme des chaussures: il faut en essayer plusieurs avant de trouver la bonne. Et si vous êtes comme moi, vous repartirez avec toutes, puisque toutes conviendront. John Fowles excelle dans l’art de se moquer de son lecteur et dans celui de revoir les règles du récit. Pourquoi se contenter d’une fin alors qu’il peut en écrire trois. Je me garderai bien de vous révéler leur contenu, mais je souligne l’habileté de Fowles dans la manipulation des points de vue. J’ai particulièrement apprécié ses interrogations sur le rôle de l’auteur: est-il tout puissant sur ses personnages, ou ceux-ci ont-ils une autonomie et une volonté propre? Particulièrement étonnant de voir Fowles se faire passer pour un personnage, et même prétendre être le narrateur. Pour tout ceux qui ont quelques notions de théorie littéraire, il est évident qu’auteur et narrateur sont deux entités littéraires différentes. Pour John Fowles, la différence n’existe plus et les codes traditionnels sont brouillés.

Les fins alternatives qu’il propose entrent en résonance avec la théorie de Darwin qu’il ne cesse de faire apparaître dans les discours des personnages. L’intrigue se déroule au 19° siècle. N’oublions pas la querelle qui oppose les darwinistes et ceux qui considèrent que la théorie de l’évolution est un blasphème. Les trois fins de Fowles présentent des personnages qui évoluent en fonction du changement de leur environnement. J’ai vraiment apprécié l’application de cette théorie scientifique à un contenu littéraire.

Délicieux également de lire l’opinion de Fowles sur les usages de la période victorienne. La bigoterie est systématiquement tournée en dérision, et c’est un bonheur de lire l’arrivée au paradis de Mme Poulteney. Très surprenant de voir comment des personnages du 19° siècle sont comparés à des officiers nazis ou à des membres de la Gestapo, le tout par un narrateur qui est supposé être partie prenante de l’histoire. Fowles nous impose une gymnastique chronologique et anachronique des plus savoureuses. On a l’impression d’être de petits curieux soulevant un pan du voile du passé pour observer le 19° siècle à la lueur de nos connaissances et raisonnements modernes.

J’ai beaucoup apprécié les nombreuses adresses que Fowles lance au lecteur. Il nous pousse à nous interroger, à refuser la passivité classique du lecteur qui attend tout de l’auteur. Il met le texte en suspens et il déjoue toutes les attentes traditionnelles du lecteur. Il interroge sur la lecture elle-même: n’est-elle qu’absorption d’une irréalité figée ?

L’histoire en elle-même n’est pas des plus originales. Le thème de la femme manipulatrice, mi-ange, mi-garce (et quelle belle garce !) qui prend dans ses filets un bon gros benêt, c’est assez éculé. Mais le sujet n’est qu’un prétexte à tout ce que j’ai présenté plus haut, et le texte se lit très bien. Mention particulière pour la qualité des personnages secondaires. La servante et le valet sont dignes des pièces de Molière. Ils œuvrent en coulisses et sont l’incarnation du bon sens et de la vraie vertu, qui n’a rien de commun avec celle que pratiquent les grenouilles de bénitier.

Vous l’aurez compris, ce roman m’a vraiment emballée !

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Mademoiselle Cœur Solitaire

Roman de Sébastien Ortiz.

« Il y a exactement cinquante ans sortait l’un des films les plus populaires d’Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour (Rear Window). Le metteur en scène nous laissait entrevoir quelques minutes le triste et attachant destin d’une femme sans homme, que le personnage interprété par James Steward devait baptiser Miss Lonely Heart. Ce film, Fenêtre sur cour, est le cadre de ce livre. Le livre, comme le film, se déroule pendant quelques jours décisifs dans la vie de cette femme seule. Le point de vue qu’il adopte (ce mystérieux «quatrième côté») seul en diffère. Ce livre est dédié à la mémoire de Judith Evelyn, qui prêta à Miss Lonely Heart ses traits désolés, ainsi qu’à celle de tous les héros furtifs du septième art. » Sébastien Ortiz (p. 15)

Le narrateur c’est donc le quatrième mur. Ce quatrième mur qu’Hitchcock n’a pas montré pour la simple raison que c’est depuis une fenêtre de ce même mur que Jefferies observe ses voisins. C’est le mur du voyeur, le mur voyeur. Jefferies est relégué au rang des personnages secondaires. Le voyeur devient un épié, parmi d’autres. Et ça me rappelle un peu le quatrième mur au théâtre, cette frontière invisible et transparente qui sépare scène et salle et qui entérine l’illusion. On sait que ce n’est pas la réalité qui se joue devant nous, mais le temps de la représentation, on fait en sorte de l’oublier.

