Le diable tout le temps

Roman de Donald Ray Pollock.

De son père, Arvin garde le souvenir d’un homme rendu fou de chagrin par la maladie incurable de son épouse. Il ne peut pas non plus oublier les interminables heures passées sous le tronc de prières, macabre totem élevé à la gloire d’un Dieu sourd et absent. « Aussi loin qu’il pût se souvenir, son père lui semblait avoir passé sa vie à combattre le Diable, tout le temps. » (p. 10) À Knockemstiff, la dévotion est fanatique et la monstruosité à tous les visages. Elle a celui de cet avocat cocu et humilié. Elle a aussi ceux de deux prédicateurs assassins et en cavale. Elle a surtout ceux de ces deux automobilistes qui nourrissent une fascination perverse pour les autostoppeurs. Dans cette portion d’Amérique, le diable est partout, tout le temps.

Ce premier roman aurait pu être écrit à quatre mains par Quentin Tarantino et David Lynch. Macabre, morbide, sanguinolent, blasphématoire, ce texte combine des mythes américains pour en faire des cauchemars éveillés. C’est avec fascination que le lecteur regarde les membres de cette humanité dévoyée cohabiter et s’entrechoquer. Plus les pages se tournent, plus il semble évident qu’il est vain de lutter contre l’horreur et qu’il faut laisser la sauvagerie prendre le dessus. Le diable tout le temps ne peut pas laisser indifférent : soit il révulse son lecteur, soit il le charme par sa beauté perverse. Je suis du deuxième type. Mais ce genre de littérature est à consommer avec modération.

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Billevesée #136

La pierre à aiguiser rend leur tranchant aux lames que l’on frotte sur l’une de ses faces.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, ce genre de miracle de la nature me laisse totalement pantoise.

Alors, billevesée ?

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La ciociara

Roman d’Alberto Moravia.

Cesira est née à la campagne. Mais cette ciociara, cette paysanne, marche la tête haute. « J’ai toujours été fière et il m’en faut peu pour que le sang me monte à la tête. » (p. 7) Après son mariage, elle suit son époux à Rome et s’occupe avec lui de leur magasin. Voilà toute sa fierté : son petit commerce, la propreté de sa maison et la beauté de sa fille Rosetta. La belle Cesira devient veuve assez tôt, mais l’amour ne l’intéresse pas : elle se consacre exclusivement à sa fille. Hélas, la Seconde Guerre mondiale fait éclater le quotidien tranquille des deux femmes. Pour se mettre en sécurité, elles quittent Rome pour la campagne, ne sachant pas alors qu’elles vont tout perdre et même ce qui n’a pas de prix. « Nous étions comme ces montres arrêtées depuis longtemps qu’on n’en finit plus de remonter, car le ressort est tout à fait détendu et n’a plus la force de se remettre en mouvement. » (p. 306)

Les malheurs de la ciociara et de sa fille ne m’ont pas vraiment intéressée. C’est très certainement dû au style et à la narration : le récit fait par Cesira semble ininterrompu et se déroule au fil de ses pensées, ce qui en fait parfois un ensemble indigeste. Quant à lire un autre roman au sujet de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci ne me marquera pas bien longtemps.

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Billevesée #140

Un nombre premier est un nombre qui, pour rester entier, ne peut être divisé que par 1 ou par lui-même . À première vue, il semble donc évident que tous les nombres premiers sont impairs puisqu’un nombre pair peut être divisé par 2. Donc, 1, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31, etc. sont des nombres premiers.

Mais le nombre 2 est également un nombre premier puisqu’il ne peut être divisé que par 1 et par lui-même, à savoir 2 !

Alors, billevesée ?

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Toute la noirceur du monde

Roman de Pierre Mérot.

« Au fond, jusque-là, ce qui m’avait manqué, c’était de n’avoir pas pris conscience que j’étais une saine pourriture ou, plus banalement, comme beaucoup d’autres, une personne activement immorale, opportuniste, avide, terrestre, se foutant pas mal de ses semblables, douée d’indifférence ou de mépris à leur égard, prête à les écraser pour jouir, faire de l’argent, obtenir des distinctions ou une position dominante quelle qu’elle soit. » (p. 13) Jean Valmore est un enseignant cynique et un écrivain raté. La cinquantaine bien entamée, le foie bien attaqué et l’esprit bien dérangé, il prend sa carte au sein d’un tristement célèbre parti d’extrême droite. L’attrait intellectuel premier est rapidement remplacé par une folie meurtrière qui va s’exercer à l’aveugle, la lucidité faisant naufrage. « Au fond de moi, il y a un tueur… Il bouge… » (p. 57)

La préface de l’auteur est d’une grande intelligence : les sots s’en offusqueront, mais uniquement parce qu’ils sont aveugles à la réalité. Et pour ceux qui n’ont pas peur de regarder cette dernière en face ? Le personnage narrateur n’est pas plus tendre avec eux et, au fil de sa confession – puisque c’est de cela qu’il s’agit –, il les fustige avec le mépris goguenard qu’ils méritent. « Si vous êtes encore là, penchés sur ces lignes comme une cuvette de w.-c., c’est que vous n’êtes pas non plus très recommandables. » (p. 34) Toute la noirceur du monde est un cocktail de misanthropie fasciste, réactionnaire et pornographique. Pas le genre de lecture que vous aurez envie de partager avec Belle-Maman. Avec Beau-Papa, peut-être, s’il porte à droite, très à droite. L’humour est noir, grinçant, dérangeant, évidemment. J’ai ri, c’était nerveux, un peu honteux aussi. Mais si vous êtes sains d’esprit que moi, vous en redemanderez, comme moi.

Pierre Mérot est aussi l’auteur de l’excellent Mammifères. Commencez par celui-ci et embrayez avec Toute la noirceur du monde, il y a un sens certain dans tout cela.

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Le choix de Sophie

Roman de William Styron.

