Dans la lumière

Kingsolver_Dans la lumière

Roman de Barbara Kingsolver.

Tout commence avec Dellarobia, une femme qui s’apprête à tromper son mari, ce qui devrait bouleverser sa vie. Mais c’est autre chose qui renverse son quotidien. « Elle était redescendue de cette montagne tellement sûre qu’il y avait quelque chose de nouveau à voir. » (p. 63) En un instant, la forêt s’est mise à flamboyer, envahie par des milliers de papillons qui ont perdu leur chemin. Au lieu d’atterrir au Mexique comme les autres années, c’est toute une génération de monarques qui s’accroche aux arbres de la forêt des Appalaches. « Ils sont beaux. […] Les choses terribles ont parfois de la beauté. » (p. 193) Cette bizarrerie naturelle, si merveilleusement belle, est annonciatrice de changements dangereux : en effet, si les papillons ont perdu leur chemin, c’est que quelque chose les a perturbés et rien ne dit que le reste de la nature n’est pas également profondément bouleversée. « Les hommes sont amoureux de l’idée que nous allons durer. Nous la fétichisons, en vérité. [..] Je suis un docteur des systèmes naturels. Et ce que je vois me paraît terminal. » (p. 364)

Du jour au lendemain, les yeux et les caméras du monde entier sont braqués sur une pauvre bourgade de l’Amérique rurale. Pour certains, l’arrivée des papillons est un signe divin, annonciateur de l’avènement d’un nouveau prophète. Pour d’autres, c’est un enjeu environnemental majeur qui relance les débats sur le changement climatique. D’autres encore y voient la possibilité de faire des profits et qu’importe si la consommation détruit le produit dont elle se nourrit.

Dellarobia est la flamboyante héroïne de ce roman. Elle n’est pas heureuse et son mariage avec Cub est depuis toujours un échec que rien ne justifie. Elle fait de son mieux pour bien élever ses deux enfants, mais ne cesse de se faire des reproches. « Elle se faisait l’effet d’une femme lapidée pour avoir commis le péché d’être mère. » (p. 167) Rudoyée par sa belle-mère Hester, une femme sèche et tyrannique, Dellarobia est comme un papillon emprisonné sous un verre renversé, se cognant sans cesse aux parois et s’épuisant dans sa volonté de fuir. Mais, à l’instar d’une chrysalide, Dellarobia va déployer ses ailes grâce à l’arrivée des monarques, d’abord en travaillant avec le Dr Ovid Byron, puis en affrontant enfin ses remords et ses peines. « Les affronts qu’elle avait toujours avalés comme une ration quotidienne de cailloux se mettaient à lui remonter dans la bouche et à en jaillir telles des grenouilles. » (p. 36) Dellarobia possède une vision plus large et plus profonde du monde et va enfin oser sortir de la vie étriquée dans laquelle elle n’a jamais eu sa place.

J’ai beaucoup aimé ce roman et la vision qu’il porte sur un monde où la consommation prétend être la voie du bonheur. Seul bémol, la longueur des discussions entre Dellarobia et d’autres personnages : sur la fin, le texte devenait bavard, pour ne pas dire verbeux. Mais j’ai été séduite par le style de Barbara Kingsolver, très fin et précis : l’auteure ne se trompe jamais de mot et sait parfaitement développer une idée.

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Itinéraires d’un officier de la garde

Sous-titre : Une chasse à l’homme à travers l’Europe : les « voyages » du capitaine Bacheville, de l’île d’Elbe à Waterloo, Munich, Varsovie, Constantinople, Athènes (1814-1820)

Présentation et notes par Laurent Nagy.

