Usagi Yojimbo – 9

Bande dessinée de Stan Sakai.

Miyamoto Usaji croise un moine bouddhiste qui joue du shakukachi, flûte traditionnelle qui reproduit les sons de la nature. « C’est un son mélancolique, il vous hante… Mais il exprime l’esprit de notre terre. » (p. 7) Il paraît également qu’elle permet d’entendre la musique du paradis, et le pauvre moine l’apprend à ses dépens. Comme toujours le samouraï errant rend justice aux faibles et aux innocents. Il libère un village de cruels esclavagistes. Il combat toujours avec une force fine, mesurée et intelligente, ce qui lui assure une victoire méritée sur les brutes et les irréfléchis. La clairvoyance du courageux lapin lui permet aussi de voir quand un adversaire combat pour une cause noble, et de le respecter dans la victoire comme dans la défaite.

Un épisode de cette bande dessinée détaille la fabrication d’une lame d’épée. Cela tombe à propos pour rappeler qu’une arme de qualité ne peut être maniée que par un homme de valeur. Aussi, quand Usagi se fait dérober ses lames, c’est plus que son bien qu’il veut récupérer, c’est son honneur.

C’est avec plaisir que j’ai revu Gen, le samouraï chasseur de prime, ami comme chien et chat avec notre fier et beau lapin en kimono ! Et c’est avec angoisse que j’ai compris que la fin du volume 9 annonce le retour d’une ancienne menace. Prends garde, Usagi, de nouveaux dangers sont à venir !

Dans cet album, Stan Sakai s’essaie à des formes nouvelles, comme des cases plus grandes, longues sur deux pages. Chaque album reste un véritable plaisir de lecture et je reluque déjà les suivants sur les étagères des librairies… Moi, cesser de courir après les lapins ? JAMAIS !

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L’élégance des veuves

Roman d’Alice Ferney.

Valentine et Jules. Mathilde et Henri. Gabrielle et Charles. Clotilde et Jules. Quatre couples sur plusieurs générations. Mariage, maternité, veuvage : trois états qui se succèdent systématiquement pour les femmes de cette famille, comme trois âges obligatoires. Mais ces femmes, justement, bien que meurtries dans leur corps et leur cœur, soudent le foyer, le portent à bout de bras. « Décidément ce sexe n’était pas si faible, qui traversait les tourments en gardant un calme indéfectible. » (p. 18) En dépit des chagrins et des deuils, elles semblent trouver un étrange bonheur dans la répétition et la monotonie, et surtout dans la douleur de l’enfantement et du temps qui échappe. La vie de ces femmes s’inscrit dans un cycle immuable qui serait vain, puisque jamais achevé, s’il ne relevait du sublime, voire du mystique. « En une année, celle de ses vingt ans, elle fut fiancée officiellement, mariée religieusement, installée bourgeoisement, ardemment fécondée et douloureusement accouchée : la vie de Valentine commençait à être ce qu’elle se devait d’être. » (p. 9)

C’est évidemment une autre époque que dépeint Alice Ferney, et une autre mentalité. Mon profond désir d’enfant ne prend jamais le pas sur mon féminisme, et il y a des phrases qui, même remises dans un certain contexte, me hérissent toujours le poil. « Les épouses étaient toutes accaparées par cette tâche : procréer. » (p. 8)

Il n’y a pas un mot de trop, une image superflue dans la description que l’autrice fait d’une certaine partie de la société, celle des bourgeois sûrs de leurs biens et convaincus de leur pérennité. Cette dernière est d’ailleurs confortée par la multitude d’enfants portés au monde à chaque génération. Pour que l’arbre généalogique soit solide, il faut que chaque embranchement se déploie largement.

Je découvre Alice Ferney avec ce texte à la prose sensible et gracieuse, ample et enveloppante. Et je ne compte pas m’arrêter à ce roman !

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Oona et Salinger

Texte de Frédéric Beigbeder.

En 1940, J. D. Salinger rencontre Oona O’Neill. Lui n’a encore rien publié. Elle est la fille du très célèbre dramaturge Eugene O’Neill (dont je suis tellement admirative, mais c’est un autre sujet) et gaspille son argent dans des soirées trop arrosées. Il a 21 ans, elle en a 16. Il tombe immédiatement et durablement amoureux, mais elle se lasse rapidement. Leur amour n’est jamais consommé et s’achève quand Salinger s’engage pour combattre en Europe. Arrivée sur la côte Ouest, Oona fait des débuts vite achevés au cinéma et épouse Charlie Chaplin, de 36 ans son aîné. Séparés par l’Atlantique et par la guerre, les anciens tourtereaux vivent sous des flashes différents, ceux des bombes et ceux d’Hollywood. Finalement, ce qui est ici raconté, c’est ce qui suit une non-histoire d’amour.

Contrairement à tant de lecteurs, je n’ai pas apprécié L’attrape-cœurs et je préfère de très loin les nouvelles de J. D. Salinger. Par ailleurs, j’ai cessé de lire Frédéric Beigbeder depuis plusieurs années, notamment parce que son recours maniaque et creux au name-dropping m’insupporte. De fait, lire Beigbeder qui écrit sur Salinger, c’était un peu du masochisme… Son cynisme et sa désinvolture sonnent faux, mais pas sa condescendance de « vieux con » si j’ose dire. « Voyez, jeunes lectrices, que le passé sert à quelque chose. » (p. 39) En écrivant sur un autre auteur, Frédéric Beigbeder se regarde écrire, se morfond sur la société moderne, s’accable de vieillir, fustige l’inconstance de la jeunesse.

Je retiens tout de même son talent pour raconter une histoire sur laquelle il n’y avait rien à dire. Plus que combler les blancs, il les a coloriés et bariolés parce que la fiction est parfois plus vraie que la réalité. Je retiens quelques jolies phrases, mais je doute vraiment de jamais rouvrir un livre de cet auteur…

« Quand elle souriait, deux fossettes se creusaient dans ses joues, et l’on se disait qu’au fond, la vie était presque supportable à condition d’avoir toujours les yeux brillants. » (p. 27)

« Il n’est pas sorcier d’imaginer ce qu’il pensait : « Mais qu’est-ce qu’elle a de plus que les autres, cette fille ? Pourquoi sa tête de souris m’inspire-t-elle comme ça ? Pourquoi est-ce que j’adore instantanément ses sourcils et sa tristesse ? Pourquoi je me sens si con et si bien à ses côtés ? Qu’est-ce que j’attends pour lui prendre la main et l’emmener loin d’ici ? » (p. 35)

« L’amour est plus beau quand il est impossible, l’amour le plus absolu n’est jamais réciproque. Mais le coup de foudre existe, il a lieu tous les jours, à chaque arrêt d’autobus, entre des personnes qui n’osent pas se parler. Les êtres qui s’aiment le plus sont ceux qui ne s’aimeront jamais. » (p. 46)

« L’amour sait faire semblant de s’en foutre alors qu’on ne s’en fout pas. C’est se chercher sans se trouver. Ce petit jeu, s’il est bien pratiqué, peut occuper toute une vie. » (p. 62)

« Embrasser la fille qu’on vénère le plus au monde est une victoire, mais si la fille vomit juste après, comment faut-il le prendre ? » (p. 67)

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Raboliot

Roman de Maurice Genevoix.

Quatrième de couverture – On l’appelle Raboliot parce qu’il ressemble à un lapin de rabouillère (nid de garennes). Braconnier passionné, hardi, sûr de lui et de son adresse, rien ne peut l’empêcher d’obéir à ce besoin de chasse nocturne qui l’empoigne chaque soir. Le gendarme Bourrel, cependant, a failli le prendre sur le fait. Excité par le danger, Raboliot multiplie les imprudences et va jusqu’à narguer ouvertement Bourrel. Dès lors, entre les deux hommes, commence une lutte sans merci. Traqué, Raboliot doit fuir, vivant dans les bois comme un loup. Au bout de trois mois, accablé de solitude, torturé par le désir de revoir sa femme et ses enfants, Raboliot revient chez lui… et c’est le drame. Raboliot est sans doute le plus représentatif des romans que Maurice Genevoix, conteur exceptionnel, consacra à son terroir, la Sologne.