Stingo, auteur en mal d’écriture, a vingt-deux ans quand il rencontre Sophie, Polonaise catholique rescapée des camps nazis qui parle peu de son passé. Mais pour Stingo, elle va lever le voile qui recouvre l’horreur. « Il y a beaucoup d’antisémitisme en Pologne, ce qui fait que moi, j’ai affreusement honte et de multiples façons, comme toi, Stingo, quand tu éprouves cette misère en pensant aux gens de couleur du Sud. » (p. 151) Sophie essaie de réapprendre à vivre à New York, mais le passé refuse de larguer les amarres. Alourdie de remords et de cauchemars, la belle jeune femme ne peut oublier ce qu’elle a fait pour survivre. « Quel joli petit chef-d’œuvre de ruse as-tu bien pu inventer pour parvenir, toi, à sauver ta peau pendant que les autres s’évanouissaient en fumée ? As-tu triché, fermé les yeux, offert ton joli petit cul ? » (p. 382) Victime comme tant de déportés de la culpabilité du survivant, Sophie porte en elle une double honte, celle de n’être pas morte et celle d’avoir dû choisir qui devait vivre. « Laisser quelqu’un mourir sans un au revoir, sans un adieu, sans un seul mot de réconfort ou de sympathie, c’est ce qui est horrible à supporter. » (p. 163) À mesure qu’elle confie son histoire à Stingo, les révélations se font plus terribles et avoir survécu se révèle être un traumatisme pire que toutes les avanies endurées au camp.

Le choix de Sophie parle de racisme, de haine, d’intolérance et de ce que tout cela fait faire aux hommes. Mais il y a parfois un océan entre ce qu’une part d’humanité peut faire et ce qu’une autre part d’humanité peut comprendre. « Ici, en Amérique, les gens, en dépit de toutes les révélations, des photographies, des actualités, paraissaient encore ne pas savoir, sinon de la façon la plus vague, la plus superficielle, Buchenwald, Dachau, Auschwitz – rien d’autre que des d’absurdes slogans. » (p. 263) Portée par un style ample, cette histoire est bouleversante et entraîne le lecteur aux confins du désespoir, de là où on ne revient pas.

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Rose Madder

Roman de Stephen King.

« Je ne t’ai jamais battue sans que tu m’y obliges, tu le sais bien. » (p. 12) Cette phrase et la menace qu’elle sous-entend sont le quotidien de Rose, femme au foyer toujours sur la brèche, toujours entre deux raclées. Pendant quatorze, elle encaisse les coups et bien pire. Et un matin, un évènement anodin la dire de sa torpeur : si elle veut survivre, elle doit partir. N’emportant que son sac à main et la carte bancaire de Norman, son époux, elle quitte le domicile conjugal sans se retourner. « Je l’ai quittée. Peu importe ce qui m’arrivera à partir de maintenant, je l’ai quitté. Même si je dois dormir sous les ponts, je l’ai quitté. Il ne me mordra plus jamais, parce que je l’ai quitté. » (p. 48) Dans un refuge pour femmes battues, elle commence une nouvelle vie et reprend confiance. Elle trouve un emploi formidable et rencontre même un homme qu’elle pourrait aimer. Mais surtout, elle découvre un tableau singulier qui la fascine : la femme représentée sur cette toile semble l’appeler et la peinture semble vivante, animée. Rose ne le sait pas encore, mais ce tableau lui sauvera la vie quand Norman, engagé dans une traque maniaque, ne recule devant rien pour la retrouver et la punir. « Le long bras de la loi, salope. […] Le putain de long bras de la loi qui va bientôt s’abattre sur toi, tu peux me croire. » (p. 131)

Rose Madder est un très bon roman ! Stephen King se place alternativement dans les chaussures de la femme battue et dans celle du mari furieux, mêlant les voix et les terreurs. Entre démence et rage, l’intrigue flirte avec l’hallucination et la mythologie : Norman est un taureau enragé qui court après sa femme égarée dans un labyrinthe de peur. Stephen King peint l’histoire d’une revanche digne où les faibles se relèvent et rendent coup pour coup. Et quand le lecteur pense que l’histoire est close, que les comptes sont réglés, il y a encore des dettes à paye, de vieilles histoires à conclure. Comme Dolores Claiborne et Jessie qui se sont rebellées contre les perversités de leurs époux, Rose brise la loi du silence et reprend son destin en main.

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Billevesée #135

En Picardie, il existe une ville appelée Y. Wikipédia dit qu’il s’agit d’un des noms de ville les plus courts d’Europe. Lapalisse, bonjour ! Plus court, ce serait difficile.

Les habitants de cette localité sont appelés les Upsiloniens (parce que Ygrecs et Ygrecques, ça ne faisait sûrement pas joli…)

À ce jour, Y n’est jumelée avec aucune autre ville. J’ai une suggestion : un jumelage avec Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch !

Alors, billevesée ?

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L’épée d’Ardenois – III/IV Nymelle

Tome I : Garen – Tome II : La prophétie

Bande dessinée d’Étienne Willem.

Arthus, Grimbert et la la Fouine, les fiers compagnons de l’Aube, ne désarment pas : Hellequin de Bois-Maudits collecte chaque jour une nouvelle pièce de l’armure de Nuhy, permettant à ce dernier de revenir à la vie. Les royaumes alliés de Bohan, Herbeutagne et Valdor semblent plus faibles et désunis que jamais alors que des hordes de pirates skernovites déferlent sur les côtés.

Maintenant que Garen a compris qu’il est le fils de la prophétie, celui qui doit tuer Nuhy avec l’épée d’Ardenois, il est effrayé par les responsabilités qui pèsent sur ses jeunes épaules. Toujours sans nouvelles de sa mère, il ne sait pas s’il pourra accomplir ce qu’on attend de lui. Avec l’aide de maître Maugis, le vieux hibou qui en sait tant, il doit aller au-devant de son destin. C’est compter sans Nymelle, ancienne apprentie de Maugis qui veut sa revanche. « Mais Garen n’est pas un danger, pas même un guerrier… Il est juste… / Il est juste un symbole, une lumière qui rend l’ombre plus noire, et aveugle celui qui la contemple. Voilà pourquoi il est dangereux. Les bardes ont déjà commencé à chanter sa geste !! » (p. 43)

Légende, secret, complot, alliance, vengeance et guerre : ce troisième volume est bien sombre. Le dessin est toujours très dynamique et les visages remarquablement expressifs. Le dénouement se fait attendre avec délice et c’est une impatience grandissante que j’attends l’accomplissement du destin de Garen, ce charmant petit lapin. Avec toujours une bonne dose d’humour et des clins d’œil délicieux au fil des pages, Nymelle est un très bon opus.