Si Miss Lonely Heart devient le personnage central, elle n’en est pas moins l’objet de la curiosité d’un voyeur. Elle n’existe que parce qu’on la regarde, voire parce qu’on dissèque son existence. Mais le voyeur pose à juste titre la question de la validité de son récit: « Quel sens aurait pour moi un appartement où tu ne serais plus ? Que se passerait-il dans une chambre où tu ne serais plus ? » (p. 106) Belle interrogation qui, à mon sens, interroge aussi l’essence du roman et sa nature intrusive. Qu’est-ce que le roman si ce n’est une plongée au cœur d’intimités soudainement révélées ? Bien entendu, c’est le cas pour tous les romans, mais la question ne se pose pas d’ordinaire de façon aussi flagrante. On rentre toujours dans le livre comme en territoire conquis, sans se demander si on va gêner. Le roman de Sébastien Ortiz nous renvoie cette évidence aux yeux, au fil des lignes.

Il nous plonge donc dans le quotidien déprimé de Miss Lonely Heart. Le narrateur est le mur, même s’il se garde bien de le dire dans les premières pages. On croit entendre un autre voisin. Une phrase, pleine de bon sens, fait apparaître que, mur ou humain, le voyeur-lecteur est impuissant: « Je suis l’impuissance monstrueuse du regard. » (p. 126) Et voilà qu’Ortiz jette aux orties les théories brechtiennes de la distanciation.

Pas de citation en début du livre, mais un renvoi à deux œuvres d’art. La première est un tableau d’Edward Hopper, Night Windows. La seconde est un titre de Miles Davis, Someday My Prince Will Come (que Disney a mis dans la bouche de Blanche-Neige). J’aime cette synesthésie qui convoque toute ma sensibilité, et qui surtout titille ma curiosité. Comme Sébastien Ortiz n’est pas un idiot, il a bien fait les choses. La toile est la parole illustrée du quatrième mur. Quant à la chanson, elle est la parole de Miss Lonely Heart. J’apprécie toujours que le logos revête différentes apparences. Ces deux convocations d’œuvre présentent avant même le début du texte les deux personnages. On sait qui est le voyeur. On sait qui est l’épié.

Il y a de très touchants passages. Je retiens celui où Miss Lonely Heart prépare un dîner pour l’homme de ses rêves. Chaque action est ponctuée des paroles d’un titre de Bing Crosby, To See You Is To Love You. C’est fait avec beaucoup de délicatesse, mais aussi une sorte de désespoir désabusé. On sait bien qu’il n’arrivera rien de palpitant à cette pauvre Miss Lonely Heart, en tout cas, pas ce soir.

Quand j’utilise des mots comme synesthésie ou logos dans un seul billet, c’est que le texte a réveillé l’ancienne élève de khâgne qui sommeille en moi. Je conclus en disant que c’est une très bonne lecture et qu’il ne me reste plus qu’à voir le film d’Hitchcock.

Et pour finir, quelques phrases que je retiens.

« Et aujourd’hui te voici oubliée sur l’étagère comme l’un de tes bibelots en faïence que n’anime aucune autre finalité que de s’empoussiérer dans l’attente. » (p. 36)

« Personne ne te fait la cour puisque c’est la cour qui te fait. » (p. 40)

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Rouge Passion

Lucy Reardon est une rousse flamboyante, qui aime se vêtir de rouge. Son activité principale n’est pas banale : elle vend des cacahuètes sur le bord de la route, plus ou moins déguisée en arachide. Son voisin de pallier, le très séduisant, Bryan Mundy, est un étudiant en droit trop sérieux, qui gère une boutique de confection pour hommes. Du jour au lendemain, il est contraint d’héberger ses deux frères qui veulent à tout prix lui trouver une petite amie, et qui multiplient les plans douteux pour parvenir à leurs fins. Pour échapper au tohu-bohu qui envahit son appartement, Brian trouve refuge dans le salon de Lucy pour étudier. Et entre ces deux-là, l’ambiance ne sera pas que studieuse.

Damned, je suis atteinte ! Lors de la lecture des deux précédents titres, j’ai été concentrée, stylo en main, traquant les petits détails qui corroboraient mes thèses éclairées. Pour ce titre, rien de comparable. Je me suis retrouvée sur mon canapé, blottie dans 8 coussins, pot de Nutella et cuillère coupable à portée de main, captivée par les niaiseries et autres fadaises que Sara Orwig aligne au fil des pages ! Donc, je ne mènerai pas une étude sur le livre mais sur la lectrice, et plus précisément moi, lectrice de romans dégoulinants de guimauve, imbibés d’eau de rose et de patchouli.

D’ordinaire, quand je lis, je ne suis pas exigeante. Un coin pour poser mes fesses, à la rigueur un coussin pour caler mon coude, et c’est parti ! Dans le bus ou le train, au réfectoire, dans le salon aux côtés d’un pote qui pulvérise des monstres baveux, sous la couette, sur le balcon, dans la rue, à la table d’un café, il n’y a pas d’environnement hostile pour la lectrice compulsive que je suis. Sauf… Sauf quand je n’assume pas la première de couverture, au quel cas, j’attends d’être chez moi. Si la couverture arbore en sus un couple langoureusement enlacé aux visages transfigurés de désir, j’ai un réflexe supplémentaire : le cocooning. M’apprêtant à plonger dans des litres de crème chantilly littéraire, j’ai besoin de coussins, d’oreillers douillets, d’une couette si c’est l’hiver, et d’un crachouillis-machouillis à portée de main (comprendre le sus-nommé pot de Nutella, ou un paquet de chamallows). Et me voilà, lovée comme un gros matou, mon livre dans les mains.

