Eleanor Oliphant va très bien

Roman de Gail Honeyman.

Eleanor Oliphant est franchement bizarre. Elle a 30 ans, un emploi très monotone de comptable, une relation toxique avec sa mère, des cicatrices sur le visage, aucun ami et elle consacre ses week-ends à boire lentement 2 bouteilles de vodka. « J’ai parfois le sentiment que je ne suis pas là, que je suis le fruit de mon imagination. » (p. 8) Jusqu’au soir où elle rencontre l’homme de sa vie : il est beau, il chante dans un groupe de rock, il est fascinant. Pour lui, elle voudrait devenir une femme présentable, mais elle ne sait pas par où commencer. Grâce à l’attention simple de son collègue Raymond et à la rencontre d’un vieil homme dans la rue, Eleanor redécouvre le sel et la douceur des interactions humaines, réussies et amicales. « J’avais l’impression que tout se précipitait, ces derniers temps, que j’étais happée par un tourbillon de possibles. » (p. 172) Elle s’ouvre à un monde qu’elle avait choisi d’ignorer et se plaît à penser que chaque progrès la rapproche de l’homme de sa vie. Mais rien ne change comme par magie : pour aller vraiment mieux, Eleanor devra aller fouiller dans les décombres de son passé et pardonner ce qui peut l’être. « À quoi pouvais-je bien servir ? Je ne contribuais à rien en ce monde, à rien du tout, et je n’en retirais rien non plus. Quand je cesserais d’exister, personne ne le remarquerait. » (p. 237) Ce n’est qu’en explorant au plus profond le traumatisme de son enfance qu’Eleanor pourra s’en libérer.

Je n’attendais rien de ce roman et je l’ai même commencé avec un léger a priori négatif. Mais les premières pages m’ont touchée. L’héroïne aime, comme moi, déambuler dans les rayons des supermarchés. Elle aime les mêmes classiques anglais que moi. L’histoire est bien construite, en 2 parties qui s’articulent intelligemment. Et le message général ne pouvait que me convaincre puisque j’essaie de le vivre au quotidien : la gentillesse envers les autres est une bénédiction. Reste à l’accepter quand ce sont les autres qui vous l’offrent.

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Le chant des ronces – Contes de minuit et autres magies sanglantes

Recueil de contes de Leigh Bardugo.

Au gré de ces histoires macabres, vous ferez la rencontre de :

  • Un prince monstrueux retiré dans un bois d’épines enchanté ;
  • Deux sœurs, une belle comme le jour, l’autre pataude, mais courageuse ;
  • Un renard rusé et un chasseur cruel ;
  • Une guérisseuse aux fourneaux toujours garnis ;
  • Une belle-mère moins mauvaise qu’on le penserait ;
  • Une jeune fille trop belle et son père trop vaniteux ;
  • Des prétendants orgueilleux et avides de richesses ;
  • Une rivière fière et puissante ;
  • Un horloger inquiétant et un brave casse-noisette ;
  • Une créature marine au chant créateur ;
  • Un prince ambitieux et cynique.

Leigh Bardugo réécrit des contes que nous connaissons tous. Son hommage est sanglant, viscéral et poisseux. « Tu étais un bébé quand je t’ai pris dans un orphelinat. Je t’ai nourri avec de la sciure jusqu’à ce que tu deviennes plus bois que garçon… » (p. 113) Ce parti pris est intéressant, mais les contes originaux sont déjà très cruels, sans besoin d’effusions de sang ou d’expliciter les ressorts du mal. Il est donc un peu dommage de rendre le sous-texte visible au lieu de laisser au lecteur la possibilité de le saisir subtilement au fil des pages. Toutefois, ce recueil rappelle l’immense pouvoir des histoires et leur caractère performatif : les mots que l’on prononce forment le monde que l’on imagine, toute bonne sorcière vous le dira ! Mais parlez à vos risques et périls… « La magie ne demande pas de beauté. […] La magie facile est jolie. La grande magie exige qu’on trouble les eaux. Elle exige le désordre et la révolution. » (p. 128)

En dépit de leur patine macabre, ces contes sont très moraux. Ils dénoncent l’inanité du pouvoir quand il est mal utilisé et célèbrent la noblesse des actes et non celle du rang, la beauté du cœur et non celle du visage. Ce recueil se lit vite et sans déplaisir, mais je doute d’en retenir grand-chose. Point positif à noter : cette lecture m’a donné envie de me replonger dans les contes des frères Grimm.

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La bibliothèque de minuit

Roman de Matt Haig.

Nora Seed a 35 ans et elle s’enlise dans une lourde dépression. Sa vie semble dans l’impasse : pourtant douée dans de nombreux domaines, Nora se sent inutile et sans attache. « Elle était de l’antimatière, avec une dose d’apitoiement sur elle-même. » (p. 27) Un jour, c’en est trop : Nora choisit le suicide, mais au lieu de mourir, elle se retrouve dans un lieu inconnu où une bibliothécaire lui propose une expérience étrange. « Entre la vie et la mort […], il y a une bibliothèque. Une bibliothèque aux étagères sans fin. Où chaque livre offre une chance d’essayer une autre vie que tu aurais pu vivre. Une occasion de voir comment cela se serait passé si tu avais fait d’autres choix. » (p. 35) Nora ouvre différents livres et tente des existences différentes. Ce faisant, elle apprend à effacer les regrets et les doutes. Elle comprend aussi qu’elle doit se pardonner ce qu’elle considérait être de mauvais choix ou des renoncements. « La seule façon d’apprendre, c’est de vivre. » (p. 112)

Ce roman se lit sans déplaisir, mais – hélas – cette histoire est déjà vue, déjà lue, et il est vite lassant de passer d’une existence à une autre. « Peut-être que c’était ça, la vie. Peut-être que c’était avoir de la chance du premier coup, ou de devoir attendre la deuxième fois. » (p. 52) La mécanique narrative est éculée et le message très prévisible : il s’agit de vivre le meilleur de la seule vie qu’on peut avoir. « De nombreuses vies différentes t’attendent. » (p. 9) Nora aurait pu être star de rock, glaciologue, nageuse olympique, mère de famille ou baroudeuse en Australie. Mais elle n’a été aucune de ces femmes, donc pourquoi en parler ? Quand j’ouvre une fiction, je sais que je me retire du réel : pour autant, je n’ai pas envie que le texte me rappelle constamment que je l’ai fait, et La bibliothèque de minuit appuie bien trop lourdement sur les mécanismes tacites de la suspension consentie de l’incrédulité.

Enfin, je trouve très dangereux de prétendre que le suicide n’a pas de conséquences définitives et que les personnes qui s’y essaient, malheureusement parfois avec un triste succès, auront la chance de tout recommencer. Choisir de mourir, ce n’est pas anodin : ce n’est pas commander un plat que l’on n’aime pas trop au restaurant et se dire qu’on pourra toujours en commander un autre le lendemain. Choisir la mort, souvent, malheureusement, c’est définitif. Et en dépit de l’amour immense que je porte aux bibliothèques, aux livres et à leur pouvoir d’évasion, je n’apprécie pas que, même si ce n’est qu’une fiction, l’on prétende qu’il existe un endroit magique avec des ouvrages magiques qui peuvent vous sauver de la mort et de la dépression. Cette maladie, je la connais : ce n’est pas la magie qui la soigne. Et la mort, choisie ou subie, personne n’en guérit.

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Parole de chat – Tome 1 : Le manoir

Bande dessinée de Noël Chanat (texte) et Bidybop (illustrations).

Jean-Aymar s’ennuie dans un boulot sans intérêt. Son quotidien devient soudainement plus rocambolesque quand il apprend avoir hérité de la grande maison de son grand-père. Alors qu’il se retrouve coincé dans un costume de magicien verrouillé et impossible à retirer, il rencontre les chats de son aïeul. Ces adorables boules de poil sont équipées d’un dispositif révolutionnaire et peuvent parler. Parmi eux, un minet maigrelet décide de s’associer avec le détestable paternel de Jean-Aymar afin de conquérir le monde.

Ce n’est pas lui, le minet maigrelet. REGARDEZ-MOI CETTE BOUILLE !!!

