Billevesée #151

Aujourd’hui, parlons d’une franche injustice.

Il y a 26 lettres dans l’alphabet français (Tenons-en au français pour aujourd’hui). Pour ceux qui ne suivent pas, les voici, les jolies !

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

Il y a 10 nombres dans le système numéral arabe. Les voici pour les nuls en maths.

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Avec les 26 lettres, on peut écrire une quantité de mots en français et dans d’autres langues.

Avec les 10 nombres, on peut écrire une infinité de chiffres.

Voilà l’injustice, la différence entre quantité et infinité ! Quel que soit l’ordre dans lequel on dispose les nombres et la fréquence à laquelle on les répète, on obtiendra toujours un chiffre. En revanche, on n’obtient pas toujours de mots en juxtaposant des lettres de façon aléatoire, et encore moins en les alignant à l’infini.

Ainsi, 45474861537465512687412674595294892584562520665558125871321486765412212722176512711487845258645652751651351857984 existe et est parfaitement lisible (en prenant une grande inspiration).

Mais gnjfbfagbrzbjbebhepbvebpehpfkbkjbeaenaabrgjbruopbvnvncvdpzgjaefbsxnùqsglhjerhlgiruogbvuzcnrùuynvuvtypcgnixnruicrpgncx n’existe pas, même en prenant une grande inspiration.

Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me semble tout à fait injuste !

Alors, billevesée ?

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Lapingouin – Ma première nuit chez Tortuchon

Album jeunesse de Carole-Anne Boisseau et Galaxie Vujanic.

Lapingouin est invité à passer la nuit chez Tortuchon. Il prépare son sac avec beaucoup de soin. Il ne faut rien oublier pour passer une belle soirée chez son ami ! « N’oublie pas ton dentifraîche à la carotte ! / Surtout que lui, il utilise un dentifraîche à la truffe, et moi, je n’aime pas ça. » (p. 11) Chez Tortuchon, à l’heure du bain, c’est dans une baignoire pleine de boue que les deux amis s’amusent ! « C’est trop bien d’aller dormir chez son copaingouin : on peut jouer à des choses pas comme à la maison. » (p. 17) Mais est-ce si facile de s’endormir ailleurs que dans son lit, quand on ne connaît pas les ombres, ni les odeurs ?

Comme dans Les chocozoeufs de Pâques, j’ai adoré trouver les « vrais faux mots rigolos » inventés par les auteures : ça donne une histoire très drôle et que les tout-petits peuvent comprendre sans aucune difficulté. Les dessins sont toujours adorablement mignons et les pages sont pleines de petits détails très chou, comme les numéros de page accompagnés de créatures hybrides, comme ce lapin-sirène ou cet écureuil-bigorneau. On rencontre l’ânster de Tortuchon, petite bestiole qui tourne dans sa roue en faisant hi-han. La maison-fraise de Matortue et de Pacochon est à croquer, littéralement. Voilà encore un bel album qui célèbre l’amitié au-delà des différences. C’est une très jolie histoire pour accompagner les petits au moment du coucher.

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L’île du point Némo

Roman de Jean-Marie Blas de Roblès.

Ici, il est question :

  • d’une bataille entre Alexandre le Grand et Darius,
  • d’un dandy opiomane,
  • d’une gouvernante bien sous tous rapports, mais qu’il ne faut pas chercher,
  • d’un certain John Shylock Holmes,
  • d’un majordome noir au front balafré,
  • de trois pieds coupés chaussés de baskets,
  • d’un nombre restreint d’unijambistes,
  • du diamant volé de Lady MacRae,
  • de B@bil Books, l’entreprise de Monsieur Wang,
  • d’une jeune fille endormie depuis plus de dix ans,
  • de fiacres et de tablettes tactiles,
  • d’un mari qui bande mou, au grand désespoir de son épouse un brin nymphomane,
  • de la lecture à voix haute dans les fabriques de cigares,
  • d’un homme enfermé dans un sous-sol, avec son épouse endormie, des livres et des journaux,
  • d’une femme qui a jadis peut-être été un homme,
  • d’un jeune hacker qui milite pour la liberté des livres et des histoires,
  • des amours platoniques entre le susdit et sa jolie compagne de travail,
  • d’un voyage à bord de l’Orient-Express,
  • d’un voyage en dirigeable,
  • d’un voyage en bateau,
  • d’un voyage en sous-marin, commodément appelé Nautilus,
  • d’un criminel surnommé l’Enjambeur Nô,
  • d’un pigeon de concours nommé Free Legs Diamond,
  • de plusieurs monstres marins, dont un certain Cthulhu,
  • d’une île qui dérive
  • et de bien d’autres curiosités, personnages et péripéties. On ne va pas tout vous raconter !

Si cela n’était pas encore tout à fait évident, ce roman est impossible à résumer tant les évènements s’enchaînent sans cesse autour de personnages et au sein de récits divers. Le lecteur est invité à suivre trois histoires qui se répondent à différents niveaux et l’on se demande bien quel récit nourrit l’autre. « Tout livre est l’anagramme d’un autre. Peut-être même de plusieurs. Il n’appartient qu’au lexique d’être celui de tous les autres. » (p. 453) Allons plus loin et rappelons l’osmose essentielle entre réalité et fiction : « Il n’y a pas de réalité qui ne s’enracine dans une fiction préalable. » (p. 409) L’île du point Némo, ce n’est qu’une expression de la réalité passée à la moulinette de l’imagination. Un mot sur ce fameux point Némo qui va susciter tant d’interrogations, de recherches et de frissons (Oui, ça en rappelle un autre…) : « C’est le joli nom donné par les scientifiques au pôle maritime d’inaccessibilité, l’endroit de l’océan de l’océan le plus éloigné de toute terre émergée. » (p. 262) Voilà une définition qui colle assez bien avec la création : quel auteur n’a jamais rêvé de produire un texte à nul autre pareil, un texte qui explorerait un pan narratif encore vierge de toute écriture ?

Le récit principal (appelons-le ainsi par commodité) offre une congruence étonnante et réussie entre une atmosphère victorienne et une technologie estampillée 21e siècle, du steampunk à son meilleur ! Au fil du roman, on visite un cabinet de curiosité qui n’en finit pas de faire s’écarquiller les yeux qui ont été ceux d’une enfant émerveillée (Oui, c’est moi, évidemment.) par les romans de Jules Verne, de Sir Conan Doyle ou de Ian Fleming. Car le ton est donné : ce roman est à la fois d’aventure et d’espionnage, mais également policier et d’amour (un peu). C’est aussi une fable écologique et un conte philosophique. L’île du point Némo, c’est surtout un glorieux palimpseste, celui d’un auteur qui a beaucoup lu et dont l’esprit fourmille de personnages et de situations romanesques. « Que reste-t-il dans nos mémoires, sinon un résumé flou et poussiéreux, de ces livres qui ont bousculé notre existence ? » (p. 46) En secouant le tout, en le saupoudrant d’un brin de folie et en l’arrosant d’une grande rasade de second degré, on obtient un texte qui, s’il est foutraque, polymorphe et labyrinthique, n’est jamais insaisissable ou incompréhensible. Parce que ce qui compte, finalement, c’est le plaisir qu’éprouve tout lecteur quand on lui raconte une bonne histoire. Et celle-ci est bonne, foutrement bonne !

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Nuit noire, étoiles mortes

Nouvelles de Stephen King.

Les résumés des quatre premières nouvelles sont une copie de la quatrième de couverture. Pour la dernière nouvelle, inédite en France, il s’agit d’un résumé personnel.

1922 – Un fermier du Nebraska confesse qu’il a assassiné son épouse, avec l’aide de son fils de 14 ans. « L’important, c’était la ferme. Notre ferme. Ma ferme. J’avais assassiné ma femme pour la garder et je n’allais pas l’abandonner maintenant sous prétexte que mon complice idiot et immature s’était mis en tête de se lancer dans une quête d’amour romantique. » (p. 144)

Les rats. Des rats partout. Cette nouvelle est grouillante de vermine animale et humaine. Et la folie n’est pas loin.

Grand chauffeur – Une femme écrivain, violée et laissée pour morte au bord d’une route, décide de se venger elle-même. « Elle regarda le revolver sur sa table de nuit et pensa : Je veux m’en servir. Je veux régler cette histoire moi-même, et vu ce par quoi je suis passée, je mérite de la régler moi-même. » (p. 330)

L’ombre de Quentin Tarantino flotte sur cette nouvelle. On pense à Boulevard de la mort où un conducteur psychopathe tue des demoiselles à bord de son bolide, mais on pense aussi à Kill Bill où une jeune femme se rend une justice implacable. Attention, ça va saigner !

