Billevesée #165

Sujet récurrent des pauses au boulot : l’eau. Ou plutôt, le goût de l’eau.

J’affirme et je maintiens que l’eau a un goût différent selon sa provenance. Ainsi, il y a des eaux en bouteille que je préfère à d’autres. Et oui, je trouve que l’eau du robinet a un goût (très souvent de javel, mais passons).

Mes collègues s’accordent pour dire qu’il y a une différence de goût entre tel soda rouge et tel soda bleu, mais quand je parle d’eau, ça rigole !

M’en fous, moi je sais ce que je sens !

Alors, billevesée ?

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Mr. Nosey

Album jeunesse de Roger Hargreaves.

Monsieur Curieux est curieux, tout simplement. « Mr Nosey liked to know about everything that was going on. He was always poking his nose into other people’s business. » S’il y a une serrure, Monsieur Curieux – ou Mr Nosey en anglais – va forcément y jeter un coup d’œil. S’il trouve une lettre qui ne lui est pas adressée, il va forcément l’ouvrir. Si son voisin lit le journal, il va forcément vouloir le lire en même temps. Évidemment, les habitants de Tiddletown ont en plus qu’assez que Monsieur Curieux se mêle toujours de leurs affaires. Ils décident donc de lui donner une bonne leçon !

Pauvre Monsieur Curieux ! Avec un nez pareil, ce n’est pas très étonnant qu’il lui arrive tant de mésaventures. Voici le premier album de Roger Hargreaves que je lis en langue originale. C’est là que je comprends une nouvelle fois l’immense talent des traducteurs, car la musicalité de l’histoire est la même en français et en anglais. Je vais donc continuer à lire les charmantes histoires de Monsieur et Madame !

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Conte d’hiver

Roman de Mark Helprin.

Dans ce roman, vous trouverez :

  • New York en hiver,
  • Un étalon blanc qui court si vite qu’il s’envole,
  • Peter Lake, cambrioleur amoureux,
  • Pearly Soames et sa bande de gangsters,
  • Un gâte-sauce tatoueur,
  • Une étrange communauté qui vit dans les marais,
  • Beverly, jeune beauté aux cils si longs qu’il lui faut des lunettes spéciales,
  • De la neige et du vent,
  • Un froid à briser les arbres et les cœurs,
  • Un mur de brouillard,
  • Des bateaux et des hommes qui surgissent des nuages,
  • Une femme qui collectionne les mots et qui parle à un coq,
  • Un plateau en or,
  • Des amours flamboyantes,
  • Un homme qui cherche une ville parfaitement juste,
  • Un train pris dans la glace,
  • Un incendie qui pourrait brûler la mer,
  • L’affrontement du soleil et de la baleine, ou de deux journaux si vous préférez,
  • Un amour qui transcende le temps,
  • L’arrivée du nouveau millénaire,
  • Des réalités imperceptibles et des rêves qui prennent forme.

Il serait dommage, voire criminel de dévoiler les tenants et les aboutissants de ce très beau roman. « Vous saurez exactement qui vous êtes et pour toujours, en découvrant qui vous aimiez. » (p. 680) De page en page, on découvre une fantasmagorie amoureuse qui se joue de la mort, un portrait de New York si précis que la ville est davantage un être vivant qu’un décor, et une profonde interrogation sur le temps et ses frontières. Les personnages sont nombreux et aucun n’est le héros, de même que les époques se succèdent et, finalement, se confondent. Écrit en 1983, traduit en français en 1987 et republié en 2014, ce roman reste étonnamment moderne dans sa composition et son propos. Je vous laisse sur quelques très beaux extraits de cette pépite littéraire.

« Les vertus restent intactes et incorruptibles. Elles sont une récompense en elles-mêmes, un rempart qui nous sert à protéger notre vision du beau. Elles nous donnent la force nécessaire pour supporter sans flancher les tempêtes qui nous assaillent lorsque nous partons à la recherche de Dieu. » (p. 284)

« La ville, parfaitement juste, ne pouvait émerger de ruines dégoutantes, ni sortir du ventre d’une civilisation industrielle corrompue, ni se former autour du cœur d’une ville assourdissante et inhumaine, entièrement grise, à l’image des machines. Elle ne pouvait prendre son essor à partir de clochers couverts de suie, ni de fleuves chargés de glace, ni d’avenues sans fin aux immeubles vétustes, construits au hasard. » (p. 335)

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Tchico

Album jeunesse de Jean-Pierre Idatte. Illustrations de Michel Trublin.

Le jeune Tchico voudrait se rendre au pays des indiens sages. Mais pour y parvenir, il doit traverser une prairie immense, une forêt profonde et une rivière puissante. Il rencontre Gros-Lourd le vautour, Brindille le gorille et Trois-Dents le caïman. Chacun va l’aider dans son voyage et Tchico apprend ainsi à anticiper les dangers et à accepter l’aide des autres. « Si tu veux traverser la prairie, demande conseil, demande conseil. Si tu veux traverser la prairie, demande conseil à un ami. »

Cette lecture m’est une véritable madeleine de Proust. Cet album est une de mes toutes premières lectures. Je ne l’avais pas oublié, sans m’en souvenir vraiment. Les éditions Les 3 chardons sont spécialisées dans les albums-spectacles : à partir d’une histoire, une troupe d’acteurs proposent une mise en scène avec chanson. Et je sais, sans m’en souvenir vraiment, avoir passionnément aimé cette représentation et la chanson. Avoir retrouvé cet album a été un grand bonheur et c’est avec un même bonheur que je l’ai offert à ma petite filleule, en espérant qu’elle aimera autant que moi cette histoire.

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Billevesée #164

D’où le stylo-feutre tire-t-il son nom ? Du feutre, mes braves gens, textile non tissé obtenu par pression et ébouillantage de fibres naturelles. La mine des premiers stylos-feutre était faite de feutre, CQFD.

Alors, billevesée ?

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Max et les poissons

Roman jeunesse de Sophie Adriansen. Illustrations de Tom Haugomat.

