L’espoir malgré tout

Bande dessinée d’Émile Bravo.

Première partie – Un mauvais départ

Bruxelles, 1940. Spirou est un tout jeune groom. Il pense souvent à Kassandra, sa fiancée retournée en Pologne. Voilà que la Belgique est en guerre. Spirou retrouve son ami Fantasio, soldat sans affectation et compagnon catastrophique, tout autant lâche que va-t-en-guerre. Le jeune garçon fait tout pour rester fidèle à ses valeurs humanistes et généreuses, tandis que Fantasio ne cherche qu’à sauver sa peau. « Ce n’est pas l’aventure, Fantasio, c’est la guerre. / Ah oui, c’est vrai. »  (p. 40)

Cette bande dessinée est étonnante, car pour moi, Spirou et Fantasio sont deux copains qui résolvent des mystères plus ou moins étranges, pas des personnages inscrits dans l’Histoire. Émile Bravo propose de beaux arcs narratifs à ces héros que je croyais connaître. Il y a un humour subtil et souvent bon enfant qui aide à supporter les terribles événements qui sont dépeints.

Deuxième partie – Un peu plus loin vers l’horreur

Spirou reste le plus raisonnable face à un Fantasio qui change d’humeur pour un rien. Les deux amis doivent trouver un travail s’ils veulent conserver leur logement. Encouragés par un mystérieux mécène, ils montent un théâtre de marionnettes et sillonnent la Belgique pour divertir les enfants. Ce n’est pas du goût de tous, mais Spirou et Fantasio sont heureux de se sentir utiles. « Les nazis se sentent si forts aujourd’hui qu’ils ne conçoivent pas qu’un numéro pour les enfants puisse être source de critiques contre eux… Alors ils l’interprètent à leur façon et c’est tant mieux. » (p. 27) Mais face à l’arrivée des étoiles jaunes sur les manteaux de leurs amis, dont des enfants, nos deux héros savent que les marionnettes ne suffiront pas à combattre l’ennemi. Et Spirou est toujours déterminé à retrouver son amie Kassandra, prisonnière en Pologne.

Comme le dit le titre de ce deuxième volume, la légèreté s’est envolée. Même si l’humour est toujours là, il cache moins bien la peur et l’incertitude. Et c’est avec soulagement que l’on voit Fantasio se ressaisir et abandonner ses lâches attitudes. La fin de cet album est bouleversante et ne laisse pas d’inquiéter quant à la sécurité du jeune et courageux Spirou.

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Les lapins de la Couronne d’Angleterre – Tome 2 : Air Force One

Roman de Santa Montefiore et Simon Sebag Montefiore. Illustrations de Kate Hindley.

Timmy Poil-Fauve cherche encore sa place au sein des Lapins de la Couronne. Lui qui est si maigrichon et petit, il a bien peur de ne pas être à la hauteur de cette troupe d’élite. Mais plus le temps de douter, il faut accueillir le Président des États-Unis qui vient visiter l’Angleterre. Lui et la première Dame sont protégés – sans le savoir, évidemment – par les Lapins de la Maison-Blanche. Ces derniers vont allier leurs forces avec les protecteurs de la royauté britannique pour contrer un autre plan nauséabond des Ratzis. Une nouvelle fois, Timmy prouve sa bravoure. « Rien n’est impossible, du moment qu’on a un peu de chance et de volonté, une carotte fraîche, la truffe humide et une dose de courage ! » (p. 20)

C’est un grand plaisir de retrouver ces lapins espions ! Surtout quand ils combattent les immondes Ratzis qui se délectent de fake-news et de malheurs. Les vilains rats sont en colère d’avoir été humiliés par le petit Tommy et ils sont bien décidés à se venger et à déclencher une crise diplomatique entre l’Angleterre et les États-Unis. Pas de doute, ils sont vraiment méchants, ridicules et puants ! Quant aux Lapins de la Couronne, ils font donc équipe avec les LOTUS (Lapins of the United States), avec les renards qui protègent les Premiers ministres anglais depuis des générations, mais aussi avec les corgis de la Reine, de manière plus ou moins concertée ! Et au terme de ce second volume, je suis plus qu’impatience de lire le troisième pour découvrir l’identité du traître au sein du Grand Terrier et pour en savoir un peu plus sur l’affreux Papa-Ratzi !

Ce roman est aussi plaisant que le premier, intitulé Le complot. Je suis évidemment très bon public quand il est question de lapins, mais je sais aussi reconnaître la qualité et les défauts d’un texte. Celui-ci est sincèrement bon et peu m’importe qu’il soit étiqueté jeunesse. La seule chose qui compte, c’est le plaisir de la lecture ! Affranchissons-nous des diktats de la classification et profitons !

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Nés de la nuit

Roman de Caroline Audibert.

« La vie d’un loup advient quand le ciel, quand les arbres, quand le vent, quand les humeurs lui disent combien ils le veulent, lui, gardien des forêts et des sources. » (p. 20) C’est donc un loup que le lecteur est invité à suivre. D’abord louveteau, puis adulte plein de vigueur qui parcourt les montagnes et fonde sa propre meute. Il est libre, maître de son territoire, jusqu’au jour où il est pris par les humains. « Je ne retournerai pas dans ma forêt. » (p. 77) Le loup est étudié, pesé, manipulé. On dit de lui qu’il est le premier, l’ancêtre de tous les loups de France. Désormais privé de grands espaces, de terre sous ses pattes et de vent dans sa fourrure, le loup regarde la marche du monde depuis des hauteurs mystiques. « La dernière de mes filles contemple la forêt. Et contempler, c’est déjà être fort. Son clan le sera. » (p. 98)

Avec cette fable antispéciste, Caroline Audibert chante son amour de la nature. Et je la rejoins dans cette harmonie qu’elle appelle de ses vœux. La nature humaine, parlons-en ! Dans son besoin de tout dominer, de tout plier à son ordre, elle nie les énergies millénaires qui animaient le monde. « La voix du berger est découragée, elle dit la fin d’un monde. Cet autre monde qui arrive ne sera pas tendre pour les loups. » (p. 113)

L’autrice s’affranchit parfois de la ponctuation pour montrer le bouillonnement de la vie, la hâte vitale ou des liens si forts entre les choses que placer une virgule n’aurait pas de sens. De même, d’une phrase à l’autre, elle fait passer les saisons, sans hiatus, dans une continuité organique évidente et inarrêtable. Au fil des pages, elle dépeint un ballet primal au sein duquel le loup n’a pas la place principale, mais tient un rôle indispensable pour la bonne marche de la nature. Il a autant de valeur que le champignon ou que l’aigle. Il évolue dans un monde uni et sans cesse renouvelé. C’est donc la colère qui naît en réponse à la violence injustifiée de l’homme et à la marche aveugle des engins. « Les hommes s’intéressent tant à nous qui ne cherchons qu’à les fuir. » (p. 78 & 79)

J’ai été saisie par ce texte puissant, étourdie par ce chant du loup, presque chant du cygne. Et surtout complètement convaincue par la revendication urgente de Caroline Audibert. « Réensauvageons-nous. Car tel est à mes yeux l’enjeu de l’époque. Faisons de notre cœur un pays de légende, ne mourrons pas de froid. Retombons amoureux de la Terre. Renouons avec les mythes. Écoutons les langues fauves, les langues nées de la nuit. » (p. 150)

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Des souris et des hommes

Roman de John Steinbeck illustré par Rébecca Dautremer.

Je connais déjà très bien l’histoire de Lennie, géant idiot, et de George, nerveux et protecteur. « Moi, j’ai toi pour m’occuper de moi, et toi, t’as moi pour m’occuper de toi. » J’ai déjà abondamment pleuré en la lisant et la relisant.

La redécouvrir dans cette édition illustrée par Rébecca Dautremer lui a donné une nouvelle profondeur et m’a fait éprouver de nouvelles émotions. Comment rester de marbre à l’évocation imagée du rêve de George et Lennie, cette petite maison et ce terrain rien qu’à eux ? Comment ne pas vouloir, comme Lennie, s’occuper des doux lapins dans un monde où personne ne viendrait nous déranger ? « Ils étaient assis, immobiles, hypnotisés par la beauté de la chose, l’esprit tendu vers le futur quand cette chose adorable viendrait à se réaliser. » Et surtout, comment ne pas pleurer quand la cruauté et la bêtise s’en prennent à l’innocence ? Dans ce pavé sublimé par ses couleurs, Rébecca Dautremer rappelle s’il était besoin que cette tragédie américaine de 4 jours est un monument littéraire.

