Grace Kelly – D’Hollywood à Monaco, le roman d’une légende

Biographie de Sophie Adriansen.

Grace Kelly. Princesse Grace de Monaco. Je l’avoue franchement, je ne savais pas grand-chose de cette superbe blonde. De tous ses films, je n’ai vu que Fenêtre sur cour, œuvre que j’ai particulièrement aimée. Je connaissais très vaguement son destin de princesse adulée, brutalement stoppé par un accident de voiture. C’est donc en terrain inconnu que j’ai posé les yeux quand j’ai ouvert la biographie de Sophie Adriansen.

« Il suffit d’aller voir derrière le conte de fées pour s’apercevoir que la femme aura tenu des rôles bien différents de ceux que l’on aime à s’imaginer. » (p. 235) De la naissance de la blonde icône en 1929 à sa tragique disparition en 1982, j’ai suivi avec passion les premiers pas de mannequin et d’actrice de Grace Kelly, fille d’un riche entrepreneur américain. J’ai découvert sa relation privilégiée avec le maître du suspense, cet Hitchcock fasciné par la blondeur parfaite de la gracieuse actrice. Je l’ai suivie dans ses nombreuses amours jusqu’à sa plus grande passion, concrétisée par un féérique mariage avec le prince Rainier de Monaco. J’ai poussé les portes du palais princier monégasque et j’ai vu la détresse d’une reine d’Hollywood prisonnière d’un rôle de princesse parfois très lourd à porter, mais qui endossait avec amour et dévouement celui de mère de famille.

Déterminée à devenir actrice, Grace Kelly ne ménage pas ses efforts pour parvenir à ses fins. « Il est parfois nécessaire de ressembler à la personne que l’on veut devenir pour devenir la personne à qui l’on veut ressembler. Tout comme le pouvoir, le succès est une attitude. » (p. 39) Cette attitude, Grace Kelly la cultive : elle est toujours impeccable, parfaitement apprêtée et ne commet pas d’impair. Elle n’est pas écervelée et ne se jette au cou des hommes que parce qu’elle est passionnée, jamais arriviste ou intéressée. « Est-il possible de dire que Grace Kelly a dû sa carrière au désir qu’elle a éveillé chez les hommes, un désir amoureux qui s’est traduit par des propositions strictement professionnelles (en théorie) ? » (p. 46) Pourquoi le nier ? Grace Kelly était fascinante, à tel point que les réalisateurs voulaient en faire leur muse et les couturiers leur égérie. Actrice accomplie et reconnue, elle a gagné ses galons hollywoodiens à force de travail. Et elle fera montre de la même détermination patiente et têtue pour faire honneur à son titre de princesse. « Une star de cinéma ne pense qu’à elle. Une princesse doit d’abord penser aux autres. » (p. 141) Grace Kelly ne renonce jamais et affronte tout avec douceur et élégance, quelque violents que soient les vents qui soufflent à l’encontre de son destin.

La biographie écrite par Sophie Adriansen est richement documentée et elle montre l’envers du conte. « L’idée même que ma vie a été un conte de fées relève elle-même du conte de fées. » (p. 172) Cette déclaration de la princesse Grace est pleine de sens : tout ce qu’elle a obtenu, elle l’a gagné et même ce qui lui a été offert avait un prix. Dans ce texte, j’ai senti toute la tendresse et l’admiration que l’auteure porte à l’actrice. D’une femme à l’autre, l’hommage, toujours lucide, est touchant. La blonde auteure a révélé avec beauté la fragilité et l’humanité de la blonde actrice. J’ai lu cette biographie comme j’aurais feuilleté un album photo, avec une curiosité sans cesse renouvelée et une émotion grandissante envers celle qui était une reine de cœur. J’ose la formule : cette très belle œuvre m’a offert plus d’un moment de grâce.

Un grand merci à Sophie Adriansen pour cet envoi. Et je ne saurai assez chaudement vous recommander sa biographie de Louis de Funès : Louis de Funès – Regardez-moi là, vous !

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Matin brun

Nouvelle de Franck Pavloff.

Deux amis sont bien tristes. Ils ont respectivement dû se séparer de leur chien et de leur chat, au motif qu’ils n’étaient pas bruns, seule couleur désormais acceptée par l’état. Mais puisque c’est la règle, pas question de tricher, même si ces animaux étaient bien affectueux. Après tout, ce n’était que des animaux « La nation n’a rien à y gagner à accepter qu’on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté, en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation. » (p. 5 & 6)

Le temps passe et les deux amis décident de reprendre un animal : ce sera donc un chien brun et un chat brun, comme le veut la loi. « Comme si de faire tout simplement ce qui allait dans le bon sens dans la cité nous rassurait et nous simplifiait la vie. La sécurité brune, ça pouvait avoir du bon. » (p. 8) Mais à force de laisser faire, de dire que ce n’est rien, que ce n’est pas grave, les hommes sont dépassés par le pouvoir qui devient autoritaire et répressif au-delà de toute mesure et de toute raison. « Ce n’est pas parce qu’on aurait acheté récemment un animal brun qu’on aurait changé de mentalité, ils ont dit. » (p. 10)

En simplement onze pages, la terreur atteint des sommets vertigineux. La montée de la xénophobie et du totalitarisme, d’abord banalisée, devient irrépressible : le système est bien huilé et la machine à broyer fonctionne à la perfection. Onze pages, seulement onze pages et une claque qui réveille, qui rappelle les passés tragiques et les écœurantes défaites de la démocratie et de la liberté. Voilà un texte qui, selon moi, est bien plus efficace que la logorrhée de Stéphane Hessel qui nous clamait Indignez-vous !

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La fameuse invasion de la Sicile par les Ours

Roman de Dino Buzatti. Illustrations de l’auteur.

Le fils de Léonce, roi des ours, a été enlevé par les hommes. Pour trouver Tonin et pour échapper aux rigueurs de l’hiver dans les montagnes, le roi décide d’attaquer la ville. Son armée de braves guerriers essuie d’abord une cuisante défaite face aux troupes du Grand-Duc. Mais le roi des ours est bien entouré et le second assaut est le bon. Avec l’aide plus ou moins consentie du professeur De Ambrosiis, magicien aux pouvoirs comptés, il prend la tête de la Sicile et instaure un règne de bonne entente entre les ours et les hommes. Hélas, les ours ne sont pas faits pour vivre en ville et le roi Léonce doit faire face à la perversion que crée le confort. « Nous avons engraissé, mes amis, il faut le dire, nous avons pris du ventre. » (p. 110) Et si la plus grande bataille que le roi des ours doit mener était contre son peuple ?

J’ai beaucoup aimé ce récit en prose et en vers qui, à la manière d’une épopée, retrace les hauts faits d’un souverain valeureux entouré de bons et de mauvais conseillers. Pleine de magie, l’histoire présente tour à tour des fantômes, des sangliers volants et un monstre croquemitaine. Parfait cocktail pour susciter l’intérêt des jeunes lecteurs, d’autant plus que l’humour n’est jamais loin et que l’auteur rend hommage à d’autres textes de la littérature jeunesse. « Un boulet part vertical / Et dessus, comme sur un cheval, / Un ours à califourchon / Qui jaillit tel un bouchon. / (Idée reprise d’ailleurs sur une autre scène / Par le fameux baron de Münchhausen.) » (p. 58) Enfin, ce texte, avec ses airs de récit historique, développe une morale simple que les lecteurs débutants peuvent aisément comprendre. Voici donc un petit roman fort sympathique !

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L’année des volcans

Roman de François-Guillaume Lorrain.

Elle, c’est Ingrid Bergman, la belle Suédoise qui illumina Casablanca. Elle est mariée à Petter Lindström et le trompe avec Robert Capa. Lui, c’est Roberto Rossellini, l’Italien de génie que tout le monde acclame depuis Rome, ville ouverte et Païsa. Lui aussi est marié et trompe sa femme avec Anna Magnani, tyrannique actrice italienne qui le brutalise.