J’ai commencé ce roman sur la promesse du mot « lapin »… C’est un peu léger, je sais !

Contrairement aux romans de Bernard Clavel dont j’apprécie vraiment le style terroir, ça n’a pas pris avec ce texte de Maurice Genevoix. La faute en outre à la quatrième de couverture bien trop bavarde… Cette manie d’annoncer la fin des histoires, même des classiques, c’est très agaçant ! J’ai donc bravement abandonné cette lecture à la page 50 !

Je retiens cependant une phrase cinglante : « Un putois a beau être fin, il n’est pas libre de ne pas puer. » (p. 12) Si ce n’est pas de la caractérisation de personnage, en bonne et due forme et qui rhabille pour l’hiver, je ne sais pas ce que c’est !

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Insolente veggie – Une végétalienne très très méchante

Bande dessinée de Rosa B., tirée de son blog.

L’autrice/dessinatrice est végétalienne depuis plus de 10 ans. Elle n’a pas de carence ni sa langue dans sa poche. Pour défendre son choix alimentaire et répondre aux questions/commentaires rarement bienveillants des carnistes, elle a pris la plume. Et, à l’instar de la viande, elle ne mâche pas ses mots. Son agressivité est hilarante, mais surtout parfaitement justifiée, parce que ses arguments sont valides et pertinents, mais qu’ils se heurtent à la bêtise et aux raisonnements fallacieux des carnistes. « Le carnisme est une idéologie violente et meurtrière et doit donc être combattu ! » (p. 76)

Depuis 2017, je suis végétarienne pour diverses raisons, principalement écologiques et antispécistes. Je tends de plus en plus vers le végétalisme, en éliminant les œufs de mon alimentation et les produits dérivés du lait. « En gros, les œufs sont les règles des poules. » (p. 22) J’avoue que ma gourmandise me donne l’excuse de ne pas arrêter le fromage… mais je tente des fromages végétaliens et certains commencent à me convaincre. Un autre engagement est d’avoir viré de ma salle de bain et de mes placards ménagers tous les produits testés sur les animaux. Exit aussi les chaussures et sacs en cuir, les fringues en laine, les bougies à la cire d’abeille, etc. Objectivement, je sais que le végétalisme/véganisme est la seule solution pour être en accord avec mes principes. Et il ne tient qu’à moi d’y parvenir. « Nous, ce qu’on veut, c’est que ce soit interdit de faire du mal aux animaux ! » (p. 24) Est-ce que ça fait de nous des bobos ? Peut-être, mais mieux vaut être bobo que collabo du massacre de millions d’animaux chaque année. « Je ne mange qu’un tout petit peu de viande ! / Cool ! Du coup, je ne suis qu’un tout petit peu mort ! » (p. 91)

Beaucoup de personnes me demandent ce que je mange depuis que j’ai arrêté de consommer des cadavres d’animaux. Je réponds toujours que ce qu’il faut retenir dans « végétarien », c’est « végé », pas « rien ». « Alors toi tu imposes ton alimentation à ton enfant ! Moi je ne ferais jamais ça ! Il faut les forcer à manger de la viande, c’est important pour la croissance ! » (p. 62) Si vous saviez comme je me régale avec mes dhals de pois chiches, mes tartes aux légumes, mes cookies sans œufs et autres ! Et je n’ai jamais été en meilleure santé que depuis que j’ai arrêté la viande : cholestérol quasi disparu, plus d’anémie, beaucoup moins de problème de digestion, etc.

Bref, go vegan ! Et lisez les bandes dessinées et le blog de Rosa B.

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Le cauchemar d’Innsmouth

Nouvelle de H. P. Lovecraft.

Le narrateur raconte la nuit d’épouvante qu’il a passée à Innsmouth, alors qu’il était un jeune homme à la découverte du monde. « J’éprouve un étrange désir de dire tout bas les effroyables heures que j’ai passées dans ce lieu malfamé et malchanceux, havre de mort et de monstruosités impies. » (p. 4) Dans ce port quasi abandonné du Massachusetts, mais où la pêche est étonnamment abondante, on parle de pirates, de rites satanistes et de sacrifices odieux pour justifier la prodigalité des flots. Comment expliquer que les habitants, si peu nombreux, semblent malades et portent ce qu’il convient d’appeler « le masque d’Innsmouth » ? D’où viennent les bruits étranges et que signifie la langue incompréhensible qui se murmure dans le noir ? Avez-vous vraiment envie de rester pour le découvrir ?

Lovecraft est une des grandes inspirations de Stephen King et il était temps que je découvre enfin son œuvre. J’y ai évidemment trouvé ce qu’il est aisé de lui reprocher : son racisme, sa xénophobie ou encore son obsession malsaine envers la difformité. Si je m’en tiens uniquement à l’auteur, laissant de côté l’homme, je salue la maîtrise du suspense et le talent pour les descriptions qui, sans déborder d’épithètes, sont sans équivoque ! Et quel plaisir, si je peux dire, de faire enfin la rencontre de Cthulhu… Affaire à suivre, vous vous en doutez !

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Les lapins de la Couronne d’Angleterre – Tome 1 : Le complot

Roman de Santa Montefiore et Simon Sebag Montefiore. Illustrations de Kate Hindley.

Timmy Poil-Fauve est un jeune lapin maigrichon et qui porte un cache-œil pour corriger sa vue. Il écoute avec admiration les histoires d’Horatio, vieux briscard tout couturé qui vit seul, loin de la garenne. Il est question des lapins de la Couronne, groupe secret de contre-espionnage et de défense qui a fait allégeance à la famille royale d’Angleterre, et ce depuis le roi Arthur ! « Sans ces braves chevaliers, les rois et les reines d’Angleterre n’existeraient plus depuis longtemps. Ils n’imaginent pas le mal que ces lapins d’élite se sont donné pour les préserver du danger. » (p. 18) Quand Timmy découvre un odieux complot fomenté contre la reine par les Ratzis, il n’a pas le choix : il doit se rendre à Londres, dans les terriers creusés sous Buckingham Palace, pour avertir les lapins de la Couronne. Et il va prouver à tous qu’il y a du courage et de l’intelligence même dans le plus malingre des petits lapins. « Nous avons juré de protéger la famille royale à tout prix. Nous ne pouvons pas laisser les rats entrer dans la chambre de la reine. » (p. 150)

Le roman s’achève sur la promesse d’un tome 2 et les retrouvailles de deux frères. Can’t wait, comme on dit dans la langue de Shakespeare. Les dernières pages sont truffées d’anecdotes et d’informations sur ce charmant petit animal aux longues oreilles. « Chaque fois qu’un lapin entend ces mots ‘la reine’, il s’assoit sur son derrière et utilise ses oreilles pour faire la révérence. » (p. 18) OK, ça, c’est faux…

Les illustrations de Kate Hindley m’ont charmée, notamment parce qu’elles m’ont rappelé celles de Quentin Blake, illustrateur renommé des romans de Roald Dahl. Et je suis complètement gaga des patounes en bas de page ! Le roman est un pastiche drôle et tendre des romans d’espionnage à la James Bond, et j’ai vraiment hâte de lire la suite !

Les lapins qui partent à l’aventure, j’aime ça, de Watership Down à Usagi Yojimbo, en passant par Pierre Lapin qui se faufile dans le jardin du vieux McGregor ! Forcément, si un texte mélange des lapinous et les légendes arthuriennes, il a de fortes chances de me séduire ! Ajoutez à cela les noms des lapins d’élite, et je fonds ! Clooney, Nelson et Belle de Patte vous entraînent dans les souterrains et les salons de Buckingham ! Mais attention à ne pas croiser la Meute, car les terribles chiens de la Reine ne rechignent jamais à se mettre un lapin sous la dent !

Bref, vivement le tome 2 !

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Anders Zorn – Le maître de la peinture suédoise

Catalogue d’exposition.