J’ai découvert l’auteur sur sa chaîne YouTube et c’est avec enthousiasme que j’ai participé en 2018 à la campagne de levée de fonds pour la création de cette bande dessinée autoéditée. Il m’a donc fallu être trèèèès patiente avant d’avoir le livre entre les mains. Et force m’est de constater que je suis déçue. Les illustrations de Bidybop sont charmantes et savent saisir toutes les nuances du comportement des chats. Mais l’histoire en elle-même n’est jamais surprenante, même si un effort a été fait sur l’humour. La couleur est d’ailleurs annoncée dès la quatrième de couverture : « Je me lèche toujours le trou de balle avant de manger, question d’hygiène. » L’auteur ne se gêne pas pour en rajouter sur les traits de caractère que l’on prête aux matous, notamment leur mépris manifeste et assumé envers les humains. « C’est votre quotient intellectuel qui est contre nature. Vous êtes nés débiles ou vous avez fait des études pour le devenir ? » (p. 53) L’histoire est plaisante, mais pas renversante, et le clifhanger final parfaitement maladroit parce que tout à fait prévisible. Ai-je prévu de participer à un éventuel nouvel appel de fonds pour produire le tome 2 ? Je réserve encore ma réponse…

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Le pèlerinage

Roman de Tiit Aleksejev.

Dans le monastère Notre-Dame de Boscodon en Provence, le vieux jardinier a beaucoup à raconter. « J’ai vécu plusieurs vies. J’ai été celui qui tient la plume et celui qui tient l’épée. […] Aujourd’hui, je m’occupe des plantes, demain je serai l’humus dont elles tireront une vigueur nouvelle. » (p. 6 & 7) D’abord apprenti forgeron, le narrateur est entré au service de Raimondus, chroniqueur de la première croisade. Soldat anonyme au sein de l’armée de Provençaux menée par le comte Raymond de Toulouse, il connaît l’épuisement, la faim et les combats. Il se lie avec le valeureux Dieter et apprend le maniement des armes à ses côtés. « Alors reste avec moi, ne t’aventure nulle part tout seul. Jamais. On meurt seul. On fait la guerre ensemble. » (p. 55) Au hasard d’une bataille et d’un terrible massacre, le soldat s’attire la gloire et le respect des autres combattants, et il suscite surtout l’intérêt de la belle Maria de Toulouse, femme de son suzerain. Mais il porte en lui une terrible culpabilité que même le pèlerinage jusqu’à Jérusalem ne peut absoudre. « Tiens-toi à l’écart des autres. Tu ne leur apportes que des souffrances. Tu trompes tes semblables, bien entendu, avec ton regard de détresse et ta bravoure née du désespoir. » (p. 223)

Page après page, le lecteur suit le lent et pénible chemin des pèlerins vers la ville sainte, du siège d’Antioche à la bataille de Dorylée. « Que chacun parcoure lui-même le chemin à propos duquel il veut écrire au lieu d’aller chercher les histoires des autres. » (p. 74) Cette phrase illustre parfaitement le long travail de recherche de l’auteur pour produire ce roman historique au souffle épique. J’ai plongé dans ce texte avec fascination et avidité. En premier lieu, la fin m’a semblé très abrupte, mais après réflexion, elle est exactement ce qu’il fallait pour conclure ce récit.

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Les Bons Gros Bâtards de la littérature

Ouvrage dessiné de PoPésie (textes) et Aurélien Fernandez.

« Petits secrets, mensonges, violence, insultes, sales coups : derrière chaque grande femme ou grand homme de lettres, il y a (peut-être) un bon gros bâtard. » (p. 5)

Séparons la femme/l’homme de l’artiste, voulez-vous, et reconnaissons que certain·es de nos auteur·rices préféré·es étaient de drôles de zigotos. Meurtrier·es, voleur·ses, racistes, plagiaires, drogué·es, sadiques, provocateur·rices, misogynes, ivrognes, franchement libertin·es, il leur manque peu de vices. Les portraits dressés en quelques pages sont peu reluisants, les faits divers sont franchement révoltants ou navrants… mais on ne peut pas s’empêcher de hurler de rire. Nos zozos ont un sens aigu de la répartie ou de la pique, et il ne vaut mieux pas être dans leur ligne de mire !

L’intérêt premier de ce bouquin léger, mais très instructif, c’est qu’il calme mon admiration éperdue pour des auteur·rices dont je désespère d’égaler le style quand je prends moi-même la plume. Oui, c’est mesquin, mais que voulez-vous, je n’ai pas le niveau pour être aussi odieuse qu’elleux ! Je vous laisse avec quelques extraits grinçants et hilarants.

« Diderot a écrit les Bijoux indiscrets, un roman dans lequel un anneau magique permet de faire parler les vagins. Sauron peut aller se rhabiller. » (p. 50)

« Les femmes ressemblent aux girouettes, elles se fixent quand elles se rouillent. (Voltaire) » (p. 57)

« La vie est trop courte, et Proust est trop long. (Anatole France) »(p. 83)

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Le lac de nulle part

Roman de Pete Fromm.

Après des années d’éloignement et de non-dits, Trig et Al acceptent une aventure avec leur père : un mois de canoë dans les lacs du Canada, alors qu’octobre est sur le point de s’achever. À presque 30 ans, les jumeaux sont toujours très complices et résolument unis contre les lubies de leur père. « Je suis prêt à suivre Al où qu’elle aille, même si je sais que Papa mène cette danse. » (p. 60) Mais le voyage est mal préparé et, dès les premiers jours, Bill semble désorienté. La météo reste clémente, mais les premières tempêtes s’approchent. « A-t-il seulement la moindre idée d’où nous allons, hormis plus loin ? » (p. 70) Et puis, alors que cette errance sur les miroirs d’eau a déjà trop duré et que la neige commence à tomber, tout bascule. Le retour au point d’embarquement sera une rédemption, une renaissance, si tant est qu’on revienne vivant de l’enfer.

La perte des bagages au début du voyage était évidemment le présage tragique à ne pas ignorer. Avec cette équipée sauvage aux allures de testament, une famille amputée tient sa dernière chance de solder les comptes et d’apaiser les rancœurs. Le lac de nulle part est un roman suffocant, mais impossible à poser. J’ai lu les quelque 400 pages en une journée, incapable de lâcher la trace de Trig et Al, d’autant plus que personne ne sait où sont les jumeaux et leur père. Sur le chemin du retour, alors que chaque lac ressemble au précédent et que rien ne différencie un portage d’un autre, les jumeaux reviennent sur l’abandon de leur père quand ils étaient enfants. « Certaines personnes ne valaient pas la peine qu’on les quitte. » (p. 278) Les corps sont pris dans les mâchoires d’un hiver précoce et les anciennes blessures sont ravivées par le froid et la glace. En laissant derrière eux le lac de nulle part, Trig et Al réalisent une longue et douloureuse marche cathartique. « Il n’y a que des secrets entre nous. » (p. 65)

La survie en territoire hostile, Pete Fromm connaît ! Il a partagé sa propre expérience dans Indian Creek, récit de survie haletant. Face à Bill, Trig et Al, impossible de ne pas penser aux familles dysfonctionnelles tant racontées par David Vann dans ses différents romans, mais aussi à Winter de Rick Bass où l’auteur est confronté aux rigueurs d’un hiver qu’il a mal préparé. Le lac de nulle part va me hanter longtemps.

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Les lapins de la Couronne d’Angleterre – Tome 4 : La Carotte d’or

Roman de Santa Montefiore et Simon Sebag Montefiore. Illustrations de Kate Hindley.

Cela ne fait que quelques mois que Timmy Poil-Fauve est arrivé dans le Grand Terrier qui abrite les Lapins de la Couronne et qu’il a aidé ces chevaliers d’élite à déjouer un odieux complot contre la reine. Sa famille lui manque et il compte bien profiter de sa semaine de vacances pour profiter de la douceur de son terrier. Il retrouve avec joie sa tendre maman et ses frères et sœurs. Sauf peut-être Maximilien, toujours aussi brutal. De plus, son aîné s’est entiché d’Arlequin, un lapin qui prétend avoir des pouvoirs magiques et qui veut régner sur le monde grâce au pouvoir légendaire de la Carotte d’or, puissant artefact dissimulé par le roi Arthur à l’époque de Camelot. Cet Arlequin, gourou crasseux sans vergogne, et ses adeptes inquiètent Timmy. « Ils sont très fainéants et ne veulent pas travailler, c’est pourquoi les jeunes lapins écervelés sont très séduits par ce mode de vie. Ils passent leur journée à ne rien faire, à écouter son banjo et à prendre ce qu’ils veulent dans la forêt. » (p. 68) Le petit lapin au bandeau noir et au courage certain sollicite l’aide des Lapins de la Couronne pour sauver la garenne et libérer les crédules du pouvoir malfaisant d’Arlequin.