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La ferme africaine

Texte autobiographique de Karen Blixen.

La baronne Karen Blixen-Finnecke, Danoise d’origine, a acheté une plantation de café en Afrique. Dans ce texte, elle parle de ses relations avec les indigènes, certains devenant de proches amis. Elle évoque son attachement à cette terre chaude et sauvage, si proche encore des merveilles de la création telle que Dieu l’a voulue. « Moi, je sais un hymne à l’Afrique, un chant sur les girafes allongées et sur le clair de lune, sur les charrues dans le sol et les visages luisants de sueur des cueilleurs de café. Et l’Afrique, sait-elle un chant sur moi ? L’air vibre-t-il jamais d’une couleur que j’ai portée, y a-t-il un jeu d’enfant où mon nom ressurgit, la pleine lune jette-t-elle sur le gravier de l’allée une ombre qui ressemble à la mienne ? » (p. 113 & 114) Sa tendresse parfois condescendante révèle avant tout un amour profond pour ce continent.

Entre nostalgie et regret, l’auteure évoque également sa relation avec Denys Finch Halton, colon à l’élégance folle, adepte d’un amour intense, mais sans attache. Quand la ruine est consommée et qu’elle doit vendre sa ferme, l’auteure sait qu’elle gardera en elle l’empreinte de l’Afrique, brûlante et indélébile, cette Afrique dont elle fait désormais partie, pour toujours.  « Un Blanc qui aurait voulu nous complimenter aurait écrit : ‘Je ne vous oublierai jamais.’ Mais un Africain dit : ‘Nous ne te croyons pas capable de jamais nous oublier.’ » (p. 117)

Out of Africa est davantage un recueil de chroniques qu’un roman : sans logique temporelle, l’auteure aborde un sujet et un autre, ne suivant que le fil de ses souvenirs et de sa nostalgie. Hélas, cela crée un immense manque de cohérence : en règle générale, je n’apprécie pas les récits décousus, il en est de même pour ce texte dont je retiens tout de même de superbes passages. Et bien sûr, je ne peux que recommander l’adaptation cinématographique avec Meryl Streep et Robeeeeeeert Redford.

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Billevesée #134

Aujourd’hui, un mot qui me fait marrer. Oui, parfois, il suffit d’un mot… Parlez-moi de scoubidou, de billevesée, de bergamote ou criez saperlipopette et je souris !

Le mot rigolo du jour est lèchefrite, ce récipient que l’on place sous une broche pour recueillir la graisse et le jus de la viande en train de cuire. Non content de me faire marrer, ce mot me met aussi en appétit.

Alors, billevesée ?

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En finir avec Eddy Bellegueule

Roman autobiographique d’Édouard Louis.

Eddy Bellegueule a toujours eu conscience de sa différence : il est délicat, ce n’est pas un dur. Dans la famille où il est né, c’est une anomalie, une tare, une honte.  « Ils pensaient que j’avais fait le choix d’être efféminé, comme une esthétique de moi-même que j’aurais poursuivie pour leur déplaire. » (p. 27) Martyrisé à l’école, moqué dans le village, humilié dans sa famille, Eddy encaisse, coup après coup, sans rien dire, parce que se plaindre, ce serait encore plus honteux pour lui et les siens. « On ne s’habitue pas tant que cela à la douleur. » (p. 41) Pendant des années, le garçon essaie de devenir ce qu’on attend de lui et lutte contre lui-même.

Le malheur d’Eddy Bellegueule, ce n’est pas tant d’être un garçon aux tendances homosexuelles, c’est d’être né dans un milieu défavorisé où la pauvreté est autant matérielle qu’intellectuelle et où il ne fait pas bon être autre chose qu’un homme, un vrai. Dans sa lutte contre le déterminisme social et familial, Eddy Bellegueule s’illustre comme un être courageux, à tel point qu’il aurait pu, sans rougir, être un personnage d’Émile Zola. « L’impossibilité de le faire empêchait la possibilité de le vouloir, qui à son tour fermait les possibles. » (p. 79) Refusant de se contenter de ce qui semble destiné et immuable, il ose voir plus loin pour vivre mieux. Se sauver de chez lui pour se sauver lui-même, c’est finalement la seule solution.

En finir avec Eddy Bellegueule est un roman autobiographique. Le mot important est « roman ». Largement inspiré de son enfance et de ses souffrances, le texte appartient à la fiction et il serait vain et crétin d’y voir un simple règlement de compte à l’encontre de ceux qui ont fait de son enfance un enfer. On peut se dire que cette histoire est partielle et partiale puisqu’un seul protagoniste s’exprime au nom des autres. « Elle formule la thèse de la folie pour ne pas laisser échapper cet autre mot, pédé, ne pas penser à l’homosexualité, l’écarter, se convaincre que c’est de la folie, préférable au fait d’avoir pour fils une tapette. » (p. 123) Et alors ? Roman ou autobiographie, fiction ou réalité, En finir avec Eddy Bellegueule est un texte nécessaire sur l’homophobie qui, dans certains milieux, est plus une habitude qu’une véritable prise de position. Mais qu’elle soit pensée ou bêtement suivie, l’homophobie est un mal qui ronge les fondements d’une société qui se prétend égalitaire.

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Différentes saisons

Recueil de textes de Stephen King.