Extension claire – Un cancéreux en phase terminale passe un pacte avec un vendeur diabolique afin d’obtenir un supplément de vie. « Et si vous croyez que je vais me pointer dans quinze ou vingt ans pour empocher votre âme dans mon vieux portefeuille moisi, vous vous gourez. Les âmes des humains sont devenues de pauvres choses transparentes. » (p. 434)

Évidemment, c’est un pacte façon Faust, même si Méphistophélès se tient ici sous un parasol crasseux au bord d’une voie express. Et le pacte renvoie aussi à La peau sur les os : pour se débarrasser d’un mal, il faut toujours le transmettre à quelqu’un d’autre, mais ça demande une haine profonde.

Bon ménage – Une femme découvre qu’elle vit depuis vingt ans avec un serial killer. « On repère les bêcheuses. On les repère de loin. Elles portent des jupes trop courtes et laissent voir exprès leurs bretelles de soutien-gorge. Elles aguichent les hommes. » (p. 521)

Le serial killer est une figure importante de la mythologie nord-américaine. Un peu comme Big Foot. Mais le personnage important de cette nouvelle, c’est l’épouse qui se révèle être une femme de la trempe de Dolores Claiborne ou de Rose Madder. Impossible de ne pas penser également à l’une des nouvelles de Différentes saisons, où un jeune garçon reconnaît en son très vieux voisin un officier nazi.

À la dure – Depuis quelque temps, Brad dort mal. Peut-être parce que sa femme est très malade. « Depuis une semaine, je fais sans cesse le même rêve, mais ce doit être un de ces rêves lucides parce que j’arrive toujours à me réveiller avant qu’il ne devienne véritablement un cauchemar. Sauf que, cette fois, j’ai la vague impression qu’il m’a suivi au réveil. Car il me semble qu’Ellen et moi ne sommes pas seuls dans la chambre. Il y a quelque chose sous le lit. Je l’entends mâcher. » (p. 593)

Les terreurs nocturnes, les peurs du noir et de l’ombre, Stephen King connaît. Il a bien présenté le sujet dans La petite fille qui aimait Tom Gordon. Ici, ça finit moins bien. Ou plutôt, ça ne commence pas bien du tout !

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Stephen King sait rendre hommage à ses maîtres et à ses sources d’inspiration : cinéma, littérature, pop culture, tout cela nourrit l’inspiration du maître de l’horreur. Et c’est toujours un immense plaisir de constater combien cet auteur maîtrise son univers littéraire et combien la cohérence est grande dans son œuvre, les textes se répondant les uns aux autres.

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Billevesée #150

Le Franc, notre monnaie nationale, a été remplacé par l’Euro, monnaie communautaire européenne. C’est désormais la seule monnaie autorisée en France.

La seule ?

Non, un petit morceau de papier résiste encore et toujours à l’envahisseur, j’ai nommé le timbre !

Eh oui, sachez-le, vous pouvez payer vos achats en timbre poste ! Attention, il faut évidemment que le timbre soit neuf, jamais tamponné par les services postaux.

Ce n’est pas une monnaie officielle, mais elle est parfois acceptée par certains commerçants pour des petits achats. Ne vous attendez pas à ce que votre concessionnaire automobile accepte d’être payé en timbres !

Question complémentaire et farfelue : Marianne la timbrée a-t-elle une odeur puisqu’il paraît que l’argent n’en a pas ?

Alors, billevesée ?

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Freedom

Roman de Jonathan Franzen.

Patty a épousé Walter peu après l’université, sans vraiment oublier Richard, le meilleur ami de Walter. « Oh Walter… Savait-il que la chose la plus attirante chez lui, durant ses mois où Patty apprenait à le connaître, était le fait qu’il était l’ami de Richard Katz ? » (p. 106) Pourtant, les Berglund sont heureux. Mère modèle, épouse dévouée et voisine idéale, Patty est une femme au foyer accomplie après avoir été une brillante athlète universitaire, animée par le même esprit de compétition et la même envie de réussir. Quand Joey, le garçon, affiche sa romance avec Connie, la fille des voisins, tout change. « Les gens se disputent quand ils s’aiment, mais qu’ils ont conservé leur personnalité et qu’ils vivent dans le monde réel. » (p. 502) Aux orties le masque de la famille idéale ! Le couple Berglund se déchire : Patty et Richard se cherchent tandis que Walter se jette à cœur perdu dans un projet de sauvegarde animalière, assisté par une trop belle et trop jeune Indienne. Pourtant, Patty aime toujours Walter et Walter aime toujours Patty. « Lui et sa femme s’aimaient et se causaient une douleur quotidienne. » (p. 419)

Attention, choc littéraire ! Jonathan Franzen dissèque la famille américaine moyenne, ce modèle si illusoire et pourtant toujours convoité. L’auteur interroge également le couple comme structure d’emprisonnement et d’abolition des libertés personnelles. « Combien de milliers de fois encore […] vais-je laisser cette femme me poignarder le cœur ? » (p. 392) Sa position est claire : il préfère la liberté, sous toutes ses formes. Liberté de ne pas se marier, liberté de ne pas avoir d’enfant, liberté d’aimer à sa guise, liberté de changer d’avis et de partenaire, liberté de revenir vers son partenaire. Hélas, la liberté est difficile à gagner ou à garder et elle n’est pas héréditaire : à quel point les enfants sont-ils libres de ne pas reproduire les schémas et les chagrins de leurs parents ?

Entre politique et scandale écologique, Freedom présente une thèse qui dérange. Il est déjà notoire que l’homme est l’espèce vivante qui cause le plus tort à son environnement et à celui des autres espèces, la surpopulation menaçant toujours davantage le monde et ses richesses. « Nous en sommes maintenant à un point où toute personne raisonnablement instruite peut comprendre le problème posé par la croissance démographique. La prochaine étape est donc de faire en sorte que les étudiants trouvent cool de s’inquiéter de cette question. » (p. 466) Et s’il devenait évident que la seule façon qu’a l’homme de protéger les ressources naturelles est de cesser de se reproduire ? Sujet sensible, s’il en est et l’auteur se garde bien de répondre définitivement à la question.

La narration de Freedom navigue sur le fil temporel : prétéritions et effets dilatoires donnent au texte une grande densité sans jamais le rendre étouffant. Le récit autobiographique de Patty éclaire les silences et remet les vérités en place, mais il ne prend toute son ampleur et sa puissance qu’avec la suite de l’histoire, plusieurs années après la confession écrite de l’épouse pas si parfaite. « Elle était tombée amoureuse du seul homme au monde qui aimait Walter et qui désirait le protégeait autant qu’elle. » (p. 229) Les personnages sont brillamment complexes sans être jamais confus et leur grande force est de se réinventer sous la plume d’un auteur qui les aime en dépit de leurs défauts. Quant au lecteur, il aime les personnages précisément parce qu’ils ont des défauts. Patty est follement compétitive et vraiment dépressive. Walter est pathologiquement gentil et résolument compatissant. Richard est foncièrement agaçant et profondément cynique. Joey est définitivement républicain et éternellement irrésolu. Et pourtant, aucun d’eux n’est jamais un archétype ou un monstre.

Vous êtes libres de ne pas me croire sur parole, mais Freedom est vraiment un excellent roman.

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La peau sur les os

Roman de Stephen King, paru sous le pseudonyme Richard Bachman.

Billy Halleck a bien réussi : il est associé dans son cabinet d’avocats, sa femme le désire autant qu’avant et sa fille est une adorable jeune personne. Et il pèse plus de 110 kilos. Le poids de la réussite, peut-être. Par mégarde, il renverse un jour une vieille Tsigane et voilà que ce malheureux accident se transforme en malédiction. Billy perd chaque jour deux kilos, alors qu’il mange toujours autant. Si les premiers kilos envolés font du bien à son moral et à sa ceinture, l’amaigrissement devient rapidement inquiétant tant il est inexorable. « J’ai tué cette vieille et maintenant je dépéris peu à peu. » (p. 119) Son entourage refuse de croire à la malédiction et parle de cancer, de dépression, de culpabilité. « Les vieux Tsiganes ne jettent pas de sort. Le vieux Tsigane, c’est l’apparence que votre inconscient a revêtue pour vous punir. » (p. 166) Bill sait pourtant qu’il est dans le vrai et que, s’il veut survire, il doit retrouver le gitan qui l’a maudit et opposer à la malédiction une force d’une puissance égale. Mais où trouver une telle force de haine et destruction ?