Barthélemy et Antoine Bacheville sont deux officiers de la Garde napoléonienne. Le retour des Bourbons à la tête de la France marque la fin de leur carrière militaire, notamment parce que Barthélemy reste inexorablement fidèle à l’Empereur à qui il témoigne sans cesse une admiration et un respect intacts les années passant. Pour échapper à ses détracteurs et à tous ceux qui l’ont jugé coupable, Barthélemy quitte la France et, pendant trois ans, il va de pays en pays, avec ou sans son frère. « Mon frère et moi avons été forcés de voyager, ou plutôt de fuir pendant trois ans pour dérober notre tête à la hache qu’avaient levée sur nous des hommes qui ne nous pardonneront jamais des opinions que pourtant nous sommes résolus à n’abandonner jamais. » (p. 51) Barthélemy passe en Suisse, en Allemagne, en Pologne, en Italie, en Moldavie ou encore en Turquie. Si son exil de fuyard lui est douloureux, on ressent toutefois l’intérêt que Barthélemy porte à ses voyages et aux cultures qu’il découvre. À mesure qu’il s’éloigne de la France, son sentiment national et républicain se développe et se forge souvent en négatif des horreurs qu’il observe dans les contrées qu’il traverse, comme chez Ali Pacha, le cruel tyran de Janina. Enfin de retour en France, il doit encore et toujours plaider sa cause et celle de son frère. Finalement gracié, il n’aspire plus qu’à une vie paisible, loin d’un monde politique qui n’a jamais été le sien, lui qui était avant tout un homme d’armes. « J’ai la tête calme maintenant ; six années ont détruit la chaleur de mon ressentiment. Je m’interroge et je ne trouve rien, absolument rien dans ma conduite ni dans celle de mon frère, qui ait pu justifier l’acharnement qu’on déploya contre nous. » (p. 86)

Dans cet ouvrage, Laurent Nagy fait preuve de la même érudition que dans Mémoires d’un proscrit : ses notes abondantes sont simples et facilitent la lecture du texte tout en proposant une réflexion parallèle à la fois indispensable et passionnante. « Le livre Voyages des frères Bacheville en Europe et en Asie est une œuvre foisonnante : c’est à la fois une autobiographie, des mémoires de guerre, un récit de voyages à travers des contrées méconnues, un hymne au philhellénisme et un témoignage d’un fort sentiment fraternel et patriotique. Le regard du capitaine est celui d’un homme qui s’imagine martyr de la liberté et de l’arbitraire ; victime dans sa patrie, il raconte aux Français, ses contemporains, les injustices que subissent les proscrits politiques depuis le retour des Bourbons. Le récit du capitaine a aussi valeur de témoignage, car sa lecture apporte la vision humaine de “l’après” Empire. En effet, malgré l’effondrement de vingt-cinq années de mouvements d’idées et de personnes et la rupture politique considérable qu’est la chute de Napoléon, subsistent toujours des hommes qui en perdant leurs repères connaissent l’errance sociale et parfois le désœuvrement moral. » (p. 33)

Les mémoires de Barthélemy seraient picaresques si elles n’étaient pas véridiques. Agrémentés de lettres et de renvois à des annexes diverses, les courts chapitres de cet ouvrage se lisent avec impatience. Les voyages des Bacheville sont haletants et Barthélemy a su s’entourer des bonnes personnes pour écrire son histoire. Voici encore un excellent moment de lecture avec un homme, un vrai !

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Billevesée du dimanche #92

Au rayon des boissons gazeuses, il y a le P***i et le C**a-C**a, chaque soda ayant ses aficionados. Notez que je ne fais pas de favoristime, mais je vais m’intéresser au nom de la première boisson.

Son nom est directement dérivé de la pepsine, une enzyme animale naturelle qui dégrade les protéines du bol alimentaire. Je répète : qui dégrade les protéines. Voilà. Peut-être allez-vous y regarder à deux fois avant de vous servir un grand verre de cette boisson gazeuse ou de ses concurrentes…

Alors, billevesée ?

Ceci est la molécule de la pepsine.

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Toi

Roman de Zoran Drvenkar.

Asseyez-vous et respirez. Ça va être un peu complexe, mais vous allez adorer.