Max Geiger est un petit garçon très intelligent. Avec son prix d’excellence, il a reçu un poisson rouge. Pour une autre raison, il a reçu une étoile jaune à coudre sur son vêtement. Pour son anniversaire, il espère avoir un autre poisson pour tenir compagnie au premier. Mais c’est la guerre, et la guerre n’est pas drôle. « La guerre, ça commence l’été et ça empêche de faire des châteaux de sable. La guerre, ça empêche d’aller se baigner dans l’eau salée. La guerre, ça remplace les vacances à la plage par les jeux dans l’impasse avec Daniel et Bernard. » (p. 16) Finalement, pour son anniversaire, Max est emmené avec sa famille au Vel’ d’Hiv’ : ce n’est pas vraiment la fête qu’il avait imaginée.

Max et les poissons offre aux jeunes lecteurs une première approche de la guerre, du point de vue d’un enfant. Avec un style simple, parfois trop infantile à mon goût, l’auteure parle de peur, de séparation, d’attente et d’espoir. Le petit carnet historique en fin d’ouvrage remet le récit dans son contexte et ouvre la discussion. S’il n’y a pas d’âge pour parler de la guerre, il y a une manière de le faire et celle de Sophie Adriansen est assurément réussie.

De la même auteure : J’ai passé l’âge de la colo !

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Arlequin ou les oreilles de Venise

Album jeunesse d’Hubert Ben Kemoun. Illustrations de Mayalen Goust.

« Tout le monde à Venise se moquait des oreilles d’Arlequin. C’est vrai qu’elles étaient larges. Certains s’amusaient à les comparer à des plats à tarte ou aux voiles gonflées des navires qui entraient dans le port. » Mais grâce à ses grandes oreilles, Arlequin est le meilleur accordeur de tout Venise : il rend leur juste sonorité à tous les instruments de la cité. Il est un jour appelé par un homme qui veut faire accorder sa fille : depuis des années, la jolie Colombine est muette. « Vous redonnez la voix aux pianos usés comme aux psaltérions brisés, faites de même avec ma fille. » Il a beau tendre l’oreille, Arlequin ne sait pas comment rendre sa voix à Colombine. Alors, il se tait et il écoute le silence de la jolie jeune fille, jusqu’à entendre enfin ce qu’elle dit.

Avec ses grandes oreilles et son costume moins bariolé que le veut la tradition, Arlequin a tout d’un clown triste, mais c’est finalement un clown heureux qui rencontre l’amour. Sous le pinceau de Mayalen Goust, la Commedia Dell’Arte prend des couleurs poétiques et romantiques. Et quel plaisir de découvrir le riche lexique musical de cette histoire : une façon simple et ludique d’apprendre de nouveaux mots.

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Conception

Roman de Chase Novak.

Leslie et Alex Twisden ont tout pour être heureux, sauf un enfant. Épuisés et déçus par des traitements et des interventions sans succès, ils jouent le tout pour le tout auprès d’un docteur slovène aux méthodes peu conventionnelles. Leslie tombe finalement enceinte, mais au prix de quels sacrifices ? Dix ans plus tard, les jumeaux Adam et Alice ne comprennent pas pourquoi leurs parents les enferment à clé dans leurs chambres tous les soirs. « C’est pour qu’on ne vous mange pas, dit Leslie en ébouriffant les cheveux d’Adam. Elle le dit en plaisantant, mais cela résonne comme la chose la plus vraie qu’elle leur ait jamais dite. »(p. 129)Adam épie ses parents et il n’aime pas les bruits et les propos qu’il entend. Une nuit plus effrayante que les autres, Adam et Alice fuguent de leur lugubre maison, prêts à tout pour survivre et échapper à la menace qui pèse sur leurs petits corps, même s’il ne leur est pas facile de quitter leurs parents. « Mais c’est… c’est maman ! Qui sera là pour nous aimer, après ? » (p. 432)

Un peu du professeur Frankenstein, un peu du docteur Moreau, une ambiance à la Stephen King : ce roman avait beaucoup d’atouts, mais le postulat de départ est insuffisamment approfondi et l’intrigue finit rapidement par tourner en rond. S’enchaînent alors sans grande surprise fuite des enfants, traque des parents, remords, peur, mort d’un personnage secondaire auquel il avait été donné trop d’importance, ou pas assez selon les chapitres. Bref, Conception est un roman qui fait frémir, mais dont le potentiel horrifique aurait pu être largement plus développé.

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Billevesée #163

La mouche du coche, voilà une expression que j’ai mis très longtemps à comprendre et à retenir ! Elle vient d’une fable de Jean de La Fontaine, « Le coche et la mouche ». Un coche tiré par six chevaux se retrouve dans une situation compliquée. Une mouche qui passe par là s’agite dans tous les sens et, quand le coche est libéré, s’attribue tout le mérite de l’opération.

Une mouche du coche, c’est donc un importun qui se mêle de ce qui ne le regarde pas, qui brasse surtout de l’air et veut obtenir tout le crédit en cas de réussite.

Alors, billevesée ?

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Le chevalier inexistant

Roman d’Italo Calvino.

Dans la glorieuse troupe qui accompagne Charlemagne en campagne, il y a un chevalier tout  à fait singulier. Agilulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carprentas et Syra, chevalier de Sélimpie Citérieure et de Fez est un chevalier inexistant : dans son armure blanche, il n’y a rien, si ce n’est une voix, un esprit et une morale. « Alors, dans l’armée de Charlemagne, on peut être chevalier, couvert de titres et de gloire, et de plus guerrier valeureux, officier irréprochable, sans avoir d’exister ! » (p. 29) Le chevalier est l’incarnation des meilleures valeurs de la chevalerie, mais décidément, il agace tout le monde avec sa rectitude et sa droiture, Charlemagne le premier. Quand un autre chevalier met en doute la légitimité d’Agilulfe, ce dernier part séance tenante trouver la preuve de sa noblesse. Qu’ils prennent garde, les autres chevaliers, Agilulfe va leur montrer ce que c’est d’être un vrai chevalier. « La chevalerie est une belle chose, c’est entendu ; mais tous ces chevaliers sont une bande de grands nigauds, habitués à accomplir de hauts faits d’armes sans chercher la petite bête, comme ça se trouve. Dans la mesure du possible, ils tâchent de s’en tenir à ces règles sacro-saintes qu’ils ont fait serment d’observer : elles sont bien codifiées, elles leur ôtent le souci de réfléchir. » (p. 92 & 93)

Il ne faut pas oublier Raimbaud de Roussillon, jeune chevalier déterminé à venger son père en tuant l’émir Izoard. Évoquons aussi Bradamante, amazone en armure qui n’a d’yeux que pour Agilulfe et qui est dévorée par ceux de Raimbaud. N’oublions pas Gourdoulou, écuyer aux compétences douteuses, à l’esprit benêt, mais à l’identité multiple et internationalement reconnue. Enfin, qui est la narratrice, cette nonne recluse dont la pénitence est de chanter les aventures d’Agilulfe ? « Il n’est pas dit qu’en écrivant, on assure le salut de son âme. On écrit, on écrit, et déjà notre âme est perdue. » (p. 106)

Peut-on exister sans être ? C’est cette question farfelue et hautement philosophique que pose Italo Calvino. La douce et exubérante absurdité de cette histoire n’empêche nullement le texte de prendre les dimensions d’une chanson de geste. Il était grand temps de dépoussiérer les armures et de raconter autrement les hauts faits des chevaliers !