« Une actrice, a fortiori de son rang, ne quémandait pas un rôle. Une vague allusion, à la rigueur, lors d’un cocktail, une boutade, un clin d’œil provocateur, jamais une lettre. » (p. 27) C’est pourtant ce que fait Ingrid Bergman. En une lettre très équivoque, elle se jette à la tête du réalisateur qu’elle n’a jamais rencontré. Elle en est persuadée, lui seul saura la comprendre et la libérer du carcan hollywoodien. Rossellini est immédiatement séduit par cette blonde Suédoise à l’air angélique. « Quelques lignes, une photo lui avaient suffi pour deviner ce qu’il fallait à Bergman. Non pas un film, mais une purge, une cure d’austérité, un vœu de pauvreté, une guerre de libération et un couvent où se faire fouetter pour expier ses péchés de star hollywoodienne. » (p. 67) Pour elle, en 1949, Rossellini invente Stromboli, film financé par Howard Hughes et dont le tournage a tout d’une apocalypse. « Avec moi, ce n’est pas du cinéma, on joue sa peau. » (p. 133)

Mais Anna Magnani ne l’entend pas de cette oreille. Jalouse de la blonde actrice qui lui a ravi son réalisateur, elle veut rendre coup pour coup. Sur une île italienne voisine de celle où se tourne Stromboli, elle joue dans Vulcano, film dont le scénario est étonnamment proche de celui de Rossellini. D’une île à l’autre, la guerre de volcans est déclarée. C’est à qui achèvera le film en premier et à qui sera, sans se renier, la plus sublime au milieu des fumerolles.

Dans ce roman aux allures de documentaire de tournage, François-Guillaume Lorrain ressuscite le cinéma d’après-guerre, ce septième art glamour qui faisait tant rêver. Derrière les caméras, le drame amoureux qui se noue est digne des plus grandes passions cinématographiques. Attention, ce livre n’est pas pour les tièdes ou les timorés : ici, la passion éclate comme un volcan et gare à celui qui joue avec le feu. L’auteur dresse un superbe portrait de l’industrie cinématographique. Si des noms comme Hitchcock, Fellini ou Metro Goldwyn Mayer traversent la page, c’est pour mieux rappeler que le cinéma est avant tout une économie et que l’art de la bobine est soumis, comme tant d’autres, aux mécènes et aux financeurs.

L’année des volcans revient avec brio sur le scandale provoqué par la tumultueuse liaison entre Ingrid Bergman et Roberto Rossellini et offre, le temps de très beaux chapitres, une parenthèse en noir et blanc digne des meilleures salles obscures.

Maintenant, il ne me reste plus qu’à voir ces films !

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Billevesée #108

Un proverbe anglais dit la chose suivante : An apple a day keeps the doctor away. Littéralement, « une pomme par jour éloigne le docteur ». De manière générale, moins je fréquente de docteurs, mieux je me porte. Et de toute façon, j’aime les pommes.

Mais il y a un docteur que je meurs d’envie de vous présenter, il s’agit de Doctor Who, héros d’une série de science-fiction britannique qui dure depuis les années 1960. Je vous laisse consulter l’article Wikipédia qui est plutôt complet.

En ce moment, je découvre la saison 5 avec Matt Smith et je me régale. Je suis tombée amoureuse de David Tennant, ancien interprète du rôle principal : une des caractéristiques du Doctor est de se régénérer quand il est sur le point de mourir et donc de changer de visage en conséquence. Truc plutôt fûté des scénaristes pour ne pas tuer la série en changeant d’acteur !

Enfin, si j’évoque cette série ici, c’est surtout parce que ce cher Doctor n’a de cesse de croiser des personnages de la littérature : Shakespeare par-ci, Dickens par-là, Agatha Christie dans un coin et le Gruffalo dans un autre.

Alors, billevesée ?

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Les vestiges du jour

Roman de Kazuo Ishiguro.

Mr Stevens fut le majordome dévoué de Lord Darlington, à Darlington Hall, pendant des années. À la mort du maître des lieux en 1956, le domaine est racheté par Mr Farraday, un Américain installé en Grande Bretagne. Afin de maintenir la tenue de maison à son niveau habituel, Mr Stevens envisage de recruter de nouveaux domestiques. Il songe notamment à Miss Kenton, ancienne intendante du domaine qui s’est mariée des décennies plus tôt. Le majordome entreprend donc un voyage en automobile de plusieurs jours afin de retrouver Miss Kenton. Au fil de son échappée, Mr Stevens se remémore les grands moments de sa vie de majordome, notamment la conférence donnée par Lord Darlington en 1924 sur le traité de Versailles et ses déplorables conséquences sur l’Allemagne. Mr Stevens pense également à son père, majordome adjoint chez Lord Darlington, et à Miss Kenton, si remarquable dans son métier.

En Angleterre, la tradition du majordome est ancestrale. Étymologiquement, ce domestique au-dessus des autres est le maître de la maison. Pendant de nombreuses pages, Mr Stevens s’interroge sur ce qui définit un bon majordome : il conclut qu’un bon majordome doit être digne. En outre, un bon majordome doit savoir faire passer sa vie personnelle après sa vie professionnelle, se dévouant totalement à son métier et à son employeur, quelle que soit l’urgence intime qui bouleverse son existence. « Ne me croyez pas grossier de ne pas monter voir mon père dans son état de décès à ce moment précis. Vous comprenez, je sais que mon père aurait souhaité que je continue mon travail maintenant. » (p. 124) Avec la modernité en marche, l’extinction progressive de l’aristocratie et la disparition des grands domaines, le majordome, le traditionnel butler devient une pièce de musée, une originalité que l’on exhibe. Mr Stevens en est parfaitement conscient et il sait que Mr Farraday, son nouvel employeur, a d’autres attentes et un autre comportement que Lord Darlington. Pour s’adapter au changement, le vieux majordome s’essaie au badinage, pratique qui lui est bien inconnue.

Résumons : aristocratie anglaise, idylle improbable et montée du nazisme, voilà qui avait tout pour me plaire. Et je n’ai pas été déçue, mais j’ai eu bien des difficultés à m’attacher aux personnages principaux. Mr Stevens fait montre d’une morgue un peu froide. Il est profondément pénétré de son importance et de son métier, comme incapable de manifester la moindre émotion. Quant à Miss Kenton, elle s’emporte facilement et abuse des piques et des méchancetés pour attirer l’intention du majordome. S’il est aisé de comprendre que ces deux-là sont maladroits et bien en peine de s’avouer leurs sentiments respectifs, sur la longueur, leur comportement m’a un peu agacée, de même que le style un peu lourd de la narration qui est entièrement menée par le majordome qui, tout au long de son récit, ne peut s’empêcher de se justifier ou de préciser mille petites choses. Mais dans l’ensemble, cette lecture fut plaisante, surtout pour le charme suranné qu’elle dégage.

De Kazuo Ishiguro, je ne saurai trop conseiller de lire l’excellent Auprès de moi toujours.

Film de James Ivory.

Le réalisateur reprend admirablement le déroulement du roman, sans en modifier la construction, ce qui est vraiment agréable. Il faut toutefois noter quelques différences. L’acheteur de Darlington Hall est Mr Lewis, et non Mr Farraday, qui avait assisté à la conférence de Lord Darlington, conférence organisée en 1936 et non en 1924. Anthony Hopkins et Emma Thompson sont tous deux excellents, très justes dans leurs rôles respectifs. J’ai particulièrement aimé la scène où Hopkins tente d’expliquer la réalité du monde au jeune Hugh Grant. Il s’ensuit un dialogue très digne, mais parfaitement hilarant, sur les petits oiseaux, la luxuriance de la nature et les poissons. Le film est un peu long, mais il complète parfaitement le roman.

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La femme d’un homme

Roman de A.S.A Harrison.

Jodi a 45 ans. Jodi a un métier qu’elle aime. Jodi a un bel appartement. Jodi a un compagnon qui l’aime. Jodi a un compagnon qui la trompe. Jodi a la trempe d’une future meurtrière.