L’illustratrice a déjà prouvé qu’elle sait dessiner les lapins et Jacominus n’est pas loin par moment, notamment dans certaines images qui semblent de vieilles photos aux bords déchiquetés. Ill faut dire que l’histoire se prête à la représentation de ces charmants animaux : ils sont la monomanie de Lennie et la promesse de George, l’espoir plus ou moins fou d’une vie moins rude. « Faudra avoir des lapins de couleur différente, George. / Oui, bien sûr […]. On en aura des rouges, des verts et puis des bleus, Lennie. On en aura des millions. »

Il y a des pleines pages dédiées à des portraits des personnages. Rébecca Dautremer a saisi l’essence même de chacun, des détails caractéristiques poussés à leur paroxysme, non pas pour la caricature, mais pour l’incarnation parfaitement aboutie des protagonistes. La dessinatrice propose aussi des publicités et des affiches factices qui nous plongent dans l’Amérique du roman, avec des réclames de produits miracle qui vendent une promesse de rêve américain. Il y a des dessins comme des cartoons, encore typiquement représentatifs du pays et de l’époque.

Rébecca Dautremer fait plus qu’illustrer Des souris et des hommes, elle remet le roman dans son contexte. Et pour pousser cela aussi loin que possible, elle écrit par endroit le texte original anglais en filigrane de ses illustrations. C’est presque une lecture bilingue qu’elle nous offre. Mais là où, véritablement, elle montre toute l’étendue de son talent, c’est quand elle adapte son dessin pour représenter ce qui se passe vraiment dans l’esprit de ses personnages. Lennie est un idiot, mais il est innocent même quand il tue. Il a la douceur pour seule obsession et – comme moi – les lapins pour totem. Dites-moi que l’image ci-dessous n’est pas parfaite pour parler de Lennie ! Ce coloriage d’enfant dit toute la naïveté d’un balourd aux mains mortelles et la puissance triste des rêves impossibles.

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J’ai donc relu Des souris et des hommes. Et j’ai à nouveau pleuré d’abondance pour Lennie, pour les chiens boiteux et pour tous ceux que la société n’aime pas suffisamment.

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Brèves de solitude

Roman de Sylvie Germain.

Quelques heures dans un jardin public. Quelques jours avant que la France se cloître volontairement pour échapper à un virus chinois. Les êtres se croisent autour du bac à sable, passants et personnes assises, contrariés ou rêveurs, agités et bruyants. Il y a le bruit de la ville, le bruit de la vie. « Il faudrait aménager dans chaque arrondissement quelques squares réservés aux adultes désireux de calme. » (p. 23) Et sur un banc, seul, abandonné, silencieux, déjà fiévreux, il y a un homme noir sans nom, mais aux nombreuses épithètes. Lui seul ne prend pas part au ballet insouciant. Il ne pense qu’à survivre, mais comment faire ? Et après ces derniers instants dans l’ancien monde, le libre, l’ouvert, il y a l’enfermement. Que deviennent-ils derrière les murs, les vieilles dames aux mots croisés et aux pâtisseries, les enfants aux ballons vagabonds, les étudiants aux cheveux colorés et aux interrogations immenses ? De discussions entre balcons aux services rendus entre étages, c’est une nouvelle sociabilité qui se met en place, une nouvelle société qui apprend à vivre à l’intérieur, sous l’œil d’une super lune qui semble prendre la place que les humains ont désertée. « Elle ne sortira pas indemne de ces jours de relégation. » (p. 153)

Sylvie Germain est une autrice refuge. Quand je veux du beau, du fort, du vrai, je me tourne vers ses textes. Et chacune de ses nouvelles parutions trouve rapidement le chemin de mes étagères. Grande est donc ma tristesse de ne pas avoir apprécié ce texte. Je déplore des personnages qui manquent d’âme et de contours alors que l’autrice sait d’ordinaire si bien les incarner et les rendre perceptibles à ces lecteurs. Certes, il y a de jolies phrases et des réflexions tendres. « En amour, elle veut de l’amusement, du joyeux, pas du lyrique ni de lourdeurs sentimentales, une bonne entente charnelle et un peu de complicité amicale. » (p. 45) Mais où est le souffle ? Où est la densité fabuleuse des autres textes ? Qu’il est douloureux d’être déçu par une artiste dont on aime par ailleurs toute l’œuvre ! Tant pis, je me consolerai en relisant Le livre des nuits ou Jours de colère.

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Bowie

Bande dessinée de Maria Hesse et Fran Ruiz.

« Nous avons décidé de mélanger des passages de la vraie vie de Bowie avec des éléments fantastiques. […] Jouer à essayer d’être Bowie, nul n’y verra tromperie. » (p. 11) Ainsi nous avertissent les auteurs : dans cette autobiographie, David Bowie se raconte et s’invente. C’est une vie un peu fictive, sûrement rêvée et fortement fantasmée. Parce que convoquer l’imagination et la fantaisie était la seule façon pour le jeune David de faire entrer des couleurs dans sa vie. « À l’âge de quinze ans, une poussière de météorite vient heurter mon œil gauche et le change à tout jamais. Mon aspect extérieur commence à être aussi étrange que mon état intérieur. » (p. 15) De groupes en albums, David devient Bowie, lutte contre la drogue et pousse son art aussi loin que possible. Ce que nous lisons, c’est son histoire, mais aussi un peu plus. Une existence saupoudrée de cendres d’étoile.

Avec ses illustrations délicates et étranges, Maria Hesse offre à David Bowie des portraits qu’il n’aurait probablement pas reniés. La bande dessinée se permet en effet quelques élucubrations fantaisistes, mais qui ne nuisent en rien à l’histoire de l’artiste. Et j’ai maintenant grandement envie de découvrir les autres œuvres de Maria Hesse !

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Les grands chevaux

Roman de Fanny Wallendorf.

Une harde de chevaux blancs lancés à plein galop parcourt les rêves de deux hommes qui ne se connaissent pas. Kerr est un pompiste solitaire. Niels est un cracheur de feu exalté. Tous deux traînent des enfances traumatisées et ne savent pas vivre avec les autres hommes. « Tu n’as pas l’air en forme. Être prisonnier d’une idée fixe, c’est bon pour personne. » (p. 141) Pour Kerr, c’est une jeune femme qui lui rouvre les portes du bonheur. Pour Niels, c’est un long chemin de souffrance qui commence quand il ne peut plus exercer son art. Alors qu’un projet de pont tente de relier à nouveau deux villes ennemies, les angoisses tapies n’attendent qu’une étincelle pour embraser les destins.

J’ai beaucoup aimé le premier roman de l’autrice, L’appel. Avec son deuxième texte, je retrouve une plume maîtrisée et sensible, notamment quand elle met de très beaux mots sur l’amour naissant. « Il se sent comme un très jeune homme, déstabilisé par le retour de timidité qu’implique le désir. » (p. 89) J’ai ressenti plus d’empathie pour Kerr que Niels : il réapprend la tendresse et la joie avec la grâce maladroite des premières fois. La fin du roman, fulgurante et surprenante, m’a saisie brusquement. Elle est dévastatrice, mais porte en ses cendres toutes les promesses d’un monde à rebâtir.

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Le Décalogue – Série intégrale

Attention, révélations possibles dans cet article qui présente une série BD entière !!!

Tome 1 : Le Manuscrit – Bande dessinée de Franck Giroud et Joseph Béhé.

Simon, Français vivant en Irlande, végète dans une maison d’édition. Ses ambitions d’auteur lui semblent de plus en plus dérisoires. Et il se morfond depuis sa rupture avec Gwen. « Je déteste Glasgow… J’y ai définitivement perdu la femme que j’aimais… et tout espoir de devenir écrivain. » (p. 14) Mais voilà qu’il se retrouve en possession d’un étrange manuscrit, Nahik, très ancien et au potentiel littéraire indéniable. Le texte suppose l’existence d’un autre Décalogue, dicté par Mahomet. Simon voit dans cette œuvre étrange la promesse du succès après lequel il court depuis longtemps. Mais bien mal acquis ne profite jamais… et Simon est rapidement victime d’un maître chanteur. « Je commence à subir la malédiction du manuscrit. » (p. 49) Et pendant ce temps, Glasgow frémit d’effroi devant les crimes du tueur de la Clyde.

Avec ce premier tome, Franck Giroud pose le décor de son histoire en 10 volumes qui remonte aux origines de ce décalogue inédit gravé sur une omoplate de chameau. Les tomes suivants seront tous dessinés par des artistes différents. Et j’ai bien hâte de tous les lire. Heureusement, un cher ami a la collection complète et j’ai l’autorisation de piller sa bibliothèque ! Dans ce volume, j’ai notamment beaucoup apprécié les prises de parole de Simon. Auteur jusqu’au bout des ongles, il rature ses propres mots pour trouver l’expression parfaite. Cela donne des cases vraiment surprenantes, où les termes biffés en disent plus ou différemment que la parole définitive. Et évidemment, gros coup de cœur pour Nessie, le chat de Simon, qui est autant un ressort comique qu’un témoin attentif des mésaventures de son maître… Bref, lecture à suivre !

Tome 2 : La fatwa – Bande dessinée de Franck Giroud et Giulio De Vita.