Espoir, éternel printemps – Rita Hayworth ou la rédemption de Shawshank

Andy Dufresne entre dans la prison de Shawshank pour une longue peine. Jugé coupable d’avoir assassiné son épouse et l’amant de celle-ci, il est pourtant innocent. Durant toutes les années de sa captivité, refusant de laisser enfermer, il prépare une spectaculaire évasion dont le premier élément est un poster de Rita Hayworth. C’est l’histoire de cette évasion que raconte le narrateur « Andy était cette part de moi qu’ils n’ont jamais pu enfermer, la part de moi qui se réjouira quand finalement le portail s’ouvrira et que je sortirai, vêtu d’un costume minable, avec vingt dollars me brûlant les poches. […] De cette part, tout simplement Andy en avait plus que moi et il s’en est mieux servi. » (p. 118) Le film de Frank Darabont avec Tim Robbins et Morgan Freeman m’avait beaucoup plu et cette lecture me donne furieusement envie de le revoir.

Été de corruption – Un élève doué

Todd Bowden est un bon garçon, bien élevé, intelligent. Impossible de comprendre son attitude quand il démasque un ancien officier nazi dans le voisinage : au lieu de le dénoncer aux autorités, il le presse de questions et veut toujours plus de détails. « Pourquoi viens-tu ici déranger un vieillard ? Peut-être, comme tu le dis, étais-je autrefois un nazi. Et même un SS. Maintenant, je suis vieux, c’est tout, et je dois prendre un suppositoire pour faire fonctionner mes intestins. Alors, qu’est-ce que tu veux ? / / Eh bien… je veux qu’on me raconte. C’est tout. C’est tout ce que je veux. Vraiment. » (p. 152) Hélas, la fascination macabre du garçon pour le passé de l’officier nazi va virer à l’obsession, au chantage et au sadisme. Peu à peu, le rapport de force s’inverse et s’annule : le gamin et le vieux deviennent deux monstres liés l’un à l’autre par la honte et l’horreur.

L’automne de l’innocence – Le corps

Billy, Vern, Teddy et Chris tuent le temps avant la rentrée des classes. Ce sont les derniers jours des vacances d’été. Pour marquer le coup et tenter de devenir des héros, ils partent à la recherche du cadavre d’un jeune garçon. Ces quelques jours arrachés à la monotonie et à l’ennui les feront passer de l’enfance à l’adolescence quand l’aventure entre copains se heurte à la brutale réalité. « Le gosse était mort. Le gosse n’était pas malade, il n’était pas endormi. Le gosse n’allait plus jamais se lever le matin ou attraper la chiasse en mangeant trop de pommes ou cueillir de la vigne vierge. […] Le gosse était déconnecté de ses baskets sans aucun espoir de réconciliation. Il était mort. » (p. 504) Le film de Rob Reiner avec Wil Wheaton et Kiefer Sutherland est un bijou d’émotion qui colle très exactement au texte.

Un conte d’hiver – La méthode respiratoire

À New York, il existe un club d’hommes très fermé. Les participants s’y retrouvent pour lire, discuter ou jouer aux cartes, comme dans tous les clubs. Mais pour Noël, ils ont l’habitude de se raconter des histoires surnaturelles. L’une d’elles est particulièrement étrange et relate l’accouchement d’une femme grâce à une étonnante méthode respiratoire. « Quel mal y aurait-il, au nom du ciel, à raconter à ma femme une soirée parfaitement innocente dans le club vieillot de mon directeur… et même s’il y avait quelque chose de mal, qui le saurait jamais ? » (p. 559) Et pourtant, le personnage principal se garde bien d’évoquer ses rencontres avec son épouse, tout comme il évite de poser trop de questions à l’étrange majordome, en dépit du malaise qui l’assaille quand il passe la porte du club.

Ni tout à fait romans, ni tout à fait nouvelles, ces quatre textes suffisent à prouver l’étendue du talent du King. Capable de nous tenir en haleine avec les histoires les plus simples ou de nous faire frissonner d’horreur devant les pires avanies, Stephen King sait parfaitement ce qu’il fait de ses lecteurs et comment les atteindre. Encore, ai-je envie de dire ! Heureusement que je n’ai pas tout lu de cet auteur !

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Billevesée #133

Allons enfants de la patrie-ie-ie, etc., aux armes et tout ce que vous voulez !

Le chauvinisme ne passant pas par moi, je ne m’en tiens pas à la fête nationale française. Voyons celle d’autres pays.

  • Arabie Saoudite : 23 septembre
  • Belgique : 21 juillet
  • Canada : 1er juillet
  • Djibouti : 27 juin
  • Éthiopie : 28 mai
  • Fidji : 10 octobre
  • Géorgie : 26 mai
  • Honduras : 15 septembre
  • Indonésie : 17 août
  • Jamaïque : 6 août
  • Koweït : 25 février
  • Luxembourg : 23 juin
  • Malte : 21 septembre
  • Népal : 7 juillet
  • Ouganda : 9 octobre
  • Pérou : 28 juillet
  • Qatar : 3 septembre
  • Russie : 9 mai
  • Sainte-Lucie : 22 février
  • Tchad : 11 août
  • Ukraine : 24 août
  • Vatican : date variable qui correspond à l’anniversaire de la messe d’inauguration du Pape en fonction
  • Rappelez-vous : il n’existe aucun pays commençant par les lettres W et X !
  • Yemen : 22 mai
  • Zambie : 24 octobre

Alors, billevesée ?

La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas, disait Brassens. Moi, je n’ai rien contre un défilé de charmants militaires…

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Dreamcatcher

Roman de Stephen King.

Jonesy, Beaver, Henry et Pete sont quatre amis inséparables depuis l’enfance, depuis qu’un évènement héroïque les a soudés pour toujours. Tous les ans, à l’automne, ils partent pour une semaine de chasse au fond des bois. Cette année, quelque chose tourne mal et leur virée entre hommes pourrait être la dernière. Prise dans une tempête de neige, la forêt s’affole et les animaux fuient d’étranges lumières qui flottent dans le ciel. L’invasion vient d’en haut et d’horribles créatures s’en prennent aux créatures vivantes qu’elles croisent, attaquant leur chair, mais aussi leur esprit. « Parce qu’ils n’étaient pas de pauvres petits E. T. sans défense, attendant que quelqu’un leur donne une carte de téléphone pour qu’ils puissent appeler chez eux, parce qu’ils étaient une maladie. Ils étaient le cancer. » (p. 219) Alors que les autorités s’en mêlent et tentent de juguler la contamination, les quatre amis d’enfance sont confrontés à l’une des plus grandes terreurs de l’Amérique.