En surface, la psy et l’architecte forment le couple parfait. Mais la surface est fine, le vernis peut craquer à tout moment. « Elle n’avait jamais compris l’intérêt de se battre avec un homme qui n’allait pas changer. » (p. 301) Mais Jodi ferme les yeux et se contente de petites vengeances mesquines et de plus en plus vénéneuses. « Cela n’a pas tout simplement aucune importance qu’il cache aussi mal son jeu, encore et encore, parce qu’ils savent tous les deux qu’il est infidèle, et il sait qu’elle le sait, mais il faut absolument maintenir les apparences, ces apparences si capitales, l’illusion que tout va bien, qu’il n’existe aucune ombre au tableau. » (p. 30) Todd vit une passion avec Natasha, bien plus jeune que lui. Cette amante lui a redonné le goût de vivre pendant sa dépression. Voilà qu’un bébé et qu’un déménagement se précipitent. Jodi reste seule dans le grand appartement. Qui peut croire qu’elle fera profil bas ? Certainement pas elle et encore moins Todd !

Les chapitres alternent entre « elle » et « lui », ce qui crée un effet dilatoire dans certaines révélations. Rapidement, on comprend que l’esprit fort, c’est Jodi qui sait bien opposer l’indifférence ou le silence aux frasques de son compagnon. « À quoi bon regarder la réalité en face, s’il existe une voie plus douce, plus clémente. À quoi bon toute cette insistance macabre. » (p. 328) Je trouve le titre original, The silent wife, plus caractéristique du personnage féminin que le titre français.

Dans l’ensemble, ce roman est un thriller plutôt convaincant même si je déplore un style vraiment plat et un rebondissement final plutôt attendu. J’ai tout de même passé un bon moment de lecture, mais c’est le genre de textes que je réserve d’ordinaire à la plage. Pas de bol, il fait à peine 6°C ces jours-ci.

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Le peintre d’éventail

Roman d’Hubert Haddad.

Xu Hi-Han raconte l’histoire de Matabei Reien, son ancien maître qui l’a initié à la peinture d’éventail. « On garde si peu d’une mémoire d’homme. À peine un signe en terre. Quelques images et de rares paroles au meilleur des cas. Moins que son poids de cendre après la crémation. » (p. 18) Dans la pension de dame Hison, le jeune Matabei a fui le traumatisme d’un séisme et cherche la paix dans une contrée reculée. Alors que le traumatisme de la guerre et l’horreur de la bombe sont encore dans toutes les mémoires, les hommes doivent réapprendre à vivre et à contempler la beauté des choses. Matabei découvre la peinture d’éventail auprès du vieux Osaki Tanako. « Peindre un éventail, n’était-ce pas ramener sagement l’art à du vent ? »  (p. 44) Matabei apprend également à tenir un jardin pour en faire un art vivant, incarnation de la beauté naturelle. « Le spectacle changeant du jardin accompagnait le regard en se jouant des mouvements naturels de l’œil par à-coups et balayages, ce qui l’égarait dans sa quête d’unité par une manière d’attachement continu ourdi de surprises et de distractions. » (p. 78) Hélas, la sérénité du vieux Matabei est troublée par l’arrivée de la jeune et belle Enjo. Alors que survient un second cataclysme, Matabei appréhende la fragilité de la vie. « Quelle force obstinée vous restitue au monde, après l’apocalypse. » (p. 142)

Constitué de chapitres courts et ciselés, ce superbe roman d’Hubert Haddad tente de percer le mystère de la beauté, notamment celle du paysage qui est mise en abîme dans les éventails. Séisme après séisme, la nature se révèle aussi belle que capricieuse, toujours prête à se réinventer au détriment des vies humaines. Les haïkus et les jardins sont deux arts nippons qui se répondent et se complètent : dans ce roman, ils chantent la grâce et la légèreté de la beauté, ainsi que son évanescence et sa terrible impermanence.

Lecture dans le cadre du Prix Océans 2014.

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Instinct primaire

Texte de Pia Petersen.

Dans cette longue lettre, Pia Petersen s’adresse à l’homme qu’elle aime toujours, mais qu’elle a quitté au pied de l’autel. Elle essaie de reprendre la conversation interrompue par sa fuite et par l’incompréhension hostile de son ancien fiancé. « Il fallait laisser à l’autre la possibilité de changer d’avis mais ça, tu l’as oublié, n’est-ce pas ? » (p. 12) Alors qu’elle occupait depuis longtemps la place de la maîtresse, Pia Petersen s’accommodait parfaitement de la situation et n’avait pas demandé à son amant de quitter son épouse. « Je prenais goût à ne plus être hantée par le désir de possession. » (p. 22) Elle affirme n’avoir jamais eu besoin du mariage pour aimer, et encore moins le désir de formaliser des sentiments qui sont surtout beaux quand ils sont libres. « Jamais je ne soumettrai l’amour à un contrat. » (p. 25) Au fil de sa lettre, elle rappelle à l’homme qu’elle aime qu’elle refuse de se définir en tant que femme-épouse ou femme-mère et qu’elle a trouvé d’autres façons de se réaliser, loin du couple contresigné et de la maternité. « Toutes les femmes n’ont pas l’instinct maternel mais elles ont toutes une amie qui dit tu vas le regretter un jour. » (p. 77) Outre la lettre adressée à son ancien amant, Pia Petersen écrit une réflexion profonde sur l’économie, la natalité mondiale, l’état de la société, le féminisme et la place des femmes. « Moi, je dis que la femme devrait penser plus avec son cerveau qu’avec son utérus. » (p. 102)

Ce livre m’a été mis dans les mains par une amie qui ne me veut toujours que du bien. Mais pour cette lecture, je ne suis pas certaine de pouvoir la remercier. L’histoire et les expériences de Pia Petersen rejoignent trop brutalement les miennes pour que je reste indifférente. Cette lecture m’a heurtée, voire blessée par certains aspects. Je reconnais la pertinence des positions que défend l’auteure et ne suis pas de celles qui considèrent la femme comme un ventre en devenir. Mais certains des propos de l’auteure sont terriblement violents envers les femmes et certains de leurs désirs.

Je vais continuer à lire des livres de Pia Petersen, mais plutôt ses romans. Et je vous recommande chaudement Un écrivain, un vrai qui vous plongera dans l’enfer des médias et de la télé-réalité.

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Billevesée #107

Certains hommes marquent l’histoire par leur engagement politique, d’autres par leur art. Certains marquent l’histoire en rendant le monde plus confortable. Qui ne connaît pas le préfet Poubelle qui rendit Paris un peu plus propre en imposant massivement l’usage d’une boîte fermée pour contenir les détritus ?

Aujourd’hui, je souhaite remercier Bernard Strapontin, ingénieur des ponts et chaussées et maire de Belay au XIXe siècle, grâce à qui j’ai pu m’asseoir hier dans un cinéma pris d’assaut !

Alors, billevesée ?

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Mauvais genre

Roman graphique de Chloé Cruchaudet. D’après La garçonne et l’assassin de Fabrice Virgili et Danièle Voldman.

Louise Landy et Paul Grappe s’aiment. Ils se marient juste avant que Paul parte faire son service militaire. Et voilà que la Première Guerre mondiale éclate et que l’horreur des tranchées saisit les hommes au fond du cœur. « Qui te dit que tu vas t’en sortir ? Tu vas crever en brave petit soldat obéissant… Ta Louise fera une veuve bien digne… Un bien beau destin ! » (p. 30) Paul ne veut pas mourir sous le feu ennemi, il préfère être déserteur, et Louise sera sa complice. « Je suis ta femme, ta carcasse maintenant, c’est moi qui m’en occupe. » (p. 38) Mais qu’il est difficile de rester caché toute la journée quand on est un homme plein de dynamisme ! Et si, pour passer inaperçu, Paul se déguisait en femme ? Superbe idée, mais pas si facile à mettre en œuvre tant Paul est viril. « Bon, tu veux que je joue au pédé, quoi… / Pas du tout… / Comment tu veux que ça paraisse naturel ? J’suis un bonhomme, c’est tout ! » (p. 63) Avec l’habitude, Paul fait illusion et il devient Suzanne aux yeux du monde.