Du même auteur, je vous conseille Le baron perché.

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Tous les démons sont ici

Roman de Craig Johnson.

Le shérif Walt Longmire est chargé du convoi qui transfère Raynaud Shade, terrifiant sociopathe, dans une autre juridiction. « J’avais côtoyé des fous dans ma vie, mais aucun n’était doué de la malveillance pure dont cet homme paraissait pétri. » (p.24) À l’approche des Bighorn Mountains, dans le Wyoming, Shade révèle qu’il a enterré une de ses victimes dans les environs. Alors que le blizzard se met à souffler dans les montagnes, Shade s’évade. Walt Longmire se lance à sa poursuite dans la tempête. « Tuer un homme, même un homme coupable, qui ne voit pas celui qui le menace, et le tuer de très loin n’était pas compatible avec la définition de mon boulot. » (p. 180) La chasse à l’homme se double d’un combat contre la nature et contre certains démons intérieurs.

Le récit très dynamique est également très visuel et pourrait parfaitement être porté à l’écran. Entre hallucinations hypothermiques et croyances indiennes, l’histoire garde un équilibre parfait et Walt Longmire, shérif dur à cuire, est un héros solide et crédible même dans les situations les plus improbables. Raynaud Shade est un antagoniste taillé à sa mesure, sa nemesis et le miroir de ses propres fautes. « Je sentais la destruction froide et perverse que Raynaud Shade avait apportée avec lui, une infection qu’il traînait dans son sillage comme une malédiction. » (p. 269) Il est aussi question d’un enfant mort et d’un géant indien qui défie le temps et qui s’institue le guide spectral de l’audacieux shérif. Ponctué de références à L’enfer de Dante, le texte est une belle interprétation de la traversée des neuf cercles infernaux, le tout saupoudré d’un humour viril et bourru qui donne véritablement envie de découvrir les autres (més)aventures de ce shérif dur à cuire. « Je ne pouvais pas mourir – il y avait trop de femmes qui me tueraient. » (p. 213)

Voici encore un bel ouvrage publié par les talentueuses éditions Gallmeister !

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Un parfum d’herbe coupée

Roman de Nicolas Delesalle.

« Tout passe, tout casse, tout lasse. » C’est le dernier conseil laissé par Papito à son petit-fils, Kolia. À la mort de son grand-père, ce dernier commence l’écriture d’une longue lettre adressée à son arrière-petite-fille, vie qui n’existe pas encore. D’une génération qui disparaît à une génération qui n’a pas encore poussé son premier cri, Kolia est un lien vivant qui entreprend de se souvenir pour ne pas disparaître. « J’ai compris que je vais mourir toute ma vie, comme tout le monde, je mourrai quand j’apprendrai la mort des autres. » (p. 166) Il raconte les vacances, l’école, la famille, les premières fois – premier baiser, première peur, première conscience de sa présence au monde, etc. –, les joies et les peines. « Je retourne me coucher, mais j’ai changé. C’est la première fois que je vois mon père pleurer. » (p. 218)

Loin d’être une simple compilation de souvenirs, ce roman est un hommage ému à l’enfance et une nouvelle définition de la nostalgie. « Les adultes font souvent mine de s’étonner du désespoir baroque des adolescents, mais cet étonnement est un leurre, ils n’y croient pas eux-mêmes ; au fond, ils savent très bien à quel point c’est compliqué de se relever quand on tombe de son enfance. » (p. 47) Portée par une très jolie plume, cette histoire donne envie de serrer une vieille peluche contre soi, d’ouvrir un album photo ou de téléphoner à une grand-mère ou un vieil ami. Au détour de certaines pages, je suis un peu tombée amoureuse de Kolia. J’ai pleuré avec lui (et pas qu’un peu) la mort de son chien. Nicolas Delesalle offre un premier roman très réussi, parfois un peu pataud dans l’émotion, mais véritablement attendrissant.

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Billevesée #162

L’étymologie du toponyme Pakistan est controversée.

Pour certains, le mot est composé des termes « pâk » signifiant « pur » et « stân » signifiant « pays », soit « le pays des purs » en ourdou.

Pour d’autres, c’est un acronyme formé à partir de certaines lettres des provinces qui composent le pays : le Pandjab, l’Afghania, le Kashmir, l’Indus-Sind et le Baloutchistan.

Alors, billevesée ?

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Petit dictionnaire amoureux des chats

Ouvrage de Frédéric Vitoux. Illustrations d’Alain Bouldouyre.

Le chat. On lui prête des pouvoirs, des pensées, de la sagesse. On le dit indépendant, méprisant, hautain, opportuniste. On le sait élégant, mystérieux, facétieux, majestueux. Cet animal n’en finit pas d’inspirer les artistes, d’intriguer les curieux et d’enflammer l’imaginaire populaire. Le chat fait couler de l’encre et s’agiter les plumes. Il est le meilleur compagnon des écrivains : Marcel Aymé, Georges Pérec, Louis-Ferdinand Céline, Ernest Hemingway, Joris-Karl-Huysmans, Charles Baudelaire et tant d’autres avaient un petit félin à leurs côtés.

Frédéric Vitoux brosse un portrait par touches, par éclats, et il dessine une image féline aussi disparate et élégante que l’est la fourrure d’un chat écaille de tortue. Il honore les chats célèbres de l’histoire et de la littérature. Mais surtout, article par article, il compose un long poème à la gloire du chat. Et ce petit animal n’a pas fini de vider les encriers, par la plume ou par la patte !