Il y a le Voyageur qui assassine à main nue des villages entiers, des wagons pleins ou des files d’automobilistes. Il frappe de temps en temps. Il laisse des indices et il s’en moque. « Les traces sont le signe de ta présence. Tu tiens à être sincère. Tu n’as rien à cacher. Tout le monde doit savoir que tu existes. Bien sûr, tes empreintes digitales n’ont été d’aucune utilité à la police. Pas d’antécédents, tu n’es répertorié nulle part, tu n’existes que dans ton monde. » (p. 89)

Il y a Taja, Rute, Stinke, Schnappi et Nessi. Ce sont cinq amies à la vie, à la mort. Elles ont 16 ans ou à peine. Quand l’une est en détresse, elle sait qu’elle peut compter sur les quatre autres. Surtout Taja, la grande absente du début du roman. « Tu es constamment présente dans les pensées de tes amis, pourtant, jusqu’ici, nous en savions si peu sur toi que l’on pouvait douter de ton existence. » (p. 120)

Il y a Ragnar, sa bande de gros bras et son fils Darian. Il est furieux que son frère soit mort et qu’une importante cargaison de drogue ait disparu. « Une fille tue son père, un homme perd son frère, cinq kilos d’héroïne disparaissent, et un garçon, assis sur une chaise, refuse de répondre. Voilà la situation. » (p. 101)

Il y a une voix qui tutoie s’adresse à un personnage différent à chaque chapitre. Qui est ce « toi » sans cesse changeant ? C’est chacun des personnages, mais ce serait trop réducteur d’en rester là. Il n’y a pas de personnage principal puisque chaque figure est l’héroïne de son chapitre. Et surtout, il n’y a pas qu’un seul méchant, car il n’y a pas vraiment de gentil. Toi, c’est un roman improbable sur la cavale de cinq gamines poursuivies par des truands et qui finiront par croiser la route d’un psychopathe. Vous pensez que c’est le destin ? Voyez ce qu’en pense un des personnages. « Gamin, le destin, c’est un type atteint de syphilis, qui a une queue en acier et qui t’encule dès que tu regardes du mauvais côté. Tu crois que je lui tournerais le dos ? » (p. 428)

Moi qui ne lis que très peu de thrillers parce que je n’y trouve jamais mon compte, j’ai été séduite par la quatrième de couverture de ce roman, et le contenu a fini de m’accrocher. J’ai vraiment aimé cette histoire morcelée, soumise à différents points de vue et différentes temporalités. J’ai aimé que chaque personnage renvoie à tous les autres et vice-versa. Avec ses 666 pages en poche et sa couverture terrifiante, je ne peux que vous recommander ce thriller !

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Le monde sans les enfants et autres histoires.

Recueil d’histoires de Philippe Claudel. Illustrations de Pierre Koppe.

Tout commence par la fuite de tous les enfants qui en ont assez qu’on les dispute. Alors, zou, ils ont mis les voiles. Les parents et tous les adultes sont bien tristes, mais le problème, c’est qu’ils ont perdu leur âme d’enfant. « Car le problème, voyez-vous, c’est que quand on est grand, on oublie, on oublie presque tout, et on oublie surtout qu’on a été enfants. » (p. 12) Ouf, les enfants sont de retour ! Maintenant, il faut leur raconter des histoires et écouter les leurs !

Avec une tendresse infinie, Philippe Claudel croque l’imaginaire enfantin : contes, cauchemars, cours de récréation, joujoux, monstres et autres doudous, tout y passe. Les histoires sont très courtes : en quelques pages, voire quelques paragraphes, l’auteur cisèle une perle d’émotion. « Ça arrive que des papas et des mamans n’aiment pas leurs enfants, mais généralement, on ne le dit pas. On ne le dit jamais dans les histoires pour les enfants. » (p. 37) Ce recueil est touchant et drôle et tout le talent de Philippe Claudel est de parler comme les enfants sans être niais ou caricatural. Chaque histoire porte un message (et non une morale) simple et évident, le genre de pensée qu’on ne devrait jamais avoir à répéter. « La vie, la vie la vie n’est pas comme les livres, elle peut être bien belle, même si parfois elle n’est pas toute rose, mais changer de couleur ne la rend pas meilleure. » (p. 117) Avec les dessins griffonnés et crayonnés de Pierre Koppe, ce recueil est un petit trésor.

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Running Man

Roman de Stephen King, publié sous le pseudonyme de Richard Bachman.