Aquarelliste, portraitiste mondain, graveur et photographe, Anders Zorn a marqué son époque. Et mon esprit !

Aussi à l’aise dans les salons parisiens que dans les forêts de sa Suède, il a su capturer l’éclat particulier de Paris, saisir la beauté nouvelle des pays qu’il a visités et rendre éternels le folklore et la nature de son pays. Ce sont d’ailleurs ses toiles que je préfère, dans lesquelles je trouve le vert le plus chaud jamais vu. « Les magnifiques paysages environnant le lac Siljan, composés de forêts profondes et de montagnes bleutées, les claires soirées d’été, les costumes folkloriques et les pittoresques maisonnettes en bois sont autant de souvenirs d’enfance qui s’ancrèrent dans la mémoire de Zorn et nourrirent son imaginaire. » (p. 13)

Le port d’Alger

La gardeuse de vaches

En 2017, c’est sans doute l’exposition qui m’a le plus émue. Et j’ai tant regretté de ne pas avoir acheté le catalogue. L’avoir trouvé d’occasion m’a donc emplie d’une joie sans pareille ! Comment ne pas tomber béate d’admiration devant les tissus qu’il peint ? On croirait entendre la soie craquer et le velours murmurer.

Autoportrait en rouge

En deuil

J’ai replongé dans les toiles de cet artiste suédois, toujours aussi fascinée par son talent pour peindre la lumière et l’eau. Surtout l’eau ! Elle est mouvante, vivante sur la toile, et le peintre a su rendre sa musique.

Le clapotis des vagues

Vacances d’été

Je ne me lasserai pas ce catalogue d’exposition et encore moins de cet artiste. Au point que j’envisage d’acquérir une reproduction d’une de ses toiles. Reste à savoir laquelle je préfère…

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Sur face

Livre de photographies de Martin d’Orgeval. Texte d’Erri de Luca.

S’il ne fallait retenir qu’un mot pour définir cet album, ce serait « élégance ». Élégance soulignée par la mise en page qui n’a pas peur du vide, du grand blanc silencieux de feuilles entières. Élégance de la lumière qui déborde jusqu’à la saturation de l’objectif et, au-delà, de l’œil du spectateur.

Je suis complètement charmée par la monomanie poétique que montre l’artiste pour les détails, qui va jusqu’à l’abstraction. D’une image complète, il extrait des morceaux et fait zoomer l’objectif. Plus qu’un rapprochement vers le sujet, c’est presque un plongeon dans la pellicule.

Je m’intéresse depuis très récemment à l’art photographique, grâce aux conseils éclairés et à la passion communicative de Place Ronde. Je découvre donc Martin d’Orgeval et son travail avec cet ouvrage. Et face à la douceur du grain de l’image, j’ai envie de m’exclamer « Que la lumière soie ! »

Tableau ébloui

Je ne sais pas parler de photographie, mais Erri de Luca sait. « Ce que j’écris sont les impressions laissées sur une personne peu impressionnable. » Ici, l’auteur se fait le révélateur du travail du photographe. Il en parle simplement, mais magnifie les évidences. « Martin voit la poussière autour des choses, il les recouvre de cellules de lumière. » J’ai maintenant furieusement envie d’apprendre à lire l’image aussi bien que l’auteur italien ! Notamment pour comprendre la beauté saisissante de l’image ci-dessous.

 Neige rouge

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Le sport des rois

Roman de C. E. Morgan.

Fils unique d’un homme tyrannique et d’une mère muette, Henry Forge grandit dans les relents racistes du Kentucky, au sein d’une propriété agricole dont il sait qu’il héritera, mais qu’il veut transformer. Finies les monotones étendues de céréales : Henry veut élever des chevaux de course. Mais dans les années 1950, un jeune homme peut encore difficilement s’opposer à l’autorité brutale du patriarche. « Les gens appellent cela un sport, mais je vais te dire une chose : ce soi-disant sport n’est guidé que par l’obsession, et il n’y a rien que les hommes faibles aiment davantage que de se laisser aller à leurs obsessions. » (p.58) À force de volonté, Henry mène à bien son projet. Désormais, à la tête du domaine Forge, c’est lui qui impose sa tyrannie : il cherche la perfection génétique en toutes choses, tant pour produire le pur-sang le plus parfait que pour maîtriser sa descendance. Sa fille Henrietta le subit pendant une enfance solitaire, privée de mère et de tendresse. « Tu ne ressembleras à aucune autre fille. […] Car je ne te laisserai pas faire. » (p. 137) Quand Allmon Saughnessy, repris et épris de justice, orphelin noir et ambitieux, arrive au domaine Forge, il brise un cercle pervers et rebat les cartes d’un jeu trop longtemps truqué. « Qu’est-ce qu’il venait faire ici ? Il venait chercher les choses qu’on lui avait volées, les choses auxquelles il n’avait pas le droit de toucher. » (p. 374)

L’autrice décrit sans concession le racisme profond et structurel qui règle encore en Amérique. « Depuis toujours, la race noire a besoin de nous pour trouver un sens à la conduite de la vie. » (p. 59) C’est toute une vision du Sud du pays qu’elle présente, sans ménager les égos boursouflés de ceux qui fondent leur légitimité sur un billet jauni du Mayflower. La critique est acide : les différences de classe, de chance ou de naissance ne valent que parce que le système les entretient. Ce qui m’a surtout frappée, c’est la façon dont s’opposent frontalement et au fil des générations l’obsession de la lignée et la haine du père. Cela m’a rappelé Le fils, de Philipp Meyer.

Sur la forme, immense bravo. L’autrice maîtrise les ellipses et le temps narratif, entremêlant passé et présent, récit des origines et changement de point de vue, sans jamais perdre son lecteur, et même en attisant encore plus sa curiosité. Je ne m’intéresse pas aux courses ni à l’élevage des chevaux, mais C. E. Morgan a su capter mon attention. Et à chaque Derby, une chanson résonnait en moi, la tristissime Stewball d’Hugues Aufray. Quand une œuvre écrite suscite l’émotion par support interposé, c’est que sa portée dépasse largement ses pages. Et ça mérite d’être salué !

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Les cartes de désavœux / Les cartes de désavœux : l’album de la maturité

Une carte de vœux, tout le monde comprend ce que c’est. Eh bien, une carte de désavœux, c’est exactement le contraire. Là, ce que vous souhaitez à votre interlocuteur, ce n’est surtout pas la santé ! C’est tout ce que vous rêvez de dire sans oser le faire. En gros, c’est offrir des fleurs carnivores ou empoisonnées, en forme de jolies couronnes (que vous aimeriez plutôt mortuaires), à Jean-René le lourd de la compta, à Belle-Maman ou au voisin dont le chien vient encore de pisser sur vos crocus !

Ce sont des messages cruels, menaçants, méchants, sarcastiques, toujours gratuits, parfaitement injustes et vachards. Et ils me font marrer comme une baleine à bosse. Sérieusement, je pleure de rire devant certains ! Il y a une carte pour chaque occasion de la vie, qu’il soit normal ou non de la fêter. Et c’est encore plus drôle quand rien ne justifie le message…

Avec quelques exemples, vous allez comprendre.

« Bienvenue. Mais rentre chez toi maintenant. »

« Emma Watson ne sait pas que tu existes. »

« T’as eu la fève, mais t’as raté ta vie. »

« Heureusement que Facebook m’a rappelé ton anniversaire. »

« Ton chat est un con. »

« Tout le monde pensait que tu allais échouer. »

« N’hésite pas à te sortir les doigts. »

Et en couleurs, ça donne ça…

Ces petits carnets se lisent comme des recueils de blagues et vous pouvez détacher les cartes et les envoyer, pour de vrai ! Il y a les lignes pour l’adresse et la place pour le timbre ! J’espère ne jamais en recevoir, hein… Et je vais surtout garder toutes les cartes, pour les relire quand une journée aura été bof… pour me remonter le moral !