« Je suis l’instant et je suis l’éternité recroquevillée dans cette pure délectation du moment vécu. » (p. 142)

« Le chat pouvait être et devait être l’un des thèmes favoris des haïkus. N’exprime-t-il pas l’évanescence de l’existence, le mystère de la vie et ses contradictions ? » (p. 206)

« Le chat est, par essence, fantastique. » (p. 236)

« Il y a de la métaphysique dans les yeux des chats, une leçon pascalienne sur la vie. » (p. 603)

 Un autre ouvrage sur notre félin préféré : Éloge du chat de Stéphanie Hochet.

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Red Jim

Album de Nathalie Jean-Bart. Édition bilingue français/anglais.

Dans le Kent, Harry et Henry sont deux gros chiens stupides chargés de surveiller la maison de leur maître, Mr Cook. Pour tromper leur ennui, ils courent après les malheureux lapins qui ont l’audace de s’approcher du carré de choux du jardin. Ils s’en prennent aussi aux écureuils, aux mulots et au facteur. Bref, ce sont deux molosses parfaitement odieux. « Nous revendiquons le droit de nous divertir, même si c’est aux dépens des autres ! » (p. 22) Voilà qu’un jour, un lapin débarque dans leur jardin avec une pancarte fort explicite : « Attrape-moi », dit l’écriteau. Les affreux clébards ne savent pas qu’ils se dirigent tout droit dans une soucoupe spatiale où les attendent les Lapins de l’Espace.

Ces lapins n’ont qu’un œil et un appétit dévorant. Mais depuis un tragique évènement, ils ne savent plus ce qui est bon à manger et ils avalent n’importe quoi, ce qui leur cause des ulcères et ne manque pas d’alimenter leur immense colère. Alors qu’Harry et Henry se voient perdus, l’arrivée de Billy, malin matou du quartier, va changer la donne. Il suffit de redonner aux lapins l’idée de manger des carottes ! « Mais si nous en mangeons, nous n’aurons plus d’ulcères, ni d’aigreurs d’estomac… ou de mauvaise digestion ? […] / Exactement ! […] et même que vous serez plus aimables et que vous aurez le nez rose ! » (p. 70)

Je m’attendais à une bande dessinée à l’humour foutraque et déjanté. Je suis donc un peu déçue par cet album qui alterne les pages de texte et les pages d’illustrations. Il y a de l’humour, certes, mais dont les effets tombent un peu à plat selon moi. Et je ne comprends pas les changements de police : cela rend le texte peu lisible, déjà que l’écriture cursive principale me semblait bien peu adéquate pour raconter une telle histoire.

Je reste également dubitative devant les changements de ton et de niveau de langue : le texte alterne entre répliques vachardes à l’encontre des gros toutous crétins et style simple et didactique comme on en trouve dans les livres pour enfants. Le mélange est tout à fait dissonant. Au final, je n’arrive pas à savoir si j’ai lu un comics pour adulte bourré de second degré britannique ou si j’ai parcouru les pages d’un album pour enfants dont le but serait de donner une première approche de la science-fiction.

Dernière chose : gros bémol sur la quatrième de couverture ! Quand on prétend se réclamer de Lewis Carroll, il faut au moins écrire son nom correctement, à savoir avec deux [L]. C’est pourtant simple à retenir, ils se dressent comme deux oreilles de lapin

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Découpé en tranches

Bande dessinée de Zep.

Pour une génération d’enfants, Zep est avant tout le papa de Titeuf, ce gamin à la longue mèche jaune, version moderne du Petit Nicolas, les gros mots et les jeux vidéo en plus. Mais Zep, avant d’être un auteur, est un homme, un humain, un individu qui s’interroge sur le monde et sur la place qu’il occupe au sein de celui-ci. « C’était donc possible de vivre sur cette planète sans en être le centre. » Sa place, Zep la trouve peu à peu en dessinant ce qui l’entoure, en mettant en images son monde, ses doutes et ses rêves.  « Je dessine pour apprivoiser le monde, pour tenter de le comprendre. »

Alors, Zep, qui est-il ? Un fan de Bob Dylan, un peu guitariste à ses heures. Un papa et un conjoint. Un créateur dont l’arc a plusieurs cordes. Mais quelle est sa légitimité d’artiste, voire d’être humain ? Comme tant d’autres, il se voudrait unique, exceptionnel, sensationnel. À force de patience et de douce résignation, Zep s’accepte pour ce qu’il est et c’est déjà beaucoup.

J’ai beaucoup apprécié cette autobiographie en bulles au ton doux-amer : le texte flirte avec la nostalgie, mais le narrateur reste résolument ouvert au monde. Ainsi découpé en planches, Zep ne m’est que plus sympathique, lui dont les bandes dessinées ont fait rire ma jeune adolescence. J’ai retrouvé dans cet album un peu de la belle gravité de Une histoire d’hommes, premier roman graphique de l’auteur.

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Billevesée #161

Aujourd’hui, pour être politiquement correct, il faut dire SDF ou sans domicile fixe. Mais pas clochard. Clochard, ce n’est pas un mot poli.

Mais c’est un mot qui m’intrigue. En fouillant un peu, j’ai trouvé plusieurs origines possibles.

Clochard viendrait du verbe « clocher » qui veut dire « boiter » : le SDF boite-t-il forcément ? Ou plutôt, un éclopé avait-il jadis peu de chance de trouver/garder un moyen de subsistance et donc un logement ?

Autre possibilité : quand les marchants avaient rangé leur étal, la cloche sonnait pour signifier la fin du marché. À ce signal, les pauvres et autres affamés venaient chercher les denrées abandonnées par les commerçants.

Dernière supposition : le clochard est celui qui actionnait la pédale qui activait les cloches de Notre-Dame de Paris. Était-ce donc un métier de pauvre ?

Alors, billevesée ?

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Encore un mot

Recueil de textes d’Étienne de Montety.

L’auteur est directeur du Figaro littéraire depuis 2006. Dans ce journal, il propose une courte rubrique où, au gré de l’actualité, il choisit un mot et en propose une définition qui, si elle n’est jamais très éloignée de la définition officielle, n’est pas tout à fait conventionnelle pour autant. Jeux de mots, mots d’esprit, références littéraires ou historiques, tout est bon pour travestir un vocable et le rendre plus intelligible tout en soulignant son incroyable complexité. Le miracle de la langue française, en quelque sorte.