Aline est danseuse et sa troupe voyage dans l’Orient-Express, se produisant dans les gares tout au long des étapes du célèbre train. Son petit ami, Merwan, apprécie peu son métier, qu’il considère comme une exhibition dépravée. Alors qu’il s’est une nouvelle fois disputé avec Aline, il croise un homme par hasard et le reconnaît ! C’est Halid Riza, auteur contre qui une fatwa a été lancée. « Certes, La dernière sourate est un roman… mais le décalogue existe bel et bien ! Regarde ce livre Nahik ! Il s’agit également d’une fiction, mais on y trouve des dessins réalisés en Égypte au XVIIIe siècle. Entre autres, la reproduction d’une étrange omoplate de chameau… » (p. 19) Face à ce texte millénaire, Merwan remet en cause le bien-fondé du mouvement islamiste qu’il a rejoint.

Le deuxième volume du Décalogue commence à remonter dans le temps, vers les origines de Nahik et de cette mystérieuse omoplate. J’ai beaucoup apprécié le dessin très dynamique de Giulio De Vita, et surtout le décor roulant du mythique train qui file vers l’Est. Chose certaine, me voilà à bord de l’aventure du Décalogue, et pas prête à faire escale !

Tome 3 : Le météore – Bande dessinée de Franck Giroud et J. F. Charles.

1958, en Grèce, un dangereux malade s’échappe d’un asile psychiatrique et sème la mort dans son sillage, vers un monastère orthodoxe perché dans les montagnes. Ce monastère est également le but d’un groupe d’intellectuels qui randonnent dans la neige pour lire enfin Nahik. Alors que l’hiver fait rage, les morts se multiplient dans le groupe, laissant penser que la malédiction de l’ouvrage est toujours à l’œuvre. «  La réputation de ‘livre maudit’ lui colle aux pages depuis le début ! / Bien sûr ! D’ailleurs, peut-être est-ce Satan lui-même qui l’a imprimé ? / Et pourquoi pas ? Que savez-vous de Dieu et du Diable ? » (p. 19)

Le scénario de ce volume est très efficace et ménage un suspense de très bonne tenue. Quel plaisir surtout d’admirer des reproductions d’icônes orthodoxes dans le monastère des Météores ! L’intelligence du scénario en 10 volumes imaginé par Franck Giroux est de solliciter une mémoire à rebours : tel personnage à peine évoqué dans le présent tome aura très probablement une place fondamentale dans le volume suivant, qui se place avant celui que l’on est en train de lire. Très finement pensé et construit !

Tome 4 : Le serment – Bande dessinée de Franck Giroud et Tomaz Lavric.

« Si tant de criminels ont pu nous échapper, c’est grâce à un réseau dont le centre se trouve ici même, au cœur de la cité pontificale. » (p. 29) À Rome, en 1946, et plus précisément au Vatican, le père Davor Stimac cache son beau-frère, criminel de guerre, pour qu’il échappe aux autorités serbes, via ce que l’histoire a appelé la ratline. C’est surtout Milena Mulabolic, premier amour déçu de Davor, qui traque cet homme responsable de la mort de son époux. Dans un enchaînement d’événements apparemment sans lien, un destin implacable se met en route et n’épargne ni innocent ni coupable, dans un étrange sens de la justice.

Nahik a changé de mains et continue sa marche vers le futur, tandis que le lecteur poursuit sa marche vers le passé de ce livre maudit. On découvre progressivement de quoi est fait cet ouvrage et en quoi il constitue une menace ou un espoir pour l’humanité, selon ceux qui le possèdent. « Dans ce monde nouveau qui émerge lentement du chaos, son message œcuménique contribuerait singulièrement à renforcer la paix ! À jeter aux oubliettes les vieux antagonismes religieux ! » (p. 35) Je ne vais évidemment pas tarder à lire la suite de cette saga passionnante !

 Tome 5 : Le Vengeur – Bande dessinée de Franck Giroud et Bruno Rocco.

1915, en Turquie, une famille arménienne est massacrée. En 1922, l’unique survivant rejoint Nemesis, une organisation qui traque les responsables turcs pour faire justice. Pour attirer l’un d’eux, le jeune homme lui fait miroiter Nahik, seul bien qu’il lui reste de sa famille. « Ce n’est pas seulement un trésor bibliophilique ! Pas seulement l’unique survivant d’une édition détruite par le feu juste sa sortie de presse ! Ce n’est pas seulement un chef-d’œuvre technique ! Le plus bel ouvrage réalisé à l’époque ! C’est aussi une pièce irremplaçable pour l’histoire de la peinture ! » (p. 50) Dès lors, tout va plus loin que la seule vengeance du génocide arménien : il s’agit de révéler la vérité sur une religion, sans doute au détriment de l’amour.

Avec le dessin très noir de Bruno Rocco, cet album a quelque chose des histoires de mafia américaine. À mesure des volumes, je me rapproche de la création de Nahik. Et je me plais dans cette lecture à rebours d’un mystère littéraire et religieux. Je ne sais pas comment Franck Giroud a travaillé son scénario, mais c’est brillamment tenu sur la longueur ! Et surtout, l’histoire arrive dans des périodes historiques qui m’intéressent beaucoup. Hâte de voir comment elles seront traitées par les prochains dessinateurs !

Tome 6 : L’échange – Bande dessinée de Franck Giroud et Alain Mounier.

1882, sur un navire, de nombreuses familles quittent l’Égypte pour les États-Unis, dans l’espoir d’une meilleure vie. Parmi ces immigrants de toute classe sociale, deux épouses enceintes accouchent pendant la traversée. Et au terme du voyage, leurs familles sont liées par un terrible secret qui éclatera près de 20 ans plus tard. Une jeune fille devra alors choisir son avenir, elle qui n’a pas eu aucune liberté de choisir ses origines. Et ce n’est sans doute pas en Amérique, terre de déracinés, qu’elle pourra tracer le chemin de son existence.

On commence à en apprendre un peu plus sur Fernand Desnouettes, le peintre qui a produit les superbes aquarelles qui illustrent Nahik. « C’est un peintre qui a mystérieusement disparu pendant la campagne de Bonaparte. » (p. 18) C’est une de ses images qui brisera le silence. Une fois encore, le mystérieux livre procède à bien des drames dans la vie de ceux qui le possèdent… Que j’ai aimé ce tome ! On y parle d’Henry James, et il y a un peu de son esthétique dans les salons bourgeois de la famille Fleury.

 Tome 7 : Les conjurés – Bande dessinée de Franck Giroud et Paul Gillon.

1822 : Paris est secouée par les émeutes menées contre Louis XVII et les attentats sanglants et tonitruants des Carbonari. Hortense Fleury, deuxième épouse du général Fleury, est membre de cette société secrète, tout comme le jeune homme dont elle s’éprend. Pour financer la cause, elle propose l’impression d’une œuvre qu’elle tient de sa famille, en lui donnant un titre bien étrange. « Ce récit est tout bonnement ex-tra-or-di-nai-re ! Quelle imagination et quelle force ! Il y souffle le vent de cette nouvelle littérature qui vient enfin ébouriffer les codes poussiéreux de nos aînés ! » (p. 22)

Bon, j’avoue que les nombreux changements de régime entre 1789 et 1870 m’ont férocement ennuyée quand j’étais en khâgne, mais cette formation a eu le mérite de me les faire à peu près entrer dans le crâne ! Plus que les événements politiques, je retiens surtout de ce siècle révolutionnaire l’évolution des modes, notamment féminines. Ici, Paul Gillon propose des tenues époustouflantes. Et assister à la production de Nahik, enfin, quel plaisir ! La double fin de l’album, évidemment tragique, est des plus réussies, et l’on comprend pourquoi le tome précédent commençait au Caire.

 Tome 8 : Nahik – Bande dessinée de Franck Giroud et Lucien Rollin.

1813, en pleine guerre napoléonienne, le général Fleury est blessé. Revenu en France et désormais estropié à vie, il doit s’installer provisoirement chez le frère de son épouse, Ninon. Hector est un auteur à succès, dont les récits d’aventure ont séduit un large public. Dans sa grande maison, il héberge également son frère Eugène, défiguré pendant la campagne d’Égypte et tellement traumatisé qu’il a perdu l’esprit. Ainsi, presque toutes les nuits, il hurle « Nahik ! » dans sa chambre sous les combles. Ninon va tout faire pour aider son frère à sortir de sa démence, mais elle se heurte au refus étrange d’Hector. « Il est temps de comprendre que cette maison n’abrite pas un monstre ! Juste un malade qui a été mal soigné pendant trop longtemps. » (p. 42)

Aaaaah, les pièces du grand puzzle s’emboîtent de mieux en mieux ! Quel plaisir de suivre ce scénario de longue haleine et de comprendre les enchaînements à rebours entre les tomes. Ici, l’auteur explore tous les pans de la folie humaine, de celle qui croupit dans les asiles sordides de Paris à celle qui fait perdre tout sens commun. Maintenant que je sais enfin l’origine de Nahik, il ne me reste que 2 volumes pour atteindre enfin les sources du Décalogue !

Tome 9 : Le papyrus de Kôm-Combo – Bande dessinée de Franck Giroud et Michel Faure.