Je suis une lectrice expressive : je m’esclaffe, je m’indigne, je commente, je pleure. Bref, je réagis, je vis le livre. Mais pas avec un exemplaire d’Harlequin ou consort. Je retiens mon souffle, je me fais toute petite. Surtout, je ne veux pas déranger les héros qui ont tant de difficultés à se trouver et à conclure. Bien qu’impatiente, je me tais et j’attends.

Il m’est arrivé de courir vers les dernières pages pour anticiper la fin ou pour me rassurer sur le sort des personnages. Mais pas avec la prose de Barbara Cartland et Cie. Je sais que l’auteur ne me trahira jamais, j’ai une confiance aveugle ! Pas de crise du roman, pas de mort de l’auteur, pas de narrateur déceptif, tout va sur des roulettes. Et je sais que j’aurai ma « récompense » à la fin : un sourire niais et béat parce que le beau monsieur épouse la jolie dame, parce que les méchants sont punis et qu’il fait toujours soleil au pays de l’amour. Et je continue mon petit bout de chemin, pendant quelques heures, en souriant aux mouches et en chantonnant la bluette de Blanche-Neige. D’ailleurs, je vais conclure ce billet, me resservir une grosse boule de glace au chocolat avec des chamallows et me refaire la compil’ des slows de légende…

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Katie la tornade

Après un divorce douloureux, Kate Midland et sa fille Jane ont quitté Biloxi, Mississipi, pour s’installer à Saltillo, au Mexique. Kate se fait très vite remarquer par Ben Adams, le maire de la ville. Ils s’affrontent autour de la sauvegarde d’un magnolia centenaire. La lutte s’engage ensuite dans la course au fauteuil de maire, lors d’élections enflammées.

Que calor ! J’annonce le sujet d’étude de ce brûlant roman : les conditions climatiques propices au développement et à la conclusion de la relation amoureuse.

En premier lieu, le titre : le personnage éponyme est une tornade, voilà un programme qui va décoiffer. Ensuite, le contexte : on est au Mexique, en plein été. Inutile de trop insister sur la température, on se doute que ça va chauffer. Et si ça chauffe, les gens normaux transpirent. Ouf, miracle, Kate et Ben sont humains, et sujets à la sudation. Rien que cela me les a rendus immédiatement sympathiques ! Donc Kate et Ben transpirent et, ô miracle, c’est poétique, comme on peut le lire page 13 : « la sueur qui perlait sur sa peau était semblable à la rosée matinale sur des pétales de rose. » C’est celaaaaa ouiiiiiii ! Chez Harlequin, les auréoles douteuses et les odeurs fétides, ça n’existe pas ! C’est bien connu : par 40°C à l’ombre, les femmes restent fraîches comme des fleurs. Et ça continue comme ça pendant 100 pages : tout est propice à l’examen minutieux des gouttes de sueur qui dévalent les omoplates et ruissellent le long des cous. Plus il fait chaud, plus c’est chaud. Mais Kate refuse de conclure. Et ça devient carrément torride.

Développons un peu autour de la sauvegarde du magnolia. Si la belle Kate s’enchaîne à l’arbre en plein zénith, c’est par conviction écologique. Je reprends son raisonnement : sauver un arbre, c’est contribuer à la sauvegarde de la couche d’ozone et donc éviter le réchauffement climatique. Harlequin et Green Peace, c’est donc le même combat ! À quand un parti vert et rose ? … Si on poursuit dans la logique de Kate, ce n’est pas vraiment une bonne chose de préserver l’arbre. Si elle le sauve, pas de nouveau trou dans la couche d’ozone, la température redescend, et on n’avance pas vraiment sur les chemins de la passion.

Dur d’être une passionaria de l’écologie quand tout le monde cherche l’air climatisé. On se sent vite seule au monde : « Deux femmes s’arrêtèrent un instant pour écouter Kate, mais le soleil tapait vraiment trop fort et surtout, Gentry faisait des soldes. Elles allèrent bien vite se réfugier dans le grand magasin à air conditionné. » Mais Kate résiste et se fait offrir quelques heures plus tard une magnifique entrecôte par le maire. Elle tente d’ailleurs de le séduire chez lui. Mais elle se laisser aller à un deuxième verre de vin, et la voilà toute pompette à cause des vapeurs d’alcool et de la chaleur. Notre bon Ben est un gentleman, il ne profite pas de la situation et ramène la fillette chez elle. Notre héros s’autocongratule, lui qui résiste aux charmes d’une femme ivre morte… La température est montée sous sa chemise et ailleurs, et on le retrouve quelques paragraphes plus loin sous une douche glacée. Difficile de rafraîchir l’atmosphère ! En attendant, il fait toujours aussi chaud et rien ne se passe !