Ces pastilles étymologico-loufoques font feu de tout bois et traitent de sujets divers : sport, économie, politique, écologie, people, télévision, cinéma, etc., rien n’échappe à la plume érudite et taquine d’Étienne de Montety. « À l’heure du ministre twitteur, l’édile épistolier doit être salué : Rachida Dati est une femme de lettres. Du moins, elle en adresse. N’étant plus en charge des sceaux, Rachida Dati s’est autorisé la publication d’une lettre non scellée : une lettre ouverte au premier ministre. Et affranchie : celle-ci l’est des convenances politiques. » (p. 73) Je ne lis pas ou peu le Figaro – qui reste pour moi le fameux personnage de Beaumarchais –, appréciant bien peu son ton et ses points de vue. Mais je ne dis jamais non à une pirouette sur le langage, et encore moins à une galipette verbale.

Pour finir, une sélection de définitions.

« Allemand : cousin germain des Français. » (p. 13)

« Anglais : habitant d’une île qui entend le rester. » (p. 15)

« Débarquement : attitude de celui qui débarque complètement à l’Ouest. » (p. 39)

« Radar : gendarme borné d’où vient la lumière. » (p. 108)

À propos de la fermeture de l’entreprise Lejaby  – « Soutien : aide apportée à une marque de sous-vêtement prise à la gorge. » (p. 128)

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Blaze

Roman de Stephen King, publié sous le pseudonyme de Richard Bachman.

George est un arnaqueur futé, toujours à l’affut d’un bon coup. Blaze est un géant à l’esprit plutôt lent. Ces deux-là font la paire, vivant d’escroqueries et de combines rarement légales. Et ils rêvent de leur grand coup. Mais voilà, George se fait descendre avant la mise en œuvre du plan qui doit leur rapporter gros. Qu’à cela ne tienne, Blaze fera le coup tout seul. Tout seul ? Pas vraiment. « Maintenant George était mort et Blaze reproduisait la voix de George dans sa tête, lui donnant les bonnes répliques. » (p. 27) Le fameux plan est assez simple : enlever le nourrisson des Gerard, richissime famille du Maine, et exiger une rançon colossale pour ensuite partir vivre à l’aise au soleil. Sans l’aide de George, Blaze l’attardé ne peut pas tout prévoir, même en faisant de son mieux. Et ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que le bébé l’intéresserait bien plus que l’argent.

Référence et hommage non dissimulés au roman de Jon Steinbeck, Des souris et des hommes, ce texte de Stephen King exploite une combinaison de personnages qui a fait son chemin dans la littérature et sur les écrans : entre le petit George et le grand Blaze, il y a connivence, complétude, complémentarité et une once de comique de situation. Mais Blaze est avant tout un héros tragique : alors qu’il aurait pu être brillant, les corrections répétées de son père en ont fait un attardé, à la fois doux et inconscient de sa force. S’il choisit le mauvais chemin, ce n’est pas par méchanceté, c’est plutôt l’effet d’un malheureux hasard. Face à bébé Joe, Blaze révèle finalement sa véritable nature, celle d’un innocent aux mains pleines. Mais hélas pleines d’une progéniture qui n’est pas la sienne. Mené à un rythme effréné, ce texte particulièrement émouvant aborde avec finesse le thème des choses qui passent, sans rien laisser derrière elles.

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Le coup du lapin – Les lapins suicidaires les plus drôles du Royaume-Uni sont de retour !

Bande dessinée d’Andy Riley.

Adieu monde cruel a bien expliqué le concept : d’adorables petits lapins cherchent sans cesse le meilleur moyen d’en finir. Ils sont patients, déterminés, solidaires et inventifs. Faisant feu de tout bois, montant des machines compliquées ou tirant profit de leur environnement, ces lapins ne manquent pas de ressources ! « Autodestruction enclenchée. Pour annuler, il vous reste cinq minutes. / L’art du jonglage en six minutes. »

Le lecteur prend une bonne dose d’absurde dans la face. Et s’il aime le cinéma, il y trouvera aussi son compte, car nos adorables petits lapins explorent les univers de Doctor Who, d’Alien, de Terminator ou du Seigneur des anneaux. Ne cherchons pas pourquoi ces bestioles qui n’ont même pas l’air déprimé veulent tellement se faire couic. Contentons-nous de rire un grand coup (du lapin) !

Et je préfère de très loin ces lapins suicidaires aux lapins crétins !

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Billevesée #160

L’électricité, voilà une énergie dont nous serions bien en peine de nous passer !

Petit tour d’horizon étymologique ! Cette énergie tire son nom du mot grec êlektron qui signifie ambre jaune. Les Grecs anciens avaient en effet fait une découverte étonnante : en frottant l’ambre jaune, il était possible de générer une légère attraction sur de petits objets légers et parfois même des étincelles !

Alors, billevesée ?

Billevesee_Electricite
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Victor Hugo vient de mourir

Roman de Judith Perrignon.

Victor Hugo se meurt et Paris s’émeut. Comment ? Le poète n’était pas immortel ? Le 22 mai 1885, Victor Hugo n’est plus et Paris pleure. Les autorités craignent un soulèvement du peuple qui a pris le deuil de son héros. La Commune n’est pas si loin et les esprits sont prompts à s’échauffer. « Tout signe de tristesse est normal et suspect. La peine peut tourner à l’émeute. Surveiller la couleur du drapeau, qu’il ne vire pas au rouge. » (p. 38) En haut lieu, on ne met pas longtemps à décider que le poète mérite de grandes funérailles, mais là aussi, on s’écharpe : Sainte-Geneviève ou Panthéon ? Une loi est votée à la hâte pour imposer des funérailles nationales. « Les républicains, les socialistes, les catholiques, les anarchistes, ils noircissent du papier, clament des vérités comme on tire des coups de feu, ils veulent prendre ce ventre, tirer le cadavre de leur côté. Mort cet homme parlera encore. »(p. 31) Pendant quelques jours, la France et Paris ne respirent plus : il faut agir vite, honorer le grand homme tout en évitant les émeutes. Une fois encore, le poète concentre l’attention : on ne pense qu’à lui, on ne parle que de lui. Lui qui aimait tant les honneurs, celui qui lui est rendu post-mortem n’est pas le moins grandiose. « On dirait qu’en mourant, qu’en glissant vers l’abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps et sa ville. » (p. 26)