Ben Richards ne supporte plus de voir son bébé mourir d’une maladie pulmonaire ou de savoir que sa femme se prostitue pour payer des médicaments sans effet. Il lui faut de l’argent, beaucoup d’argent. « Je suis au chômage depuis longtemps. Je veux travailler de nouveau, même si c’est pour devenir la victime d’un jeu truqué. Je veux subvenir aux besoins de ma famille. J’ai ma fierté. »  (p. 32) Pour sauver sa fille, il décide de participer à un des nombreux jeux télévisés organisés par le Réseau et diffusés sans interruption sur le Libertel, objet de contrôle de masse dans un monde futuriste. Sa candidature est retenue pour le plus cruel et le plus implacable des jeux, la Grande Traque. « Cette émission est l’un des meilleurs moyens dont le Réseau dispose pour se débarrasser de personnes potentiellement dangereuses. Telles que vous-même, monsieur Richards. Elle existe depuis six ans. À ce jour, il n’y a pas eu de survivant. Pour parler franchement, nous sommes certains qu’il n’y en aura jamais. » (p. 44)

Voilà, la Grande Traque est lancée. Aux trousses de Ben Richards, il y a Evan McCone et ses Chasseurs. « Evan McCone était le chef des Chasseurs. Un descendant direct de J. Edgar Hoover et de Heinrich Himmler. Une incarnation de l’acier caché par le gant de velours cathodique du Réseau. » (p. 187) Ben doit tenir trente jours sans se faire attraper et descendre. Chaque heure passée lui rapporte cent dollars. Commence donc une immense course poursuite dans tout le pays. Tous les coups sont permis pour survivre : se cacher, se déguiser, bluffer, trouver des complices, prendre des otages, etc. Si Ben veut survivre, c’est pour empocher le pactole et sauver sa famille, mais peu à peu, sa motivation change : il voudrait renverser le système de ces jeux brutaux et sans pitié, faire prendre conscience au public qu’il n’est pas diverti, mais perverti. « Ils nous ont donné le Libertel pour que le peuple crève tranquillement, sans faire d’histoires. […] Le Libertel nous tue. Pendant qu’on regarde leurs tours de passe-passe, on est aveugle au reste. » (p. 107 & 108)

Dans ce roman, il n’y a d’autre perspective de survie ou d’amélioration du quotidien que dans l’avilissement de l’être et sa soumission à des jeux ineptes et meurtriers. La mort devient un jeu, voire un enjeu : tiendra ou tiendra pas ? Et le public, aiguillonné par le Réseau, déverse sa haine sur le candidat désigné comme le mal incarné. « Le public sera très agité, mais c’est ce que nous cherchons. Il veut que ça saigne, comme dans les matches de foot-à-mort. » (p. 56) Ici, nous sommes au-delà de la saine catharsis antique puisque la foule des téléspectateurs se fait meurtrière et criminelle, alléchée par l’idée de gagner quelques centaines de dollars si elle repère l’homme traqué. Dans Marche ou crève, Stephen King livrait une réflexion sur la mort absurde de jeunes gens sacrifiés pour l’honneur de la nation. Ici, il s’agit de désigner un ennemi public et diabolisé, mais également de mépriser la vie humaine au profit de l’audimat. Running Man est un autre très bon roman sur la valeur de l’individu au sein de la masse et face à la machine étatique. À mesure que le compte à rebours s’égrène et que les pages se tournent, le lecteur doit choisir son camp, même si l’issue du jeu ne lui appartient pas.

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Le loup des steppes

Roman d’Hermann Hesse.