Dans la mythologie et le folklore des États-Unis, il est impensable de ne pas mentionner les extraterrestres, leurs tentatives d’invasion de la terre et les efforts déployés par le gouvernement pour cacher ces attaques. La théorie du complot qui existe autour de ce sujet a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais Stephen King avait aussi son mot à dire. Sous sa plume, ce sont surtout les flots de sang qui coulent : l’épouvante est telle qu’il est impossible de ne pas comprendre l’ironie. Stephen King ne se moque pas des peurs de ses concitoyens, mais en les exagérant, il choisit d’en pointer le ridicule à des fins cathartiques. « Les rêves vieillissent plus vite que les rêveurs. » (p. 20) Je ne vais pas vous mentir : ce roman glace le sang à de nombreuses reprises, mais sa chute et sa morale sont loin d’être simplistes. À sa manière si particulière, Stephen King dénonce une nouvelle fois les dérives d’un pays qu’il ne cesse pourtant pas d’aimer et d’admirer.

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Oxymore mon amour : dictionnaire inattendu de la langue française

Ouvrage de Jean-Loup Chiflet.

Jeux de mots, mystères des règles de grammaire, noms étranges, vocabulaire désuet, figures de style, tout est bon pour faire lire et faire rire. Jean-Loup Chiflet présente la langue française qu’il aime, cette langue si riche et si ludique, à la fois exigeante et fantasque. Si vous avez un balai coincé dans la couverture, passez votre chemin ! Si vous êtes plutôt du genre à mettre les points sur les virgules et à ne pas fermer les parenthèses, régalez-vous !

Que collectionnent le capillabélophile, le glacophile et le schoïnopentaxophile ? Respectivement les étiquettes de fond de chapeau, les pots de yaourt et les cordes de pendu.

Rangez votre dictionnaire de rimes, parfois (souvent) il ne sert à rien d’autre qu’à caler les portes. « Certains mots ne riment avec aucun autre nom commun. Ainsi, triomphe, quatorze, quinze, simple, pauvre, meurtre, monstre, belge, goinfre, larve ne riment à rien ! » (p. 26)

Saviez-vous que grammaire et grimoire ont la même étymologie ? Le premier mot a évolué de façon savante et le second de façon vulgaire. Mais non, ne vous fâchez pas, les sorciers sont des gens très bien élevés !

Un Parisien vit à Paris et un Chinois vit en Chine. Plus difficile : le Malgache vit à Madagascar et le Séquanodynosien vit en Seine-Saint-Denis. Mais où vit le Bragard ou le Sourdin ? À Saint-Diziers et à Villedieu-les-Poêles. Et oui, certains gentilés n’affichent pas vraiment la couleur !

Enfin, voici un mot qu’il faudrait inventer : qu’est-ce qu’un chiyoyo ? C’est un petit chien au bout d’une laisse à enrouleur.

Oxymore mon amour est un ouvrage à ne pas prendre au premier degré, ce serait rudement dommage, mais il offre quelques rappels bienvenus de cette bonne vieille grammaire qui terrorise tant les écoliers. J’ai commencé cette lecture en janvier et je la termine tout juste. Non pas que cet ouvrage soit indigeste, mais il met à rude épreuve les zygomatiques. Comme je ne veux pas mourir tout de suite, ni de rire ni d’autre chose, j’ai préféré étaler cette lecture dans le temps. Bien m’en a pris, je me suis payé plusieurs bonnes tranches de rigolade !

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La bande à Mafalda

Bande dessinée de Quino.

Faut-il vraiment présenter Mafalda, petite fille très éveillée ? Elle aime les Beatles et la Panthère rose, mais elle est bien préoccupée par la menace nucléaire et la guerre froide. Et ses amis ne sont pas plus sereins. « C’est bien ce que je te disais Miguelito. Ce vaccin protège contre la polio, mais pas contre le communisme. / Dommage ! J’aurais bien aimé faire un doublé. » (p. 4) Manolito, Susanita, Felipe, Mafalda et tous les autres sont d’adorables petits bonshommes qui ont de grandes interrogations politiques, sociales et économiques, ce qui est loin d’être de leur âge. « J’ai beaucoup pensé au rôle de l’homme dans le monde et je suis arrivée à la conclusion qu’un rôle ne vaut rien si la pièce est mauvaise. » (p. 9)

L’humour présent dans ces strips naît du décalage entre les inquiétudes exprimées et la maturité improbable de gamins qui feraient mieux d’aller jouer au ballon. Comme Calvin et Hobbes, les bandes dessinées mettant en scène Mafalda expriment un désespoir tout à fait comique et grinçant. « Maman ? / Qu’est-ce qu’il y a ? / Rien. Je voulais seulement m’assurer qu’il y a encore un joli mot qui sert à quelque chose. » (p. 45) Et à l’instar du petit garçon avec son tigre en peluche, Mafalda a des parents qui sont souvent dépassés par la maturité de leur enfant. « Papa, si on trouve les petits bébés sous les choux, ça veut dire que j’ai eu une origine végétale ? / Je peux te dire seulement que tu es mon chou. / Tu te débrouilles pas mal, tu sais ? » (p. 46)

De temps à autre, un album de Mafalda rend le monde un peu moins gris !

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Billevesée #132

Tout le monde à poil !

Aujourd’hui, je vous parle des femmes à barbe. Souvent exhibées dans les foires, ces femmes souffrent d’hirsutisme, un dérèglement physiologique qui se traduit par l’apparition de poils de type masculin sur des zones corporelles qui sont habituellement glabres sur le corps féminin.

Alors, billevesée ?

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Mémoire de l’esclavage : Île de Gorée

Bande dessinée de Serge Diantantu.