Et la famille alors ? La seule enfant vivante, Adèle, est folle et loin de Paris depuis des années. Georges et Jeanne, les petits-enfants, comprennent vaguement qu’ils doivent partager leur cher Papapa dans la mort comme ils l’ont partagé dans la vie. Leur peine même n’est pas vraiment à eux. Édouard Lockroy, le mari de la belle-fille de Victor Hugo, défend l’homme derrière le poète et tente de faire respecter ses volontés. Non, pas de prêtre. Non, pas de messe. Hugo appartient à la République, pas à l’Église, et celle-ci s’étrangle de fureur qu’on lui refuse la dépouille du grand homme. « Député, sénateur orateur, il n’appartient qu’à un seul parti. Le poète appartient à la France inclinée devant son lit de mort. » (p. 245) Voilà ce qu’écrit Le Figaro, lucide. Et les journaux, d’ailleurs, ont tous des éditions spéciales à faire paraître.

De partout des lettres affluent. Les ouvriers demandent que les funérailles aient lieu le dimanche ou que le lundi soit férié pour qu’ils puissent y assister. On souhaite modifier l’itinéraire du cortège, être autorisé à marcher derrière la famille, les artistes, les officiels. Le peuple aussi veut rendre hommage au poète. Des couronnes sont offertes par des délégations étrangères. Voilà le jour des obsèques. Paris est bondée noyée sous la foule émue et recueillie. Mais la police a l’œil ouvert : ses mouchards lui ont rapporté que d’anciens communards voudraient faire du grabuge. Gare à celui qui brandira un drapeau rouge ! Quel pouvoir il avait, cet écrivain, pour galvaniser les petites gens et leur donner le goût de la révolte ! « Ce n’est pas avec des rimes, disiez-vous qu’on détruit le vieil ordre existant, mais sans la poésie, en aurait-on l’idée ? » (p. 114)

Judith Perrignon rend un magnifique hommage à un grand auteur. Son style est riche, ample et fluide. Avec elle, on retient son souffle pendant les quelques jours suspendus qui séparent la mort et les funérailles. Mais l’histoire de Victor Hugo ne s’arrête pas à la fin du cortège funèbre ou entre les murs du Panthéon. Un siècle plus tard, il résonne encore quelque chose de la voix puissante de l’auteur de Notre Dame de Paris.

De Judith Perrignon, je vous recommande chaudement L’intranquille, autoportrait d’un fils,d’un peintre, d’un fou. Et je vous conseille Tolstoï est mort de Vladimir Pozner, un autre excellent roman qui retrace les dernières heures et la mort d’un grand auteur.

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L’honnête tricheuse

Roman de Tove Jansson.

Katri Kling ne vit que pour son frère Mats, de dix ans son cadet. Elle a de grands projets pour lui et, grâce à sa grande intelligence et sa parfaite maîtrise des chiffres, elle est convaincue de pouvoir tout obtenir. « On disait de Katri Kling qu’elle ne se préoccupait de rien d’autre que des chiffres et de son frère. » (p. 10) Si tout le village vient prendre conseil auprès d’elle, tout le monde se méfie d’elle. On la dit un peu sorcière, vraiment étrange, totalement différente. « En tout cas, Katri Kling était honnête, il fallait le reconnaître. » (p. 22) Quand Katri commence à fréquenter Anna Aemelin, la vieille dessinatrice recluse dans sa grande maison, personne ne comprend vraiment son objectif. Mais Katri, elle, sait ce qu’elle veut – offrir un bateau à son frère – et c’est en remettant de l’ordre dans les comptes et les affaires d’Anna qu’elle arrivera à ses fins. « Prendre l’argent d’un autre n’est excusable que quand on peut le faire fructifier et le rendre en un partage équitable. » (p. 64)

Que voilà un étrange et fascinant récit, fait de personnages qui ne se comprennent pas dans un univers pris dans le froid et la neige. Quel monde entre Anna qui dessine les sous-bois et des lapins fleuris et Katri qui voit toutes les mesquineries et toutes les tromperies ! Et pourtant, en un sens, ces deux femmes se trouvent et se rejoignent, chacune insufflant à l’autre ce qui lui manque, un peu de méfiance pour l’une et un peu de mansuétude pour l’autre. Katri est de loin le personnage le plus fascinant : ne manifestant aucune émotion, n’étant attachée qu’à son frère, elle est peu accessible, retranchée derrière une muraille de chiffres et de calculs. Son inaltérable honnêteté et sa capacité à révéler les travers de chacun rendent ceux qui la côtoient profondément méfiants et finalement cruellement malheureux. Katri a la capacité d’ôter les illusions en arrachant sans vergogne les voiles et les masques. Quand vient le moment où, à son tour, elle doit montrer son vrai visage, on s’attendrait presque à entendre résonner un rire antique, celui de l’ironie dramatique.

Premier texte que je découvre de Tove Jansson, certainement pas le dernier ! Et c’est avec un certain plaisir que je vais rouvrir mon édition du Hobbit de J. R. R. Tolkien, ouvrage qu’elle a illustré !

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Qui dira la souffrance d’Aragon ?

Roman de Gérard Guégan.

En 1952, Louis Aragon, poète reconnu et admiré, a 55 ans. Étienne Mahé, émissaire du Kominform, en 28. « Aragon est un égoïste. Mahé déteste les égoïstes. Ce sont des planches pourries. Sas doute, mais Mahé ne peut qu’aimer Aragon et être malheureux. » (p. 243) Ils se croisent alors qu’un procès d’importance se prépare au sein du parti du communiste : Tillon et Marty seraient des traîtres et Jeannette Thorez, la femme de Maurice, malade et retenu en Russie, n’est pas la dernière à le dire. Pour Aragon et Mahé, ce procès politique offre une courte semaine de passion, mais ces amours clandestines tiennent dans une parenthèse amoureuse close avant le premier baiser. « La vraie question, ce n’est pas de savoir si c’est un coup de foudre, la vraie question, c’est de se demander s’il y aura un lendemain. J’ai envie de te répondre que oui, mais, tu le sais, nous sommes des clandestins et nous sommes condamnés à le rester. » (p. 141) Clandestins, Aragon et Mahé le sont aux yeux du parti qui apprécie les invertis encore moins que les traîtres. « L’histoire d’un temps, et d’un parti, où le reniement de soi était souvent le prix à payer pour échapper à l’exclusion. » (p. 9) Clandestins, ils le sont aussi aux yeux d’Elsa qui, si elle n’a aucune preuve, sait que son mari, dans l’intimité, n’est pas tout à fait sien.