Nous voici au Caire en 1798. L’expédition napoléonienne est retenue en Égypte depuis que l’amiral Nelson a détruit la flotte française. Les militaires et scientifiques s’occupent comme ils peuvent. Et Fernand Desnouettes compte bien mettre à profit ce temps sur place pour explorer des ruines ptolémaïques dans le désert nubien. « Membre du muséum, peintre de talent, archéologue émérite et passionné de culture arabe. » (p. 4) Pour sa protection, il est accompagné du fringant capitaine Eugène Nadal et d’un détachement de soldats. Le militaire craint notamment des attaques de Mameluks. Mais Fernand refuse de se laisser impressionner : il veut trouver ce qu’un vieux papyrus présente comme un secret très longtemps caché.

Enfin ! Le lecteur rencontre le peintre Fernand Desnouettes dont les remarquables aquarelles ont illustré le livre Nahik. Quel plaisir de le suivre dans les sables brûlants à la recherche de la source du Décalogue ! Et surtout, on comprend comment Eugène est devenu fou et ce qu’il a vu en Égypte. La quête est bientôt achevée. Plus qu’un épisode avant de découvrir la vérité sur la mystérieuse omoplate de chameau.

Tome 10 : La dernière sourate – Bande dessinée de Franck Giroud et Franz.

En l’an 31 de l’Hégire, l’Islam n’est pas encore stabilisé. Mahomet est mort depuis peu de temps et la recension du Coran est un enjeu majeur pour fixer durablement la jeune religion. « Une religion que le Prophète a transmise par la parole et non par l’écrit. De sa prédication, il ne reste que très peu de traces manuscrites. Si bien que les divergences d’interprétation se sont mises à fleurir, menaçant à la fois la crédibilité de l’Islam et la cohésion de l’Empire. » (p. 6) Le calife Uthmân compte sur cette recension pour asseoir durablement son pouvoir contre les partisans d’Ali, gendre de Mahomet, et il n’est pas prêt à laisser une sourate gênante et à l’origine douteuse remettre en cause son ambition. De fait, les considérations politiques l’emportent sur le fond religieux.

Cette intrigue en 10 volumes se conclut avec panache, voire audace. Franck Giroud a su tenir son public en haleine pendant plusieurs années et il lui offre un final digne de cette attente. Le message final est fort sans être moralisateur. Maintenant que j’ai fermé le dernier épisode à rebours de cette fabuleuse quête, je n’ai qu’une envie : reprendre ma lecture dans l’ordre chronologique de la frise historique. Mais c’est un projet pour plus tard.

Tome 11 : Le XIe commandement – Bande dessinée de Franck Giroud.

À la fin de sa vie, Missak Zakarian (protagoniste du tome 5) veut en savoir plus sur Nahik, ce livre qui est passé de génération en génération dans sa famille. Il fait appel aux services d’un bibliophile passionné, Georges d’Apreval, pour l’aider dans cette quête. D’échange de lettres et de mails à des extraits de journaux ou de carnets intimes, l’enquête comble certains blancs entre les épisodes et précisent des intrigues et le destin de certains personnages. Georges d’Apreval plonge dans des archives privées et publiques pour retrouver la trace du roman qui a fait couler tant de sang. « J’ai appris que si un livre peut distraire et même consoler, il peut aussi tuer, tant physiquement que moralement. » (p. 94)

Dans ce volume bonus, Franck Giroud nous fait cheminer dans le « bon » sens de l’histoire, jusqu’en 1915. Il invite certains dessinateurs des épisodes à produire quelques pages supplémentaires. Et surtout il nourrit l’enquête d’informations historiques, sous forme de fiches explicatives courtes et passionnantes. Ce onzième opus conclut magistralement la fresque que constitue Le Décalogue. Heureusement, je ne vais pas rester orpheline de cet univers. Il existe deux séries dérivées, toujours en bande dessinée !

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Satan mène le bal

Roman de Samuel Lebon, photographies et texte.

L’ouvrage s’ouvre sur une image de sièges vides, comme pour inviter le lecteur à prendre place devant la fantasmagorie proposée par l’auteur. Vous êtes bien installés ? Voici donc l’histoire d’un auteur en quête d’écriture, trop souvent rattrapé et dépassé par son goût pour la séduction et l’alcool. « Roth ou Wolfe. Je ne savais quel héritage revendiquer. Je pourrais être leur bâtard. La réincarnation croisée du juif libidineux et du dandy gonzo. Philip Wolfe. Tom Roth. Je vais partir sur Bukowski. Adieu romantisme héréditaire, bonjour viande saoule et damnation littéraire. » (p. 22) Le narrateur est un père séparé, en résidence à Deauville pour créer un texte, ou peut-être une exposition photographique. Il ne sait pas trop. Il va jusqu’en Amérique trouver l’inspiration. Ou peut-être n’est-ce qu’un autre délire ? Les femmes défilent dans ses draps et dans ses fantasmes. Une seule reste inaccessible, Delphine. Et tandis que le spectre de Marguerite Duras vient chatouiller la barbe du vieux Charles, l’auteur/narrateur contemple ses échecs et ses inachèvements. « Il n’y a qu’à moi que je peux pardonner d’être décevant. Seules mes propres défaillances peuvent être oubliées. » (p. 90) Complaisance ou stratégie de survie ? À vous de décider, lecteurs avachis dans des fauteuils inconfortables.

Cette lecture m’a occupée une quarantaine de minutes. 96 pages, dont un certain nombre consacré à la photographie, ça se lit vite. La vacuité également, ça se parcourt rapidement. On en fait rapidement le tour. Immédiatement après avoir fermé le livre, je pensais n’avoir rien lu. Quelques élucubrations sans intérêt d’un aspirant écrivain sans motivation. La nuit a passé. Au matin suivant, je me dis que Samuel Lebon propose une œuvre complète et cohérente. Une projection personnelle sans aucun doute, mais surtout une façon d’interroger l’acte créatif et ses ressorts, ses impasses et ses découragements, ses fulgurances et ses évidences. Satan mène le bal n’est pas un manuel pour auteur en herbe. Ou si ça l’est, c’est un anti-manuel : voilà tout ce qu’il ne faut pas faire si vous voulez faire œuvre créative, car ce qui a marché pour l’avatar de Samuel Lebon n’arrive qu’une fois sur des millions. Et le diable est plutôt avare de ses largesses… Ce roman reste une énigme, mais avec le recul, je suis satisfaite d’avoir tenté de la percer.

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Le loup – Une histoire culturelle

Essai de Michel Pastoureau.

Quatrième de couvertureDans l’imaginaire européen, quelques animaux jouent un rôle plus important que les autres et forment une sorte de « bestiaire central ». Le loup en fait partie et en est même une des vedettes. Il occupe déjà cette place dans les mythologies antiques, à l’exemple de la louve romaine, qui a nourri Romulus et Rémus, du loup Fenrir, destructeur du panthéon nordique, et des nombreuses histoires de dévorations, de métamorphoses et de loups-garous. Ces derniers sont encore bien présents au Moyen Âge, même si la crainte du loup est alors en recul. Les bestiaires dressent du fauve un portrait négatif et le Roman de Renart en fait une bête ridicule, bernée par les autres animaux et sans cesse poursuivie par les chasseurs et les paysans. La peur du loup revient à l’époque moderne. Les documents d’archives, les chroniques, le folklore en portent témoignage : désormais les loups ne s’attaquent plus seulement au bétail, ils dévorent les femmes et les enfants. L’étrange affaire de la Bête du Gévaudan (1765-1767) constitue le paroxysme de cette peur qui dans les campagnes ne disparaît que lentement. Au XXe siècle, la littérature, les dessins animés, les livres pour enfants finissent par transformer le grand méchant loup en un animal qui ne fait plus peur et devient même attachant. Seuls la toponymie, les proverbes et quelques légendes conservent le souvenir du fauve vorace et cruel, si longtemps redouté.

J’ai découvert Michel Pastoureau avec son essai L’ours, histoire d’un roi déchu. L’ouvrage m’avait passionnée et d’autres textes de l’auteur m’ont également intéressée. C’est donc avec confiance que j’ai entamé cette lecture. Et j’en sors bien moins enthousiasme que j’aurais pensé l’être…

Ce livre a un point fort indéniable : la richesse de son iconographie. Tableaux, statues, gravures, bas-reliefs, artéfacts religieux, illustrations de contes, etc., j’en ai pris plein les yeux ! Certaines doubles pages sont des trésors et me rappellent d’autant plus à quel point je suis frustrée de ne pas pouvoir visiter de musées en ce moment.

Mais l’ouvrage a cependant un point faible évident : il ne théorise pratiquement rien. C’est une compilation érudite et plutôt exhaustive de sources et de connaissances, mais sans réflexion réellement poussée derrière. En outre, le propos souffre de nombreuses répétitions, parfois au mot près, entre le texte et les légendes d’image. L’ensemble n’est pas inintéressant et il est présenté clairement, mais je vois ce texte comme une première approche du sujet, un balayage assez large pour débroussailler une réflexion restant à mener.

C’est tout de même un peu dommage et le loup mérite un peu mieux. « Entre le IVe et le Xe siècle est née l’image du grand, du très grand méchant loup, vorace, rapace, effroyable et redoutable. » (p. 39)

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Que sur toi se lamente le Tigre

Roman d’Émilienne Malfatto.