Il semble que ce quatrième volume des aventures de Timmy Poil-Fauve conclue la série des Lapins de la Couronne. Cela m’attriste un peu tant j’apprécie ces romans bien rédigés, dynamiques et drôles. Si vous voulez voir un lapin chevaucher une Harley-Davidson derrière un renard, n’hésitez pas ! Toutefois, je déplore avoir relevé au moins 3 coquilles dans ce court roman. Celles-ci m’agacent d’autant plus qu’elles se trouvent dans un ouvrage destiné à de jeunes lecteurs : la rigueur syntaxique et orthographique devrait être la norme quand on publie des textes pour des lecteurs en phase d’apprentissage de la langue.

Lisez les tomes précédents : Le complot, Air Force One et Bons baisers de Sibérie !

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Petit & Grand – David Bowie

Album de Maria Isabel Sanchez Vegara et Ana Albero.

Avant d’être la superstar la plus célèbre du glamrock, David Bowie a été un petit garçon, mais il avait déjà tout d’un grand. « David assumait d’être unique à sa façon. » On le voit découvrir la musique et le rock grâce aux vinyles de son frère, subir la blessure qui transforma à jamais son regard ou encore créer ses multiples avatars scéniques. « David n’avait pas vraiment de plan pour le futur, mais il y avait une chose dont il était sûr : se réinventer tous les jours deviendrait sa signature. »

Cette biographie très simple sous forme d’album jeunesse est très bien conçue. Et comme tous les titres de cette collection, elle est une parfaite porte d’entrée dans la vie des personnalités qui suscitent l’admiration des enfants, voire leur offre un support d’identification. Les notes historiques en fin d’ouvrage disent l’essentiel et titillent la curiosité du jeune lecteur qui voudrait en savoir plus.

J’ai évidemment découvert cette collection grâce à l’ouvrage consacré à l’immense David Bowie, mais j’ai bien l’intention de lire les autres titres, notamment ceux qui s’attachent à l’enfance de petites filles devenues de très grandes femmes !

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Chanter

Recueil de nouvelles d’Amoz Oz.

Une femme attend son neveu dans le froid de l’hiver. Le maire de Tel-Ilan cherche son épouse dans tout le village. Un adolescent est fou amoureux de la bibliothécaire. Une chorale amateure se réunit dans une maison endeuillée.

« Tel-Ilan se préparait à vivre un vendredi soir hivernal. Les hauts cyprès étaient enveloppés de brume sous une pluie légère. » (p. 100) Le décor se fait fantomatique, presque irréel. Le paysage se dessine au gré des cheminements des personnages, en quête d’un autre ou d’eux-mêmes. Au fil des quatre courts textes de l’auteur israélien, on assiste à des rencontres manquées ou à des interactions ratées, menées au mauvais moment, au mauvais endroit ou entre les mauvaises personnes. « Quelle chance un gamin de dix-sept ans avait-il de se faire aimer d’une trentenaire ? Dans le meilleur des cas, il ne réussirait qu’à éveiller sa sympathie. Et la sympathie était aussi éloignée de l’amour que la flaque de la lune. » (p. 71) Mais il reste un espoir fou de retrouvailles possibles et chaleureuses, un horizon peut-être atteignable de partage et communion.

Il y a dans ces nouvelles tout le talent d’Amos Oz, son amour pour ses protagonistes et sa manière si particulière de parler des autres, entre tendresse et léger désespoir. Du même auteur, je vous recommande Une panthère dans la cave, Scènes de la vie villageoise, Seule la mer ou encore Judas.

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Le lys de Brooklyn

Roman de Betty Smith.

Au début des années 1910, la jeune Francie Nolan grandit à Williamsburg, quartier de Brooklyn. Entre sa mère qui fait des ménages dans des immeubles de rapport, son père plus buveur que travailleur et son jeune frère Neeley, elle se frotte quotidiennement à la pauvreté la plus amère, mais le désespoir n’est jamais le bienvenu dans le foyer. « Les Nolan n’en avaient jamais assez de la vie ; ils la vivaient jusqu’à la garde ; encore n’était-ce pas suffisant ; il fallait qu’ils la remplissent de celle de tous les gens avec qui le hasard les mettait en contact. » (p. 80) Curieuse et intelligente, Francie chérit la modeste bibliothèque de son quartier et l’école où elle choisit de se rendre : ce sont les lieux qui lui ouvrent les portes de l’imaginaire et de tous les possibles. « Ce jour où elle sut qu’elle savait lire, elle fit le vœu de lire un livre chaque jour, aussi longtemps qu’elle vivrait. » (p. 239) Au gré d’un quotidien laborieux et de jours plus sombres que d’autres, Francie grandit, perd sa naïveté et s’endurcit après chaque événement de sa vie d’enfant pauvre. « Il arrive de drôles de choses à Brooklyn, et dont il faut se garder de rien conclure. » (p. 594)

Dans ce roman qui fit sa renommée mondiale, Betty Smith injecta beaucoup de son enfance. Francie, c’est son avatar de papier : comme elle, sa jeune héroïne se prend de passion pour l’écriture. « Ce qui fut important, c’est que ses essais pour écrire des contes la maintinrent dans la ligne droite qui sépare la vérité de la fiction. Sans cet exutoire, elle eût pu n’être toute sa vie qu’une abominable menteuse. » (p. 284) Le lys de Brooklyn n’usurpe pas son titre de chef-d’œuvre : c’est une histoire au long court très humaine et émouvante, le récit des quelques précieuses années qui font d’un enfant un adulte.

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Les nouvelles aventures de Lapinot – Sous le trottoir / Ultra secret

Bandes dessinées de Lewis Trondheim.

Pendant le confinement du printemps 2020, Lewis Trondheim a publié chaque jour sur Twitter les 3 premières cases d’une histoire, laissant aux internautes la possibilité de compléter la dernière case. Voilà qui a donné les deux ouvrages ci-dessous.

Sous le trottoir

Un trottoir s’est effondré dans un quartier de la ville. La zone rapidement entourée de palissades attise la curiosité, notamment celle de Richard. Lapinot est beaucoup moins stimulé par cet événement anodin, mais il essaie de faire comprendre à son ami le danger des théories fumeuses. « Sais-tu que le plaisir du complotiste est de croire qu’il est plus intelligent que les autres, quitte à s’enfermer dans des paranoïas et des mensonges ? / Ah, mince… Oui, c’est vrai… Zut. C’est vrai que c’était bien cette sensation d’être intelligent… / Sans être complotiste, tu peux la ressentir à nouveau. […] En lisant des livres. » Voilà un conseil que certains illuminés du bonnet n’ont pas entendu pendant le confinement ni après… La dynamique entre les deux personnages ne change pas et fonctionne à la perfection, aussi hilarante que désespérante, tant Lapinot et Richard sont différents. « Il faut que je me trouve un nouveau meilleur ami… Tu me connais trop bien. On ne peut plus rigoler. / Je comprends… Essaye sur Ebay ou sur Amazon. » Le schéma en 4 cases se prête particulièrement bien aux échanges verbaux des deux amis.

Ultra secret

Lapinot et Richard sont capturés en pleine rue : les services secrets sont convaincus de leur lien avec l’effondrement du trottoir. « Nous savons d’ores et déjà que votre ami Richard est le cerveau de cette affaire. » Les compères sont évidemment innocents, mais le clamer ne suffit pas. Leurs ravisseurs les relâchent, mais leur collent au train. Face aux théories fumeuses des services secrets, la naïveté et la bonté d’âme des deux amis sont désopilantes. Il est parfaitement comique de les voir se sortir de situations périlleuses dont ils n’ont pas conscience.

*****

Dans la chronologie des Nouvelles aventures de Lapinot, ces petits albums parus dans la collection Patte de mouche de L’Association portent les numéros 5.1 et 5.2. Ils ne sont PAS DU TOUT du même format que les bandes dessinées. Et ça ne règle TOUJOURS PAS l’absence du tome 6 alors que le tome 7 est déjà paru. Monsieur Trondheim, vous jouez avec mes nerfs !!!