La découverte des Amériques a mis le Vieux Monde en effervescence. Les grands pays d’Europe veulent tirer profit de ces terres nouvelles qui regorgent de richesses. Rapidement, la main-d’œuvre locale, dûment exploitée et asservie, n’est plus suffisante. « En 1517, Las Casas, le jésuite ami des Amérindiens, profite de l’occasion d’exposer sa théorie à Charles Quint : réduire les Africains en esclavage afin de soulager les souffrances des Amérindiens et d’améliorer la productivité dans les mines et les champs de canne à sucre. »  (p. 24) C’est ainsi que la traite des noirs se met en place : les bateaux négriers font des razzias sur les côtes et dans les terres africaines et déportent des milliers d’Africains vers le Brésil et les Antilles. L’esclavage va de pair avec l’évangélisation forcée des populations autochtones et déportées. Espagne, Portugal et France ne voient que leurs intérêts et cherchent à gagner le contrôle des mers et des richesses. Le commerce triangulaire profite surtout aux colons et que cela se fasse au détriment d’autres êtres humains n’importe pas. « À cette époque, les Africains à la peau sombre sont considérés comme du bétail, la notion d’égalité n’ayant pas encore atteint la conscience humaine. En ce temps-là, la religion régit tout et en tant qu’instrument de pouvoir, elle ne défend guère l’égalité. » (p. 40)

Cet ouvrage est très didactique et très documenté, mais le format BD ne convient pas à ce genre de production. Il n’est pas vraiment agréable de lire tant d’informations dans des cases dont l’espace est limité. En outre, il y a beaucoup de redites, ce qui ne contribue pas à la clarté du propos. Mais ce qui m’a surtout déplu est le ton très accusateur du texte, à tel point que l’auteur semble de parti pris. Il ne s’agit nullement de minimiser ni d’oublier le drame humain que fût l’esclavage, mais il est tout à fait vain d’accuser et de juger l’Histoire. Il est facile de s’indigner des erreurs du passé, mais cela revient à ignorer une culture et une façon de penser bien différentes : l’accusation est ici complètement anachronique et elle pourrait prêter à sourire si elle n’était pas si agaçante.

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Flocon et le lapin de Pâques

Album de Marcus Pfister et de Kathrin Siegenthaler.

Flocon, le petit lapin des neiges, aimerait beaucoup rencontrer le lapin de Pâques. « C’est un lapin extraordinaire qui est très courageux. À Pâques, il va cherche plein d’œufs, sans les casser. Puis il est peint et les cache pour les enfants. » Le lapin de Pâques, c’est un peu le père Noël des petits lapins. Flocon se met en chemin avec un lapin de garenne : les deux amis ont décidé de faire comme leur héros, mais ce n’est pas une tâche de tout repos !

Les illustrations sont douces et pastel et elles ont le charme flou des jolis rêves. Flocon est un petit (lapin) personnage attachant dont il est plaisant de suivre les aventures. Et c’est toujours un plaisir de découvrir un nouvel album de Marcus Pfister qui m’a tant enchantée avec son poisson Arc-en-ciel.

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Bonne année 2014

Je vous souhaite une belle année 2014 et que vos vœux se réalisent !

Et on repart pour quelques galipettes !

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22/11/63

Roman de Stephen King.

Jake Epping est professeur d’anglais en 2011. Il découvre une faille temporelle qui le ramène à l’automne 1958. Qu’importe le temps qu’il passe en 1958, chaque fois qu’il revient en 2011, il ne s’est écoulé que deux minutes. Et chaque fois qu’il retraverse la faille, il revient le même jour de l’automne 1958, personne ne se souvenant de lui. Jake promet alors à un ami de tout faire pour sauver John Fitzgerald Kennedy. « Ça me tient plus à cœur que toute autre chose. Si tu as un jour désiré changer le monde, copain, c’est ta chance. De sauver Kennedy. Son frère. Martin Luther King. D’empêcher les émeutes raciales. Empêcher le Vietnam, peut-être. » (p. 87) Pour sauver Kennedy, il suffit d’éliminer celui qui a pointé une arme sur lui à Dallas, le 22 novembre 1963. « Sauver des millions de vies, copain, en se débarrassant d’un seul pauvre égaré. » (p. 87) Jake doit retrouver et éliminer Lee Harvey Oswald.

Il s’installe donc en 1958, à Jodie, près de Dallas, et s’apprête à attendre cinq ans pour s’assurer que Kennedy vivra. Mais le passé est-il prêt à se laisser changer ? Changer le futur d’un anonyme ou sauver la vie d’un président a-t-il les mêmes conséquences ? « Qui étais-je pour prétendre que dix mille théoriciens du complot se trompaient, surtout en me fondant sur les quelques bribes de renseignements que m’avaient values toutes mes heures de traque et d’affût ? » (p. 602) Il peut s’en passer des choses en cinq ans et Jake finit par ne plus vivre dans le passé, mais par vivre sa propre existence. Il lui faut alors choisir entre protéger son histoire et sauver l’Histoire.

22/11/63 est un excellent récit de voyage temporel. Stephen King a un talent certain pour construire une théorie spatiotemporelle tout à fait crédible et sans paradoxe. Fondé sur une documentation que l’on devine conséquente, ce roman chante la nostalgie d’une époque, à l’heure où les jeunes sixties étaient encore une ère pleine d’espérance où il faisait bon vivre, mais une ère à la veille de sinistres épisodes. En plus de 900 pages, Stephen King nous emmène dans l’Amérique qu’il aime, ce pays très imparfait qui regorge pourtant de héros ordinaires. 22/11/63 entre sans conteste dans le top 10 des romans du King que je recommande.

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Billevesée #131

Mon attachement à Émile Zola n’est plus un secret sur ce blog. J’ai lu avec un plaisir indicible la saga des Rougon-Macquart et j’envisage déjà d’en relire certains titres. Quand on est mordue…

Dans les pays anglophones, notamment aux États-Unis, Zola est un prénom féminin. Les femmes qui portent ce nom bien chanceuses !

Alors, billevesée ?

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L’attrape-livres ou la vie très privée d’une maison d’édition.

Roman graphique de François Rivière (texte) et Frédéric Rébéna (dessins).