« Chez nous, mieux vaut une fille morte qu’une fille mère. » (p. 20) La narratrice principale est lucide : pour avoir eu une relation amoureuse et physique hors mariage, elle mourra de la main d’un membre de sa famille. En Irak, pays déchiré de bombes et blessé par des traditions mortifères, le crime d’honneur n’est presque pas un crime, c’est un droit. D’autres voix que celle de la jeune fille s’élèvent, révélatrices d’un défilé sinistre : la mère, les frères, les amis, tous sont résignés à la mort de celle qui a voulu vivre. « Je suis un homme bien mais je n’empêcherai pas mon frère de tuer ma sœur. Je suis en demi-teinte, enchaîné à des règles que je condamne, navré d’être un salaud. » (p. 70) Enfin, une voix sublime toutes les autres, celle du fleuve Tigre qui assiste au passage des siècles et aux ravages des hommes. « Mes eaux sont depuis longtemps empoisonnées. […] Je meurs car depuis longtemps les hommes ont cessé de m’aimer et de me respecter. Ils ont pris goût au désastre. Je ne suis plus source mais ressource, et les hommes de cette terre aride ont oublié qu’ils ne pourront pas vivre sans moi. » (p. 47)

Le récit de cette mort programmée est implacable. Ici, le destin est inexorable, entériné et achevé dès que formulé. Aucun manichéisme dans la description des personnages : il n’y a pas les coupables fous de Dieu d’un côté et les innocents ravis par l’amour de l’autre. Il n’y a que des humains qui ne savent pas vivre autrement que dans le système qui leur a été transmis et auxquels il manque la force de s’élever pour proposer autre chose. Cette lecture de début d’année ne peut pas être qualifiée de coup de cœur : c’est un coup de poing, ou un coup au cœur.

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Moi les hommes, je les déteste

Essai de Pauline Harmange.

« Je ne suis pas la seule à qui on reproche régulièrement de détester les hommes : nombreuses sont les féministes et les lesbiennes à avoir été accusées d’un tel affront. Remettre en cause le pouvoir des hommes et ne pas ressentir d’attirance pour eux, ça ne peut être que de la haine, n’est-ce pas ? » (p. 9 & 10) Sur ce constat s’ouvre le court et brillant texte de l’autrice. À l’instar de la misogynie, existe-t-il une haine des hommes, de la misandrie ? Oui, mais…« Ce n’est pas un système organisé à tous les étages pour rabaisser et contraindre les hommes. » (p. 10 &11) Contrairement à la misogynie et au patriarcat. OK, la misandrie blesse l’ego (décidément bien fragile) des hommes, mais cette atteinte est sans commune mesure avec les violences faites aux femmes, psychologiques et physiques, parfois jusqu’à leur mort. « On ne peut pas comparer misandrie et misogynie, tout simplement parce que la première n’existe qu’en réaction à la seconde. » (p. 36)

« En ouvrant les yeux sur la profonde médiocrité de la majorité des hommes, il n’y a plus vraiment de raison de les aimer par défaut. » (p. 21) Est-ce à dire que les femmes sont parfaites ? Absolument pas ! En revanche, il est certain qu’elles doivent se faire davantage confiance et cesser de se laisser plus longtemps aveugler par leur prétendue infériorité. « Ne pas accorder d’importance aux hommes nous permet d’embrasser du regard leur profonde incompétence, et d’oser leur passer devant. » (p. 60) Elles doivent également refuser de se soumettre au cliché de la femme douce et compréhensive : ce ne sont pas des qualités strictement féminines, mais imposées aux femmes pour les faire taire, les cantonner à un rôle d’écoute et de soutien, jamais d’action. « Notre misandrie fait peur aux hommes, parce qu’elle est le signe qu’ils vont devoir commencer à mériter notre attention. » (p. 42) Les femmes ont le droit d’être en colère et de se faire entendre aussi fort que les hommes. Non, ce n’est pas de l’hystérie. Et non, ce n’est la faute de nos règles (mais méfiez-vous quand même de la force du SPM…).

Je pourrais recopier ici des pages entières de la démonstration de Pauline Harmange. Son propos est simple et clair, efficace et tellement libérateur. Avec une ironie décomplexée, l’autrice remet les points sur les i et invite à une misandrie salutaire, même salvatrice. Et cette même misandrie mène à la sororité, puissance qu’il est largement temps d’exploiter et de faire fructifier pour le bien commun. « On ne peut pas être de bonnes amies pour les femmes de notre entourage en laissant les hommes sur leur piédestal immérité. » (p. 70)

Quelques extraits pour finir… et je vous invite vivement à lire cet ouvrage. Vous n’en retirerez que du positif, que vous soyez femme, non-binaire ou homme.

« Tout le temps qu’ils passent à pleurer sur leur sort de pauvres mecs persécutés, ils esquivent habilement leur devoir : celui d’être un peu moins des purs produits du patriarcat. » (p. 13)

« Il suffit pourtant que le type en question fasse ses preuves et montre sa bonne volonté pour que nos sentiments les plus hostiles se calment. » (p. 16)

« Il y a des moments où faire des généralités n’est pas un raccourci facile, mais une simple description de la réalité. » (p. 40)

« Toujours se demander, quand on est submergé de doute : que ferait un homme médiocre ? » (p. 59)

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Le coup du lapin

Ouvrage de Didier Paquignon.

Quatrième de couverture – Depuis des années, un peintre glane pour le plaisir des faits divers absurdes dans des journaux, des livres et sur internet. Que ces événements soient tragiques ou ubuesques, véridiques ou inventés, peu lui importe : Didier Paquignon traduit ces moments d’absurde par des images incongrues. Le Coup du lapin et autres histoires extravagantes en rassemble une hilarante sélection, parmi les centaines de dessins conçus par l’artiste à ce jour.

La couverture et le titre (qui mettent à l’honneur le meilleur animal du monde) annoncent la couleur : ça va être foutraque, mais ça va être bien ! Les peintures désopilantes de Didier Paquignon illustrent des histoires vraies, mais qu’on n’aurait pas tort de penser complètement invraisemblables ! Ainsi, vous croiserez en ces pages des écureuils accros à la nicotine, des lieux apparemment maudits, des oiseaux mafieux et des pigeons zombies, des cas de zoophilie, des accidents navrants, des suicides ratés et des crimes approximatifs. « L’espèce humaine est impayable, et probablement condamnée à revivre éternellement les mêmes drames, c’est entendu. Mais rien ne nous empêche d’avoir […] l’élégance d’en rire. »

Jolies noisettes !

La conjonction des textes et des images suscite un rire irrépressible, sans doute sardonique, mais tellement libérateur. Avec son ouvrage, Didier Paquignon nous rassure quant à nos propres défauts et à nos échecs. Voilà une lecture hilarante, à picorer autant que nécessaire.

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Agoria – Tome 1

Roman de Maxime Frantini.

Quatrième de couverture – La paix règne sur Agoria, mais pour combien de temps ? 20 ans après la grande guerre contre le roi sorcier, le monde est soumis à de nouvelles tensions. Malgré sa prestigieuse académie militaire, le Léhan peine à combattre les brigands qui prolifèrent avec la famine. En Sylmanie, la mort d’Hélicade pose la question de sa succession. En Ostran, les cohortes rapportent d’inquiétants récits d’attaques de vuckails sur les cités de l’Est. Pendant ce temps, le Yutah est attaqué. Le roi Vik, inquiet, enjoint la guerrière Prétentia de mettre à l’abri son jeune fils tandis qu’à Lacus, capitale de Vanatie, une idylle secrète se noue entre la jeune cadette du ponte Léo et un jeune artisan. S’adressant à un public adolescent ou adulte, les luttes entre les différentes nations de ce monde servent un récit à la fois épique et politique. Quelque part entre Le trône de fer et les séries historiques contemporaines (Les Tudors, Versailles, Les Médicis), Agoria se veut une fresque de longue haleine aux multiples histoires croisées.

Le texte est globalement bien écrit, mais je ne suis pas la cible de ce genre de textes au style très ample et un peu archaïque, typique de la fantasy. Plus précisément, je ne suis plus la cible : j’étais friande de cette littérature étant adolescente. Je suis toutefois certaine que le roman de Maxime Frantini est de ceux qui raviront les adeptes du genre, avec ses jeux de pouvoir et sa cartographie complexe et très développée.

Pour les défauts du texte, c’est la rédactrice professionnelle qui parle… Je n’ai pas pu passer à côté de la faute à la troisième ligne, des maladresses de construction et des nombreuses, très nombreuses fautes de syntaxe et de ponctuation… Je sais le courage et le travail qu’il faut pour lancer un roman en autoédition, mais nombreux sont les textes ainsi publiés qui présentent ces écueils, ces derniers ayant tendance à me laisser sur le bord du chemin.