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Richard et Dieu

Bande dessinée de Lewis Trondheim.

Richard, le compère catastrophique et insortable de Lapinot prête main forte à un inconnu. Et le voilà en train de disserter sur Dieu en pleine rue, les bras encombrés d’un carton. Qui est son interlocuteur ? Je vous laisse juger : « Je suis une incarnation divine. J’ai le pouvoir de l’omniscience. » (p. 5) Il en faut plus pour impressionner Richard, peu crédule et fondamentalement terre à terre. S’engage une dialectique hilarante entre un illuminé et un athée très rationnel. « Si Dieu existe, il est aussi puissant que je le suis vis-à-vis d’un de mes globules blancs ou une de mes cellules de tissu vivant. » (p. 11)

Pour ne pas changer, le personnage de Richard déclenche en moi une hilarité qui n’a d’égale que l’immensité de sa bêtise, ici parfaitement éclairée. Il a trouvé plus perché que lui, et c’est étonnant de le voir dans la position du raisonneur, place d’ordinaire occupée par Lapinot. La morale est simple et très drôle. Et ce petit album est plus riche en réflexions qu’il n’y paraît.

Je vais sans attendre me procurer les 4 autres petits volumes dédiés à Richard, dans cette collection Patte de mouche de L’Association !

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Tina Modotti – Les années mexicaines 1923-1930

Roman graphique : textes de Marie-Claude Chauveau, dessins et peintures de Marie Ciosi.

« Passionnées par la vie exceptionnelle de Tina Modotti nous avons eu l’idée de composer ensemble un roman graphique sur le sujet. Nous avons choisi de retracer sa période mexicaine, de 1923 à 1930, celle qui voit éclore son talent photographique, son engagement politique et humanitaire, sa vision féministe et sa liberté. »

En entrecroisant des carnets intimes, des journaux, des lettres et d’autres écrits, Marie-Claude Chauveau donne une vision kaléidoscopique de quelques années décisives de l’existence d’une artiste majeure des années 1920. D’abord simplement amante et assistante d’Edward Weston, photographe déjà reconnu, Tina Modotti se réalise au Mexique. De l’apprentissage à l’émancipation, tant en art qu’en amour et en politique, la jeune femme devient maîtresse de son destin. « Dans la vie, tout peut arriver! Même dix photos signées Tina Modotti accrochées à côté de celles de Weston ! L’inauguration s’est déroulée en grande pompe, avec fanfare, discours du président Obregón et tout le tralala. Avons gardé notre sérieux… On sait quand même se tenir. Plus que jamais touchée par les commentaires d’Edward. »

Les compositions photographiques de Tina Modotti sont présentées par les dessins de Marie Ciosi. C’est audacieux de repasser de la photo au dessin, l’évolution artistique du début du siècle dernier s’étant faite dans l’autre sens. Évidemment, c’est toujours un plaisir de croiser Diego Rivera et Frida Kahlo et de suivre un peu les folles nuits de Mexico. J’ai beaucoup apprécié l’économie de mots dont fait preuve Marie-Claude Chauveau : elle laisse la place aux sources, aux mots des personnes dont elle retrace un morceau d’existence. Ses analyses n’en sont que plus pertinentes. « Edward… Son humeur jalouse, ses crises de mélancolie, la déliquescence de notre relation… Le pacte ne doit-il fonctionner que dans un sens ? La liberté sexuelle instaurée d’un commun accord doit-elle exister seulement pour lui ? »

Cet ouvrage est de très belle facture, un vrai plaisir à parcourir ! J’ai découvert une artiste et je suis subjuguée par son travail et son engagement politique. « Weston est dévoué à l’art loin de toute démarche militante, contrairement à Tina qui utilise la photographie comme moyen d’action au service des luttes contre les inégalités sociales. Ses œuvres connaissent autant de succès que celles de Weston, ce qui l’oblige à passer beaucoup de temps sur ses images au détriment de l’aide qu’elle pourrait lui apporter »

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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En finir avec l’homme, chronique d’une imposture

Essai d’Éliane Viennot.

Quatrième de couvertureDepuis quand, et comment, et pourquoi le mot « homme » en est-il venu à désigner le genre humain tout entier ? Au fil d’une passionnante analyse sur l’usage historique de ce terme, son étymologie, la plus-value sémantique qu’il a progressivement acquise, Éliane Viennot retrace l’histoire d’un abus de langage qui gonfle « l’Homme » à la dimension de l’humanité. Au pays du Musée de l’Homme, de la Maison des Sciences de l’Homme, des Droits de l’homme et du citoyen, cette histoire-là relève d’une exception française qui sent fort l’imposture masculiniste. Il est temps que « l’homme » se couche, sémantiquement parlant, qu’il regagne son lit de mâle humain et laisse place aux autres individus du genre Homo, aux personnes humaines.

Évidemment, dès qu’il est question d’étymologie, de langage et de lexique, je suis tout ouïe ! D’autant plus quand le sujet est hautement féministe. L’autrice déconstruit le caractère trompeusement inclusif du mot « homme » qui voudrait désigner autant les humaines que les humains. Ce terme qui prouve la domination du masculin dans la langue sert bien sûr les intérêts de ceux qui firent cette dernière. « L’Université de Paris s’est d’emblée organisée pour que seuls les hommes chrétiens en tirent avantage : l’accès aux diplômes fut fermé aux femmes et aux juifs, et de là également l’accès aux métiers supérieurs qui se virent ainsi verrouillés. » (p. 27 & 28)

Revenons à l’origine du mot. Le latin avait les termes « homo » pour désigner tout individu appartenant au genre humain, « mulier » pour l’individu féminin et « vir » pour l’individu masculin. La disparition des deux derniers mots a laissé le champ libre à « homo » devenu « homme », à la fois individu masculin, mais aussi et surtout – pour le grand malheur de la représentativité de tous les groupes humains – l’être humain en général. « Attachement que tant que Français·es ont l’air de partager, de même qu’elles et ils continuent de ne pas s’offusquer de l’usage du mot homme lorsqu’il question de l’espèce humaine. » (p. 14) Donc, pour résumer très grossièrement, l’homme couvre la femme (et ne l’inclut pas, la différence est notable) et, ce faisant, nie sa particularité. Pour qu’une chose existe et soit reconnue, il faut qu’elle puisse être nommée. Or, de l’Antiquité à nos jours, les institutions patriarcales, au premier rang desquelles l’Académie française, n’ont eu de cesse de supplanter le féminin, voire de le gommer, pour imposer le masculin en valeur unique et absolue, en mètre étalon bien réducteur.

Il faut souligner une bien peu reluisante exception française : là où d’autres langues parlent de droits humains, le français s’arque boute sur les droits de l’homme ! Heureusement, la francophonie progresse : il faut espérer que la France cessera de rétrograder dans la semoule et prendra exemple sur les Belges, les Québécois ou encore les Maliens !

L’autrice explore les textes juridiques, religieux et encyclopédiques, et son constat est sans appel : au fil des siècles, le langage et les écrits ont placé la femme au second plan, sur un rang inférieur, voire l’ont invisibilisée. Est-ce une surprise ? Non, certainement pas, mais dire les évidences et pointer les preuves dans des textes accessibles à tous, c’est le premier acte de dénonciation d’une inégalité et le premier pas vers un rétablissement de l’inclusion et de la diversité. Il faut continuer à croire que le changement est possible, même si les hommes sont debout sur les freins. Parce que nous, féministes, nous ne lâcherons plus rien. « Aucun train de mesures n’est mis en place pour contrecarrer les traditions et réaliser au plus vite l’égalité désormais admise en principe. Au contraire, chaque avancée doit être arrachée sur les bancs du Parlement, après avoir été longuement contestée dans la presse, souvent aux mains des mêmes élites masculines réfractaires au moindre recul de leur pouvoir. Mais c’est aussi que, plus largement, les hommes bousculés par l’intrusion des femmes dans ‘leurs’ domaines ont développé une multitude de stratégies à la fois très concrètes et très symboliques pour maintenir l’entre-soi masculin. Stratégies au sein desquelles la question du langage occupe une place de choix. » (p. 82 & 83)

Vous vous en doutez, ce texte rejoint mon étagère de lectures féministes. Mais avant cela, il va tourner dans mon cercle d’ami·es !

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Zemmour contre l’histoire

Ouvrage d’un collectif d’historien·nes.