Stephen King explore ici les légendes tsiganes et la puissance du mauvais œil que les gitans sont supposés déployer. Mais le plus inquiétant reste le fait que Bill Halleck n’a jamais la maîtrise de son corps, quel que soit l’excès. Quand on a quelques kilos en trop, on rêve parfois d’un régime miracle qui gommerait sans effort les rondeurs disgracieuses. Dans le cas de Bill Halleck, ça vire rapidement au cauchemar : obèse ou décharné, il reste le point de mire et le sujet de conversation Voilà encore un très bon roman, parfaitement dosé en terreur et en interrogations. À se demander si on a vraiment envie de reprendre une part de tarte et de s’approcher du camp de gitans qui vient de s’installer à la sortie de la ville…

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Mygale

Roman de Thierry Jonquet.

Eve est séquestrée par Richard qui la soumet aux désirs d’autres hommes. « Je ferai ce que tu voudras, ensuite. […] / Taisez-vous, vos promesses ne valent rien ! Et vous faites déjà ce que je veux ! » (p. 53) Vincent est séquestré par Mygale. « Mygale car il était telle l’araignée, lente et secrète, cruelle, féroce, avide et insaisissable dans ses desseins, caché quelque part dans cette demeure où il te séquestrait depuis des mois, une toile de luxe, un piège doré dont il était le gardien et toi le détenu. » (p. 77) Alex se cache de la police, au gré des planques et des recherches. Quel lien unit ces trois personnes entravées, empêchées de bouger comme elles le voudraient ? Quelles sont l’histoire, la blessure et la vengeance dissimulées derrière ces trois captivités plus ou moins consenties ?

Je n’en dirai pas davantage. Après avoir traîné des pieds pour lire ce roman, je dois avouer que j’ai passé un excellent moment. La prose est simple, presque simpliste et le style n’a rien d’étourdissant, mais l’intrigue est si bien nouée, si tortueuse qu’on s’attend à voir une araignée s’échapper à toute allure de la reliure, à la voir tomber des pages et à nous courir sur les mains. Mygale fait cet effet : une terreur diffuse et une angoisse sourde qui vous pétrifient et vous empêchent de refermer le livre.

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Billevesée #149

Avec l’automne arrivent les citrouilles et autres courges dont on fait de si délicieuses soupes. Halloween aidant, on peut aussi en faire d’adorables ou hideuses décorations.

Un point étymologique ne faisant jamais de mal, je vais vous remplir la citrouille de choses intéressantes.

(Un peu d’autocongratulation ne fait pas non plus de mal, tant qu’on ne prend pas le melon, qui est une autre courge.)

(Courge toi-même !)

(Voilà, on est deux dans ma caboche…)

Donc, revenons à notre étymologie. Le mot « citrouille » dérive du terme latin « citreum » qui signifie « citron ». En effet, à l’origine, c’est pour une raison de couleur similaire que la citrouille s’est retrouvée avec un nom rappelant un fruit qui n’est pas du tout de son espèce !

Mais il devait s’agir d’une variété à la peau bien pâle… Si j’avais vécu à l’époque latine avec les citrouilles que je connais aujourd’hui, je me serais davantage inspirée de l’orange. Après, les goûts et les couleurs…

Alors, billevesée ?

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Un tour sur le Bolid’

Nouvelle de Stephen King.

Quand le jeune Alan Parker apprend que sa mère a fait une attaque, il quitte l’université sans attendre, bien décidé à rentrer chez lui avant la fin de journée. Hélas, avec sa voiture en panne, sa seule possibilité pour traverser l’état est l’autostop. Et c’est bien connu, on peut faire de bien vilaines rencontres sur la route, la nuit. D’une vieille Dodge bringuebalante à une Mustang dont l’habitacle recèle des odeurs déplaisantes, Alan est confronté à un dilemme terrifiant. « Qui monte dans le Bolid’ et qui reste à terre. Toi ou ta mère. » (p. 55)

Quatre-vingt pages de terreur pure ! Du concentré de Stephen King ! Et toujours, derrière l’horreur, la famille et la tendresse. Parce que même s’il concocte des histoires effrayantes, notre King est un bon gars. Toutefois, si je faisais du stop et qu’il devait s’arrêter, je doute que je monterais en voiture avec lui…

Voilà le genre d’histoire à se raconter ce soir, après avoir récolté des bonbons…

JOYEUX HALLOWEEN, CHERS LECTEURS !

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En route

Roman de Joris-Karl Huysmans.

L’écrivain Durtal, après avoir épuisé ses sens dans Là-bas, se trouve subitement croyant. D’où lui vient ce retour de foi ? « Quand je cherche à m’expliquer comment, la veille, incrédule, je suis devenu, sans le savoir, croyant, eh bien je ne découvre rien, car l’action céleste a disparu, sans laisser de traces. » (p. 77) Et pourtant, il faut bien comprendre comment son taedium vitae a disparu et comment son, âme s’est retrouvée à chercher Dieu. « Durtal a été ramené à la religion par l’art. Plus que son dégoût de la vie même, l’art avait été l’irrésistible aimant qui l’avait attiré vers Dieu. » (p. 85)

Mais en matière de religion, Durtal est aussi exigeant qu’en matière d’art ou de plaisirs charnels : il abhorre la religion bourgeoise de son siècle et les liturgies mâchonnées des églises parisiennes. « Il faut un clergé dont l’étiage concorde avec le niveau des fidèles ; et certes, la Providence y a vigilamment pourvu. » (p. 54) Même s’il fréquente Saint-Sulpice et Saint-Séverin, il ne rêve que de gothiques édifices et de plain-chant médiéval. Dans l’esprit affamé d’exquisité de Durtal, seul le Moyen Âge était digne de célébrer Dieu. « Alors, dans cet admirable Moyen Âge où l’art, allaité par l’Église, anticipa sur la mort, s’avança jusqu’au seuil de l’éternité, jusqu’à Dieu, le concept divin et la forme céleste furent devinés, entr’aperçus, pour la première et peut-être pour la dernière fois, par l’homme. Et ils se correspondaient, se répercutaient, d’arts en arts. » (p. 59)

Durtal est croyant, mais pas encore pleinement converti. « Il fallait pourtant bien étancher le pus de ses sens et expier leurs appétits inexigibles, leurs convoitises abominables, leurs goûts cariés. » (p. 230) Il lui faut s’extraire des fanges où ses désirs le précipitent et lutter contre les incessantes arguties auxquelles son esprit se livre. « Ne vous découragez point, si vous sombrez. Ne vous méprisez pas trop ; ayez le courage d’entrer dans une église, après. » (p. 151) Sur les conseils de l’abbé Grévesin, il accepte de faire une retraite dans une Trappe. D’abord terrifié par la perspective de se couper du monde et d’abolir ses habitudes parisiennes, Durtal rencontre enfin la grâce au milieu des moines, en compagnie de l’oblat Bruno, dans la grande simplicité de la règle bénédictine. « Il y a bien des gens qui vont à Barèges ou à Vichy faire des cures de corps, pourquoi n’irai-je pas, moi, faire une cure d’âme, dans une Trappe ? » (p. 255)

En route est un roman autobiographique, au même titre que Là-bas : Durtal est la figure de papier de l’auteur et il suit le même chemin que ce dernier. Après la tentation du satanisme, Durtal/Huysmans se convertit et le roman est principalement un monologue intime où s’affrontent les tentations sensuelles et la volonté de prière. Après le corps, c’est l’âme qui est au centre des préoccupations du personnage. « Mon âme est un mauvais lieu ; elle est sordide et mal famée. » (p. 271) Durtal bat sa coulpe, lutte contre la brûlure des désirs, rechute, se dégoûte, cherche la voie salutaire et le pardon. La retraite à la Trappe de Cîteaux est l’ultime tentative de guérison. « J’ai l’âme si courbaturée que j’ai vraiment besoin qu’elle repose. » (p. 308) Durtal met ses dernières forces dans ce traitement qui agit, enfin, par un miracle ordinaire : quand le patient veut être guéri et que le remède est disponible, il n’y a aucune raison que ce dernier n’agisse pas. Mais le nouveau croyant saura-t-il rester en état de grâce une fois de retour à Paris ? « Je suis encore trop homme de lettres pour faire un moine et je suis cependant déjà trop moine pour rester parmi les gens de lettres. » (p. 524) Le chemin vers la Foi pleine et entière, débarrassé des doutes et des retours en arrière est encore long. Pour en connaître le terme, j’ai hâte de lire La cathédrale et L’oblat, les deux autres titres qui composent Le roman de Durtal.