La dessinatrice a invité des potes, et ils se sont lâchés avec des cartes franchement épicées. « Alors, ça y est ? On ne se sent plus pisser ? On sort un deuxième album ? » Ledit deuxième album propose des cartes à colorier pour les enfants. Les messages sont moins caustiques, mais ce sont des madeleines de Proust. On retrouve les grandes déclarations insultantes qu’on balançait entre la balançoire et le cours de géographie, et la transgression était si délicieuse de dire à voix haute des GROS MOTS !

Je suis abonnée au compte Twitter de la dessinatrice et je me marre à chaque nouveauté. Les cartes de désavœux se déclinent en sacs, badges, mugs… Parfait pour faire un cadeau passif agressif à une personne que vous n’aimez pas trop trop… Ces deux albums/recueils sont publiés chez les éditions Lapin dont je veux l’intégralité du catalogue pour la seule et évidente raison que leur nom est génialissime !

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Oser renaître

Roman d’Agathe Vauvillé.

Joséphine encaisse plutôt mal sa rupture amoureuse. Et puisqu’il lui faut trouver un nouvel appartement, elle a besoin d’un peu plus d’argent que son salaire. Elle accepte de rendre quelques services à Céleste, une vieille dame en fauteuil roulant. Très vite, l’aïeule se montre perspicace et trouve les failles de la jeune femme. « Je me demande comment tu parviens à marcher sans tomber avec un cœur si lourd. » (p. 10) Joséphine est paumée, alors autant qu’elle jette les maigres boussoles auxquelles elle se raccroche. C’est le moment de faire place neuve, et avec l’aide de Céleste et de son bon sens à l’ancienne, elle ose interroger son identité, ses désirs et le sens de sa vie. De méditations en relaxations, Joséphine déconstruit minutieusement son égo et les schémas prédéfinis qu’elle avait intégrés plus ou moins consciemment. « Si je résume : tout ce que je pense être, ce n’est pas moi, enfin si justement, c’est le MOI, mais ce moi, ce n’est pas le vrai. » (p. 31 ) Elle rédige des mémos, elle se promène en forêt, elle prend le temps de rêver à nouveau. Bref, c’est par l’acceptation que commence le renoncement. En s’affranchissant de ses peurs et en découvrant le passé de Céleste, Joséphine embrasse sa propre existence.

L’autrice a un vrai talent pour les dialogues qui sont dynamiques, rythmés, crédibles et drôles. J’ai trouvé le narratif moins fluide, parfois engoncé dans des phrases un peu trop longues et des expressions toutes faites. Toutefois, j’ai apprécié les métaphores et nombreuses images qui permettent d’aller au fond des choses et de voir au-delà du voile et de l’ombre. Roman ou ouvrage de développement personnel ? À vous de voir et d’en tirer le meilleur ! Tout le monde n’a pas la chance de rencontrer une Céleste, autant maître zen que psy, mais chacun a la faculté de se réinventer, se reprendre en main et de se laisser enfin vivre. Ce genre de texte n’est pas ce que je consomme habituellement : je préfère les écrits bien denses des classiques ou les histoires plus sombres. Avec ce premier roman très feel good, Agathe Vauvillé montre une plume intéressante qui ne peut que s’affiner par la suite. Et ce livre est surtout une fabuleuse porte ouverte sur le devenir, alors saisissez-la !

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Usagi Yojimbo – 8

Bande dessinée de Stan Sakai.

Le samouraï aux grandes oreilles est une nouvelle fois confronté aux ninjas neko qui veulent s’en prendre au rat Kakera, un maître qui contrôle les forces de la nature. La grande bravoure de Miyamoto Usagi ne suffit pas à protéger Kakera. Ce dernier convoque donc dans ce monde des tortues venues d’ailleurs… les tortues Ninja ! Quatre carapaces et deux longues oreilles, rien de moins pour défendre les innocents ! Dans la suite de ses aventures, Miyamoto rencontre des magistrats sans scrupules, quatre tueurs impitoyables et des brigands prêts à se vendre pour quelques pièces. Lui respecte toujours le bushido, intransigeant code d’honneur des samouraïs. Et même s’il charme toutes les femmes, il ne cherche jamais à en séduire aucune ni à profiter de leur tendresse. On sait bien à qui le cœur du lapin aux fines lames appartient… (Et ce n’est pas à moi, hélas !)

Je suis toujours fascinée par les scènes de combat si bien chorégraphiées. Mais surtout, j’apprécie l’humour très fin de Stan Sakai qui respecte les légendes japonaises tout en s’en moquant candidement. « C’est la dernière fois que je laisse les dieux choisir le chemin à prendre ! » (p. 128) Ainsi se plaint Miyamoto après que le hasard l’a conduit – encore une fois – dans de beaux draps. Mais finalement, il faut croire que sa présence est toujours pertinente et que le destin le mettra toujours sur la route de ceux qui en ont besoin. Le samouraï est généreux et juste. Et l’on comprend comment il s’est forgé cette ligne de conduite, comment il a pleinement fait sien le bushido, grâce à quelques chapitres sur ses années de formation. On rencontre le petit Usagi en apprentissage qui s’enrichit de ses erreurs et de ses mauvaises décisions. L’enseignement prend de nombreux chemins et, même adulte, Miyamoto Usagi ne cesse d’apprendre et de polir son âme noble. Il y a notamment une histoire sans paroles avec des lézards affamés : le lapin d’abord excédé sait montrer sa reconnaissance quand des plus faibles que lui se portent à son secours.

Bref, si vous ne l’avez pas encore compris, je suis raide dingue amoureuse de ce samouraï fictif…

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Patin et le livre perdu

Album de Marie Bouyer.

Le lapin Patin s’est endormi en lisant. « À son réveil, son livre n’est plus là ! Saperlipopette ! » Comme il veut connaître la suite de l’histoire, il part à la recherche du bouquin disparu. Avec son ami, le chat Couffin, il interroge tous les animaux du jardin et des environs. Mais ni le hibou, ni la pie, ni la taupe, ni le hérisson, ni la souris n’ont pris son livre ! La chute de cette histoire en surprendra plus d’un, mais ne manquera pas de tous nous ravir !

Quel plaisir de suivre le cheminement de Patin et Couffin et de repérer les petits détails amusants cachés dans les pages. Jeune lecteur, trouveras-tu à qui appartiennent les yeux qui apparaissent dans les fourrés et suivent la progression du lapin ?

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Outresable

Roman d’Hugh Howey.

Dans un monde que les dunes ont recouvert, la seule façon de trouver des ressources, c’est de les chercher sous des tonnes de grains fuyants et pesants. « Il était difficile d’ôter autant de sable sans qu’il soit rejeté au fond. Le sable s’écoulait trop aisément pour creuser, et le vent avait bien plus de mains que ceux qui grattaient la surface. Le désert ensevelissait même ce qu’on construisait sur le sable, alors pour que ce qui était de ce qu’on faisait en dessous. » (p. 23 & 24) Palmer est plongeur des sables et, comme tant d’autres, il rêve de trouver la cité légendaire de Danvar, ses gratte-sols et ses trésors engloutis. Les vagabonds du désert, les pirates, les brigands et tout ce que Springton et Low-Pub comptent de racailles se précipitent dans l’immensité des dunes quand la rumeur court que la cité aurait été localisée, jusqu’aux frontières du No Man’s Land s’il le faut. Mais pour Palmer et sa fratrie, c’est quelque chose de plus intime qui se noue, une chance – peut-être – de recréer une famille éclatée par le départ de leur père, de nombreuses années auparavant.

Le récit suit chaque frère et sœur indépendamment ou en petits groupes, dans des fils narratifs qui se rejoignent comme, symboliquement, les liens familiaux qui se retissent. Après l’étouffement d’un monde sans air décrit dans Silo, Silo – Origines, Silo – Générations et Phare 23, Hugh Howey propose un monde où la poussière s’insinue partout et où la soif est une constante implacable. Avec ses combinaisons vibrantes, il réinvente la plongée et la peur de la noyade. « Ce n’était pas les efforts physiques, c’était la pensée qui faisait se déplacer un homme. » (p. 45) Ce roman tient surtout par sa construction et le lent dévoilement du cœur de l’intrigue. Cela reste de la SF de très bonne facture, avec des airs forts plaisants de Mad Max et de La horde du contrevent.