Pour contrer les idées hystérico-erronées du candidat à la présidentielle 2022, il est urgent de démonter ses thèses fallacieuses et de remettre un peu de clarté dans les événements historiques qu’il dévoie pour servir ses idées nauséabondes. « Éric Zemmour se sert de l’histoire pour légitimer la violence et l’exclusion, pour promouvoir une vision raciste et misogyne de l’humanité. Il fait mentir le passé pour mieux faire haïr au présent… et ainsi inventer un futur détestable. À ces outrances, nous opposons nos savoirs, collectivement construits, avec fermeté et sérénité. » (p. 5)

Le collectif d’historien·nes reprend des extraits des livres, discours et interventions médiatiques du candidat pour démontrer les mensonges et rétablir de faits avérés, tout en ayant humblement conscience que l’histoire est une science en constante évolution. « Au fil de ses écrits et de ses nombreuses interventions, Éric Zemmour ne cesse de déformer l’histoire, en attaquant la pratique et la parole des historiens et historiennes ou en taxant les programmes scolaires de propagande antifrançaise ! L’inexactitude est érigée en méthode, la mauvaise foi en moteur de la connaissance. L’histoire est convoquée comme une arme politique au mépris des travaux et des usages scientifiques. Là où la nuance et le rapport critique aux sources s’imposent comme bases de la méthode historique, dans le but d’établir des faits et de dégager une compréhension des phénomènes passés, le discours zemmourien tord le réel à sa convenance. À partir d’une culture historique à la fois limitée et datée, il construit un récit obsessionnel, qui ramène toute évolution historique à un affrontement entre la France, son essence et ses héros d’un côté, et de l’autre les auteurs de son ‘déclin’ ou de son ‘suicide’, des huguenots aux islamistes en passant par des révolutionnaires ou les féministes. » (p. 3 & 4)

Voici certaines des théories fumeuses du candidat :

  • L’oubli de Clovis dans les livres d’histoire ;
  • Le royaume de France sauvé par la croisade ;
  • Les musulmans comme nouveaux protestants ;
  • Le grand remplacement ;
  • Le génocide vendéen ;
  • La culpabilité d’Albert Dreyfus ;
  • Pétain, sauveur de la République française ;
  • Vichy, régime protecteur des juifs ;
  • L’admiration de Simone de Beauvoir pour les Allemands envahisseurs ;
  • La légitimité de la violence policière le 17 octobre 1961 ;
  • L’abandon de l’Algérie par Charles de Gaulle.

« Une des plus manifestes trahisons du passé est d’attribuer aux gens que l’on étudie des motivations qui ne sont pas les leurs pour servir une cause politique. » (p. 32) En 2 ou 3 pages, les historiens clarifient les sujets et renvoient la manie polémiste d’Éric Zemmour à ce qu’elle est : une nuisance auditive. « En relisant la Révolution française comme un temps d’expérimentation d’une République démocratique et sociale, on comprend mieux qu’un amoureux de l’ordre, de la hiérarchie et de l’autoritarisme n’y voie qu’une catastrophe nationale. » (p. 22) Ce court ouvrage de 60 pages est une lecture indispensable à l’approche du scrutin présidentiel !

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Le petit peuple – 1 : Bera et les Granjans

Bande dessinée de Sepia.

La jeune Bera, vouée par son père à devenir cheffe de leur village, est sur le point de passer son rite de passage, cette épreuve au cours de laquelle un jeune lutin rend un service à la communauté. Mais Bera ne s’intéresse qu’aux traces que les géants ont laissées derrière eux dans la forêt. Elle a toute une collection cachée d’objets dans sa chambre. « Ça prouve encore une fois que je ne suis pas folle et que les Granjans ne sont pas des monstres de légende. » (p. 4) Alors, ça sera ça, son rite de passage : trouver les Granjans et prouver que géants et lutins peuvent vivre ensemble ! « La peur de l’autre, la haine, la cruauté… Granjans et lutins partagent les mêmes faiblesses. » (p. 27) Dans sa quête, elle rencontre un groupe de Korrigans : eux sont farouchement opposés à l’idée de côtoyer les géants, et leur cheffe est prête à tout pour empêcher Bera de rejoindre le monde des Granjans.

Au terme de ce premier volume, on veut évidemment connaître la suite des aventures de Bera ! En dépit de pages d’exposition un peu maladroites, cet ouvrage offre une belle histoire de tolérance et de vivre-ensemble. Le personnage de Bera est remarquablement bien construit et c’est un plaisir de rencontrer un protagoniste féminin qui échappe à tous les clichés idiots et réducteurs associés au prétendu beau sexe. Les illustrations sont charmantes : voilà une bande dessinée que j’aurai plaisir à relire !

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Les vies de Jacob

Texte de Christophe Boltanski.

« Tu t’accumules. Tu t’amoncelles. C’est une manie chez toi. Tu collectionnes les identités comme d’autres rassemblent des timbres-poste ou des papiers d’oranges. Tu es plusieurs à tel point que l’on peine à te suivre. » Dans un album à la couverture verte, 369 photos du même homme, Jacob, prises entre 1973 et 1974. 369 portraits de photomaton qui se différencient par des accessoires, des coiffures et des attitudes multiples. « Seul face à ton reflet, tu ne cherches pas à t’embellir ou à te magnifier. Même quand tu mets tes lunettes noires, ta casquette de pilote, ton uniforme de soldat ou ton bonnet de laine, tu te montres tel que tu es. » Avec cet album trouvé aux Puces, Christophe Boltanski se heurte à un mystère : qui est cet homme ? Pourquoi a-t-il autant voyagé entre la France, la Suisse, l’Italie et Israël ? « Un officier du renseignement allait-il être démasqué par son album photo ? »

L’auteur part sur les traces de Jacob : en reconstituant fil à fil la trame de cette existence, il se frotte aussi à la grande Histoire. « À force de courir après un fantôme, j’en venais à douter de la réalité même de ses voyages. » Il découvre un homme épris de liberté, saturé de rêves et débordant de vie. Il y a une véritable intention artistique derrière l’accumulation obsédante de ces selfies avant l’heure. « C’est ta machine à te dupliquer. Tu arrives seul et tu repars en quatre exemplaires. Tu te soustrais pour t’additionner. » C’est plus qu’une identité que Christophe Boltanski reconstitue, c’est une famille et une tranche d’histoire tirée de l’anonymat et de l’oubli.

Ce texte m’a beaucoup émue. À mesure des pages et en suivant l’enquête de l’auteur, j’ai regretté de ne pas avoir connu Jacob, cet homme rendu presque abstrait par le format de la photo d’identité. « Rien de plus froid, de plus lisse, de plus trompeur qu’une effigie certifiée aux normes. » Mais Jacob est en fait immensément complexe et riche de dimensions qui se déploient si l’on prend le temps d’observer l’homme au-delà de la photographie.

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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L’étoile des frontières

Roman d’Alfred de Montesquiou.

Olivier est photographe. Venu de France, il cherche à rejoindre la Syrie pour en apprendre plus sur sa famille biologique. « Plutôt crever que de poursuivre plus longtemps cette vie de chien perdu. Il comprit qu’il n’avait pas le choix, il fallait qu’il continue l’enquête. » (p. 15) Pour atteindre Homs, il suit Axel, reporter habitué de cette zone en guerre. Ensemble, au départ de Beyrouth, ils traversent la frontière par les montagnes. À leur périple se joint Farid, nouvellement converti par amour pour Nejma, infirmière qui veut se rendre sur le front au nom de la guerre sainte. Sous les bombes et les tirs d’obus, Olivier découvre le pays de sa naissance : en retrouvant ses racines et en se sentant lié à cette terre, il n’aspire plus qu’à s’y fondre. Plus rien ne le rattache à la France, et certainement pas le succès immense que lui offre l’un de ses clichés de la guerre.

Cette histoire de quête des origines est intéressante, mais bancale selon moi. La motivation première du personnage passe sans cesse au second plan, ce qui est compréhensible tant la guerre est omniprésente. « La guerre, je crois que ça rend accro. C’est une came de merde. Aucune autre drogue ne sera jamais aussi puissante que l’adrénaline qui d’un coup fait jaillir en nous des sensations incroyables, notamment celle de vouloir vivre… » (p. 235) Et surtout, il est difficile de comprendre ce qui pousse vraiment Olivier vers la Syrie : à demi-mot, il évoque une famille adoptive avec laquelle il n’est pas en accord, mais cela manque d’épaisseur.