En 1941, à Marseille, Robert Laffont décide de changer de métier : il sera éditeur. Sous l’égide d’Erion, poète grec qui sera l’image de la maison d’édition, Robert Laffont est bien décidé à se faire une place dans le monde parisien des livres, face aux géants que sont Gallimard ou Grasset, mais aussi face aux nouveaux venus de l’édition qui veulent aussi leur part du mille-feuille. Robert Laffont a du flair et il publie sans peur des inconnus : c’est à lui que l’on doit la première édition française de L’attrape-cœur de Salinger, mais aussi de continuer à lire les textes de Graham Greene, d’Arthur Miller, de Tennessee Williams, d’Evelyn Waugh ou de Dino Buzzati. La littérature française n’est pas en reste puisqu’il publie Bernard Clavel, mais aussi Marc Levy, auteur français le plus vendu au monde. Robert Laffont défend les manuscrits en lesquels il croit, sans toujours penser aux profits, juste pour le plaisir et l’honneur de la littérature. « Ma philosophie, c’est de faire mes auteurs mes amis. » (p. 35)

Les éditions Robert Laffont se déclinent en diverses collections : poésie, document, essai, noir, jeunesse ou encore SF avec la célèbre collection argentée Ailleurs et Demain. « L’éclectisme est un devoir essentiel pour l’éditeur moderne. Son devoir est de rester réceptif aux ondes venant de tous les côtés, de fuir soigneusement les hiérarchies sclérosées opposant le littéraire et le populaire. » (p. 55) Au catalogue de cette maison d’édition, il faut compter Le parrain, Le jour le plus long ou encore Paris brûle-t-il ? Et n’oublions pas le Quid, succès encyclopédique et populaire.

L’attrape-livres fait naître l’irrépressible envie de découvrir tous les trésors du catalogue des éditions Robert Laffont. Dans une déclinaison de noirs et de blancs, ce roman graphique est une histoire d’hommes et de livres, de plaisirs et de paris. Robert Laffont est un personnage éminent sympathique et magnétique, un héros des Belles-Lettres. Quand on sait tous les textes que sa maison d’édition a publiés, on est rassuré : l’encre ne sèche jamais dans les bons encriers et chez les bons éditeurs !

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La servante du seigneur

Texte de Jean-Louis Fournier.

« Elle est dans les ordres ou elle est aux ordres ? » (p. 40) Le narrateur raconte comment sa fille lui échappe, comment cette jeune personne pleine de vie et de fantaisie s’éteint et se raidit dans une foi acquise sur le tard. Elle ne devient pas nonne, mais elle boit les paroles d’un certain « Monseigneur », plutôt amant mystique que directeur de conscience avisé. « Maintenant, elle vit avec un allumeur de réverbères. Elle vit dans l’ombre des certitudes du Moyen Âge. Il est illuminé, mais il n’éclaire pas. Elle croit y voir clair. » (p. 86) Un peu goguenard, un peu incrédule, le père narrateur accepte avec difficulté le changement qui s’opère chez sa fille. Elle dont il était si proche, la voilà inaccessible et même rancunière. « Elle n’a pas été mise sur terre pour que ma volonté soit faite, pour que je sois heureux. L’important, c’est qu’elle soit heureuse. Est-ce qu’elle est heureuse ? » (p. 96) Indulgent mais impatient, le père attend le retour de sa fille, ne pouvant se résoudre à la voir devenir une autre, loin de lui.

Ce texte est très court, mais très percutant. À la fois adresse désespérée à la fille et dialogue bancal, La servante du seigneur n’est pas un texte pathétique. Il y a dans ces pages tout l’humour vachard d’un bouffeur de curé qui se retrouve couillon devant la religion qui lui enlève sa fille. Mais la question religieuse, finalement, n’est qu’un prétexte : La servante du seigneur est avant toute chose la douloureuse prise de conscience d’un père qui aurait voulu que sa fille, bien que devenue femme, reste son enfant chérie, sans jamais lui échapper pour un autre ou pour un ailleurs.

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Max’s Breakfast

Album de Rosemary Wells.

Max ne veut pas manger son œuf au plat : pour le petit-déjeuner, il préférerait des fraises et rien que des fraises. Mais sa sœur Ruby le surveille. « No strawberries until the egg goes down. » Oui, pour devenir grand, il faut prendre un bon petit-déjeuner, mais l’english breakfast n’est pas du goût de notre petit héros. Il finira par manger des fraises, grâce à une aide tout à fait inattendue.

Cet album carré aux pages cartonnés est vraiment drôle. Les gros lapins joufflus, avec leur épaisse fourrure qui leur fait une silhouette informe, ne sont pas vraiment mignons, mais ils sont plutôt attachants. Les grandes sœurs sont toujours des enquiquineuses (dixit l’une d’elles) et les petits frères sont des casse-pieds, c’est bien connu ! Avec ses couleurs vives, cet album est sympathique et offre une première lecture amusante.

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Chien Blanc

Texte de Romain Gary.

Alors qu’il vit aux États-Unis avec son épouse, Jean Seberg, Romain Gary recueille un berger allemand. L’animal trouve rapidement sa place dans la maison, auprès de l’autre chien et des chats. Il est ce qu’on appelle communément une bonne pâte, affectueux avec tout le monde. Tout le monde, sauf les noirs. Batka est un chien blanc, un chien dressé par les hommes blancs pour chasser les hommes noirs. Pour Gary et Seberg, il est impensable d’abattre le chien : ils le confient à un chenil qui a pour consigne de le guérir de cette haine que l’homme lui a chevillée au corps. Et c’est Keys, un soigneur noir qui se charge de réformer Batka.