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La route de Los Angeles

Roman de John Fante.

Arturo Bandini vit avec sa mère et sa sœur. C’est à lui d’assurer la subsistance de la famille. « Je commence à être las de mon statut d’homme de peine au service de deux femmes parasites. Je vous préviens que je viens d’atteindre l’apogée de mon courage. D’une minute à l’autre, je vais briser les chaînes de mon esclavage. » (p. 164) Le jeune homme est paresseux, poseur, voleur, menteur, cruel, condescendant, grandiloquent et très imbu de sa personne. Se contenter de petits boulots, très peu pour lui ! Il faut pourtant qu’il accepte un emploi dans une conserverie sur le port. « J’ai cru sentir quelque chose ! a dit ma mère. / C’est moi. L’odeur du travail honnête. Une odeur virile. Qui choque les femmelettes et les dilettantes. Ça sent le poisson. » (p. 105) Mais il lui est venu la frénésie d’écrire et de devenir un auteur à succès. Dès qu’il quitte son monde de fantasmes plus ou moins malsains, il met son imagination au service de sa grande œuvre et ne tolère aucune critique négative.

J’ai tant apprécié Mon chien stupide que j’espérais retrouver le même plaisir avec le premier roman de John Fante. Pari raté… Je n’ai eu aucune sympathie pour Arturo Bandini, alter ego de l’auteur. Le bonhomme s’enferme dans un placard pour vivre des amours secrètes avec des femmes sur papier glacé. Bon, passe encore… Mais il a une relation des plus ambigües avec sa mère et il se conduit comme un pervers avec une jolie bibliothécaire. Enfin, sa tendance à se parler à lui-même, dans une distanciation du « je » qui relève sans aucun doute de la pathologie, n’a pas suffi à me faire comprendre sa psyché profonde et ses motivations. Qu’Arturo Bandini continue sans moi son chemin vers les lumières de Los Angeles…

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La rose la plus rouge s’épanouit

Essai en bande dessinée de Liv Strömquist.

Quand on voit à quelle fréquence Leonardo DiCaprio change de petite amie, il est assez aisé de douter de la profondeur de ses sentiments amoureux envers les nombreuses mannequins de maillot de bain qui se succèdent à son bras ou à son guidon, l’homme étant amateur de balades citadines à vélo. Se pose alors une question simple : c’est quoi, être/tomber/rester amoureux ? « On sait qu’il n’y en a pas d’autres comme la personne dont on est amoureux – c’est ça d’être amoureux de quelqu’un. » Passé le constat liminaire selon lequel le beau (ça se discute…) Leo change de copine comme de chemise, l’autrice/dessinatrice s’interroge sur le bonheur en amour. Elle fonde sa réflexion sur divers essais relatifs à la masculinité et aux relations sentimentales/maritales. Elle démontre notamment qu’un renversement s’est opéré en quelques décennies entre les rôles sociologiques des hommes et des femmes. Au 19e siècle encore, c’était les premiers qui exprimaient intensément leurs sentiments et leur volonté de s’engager à vie avec une compagne au sein d’un foyer. « Tomber amoureux est une espérance surnaturelle/mystérieuse/indéfinissable. » À moins que cela ne relève que de la biologie évolutive ? Dans l’amour s’affrontent l’altérité chérie de l’autre et l’égoïsme porté à soi-même. Aimer est-il nécessaire pour vivre ? Survivre ? Perpétuer l’espèce ? Être heureux ?

Comme dans Les sentiments du Prince Charles, Liv Strömquist développe une pensée claire et pertinente sur la qualité des rapports entre femme et homme. Le graphisme a hélas été un vrai frein à ma lecture et il m’a fallu pas mal d’efforts pour surmonter mon peu d’attrait pour le caractère visuel de cette œuvre. Fort heureusement, le fond est suffisamment puissant et intéressant pour avoir su capter mon attention.

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Le Silmarillion

Roman de J. R. R. Tolkien.

Quatrième de couverture – Les Premiers Jours du Monde étaient à peine passés quand Fëanor, le plus doué des elfes, créa les trois Silmarils. Ces bijoux renfermaient la Lumière des Deux Arbres de Valinor. Morgoth, le premier Prince de la Nuit, était encore sur la Terre du Milieu, et il fut fâché d’apprendre que la Lumière allait se perpétuer. Alors il enleva les Silmarils, les fit sertir dans son diadème et garder dans la forteresse d’Angband. Les elfes prirent les armes pour reprendre les joyaux et ce fut la première de toutes les guerres. Longtemps, longtemps après, lors de la Guerre de l’Anneau, Elrond et Galadriel en parlaient encore.

Quand ça veut pas… Après avoir lu et relu Bilbo le Hobbit  quand j’étais toute môme et avoir dévoré Le seigneur des anneaux en moins d’une semaine quand j’avais 12 ans, j’ai voulu tenter, le même été, de lire Le Silmarillion. Déjà à l’époque, j’avais abandonné. Je pensais alors que c’était trop compliqué pour moi et que je comprendrais mieux en vieillissant.

Mauvais calcul ! Plus de 20 ans après, la sauce ne prend pas toujours pas. J’ai beau être passionnée par les mythologies en tout genre et les cosmogonies, là, c’est l’ennui. Mortel, déprimant, profond. Je n’accroche pas et je n’ai même pas envie de faire des efforts pour y arriver. Il me semble qu’il faut être véritablement passionné par l’univers de Tolkien pour arriver à rentrer dans cette lecture. Ce métatexte lent, long et complexe n’est pas pour moi.

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Khalat

Bande dessinée de Giulia Pex, d’après une histoire vraie transcrite par Davide Cottri.

Khalat est syrienne, d’origine kurde. Grâce au soutien de son frère Muhsen, elle part étudier à Damas au lieu de se marier. Mais ISIS progresse en Syrie et en Irak, et la famille de Khalat envisage l’exil. « Nous, les Kurdes, nous survivons en silence ou dans les mots murmurés entre les minces cloisons de nos maisons. Pour les maîtres d’école, pour les employés de l’état civil, pour l’État comme pour tout le monde, notre langue en revanche n’existait pas. De même que nous autres n’aurions pas dû exister. » (p. 258) Avec ses parents et son très jeune neveu, la jeune fille entame un long voyage vers l’Europe. Dans sa maigre valise, quelques vêtements et un livre de Prévert. Même l’espoir semble parfois trop encombrant quand il faut tout laisser pour se lancer vers l’inconnu afin de se reconstruire, peut-être, une autre vie ailleurs.

La douceur du crayonné et des couleurs contraste avec l’horreur des situations que vivent les personnages. Sur une page, un fil barbelé déchire le regard. Je suis restée sans voix devant une double page montrant la mer sous le ciel nocturne. Et je retiens surtout la beauté des visages auquel le crayon donne un grain poudré qu’une véritable peau ne renierait pas.

Le sujet des migrants – politiques, climatiques, sexuels, etc. – n’en finit pas d’être cruellement actuel. Je vous conseille la lecture de textes qui m’ont beaucoup émue récemment : L’archipel du chien de Philippe Claudel et L’opticien de Lampedusa d’Emma-Jane Kirby.

 

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Cerise rouge sur un carrelage blanc

Poèmes de Maram al-Masri.

La voix qui s’élève est celle d’une femme mariée qui contemple l’usure que le temps impose à son couple. Et voilà qu’elle est prise d’une attirance folle pour un autre homme ! Que faire de ses rêves perdus et de ses désirs nouveaux ? Dans des phrases en prose poétique, hachées et saccadées comme un souffle affolé, il est question d’amours douloureuses et contrariées, non payées de retour. La femme cherche à combler le vide laissé par l’amour parti ou celui, fantasmé, qui ne s’incarnera jamais dans la peau et la chair. Tout est terriblement éphémère, et donc fantastiquement beau, sensuel et troublant.