D’après le titre, le véritable protagoniste n’est pas Olivier, mais Nejma, et là encore il me manque un passé pour saisir toute la force de ce personnage féminin pourtant fascinant. Son mariage avec Farid est une incongruité et son comportement, toujours en équilibre entre deux mondes, aurait mérité plus de développement. Peut-être l’auteur a-t-il choisi de laisser des trous dans la mosaïque pour que le lecteur les comble. « Le premier talent du photographe est encore de trancher. » (p. 7) J’ai fait de mon mieux, mais il me manque de la matière.

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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Nos Italies – Quarante-huit photographies de Raymond Escomel

Ouvrage de Gilles Bertrand.

Lors d’un « voyage de la mémoire » qu’il effectue en 2015, Gilles Bertrand marche plus ou moins par hasard dans les pas de Raymond Escomel et le long des prises de vue qu’il a réalisées des années auparavant. « L’Italie accomplit chaque jour le prodige d’être une destination du tourisme de masse tout en gardant intacte sa spontanéité propice à attirer les plus subtils observateurs. » (p. 20) Avant de présenter les images du photographe, l’auteur partage une réflexion sur le voyage, son organisation et ses aléas, les découvertes heureuses et les changements de plan. Il insiste aussi sur ce que l’on en garde, une fois rentré dans ses pénates : des souvenirs, et parfois des photographies. « Ces déconvenues occupant beaucoup de temps lors du voyage, les images de ce livre montrent autre chose. La mémoire heureusement sélectionne et les photographies épousent le mouvement de cette tension généreuse. Elles fabriquent un récit, une fiction, une sorte de nouveau voyage qui a peu de choses à voir avec celui qui a été vécu au jour le jour. Cette invention […] assimile le déplacement physique à une quête plus abstraite que l’on pourrait appeler le “voyage de l’âme”, créateur d’un paysage intérieur. »  (p. 94 & 95)

Telle que la présente l’auteur – et même sans cela –, l’Italie offre une infinité de voyages, selon la frontière physique par laquelle on l’aborde, mais aussi au regard de la diversité de ses paysages et de la richesse de son histoire. Les anciens états indépendants, fédérés sous un même drapeau, sont autant de géographies à explorer. « L’Italie redevenait à mes yeux un espace-monde, elle s’éloignait du repli frileux sur les revendications lombardes vénètes ou de l’ancien royaume des Bourbons de Naples. Elle n’en était pas moins belle et prestigieuse en cela même que s’y rencontraient des individus d’origines diverses. » (p. 49 & 50) La péninsule est polymorphe, prisée dès les débuts du Grand Tour. De l’image d’Épinal aux représentations inédites, chaque voyageur tente d’en retirer quelque chose. Pour Gilles Bertrand, ce pays convoque des références littéraires, picturales et cinématographiques multiples : l’Italie est une terre d’images et d’imagination. « L’Italie a la force d’un rêve qui a longtemps grandi en chacun de nous avant que le voyage s’accomplisse. » (p. 14)

En deuxième partie d’ouvrage arrivent enfin les photographies de Raymond Escomel. En noir et blanc, les clichés flous saisissent des scènes sur le vif. Paysages, personnes, enseignes, bâtiments, détails ou scènes de rues, autant d’images qui composent une certaine vision de l’Italie, vivante et dynamique. En choisissant ces 48 photographies et en épinglant le lieu de la prise de vue sur une carte, Gilles Bertrand entérine un voyage partagé avec l’artiste visuel : les années d’écart entre leurs présences respectives ne comptent pas, car l’Italie a su les réunir.

J’ai abordé ce texte avec la crainte de ne pas comprendre le lien que l’auteur tissait avec le photographe. Finalement, tout est limpide et les images parlent d’elles-mêmes. C’est une belle rencontre à laquelle on assiste, de cartes en mots et de prises de vue en souvenirs.

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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Lucie Corvus contre Mister Poiscaille – Nouvelle édition et exposition

Je vous ai déjà parlé du roman de mon ami Nico Bally, Lucie Corvus contre Mister Poiscaille. Une nouvelle édition est sortie à l’occasion d’une exposition qui devait rassembler de nombreux artistes, mais qui n’a pas pu se tenir à cause de la crise sanitaire. Voici la nouvelle première de couverture du roman.

C’est un grand format de type album, avec des illustrations inédites de Pierre Vérité. Parfait pour les jeunes lecteurs, avec sa police d’écriture très lisible. Je me suis replongée avec bonheur dans cette charmante histoire !

Et si ça vous intéresse, jetez un œil (ou les deux) sur les autres romans de Nico Bally : Pipirate !, Le Baron Miaou, TAUPE et Les hommes ne lisent pas de romance.

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Journée particulière

Texte de Célia Houdart.

Alain Fonteray, ami de l’autrice et photographe de plateau, est hanté depuis 30 ans par une rencontre avec Richard Avedon, photographe américain connu pour ses portraits de stars. L’homme lui a emprunté son appareil pour le photographier avec son ami, et Alain lui a ensuite rendu la pareille. Et les deux photographes ne se sont jamais revus. Ce qui reste de ce regard croisé, ce sont deux photographies et un souvenir persistant. À la demande d’Alain, Célia tente de reconstituer cet instant singulier. « Au début je ne parviens pas bien à déterminer la raison pour laquelle je m’intéresse à une histoire qui n’est pas la mienne. Au point d’envisager de lui consacrer un livre. » (p. 21) Il semble y avoir un mystère et l’autrice part sur ses traces, incertaine de ce qu’elle pourrait trouver.

Le titre du livre est un hommage assumé au film d’Ettore Scola, œuvre sublime au rythme si étrange et si parfait. L’ouvrage de Célia Houdart est bien écrit et la lecture est fluide. L’autrice raconte ses recherches et sa découverte de l’œuvre de Richard Avedon, mais aussi certains souvenirs de sa propre enfance ou encore des épisodes de la vie d’Andy Warhol. « Ce livre est une reconstitution, une suite de zooms et de panoramiques, un montage. » (p. 9) Son texte est traversé par le motif lancinant de la lacération. Et, de fait, tout semble n’être que lambeaux dans ce texte : les très courts paragraphes constituent un ensemble décousu. Finalement, quid du projet initial ? Est-il réalisé ? Rien n’est moins sûr et je ne sais pas bien ce que j’ai lu. Le texte est court, mais il semble tout de même compter trop de mots pour ne rien dire. « Parfois Alain se tait. J’aime me taire avec lui. On n’a pas toujours besoin de parler pour se sentir en compagnie. » (p. 78)

Je passe très probablement à côté de l’œuvre et de son intérêt : certaines rencontres ne sont parfois pas destinées à marquer les esprits et, dans 30 ans, j’aurai très certainement oublié ce livre.

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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Jacqueline Salmon, une vie réfléchie

Texte de Sylviane Van de Moortele.

Au fil des entretiens avec l’artiste, l’autrice a entrepris la biographie de cette photographe qu’un accident de cheval aurait pu briser pour toujours quand elle avait 30 ans. Remise sur pied – et c’est le cas de le dire – grâce à la danse classique, Jacqueline Salmon a commencé par photographier les scènes et le spectacle vivant, puis l’architecture dans un genre tout à fait moderne. Figure incontournable de la scène artistique lyonnaise de la fin des années 1970 et des années 1980, Jacqueline Salmon est désormais connue dans toute la France et au-delà.