Quand la belle militante rencontre son concurrent, elle lance une phrase tout en sous-entendus, page 31 : « Il fait vraiment trop chaud pour s’habiller. » Deux conclusions possibles : soit elle milite aussi pour le naturisme et contre le capitalisme des grands magasins d’habillement, soit c’est une proposition coquine, ou je ne m’y connais pas ! On pourrait l’accuser de harcèlement sexuel la demoiselle ! Mais elle ne poursuit pas, et voilà Ben chaud comme la braise qui a bien du mal à rester cool. En termes polis, ce genre de fille, on appelle ça une allumeuse, voire un lance-flamme ! Et toujours en termes choisis, c’est d’une lance à incendie dont Ben Adams aurait besoin pour éteindre le feu de forêt qui le consume !

Je passe brièvement sur le remake du Vieil homme et la mer, avec le maire qui se bat tout l’été contre un poisson-chat de dix kilos, pour arriver au portrait de Ben dans son embarcation sous le soleil, page 65 : « Éblouie par le soleil, elle scruta l’étendue d’eau et vit Ben assis seul dans une barque, une canne à pêche dans la main. C’était lui, sans aucun doute. Ce ne pouvait être que lui que le soleil inondait d’or, sculpture magnifique et désirable. » Wahoooo, n’en jetez plus ! Cet homme est une merveille, une rareté. Comment fait-elle pour résister à cette œuvre d’art en chair et en os ? Ben persiste et signe dans la perfection avec une superbe déclaration d’amour, page 95, déclamée par une chaude soirée d’été que balaye une brise tiède et parfumée : « Il existe pour chaque homme une femme particulière, une femme unique qui le fait se sentir fort et noble, une femme pour laquelle il déplacerait des montagnes. Vous êtes cette femme pour moi. » Ben Adams, ou le manuel du parfait soupirant… Kate ou le manuel de la procrastination… Screugneugneu, il est à point le Ben, tout cuit, tout rôti, prêt à être consommé et consumé ! Alors pourquoi faut-il encore attendre ?

Revenons à nos moutons. Si Kate est une tornade, elle cache bien son jeu la coquine ! De son côté, Ben est un « arc-en-ciel étincelant et coloré », page 114. La météo de l’amour est au beau fixe, et c’est bien le problème ! Il fait beau, il fait chaud, c’est la période de l’année où, statistiquement, les gens ont le plus de rapports physiques, et Kate s’évertue à faire poireauter Ben, et nous avec ! C’est pourquoi on peut remercier la dépression et les orages, page 140. Après 139 pages à attendre que Kate se décide à consommer, on assiste à une déferlante de passion : « Le ciel se couvrit pendant la nuit et il se mit à tomber des trombes d’eau qu’un vent furieux transforma en rafales de pluie. Sous le toit de Ben, les amants étaient étroitement enlacés. Ni le vent ni la pluie ne parvinrent à réveiller ces deux êtres soudés par leur amour, comme protégés du monde. » Il était temps que l’orage éclate. L’avis de tempête est une bénédiction qui marque la fin de 160 pages très caliente, mais atrocement platoniques…

Ma conclusion et mes conseils. Désormais Mesdames et Mesdemoiselles, on dit non au déodorant anti-transpirant : ce produit peut vous faire rater l’homme de votre vie, c’est un tue-l’amour et ce n’est pas écolo ! Mais si la transpiration est un premier pas dans la parade amoureuse, il faut attendre que le baromètre retombe, et qu’il fasse un temps de chien ! Toutefois, on évite les bottes en caoutchouc et le grand ciré jaune : quand il pleut, on s’enferme avec l’élu de son cœur et on le câline jusqu’à ce que mort s’ensuive ! Le pauvre a suffisamment attendu, et il faut battre le fer tant qu’il est encore chaud.

Toute cette histoire m’a donné envie d’être comme la grenouille dans le bocal, pour faire la pluie et le beau temps sur ma petite échelle…

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Tambours battants

Roman de Joan Elliott Pickart.

Philip Emerson est directeur de sa propre société de conseil en marketing. Seul compte son travail. Brenda MacPee dirige une pension pour animaux domestiques et conçoit l’existence comme une partie de plaisir. Quand ces deux-là se croisent dans les rues de Portland, c’est le choc. Ils sont bien entendu magnifiquement beaux et jeunes. Même si Philip résiste à l’attirance qu’il éprouve pour Brenda, celle-ci est bien décidée à lui faire oublier son travail et ses réticences.

Que de troubles et d’émois à la relecture de cette merveille de la littérature romantique ! Bien cruel fut le choix d’un thème d’étude. Après moult réflexions, j’annonce mon sujet : le poil comme atout de charme.

Je repose le décor. Brenda tient une pension pour animaux, avec chats, hamsters et surtout chiens : basset du Rhin, dogue et autres cockers. Nous voici immergés dans un monde de boule de poils. Avec notamment, l’épisode marquant et tellement glamour de l’accouchement d’une chatte. C’est une boule de poil de cinquante kilos, le chien Kouki, qui provoque la rencontre entre les deux futurs tourtereaux. Il fonce sur Philip et macule son pantalon de poils blancs, ce que Brenda trouve attendrissant et qui met en branle son âme de Saint-Bernard. Exemple avec le dialogue suivant, page 16.