En six jours, moins de temps qu’il n’en faut pour construire un monde, Aragon et Mahé se livrent à la passion, méprisant pour quelques heures la tyrannie du parti et les regards de la société. Pédéraste flamboyant, à l’image d’un Oscar Wilde, Aragon a tout de même un ruban à la patte : Elsa, croqueuse d’hommes par jalousie, couche avec tous ceux qu’elle espère ainsi soustraire à Louis et lui rappelle qu’il aurait mauvais compte de la quitter. L’idylle avec Mahé est alors une nouvelle blessure à porter au tableau d’honneur d’Aragon le surréaliste, d’Aragon le résistant.

Gérard Guégan imagine la passion éphémère entre les deux hommes comme on jouerait à un jeu d’enfant : on dirait qu’Aragon et Mahé auraient une histoire d’amour… Peu importe que ce soit vrai : la force du texte est de faire d’Aragon un personnage, lui qui en a tant créé. Et Paris devient la scène d’une pièce qui hésite entre le vaudeville et le drame. S’il est certain que Mahé n’a pu entrer que par la petite porte, la souffrance d’Aragon a très certainement quitté les planches par la grande, celle que l’on ouvre sur la littérature.

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Soumission

Roman de Michel Houellebecq.

François est un professeur d’université spécialiste de Joris-Karl Huysmans. Sa carrière semble toute tracée, comme sa vie personnelle : rien de palpitant à l’horizon, quelques vagues exaltations qui se feront de plus en plus rares. « Tout ce que je voyais c’est qu’une fois de plus je me retrouvais seul, avec un désir de vivre qui s’amenuisait, et de nombreux tracas en perspective. » (p. 196) À l’instar de Des Esseintes, le protagoniste du roman À rebours, François souffre de taedium vitae, un tenace dégoût de vivre qu’alimentent une absence de projet et une solitude aigre. Ce qui va bouleverser son existence viendra de l’extérieur. « Que l’histoire politique puisse jouer un rôle dans ma propre vie continuait à me déconcerter, et à me répugner un peu. » (p. 116) En 2022, après un deuxième quinquennat désastreux, le président socialiste doit laisser sa place, mais la configuration politique est surprenante : qui remplacera le président sortant, la candidate du Front national ou le candidat de la Fraternité musulmane ? Alors que la politique française est sur le point de changer de visage et d’orientation, François s’interroge sur la possibilité d’une conversion religieuse, empruntant le même cheminement que Joris-Karl Huysmans décrivit dans son roman En route.

Soumission est une fable d’anticipation, une extrapolation politique, économique et sociale. Mais ce qu’il faut retenir, c’est la fable, la fabula des Latins, cette narration qui invente en racontant. Faut-il prêter foi aux prédictions les plus pessimismes ? L’angélisme doit-il céder le pas au pragmatisme ? Est-il possible de n’avoir aucune idée politique ? « Je me sentais aussi politisé qu’une serviette de toilette. » (p. 50) Ces questions ne sont pas le sujet et si elles le sont, je refuse d’en débattre et d’alimenter de creuses arguties. Certes, Michel Houellebecq joue avec les peurs et les névroses de la société : il brosse un tableau alarmant d’une France en déréliction face à un Islam conquérant qui gagne du terrain grâce à son intelligence politique plutôt qu’en raison de son agressivité activiste. Certes, il place son récit dans un contexte sombre : l’actualité des derniers jours va dans son sens et l’Europe est une poudrière où se heurtent le multiculturalisme et les rassemblements identitaires.

Mais je prends Soumission pour ce qu’il est, un roman, un texte d’invention. François est un antihéros de très bonne facture qui se désintéresse des changements de son temps, ou plutôt qui se laisse porter par eux. Il a bien quelques réflexions lucides sur la situation, mais il revient sans cesse sur sa propre condition, sa minable existence et sa triste angoisse de la solitude. Si le nouveau système politique peut lui offrir enfin un foyer, pourquoi le refuser ? « L’amour chez l’homme n’est rien d’autre que la reconnaissance pour le plaisir donné. » (p. 39) François se soumet, c’est indéniable, mais il se soumet à ses névroses plutôt qu’au nouvel ordre instauré. Parce qu’avant la société, il y a l’individu et que ce dernier est doté d’une considérable force d’inertie.

Je finis sur une citation qui illustre parfaitement mon rapport à Joris-Karl Huysmans – et j’applaudis furieusement l’idée de Houellebecq de faire publier cet auteur en Pléiade : il est grand temps ! – et à d’autres auteurs chouchous comme Émile Zola. Et ne me dites pas que le premier a tout fait pour s’éloigner du second. « Huysmans, c’était ma thèse, était resté jusqu’au bout un naturaliste, soucieux d’incorporer le parler réel du peuple à son œuvre. » (p. 31) La citation finale, donc, est la suivante : « Un livre qu’on aime, c’est avant tout un livre dont on aime l’auteur, qu’on a envie de retrouver, avec lequel on a envie de passer ses journées. » (p. 14) Je n’aime pas Michel Houellebecq, je n’aime pas tous ses textes, mais Soumission m’a tenue en haleine pendant quelques heures. Si j’ai lu ce texte, ce n’est pas pour Houellebecq, c’est pour Huysmans. En fermant l’ouvrage du premier, j’ai plus que jamais envie de continuer à lire les textes du second.

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Billevesée #159

Dimanche dernier se célébrait l’Épiphanie, la rencontre des Rois mages et de l’enfant Jésus, les premiers reconnaissant le second comme le fils de Dieu et le Messie.

En termes culinaires et commerciaux, l’Épiphanie se traduit par une galette, très souvent fourrée de frangipane. (Je n’aime pas beaucoup la frangipane, mais c’est un détail.)

Cette préparation à base d’amandes (Et pourtant, j’aime les amandes !) et de crème pâtissière (Voilà pourquoi je n’aime pas la frangipane.) partage son nom avec un cocktail composé de noix de coco, de nectar de banane, de sirop de fraise et de jus de fruits de la passion.