Quand sonne la fin de la guerre, Paul croit être enfin libre, mais il apprend que les déserteurs ne sont amnistiés. Il lui faut garder le costume de Suzanne et vivre avec, au grand jour. Peu à peu, il prend goût à ce travestissement forcé et découvre des jeux pervers au bois, la nuit. Louise sent bien que son mari lui échappe et qu’il plonge dans le Paris des années folles où il devient une légende noctambule. « Suzanne était un être lumineux, elle irradiait. » (p. 114) Pour garder son mari, Louise commence à le suivre au bois, la nuit, et elle apprécie même ce qui s’y passe. Le couple, gêné par la fausse identité de Paul, se déchire tout en ne pouvant pas se séparer. Quand l’amnistie est prononcée dix ans après la guerre, Louise rêve de connaître enfin une vie normale avec son époux. Mais Paul pourra-t-il se passer de la clandestinité et du double jeu dans lequel il excellait et où il cachait les terreurs ramenées de la guerre ? « Quoi, ça ne te fait pas plaisir que je te désire ? / Je ne te fais pas envie… tu as envie d’être moi, c’est pas pareil. » (p. 152)

Quelle étonnante histoire vraie ! Le récit s’ouvre sur un procès pour meurtre qui reprend le déroulement des évènements depuis le début. C’est ainsi que l’on découvre les jeunes Louise et Paul, amoureux insouciants qui ne savaient pas combien la guerre allait les meurtrir. En un sens, Paul est une gueule cassée puisqu’il ne peut plus montrer son visage d’homme. Le dessin est une magnifique composition au fusain parfois traversé par l’éclat d’une sanguine qui, simple tâche écarlate, rend dynamique toute la scène, voire toute la page. Ce rouge vibrant, symbole de la féminité, passe de Louise à Paul et finit sur un étal de sucreries, symbole du plaisir perdu. Chloé Cruchaudet propose une réflexion digne et compatissante sur les genres féminins et masculins et sur les prétendues barrières qui les séparent, voire les opposent. Ce bouleversant roman graphique m’a rappelé Triangle rose de Michel Dufranne : ces deux œuvres posent intelligemment l’éternelle question de l’identité individuelle au sein d’une société codée.

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Les fourmis rouges

Roman d’Édith Serotte.

Marie-Claudine, professeure de langues, a quitté Montréal pour suivre Arnaud à Pointe-à-Pitre. Son amant s’est vu proposer une belle situation professionnelle, mais elle attend en vain un permis de travail. Désœuvrée et meurtrie par le choc culturel, Marie-Claudine s’interroge sur le bien-fondé de ce déracinement. « J’ai pesé longuement le pour et le contre. Non, ce n’est pas vrai. Je n’ai pas réfléchi. Je l’ai suivi, c’est tout. Je ne me voyais pas continuer ma petite vie sans lui. » (p. 31) Alors qu’Arnaud a retrouvé sa famille et sa terre natale, Marie-Claudine souffre de l’inconnu qui entoure ses origines haïtiennes. Le fossé se creuse entre les amants et la gironde Québécoise perd pied. « Se peut-il que ceux que le Québec a unis puissent être séparés par le seul glaive de nos terres promises ? » (p. 70)

La sagesse populaire veut que toutes les fourmis rêvent d’être des fourmis rouges, elles qui sont si combatives et qui gagnent à tous les coups. Mais toutes les fourmis peuvent-elles vraiment endosser cette carapace martiale ? Marie-Claudine n’est pas de celles qui s’adaptent facilement. Il lui faut passer par « la réconciliation avec soi-même, passer le cap des idéaux pour mieux franchir ceux de la vie. » (p. 127) Sa mélancolie et sa nostalgie composent une touchante élégie sur la terre promise. Si j’ai largement préféré les évocations de Montréal, ville que je connais un peu, je me suis plu à déambuler dans des rues guadeloupéennes inconnues. Le court roman d’Édith Serotte est une belle invitation au voyage et tant pis si le vague à l’âme tourne au mal de mer !

Lecture dans le cadre du Prix Océans 2014.

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Le lapin de Pâques

Album de Winfried Wolf. Illustrations d’Agnès Mathieu.

Nombreux sont les gens qui ne croient pas à l’existence du lapin de Pâques. Comment ce petit animal pourrait-il sortir de son clapier, ramasser des œufs, les peindre, les porter à travers tout le pays et les distribuer aux enfants ? Pourtant, chaque enfant peut imaginer son propre lapin de Pâques. « Il a fait cette longue route rien que pour toi. Et c’est le plus beau lapin de Pâques du monde car toi seul, tu l’as imaginé ! »

 Voici une charmante histoire sur le pouvoir de l’imagination et sur la force qu’elle donne aux légendes. J’apprécie particulièrement les illustrations qui rappellent l’imagier traditionnel des livres pour enfants, mais avec le grain de folie très coloré qu’apporte le lapin de Pâques.

Cet album appartient à la collection « Je commence à lire » des éditions Casterman. Le texte est donc rédigé dans une belle écriture cursive qui facilite les premières lectures. J’aurais beaucoup aimé apprendre à lire avec cet ouvrage : nul doute que cela n’aurait que renforcé mon goût pour les livres et les lapins !

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Jeune fille vue de dos

Roman de Céline Nannini.

« Je n’arrive à faire face à rien. On ne peut me voir que de dos. C’est le journal de cette incapacité. » (p. 9) Avec cette phrase liminaire, la jeune héroïne présente une défaillance métaphorique en la plaçant sur le plan du concret. Au fil des pages de son journal, elle parle de ses amis, de son goût pour les livres, la musique les pizzas et le bon vin rouge. Elle raconte ses désirs et comment ils se heurtent au non-achèvement qui caractérise toutes ses entreprises et tous ses rêves. « Je devrais écrire moi aussi et le faire sans regarder sans cesse la copie du voisin. » (p. 110) Paresse, peur, doute, procrastination, nombreux sont les facteurs qui se lient pour empêcher la jeune fille d’avancer. « Je suis en prison à l’intérieur de moi et j’étouffe. Comme si la flamme me bouffait au lieu de me faire avancer. » (p. 34) Il y a bien cet amant qui semble idéal, mais jamais nommé, ni jamais vraiment présenté, il reste à l’état de fantasme et n’est peut-être que cela.

Le journal de l’héroïne ne présente aucune date et n’est qu’une longue suite de jours égrenés au fil des saisons. « Dans un journal, on parle forcément de soi – c’est pas ce que j’appelle de la littérature. » (p. 50) Et j’abonde dans ce sens. À force de répétitions et de reprises des mêmes schémas, l’histoire ne connaît aucune progression. Elle stagne, voire régresse à l’image de l’héroïne qui, bien que pressée par quelques contingences matérielles, mène une vie d’adulescente sans contrainte. Ce récit ne propose pas d’ailleurs : l’intrigue et la narration font du sur place et il n’y a rien de tel pour essouffler le lecteur. Quel dommage que ce roman, dont le titre renvoie à une figure picturale que j’apprécie particulièrement, pratique une ellipse qui confine à l’effacement ! Je conseille ce roman à de jeunes lecteurs qui se reconnaîtront peut-être dans le personnage perdu de cette héroïne sans visage.

Lecture dans le cadre du Prix Océans 2014.

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Est-ce que tu dors, Jeannot ?

Album d’Alison Campbell et Julia Barton. Illustrations de Gill Scriven.

Dehors, c’est l’hiver, il neige et il fait très froid. Séverin préfère que son lapin Jeannot passe la nuit dans la maison, bien au chaud. Le petit garçon installe Jeannot dans un carton dans la cuisine et lui lit une histoire avant de monter se coucher dans sa chambre. Mais le petit lapin ne fait que des bêtises dans la cuisine : il grignote un paquet de lessive ou il fouille dans le frigo. Le plus sûr, c’est encore que Séverin reste avec lui. « Séverin fait un lit sous la table avec sa couverture et son oreiller. Puis il prend doucement Jeannot dans ses bras et l’installe à côté de lui. » Maintenant, tout le monde va pouvoir dormir tranquillement !