Le livre m’a été offert par son auteur, lors d’une tractation à base de papillotes (longue quête de votre servante, légèrement droguée aux douceurs de chocolat et pâte d’amande…). Il ne m’a pas demandé d’en parler, mais je ne doute pas que le roman intéressera des lecteurs avides de conflits politiques entre royaumes et de magie millénaire !

Je vous laisse avec un extrait pour que vous vous fassiez une idée de la plume de Maxime Frantini.

« Nous voulons que vous vous engagiez, tous, à proscrire l’usage de la magie du culte dayen et à lutter dans vos pays respectifs contre son utilisation clandestine. » (p. 42)

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Usagi Yojimbo – 12

Bande dessinée de Stan Sakai.

Le douzième volume des aventures de Miyamoto Usagi s’ouvre par quatre prologues mythologiques. Ils présentent la cosmogonie japonaise et les kami, ces divinités plus ou moins mineures qui président au destin du monde et des hommes. Ils nous envoient au 12e siècle, lors de la terrible bataille navale entre les Gengi et les Heike, qui vit la défaite de ces derniers et la perte de l’épée qui confère son pouvoir à l’empereur. Ces prologues sont présentés par celui qui mène la conspiration des huit contre le shogunat pour rétablir l’empereur. « La tyrannie militaire s’est abattue sur notre pays à la disparition de l’épée sacrée. Lorsque l’empereur aura en sa possession le dernier des trois trésors divins, ce sera aux yeux du peuple le signe que les dieux souhaitent son retour au pouvoir. » (p. 79) Du moins, c’est ce que le chef des conjurés fait croire, ses desseins étant bien moins nobles.

Notre ronin aux lames affutées retrouve le jeune seigneur Noriyuki et Dame Tomoé, ainsi que ce filou de Gen. Il croise surtout la route de la redoutable Inazuma et le fer avec le terrible Jei (en couverture) qui n’est plus qu’à moitié vivant et se croit investi par les dieux du pouvoir d’éradiquer le mal. De tremblements de terre en légions de crabes rouges venus des mers, le mal change de visage et Miyamoto Usagi passe très près de la mort.

En fin d’ouvrage, les notes historiques de l’auteur témoignent d’un grand travail de recherche et d’une volonté de nourrir la fiction avec le réel, mais surtout avec la tradition nippone. C’est passionnant, évidemment, et je ne tarderai pas à lire la suite des exploits du beau et courageux lapin samouraï !

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Roublard

Roman de Terry Pratchett. Illustrations de Paul Kidby. Traduction de Patrick Couton.

Le jeune Roublard est un ravageur : il fouille les égouts de Londres à la recherche de pièces et autres trésors abandonnés ou perdus : ici une bague, là une épingle à chapeau. Et parfois, il agrémente son butin autrement… « J’suis pas un voleur ! […] J’peux pas m’en empêcher quand je vois des bricoles qui traînent. » (p. 251) Une nuit, il vient au secours d’une femme malmenée par des brutes. Il rencontre alors Charles Dickens et Henry Mayhew qui offrent à la pauvre Simplicity un refuge et du repos. Roublard est certes un filou, mais c’est un filou loyal envers ceux à qu’il accorde sa confiance et son affection. Il est déterminé à retrouver les agresseurs de Simplicity. Son enquête révèle que la jeune femme est au cœur d’une affaire diplomatique des plus sensibles. La tirer définitivement d’affaire nécessitera toutes les ressources du jeune ravageur et de ses nouveaux amis !

La scène d’exposition de ce roman est l’une des meilleures que j’ai lues depuis longtemps ! Tous les protagonistes sont caractérisés en quelques lignes. Immédiatement, le lecteur sait à qui il se frotte : les présentations sont faites en bonne et due forme ! Je découvre Pratchett avec ce roman, sur les très bons conseils d’un ami lecteur et auteur. L’humour est fameux, et cela tient sans aucun doute au travail de traduction qui a su transcrire les subtils jeux de mots de l’auteur.

Ce fut un plaisir de rencontrer Sweeny Todd, Disraeli ou encore la jeune reine Victoria sous la plume de Terry Pratchett. Le roman ne se cache pas d’être un hommage à Charles Dickens et à son implication sociale. « Monsieur Mayhew et moi-même sommes au fait de la situation souvent calamiteuse d’une grande partie de cette ville, entendez par là que nous n’en ignorons rien et que nous nous efforçons par divers moyens de la porter à l’attention du public, du moins à la fraction du public qui se soucie d’y prêter attention. » (p. 19) Maintenant que j’ai découvert l’auteur et que celui-ci m’a convaincue, il ne me reste qu’à plonger dans son œuvre monumentale !

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L’encre du poulpe

Roman jeunesse de Sylvie Germain.

Abandonnée par l’homme qu’elle aime, Laure fuit de train en train, de ville en ville, à l’aveugle, pour tenter d’étouffer la douleur qui la submerge. « Mais comment sauver la mer noyée à l’intérieur d’elle-même ? Oui, comment échapper à soi-même, à cette perpétuelle crue de larmes au-dedans de sa chair ? » (p. 13) Un dimanche triste et pluvieux, alors que la tentation d’en finir la saisit, elle entre dans un aquarium. « Cela ferait une heure de trompe-l’œil, de trompe-vide. » (p. 11) Elle passe devant les vitres immenses et les créatures marines, et c’est un face à face troublant avec une pieuvre qui réveille en elle le goût de vivre.

Dans ce texte très court, j’ai retrouvé la plume délicate et dentelière de Sylvie Germain. L’autrice convoque avec habileté de grands maîtres littéraires et donne à son roman une profondeur miraculeuse, un écho légendaire. C’est toujours un bonheur de découvrir un écrivain que j’apprécie dans un genre où je ne le connaissais pas, ici le texte pour jeunes lecteurs. Et c’est une franche réussite. L’histoire est simple sans être niaise ou simpliste, les enjeux sont complexes, mais abordables. L’encre du poulpe est un très bon texte pour aborder avec des collégiens les méandres du chagrin d’amour.

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Bonne année ! 10 réveillons littéraires

Recueil d’extraits.

Je n’ai jamais particulièrement apprécié la soirée du 31 décembre. Pour moi, ce ne sont que douze coups qui sonnent une fin et un recommencement où rien ne change. Les extraits de cet ouvrage me donnent plutôt raison tant que les réveillons présentés sont tristes et désabusés. Comme le dit Simenon, « Encore une terrible année de finie et une terrible année qui commence. » (p. 56). Mais il y a toujours ce bon Zola pour me remonter le moral avec de jolis vœux. « Il faut que pendant vingt ans encore je puisse vous dire comme aujourd’hui bonne année ! bonne année ! mes trois enfants chéris, et aimez-moi bien, et aimons-nous bien, et tâchons que ce grand amour nous console de toutes les misères de l’existence. » (p. 92)

J’apprécie ce genre de petit recueil, car il offre des mises en bouche de grands textes littéraires, romans ou correspondances. Une fois encore, je me suis répété que je dois lire Aurélien de Louis Aragon ! Le dernier extrait est une lettre de vœux de Louis-Ferdinand Céline à M. Gallimard… et elle est des plus savoureuses et décomplexées !

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Usagi Yojimbo – 11

Bande dessinée de Stan Sakai.

Miyamoto Usagi croise de vieux antagonistes et de bons amis, réglant ainsi d’anciens différends, honorant des dettes d’honneur et s’amendant pour ses fautes d’orgueil. Il est une nouvelle fois confronté aux intrigants qui complotent pour renverser le shogunat, sous la houlette du terrible seigneur des ténèbres, Hikiji. Et évidemment, quand il s’agit de tirer ses épées pour défendre l’innocence et la justice, le courageux ronin ne manque jamais à l’appel. « Je suis connu pour fourrer mon nez dans les affaires des autres. C’est un terrible défaut que j’ai ! » (p. 177)

Quand j’ai un coup de mou littéraire ou intime, je me tourne vers des chouchous. Et le lapin samouraï créé par Stan Sakai est au nombre de ces doudous de papier qui savent me réconforter. Je suis bien heureuse qu’il me reste plus d’une quinzaine d’albums à découvrir !

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Sex and the Series

Essai d’Iris Brey.