Alors, billevesée ?

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Loulou

Album jeunesse de Grégoire Solotareff.

« Il était une fois un lapin qui n’avait jamais vu de loup… et un jeune loup qui n’avait jamais vu de lapin. » Quand Loulou rencontre Tom, il n’y a donc aucune raison pour que le premier ne devienne pas ami avec le second. Ils vont à la pêche et jouent à se faire peur. Mais Tom a vraiment peur de Loulou, à tel point qu’il ne veut plus le voir. « La nuit venue, Tom rêve que Loulou était énorme, noir et rouge et qu’il le mangeait. » Pour que le jeune loup et le jeune lapin redeviennent amis, il faudrait que le loup comprenne la peur du lapin.

Voilà une belle histoire d’amitié qui met en avant les différences que peuvent rencontrer deux êtres qui ont pourtant très envie de se fréquenter. L’amitié n’est jamais gagnée d’avance, elle se travaille, elle se préserve. Il faut écouter les peurs de l’autre, ses doutes et ne pas le juger hâtivement.

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Colorado Kid

Roman de Stephen King.

Vince Teague et Dave Bowie sont les deux vieux et infatigables journalistes du Weekly Islander, petite feuille de chou qui paraît toutes les semaines à Moose-Look, petite île du Maine. Pour briller aux yeux de leur jeune et très jolie stagiaire, Stéphanie McCann, ils lui racontent le mystère du Colorado Kid, cet inconnu retrouvé mort contre une poubelle sur la plage. « J’imagine que les gens aiment les histoires qui les font frissonner un peu par les longues soirées d’hiver, surtout avec la lumière allumée et un bon feu bien douillet dans la cheminée. Des histoires, vous savez, sur l’inconnu. » (p. 33)

Digne d’un épisode d’Arabesque ou d’une enquête d’Agatha Christie, ce très court roman reprend toutes les ficelles du huis clos, ici à la taille d’une île. Et le mystère est double : comment est mort cet homme et comment est-il arrivé sur l’île ? Les suppositions les plus folles ont été explorées par les deux journalistes qui sont parvenus à une presque conclusion, mais il reste encore des parts d’ombre et des inconnues, à tel point que l’imagination s’emballe et produit les pires explications. « Je suis convaincu au plus profond de moi que nous autres, pauvres humains, sommes programmées pour craindre toujours que le pire se produise, justement parce qu’il se produit si rarement. » (p. 46)

Pas d’horreur, de vilain monstre ni même de suspense insoutenable : ici, Stephen King exploite le sentiment de frustration du lecteur en lui offrant une histoire coriace et insoluble. Vous resterez sur votre faim avec ce roman, mais promis, vous en redemanderez !

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Comment aimer son maître quand on est un chat

Texte de Monique Neubourg.

Nous le savons, le chat est souverain. Il ne vit pas chez nous : c’est nous qui avons la chance de partager son espace. Et parce que nous ne sommes que des humains, nous aimons à la folie notre félin de canapé, notre tigre de salon, notre puma nourri aux pâtées ultra luxe avec supplément gold. « Le chat n’est pas amour, il est aimé. Et c’est très bien ainsi. » (p. 13) Mais voilà, l’amour, qu’est-ce ? Et surtout, qu’est l’amour chez les humains ? Voilà l’importante question que le narrateur, un chat, tente de résoudre. « Aimons-nous plus le canari que les croquettes ? Le coussin plus que le griffoir ? » (p. 8)

L’homme est donc l’objet de l’analyse pointue et dédaigneuse du chat. Qu’a-t-il donc, l’humain, à être obsédé par l’amour ? Spirituel, sexuel, amical, familial, matériel, l’amour est sur toutes les lèvres humaines. Le chat en fait les frais, lui qui n’est rien tant qu’indépendant. « Je t’aime, donc je te nomme, parce que ton identité m’est chère. » (p. 24) Donc l’amour est passé en revue, du flirt à la rupture, en passant par le coït – interrompu ou non – et l’élevage des enfants. Pardon ? Il faut dire éducation ? Si vous voulez…

Alors, oui, évidemment, ce texte est drôle, mais à la manière subtile du chat, lequel sait si bien doser dans son regard et dans son attitude à notre égard l’intérêt et le mépris. À bien y regarder, le chat est un cynique. Et pour une raison bien obscure, l’homme s’obstine à faire de Rominagrobis un miroir dans lequel il s’observe et s’analyse.

Au passage, l’auteure (parce qu’évidemment, ce n’est pas un chat qui a écrit le texte) donne des informations utiles sur le comportement des chats. J’ai donc appris à regret que Bowie ne m’embrasse pas quand elle lèche mes joues ou mon nez. Et si elle se frotte à mes bas, ce n’est pas par amour pour ma personne, mais pour les croquettes (qui puent et qu’elle adore) qu’elle sait que je ne manquerai pas de verser dans sa gamelle (achetée une fortune parce qu’elle était tellement mignonne).

À certains égards, ce petit texte humoristique m’a rappelé le bel essai de Stéphanie Hochet, Éloge du chat. J’y ai trouvé la même admiration pour l’animal à pattes de velours. Que voulez-vous ! Quand on aime les matous, on ne peut pas s’empêcher d’en parler !

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The Lapins Crétins – 6. Givrés !

Bande dessinée de Thitaume (scénario) et Romain Pujol (dessins).

Ils ne sont pas mignons. Ils ne sont pas câlins. Ils sont crétins. Et ils sont même bien vilains avec leurs yeux globuleux, leurs dents du bonheur et leur regard souvent vide d’expression. Ils ne comprennent rien. Ils font tout de travers. Ils ont peu de vocabulaire : sortis de « Bwaaaah » ou de « Bada », c’est le néant lexicologique. « Strip 4, case 8 : Le Lapin Crétin pète un plomb et crie : -« Bwaaaaaaaah !!! » (p. 47) Voilà, que vous disais-je ?

J’ai vite fait le tour des idioties de ces bestioles. L’absurde poussé à son comble m’ennuie assez rapidement quand il ne sert qu’un humour potache et qui frôle parfois le mauvais goût. Oui, j’arrive à faire preuve d’un peu d’esprit critique quand il est question de lapins

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