Le thème de l’enfant qui ne veut pas se coucher est repris et appliqué à l’animal de compagnie. Cela donne une histoire plutôt originale, car elle montre à l’enfant combien il peut être pénible de faire face à un petit têtu qui refuse de dormir.

Les aquarelles sont douces et lumineuses et les dessins sont gentiment naïfs. Séverin est un petit garçon à la bouille bien ronde et Jeannot est un petit lapin bien dodu, parfois un peu trop. Sur certaines pages, il ressemble presque à une vache… Cet album reste un bel objet pour les premières lectures des petits.

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Billevesée #106

Je suis complètement ouverte à l’évolution de la langue de française et à son métissage avec d’autres langages. Tant que la grammaire et la syntaxe sont respectées, la langue peut et doit s’enrichir si elle veut résister au passage du temps et à l’évolution de la société.

Qui ne connait pas Facebook, au moins de nom ? Ce réseau social qui a radicalement changé la définition du mot « ami », et pas dans le meilleur sens », a largement contribuer à la diffusion d’un nouveau mot, le verbe « plussoyer ». Ce terme vient de l’habitude, sur Facebook et d’autres sites ou forums, d’écrire « + 1 » pour signifier « J’ajoute ma voix, je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit, je souscris à ces propos ».

Sur le principe, créer un verbe pour illustrer une action numérique me plaît beaucoup, mais ce mot-là, quelle mocheté avec son faux air d’ancien français ! Donc, tant que « plussoyer » n’aura pas fait son entrée dans le dictionnaire (Le Robert  évidemment, pas le Larousse ! Oui, je fais de la discrimination de dictionnaires…), je me refuse à l’employer, il est trop vilain !

Alors, billevesée ?

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Socrate, le lapin noir

Roman jeunesse de Thea Dubelaar-Balzamont.

Benny ne supporte plus Roland, son beau-père, qui est souvent de mauvaise humeur et il a la main trop leste. Mais la maman de Benny, enceinte, veut encore laisser une chance à cet homme malcommode. Pour le garçon, la cohabitation devient de plus en plus pénible. « La vie n’est pas juste. Pas juste du tout. Mais cela, il le sait depuis longtemps. » (p. 14) Voilà que le garçon tombe nez à nez avec un petit lapin noir qui court à perdre haleine pour échapper à tous les dangers : chiens, rats, humains, cochons. Immédiatement, Benny en est persuadé, le petit lapin noir sera son ami. « Ce lapin s’appelle Socrate, il est à lui et à personne d’autre. » (p. 23)

Socrate devient le doux trésor et le précieux secret de Benny. « Personne ne doit savoir qu’il garde chez lui cette jolie petite boule de poils noirs. » (p. 49) Mais il n’est pas facile de dissimuler l’animal dans la maison. Benny craint que Roland brutalise son lapin, mais il se passe quelque chose de bien singulier : l’homme s’adoucit au contact de l’animal. « Socrate est magique. On est obligé de l’aimer. On ne peut pas faire autrement. » (p. 64)

Ce petit roman pour la jeunesse est un conte plein d’une sagesse tendre. Il parle de deuxième chance, d’amour, de nature humaine et de ce qu’il faut pour changer un homme. Par certains aspects, l’histoire est simple, voire simpliste et la morale est évidente, mais ce genre de textes offre un solide message d’espoir aux jeunes lecteurs. J’ai été tout à fait séduite par cette belle histoire d’amitié entre homme et animal (lapin).

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Sept saisons

Roman graphique de Ville Ranta.

Dans le village très septentrional d’Oulu, en Finlande, la vie se déroule au rythme des saisons. Ici, on dit qu’il y en a sept tant le temps varie au fil des mois. Hans Nyman est candidat au poste de doyen des pasteurs. Alors que la rigueur luthérienne pèse déjà sur les habitants, un nouveau pasteur prêche le piétisme, courant luthérien qui se réclame d’une plus grande foi personnelle et d’une plus grande moralité, souvent au détriment de la connaissance. « Il prêche contre l’éducation et le savoir ! D’après lui, l’inculture est une vertu chrétienne ! » (p. 102)

La jeune Maria Piponius, revenue de trois ans de voyage avec sa sœur et son beau-frère, est sensible à ce mouvement tandis qu’Hans, bien qu’habité de bonnes intentions et de nobles ambitions, ne peut s’empêcher de trousser sa servante chaque nuit dans la cuisine. Au village, les langues vont bon train et l’on se moque de ce pasteur dévoyé. Alors que l’ancienne domination russe se fait encore sentir, les hommes et les femmes d’Oulu tentent d’avancer vers le XXe siècle, au sein d’une Finlande qui se découvre une identité propre.

Je suis toujours en quête de beaux romans graphiques et de nouvelles expressions en bande dessinée. C’est avec un immense plaisir que j’ai parcouru les très belles pages de l’œuvre de Ville Ranta. Le dessin, composé d’aquarelles griffonnées, est extraordinaire dynamique et vivant. Les visages et les corps des personnages ne sont pas beaux, mais les paysages, les marines et les scènes de foule sont à couper le souffle. Ville Ranta est un aquarelliste qui a compris que le détail n’est pas important quand l’ensemble est cohérent. Entre douceur et sensualité, les images présentent des êtres en proie au doute sous des cieux dont les nuances sont extrêmement fidèles à la nature.

Il y a sept saisons, car le temps est, comme les hommes, intrinsèquement composite. Tenter de réduire l’un ou l’autre à une seule déclinaison ne peut que faire perdre du sens et amoindrir la réalité. Dans la vision luthérienne, l’homme n’est que pécheur, mais la nature l’a voulu gourmand, curieux et sensuel. Ville Ranta dépeint de nombreux désirs refoulés et cachés qui explosent dans des pulsions parfois condamnables, mais impossibles à contenir.

Sans porter de jugement, l’œuvre présente une certaine société finlandaise, à la fois géographiquement isolée et intellectuellement enclavée dans des dogmes stricts et archaïques. « Que dit donc la Bible ? / Que si la femme veut augmenter son savoir, c’est à son mari qu’elle doit d’adresser. » (p. 34) Mais il ne s’agit pas uniquement de religion : il y a toute une morale à l’œuvre qui voudrait tenir les êtres dans sa main et balayer toute velléité d’indépendance. À Oulu, certains jours ne voient jamais la nuit et certaines nuits ne voient jamais le jour, mais il était tant que l’obscurantisme recule.

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Quelques minutes après minuit

Roman jeunesse de Patrick Ness. D’après une idée originale de Siobhan Dowd. Illustrations de Jim Kay.

Le père de Conor est parti en Amérique avec sa nouvelle femme. La mère de Conor est très malade et les traitements semblent l’affaiblir de plus en plus. La grand-mère de Conor ne ressemble pas du tout à une gentille grand-mère. Les camarades de classe de Conor sont brutaux et moqueurs à son encontre. Bref, pour Conor, la vie est déjà très difficile et douloureuse. Et il y a ce cauchemar qui revient chaque nuit et qui le réveille en sursaut. Un soir, à 0 h 07, le grand if qui se dresse derrière la maison se transforme : un monstre entre dans la chambre de Conor et lui annonce qu’il lui racontera trois histoires avant d’entendre la sienne qui devra être la vérité. « Qu’est-ce que tu veux de moi ? demanda-t-il.  / Ce n’est pas ce que je veux de toi, Conor. C’est ce que toi tu veux de moi. / Je ne veux rien de toi. / Pas encore, dit le monstre. Mais bientôt. » (p. 40)

Le monstre n’est pas sorti d’un cauchemar et il ne se fait pas oublier quand le jour pointe ses rayons. Au contraire, il se montre à chaque fois que Conor perd pied à l’école ou chez sa grand-mère. Le monstre encourage Conor à exprimer ses sentiments, aussi violents soient-ils. « Les histoires sont des créatures sauvages. Quand tu les libères, qui sait ce qu’elles peuvent déclencher ? » (p. 61) Cet être effrayant venu des temps anciens représente toutes les peurs qui habitent l’enfant et se présente comme l’exutoire incarné des terribles sentiments qui se contredisent et se débattent dans le cœur et l’esprit du garçon. Il faut parfois des paraboles pour oser s’approcher de l’impensable et de l’incompréhensible, et quoi de plus impensable et de plus incompréhensible que la mort. « Les histoires sont importantes. Elles peuvent être plus importantes que tout. Si elles apportent la vérité. » (p. 151)