« La photographie me rassemble, elle me donne une identité. Longtemps j’ai été perçue comme quelqu’un qui ne savait pas choisir. Or tout est important pour moi. Mais on n’est pas crédible quand on s’intéresse à trop de choses. La photographie donne l’illusion que j’ai fait un choix, ce qui n’est pas vrai puisque tout continue à m’intéresser, la botanique, la littérature, la philo, l’architecture, l’histoire… Simplement, tout est soudain rassemblé sous ce mot magique : “Photographe”, avec lequel on peut enfin vous caser. J’ai trouvé cela très équilibrant, pas seulement pour l’image que cela donnait de moi, mais pour moi, tout simplement. » (p. 54)

Esprit curieux, acharné dans les recherches et éclectique, l’artiste ne s’est pas laissé enfermer dans un genre et ou une activité. Tour à tour commissaire d’exposition, organisatrice de festival, écrivaine, enseignante, elle touche à tout avec bonheur et un succès certain. « De la scénographie d’exposition, c’est presque naturellement que Jacqueline passe à la scénographie d’opéra, rejoignant ainsi sa passion de la musique et du piano. » (p. 39) Elle a publié des ouvrages d’art, participé à des résidences renommées, travaillé avec d’autres artistes et mené d’innombrables projets en parallèle les uns des autres. Infatigable et sollicitée partout, elle se lance avec enthousiasme dans de nouveaux chantiers, des recherches et des réalisations innovantes. « Comme la plupart du temps, elle s’est lancée dans l’aventure sans financement. On touche là à une autre caractéristique de sa manière d’opérer : elle aime réaliser d’abord son travail puis, ensuite seulement, va chercher les soutiens à la production de l’exposition et/ou du livre. » (p. 51) Botaniste amateure, Jacqueline Salmon a même produit un ouvrage d’art sur les légumes ! Son œuvre se nourrit aussi de sujets sociaux et politiques et rend hommage à des maîtres comme Andreï Tarkovski et Italo Calvino. « Sa vie reste un monde à découvrir et son émerveillement est contagieux. » (p. 87)

Le texte repose sur une écriture simple, ce qui n’est pas un problème, mais souffre à mon sens d’un rythme dodelinant. Sylviane Van de Moortele passe en revue de tous les projets réalisés par l’artiste, dans une volonté quasi monographique. « Il faut préciser ici que Jacqueline porte peu d’intérêt à ressasser le passé, ses souvenirs sont pêle-mêle, sans chronologie. » (p. 13) Les premières pages s’attachent à l’enfance de Jacqueline Salmon et il est un peu question de sa vie de famille, mais il manque un peu de cœur dans cet ouvrage, alors que je ne doute pas un instant de l’admiration de l’autrice pour la photographe !

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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Les confluents

Roman d’Anne-Lise Avril.

Liouba et Talal s’aiment. Elle est journaliste, spécialisée dans les écosystèmes en danger. Il est photographe et couvre les zones de guerre. « J’aimerais raconter comment les hommes vivent avec leur écosystème, s’y adaptent et sont marqués par lui. » (p. 24) Ils sont sans cesse en voyage, d’un lieu à un autre, et rarement ensemble. Ils se retrouvent par moment et leur amour n’en est que plus fort. « Ils étaient deux voyageurs. Voués à se comprendre. Voués à ne jamais se retrouver. » (p. 93) Mais à mesure qu’il devient évident que le monde court à sa perte, une question se pose : quel sens cela a-t-il d’aimer quand les eaux montent et que les sables s’étendent ? Saut dans le temps : les jumeaux Jaya et Aslam ont choisi de vivre très différemment, chacun faisant de son mieux face au pire. « C’était l’année 2040, à présent, et l’humanité subsistait au cœur de la fournaise. » (p. 10)

Entre ces pages, on croise un homme qui plante une forêt en plein désert, un quartier qui tient dans une seule maison percée de centaines de portes ou encore un adolescent qui s’acharne à replanter la mangrove. On assiste surtout à une histoire d’amour sans frontières ni limites. « Ce que j’éprouve pour toi n’a pas de sens. Je te connais peu. Je découvre que tu n’es pas libre. Je pensais que tu n’étais qu’un fantasme né du désert. Mais tu es plus que cela. » (p. 87) Liouba et Talal documentent le monde, les guerres et les terres brûlées, mais n’ont aucune racine. Ces deux nomades sont animés par la vocation d’informer qui va de pair avec une volonté farouche de faire reculer le silence.

Avec ce premier roman, l’autrice montre une plume très douce quand elle parle du deuil et des sentiments, mais également très vive quand elle dénonce les injustices climatiques et géopolitiques.

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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Ombres et lumières

Texte de Sylvie Lancrenon.

« La photographie, c’est aussi la chance d’être là au bon moment. » (p. 130)

Sylvie Lancrenon est photographe. Elle a fait ses armes sur les plateaux de cinéma, puis s’est essayée avec succès aux portraits, répondant aux commandes d’agents et de magazines. Avec son objectif, elle magnifie actrices et acteurs, chanteurs et chanteuses, modèles et célébrités en tout genre. « Je ne sais prendre des photos que dans le mouvement. Le mouvement triomphe de tout, du froid, de l’ennui, de la mort. » (p. 66) Sylvie Lancrenon raconte les rencontres et les prises de vue : ce n’est jamais technique et toujours vivant, très humain.

« J’ai regardé le monde à travers mon appareil pour oublier, pour m’oublier. […] Il est temps d’arracher le masque. » (p. 12) Ce qu’elle raconte aussi, c’est son handicap. À 18 ans, pour stopper un cancer très agressif, elle a subi l’amputation d’une jambe. Les difficultés quotidiennes sont nombreuses et la rage est fréquente devant le manque d’équipements publics. Mais Sylvie Lancrenon ne fait pas étalage de la douleur qui hurle en continu, moins par pudeur que parce qu’elle a l’obstination d’avancer encore et toujours. « Je n’ai jamais voulu parler de mon histoire. J’ai simplement vécu à cent à l’heure, sans jamais reprendre mon souffle. J’ai vécu comme si j’avais deux jambes au lieu d’une. Voire trois. » (p. 43)

Les chapitres sont ponctués de certains portraits réalisés par la photographe. Ces images sont vibrantes, en couleurs ou noir et blanc, sous-tendues d’une énergie brûlante. « Je pense lumière. Je respire lumière. Je vis lumière. » (p. 128) Ce court ouvrage à l’écriture dynamique et franche est un vrai plaisir de lecture !

Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.

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Apprendre, si par bonheur

Roman de Becky Chambers.

Un équipage a entrepris un long périple vers de lointaines exoplanètes. Après 2 ans de voyage – et un éloignement de 28 ans par rapport à la Terre ! –, réveillés de la torpeur, les membres commencent l’étude écologique de planètes aux caractéristiques très différentes. Leur travail est simple : répertorier les formes vivantes de ces contrées inconnues. Ariadne O’Neill, l’ingénieure de bord, est la narratrice : dès les premiers mots, son récit annonce un dysfonctionnement, voire une catastrophe.

Ariadne et ses compagnons ont quitté la Terre pour contribuer à la connaissance de tous. La planète bleue souffre de comportements écocides perpétrés pendant des générations. L’exploration spatiale se veut donc éthique et respectueuse. « Je n’ai aucune envie de forcer une planète à s’adapter à moi. Je préfère marcher d’un pas léger : m’adapter à elle. » (p. 13) La différence est reconnue pour ce qu’elle est, une richesse. Et la volonté de tout ramener à la connaissance existante est, à raison, comprise comme un risque à ne pas courir. « Dans le cadre de recherches scientifiques, il ne faut pas qualifier des animaux extraterrestres de poissons ou d’araignées. Ils ressemblent peut-être à des espèces terriennes, et ils se comportent peut-être de manière similaire, mais sont différents. Fourrer ce qu’on trouve ici dans des catégories venues de la Terre, c’est un piège dangereux. » (p. 39) Un principe important de cette exploration est d’éviter toute contamination, tant de l’intérieur du vaisseau vers l’extérieur que réciproquement. L’équipage observe, catalogue et enregistre des informations, sans aucune volonté colonisatrice. Après avoir assisté aux ravages causés par l’homme sur la Terre, les astronautes savent la nécessité de ne pas endommager ni influencer un écosystème auquel ils n’appartiennent pas.

Les protagonistes sont des scientifiques et l’autrice rend bien cela en leur faisant utiliser du langage complexe et précis, mais hélas, sans notes de bas de page pour aider le lecteur à comprendre ! « Si je dois m’arrêter à chaque phrase pour vous infliger un cours magistral, vous tournerez les talons avant que j’aie fini de planter le décor. » (p. 47) Je comprends la démarche : en laissant le lecteur dans l’incompréhension, il est comme les personnages qui découvrent les créatures sur les nouvelles planètes. Mais ça marche mal avec moi : si je ne comprends pas des termes, je suis perdue. Et poser mon livre pour ouvrir le dictionnaire, il n’y a rien de pire pour me sortir de la lecture, ce qui n’est pas le cas d’une note de bas de page qui garde le lecteur captif de l’ouvrage.