  • Big Little Lies
  • Sex and The City
  • Desperate Housewives
  • Girls
  • Masters of Sex
  • Orange is the New Black
  • I Love Dick
  • The Handmaid’s Tale
  • Ally McBeal
  • Grey’s Anatomy
  • Crazy Ex-Girlfriend
  • The End of the Fucking World
  • Transparent
  • Buffy contre les vampires
  • Fleabag
  • Mad Men
  • The L Word
  • Game of Thrones
  • Twin Peaks
  • Jessica Jones

Toutes ces séries comptent des personnages féminins, souvent centraux, dont l’identité passe notamment par leur sexualité. Mais alors, comment les séries télévisées représentent-elles les sexualités féminines ? Sexualités au pluriel, car il n’existe pas une seule forme d’activité sexuelle. « C’est en cela que les séries occupent une fonction révolutionnaire : elles sont majoritairement accessibles à tous et à toutes et peuvent être dévorées dans l’intimité de sa chambre. » (p. 16) En détaillant des épisodes et des protagonistes, Iris Brey dénonce le male gaze, ou comment la représentation des femmes et de leurs sexualités a longtemps été pensée pour le seul plaisir des hommes. Désormais, une nouvelle génération de réalisatrices impose un autre regard, décomplexé et revendicatif. « Les séries constituent une alternative nécessaire à l’heure où la sexualité est incarnée par un puritanisme excessif au cinéma, soit par la pornographie réductrice des sites Internet. Entre ces deux extrêmes, les séries proposent une vision subversive des sexualités féminines en articulant un discours libérateur. Elles nous aident à repenser la sexualité linguistiquement et visuellement tout en mettant en scène les transformations profondes de notre société. Elles nous font jouir de nouvelles idées et de nouvelles images. Elles assurent une relève féministe et instaurent une véritable révolution (télé)visuelle. » (p. 18)

Il s’agit de mettre la sexualité féminine et queer au même niveau de représentation et d’acceptation que la sexualité masculine hétérosexuelle, d’interroger le consentement et de combattre les comportements inacceptables, même dans la fiction. Et surtout dans la fiction. « Il est donc essentiel que les personnages féminins dans les séries télé prouvent leur agency, les comédiennes deviennent le temps d’une série des actrices sociales. Leurs personnages, en ne reproduisant pas des comportements stéréotypés et en démontrant une puissance d’agir, permettent ainsi de fluidifier les normes. » (p. 86) Finalement, ce qu’Iris Brey propose, c’est la reprise en main d’une sexualité somme toute normale puisqu’elle concerne la moitié de la population mondiale. « Clitoris et vagin ne décrivent pas seulement des réalités physiques : ce sont des mots politiques, et c’est la raison pour laquelle ils sont rarement entendus. » (p. 29)

Quelle énergie m’a donné cette lecture ! Premier essai lu en 2021, clairement argumenté et illustré, il m’a donné l’envie de découvrir toutes les séries citées par l’autrice. Et de poursuivre mon éducation féministe et mon empouvoirement !

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Anatomie de l’horreur

Essai de Stephen King.

Dans cette réflexion, le King rend hommage à six maîtres du macabre, mais également à tous les films, livres, séries et autres supports qui ont nourri et développé son goût pour l’horreur. Il s’attarde sur trois figures emblématiques de la littérature horrifique : la Chose, le Vampire et le Loup-Garou. Et il explore ce qu’il appelle le Lieu Maléfique. Il serait vain de vouloir résumer la démonstration de Stephen King. Parce qu’il prouve avec son essai qui flirte avec l’autobiographie que l’art s’expérimente avant tout. Donc plutôt que de vous détailler les raisonnements de l’auteur, je vous invite à lire ce qu’il a lu et à voir ce qu’il vu. Et sa consommation est telle que vous avez de quoi de vous occuper pour un bon moment si vous cherchez à comprendre pourquoi l’horreur fait toujours recette !

Je vous laisse avec des extraits de ce fascinant ouvrage.

« Nous nous réfugions dans des terreurs pour de faux afin d’éviter que les vraies nous terrassent, nous gèlent, sur place et nous empêchent de mener notre vie quotidienne. » (p. 8)

« Ma génération formait un terreau idéal pour les graines de l’horreur : nous avions été élevés dans une étrange atmosphère foraine faite de paranoïa, de patriotisme et d’orgueil national. » (p. 48)

« Dans la vie réelle, l’horreur est une émotion que l’on doit affronter en solitaire. […] C’est un combat que l’on livre au plus profond de son cœur. » (p. 52)

« Nous inventons des horreurs pour nous aider à supporter les vraies horreurs. » (p. 53)

« Je m’efforce donc de terrifier le lecteur. Mais si je me rends compte que je n’arrive pas à le terrifier, j’essaie alors de l’horrifier ; si ça ne marche pas non plus, je suis bien décidé à le faire vomir. Je n’ai aucune fierté. » (p. 67)

« Le travail de l’écrivain d’horreur ressemble à celui du spécialiste en arts martiaux : il doit localiser les points vulnérables de son lecteur et y appliquer une pression. » (p. 117)

« Je ne pense pas que nous sommes tous des malades mentaux ; ceux d’entre nous qui ne sont pas internés cachent leur folie mieux que les autres, voilà tout – et d’ailleurs, ils ne le cachent pas toujours très bien. » (p. 241)

« Quand nous allons au cinéma pour regarder un film d’horreur, nous narguons le cauchemar. » (p. 242)

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David Bowie Is – David Bowie est le sujet

Catalogue d’exposition coordonné par Victoria Broackes et Geoffrey Marsh.

J’ai déambulé pendant pas loin de 3 heures dans la magnifique exposition abritée par la Philharmonie de Paris en 2015. En fin de visite, c’était une évidence, il me fallait le catalogue. Mais voilà, le système de paiement par carte était hors service ce jour-là et je n’ai jamais de liquide sur moi… J’étais donc repartie les mains vides et je n’ai jamais eu le temps de revenir pour me procurer le magnifique ouvrage. Cinq ans après, pour mon anniversaire, je me suis offert la merveille et elle valait largement l’attente !

Ce catalogue est un beau livre et même une œuvre d’art à lui seul. La mise en page est une scénographie de papier. À tourner les pages, je me revoyais dans l’exposition, face aux fabuleux costumes créés par Kansai Yamamoto, Natasha Korniloff, Gorgio Armani, Freddie Buretti ou encore Alexander McQueen.

David Bowie est une icône, au sens étymologique. Grâce au fonds The David Bowie Archive, j’ai découvert des photos que je n’ai pas le souvenir d’avoir vues ailleurs, qu’elles soient personnelles ou artistiques. Toutes montrent la puissance de Bowie en tant qu’image, représentation et reflet des époques qu’il a traversées. « Ce livre tente de mesurer l’importance plus large de l’impact de Bowie sur notre vie culturelle. » (p. 17) L’artiste a eu sa place dans toutes les révolutions culturelles des décennies qu’il a vécues, jamais suiveur, toujours connecté aux réalités nouvelles, et souvent précurseur.

Je ne vais pas une nouvelle fois vous faire l’article sur David Bowie. J’admire l’artiste qu’il était et je ne me lasse jamais de le découvrir encore et encore.

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Le procès du cochon

Roman d’Oscar Coop-Phane.

Un monstre nu sort d’une forêt et mord un nourrisson qui n’y survit pas. Le tueur est arrêté et commence alors son procès. « Voilà les preuves : le croqueur a été trouvé dans les bois, juste à côté de la maison. Du sang coulait encore à la lisière de ses gencives. Quand on l’a arrêté, il n’a montré aucune résistance, il avait les yeux vides. Il ne s’est pas révolté. » (p. 30) Jamais un homme n’aurait fait cela, n’est-ce pas ? C’est forcément un animal, une bête. Et de fait, c’est un cochon que l’on juge.

Les procès d’animaux étaient chose courante au Moyen-Âge, période moins spéciste que la nôtre qui estimait que les bêtes avaient une âme (mais c’est un autre sujet). L’histoire ne se déroule pas à l’époque médiévale, mais dans un temps proche de nous, plus civilisé comme certains voudraient le penser, mais où la peine de mort était encore pratiquée. Que penser alors de cette justice impitoyable qui traite tous les meurtriers de la même manière, jusqu’à l’absurdité totale ? Aveugle sans aucun doute, et indéniablement vaine. Le texte passe du roman à la pièce de théâtre, montrant plus clairement encore la mascarade d’un procès stupide qui ne sert que la justice humaine. L’œuvre est courte, percutante, dérangeante, brillante !

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Nos corps érodés

Roman de Valérie Cibot.

Il était une fois une île entourée d’un océan dont les vagues impitoyables rongent toujours plus les plages et les falaises. Cependant, le travail patient de la nature ne fait que conclure les ravages causés par la main de l’homme. Et quand une femme vient dire qu’il faut évacuer le rivage, reculer le front de mer pour éviter que tout sombre, personne ne l’écoute. Personne ne veut l’entendre. Parce que des intérêts économiques supplantent les exigences écologiques. « Il faut accepter de reculer, tout simplement, avant qu’une vague ne vienne et n’emporte tout, une vague qui serait l’autre nom de la tempête. » (p. 17) Face aux îliens, la géologue est seule. Et soudain, la vague, ce pourrait être elle, si personne ne fait rien pour la stopper.

Voilà un très court roman, fort beau, sous-tendu de symbolique, souvent étrange et laconique, avec une chute déconcertante, presque abrupte. J’avoue sans honte ne pas avoir tout compris des motivations des personnages. J’ai lu le texte sans déplaisir, fascinée par les descriptions marines, mais j’en ressors comme on émerge d’un cauchemar, interloquée et soulagée. Chose certaine, ce roman me marquera pour longtemps.

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La Poudre

Transcription des entretiens menés par Lauren Bastide.

Le podcast La poudre est un phénomène depuis 2016. Je dois avouer sans détour que je ne consomme pas de podcasts. Je suis incapable d’écouter en ne faisant rien d’autre… et si je fais autre chose, je ne me concentre pas sur ce que j’écoute. Bref, pouvoir lire ces entretiens au lieu de les écouter, c’était parfait pour moi !