Je vous laisse sur quelques extraits sublimes.

« Quelle sottise ! / Au moindre grattement à la porte de mon cœur, il s’ouvre. » (p. 12)

« Mon office est-il éternellement / d’être / une femme, / de te laver les pieds / et de me couronner de roses / chaque fois / que tu rentres ? » (p. 36)

« Elle, la mauvaise / qu’on appelle la mangeuse d’hommes, / sincère, / lui a donné son cœur / à manger. » (p. 63)

« Tu n’aurais pas dû / prendre mes mains, / pour les laisser/ rêver de te toucher. » (p. 72)

« Donne-moi tes mensonges / que je les lave / les fasse pénétrer dans l’innocence de mon cœur / et les transforme en vérités. » (p. 115)

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La vie princière

Roman de Marc Pautrel.

Dans une lettre d’amour, le narrateur s’adresse à L***, quelques jours après le départ de la belle Italienne. « Je sais que je ne t’ai pas rêvée, parce qu’il reste quelque part en moi une trace tangible, une empreinte profonde de ce bonheur d’avoir été près de toi. » (p. 12) Ils se sont rencontrés au Domaine. Lui est un auteur en résidence qui travaille sur son prochain roman. Elle est thésarde et poursuit des recherches sur la figure du Christ. Pendant une courte semaine, sur des chemins bordés d’oliviers et de cyprès ou sous des ciels étoilés finement voilés de la fumée des cigarettes, ils discutent, apprennent à se connaître, à apprécier la présence de l’autre. « Tout me semble plus facile et naturel avec toi, mon corps ne paraît plus avoir besoin de faire un quelconque effort, il suit ma tête qui discute avec toi, et tout simplement se tient à côté de toi, et cette seule proximité suffit à le stabiliser. » (p. 41) Hélas, point d’avenir pour cet homme et cette femme. La dernière a déjà un compagnon. Le premier ne peut que se résoudre à voir mourir la promesse ténue d’un bel amour. « Je ne connais rien de plus douloureux que se retrouver obligé de vivre à côté d’une vérité insupportable, et sans pouvoir ni s’en éloigner ni rien faire pour la modifier. » (p. 66)

La brièveté de ce texte si délicat est sa plus grande beauté. Le narrateur écrit ce qui a été, le souvenir des quelques jours partagés et intensément vécus avec l’Italienne si chaleureuse, sans rien de plus intime qu’un frôlement de joue, contact pourtant tellement sensuel et enivrant. « Se quitter pour se retrouver, encore, encore et encore, c’est sans doute une des multiples formes que peut prendre le paradis ici-bas. » (p. 71) Sans l’écrire, l’homme dit aussi ce qui n’a pas été et ne peut pas être. Chaque regret est marqué du sceau d’un bonheur trop fugace et d’un espoir déçu, comme tant d’autres avant lui. Et ce qui semble terriblement évidemment à la fin de la lettre, c’est que le narrateur n’enverra pas son courrier…

Je découvre Marc Pautrel avec ce texte et je souhaite désormais tout lire de lui !

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Optimiser son score au Certificat Voltaire

Manuel de Marie-France Claerebout.

À des fins professionnelles, j’ai décidé de passer l’épreuve du Certificat Voltaire. Cet examen évalue le niveau orthographique des candidats. Sans fausse modestie, je pense maîtriser plutôt bien la langue française, mais une remise à jour de quelques règles ne peut pas me faire de mal. Et en travaillant cette épreuve, je ne peux que m’améliorer.

« Prouver sa connaissance de l’orthographe, c’est certes prouver que l’on connaît l’écriture et le sens des mots courants tels que le dictionnaire nous les propose, et indépendamment de l’usage qu’on en fera. C’est aussi montrer que l’on sait conjuguer correctement les verbes usuels, que l’on maîtrise l’accord des mots entre eux. Connaître la langue française implique également de pouvoir exprimer sa pensée avec précision, en trouvant le mot juste. » (p. 1) Le dernier point est fondamental dans mon travail.

Ce manuel est très clair, très intelligemment conçu, avec explication des règles, présentation des exceptions et illustration avec des exemples. Des points d’étape réguliers permettent de vérifier si les règles sont acquises ou doivent être revues.

En travaillant, j’ai constaté un phénomène étrange. Il y a des difficultés que je maîtrise par habitude et non parce que je connais la règle. Et face à cette dernière, j’ai le sentiment de ne plus savoir surmonter la difficulté. Preuve que plutôt qu’imiter ou recopier, il est toujours préférable de maîtriser la technique…

L’épreuve est notée sur 1000. Il n’y a pas de note éliminatoire. « Dépasser 900 points sur 1000 n’est pas facile. […] Obtenir plus de 700 points n’est pas courant non plus, et atteste déjà une parfaite maîtrise de la langue. » (p. 2) Suis-je trop ambitieuse d’espérer un total entre 650 et 750 ? Nous verrons cela après la session !

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La vie secrète des arbres – Découvertes d’un monde caché

Essai de Peter Wohlleben.

L’auteur est forestier et travaille depuis des années dans une forêt allemande. À force de fréquenter les espaces boisés et d’observer les espèces végétales qui s’y développent, il est devenu de plus en plus curieux. Son livre présente ses découvertes, certaines étant véritablement surprenantes. On apprend ainsi que la forêt est un super organisme et qu’il existe des solidarités nutritives entre individus d’une même espèce. « Chaque arbre est donc utile à la communauté et mérite d’être maintenu en vie aussi longtemps que possible. Même les individus malades sont soutenus et approvisionnés en éléments nutritifs jusqu’à ce qu’ils aillent mieux. »(p. 8)

Saviez-vous que les arbres communiquent par leurs racines, mais aussi en envoyant des messages chimiques dans l’air et en émettant des sons sur des fréquences particulières ? Leur forme et leurs couleurs sont également des informations. Il existe une hiérarchie liée à l’âge : en gros, chacun son tour ! Et la reproduction aussi, c’est toute une histoire… Et si je vous dis que les forêts se déplacent, vous me croyez ? Vous devriez, c’est tout à fait vrai ! Les arbres développent des stratégies de défense et de survie, notamment en s’associant à des champignons et en ayant appris, au fil des millénaires, à se défendre contre les parasites animaux et végétaux. Enfin, évidemment, personne n’ignore le rôle fondamental des arbres dans la production d’oxygène et la régulation du climat. Peter Wohlleben le rappelle ici en quelques chapitres simples et clairs. « Si nous voulons que les forêts jouent plus pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique, nous devons les laisser vieillir. » (p. 84)

Cet essai de vulgarisation botanique est très intéressant et je peux comprendre l’engouement qu’il a suscité après sa parution. Toutefois, il faut le prendre pour ce qu’il est : une porte d’entrée dans un univers extraordinaire complexe. C’est simple et facile d’accès, et également très plaisant à lire, sauf pour les nombreuses fautes syntaxiques et typographiques, mais là, c’est ma déformation professionnelle qui parle…

Je ne peux m’empêcher de vous inviter à écouter la très belle chanson de Maxime Le Forestier, Comme un arbre dans la ville. Et aussi à lire The End de Zep, bande dessinée où la fin du monde est menée par les arbres…

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Le vicomte pourfendu

Roman d’Italo Calvino.