En route est également une bibliographie fabuleuse sur la religion, la mystique et la foi. Huysmans présente ici sa bibliothèque et elle pourrait devenir celle de tout croyant. Et, au-delà des textes, il y a l’art en général : peinture, architecture, chant, sculpture, impossible d’échapper à l’immense érudition du critique d’art qu’était Joris-Karl Huysmans. Avec le style riche que j’avais tant apprécié dans Là-bas et Sainte Lydwine de Schiedam, Joris-Karl Huysmans a écrit un superbe texte sur la conversion. Touchée par la poésie des mots – souvent rares, parfois archaïques, quelquefois inventés –, je le suis également par la profondeur et la beauté du propos. Mais, lecteur, si tu n’es pas croyant, ne crains pas de lire ce roman qui illustre à merveille le courant de conversion qui a touché bien des auteurs à la fin du 19e siècle.

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Sargasses – Tome 1

Bande dessinée de Rodolphe Jacquette (scénario) et Al Coutelis (dessin et couleurs).

Sous-titre : Une aventure extraordinaire de Dampierre et Morrison en deux tomes.

Sur le yacht L’Ulysse, le jeune Paul Dampierre profite d’une croisière avec sa fiancée, la jolie Caroline Perceval. Lors d’une nuit de brume, le yacht heurte un cargo et prend l’eau. À bord, c’est la débandade : les canots sont pris d’assaut. Alors que le yacht part à la dérive, il reste deux passagers à son bord, Paul Dampierre et un marin irlandais, Patrick Morrisson. Flottant en aveugle sur des eaux saturées d’algues étranges, L’Ulysse désespère de trouver du secours. « La mer des Sargasses, oui, bien sûr, avec une cité d’épaves, de derelicts… » (p. 13) Après avoir rencontré avec un autre navire à la dérive et son seul survivant à l’esprit dérangé, Dampierre et Morrisson abordent une étrange cité faite de dizaines de navires reliés entre eux. « Dans notre situation, aborder une île, c’est déjà un miracle ! … En plus si elle est habitée… / Ouais… reste à savoir par qui… Si c’est pour tomber sur une bande de zoulous plus ou moins anthropophages… » (p. 31) Voilà la légendaire cité des Sargasses, « ce royaume dont on ne repart jamais. » (p. 36) Si l’accueil est chaleureux, Dampierre et Morrisson soupçonnent d’étranges mœurs et de terrifiants secrets. Il ne fait peut-être pas bon vivre sur cette cité flottante…

Cette légende de marin est traitée ici dans une veine tout à fait terrifiante. Qu’est-ce qui gratte la coque du bateau ? Que dissimulent ces sinistres algues ? La terreur est constante tout au long du récit et le scénario est plutôt bien ficelé, avec un cliffhanger à la fois frustrant et alléchant. Les dessins sont nets et les couleurs sont crues, violentes. Ce n’est pas le style que je préfère, mais le premier tome de Sargasses reste un album au format classique de très bonne facture.

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Billevesée #148

N’en déplaisent aux auteurs amateurs de matous, il est statistiquement avéré que les chats préfèrent la compagnie des femmes, étant plus réceptifs aux attitudes et comportements des dames.

La femme, le meilleur ami du chat ? Sans aucun doute.

Tu as entendu, Bowie ? Tu es censée être réceptive à ma présence et apprécier ma compagnie ! Viens ici tout de suite pour le câlin !

Alors, billevesée ?

Oui, tous les prétextes sont bons pour vous parler de ma minette…

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Le dernier hiver de Dani Lancing

Roman de P. D. Viner.

Dani Lancing, étudiante prometteuse et jeune fille modèle, a été violée et sauvagement assassinée. « Les véritables monstres ne se cachent pas dans les armoires. » (p. 15) Des années plus tard, le coupable court toujours. Pour ses parents, Jim et Patty, tout a basculé quand elle est morte. Patty a abandonné une belle carrière pour se consacrer à la traque du tueur et Jim est hanté par le fantôme de Dani. Quant à Thomas Bevans, le premier amour de la disparue, il s’est juré de consacrer toutes ses forces à la recherche des tueurs de jeunes filles. Et voilà que vingt ans plus tard, les avancées scientifiques laissent espérer une réouverture de l’enquête. Mais, depuis longtemps, Patty a décidé de faire justice seule et se prépare, au cours des derniers jours de décembre 2010, à confondre et punir le meurtrier de sa fille. La vengeance, bien qu’illégale, semble profondément juste ici et elle doit affronter des forces contraires et malveillantes. Hélas, à mesure que les preuves font surface et que la vérité se dessine, le beau portrait de Dani Lancing se craquèle pour révéler une image plus sombre. Les vivants sortiront-ils indemnes de cette course contre le mensonge ?

La narration se plaît à perdre le lecteur en effectuant sans cesse des aller-retour dans le temps, retardant ainsi le dénouement de cette sinistre histoire. L’histoire est plutôt bien écrite et même si certaines ficelles sont assez grosses (j’avais compris la raison de la mort de Dani bien avant la fin), le texte ménage quelques surprises intéressantes. Toutefois, je déplore une fin bien trop rocambolesque et qui accumule jusqu’à l’écœurement des révélations qui finissent par mettre à mal la crédibilité de l’histoire. Sans spolier, ça donne à peu près ça : Machin a fait ça à Truc, alors Truc a fait ça et ça a causé ça chez Bidule qui a alors fait ça et ça a eu un impact affreux sur Machin. Bref, une fin surchargée comme un vilain sapin de Noël qui ploierait sous des décorations de mauvais goût. Donc, même si ma lecture n’a pas été déplaisante, je ne recommande pas ce roman dont, finalement, le seul point à retenir est que, enfant, Dani Lancing, avait un lapin en peluche nommé Galipette. Mais ce détail génial (subjectivité, bonjour !) ne suffit pas à rattraper une mauvaise conclusion.

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Comment tuer un homme

Roman de Carlo Gébler.

Thomas French est le nouvel administrateur anglais des terres irlandaises de Mrs Beaton. Celle-ci veut récupérer les fermages impayés depuis des années ou voir expulser les mauvais payeurs. Mais Thomas French a une stratégie différente : plutôt que d’expulser les tenanciers, il rachète leurs impayés à hauteur de la valeur estimée du terrain, laquelle correspond toujours à la valeur des loyers indus. Il leur offre ensuite un billet pour l’Amérique contre l’abandon pur et simple des terres qu’ils occupaient. La proposition est ingénieuse et Thomas French est certain que les tenanciers endettés verront là une belle façon de se débarrasser de leurs arriérés sans passer par la cour de justice. Mais dans les années qui suivent la grande famine, certains Irlandais ne veulent plus plier l’échine devant l’occupant anglais. C’est ainsi que la loge ribboniste de Beatonboro’ condamne à mort Thomas French, cet Anglais qui ne respecte pas le droit des tenanciers et les traditions. « Votre plus grand péché est de vouloir changer la coutume ancestrale. » (p. 343) Étrangement, pendant plusieurs mois, toutes les tentatives d’assassinat contre Thomas French vont échouer. « C’est plus que de la malchance. On dirait plutôt la providence. » (p. 367) Il faudra pourtant bien que quelqu’un paye. Sera-ce Micky, le régisseur du domaine ? Ou Tim et Kitty, les jeunes amoureux ? Ou peut-être de parfaits inconnus ?