Les trois récits que le monstre fait à Conor sont pleins d’une subtilité qui, même si elle est un peu cousue de fil blanc, efface la frontière trop sage entre bien et mal, entre réel et irréel. Alors que Conor refuse de penser que sa mère ne guérira pas, il lui faut pourtant accepter l’idée du deuil et de la vie sans elle. Et son meilleur soutien, outre celui très ambigu que lui offre le monstre, lui vient de cette grand-mère si peu aimable au premier abord. « Sa maman à lui était sa fille à elle. Et elle était pour eux deux la personne la plus importante au monde. Et ce n’était pas rien d’avoir ça en commun. » (p. 210)

Dans l’ensemble, j’ai plutôt apprécié cette intrigue, même si je ne suis pas vraiment friande des romans pour la jeunesse. J’ai toutefois un gros reproche à émettre à l’encontre de cet ouvrage. Les illustrations sont sombres, beaucoup trop sombres. D’aucuns me diront que cela va de pair avec le cauchemar et la peur. Mais je ne comprends pas le parti pris de représenter le monstre, de lui donner une forme. Chaque lecteur a son propre monstre, ses propres terreurs : à mon sens, montrer le monstre, c’est empiéter sur l’imagination et diminuer d’autant la peur que peuvent susciter l’inconnu, le non-formé, l’ombre derrière le rideau.

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Lili et le goût de la Chine

Album de Guillaume Olive et He Zhihong.

Lili est une petite Chinoise adoptée par un couple de Français. Parfois, elle a des souvenirs venus d’ailleurs, mais elle n’arrive pas vraiment à les identifier. Un jour, elle sent la bonne odeur qui s’échappe de la cuisine de Monsieur Barnabé, son voisin. Monsieur Barnabé a vécu en Chine et il est tombé amoureux de cette gastronomie aux senteurs si diverses. Il propose à Lili d’apprendre à cuisiner les plats de son pays natal. La petite fille met enfin un nom et une saveur sur les lointains souvenirs qui planaient dans l’air.

Que cet album est charmant ! Le dessin semble fait sur de la feuille de riz, tout en délicatesse, entre aquarelle et estampe. Outre suivre l’amitié qui se noue entre Lili et Monsieur Barnabé, je me suis régalée à lire les recettes proposées. Habilement intégrées au récit, elles mettent l’eau à la bouche. Il s’agit de recettes simples qu’un jeune lecteur amateur de cuisine peut réaliser facilement avec un adulte. Et se mêlent aux recettes des légendes culinaires qui font voyager. J’ai soudain furieusement envie de raviolis chinois !

En grande amatrice de thé, je vous donne la bonne méthode pour préparer ce divin breuvage.

Verse un peu d’eau bouillante dans une petite théière pour la rincer et la réchauffer, puis vide toute l’eau. Mets une pincée de feuilles de thé par personne dans la théière, verse de nouveau de l’eau bouillante pour rincer les feuilles, puis vide aussitôt. Remplis toute la théière d’eau bouillante, puis couvre-la. Laisse infuser trente secondes, et c’est prêt ! Verse un peu d’eau bouillante dans les tasses pour les réchauffer, puis vide-les avant de servir. Tu peux répéter ces étapes plusieurs fois avec les mêmes feuilles de thé.

Je suis très ordonnée quand il s’agit de ranger mes livres. C’est pourquoi celui-ci va rejoindre mon étagère de livres de cuisine !

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Les lettres

Nouvelle d’Edith Wharton.

Lizzie West est une jeune institutrice pauvre. Elle tente avec difficulté d’inculquer quelques connaissances à la jeune Juliette Deering. Mais Lizzie est heureuse, car elle partage une romance secrète avec Vincent Deering, le père de Juliette. « Ce n’est pas le baiser reçu qui importe, mais le baiser rendu. Et le premier baiser de Lizzie West avait été pour Vincent Deering. » (p. 16) Hélas, Vincent se retrouve veuf et doit rentrer en Amérique pour régler les affaires de sa défunte épouse. Les deux amants promettent de s’écrire, mais après quelques lettres, Vincent se tait et les lettres passionnées de Lizzie restent sans réponse. « Mais bien qu’elle fut convenue en elle-même et avec insistance du caractère épisodique de leur histoire et que, pour Deering, celle-ci ne pouvait être qu’un simple accident, elle demeurait convaincue que son sentiment pour elle, même fugitif, avait été véritable. » (p. 45) Des années plus tard, les anciens amants de retrouvent et le voile de silence se déchire. « Un amour capable de supporter la pesanteur de la vie pouvait être tissé de substances médiocres et mêlées. » (p. 92)

Edith Wharton a signé ici une nouvelle de grande qualité, à la fois fine et acérée, sur l’amour. Sans donner de réponse ni porter de jugement, elle interroge sur l’origine du sentiment, son entretien et la façon de le préserver des trahisons et du quotidien. L’intrigue est finalement banale, mais le talent de l’auteure est de la nouer de telle façon qu’elle prend l’ampleur d’un drame bourgeois où l’on se méprise à mots feutrés pour ne pas rayer les apparences.

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Billevesée #105

Les célébrités qui portent des pseudonymes sont légion et certaines raffinent même le procédé en se créant un nom à partir de celui d’un autre.

Ainsi, Pascal Obispo a créé son pseudonyme en anagrammant le nom de Pablo Picasso. (Veuillez noter que l’indifférence que j’accorde au premier est inversement proportionnelle à l’admiration que j’ai pour le second.)

Alors, billevesée ?

Et sinon, les billevesées, je les continue en 2014 ou pas ?

ERRATUM DU 30/12/2013 : Voilà, ça m’apprendra à ne pas vérifier mes sources… Apparemment, non, ce n’est pas un pseudo et l’anagramme est un pur hasard… Quand je vous dis qu’il ne faut pas prendre tout ce que je vous dis au pied de la lettre !

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Mudwoman

Roman de Joyce Carol Oates.

Jetée dans la boue de la Black River par sa mère alors qu’elle n’était qu’une enfant, Mudgirl a rapidement compris que l’amour serait une épine dans son existence. « Car c’était le point central de la vie de Mudwoman : être admirée, aimée. » Adoptée par un couple de quakers et rebaptisée Meredith Ruth – ou M. R. –, elle grandit dans un foyer chaleureux, bercée par les mots. Docteure en philosophie, elle est élue à la présidence d’une prestigieuse université américaine. Sa carrière est à son apogée et tout pourrait lui réussir. « Son pouvoir sur les autres venait qu’ils l’aimaient. Cet amour ne pouvait être que volontaire, librement décidé. » Hélas, son histoire la rattrape et la boue du passé menace de tout étouffer. Elle a beau se débattre, elle ne cesse de se forger de nouveaux démons qui se nourrissent de ses traumatismes.

Je l’ai déjà constaté, souvent à regret : il n’y a pas de résilience dans les romans de Joyce Carol Oates. « Tu n’as pas à comprendre pourquoi ce qui t’est arrivé est arrivé, tu n’as même pas à comprendre ce qui est arrivé. Il suffit que tu vives avec ce qui reste. » Les êtres sont marqués à jamais et, incapables de surmonter et de dépasser les plaies et les souffrances, sont finalement condamnés, voire damnés. La tristesse qui plane sur Mudwoman devient progressivement de plus en plus sordide. Certes, l’héroïne est une femme qui a toutes les raisons d’être très perturbée, mais le récit de son destin éternellement sacrificiel est à l’image de la boue, lourd et collant, à tel point que la grâce dont Oates a su faire preuve dans d’autres de ses romans est totalement absente de Mudwoman. Ici, tout est terrible et exagéré, comme les fantasmes de viol et de mariage qui occupent des chapitres dérangeants au milieu de la folie grandissante de M. R.