Quand Romain Gary recueille le chien, le pays est au bord de l’explosion. L’assassinat de Martin Luther King est pour bientôt, la guerre de Vietnam traumatise les foules et les haines raciales mettent le pays à feu et à sang. « Je suis en train de me dire que le problème aux États-Unis pose une question qui le rend pratiquement insoluble : celui de la Bêtise. Il a des racines dans la profondeur de la plus grande puissance spirituelle de tous les temps, qui est la Connerie. » (p. 37) Romain Gary observe de loin les implications de son épouse dans la cause noire, mais c’est un militant désabusé en qui le feu sacré de la révolution couve encore. Son action à lui, c’est l’écriture et il y met toutes ses réflexions. « J’éprouve le besoin dévorant d’une ségrégation absolument sans précédent dans l’histoire de la solitude. Avec en moi un tel besoin de séparatisme, il faudrait pouvoir créer un monde nouveau. Je m’y mets immédiatement : je passe tout l’après-midi à écrire. » (p. 128)

Outre la chronique du sauvetage du chien, Romain Gary interroge son rapport à l’autre, cet étranger à lui-même. « Le seul endroit au monde où l’on peut rencontrer un homme digne de ce nom, c’est le regard d’un chien. » (p. 152) Ni meilleur, ni plus généreux qu’un autre, l’auteur fait face à ses démons. « Je me suis résigné à admettre une fois pour toutes le fait que je ne parviens pas à civiliser entièrement l’animal intérieur que je traîne partout en moi. » (p. 17) En s’identifiant à l’animal, en prenant plus qu’à cœur le traumatisme que le chien a subi, Romain Gary écrit un bel hymne à l’homme. Et finalement, sauver le chien, c’est sauver l’espoir. « Toujours cet infernal dilemme : l’amour des chiens et l’horreur de la chiennerie. » (p. 182) C’est bien pour cela que la fin de ce texte est un crève-cœur, une véritable tragédie pour tous ceux qui aiment les animaux et la race humaine « C’est assez terrible, d’aimer les bêtes. Lorsque vous voyez dans un chien un être humain, vous ne pouvez pas vous empêcher de voir un chien dans l’homme et de l’aimer. » (p. 212)

Ce livre m’a véritablement émue, à tel point qu’à deux reprises, des jeunes hommes m’ont proposé des mouchoirs dans le métro (Technique de drague à creuser, donc…) Il y a beaucoup de choses à prendre et à retenir dans ce livre, notamment l’humilité un peu caustique de l’auteur et son immense sensibilité qui le dispute à la raison quand il s’agit de causes perdues. Je voulais lire ce livre pour préparer la prochaine sortie de l’adaptation cinématographique, en version augmentée. Je doute maintenant de voir le film : s’il est aussi poignant que le texte, mon cœur d’amie des bêtes et des hommes ne va pas résister.

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Billevesée #130

Parlons bouffe, encore une fois. Ça saurait (et ça se verrait) si j’étais adepte de la cuisine vapeur et de la traque aux calories. Laissez-moi vous présenter une gourmandise que les nutritionnistes voient d’un mauvais œil : la chips.

L’origine de cette fine tranche de pomme de terre salée reste sujette à caution. Pour certains, elle aurait été créée par un restaurateur américain qui voulait faire patienter les nombreux clients qui attendaient une table. Pour d’autres, ce serait encore un restaurateur américain qui l’aurait mise au point pour satisfaire un client qui trouvait ses frites trop épaisses. Pour d’autres encore, la chips est en fait une recette anglaise dont l’origine remonte au 17e siècle.

Pour ma part, peu importe l’origine puisque je sais la destination : mon assiette, avec modération évidemment !

Alors, billevesée ?

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Petit Lapin Blanc fête Noël

Album de Marie-France Floury et Fabienne Boisnard.

Petit Lapin Blanc est impatient que Noël arrive. Il enlève une page au calendrier, mais Noël n’est que demain. « Ce Père Noël en met du temps ! » Que faire pour patienter ? Il faut finir de décorer la maison et le sapin. Et il faut aider Maman, Papy et Mamie à préparer la jolie table pour le repas. Voilà le soir, Petit Lapin Blanc doit aller se coucher même s’il aimerait bien attendre l’arrivée du Père Noël. Enfin, c’est le matin : tout sera-t-il aussi parfait qu’espéré ?

Dans mes mathématiques personnelles, l’équation Lapin + Noël donne toujours un résultat juste et positif. Et en plein mois de juin, je voudrais que l’on soit déjà à Noël. En fait, je voudrais que ce soit Noël toute l’année.

Les dessins très simples et très colorés de cet album font de Petit Lapin Blanc un des premiers amis des jeunes lecteurs. Et je suis toujours sous le charme de ce lapin tout rond au petit nez tout rose ! J’aime les séries d’albums qui présentent des héros récurrents qui font face aux différents évènements de la vie, accompagnant ainsi le petit lecteur dans ses propres expériences. Dans la série, je vous recommande Petit Lapin Blanc et la baby-sitter.

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Palais de glace

Roman de Tarjei Vesaas.

Siss et Unn sont deux fillettes très différentes. La première est populaire et entourée d’amis. La seconde est solitaire et inaccessible. Pourtant, il se noue entre elles une amitié inexplicable et incommensurable. Une amitié si pure qu’elle ne peut pas exister ailleurs que dans la glace, qui saura la préserver à jamais. « La glace qui couvrait le lac était si étincelante qu’elle ne semblait pas exister. Une glace d’acier. Pas le moindre flocon de neige n’était tombé depuis sa formation. » (p. 61) Ce sentiment est si fort que les deux enfants prennent peur. Unn, pour échapper à la pression incontrôlable d’une trop grande joie choisit de faire l’école buissonnière et de se promener sous les arcades mystérieuses de la cascade gelée. L’indicible se produit et il ne reste plus que Siss qui, pour ne pas oublier Unn, se fait une promesse démesurée. « Dehors, la neige continuait à tomber, comme pour effacer Unn et tout ce qui se rapportait à elle. » (p. 109)

Dans ce texte très court, Tarjei Vesaas déploie une symbolique du froid qui confine à l’allégorie, voire à la mystique. L’amour, la mort, l’absence, ce sont trois états que les mots ne peuvent pas cerner, mais par touches, par éclats, il est possible d’en approcher le profond mystère. Palais de glace est un texte éminemment poétique, aux accents de légende et de drame antique. Pour moi qui aime tant l’hiver et le froid, ce roman est aussi précieux et unique qu’un flocon de neige.

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