Le Ribbon était une assemblée irlandaise qui recrutait parmi les pauvres et les désespérés et qui menait des expéditions punitives où la justice était aussi sommaire que cruelle. S’il s’agissait de montrer à l’occupant anglais qu’il avait affaire à forte partie, le Ribbon terrifiait également le peuple. « Cogner, tuer, estropier pour faire les importants… et le pire, c’est que c’est principalement à des gens comme nous qu’ils s’en prennent ! Et quand, de temps en temps, il leur arrive de descendre un policier ou un propriétaire, nous sommes censés nous exclamer : ‘Bravo ! Vive l’Irlande !’ » (p. 147) Je ne connaissais pas ces sombres épisodes de l’histoire irlandaise et c’est avec un plaisir mêlé d’effroi que j’ai lu Comment tuer un homme. Adapté des mémoires d’un administrateur ayant eu à subir les foudres du Ribbon, ce texte est porté par un style vif et déterminé, très visuel. Cette histoire a tout pour devenir un film époustouflant et, pourquoi pas, un nouveau chef-d’œuvre de Ken Loach. S’il m’entend…

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Peur Bleue

Recueil de textes de Stephen King.

Dans La nuit du loup-garou, pendant plusieurs mois, à chaque pleine lune, il y a un mort dans une petite bourgade du Maine. À chaque fois, le cadavre est atrocement mutilé, comme dévoré par une bête sauvage. Certains parlent de loup-garou, d’autres sont plus circonspects. « Si vous me demandez s’il s’agit d’un monstre dans le sens qu’il dissimule une bestialité foncière sous un aspect parfaitement normal, là, d’accord, ça ne fait pas un pli. Par contre, vous n’irez pas me faire croire qu’il peut s’agir d’un gus à qui il pousse des poils et qui se met à hurler à la lune. Non. Ce genre de conneries, c’est bon pour les mômes. » (p. 54) Jusqu’au soir où la victime s’en sort et mutile la bête. Car oui, pas de doute, c’est une bête, mais une bête sous laquelle se cache un homme. Et la victime, un jeune adolescent en fauteuil roulant, sait parfaitement qui est cet homme que la lune rend fou.

Simple et efficace, cette nouvelle rassemble douze très courts chapitres qui présentent un schéma similaire : insouciance, peur, attaque, mort. Jusqu’à l’arrivée du jeune héros qui brise la routine et enraye la terreur. Ce n’est pas le meilleur texte de Stephen King, mais il a le mérite d’aller droit au but.

Le livre présente ensuite le scénario du film Peur bleue, inspirée de cette nouvelle. Je n’ai lu que quelques pages : je n’aime pas vraiment lire des scénarios quand je ne connais pas les films. Avec ce livre, j’ai cependant eu ma dose de lycanthropie un certain temps !

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Billevesée #147

« Ça n’a pas fait long feu ! » Tout le monde comprend cette expression : si ça n’a pas fait long feu, c’est allé très vite, comme un feu qui se consume rapidement par manque de combustible.

Mais attention, cette expression n’est pas la négation de l’expression « faire long feu » qui s’explique de la manière suivante.

À l’époque où les armes, principalement les mousquets et les canons, étaient chargées de douilles sans amorces, pour déclencher le tir, il fallait mettre le feu à la poudre. Si la poudre se consumait en fusant au lieu d’exploser, l’arme faisait long feu, ce qui signifiait que le projectile ne partait pas. Donc, l’expression « faire long feu » ne caractérise pas la lenteur, mais l’échec.

Alors, billevesée ?

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Pan-Pan le lapin blanc

Roman de Walt Disney.

Pan-Pan, le petit lapin blanc, s’ennuie dans son terrier. Il rêve d’aventures, mais sa maman est toujours derrière lui à le surveiller. Un matin, il décide de filer et de voir s’il y a des choses plus intéressantes de l’autre côté de la montagne. « Moi, je cours droit devant moi, le plus loin possible, sans me retourner. »(p. 14)Mais à peine a-t-il quitté sa vallée qu’il est pris en chasse par des chiens. Il court, il court et il s’épuise. Alors qu’il commence à perdre espoir, il aperçoit une ferme et se réfugie derrière ses murs. Là, il rencontre Gus et Jac, deux souris qui ont fort à faire pour échapper au vilain chat Lucifer. « Personne n’est donc jamais tranquille dans ce pays. Il y a toujours quelqu’un pour se lancer à la poursuite d’un autre. » (p. 42) Pan-Pan va aider ses amies souris à se débarrasser du chat, mais il lui faut aussi détourner les chiens de chasse de sa trace. Le petit lapin arrivera-t-il à rentrer chez lui ?

Dans Bambi, Pan-Pan n’est pas entièrement blanc, mais passons sur ce détail. Il n’était que justice de consacrer une histoire à ce charmant petit héros. Mais celle-ci est passablement violente : il y a des morts, du sang et de la haine. Ces trois mots reviennent assez souvent dans le texte. Pan-Pan se montre très agressif quand il s’agit de défendre ses amis : Lucifer n’est certes pas un charmant compagnon, mais il souffre cruellement des vengeances du petit lapin. Voilà donc un exemplaire bien singulier de la Bibliothèque rose. Et je préfère me souvenir du gentil lapin qui tape de la patte arrière et qui tombe amoureux d’une jolie lapine.

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À pas aveugles de par le monde

Texte de Leïb Rochman.

La guerre est terminée. S. revient dans sa ville et retrouve les restes dévastés de ce qui fut son ghetto. « Il savait que les siens n’étaient pas là. On les avait triés, avec leurs parents, parmi les voisins. Une main d’homme s’était abaissée et les avait désignés du doigt. » (p. 20) S. voudrait se souvenir de tous les noms et de tous les visages de ce qui ne sont pas revenus des Plaines. « On les chassait à coup de fouet dans les flammes où leurs ombres s’écroulaient en cendres. » (p.61) Incapable de rester là où les siens ne sont plus, il entreprend une errance indéfinie, ses pas rejoignant le cortège des survivants. « Il marchait sur les traces de sa communauté perdue – sur leurs traces effacées. » (p. 166)

Ceux-là qui marchent à travers l’Europe, ce ne sont pas des revenants, ce sont des revenus de loin. Il y a Leibl et son épouse Esterké. Il y a la petite fille aux paumes brûlées. Il y a la danseuse à la jambe brisée. Il y a le Dr Scheter, le bibliothécaire qui voudrait dresser la liste de tous les ouvrages sauvés des flammes. Il y a les jumelles qui ne peuvent dormir qu’en s’accrochant l’une à l’autre. Ceux-là qui ont survécu faisaient partie du peuple élu par Dieu. Peuvent-ils encore prétendre à cette élection ? Si oui, où aller ? Où est la terre promise ? Israël est-elle la réponse à la question posée par l’errance ?

Impossible de tout dire de ce monument de la littérature yiddish qui, lui-même, tente de tout dire de la Shoah. Les Plaines, c’est le nom que l’auteur donne aux camps de la mort. Trompeuse image faussement bucolique. Ce qui a eu lieu dans les Plaines, c’est la tentative d’effacer une identité : S. ne se reconnaît plus puisqu’il est seul. « J’appartenais à une espèce qui ne relevait plus des cimetières. Une espèce qui s’effondre sur les routes y menant, mais dont les tombes restent désertes à jamais. » (p. 274) Avec son identité amputée, réduite à une initiale, il ne sait s’il est la fin ou le commencement du nouveau peuple.

Si S. est le personnage qui revient le plus souvent, l’auteur aussi prend la parole au sujet du texte qu’il écrit. Faut-il dire ou taire l’Anéantissement ? Est-il juste ou cruel d’évoquer les morts et les mémoires perdues ? « Il était le dernier scribe de son temps. Il devait tout inscrire pour l’avenir. S’il ne le faisait pas, il n’y aurait plus personne pour le faire. » (p. 636) Mais est-ce aux seuls survivants d’écrire l’Anéantissement ? « Ce n’est pas lorsque les victimes écriront leurs mémoires que le monde sera délivré des bourreaux, c’est lorsque les bourreaux eux-mêmes les écriront. Mais eux n’écrivent pas. Lorsqu’ils écriront, ils cesseront d’être des bourreaux. Écrire signifie comprendre. […] Ce n’est qu’une fois qu’il se mettra à écrire qu’il comprendra sa victime : comprendre signifie sentir, sentir sa victime et sa douleur. » (p. 714) Le pouvoir de l’écriture n’est plus à démontrer : la force du texte est telle qu’elle peut pardonner l’Anéantissement tout en n’oubliant jamais qu’il a eu lieu. Se souvenir, oui. Condamner, non. « Le vieux rabbin protesta : infliger des souffrances aux bourreaux, quel sacrilège ! » (p. 211)

Outre cette obsession du témoignage, il y a l’obsession de la procréation, de la reproduction et du repeuplement. Sans cesse, S. pense aux femmes qui n’ont pas accompli leur destin de mère, aux semences qui n’ont pas été déposées dans les ventres féconds. Les Plaines ont fait des millions de morts, mais elles sont surtout coupables d’avoir assassiné des milliers de générations à venir. « Ce n’était pas seulement son sort à lui, celui de sa souche calcinée, c’était le destin aboli de toutes les générations à venir sur cette terre. » (p. 81) S’ouvre alors le tribunal rabbinique. « Le prévenu est S. […] Depuis son retour de là-bas, il va par le monde, muet. Il déambule et abolit sa postérité, il perturbe la marche du monde. » (p. 339) On ne juge pas les bourreaux, mais les survivants qui refusent d’accomplir la vie, de faire fructifier de ce que les Plaines ne leur ont pas arraché. Mais comment vivre quand la peur ne disparaît pas et que l’incrédulité a remplacé l’espoir ?