Entre passé et présent, l’histoire de Mudwoman – la femme de la boue – se caractérise par sa violence et par la brutalité dont elle fait montre à l’égard du lecteur. Outre les longueurs qui alourdissent ce texte déjà extraordinairement pesant, Joyce Carol Oates use et abuse des parenthèses et de l’italique, ce qui donne un texte qui se cache de lui-même, qui ne se laisse appréhender qu’au conditionnel. Enfin, il y a trop de choses dans ce roman. Tout commence avec le destin malmené d’une femme, puis s’incrémente d’une réflexion sur l’université, la politique et l’existence. Le tout constitue une somme hétéroclite où chaque partie se débat pour trouver sa place, dérangeant sans cesse l’ensemble déjà branlant.

J’ai relevé deux phrases qui caractérisent assez précisément le personnage de Mudwoman.

 « M. R. aimerait Andre Litovik plus qu’il ne l’aimait parce qu’elle avait une plus grande faculté d’aimer, comme elle avait une plus grande faculté de compassion, de patience, de générosité et de courtoisie. »

« Elle n’était pas belle, et le compliment la mettait mal à l’aise – elle n’avait aucune envie de se montrer à la hauteur de ce compliment. »

À trop tremper sa plume dans le sordide et le sombre, Joyce Carol Oates pourrait finir par me lasser. À ce jour, le roman que je préfère reste Mon cœur mis à nu dans lequel l’auteure a si bien su allier le cynisme, la noirceur et la grâce. J’aimerais vraiment qu’elle revienne sur ce chemin.

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Petit Lapin Blanc et la baby-sitter

Album jeunesse de Marie-France Floury et Fabienne Boisnard.

Ce soir, Papa et Maman vont au cinéma en amoureux. Petit Lapin Blanc et Petite Sœur sont donc gardés par Émilie, la baby-sitter. Si Petit Lapin Blanc boude un peu au début, il finit par apprécier la gentille Émilie qui lui propose des jeux et un film pour occuper la soirée. « Un bisou, réclame Petit Lapin Blanc. / Bien sûr, dit Émilie. Un pour toi, et un pour ton doudou ! » Au matin, Petit Lapin Blanc a bien hâte qu’Émilie revienne pour passer une autre soirée aussi chouette !

Ce tout petit album aux jolies pages carrées propose une histoire bien mignonne pour aider les enfants à appréhender une soirée sans Papa et Maman, en compagnie d’une jeune inconnue. Cet ouvrage m’a rappelé mes quelques expériences de baby-sitter, certaines moins faciles que d’autres… mais Petit Lapin Blanc est A-DO-RA-BLE (et je mesure mon enthousiasme) avec sa bouille ronde et son petit nez rose et cela aurait été un plaisir de garder un petit garçon comme lui !

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Trash Cancan – La véritable histoire des rois et des reines de France

Bande dessinée de Caroline Guillot, tirée de son blog Trash Cancan.

Mérovingiens, Carolingiens Capétiens, Valois et Bourbons. Voilà les grandes familles royales qui ont fait la France au gré des conquêtes, des alliances, des mariages et des traités. Mais ici, on vous montre le dessous des cartes, le dessous des tables et les dessous tout court. Regorgeant de détails loufoques, grotesques, mais surtout sanglants, cette histoire de France n’est pas celle qu’on apprend sur les bancs de la communale. Qui n’aime pas les cancans, ces secrets plus ou moins bien gardés ? Quel roi a refilé la syphilis à son épouse après lui avoir dédié des prunes ? Quelle future reine de France a vu son premier mariage consommé par procuration, quand le représentant de son époux a glissé sa jambe nue dans son lit ? Quelle reine a préféré voir ses fils morts plutôt que tondus ? Quel roi est mort de la gangrène après avoir perdu des petits bouts de lui-même un peu partout ? Vous saurez tout cela et bien plus en ouvrant la bande dessinée de Caroline Guillot.

L’auteure le dit dans son introduction, elle retient surtout les détails cocasses de l’histoire. Et elle sait étendre cette cocasserie à ses dessins et aux propos qu’elle prête aux grands noms de l’histoire. Ainsi, on surprend un dialogue des plus savoureux entre Charlemagne enfant et sa mère : « Pff ! Roi, ça craint comme taf. Moi, je serai empereur ! / Passe ton sacre d’abord ! » (p. 25) Caroline Guillot n’a pas son pareil pour simplifier les choses sans les appauvrir. Évidemment, sa bande dessinée ne suffit pas à cerner l’histoire de France puisqu’elle s’attarde sur des faits plus ou moins mineurs, mais elle a l’immense mérite de donner envie d’en savoir plus. Et parfois, appeler un chat par son nom, c’est tellement plus drôle que de prendre des pincettes ! Un exemple hilarant avec les persécutions cathares : « Une grande question se pose alors : comment différencier un cathare d’un bon chrétien ? Le légat du pape simplifie les choses en certifiant que Dieu reconnaîtra les siens et qu’il faut zigouiller tout ce qui bouge ! » (p. 46) Voilà voilà…

Les dynasties royales sont présentées dans des généalogies claires qui n’omettent rien des multiples mariages de certains rois et des nombreuses répudiations. La couronne de France change de tête plus souvent qu’à son tour, au gré des successions directes, des mariages, des meurtres et de bien d’autres faits largement sanglants dont l’histoire de France regorge. Le sous-titre annonce une véritable histoire de France. Tout à fait véridique, elle est également redoutable puisqu’il ne faisait pas bon être roi ou proche du roi : nombreuses sont les têtes qui sont tombées, et ce, bien avant l’arrivée de la guillotine !

Bien que légèrement caricaturaux, les dessins de Caroline Guillot rendent parfaitement hommage aux visages des souverains français. Vous les reconnaîtrez tous, je vous le garantis ! Toute en camaïeu de gris, l’image s’agrémente très souvent d’un beau rouge vermillon qui ne cesse de goutter d’une page à l’autre. Le titre vous avait prévenu : c’est trash ! L’auteure a adapté le langage des personnes à notre époque et à ses codes : ainsi, des amoureux s’échangent leur pigeon voyageur pour pouvoir s’envoyer des mots doux. Il y a de nombreux clins d’œil au cinéma et à la culture populaire.

Et le petit plus absolument délirant et indispensable, ce sont les jeux qui parsèment la bande dessinée. Ça vous dit de faire une partie de jeu de l’oie façon Saint-Barthélémy ? Choisissez votre pion : vous pouvez être un Valois, un Guise ou un réformé. Et selon votre chance aux dés, vous perdrez un tour à massacrer des huguenots ou à forniquer avec Margot… Trash ? Oui, on vous l’a déjà dit ! Voyez par vous-même, si vous avez choisi d’être un réformé. « 8 : Vous vous amusez à crucifier des curés lors de la Michelade. Passez un tour pour enlever vos échardes. 10 : La mort de votre chef Condé vous déprime, vous ne faites plus rien jusqu’à ce que quelqu’un arrive. 13 : La Saint-Barthélémy a anéanti une partie de vos soldats, vous passez 2 tours à les soigner. 14 : La Rochelle a résisté aux assauts de la Ligue ! Heureux comme un pape, vous partez raser Montpellier, case 27. 23 : Le culte protestant est interdit, vous retournez case 18 prier tranquillement. 29 : La conversion d’Henri 4 vous protège, marchez tranquillement jusqu’à la case 32. » (p. 93)

Bref, si tout est rigoureusement exact, tout est surtout foutrement drôle et je vous mets au défi de ne pas hurler de rire devant les scènes si férocement croquées par Caroline Guillot !

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Joyeux Noël

Noël, ses sapins, ses repas de famille, ses cadeaux, ses plaisirs et ses joies.

Noël, cette période que je voudrais voir durer plus longtemps, cet esprit d’allégresse et d’amour.

JOYEUX NOËL À TOUS LES AMIS QUI VIENNENT FAIRE DES GALIPETTES SUR MON BLOG !

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Pourquoi écrire ?

Ouvrage de Paul Auster.