« – Regardez tous ces poils de chien sur mon pantalon, c’est un vrai massacre.

– Voulez-vous que je vous brosse ? »

Voilà donc le séduisant Philip réduit à l’état de toutou dont il faut brosser le poil. Pas de doute, c’est le summum de la parade amoureuse. Mais ça marche, puisque Philip reviendra.

Des poils à la chevelure, il n’y a qu’un cheveu. Parlons donc de capillarité, avec la première description de Philip dont nous gratifie l’auteure, page 9 : « Ses cheveux ébouriffés étaient d’un blond couleur de sable. […] On sentait des jambes puissantes sous le pantalon noir couvert de poils de chien blancs. » Tout ceci pourrait rester très banal si le pauvre Philip n’avait sur le cuir chevelu une énorme bosse. Voici donc notre jolie Brenda-Bernard qui ramène le blessé chez elle et qui désinfecte le traumatisme crânien, tout en parlant cheveux, page 12.

« -Dites-moi, vous ne seriez pas à l’armée, par hasard ? Vous portez les cheveux si court ?

– J’aime avoir les cheveux courts. J’ai horreur de me coiffer, répondit-il.

– Eh bien moi, je sors de chez le coiffeur, s’exclama-t-elle en remuant ses boucles blondes. Je suis très contente de cette coupe. J’espérais qu’elle me vieillirait un peu. »

Et la suite, page 35 et 36 :

« -Tout a l’air pensé, même la longueur de vos cheveux. […] Comme vous les portez courts, ils peuvent pousser sans être trop rapidement longs. Ce qui vous évite par conséquent d’aller souvent chez le coiffeur. Est-ce que je me trompe ? […] Je suis étonnée que vous ne portiez pas la barbe. Ça vous éviterait de vous raser tous les jours. C’est une pensée logique, non ? »

Je suis bouche bée devant une telle profondeur dans les propos ! Pas de doute, Brenda étudie son compagnon sous un angle très restreint. Néanmoins, ça marche, puisque la suite de la relation repose beaucoup sur des tripotages capillaires et autres remarques oiseuses sur la beauté de la pilosité du jeune homme.

Un autre exemple affriolant, page 20 : « Elle aimait ses cheveux couleur de sable même s’ils étaient un peu trop courts à son goût. Et la teinte mordorée des poils soyeux de sa poitrine et de ses avant-bras ne la laissait pas indifférente non plus. » À se pâmer, n’est-ce pas ? Les cheveux de Brenda aussi sont au cœur de tous les fantasmes, comme on le voit page 28 : « Il étudia les boucles entremêlées de sa chevelure et ressentit un envie irrépressible d’y plonger les doigts. »

Les cheveux des autres personnages sont aussi au cœur des attentions. On commence par les ceux des parents de Philip, page 71 et page 73 : « Charlotte Emerson avait une chevelure gris argent coiffée à la perfection. » et « Bien que striés de fils d‘argent, ses cheveux étaient de la même couleur que ceux de son fils. » Je rappelle que Brenda rêve de trouver l’homme de sa vie, celui qui sera le père de son enfant. N’est-il pas évident qu’elle mène une étude sur les caractéristiques génétiques des parents de son reproducteur ? Dis-moi comment tu te coiffes et je te dirai qui tu es… Et il semble que Philip souscrive à ce précepte, page 91 : « Je ne suis pas un homme tant que je ne suis pas rasé. » Donc, génétiquement, un homme est glabre…

Passons au père de Brenda, nommé Mac Pee, page 117 : « C’était un géant de deux mètres […] qui portait une grande barbe brune comme ses cheveux. » La différence entre le svelte et raffiné Philip et le père bourru est évidente.

Que dire alors du cauchemar de la pauvre Brenda, page 128 : « Mac Pee se tenait dans une pièce toute blanche. Il était vêtu d’un costume sombre et d’une chemise blanche. Il n’avait plus de barbe. Ses cheveux étaient courts. Philip discutait avec lui. Il portait la chemise de flanelle brune de son père. Sa barbe avait poussé et dissimulait la moitié de son visage. Les deux hommes conversaient et riaient ensemble. Brenda était enfermée dans une cage de verre translucide. Elle hurlait de toutes ses forces pour qu’ils s’aperçoivent de sa présence. Mais les deux hommes ne l’entendaient pas. » On ne peut que remarquer que la pilosité est au cœur du processus de séduction et de l’amour. Si je résume grossièrement : si tu es glabre et bien coiffé, téléphone-moi, sinon on peut être ami.

Bien entendu, tout finit bien, et on assiste à un superbe changement de comportement capillaire, page 135 :

« – Je vois que tu as décidé de gagner du temps en allant moins souvent chez le coiffeur.