Il est évidemment question de la culpabilité du survivant, cet étrange dégoût de celui qui n’a pas disparu. « Je ne pouvais me pardonner ma présence parmi les hommes. Elle était toujours suivie d’un sentiment de remords. » (p. 265) Pas uniquement la culpabilité du survivant, mais l’incompréhension : pourquoi avoir survécu quand tant sont morts ? Et surtout, désormais, qu’est-ce que cela signifiera de mourir sans être exécuté dans les Plaines ? « La douleur de mourir dans son lit après toutes ces épreuves, alors qu’il était désormais permis de vivre, était plus insupportable que la douleur de disparaître avec les autres jadis. » (p. 685) Mourir semble avoir pris un autre sens : on ne meurt plus de la même façon depuis les Plaines. « Il lui semblait à la fois triste et insignifiant de mourir sans être exterminé. » (p. 51)

À pas aveugles de par le monde est un texte protéiforme qui mêle différents registres de langue et différents genres littéraires, comme si, pour dire l’innommable, le texte traditionnel ne se suffisait pas à lui-même. Dans les Plaines, plus qu’un peuple, c’est une voix qu’on a essayé de faire taire : puisqu’elle a survécu, elle ne se taira plus jamais et elle investit désormais tout le champ littéraire. Élégie, roman, témoignage, légende, mythe, pièce de théâtre, fantasmagorie, le texte de Leïb Rochman est une lancinante évocation/invocation menée au nom des disparus. Ce récit hybride pourrait être pesant, mais il évoque de glorieux décombres et il est étonnamment lumineux, notamment le chapitre consacré au procès des livres écrit dans un registre résolument tourné vers le réalisme magique. Ce texte jamais n’accuse, jamais ne condamne, jamais ne se lamente. Probablement parce que l’accusation, la condamnation et la lamentation sont vaines après les Plaines. Désormais, ce qu’il faut tenter, c’est la vie, à reconstruire au nom des morts.

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Charly 9

Roman graphique de Richard Guérineau, d’après le roman de Jean Teulé.

À vingt-deux ans, Charles IX est encore un enfant manipulé par sa mère, Catherine de Médicis. Aujourd’hui, ce que veut la reine mère, c’est la disparition des protestants et elle exhorte son fils d’accepter un bain de sang qui deviendra le tristement célèbre massacre de la Saint-Barthélémy. « Je croyais que, lundi, on avait marié ma sœur Marguerite au protestant Henri de Navarre en signe de réconciliation entre les deux religions. En fait, vous voudriez faire tuer tous les chefs huguenots venus de la France entière pour assister à la noce ? / Ben justement… puisque toute l’aristocratie se trouve réunie à Paris, on s’est dit que ce serait dommage de ne pas en profiter. » (p. 5) Nullement opposé aux protestants, mais acculé par sa mère et pressé par ses conseillers, Charles IX consent au massacre et prononce cette phrase qui entre dans la légende : « Tuez-les, mais tuez-les tous ! Qu’il n’en reste pas un seul pour venir un jour me le reprocher ! » (p. 16) Et c’est ainsi que le 24 août 1572, les rues et les eaux de Paris se teintent de sang. Traumatisé par la macabre décision qu’il a dû prendre, Charles IX sombre dans le remords et la folie et tente de s’étourdir à la chasse ou dans les vers des poètes. Mais partout, tout le temps, il ne voit que du sang et c’est ainsi qu’il meurt, vidé par une mortelle suée d’hémoglobine. « C’est tout le sang que j’ai fait verser qui ressort de ma peau. » (p. 106)

Le dessin est vigoureux et dynamique : ce roman graphique n’est pas pour les mauviettes ! La couleur sang domine : Charly 9, c’est un peu Cinquante nuances de rouge. Vermillon, carmin, grenat, écarlate, pourpre et j’en passe ! Ça gicle, ça dégouline et ça tache. Le texte a la verve gouailleuse de Jean Teulé et l’humour noir de cet auteur fait parfois surgir une bouffonnerie grotesque au milieu de la sauvagerie. C’est le cas des quelques planches au style emprunté à de célèbres dessinateurs de bande dessinée. Hommages à Hergé ou à Peyo, ces intrusions intertextuelles allègent l’atmosphère pesante et macabre de l’histoire de Charles IX, roi faible pris à la gorge par la culpabilité et la politique intransigeante de sa mère.

Jusqu’à présent, pour moi, Charles IX avait les traits de Jean-Hugues Anglade dans le film de Patrice Chéreau. Le roman graphique de Richard Guérineau donne une autre dimension à ce roi maudit. Il ne me reste qu’à lire le roman de Jean Teulé.

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Billevesée #146

Mes sœurs fêtent leur anniversaire aujourd’hui ! Bon anniversaire les grumelles ! Pour fêter ça, je vous présente quelques jumeaux/jumelles célèbres.

  • Ashley et Mary-Kate Olsen, tristement célèbres actrices américaines
  • Igor et Grichka Bogdanoff, effrayants animateurs de télévision
  • Rosie et Jenny, connues sous le nom des Dolly Sisters, fameuses chanteuses américaines
  • George et Fred Weasley, roux jumeaux de la saga Harry Potter

Alors, billevesée ?

Ben quoi ? Vous ne pensiez quand même pas que j’allais publier une photo de mes sœurs ?

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Alaska

Roman de Melinda Moustakis.

Au fil des générations, au fil de l’eau de la rivière Kenai, une famille vit tant bien que mal au rythme des hivers interminables de l’Alaska. « Ils luttent contre la rivière, les pierres, les ours, l’hameçon et la ligne. » (p. 16) Zacharias, Colleen, Kitty, Ben, Gracie, Jack, ces enfants ont très tôt appris que la nature est belle, qu’elle donne beaucoup, mais qu’elle demande également beaucoup. Il en va de même de la famille : pour y faire sa place, il faut se battre, se dresser contre les plus forts et ne pas avoir peur de réclamer plus que sa part, pour soi et pour le plus faible que l’on veut protéger. « La vérité, c’est qu’il y a des grizzlys, il y a des poings, des bouteilles et des ceintures. Il y a des choix : faire le mort ou se cacher. » (p. 63) Ici, les femmes sont aussi dures au mal que les hommes : pas question d’être une petite nature face à cette Nature, à la fois hostile et sublime. Quel que soit l’âge ou le sexe, il faut s’endurcir, faire sa part, encaisser les coups qui tombent, immuables comme la neige, savoir les rendre et supporter les rigueurs de l’hiver et de la vie.

Ce texte tient davantage du recueil de chroniques que du roman : pas de linéarité temporelle ou narrative, car il s’agit plutôt d’évoquer des atmosphères et de peindre des scènes qui oscillent toujours entre le drame et la cocasserie. En effet, que dire des innombrables accidents de pêche et des hameçons qui se fichent partout sur le corps ? Alors que les mères n’ont de cesse de dire à leurs filles qu’elles ne seront jamais aussi fortes qu’elles, les fils doivent lutter contre les poissons et l’attrait trop facile de la bouteille. « La Californie t’a ramollie, dit-elle quand je lui rends visite. / Et je pense toujours, l’Alaska t’a rendue cruelle. Mais je ne le dis jamais. » (p. 189) Dans un décor où les nuits sont longues comme cent jours et les jours longs comme cent nuits, la folie n’est jamais loin et la tentation de la violence et de l’alcool est parfois trop forte.