Le vicomte Médard de Terralba revient de la guerre contre les Turcs, mais amputé. Un boulet de canon l’a coupé en deux et a emporté la partie gauche. « C’est l’avantage d’être pourfendu que de comprendre dans chaque tête et dans toute chose la peine que chaque être et toute chose ressentent d’être incomplets. » (p. 60) Hélas, la partie droite restée intacte est la mauvaise moitié, celle d’un homme méchant et qui prend plaisir à tourmenter ses semblables. Au château de Terralba, on ne sait s’il faut se réjouir du retour du vicomte ou déplorer que la trajectoire du boulet n’ait pas dévié de quelques centimètres. « Pour beaucoup d’hommes valeureux […], leurs ordures d’hier sont encore sur la terre alors qu’eux sont déjà au ciel. » (p. 8) Après quelque temps, quelle joie de voir finalement revenir la deuxième moitié de Médard, celle qui est bonne et généreuse. Mais les deux parties sont hélas extrêmes dans leur comportement : le vice et la bonté poussés à leur paroxysme sont finalement aussi intolérables l’un que l’autre ! « Nos sentiments devenaient incolores et obtus parce que nous nous sentions comme perdus entre une vertu et une perversité également inhumaines. » (p. 74) Ah, si seulement il était possible de réconcilier les deux moitiés du vicomte…

J’achève la trilogie Nos ancêtres par le premier texte. Après Le baron perché et Le chevalier inexistant, je peux affirmer que je n’ai pas pris autant de plaisir à des lectures depuis longtemps. Ces trois textes sont courts, mais riches d’une réflexion intelligente sur les caractères et ce qui fonde la nature de l’homme. Italo Calvino exploite avec talent le genre du merveilleux pour délivrer des contes aux allures de paraboles et d’allégories. En le lisant, on rit autant qu’on s’interroge, et c’est assez rare pour être souligné.

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Les fêlés laissent passer la lumière

Recueil de nouvelles de Camille Deneu.

Dans ce livre, vous trouverez :

  • Des êtres en mal d’amour(s),
  • Des êtres en mal de deuil,
  • Des êtres en mal de vie,
  • Des êtres en mal d’humanité,
  • Des êtres en mal d’eux-mêmes,
  • Des ratés, des losers, des aigris, des perdus, des tristes, des cassés, des bancals, etc.

L’autrice a une tendresse indéniable pour les personnages qu’elle développe, surtout les plus déglingués. « Ça fait dix ans que je fréquente des hommes et que je m’acharne à me trouer le cœur sans réagir. » (p. 118) Son talent pour les portraits et le rythme ne fait aucun doute, avec la qualité principale d’aller à l’essentiel, sans plus de détails que nécessaire. « Dans un monde de contenus quasi illimités, nous sommes constamment soumis à la possibilité d’une meilleure option. L’excès de possibilités nous paralyse. Ou comment l’abondance conduit à une impasse. » (p. 136) Chaque individu expérimente la perte et la solitude, mais aussi la résilience, le plus douloureux étant souvent d’assumer ses décisions et de se pardonner ses propres erreurs. Les histoires développent une science-fiction médicale ou médico-sociale, ainsi qu’une conception suprahumaine de la justice, souvent de l’ordre du Talion et selon des lois non écrites, mais intransigeantes. « John, tu es reconnu coupable d’avoir raté ta vie. » (p. 46)

Si vous appréciez la série Black Mirror ou les drames sociaux, vous êtes bien tombés, car Camille Deneu propose un habile mélange de ces deux genres. La science-fiction qu’elle développe n’est pas un prétexte creux : c’est une manière de réfléchir à ce qui fonde l’humanité, ce qui la justifie et, sans doute, ce qui la rend vivable et supportable. Et l’autrice ne se laisse pas non plus aller à un pathos incontrôlé : les sentiments puissants que ses personnages éprouvent ne sont pas des poses, mais bien des vibrations primales et universelles.

C’est toujours une expérience étrange de lire le roman d’une personne que je connais, côtoie et apprécie. Entre certitude que je vais la retrouver entre les lignes et peur d’être trop indulgente, et tendance à être encore plus intransigeante pour compenser le biais de sympathie, difficile de ne pas basculer d’un côté ou de l’autre… Je n’ai pas pu m’empêcher de relever les nombreuses erreurs typographiques présentes dans cet ouvrage : ma déformation professionnelle est toujours là quand il ne faut pas… Je déplore également chez Camille Deneu une tendance quasi maniaque au name-dropping, procédé narratif qui me hérisse le poil : c’est tout à fait personnel, évidemment, et cela a du sens pour ancrer un récit dans son époque.

Mais le gros défaut de ce recueil, ce sont surtout des incohérences et des répétitions d’un paragraphe à un autre, et c’est vraiment dommage, car il y a un potentiel énorme dans les écrits de Camille Deneu. J’en veux pour preuve le manuscrit qu’elle m’a fait lire dans le cadre d’un appel à textes : c’est percutant, intelligent, avec une forme au service du fond. Dans ce recueil, que l’on peut qualifier d’œuvre de jeunesse, bien que l’autrice est encore une jeune femme, il y a les défauts d’un premier roman, et sans doute également la précipitation sincère et impatiente d’être publiée. Je gage qu’en prenant le temps de mieux retravailler ses textes, Camille Deneu produira prochainement des écrits d’une grande qualité, en connexion directe et vibrante avec les préoccupations de notre époque.

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La transparence selon Irina

Roman de Benjamin Fogel.

Sur le Réseau, la transparence est une évidence : plus de pseudo, plus de secret. Tout le monde a accès aux données complètes de tout le monde. Pour se cacher, il faut désormais se retrouver hors connexion. « L’anonymat dans la réalité ne permet pas d’être soi. Il offre seulement un espace de liberté temporaire. Des vacances en apnée. » (p. 8) Camille dissocie strictement ses deux identités : sur le Réseau, elle est l’assistante de la célèbre et virulente essayiste, Irina Loubovsky ; dans le monde réel, elle est une « nonyme » sous le pseudo de Dyna Rogne. Sa relation avec Irina est étrange : sans l’avoir jamais rencontrée, Camille sait qu’Irina est son âme sœur. « Je canalise Irina tandis qu’elle m’exhorte à donner le meilleur de moi-même. » (p. 76) Mais en dehors du Réseau, elle rencontre Lukas, et c’est une autre passion qui commence. « Je réalise qu’on peut aimer deux personnes simultanément. Il suffit que la barrière entre leurs mondes reste étanche. » (p. 148)

Je passe sur la plume très plate de l’auteur. Le principal reproche que j’adresse à ce roman est son manque d’aboutissement. De nombreuses intrigues se croisent et s’achèvent à la va-vite. « Il faut alimenter la machine en données. » (p. 19) Là, la machine, c’est moi lectrice… Beaucoup de personnages traversent le roman sans être vraiment développés, comme des PNJ de jeux vidéo, à peine des silhouettes interchangeables. « Voilà votre problème à vous les rienacas, vous confondez les gens et les informations que vous avez sur les gens. Vous aimez des faits, pas des personnalités. » (p. 20) J’aurais aimé que l’intrigue relative aux Obscuranets soit traitée plus longuement, et non pas expédiée, voire noyée dans une autre, devenant de fait un prétexte assez inutile pour différer la révélation finale. J’avais d’ailleurs anticipé celle-ci à la page 73. La transparence selon Irina n’est pas un mauvais roman, c’est un texte qui, à mon sens, n’est pas fini. Il y a beaucoup de La zone du dehors, d’Alain Damasio dans ce texte, et l’auteur ne s’en cache. Mais la comparaison n’est hélas pas à l’avantage du roman de Benjamin Fogel.

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Les morts ont tous la même peau

Bande dessinée de Jean-David Morvan, German Erramouspe et Mauro Vargas, d’après le roman de Vernon Sullivan/Boris Vian.

Daniel est un métis blanc, obsédé à l’idée que ses origines noires soient découvertes. Habité d’une violence bouillonnante, il donne libre cours à ses instincts brutaux dans le bar où il est videur. Quand son frère Richard, dont la peau est vraiment noire, le retrouve et menace de tout révéler à Sheila, son épouse, Daniel perd pied. Il refuse de voir sa vie de blanc voler en éclats. Il refuse de perdre Sheila et leur enfant. D’un meurtre à l’autre, Daniel ne sait plus réfréner ses pulsions sombres. « Il me fallait maintenant une noire. » (p. 39) Et plus il combat sa négritude, plus celle-ci semble prendre le dessus. « Pas si rares que ça, les Blancs qui veulent changer de peau. » (p. 40)

Cette bande dessinée reprend à merveille la surenchère de brutalité qui sous-tend le roman de Boris Vian. À chaque fuite, Daniel questionne son identité multiple, incapable d’en réconcilier les facettes contradictoires, jusqu’à la révélation finale qui achève de détruire un portrait qui ne tenait pas dans son cadre. Le dessin est ultra dynamique et illustre parfaitement la tension de l’histoire. Un vrai plaisir de lecture !