– Oui, ça devenait fatigant de toujours voir la même tête dans la glace le matin. J’ai décidé de les laisser pousser un peu. »

The power of love ! C’est tellement émouvant! Pour finir, Philip décide d’investir dans le projet d’élevage de cockers de Brenda. Comme quoi, c’est bien difficile de se débarrasser des poils.

J’aurais pu disserter de la même manière sur la splendide collection de licornes de la jeune fille, mais je me refuse définitivement à faire de la psychologie de bas étage… Il y avait aussi beaucoup à dire sur les tenues des personnages, entre les costumes psychorigides de Philip et les robes de Brenda, taillées dans les rideaux, mauvais remake de Scarlett O’Hara. Mais il fallait choisir et je n’ai pu résister à donner une brillante analyse de la force du poil dans les relations amoureuses. Et je ne fais là que reprendre des vérités que tous les zoologues connaissent très bien : toute parade amoureuse passe par déploiement de poils et phéromones impliquées!

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Les dames du Méditerranée-Express

Roman en trois tomes de Juliette Benzoni

La jeune mariée

Mélanie aime monter aux arbres. Mais est-ce raisonnable quand on a seize ans et qu’on ne porte qu’un cotillon de nuit ? Il est évident que non, et Mélanie en prend conscience quand elle tombe aux pieds du séduisant marquis de Varennes. Elle ne s’imagine alors pas qu’elle va vivre un curieux voyage de noces auprès d’un aimable conducteur et d’un étrange journaliste.

La fière Américaine

Alexandra quitte New York sans son mari pour découvrir l’Europe. Sur le transatlantique, elle retrouve son ami Antoine Laurens, peintre et espion à ses heures. À Paris, elle manque de succomber au charme d’un jeune aristocrate français. Le pire est à venir quand son chemin croise celui d’une asiatique qui assassine un receleur.

La princesse Mandchoue

Orchidée aide les ennemis de son peuple et tombe amoureuse de l’un d’entre eux. Autrefois princesse Dou-Wan, elle devient Madame Blanchard. Quand on assassine son époux, le sang impétueux de cette Chinoise se met à bouillir. Orchidée réclame vengeance. Sur son passage, bien des hommes sont séduits et tentent de l’épouser. Mais Orchidée rêve avant tout de rentrer chez elle.

*****

Les trois personnages se croisent et vivent des aventures trépidantes sur le Méditerranée-Express, dans lequel Pierre Bault est chef de voiture. Il supporte les caprices de ces trois intriguantes figures féminines. Son ami, Antoine Laurens découvre en chacune d’elles un caractère entier et déterminé, souvent dissimulé sous une charmante timidité.

J’avoue, j’aime les histoires un peu cul-cul-la-praline. On n’est pas loin de la collection Harlequin. J’ai découvert cette trilogie et son auteure quand j’étais adolescente et ces histoires ont fait les belles heures de mon imagination et ma sensibilité virginales. Je les relis toujours avec plaisir, sous le prétexte honorable de « la madeleine de Proust », et je cite Aznavour; « On a parfois besoin d’un bain d’adolescence »… Objectivement, ce n’est pas du Flaubert… Les héroïnes sont toutes des beautés qui s’ignorent et qui s’étonnent toujours de voir tomber les hommes comme des mouches. Leur caractère, même dans les pires défauts, est toujours parfait. Bref, ce sont des femmes à abattre ! Le style est grandiloquent, parfois pompeux et la narration prend de grandes libertés avec le réalisme. Mais c’est tellement bon parfois de se laisser emporter par des histoires faciles où les gentils gagnent à la fin !

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Verrines, apéros et gourmandises

Livre de recettes de José Maréchal, illustré des clichés de Akkiko Ida.

Joli petit livre, avec de très belles photographies, vraiment appétissantes ! J’en ai testées quelques-unes et je me suis régalée. Je conseille vraiment les verrines en apéritif ! Rien de tel pour se mettre en jambes avant un bon repas, sans pour autant arriver gêné à table et ne pas faire honneur au service ! De même, une petite verrine fraîche en dessert est idéale pour clore un festin sur une note sucrée et légère !

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La passion selon Juette

Roman de Clara Dupont-Monod.

Juette est née en 1158 dans la ville de Huy, en actuelle Belgique. Mariée à treize ans à un homme bien plus âgé qu’elle, elle est veuve cinq ans plus tard, après deux grossesses. Dès lors son existence sera une révolte perpétuelle. Elle abandonne la garde de ses enfants, offre ses biens aux lépreux et s’installe auprès d’eux. Refusant tout contact avec les hommes qu’elle juge barbares, dont elle abhorre la brutalité et la lubricité, elle prend la tête d’une communauté de béguines à qui elle enseigne le refus du mariage, la chasteté, la pureté du corps et de l’âme. Elle défend une nouvelle liberté de croire, débarrassée des amendes à payer à l’Église. Elle dénonce les religieux lubriques et fait éclater les scandales, dévoilant des existences de fausse vertu. Atteinte de visions mystiques, elle rassemble les foules et inquiète les autorités religieuses. Sa démarche de croyante s’apparente à celle des cathares qu’elle admire. Pour se rapprocher de la Dame Blanche et du Christ, elle est prête à tout abandonner, à renoncer à tout, pour vivre sa passion, pour souffrir comme le fils de Dieu. Son seul ami et confident est le prêtre Hugues de Floreffe qui tentera tout pour la protéger des hommes, de l’Église et d’elle-même.