Alaska présente un bestiaire quasiment légendaire, en tout cas emblématique du Grand Nord américain : on voit des grizzlys, des truites Dolly Varden et des saumons qui luttent contre le courant, des aigles, des élans, des baleines et des chiens de traineau. Avec ce premier roman, Melinda Moustakis entre d’un bond dans la cour des grands auteurs de nature writing. Impossible de ne pas penser à David Vann, publié chez le même éditeur, surtout à Désolations. Impossible surtout de ne pas attendre avec impatience le prochain texte de cette jeune auteure, en espérant qu’il sera aussi juste, aussi puissant et aussi percutant qu’Alaska.

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Cellulaire

Roman de Stephen King.

Un 1er octobre comme tant d’autres, l’Impulsion a changé la face du monde. Toutes les personnes s’étant servi de leur téléphone cellulaire ont reçu cette impulsion et se sont transformées en zombies agressifs. « Dès qu’on passe un appel ou qu’on décroche, on reçoit… comment dire ? Une sorte de message subliminal, j’imagine… un message qui vous rend cinglé. On dirait de la science-fiction, mais je suppose qu’il y a quinze ou vingt ans, on aurait pris les portables tels que nous les connaissons aujourd’hui pour de la science-fiction. » (p. 62) Les rares personnes épargnées tentent d’échapper aux hordes de « siphonnés » qui les attaquent pour les dévorer. Les jours passants, les siphonnés se calment et se rassemblent pour mettre en place un nouvel ordre, sans se parler, uniquement sous la poussée d’un esprit de groupe. « Ils nous ont mentalement trafiqués. Et pas qu’un peu. Nous n’avions aucune chance. » (p. 324) Tout cela n’est pas du goût de Clay, Tom, Alice, Jordan et quelques autres. D’après la rumeur, il existerait un endroit si isolé qu’aucune onde téléphonique n’y parvient. Est-ce là qu’il faut se réfugier ? Si oui, pourquoi les siphonnés encouragent-ils les normaux à s’y rendre ? « Restons-en à l’idée que l’homme est parvenu à dominer la planète grâce à deux traits essentiels : le premier est l’intelligence, le second est sa volonté absolue d’éliminer tout ce qui voudrait se mettre sur son chemin. » (p. 188 & 189)

L’auteur a dédicacé son roman à l’écrivain Richard Matheson et au cinéaste George A. Romero. Sous ce haut patronage de science-fiction et d’horreur, il faut surtout voir un lecteur/spectateur qui reconnaît ses influences et salue ses maîtres. Je suis une légende de Richard Matheson évoque une humanité infectée par un virus qui n’est plus composée que de vampires. Quand le monstre devient la norme, la normalité devient monstrueuse et le dernier homme sur terre n’a plus droit de cité. La nuit des morts vivants de George A. Romero présente une réflexion similaire : le vivant est-il tout puissant ? Est-il la norme ? Le monde peut-il tomber entre les mains des morts ?

Pour en revenir à Cellulaire, faut-il le lire ? Oui, sans aucun doute. Et le plus effrayant, finalement, ce ne sont pas les zombies qui essayent de vous bouffer les guiboles, ce sont surtout ces petits objets dont on peut si mal se passer, vous savez, les téléphones portables…

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Mourir un peu

Essai de Sylvie Germain.

« Partir, dit-on, c’est mourir un peu. Mais partir d’où, pour aller où et qu’entend-on par ‘mourir un peu’ ? Comment le verbe mourir peut-il s’accommoder d’un adverbe de quantité alors qu’il désigne un évènement à chaque fois unique, définitif, absolument inquantifiable ? » (p. 9) Sur ces interrogations s’ouvre le texte de Sylvie Germain. Le mouvement est le symbole de l’existence. Partir, c’est donc mourir à soi-même et aux autres puisque le mouvement est transformation, élan, métamorphose. Seul le gisant ne peut plus mourir. Mourir, c’est ainsi devenir. Le marcheur, celui qui se meut, est en fait un mourant qui fait acte de vie. Dans cet accomplissement du vivant, il convient de célébrer les pieds, acteurs du mouvement, lien de l’homme à la terre, à la fois racines et ailes. « Le pas, la voix, le souffle – c’est la vie qui va, qui se meut, palpite. » (p. 65)

Pourquoi faut-il mourir ? Pouvons-nous l’expliquer par la présence de Dieu ? Et pouvons-nous prouver l’existence de ce dernier ? « Il nous arrive aussi de déclarer forfait face à l’imbroglio des questions restées sans réponses satisfaisantes tant elles sont contradictoires au sujet de Dieu, et de clore l’enquête en estimant l’avoir menée à son terme. » (p. 36 & 37) Qui, sinon le Christ, peut mieux incarner nos questionnements sur Dieu et sur la mort, lui qui est revenu à la vie ? « Le Christ mort, lui, espère toujours en Dieu, et il continue à le louer. […] Parce que jusque dans la mort, il demeure un vivant, un fidèle, un célébrant. » (p. 103) Pour l’auteure, c’est la foi raisonnée qui maintient la vie, autant que l’amour et le doute. Le fanatique est éloigné de Dieu et de la vie, car sa foi est figée, sans élan.

Cette poétique exégèse n’est pas un texte sur la mort, mais une réflexion sur le mouvement et la pulsion de vie : la mourance – l’acte de mourir – étant fondamentalement la mouvance et donc l’existence. Je suis bien loin de rendre un juste hommage à ce très beau texte, riche en questionnements et qui laisse au lecteur le soin de trouver ses propres réponses, mais c’est avec un plaisir non dissimulé que j’ai retrouvé la plume exigeante de Sylvie Germain. Son style imagé et profond m’enlace toujours et me porte vers les terres fécondes de la vraie littérature.

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Pathologie du lapin

Essai vétérinaire de Gustave Lesbouyries.

Éminent spécialiste des animaux de compagnie, Gustave Lesbouryries dresse ici un traité complet sur les affections touchant les lapins. Son ouvrage se divise en cinq grandes parties : les troubles de la reproduction, les maladies des lapereaux, les maladies générales, les tumeurs et les intoxications. On y apprend qu’un lapin peut être frigide, ce qui démonte un cliché largement partagé. On y découvre également qu’il existe une forme de syphilis propres aux lapins : c’est sûr, à force de tremper sa carotte partout, on attrape des champignons ! N’oublions pas la myxomatose qui fait les yeux rouges et pas uniquement sur les photos.

Agrémenté de croquis, de photos et de dissections, ce livre étudie les symptômes, établit des pronostics et conseille des traitements pour soigner les petits lapinous en mauvaise santé. Voilà donc un document à réserver aux vétérinaires ou aux éleveurs de pinpins. Pour ma part, si je l’ai lu, c’est parce que je prends très au sérieux mon challenge Totem.

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Billevesée #145

Le retour de flamme est un phénomène dangereux puisqu’il s’agit de la remontée de la flamme dans le brûleur, d’où une possibilité d’explosion ou de brûlure.

Dans le langage courant et imagé, le retour de flamme est un peu comme le retour de bâton, à savoir que l’on récolte ce que l’on sème quand le grain est pourri. (Je suis la reine des métaphores aujourd’hui !)

Un exemple ? L’illustration fera ça très bien !

Alors, billevesée ?

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Aio Zitelli ! – Récits de guerre 14-18

Bande dessinée de Frédéric Bertocchini (scénario) et d’Inaki Holgado (dessin).

À la fin de l’été 1914, la mobilisation générale appelait les Français sous les drapeaux. Tous les Français, même les insulaires. Les Corses mobilisés, pour certains, quittaient pour la première fois leur île. Parmi eux, il y a des vieux et des enfants, aucun n’imaginant ce qui les attend alors qu’il y a tant à faire au pays, les labours et le reste. La guerre se charge rapidement de faire tomber les illusions. « Nous n’étions pas des assassins… C’était eux ou nous… Pas des assassins… Eux ou nous… Putain de guerre ! » (p. 25)

Les tranchées, le froid, la faim, la vermine, tout cela a déjà été écrit et lu, mais ici, on parle des poilus corses qui, dans certaines missions, se sont illustrés. Quelque part dans les Vosges, une plaque leur est dédiée, à eux qui ont quitté une île de soleil pour se battre dans la neige et creuser des galeries sous les tranchées ennemies. « On nous appelait ‘les Corses’, alors que c’était pour la France que nous nous battions. Nous étions misérables. Désespérés. Mais fiers. » (p. 19)

Cette bande dessinée m’a rappelé Le bataillon créole de Raphaël Confiant qui raconte comment d’autres iliens ont tout quitté pour défendre la métropole, laissant des familles qui devaient faire face à l’absence des hommes, à l’incertitude et au chagrin. Il est manifeste que l’auteur s’est grandement documenté pour écrire son scénario : les noms, les situations et les lieux sont véridiques, certaines paroles également, et tout cela rappelle que si la guerre peut être un sujet de fiction, elle reste avant tout marquée du sceau de la réalité.