Cinq histoires auxquelles Paul Auster a pris part, auxquelles il a assistées ou dont il a été le dépositaire. Cinq anecdotes sans lien apparent, si ce n’est l’extraordinaire magie de l’instant ordinaire qui, isolé du temps et du continuum quotidien, devient un évènement, une apothéose. Pourquoi écrire ? Justement parce qu’il y a des instants, comme ceux que relate Paul Auster, qui méritent des lignes et que l’encre coule. Parce que sans ces instants minuscules et pourtant essentiels, il n’y a pas d’inspiration, pas de ressort à l’imagination et au travail de l’écrivain. Parce que Paul Auster, humblement et honnêtement, reconnaît la puissance du banal et la force du petit rien. Et, enfin, parce qu’il révèle une évidence : tout mérite d’être écrit du moment qu’une âme tend vers la littérature.

« Depuis ce soir-là, j’ai toujours eu un crayon sur moi, où que j’aille. J’ai pris l’habitude de ne jamais sortir de chez moi sans m’assurer que j’avais un crayon en poche. Non parce que j’avais idée de ce que je ferais avec ce crayon, mais parce que je ne voulais plus être pris au dépourvu. Je m’étais laissé prendre une fois, et n’étais pas prêt à laisser ça se reproduire. Si les années m’ont appris une chose, c’est ceci : du moment qu’on a un crayon dans sa poche, il y a de fortes chances pour qu’un jour ou l’autre, on soit tenté de s’en servir. Et je le dis volontiers à mes enfants, c’est comme ça que je suis devenu écrivain. » (p. 31)

31 pages de génie et de concision. 31 pages où Paul Auster démontre une nouvelle fois – bien que nul n’en doutait – qu’il estt un fabuleux conteur et qu’il sait faire une histoire d’un rien du tout, même si l’histoire ne fait que quelques paragraphes. Ce n’était jamais la longueur qui fait la valeur de l’oeuvre, mais bien l’intention de l’auteur quand elle est respectée et pleinement aboutie. Pour moi, ces 31 pages sont un bijou qui vaut La trilogie new-yorkaise.

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Billevesée #104

Aujourd’hui, rares sont ceux qui n’ont pas de téléphone portable. Certains de ces appareils servent toujours à téléphoner, d’autres vous proposent en plus des fonctionnalités de plus en plus variées : lire un livre, voir un film, prendre des photos, surfer sur Internet, gérer vos comptes bancaires, etc. Les opérateurs de téléphonie mobile et les fabricants ne manquent jamais d’idées pour rendre ces petits appareils toujours plus performants et plus indispensables. (Notez que je dénonce la pratique qui vise à créer le besoin là où il n’existe pas…)

Toutefois, que vous possédiez un simple téléphone ou un engin supersonique, votre gadget adoré ne vaut rien sans sa carte SIM, ce petit rectangle de plastique et de circuits intégrés. Et SIM veut dire ? Je vous écoute ? Personne ? Moi même, j’ai dû chercher parce que rien ne me venait (contrairement au sens d’ADN que je connais très bien, mais cela n’a rien à voir). SIM est un acronyme pour Subscriber Identity Module.

Alors, billevesée ?

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Peter Pan

Conte de James M. Barrie.

M. et Mme Darling sont les heureux parents de Wendy, John et Michael. Sous la bonne garde de Nana, la chienne nounou, les enfants grandissent comme tous les enfants, en faisant des rêves et en imaginant des mondes merveilleux. Et voilà qu’un soir, l’imaginaire frappe à la fenêtre de la chambre des enfants. Voilà Peter Pan et la fée Clochette qui viennent les chercher. Le jeune Peter a refusé de grandir et s’est enfui au pays imaginaire où le rejoignent régulièrement des garçons perdus. Peter Pan et les garçons sont heureux de leur vie sans adultes, mais ils aimeraient bien avoir une maman qui s’occuperait d’eux et leur raconterait des histoires. Wendy devient cette petite maman et tout pourrait être merveilleux si l’infâme capitaine Crochet ne cherchait pas à avoir la peau de Peter Pan. Et puis, Wendy et ses frères aimeraient bien revoir leurs parents, restés à Londres et désespérés d’avoir perdu leurs enfants.

Ce conte est un classique des histoires enfantines. Je connaissais le dessin animé de Walt Disney et je suis très surprise de constater que, pour une fois, la machine américaine a respecté presque intégralement le texte original. Ce dernier est peut-être plus véhément quand il s’agit de montrer l’égoïsme de Peter Pan et son refus farouche de devenir un adulte. J’aime cette histoire qui est un hymne aux mamans et qui insiste sur l’importance des mères dans le cœur et sur la vie des enfants, même les plus butés et les plus polissons.

Un bémol toutefois : au pays imaginaire, Wendy joue à la maman en s’occupant seule d’une bande de gamins braillards et indisciplinés. Peter Pan se veut le chef de cette remuante marmaille, mais il ne veut en aucun cas occuper la place du père et exige d’être traité par la petite fille comme un enfant. Et Wendy, bonne poire, se plie à ses exigences capricieuses et assume la tenue du ménage. Voilà comment l’auteur présente la vie de Wendy. « Je suppose que Wendy devait trouver son séjour particulièrement enchanteur, car sa turbulente famille lui donnait fort à faire. Elle n’avait même pas le temps de monter prendre le frais, sinon le soir et encore, avec une chaussette à la main. » (p. 60) Ainsi, que l’on soit dans le monde réel ou au pays des rêves, la place des femmes est toujours la même et elle est forcément épanouissante…

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Les tribulations d’un lapin en Laponie

Roman de Tuomas Kyrö.

Vatanescu quitte la Roumanie avec un seul objectif : gagner suffisamment d’argent pour pouvoir offrir des chaussures à crampons à son fils. Arrivé en Finlande, il tombe sous la coupe du patibulaire Iegor Kugar, trafiquant russe qui l’emploie comme mendiant et lui impose des conditions de travail et de vie insupportables. Vatanescu se rebelle et c’est ainsi que commencent ses tribulations. Tour à tour cueilleur de baies sauvages, ouvrier de chantier ou prestidigitateur, Vatanescu traverse la Laponie au gré de rencontres et de mésaventures. Sans le vouloir, Vatanescu devient l’icône de la révolte et acquiert une popularité extraordinaire. Les médias ne parlent que de lui et tous les gros bonnets se réclament de son image si populaire. « Vous me prenez pour un autre. Pour quelqu’un d’important. Je ne le suis pas. Je suis Vatanescu de Roumanie. » (p. 253)

Et le lapin, me direz-vous ! J’y viens ! Alors qu’il tente d’échapper à cette brute d’Iegor et qu’il est lui-même en très mauvaise posture, Vatanescu vient à la rescousse d’un lapin blessé. « N’aies pas peur, je suis Vatanescu. Ton égal. Bon pour servir de nourriture aux tigres. » (p. 59) L’animal l’accompagne alors dans son périple rocambolesque et devient sa mascotte, son grigri et son totem protecteur. Entre l’homme et le lapin, c’est une relation de besoin mutuel qui se noue. « Je dois te sauver. Pour me sauver moi-même. » (p. 60) Vatanescu est une âme simple, mais profonde et il a pleinement conscience de sa valeur et de la place de chaque vie sur terre. « Toi, mon lapin, je te protège, mais je ne te possède pas. Nous sommes frères. » (p. 163) Le roman est donc très proche du Lièvre de Vatanen de Arto Paasilinna : ce sont deux fables écologiques et profondément humaines où l’humour agit comme un révélateur.

En lisant ce roman et son titre français, on pense évidemment à Jules Verne, mais il y a aussi quelque chose de Cervantès dans les aventures picaresques de Vatanescu. Ce pauvre Roumain sans argent – mais non sans ressources – passe de situations grotesques en positions absurdes et trace ainsi un chemin loufoque, tendre, drôle et souvent émouvant. Tout commence et finit avec l’amour immodéré d’un père pour son fils et la promesse d’un cadeau. « Qu’est-ce qu’un homme qui n’est pas capable d’offrir des chaussures à crampons à son fils ? » (p. 291)

J’ai passé un excellent moment avec cette lecture que je recommande aux amateurs de road-trips déjantés. Bravo et merci à la personne qui m’a offert ce livre : elle a visé tout juste !

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