Voilà un puissant récit mené dans une langue riche et parfaitement maîtrisée. La construction du texte à deux voix, d’une part celle de Juette, de l’autre celle de son ami Hugues, est une réussite. Dans un dialogue tacite, chacun comble les lacunes de la parole de l’autre. La vie de cette sainte laïque est fidèlement retracée. Le personnage de Juette, de fragile et délicat, acquiert une épaisseur fascinante au fil des lignes. La petite béguine de Belgique donne un exemple à suivre des plus convaincants. Encore un livre que je conseille à ceux qui cherchent de vrais héros, des héros humains.

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Le premier amour

Roman de Santiago H. Amigorena.

Santiago est un tout jeune homme quand il rencontre Philippine. Ces deux-là s’aiment à la folie. Garçon taciturne, Santiago écrit partout, tout le temps. L’amour avec Philippine devient une suite de préliminaires littéraires avant d’être une jouissive pénétration par le Verbe. Tout n’est que sensualité entre eux. Jusqu’au jour où leur amour devient leur premier amour et qu’il s’achève, les laissant seuls avec eux-mêmes.

Ce texte est une ode à l’amour et au plaisir charnel. La narration se fait sensuelle et caressante pour mieux nous entraîner au cœur du texte. La plume semble échapper à l’auteur, et les mots se bousculent, se rencontrent, se télescopent. C’est très bien écrit, la langue est riche et soutenue. Le langage est exploré jusqu’au plus profond. J’ai dévoré les pages à toute allure, incapable de m’arrêter. L’histoire, au demeurant d’une simplicité désarmante, est racontée de telle manière que tout devient sublime.

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Odette Toulemonde et autres histoires

Nouvelles d’Eric-Emmanuel Schmidt.

Huit femmes d’aujourd’hui, en quête d’amour ou d’un peu de bonheur. Huit femmes ordinaires même si tout les différencie. Vendeuse, milliardaire, midinette, princesse ou trentenaire, elles sont les héroïnes de leur quotidien.

J’ai trouvé toutes ces histoires bien plates. Je n’y ai pas goûté le piquant que j’attends des nouvelles. Dommage, certaines d’entre elles avaient de quoi me plaire, mais il y avait un je-ne-sais-quoi un peu brouillon. Dommage…

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Le père Goriot

Roman d’Honoré de Balzac.

Eugène de Rastignac, jeune provincial, arrive à Paris nourri d’illusions. Dans la pension de Madame Vauquer où il loge, il rencontre le père Goriot, un pauvre homme qui s’est ruiné pour marier ses filles à des partis honorables. Abandonné, renié, ignoré de ses filles et de ses gendres, le vieil homme persiste à croire en la bonté de ses enfants. Rastignac s’éprend de Delphine et accorde son affection à Goriot. Mais il perd peu à peu ses illusions sur la société parisienne: tout n’est que vanité, et un être n’a de la valeur que tant qu’il est utile.

Du grand Balzac ! Les descriptions sont nourries, les portraits subtils. Tout pour me plaire !

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Le désert des Tartares

Roman de Dino Buzzati.

Giovanni Drogo est nouvellement sorti de l’école des officiers. Sa première affectation est au fort Bastiani, à la frontière nord du pays. Ambitieux, Drogo refuse d’enterrer sa jeunesse et sa carrière dans ce bastion reculé, face à un désert immobile. Mais les années passent, et Drogo reste. Devenu capitaine, et comme tant d’autres avant lui, Drogo attend la guerre, convaincu que l’ennemi viendra du Nord, et que le fort Bastiani sera le théâtre d’affrontements glorieux. Mais rien jamais ne se passe, sauf quelques incidents et fausses alertes. Néanmoins, Giovanni Drogo se tient prêt, plein d’espoir, tendu dans l’attente de moments sublimes qui justifieront son existence sacrifiée au fort Bastiani et au désert des Tartares.

D’abord inquiète à la lecture des premières pages, j’ai été séduite par la narration lente et désabusée. Le caractère du héros se dessine lentement, se détache et s’impose, magnifique, héros du néant. J’ai retrouvé dans ce texte certains échos du Rivages des Syrtes de Julien Gracq.

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Un certain Monsieur Blot

Roman de Pierre Daninos.

Monsieur Blot participe au concours du Français Moyen. Chacune des questions du concours est sujet à un grand déballage. M. Paul Blot raconte son existence. Actuaire dans une compagnie d’assurances, marié et père de famille, sa vie l’ennuie. Tout est trop fastidieux et répétitif pour lui. Il ne se fait aucune illusion sur rien. Vainqueur du concours et riche de 20 millions, il jette un regard acide sur la société dans laquelle il est soudainement plongé. Mondanités, fêtes, déplacements, loisirs, tout est soumis à une série de codes qui changent auy rythme des modes qui se font et se défont. Tiré de l’anonymat, Paul Blot aspire à retrouver le calme des années où son visage se perdait dans la foule.