L’image est très dynamique et si la mort est très présente, il n’y a aucun étalage inutile de violence et de douleur. Bien que sobre, le dessin est doté d’une belle force évocatrice, quelques coups de crayon suffisant à en montrer beaucoup. Les chapitres parlent des vivants, des morts et des rescapés, sur le mode de la lettre envoyée ou reçue. Le dialogue a toujours lieu avec l’absent, celui qui est prisonnier de la tranchée ou de la geôle ou celui qui est resté au pays, chacun éprouvant une solitude déchirante et un manque incommensurable, bravement dissimulés sous un masque de courage et d’espoir.

J’adresse toutefois un reproche à cet ouvrage : chaque chapitre se concentre sur un personnage pendant quelques courtes pages et l’abandonne au chapitre suivant. Il est donc difficile de s’attacher à une figure et de la suivre. Certes, les victimes de la guerre ont mille visages et mille douleurs, mais le découpage de cette bande dessinée est trop haché à mon goût. Et s’il permet une progression temporelle dans les années de la guerre, il ne m’a pas laissé le temps de saluer chacune des figures choisies par l’auteur.

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Jude l’obscur

Roman de Thomas Hardy.

Jude Fawley, abandonné par son père, est élevé par une vieille tante acariâtre qui a peu d’espoir pour lui. Décidé à être aussi savant que son ancien professeur, M. Phillotson, il apprend seul le latin et le grec. Il ambitionne d’entrer dans un collège de Christminster, d’obtenir son doctorat, puis d’entrer dans les ordres et, pourquoi pas, d’accéder à l’épiscopat. Mais ses ambitions ne sont pas à la mesure de ses moyens et, dans les austères écoles de la ville, personne ne veut d’un pauvre autodidacte. Pour gagner sa vie, il devient tailleur de pierre, sans abandonner ses rêves de savoir. Ses grands projets sont définitivement contrariés par les femmes. Son premier mariage avec Arabella est un fiasco et son amour pour sa belle cousine Sue est une souffrance permanente puisque celle-ci refuse de se donner à un homme ou de subir les liens du mariage.

Jude est un homme ambitieux, mais dont la faiblesse de caractère et de volonté l’entraîne souvent à contre-courant de ses désirs. « Vous êtes Joseph, le rêveur des rêveurs, cher Jude, et un Don Quichotte tragique. Et parfois vous êtes saint Étienne qui, pendant qu’on le lapidait, voyait les cieux s’ouvrir. Oh ! mon pauvre ami et camarade, vous souffrirez encore ! » (p. 249) Sans cesse contrarié dans ses projets, Jude est une figure du renoncement et de l’effacement. Il est obscur, car il n’accède pas à la gloire et ne baigne pas dans les lumières de la connaissance. Matériellement contraint à une existence de labeur et de honte, il ne s’illustre en rien et sa brève rébellion face aux convenances est rapidement étouffée.

Ce roman est une critique acerbe du mariage, institution quasi carcérale qui bride et malmène les véritables inclinations du cœur. « Leurs vies étaient gâchées […] par l’erreur fondamentale de leur union, par le fait d’avoir établi un contrat permanent sur un sentiment temporaire. » (p. 88) Une fois pris au piège d’une union consacrée, les personnages sont tenus par la morale de ne pas éprouver ou manifester de sentiments pour d’autres êtres que leur conjoint. Et c’est là le drame de Jude et Sue qui, respectivement mal mariés, ne peuvent pas jouir de la tendre affection qui les lie. Sue peut sembler être une terrible capricieuse face à un Jude soumis et conciliant. « Vous ne me cédez en rien et je dois vous céder en tout. » (p. 295) Mais son horreur de la chair et du devoir marital n’est pas une affectation, c’est l’expression désespérée d’un profond besoin de liberté, liberté qui n’est hélas pas admise ou tolérée par l’Église ou la société. La seule figure libre et heureuse est Arabella, épouse et mère indigne qui, si elle ne soucie guère des convenances, ne les affrontent pas et se contente de louvoyer habilement dans le vice et la facilité.

Le triste destin de Jude m’a rappelé celui de Tess d’Urberville, autre personnage de Thomas Hardy qui apprit à ses dépens le prix de la liberté. Mais Jude l’obscur est bien plus pessimiste : Tess trouve la rédemption et la paix alors que Jude finit misérable et haï, et que seule Arabella tire son épingle du jeu. C’est donc un roman terriblement sombre dans lequel il fait bon perdre pied et toucher du doigt la lugubre condition des hommes qui se heurtent à la morale.

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Le bruit des trousseaux

Texte de Philippe Claudel.

Pendant plusieurs années, l’auteur a été professeur de français en maison d’arrêt. En peu de pages, en peu de mots, dans des phrases courtes et pudiques, il raconte les relations avec les détenus et les gardiens, ses réflexions sur son engagement auprès de la population carcérale. « Moi-même, que suis-je venu faire en prison pendant si longtemps, sinon acheter à crédit ma part de sommeil du juste ? » (p. 56) Il interroge ses motivations, ne cache pas la fatigue qui, à la longue, a usé sa volonté d’aider. L’auteur ne fait pas de grands discours et préfère la description à la démonstration. Il dit clairement qu’il ne sait pas tout et que son texte n’est ni un récit, ni un journal. C’est peut-être une déposition, en tout cas un témoignage pas tout à fait complet. « Et puis, ce qui alourdit mon faux témoignage, c’est que je n’ai connu la prison que d’un seul côté. » (p. 116)

Navigant entre le dedans et le dehors, Philippe Claudel n’est cependant pas le chaînon manquant entre la prison et le monde libre. Ces deux mondes sont cloisonnés : si la première rêve du second, le second fait de son mieux pour ignorer la première. Et l’auteur ne peut pas prétendre qu’il comprend ce qui se passe entre les murs et derrière les barreaux. « Mon temps terminé, je sortais de la prison. Je ne sortais pas de prison. Jamais je n’ai senti aussi intensément dans la langue l’immense perspective ouverte ou fermée selon la présence ou l’absence d’un simple article défini. » (p. 34) Le bruit des trousseaux m’a parfois rappelé Longues peines  de Jean Teulé, mais là où ce dernier essayait de construire des histoires et des personnalités, Philippe Claudel se contente d’éclats de texte et de visages entraperçus, comme une ultime tentative d’offrir un peu d’intimité à ceux qui en sont privés.

S’il était besoin, Philippe Claudel prouve une nouvelle fois l’immense respect qu’il a pour les êtres cabossés, qu’ils soient de papier ou de chair menottée.

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Le petit lapin bleu et le médicament miracle

Album jeunesse de Jacques Thomas-Bilstein. Illustrations de Carlos Busquels et Maria Angeles Batlle.

En rentrant de l’école, Fleuron, le petit lapin bleu, apprend que son papa est très malade et que la fièvre ne veut pas tomber. Il lui faut un médicament que seul le pharmacien qui vit de l’autre côté de la forêt peut préparer. « Il faudrait ces médicaments au plus tôt pour ton papa. Je te fais confiance, Fleuron. » Sans attendre, Fleuron se met en route et il court à travers bois. Arrivé chez le pharmacien, il n’a pas le temps de se reposer. Dès qu’il a le remède, il repart de plus belle dans la nuit. Ouf, il arrive à temps et son papa est guéri !

Cette jolie histoire d’aide et de courage est évidemment à mettre entre les petites mains de tous les jeunes lecteurs. Oublions le fait que la maman de Fleuron a une méduse morte sur la tête et considérons le reste des dessins : ils sont richement colorés et ont un charmant côté suranné. Et l’histoire m’a rappelé le dessin animé Le voyage d’Edgar dans la Forêt magique, de Charles Grosvenor, que je vous conseille vivement !

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