Aux questions – toujours les mêmes – de Lauren Bastide, les femmes interrogées parlent vrai, direct et franchement. Elles évoquent leurs mères, leurs sœurs, leurs modèles et racontent comment elles sont devenues femmes. Certaines se sont déconstruites pour se libérer et s’approprier leur genre.

Sans tabou, sans concession, sans fausse pudeur et surtout sans demander pardon, ces artistes abordent de nombreux sujets directement liés à la condition féminine. Le sexisme, le genre, l’excision, l’endométriose, la charge mentale, l’égalité professionnelle, l’intersectionnalité ou encore la maternité.

Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses ou de formule magique dans ces entretiens. Pas de voie à suivre ou à éviter. Juste des paroles de femmes qu’il faut prendre le temps de recevoir pour ce qu’elles sont : fortes, sincères et vraies. « À l’origine, ce podcast, je l’ai conçu pour ça : pour faire place aux voix des femmes. […] Pour compenser l’invisibilité dans laquelle nos histoires sont plongées et lutter, à ma mesure, contre leur silenciation. […] J’ai créé La Poudre pour qu’on écoute et qu’on croie les femmes. » (p. 7)

Il y a bien des femmes auxquelles j’ai pensé en lisant ce livre. Des amies, des sœurs, qui m’inspirent et me donnent envie de me dépasser pour être au moins à leur hauteur. En essayant de n’en oublier aucune, voici leurs prénoms. C’est ma façon à moi de leur manifester ma reconnaissance d’accompagner ma route, d’être si bienveillantes envers moi. Ludivine, Sophie, Marine, Mathilde, Katia, Fabienne, Marion, Nathalie, Lydia, Sandy, Alix, Aurélie, Marie-Laure, Gwenaëlle, Stéphanie, Audrey, Laurence, Judith.

Je vous laisse avec quelques paroles des femmes interrogées par Lauren Bastide.

« Aujourd’hui, on est très exigeant avec les femmes, surtout dans une période où leur place est en pleine redéfinition. » (p. 32)

« Je suis contre l’idée d’enfermer les mères dans un instinct maternel ou dans un bonheur qui viendrait de je ne sais quelle hormone. » (p. 36)

« Comment est-ce possible que le corps de la femme soit encore aujourd’hui un intrus dans l’espace public ? » (p.40)

« C’est un beau mot ‘femme’. Il faut le revendiquer. » (p. 46)

« La violence, ce n’est pas de balancer les porcs ou de hashtaguer #MeToo, c’est celle que subissent les femmes depuis trop longtemps. Et cette violence est bien plus monstrueuse qu’un hashtag. » (p. 95)

« Est-ce que, pour être une femme libre aujourd’hui, il faut ressembler à un homme ? Quand on porte des chaussures à talon, du maquillage, est-ce que les hommes pensent vraiment qu’on fait ça pour eux ? Est-ce qu’on doit tout arrêter et leur ressembler ? » (p. 103)

« Il y a une misogynie ordinaire qui fait qu’on accepte que la femme ait mal. » (p. 231)

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Les corps célestes

Roman de Jokha Alharti. Traduction de Khaled Osman. Parution en janvier 2021.

Épreuves non corrigées prêtées par Fabienne de Place Ronde.

Dans le village d’Awafi, à Oman, une famille traverse amours et deuils au fil des générations. « Et ma tristesse à moi, qui s’en attristera ? » (p. 9) Maya, Abdallah, Salima, Zarifa, Asma, Khaled, Azzane, Najeya, Khawla, Hanane, Senjar, Chenna et tous les autres, voisins, serviteurs et amis se rencontrent, se mélangent, se trahissent. Les secrets de famille ne restent jamais enfouis pour toujours, même sous la poussière infinie du désert. Et entre ce que les parents veulent pour leurs enfants, sans demander l’avis de ces derniers, et ce que se permet la jeunesse, il y a un fossé. « Les jeunes de maintenant, plus rien ne leur plaît. » (p. 156) Tradition et modernité se côtoient sans se confronter vraiment, mais sans se comprendre.

Avec sa chronologie non linéaire qui ménage avec habileté les révélations et ses chapitres répartis entre plusieurs voix, le roman de Jokha Alharti est admirablement construit. Les prétéritions montrent combien le futur tout entier est contenu dans chaque instant, dans chaque commencement. Pour autant, les souvenirs hantent le présent. Cependant, je ne sais pas si cela tient à la traduction, mais j’ai trouvé le style assez plat, voire pauvre par endroit. Cela me déçoit d’autant plus que ce roman est le premier lauréat du Man Booker International Prize traduit de l’arabe. Ce prix fait partie des plus prestigieux de la place littéraire mondiale et j’aurais aimé comprendre pourquoi il a couronné ce livre. Ce dernier est loin d’être mauvais, mais je n’y trouve pas la matière qui mériterait d’être récompensée. Cela dit, les goûts et les couleurs…

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Le musée noir

Recueil de nouvelles d’André Pieyre de Mandiargues.

Dans ce livre, vous trouverez :

  • Un gros lapin roux adoré de sa jeune maîtresse,
  • Une rencontre foudroyante dans une étrange boutique d’un passage nantais,
  • Un homme nu et élastique dans le parc Monceau,
  • La triste fin d’un troupeau de moutons noirs,
  • Une maison de débauche où s’enchaînent les spectacles étranges,
  • Des soirées macabres.

Dans ces textes, chacun dédié à des artistes, l’horreur est étrange, follement esthétique. « Un furieux désir de peau noire s’était emparé de toutes les femmes, et la jalousie des hommes crevait comme une pustule géante qui eût couvert tout le pays de débris ensanglantés. » (p. 185) L’on assiste à un défilé de monstres, à une parade sinistre d’êtres hybrides ou affreusement fardés ou dont les déviances morales effraient plus que les pires cauchemars. Le réel devient insolite, comme plus grand, plus fort ou difforme. La mesure n’a plus droit de cité. « Je me suis effrayé à l’idée de l’importance désormais acquise par tous les menus détails de cette sorte de diorama bizarre que je venais d’explorer. » (p. 108)

Le style est très tourné, avec des vocables peu communs : au-delà d’un goût certain du beau, l’auteur avait surtout la manie du mot juste et de la précision. Je retiens surtout la première nouvelle, et pas uniquement parce qu’elle parle d’un certain animal. « Cher beau lapin, je t’aime. » (p. 23) On y voit le sacrifice de l’enfance dans la violence et le sang, et la vengeance violente d’une innocence écartelée. C’est puissant et terrifiant.

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Belle année 2021 !

Ne vous compliquez pas la vie avec des résolutions. Prenez soin de vous et de vos proches. Soyez doux envers vous et le monde.

BONNE ANNÉE 2021 MES LAPINS !

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Mes prix littéraires 2020

Comme en 2019, j’ai eu la chance de participer à deux prix littéraires. L’occasion d’un bilan pour le dernier billet de l’année !

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Ma librairie lilloise chouchou, Place Ronde, a organisé une nouvelle version de son prix littéraire, renommé Écrire la photographie. Les délibérations n’ont pas encore eu lieu, car Fabienne (la libraire) a souhaité décaler l’annonce du lauréat à une période où la librairie sera en mesure de recevoir des auteurs et du public dans des conditions acceptables.

EDIT du 30 janvier 2021 – Les délibérations se sont tenues le 29 janvier et ont couronné Une femme en contre-jour.

J’ai évidemment mes chouchous dans la sélection. Pour lire mes avis sur les 8 livres sélectionnés, cliquez sur les titres !

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J’ai également la chance, en tant que présidente de l’association VendrediLecture, d’être membre du jury du prix Sport Scriptum organisé par la Française des Jeux. Le lauréat a été annoncé le 19 novembre et le prix a couronné Deux pieds sur terre.

Et comme au-dessus, cliquez sur les titres pour lire mes avis sur la sélection !

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Ciao et la mer

Album de Sarah Khoury.

Après la forêt, c’est la mer que le curieux Ciao découvre. Avec son masque rouge et ses grandes oreilles qui l’aident à nager, le petit lapin au bidon tout rond explore un nouvel environnement, sans s’imposer ni déranger. Face aux créatures qu’il rencontre, il ne s’effraie pas vraiment, mais il s’étonne et s’émerveille des différences en les voyant comme des forces, presque des super pouvoirs. Mais tout de même, il est mieux sur le sable chaud, avec sa petite propriétaire ! « Des routes argentées me ramènent à la surface pour que je sèche au soleil. »

Les illustrations ont encore cette qualité picturale digne des musées. Je suis certaine que les jeunes lecteurs sont sensibles à cette beauté, car il ne faut pas les cantonner au mignon et au simple. L’adorable lapin en peluche peut partir où il veut, je le suivrai partout dans ses aventures minuscules, à la rencontre de mondes nouveaux. Et même pas peur, tant que je peux me cacher derrière ses douces oreilles dodues !

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