Le premier tiers est un manuel du parfait voyage dans l’hyperespace : c’est une mise en situation trop longue pour un roman dépassant à peine 100 pages ! Ensuite s’enchaînent les explorations des 4 planètes, entre rencontres fascinantes et interactions traumatisantes. C’est le dernier défaut de ce roman, à mon sens : on comprend que les études durent des années, mais sans vraiment connaître le travail réalisé. Et finalement, au regard de la conclusion du roman, cela semble bien vain. Mais peut-être est-ce le sens du texte, pointer l’inutilité des voyages spatiaux quand la terre mère se meurt. « C’est difficile de penser aux étoiles quand le sol s’ouvre sous vos pieds. » (p. 62)

Je suis assez mitigée au terme de cette lecture. Je sens qu’elle avait toutes les qualités pour me séduire, notamment par la puissance de son message écologique. Hélas, la construction du récit me semble inaboutie, avec les défauts d’un premier roman, ce qui n’est pas le cas de ce texte.

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Elles disent

Ouvrage de Léonora Miano.

Au gré de ses lectures, l’autrice a glané des citations de femmes et des extraits de textes, et les a montés en conversations. Les philosophes répondent aux femmes politiques, les chanteuses donnent la réplique aux artistes, et même des personnages féminins prennent la parole. « Rattrapée par ma passion pour la structuration des textes, rêvant toujours de composition musicale, j’ai eu l’idée de monter une pièce vocale. » (p. 7)

L’artificialité revendiquée du procédé passe très rapidement au second plan tant les échanges sont logiques et pertinents. Il est évidemment question de femme et de féminité, également de féminisme, d’intersectionnalité et de sororité, mais aussi de genre, de sexualité et d’identité ou encore de vieillissement, de beauté physique, du patriarcat, du mariage et, très largement, de la société.

Moins anecdotique qu’il semblerait, ce petit ouvrage en dit long sur la permanence des problématiques féminines et la résonance des combats entre les générations. Et il n’y aura jamais trop d’espaces de parole donnés aux femmes. Ce livre rejoint sans hésiter mon étagère de lectures féministes.

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Le bouquet de saladelles

Roman de Magali.

Marie-Benoîte revient dans son arrière-pays du Roussillon après quelques semaines pénibles à Carcassonne. Elle refuse d’être exhibée jusqu’à un bon parti se présente pour l’épouser. L’orpheline a un tempérament fougueux et décidé. « Je ne suis pas vilaine, vous savez. On peut très bien m’aimer pour moi-même et non pas seulement pour ma dot. » (p. 25) La révélation d’un triste secret de famille brise ses rêves de vie tranquille dans la garrigue. Elle se laisse prendre par les promesses de Daniel, architecte parisien qui a de grands projets pour la région. Marie-Benoîte trouvera-t-elle enfin le bonheur auquel elle aspire tant ?

La réponse est oui. Nous sommes dans un roman de gare. À la fin, les beaux et les nobles de cœur finissent heureux, de grands sacrifices sont réalisés pour le bien des héros et les méchants sont punis. Le livre s’attache bien lourdement à opposer la vertu rude des gens du pays au peu de morale des Parisiens snobs et avides de richesses. « J’aime ces êtres simples… près de la terre… ils sont si reposants… » (p. 97) Si tu savais ce que les péquenauds pensent de toi, Daniel… Sans surprise, ce roman est niais, faussement optimiste, désespérément irréaliste et tristement bien-pensant. Et côté féminisme, on repassera, évidemment !

Pourquoi l’ai-je lu ? Parce que d’aucuns estiment indispensable de m’offrir les livres navrants de cette autrice dont je partage le prénom. Et parce que je lis tous les livres qu’on m’offre… Mais maintenant, il faut arrêter ! Après Flammes andalouses et L’homme que j’ai épousé, je pense avoir ma dose !!!

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Petit traité d’éducation lubrique

Ouvrage de Lydie Salvayre.

L’autrice propose un panel non exhaustif, mais fort documenté, d’approches amoureuses, de positions érotiques et de bonnes manières à avoir en matière de galéjades. « À défaut d’être saintes, soyez courtoises. Et sachez, Mesdames, que rien n’est plus discourtois que de voir un homme bander sans lui tendre aussitôt votre main. » (p. 79) Parler de fesses ne signifie pas rester au ras des pâquerettes, et l’autrice cite à qui mieux mieux les philosophes antiques et modernes. Le sexe est une affaire très sérieuse, voyez-vous, c’est bien pour ça qu’il faut le prendre avec désinvolture ! « Si votre convoité reste sur sa réserve, montez le niveau d’un cran : convoquez Spinoza. Dites en dégrafant votre corsage : Ne pensez-vous pas que nier le désir qui est une force vive revient en sorte à nier la vie même ? » (p. 45)

Ce petit texte est drôle, léger, émoustillant, pince-sans-rire, sensible et truculent. « Car étreindre n’est pas enfermer. Ni acquérir. Ni manœuvrer. Tous les poètes vous le diront. » (p. 14) Je déplore qu’il fasse la part belle aux amours hétérosexuelles, en considérant assez peu les autres formes de couples. Mais parmi les attitudes de hussard largement décrites, l’autrice offre quelques attitudes empouvoirantes pour les femmes, ce qui ne se refuse jamais. Bref, face à la tristesse et à la nullité du monde, une solution est évidente : envoyons-nous en l’air !

De la même autrice, j’avais férocement apprécié Portrait de l’écrivain en animal domestique. J’ai retrouvé ici son humour mordant et sans complexe. Je vous laisse avec quelques beaux morceaux !

« Un conseil donc : pour obtenir un succès d’estime en matière érotique, rasez-vous. Si vous êtes journaliste et barbu, n’hésitez pas à donner de surcroît votre démission. Deux précautions valent mieux qu’une. » (p. 18)

« Et à qui vous parle de vice, rétorquez sèchement que le vice n’est vice que pour les âmes vicieuses, au revoir. » (p. 26)

« Une précaution pour finir de convaincre : faites-vous passer pour plus con que vous n’êtes. On se méfie généralement de ceux qui manient la pensée plus adroitement que leur bite. La plus subtile de toutes les finesses est de feindre la connerie, lorsque de celle-ci dépend votre succès. » (p. 36)

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Ni folles ni douillettes – L’endométriose, un combat quotidien

Ouvrage de Floriane Gissat, illustré par Élise.

L’endométriose est une maladie encore méconnue. Des cellules issues de l’endomètre (membrane qui recouvre la paroi utérine et qui se détruit et s’évacue lors des règles) se retrouvent dans d’autres parties du corps. Elles se comportent comme si elles se trouvaient dans l’utérus et donc saignent au moment des règles, ce qui crée des lésions internes, des kystes, des tissus cicatriciels et des adhérences. L’endométriose cause des douleurs pendant les règles et en dehors, parfois pendant les rapports sexuels. « Nos souffrances sont souvent minimisées, même par nos proches. » (p. 1) La maladie peut entraîner une infertilité ou des difficultés à concevoir. Les opérations ne sont pas toujours couronnées de succès ni efficaces à long terme. Le diagnostic prend parfois des années avant d’être posé, et l’errance médicale cause des souffrances psychologiques intenses. « Je n’étais pas folle. J’étais vraiment malade. Et cette maladie avec un nom. » (p. 11) L’endométriose a des conséquences profondes sur la vie sociale, professionnelle et amoureuse.

Floriane Gissat a compilé des témoignages de femmes atteintes d’endométriose. Le sentiment d’impuissance est immense face à ce mal et au peu de remèdes disponibles. « C’est une maladie complexe, difficile à diagnostiquer, et surtout longtemps ignorée et minimisée par la médecine. Et pour cause ! Elle ne concerne « que » des femmes… » (p. 19) Avec cet ouvrage, l’autrice explique clairement la maladie et ses conséquences. C’est un livre à mettre en toutes les mains : celles des femmes qui souffrent chaque mois, celle des médecins bien rapides à nous répondre que c’est normal d’avoir mal pendant les règles, celle des proches qui ne comprennent pas toujours la douleur que l’endométriose occasionne. Toutes les mains !

Sur le sujet des règles, je vous conseille fortement Les règles de l’amitié de Lily Williams. Et je range précieusement cet ouvrage sur mon étagère de lectures féministes.

EDIT de juin 2024 – Le diagnostic est tombé, je suis une endogirl… Ce n’est ni un titre de gloire ni une honte : quoi qu’il en soit, il fait que j’apprenne à vivre avec.

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