Tout est acide, politiquement incorrect sous des airs de naïf étonnement. C’est très drôle et grinçant.

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Le troisième homme – Première désillusion

Nouvelles de Graham Greene.

Le troisième homme – Vienne, immédiat après-guerre. La ville en ruines est occupée par les puissances victorieuses du second conflit mondial. Rollo Martins est à Vienne à la demande de son ami Harry Lime. Quand il arrive en ville, on lui indique le lieu de l’enterrement de Lime. Ainsi Harry est mort. La police évoque un accident de voiture, mais les témoignages se contredisent et Rollo pressent que la mort de son ami est suspecte. Le récit est fait par l’inspecteur Calloway de la police britannique. Dans les ruines de la capitale autrichienne, les hommes se croisent et s’interrogent au sujet du mystérieux troisième homme et d’un odieux trafic de pénicilline.

Première désillusion – Le petit Philippe est envahi d’une allégresse folle quand ses parents partent en vacances. Seul dans la grande maison familiale avec Baines, le maître d’hôtel, et son épouse, la gouvernante, Philippe croit toucher la liberté. Mais Mrs Baines règne en dragon sur la demeure vide et sur son époux. Baines ressasse inlassablement son passé en Afrique et ses exploits. Entre les deux adultes, Philippe découvre certaines vérités gênantes: les petits secrets de Baines et les manœuvres des grandes personnes. Pour se protéger des difficultés, il se retranche au plus profond de son enfance, au mépris de l’amitié, mais au profit de la justice.

Le style des deux nouvelles est très différent. Celui de la première est sur le mode du rapport de police, sans émotions, neutre et clinique. Le second texte laisse davantage de place à l’émotion, on s’attache davantage au petit héros. J’ai apprécié la concision des phrases et l’économie de mots.

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L’auberge de la Jamaïque

Roman de Daphné du Maurier.

Après le décès de sa mère, la jeune Mary Yellan quitte Helford, son village natal, pour vivre auprès de sa tante et de l’époux de celle-ci. Au milieu des landes anglaises, elle découvre l’Auberge de la Jamaïque, dont la sinistre réputation s’étend dans tout le comté de Cornouailles. Le propriétaire des lieux, Jem Merlyn est craint dans toute la région, à commencer sous son propre toit. Son épouse, Patience, la tante de Mary, vit terrorisée par les activités criminelles de son mari. Bien qu’effrayée, Mary décide de percer à jour le secret de son oncle. Que font ces convois de chariots qui circulent sous les fenêtres de la Jamaïque? Que recèle la pièce condamnée? Quel lien Jem entretient-il avec son frère Joss? Au cœur de la tourmente, Mary ne peut compter que sur son courage et sur laide du mystérieux vicaire d’Altarnum.

C’est un bon roman d’aventure, avec juste ce qu’il faut de suspense et de mystère pour tenir le lecteur en haleine sans verser dans les clichés. Le texte se lit vite, je le recommande aux adolescents qui cherchent un livre pour l’été.

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La fausse veuve

Roman de Florence Ben Sadoun.

La narratrice raconte sa position de maîtresse, au chevet de l’homme qu’elle aime. Elle n’est personne, n’a aucun droit sur ce corps presque mort que tout le monde s’approprie: médecins, infirmières et journalistes. Seule face au drame du « locked-in syndrome », elle dit sa détresse de vivre un amour muet et sans contact. Elle se rappelle leurs souvenirs, leurs étreintes, leurs codes et leur bonheur avant l’accident. Elle refuse de ne voir en lui qu’un malade, qu’un corps branché à des machines. Pour elle, il est d’abord un homme, celui qui l’a aimée, qui a quitté femme et enfants pour la rejoindre. Mais cette grande décision est annulée par l’accident. Elle redevient la clandestine, celle qui se cache, qui n’a pas le droit d’être là, qui doit se contenter de ce qui reste. Entre « vous » et « tu », elle cherche ses mots pour tout dire, pour sauver l’amour malgré l’absence de contact.

J’ai aimé le sujet, mais la narration est parfois un peu pénible. Le passage du vouvoiement au tutoiement dans la même phrase est pénible. Je me suis perdue dans le récit. Certaines phrases sont obscures, juste des évocations qui ne ramènent à rien et ne sont pas plus développées. Néanmoins, je reconnais le tour de force de parler du corps en évitant les lieux communs de la maladie et de la mort. L’auteure sait peser ses mots. Son livre m’a rappelé le très poignant film Le scaphandre et le papillon, de Julian Schnabel avec Mathieu Amalric et Emmanuelle Seignier. Le point de vue change: ce n’est pas le malade qui cherche à sortir de sa coquille de silence et d’immobilité, mais celle qui l’aime et qui le regarde qui tente de le rejoindre au cœur de sa solitude muette.

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