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Circé

Roman de Madeline Miller.

Fille du titan Hélios et petite-fille du titan Océan, Circé aurait dû, à l’instar des autres nymphes, vivre une existence futile et sans éclat. Mais comme son oncle Prométhée, elle s’intéresse beaucoup trop aux humains pour s’en tenir à sa condition. « Si tu pleures chaque fois qu’un mortel meurt, tu te seras noyée en un mois. » (p. 179) Après des siècles d’une jeunesse malheureuse, la déesse mineure trouve son pouvoir : elle sera sorcière, la première d’une longue tradition de femmes qui maîtrisent les plantes et les secrets de la nature. Ce don contre lequel tremblent les dieux lui permet de prendre sa revanche sur tous les hommes qu’elle a aimés et qu’ils l’ont trahie. « Sauf que bien sûr, je ne pouvais pas mourir. Je continuerais à vivre, passant d’un moment cuisant à l’autre. C’est ce genre de chagrin qui nous rend heureux d’être transformés en pierres, en oiseaux et en arbres, nous autres les Dieux. » (p. 67 &68)

Bien qu’exilée sur une île, Circé mène enfin une vie selon ses désirs. « Sous la surface lisse et familière des choses, il en existe une autre, qui attend pour déchirer le monde en deux. » (p. 25) Elle apprivoise et développe son pouvoir. Malheur aux marins qui accostent sur ses rives et pensent pouvoir s’emparer de ses richesses et de son corps : un destin de cochon les attend ! « Si j’avais eu de la valeur pour quiconque, on ne m’aurait pas laissée vivre seule. » (p. 219) Mais seule, elle ne l’est plus, entourée de lions et de loups. Évidemment, il y a Ulysse qui fait escale, suffisamment longtemps pour lui laisser un fils quand il repart. Là encore, Circé devra défendre ce qui lui est le plus cher contre les caprices des dieux et des hommes.

Révoltée contre les violences faites aux nymphes depuis toujours, et aux femmes en général, Circé est une incarnation antique de la femme forte, autant amante que mère, sans dichotomie entre toutes les facettes de sa personnalité. Dans un style simple et sans fioritures, Madeline Miller a brossé un tableau vivant et dynamique d’une figure antique dont on sait peu de choses. L’autrice a un talent incontestable pour la narration, et les nombreux siècles de l’existence de la sorcière passent sans longueur. J’aime vraiment les romans qui réinventent les mythes antiques. Dans le même esprit, je vous conseille les excellents romans de David Vann et David Malouf, L’obscure clarté de l’air et Une rançon. Et sur Circé, il faut évidemment écouter la chanson de Juliette, Le sort de Circé.

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Woman World

Roman graphique d’Aminda Dhaliwal. Mise en couleurs par Nikolas Ilic. Traduction de Clémentine Beauvais.

La population masculine a disparu et après plusieurs catastrophes écologiques et économiques, il ne reste que des femmes sur Terre. Plusieurs générations se côtoient dans des petits groupes où chacune à son rôle. Se pose la question d’une reproduction 100 % féminine pour que l’espèce humaine ne disparaisse pas. Dans la communauté que nous suivons, la mairesse est constamment nue et aussi blonde en haut qu’en bas. Elle fait de son mieux pour organiser la vie de ses compagnes, mais sans tyrannie. Les femmes sont paresseuses quand elles veulent, mais aussi maladroites, contradictoires, et encore indépendantes, fortes et déterminées. Puisqu’il n’y a plus d’hommes, les amours lesbiennes sont devenues la norme, mais ce n’est pas plus simple pour autant : parce qu’aimer, quel que soit le sexe de l’autre, c’est toujours extraordinairement complexe. Et si vous pensez que la disparition du prétendu sexe fort règle toutes les questions, détrompez-vous… « Tu penses que le féminisme existe encore ? / Ben, dans un monde où y a que des femmes, non seulement ça existe, mais c’est la réalité. / Oui, mais si le féminisme, c’est l’égalité des hommes et des femmes… S’il n’y a plus d’hommes, y a plus de féminisme. / OK, juste mate les étoiles. » (p. 192)

Cette œuvre n’est pas un pamphlet misandre, même si les hommes en prennent largement pour leur grade. « Parfois mon cœur saigne et pleure. Quelle tristesse ! Je ne verrai jamais d’hommes. Personne pour m’expliquer ce que je sais déjà. » (p. 45) C’est une démonstration intelligente et drôle qu’aucun des deux sexes ne peut vivre sans l’autre. Et donc que le féminisme ne projette pas d’anéantir les porteurs de zizi ! Donc, Messieurs, détendez-vous et avancez avec nous pour construire un monde meilleur. Le monde sans homme ne serait ni meilleur ni moins angoissant : nous demandons simplement à le partager avec vous, et non à devoir vous l’arracher. Ah, et aussi, lâchez-nous les ovaires : notre corps est à nous et nous en faisons ce que nous voulons ! « Quand il est question du corps des femmes, là, tout le monde a son mot à dire. » (p. 21)

Les dessins sont simples, avec des aplats de couleurs très efficaces : ce qui compte, c’est plus la dynamique et le geste que le détail, et notre imagination comble les vides. Les scènes sont souvent désopilantes et présentent des situations et des émotions complexes sous couvert d’un humour qui se veut détaché et léger. Les œuvres développant l’absence d’hommes et des sociétés exclusivement féminines m’intéressent beaucoup, car elles se complètent et m’aident à forger mes convictions féministes. Je vous conseille Moi qui n’ai pas connu les hommes de Jacqueline Harpan et Herland de Charlotte Perkins Gilman.

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La vie des elfes

Roman de Muriel Barbery.

Nées le même jour dans deux points du monde très éloignés, Maria et Clara sont liées. Elles grandissent sans se connaître, l’une dans le Morvan, l’autre dans les montagnes d’Italie, puis à Rome. Choyées et aimées, elles enchantent leurs entourages autant qu’elles suscitent d’interrogations. « On protégeait une petite qui parlait comme on chante et savait causer aux esprits des rochers et des combes. » (p. 17) Maria et Clara sont précieuses, traversées de visions et douées de talents qui se révèlent au hasard des jours, lors de la livraison d’un piano ou de la maladie d’un homme. « La petite est bénie et nous découvrirons comment. » (p. 36) Ces deux enfants particulières sont en fait sur terre pour sauver les hommes et les elfes dont le monde de brumes s’estompe inexorablement. « Nous n’avons aucune idée de ce que nous faisons, […], et pourtant nous transformons nos filles en soldats. » (p. 50) Pour accomplir leur destin, Maria et Clara devront se rencontrer et unir leurs forces.

L’histoire est traversée d’un lièvre, d’un sanglier et d’un cheval d’argent. Les deux fillettes sont des orphelines. Une bataille épique ravage un petit village français. Le Conseil elfique se réunit en grand secret. Nous sommes dans un monde poétique et merveilleux. Le style est tout en arabesques et fioritures : c’est très beau, mais à dose raisonnable. Avec ce troisième roman, j’ai le sentiment que l’autrice a privilégié la forme au fond, d’autant plus que l’histoire semble s’achever là où elle devrait commencer. Le texte tout entier semble un long prologue : il est passionnant et pose un univers fascinant. De fait, la frustration est immense de devoir le quitter alors que la lecture a à peine permis de l’explorer et que tout reste à venir. Évidemment, ce roman n’est pas une démonstration, c’est une question ouverte sur le monde. « Voyez-vous, c’est un conte, bien sûr, mais c’est la vérité aussi. Qui peut démêler ces choses ? » (p. 23) Mais cette œuvre me laisse un puissant sentiment d’inachevé.

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