Harry Haller est un être sauvage et solitaire qui rêve de se retirer du monde, mais ne peut résister au besoin de tenter une intégration dans la société. « Comment ne serais-je pas un loup des steppes, un ermite hérissé au milieu du monde dont je ne partage aucune des ambitions, dont je n’apprécie aucun des plaisirs ! » (p. 30) La tentation du suicide est grande chez ce misanthrope dégoûté du monde, mais la réalisation de ce désir lui est impossible. Il trouve un jour un livret qui parle de lui, le traité du Loup des steppes. Dans ce document, Harry découvre l’intégralité de sa nature complexe. « De toute façon, une moitié de son être reconnaissant et confirmait toujours ce que niait et combattait l’autre. » (p. X11 du Traité du Loup des steppes) Harry est-il un homme ou un animal ? Les deux parties de son être sont-elles conciliables ou farouchement antagonistes ? Quel chemin doit-il prendre pour accomplir sa nature ? « Même le suicide, pauvre loup des steppes, ne te servirait à rien, tu devras malgré tout suivre le chemin plus long, plus pénible et plus difficile du devenir humain ; tu devras souvent encore multiplier ta dualité, compliquer ta complexité. » (p. XXV du Traité du Loup des steppes)

Un soir, Harry rencontre Hermine, une belle jeune femme qui jouit de tout ce qu’il abhorre. Mais étrangement, cela l’attire irrémédiablement, comme s’il avait trouvé son négatif. « Et pourtant tu es tellement différente de moi ! Tu es mon contraire : tu as tout ce qui me manque. » (p. 85) Avec Hermine et Maria, une demi-mondaine qui devient son amante, Harry découvre les joies du manger, du boire et du vivre. Il ouvre enfin la porte d’un monde de plaisirs où la vie se croque avidement en toute conscience de l’inéluctable issue fatale. Mais il n’est pas certain que cela suffira à sauver Harry de ses désirs macabres. « Je me consume du besoin d’une souffrance qui me rendre prêt et désireux de mourir. » (p. 126)

Le loup des steppes est un roman sur l’initiation de l’homme à tous les aspects de son existence, des plus favorables aux sombres. Dans la philosophie de Hesse, il est vain de prétendre avoir vécu si on n’a expérimenté que le bonheur ou que le malheur. C’est la complémentarité de tous les opposés et de toutes leurs nuances qui constitue une existence et valide la véritable nature de l’homme qui ne saurait se réduire à un seul visage. Quant à l’épiphanie finale, qu’elle soit la mort ou la pleine acceptation de soi-même, elle n’est possible qu’au terme d’un lâcher-prise que le lecteur lui-même doit accepter d’accomplir.

J’ai enfin lu ce monument de la littérature allemande du XXe siècle et je ne boude pas mon plaisir devant tant de réflexion et de sens. Que j’aime quand la perception passe par le prisme de la littérature !

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Billevesée du dimanche #91

Voici ma participation au vidéo-challenge de Liliba. C’est complétement crétin, comme certains lapins…

Oui, aujourd’hui, on est à fond dans la billevesée, le truc inutile. Mais moi, ça m’a beaucoup amusée !

Cliquez sur l’image pour lancer la vidéo sur YouTube !

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Jonathan Livingstone le goéland

Roman de Richard Bach. Illustrations de Gérard Franquin.

Jonathan Livingstone n’est pas un goéland comme les autres. Pour lui, voler ne se résume pas à zigzaguer entre les bateaux pour attraper un morceau de poisson ou de pain. « Pour ce goéland-là cependant, l’important n’était pas de manger, mais de voler. » (p. 15) Jonathan veut voler toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus loin, mais sa passion lui vaut d’être exclu de sa communauté qui ne comprend pas que voler peut être un but en soi. « Mais la vitesse, c’était la puissance, la vitesse était joie et la vitesse était beauté pure. » (p. 30) Loin des siens, Jonathan rencontre d’autres oiseaux pour qui voler à un sens. Auprès d’eux, il apprend à voler encore mieux et il expérimente le vol à la vitesse de la pensée.

Désormais, Jonathan veut transmettre ce qu’il sait. Quelques goélands le rejoignent et suivent ses conseils. Mais Jonathan veut surtout revenir près de sa communauté et délivrer les esprits de certaines lois ancestrales. « Il parla de choses fort simples, disant qu’il appartenait à un goéland de voler, que la liberté est dans la nature même de son être, que tout ce qui entrave cette liberté doit être rejeté, qu’il s’agisse d’un rite, d’une superstition ou d’un quelconque interdit. » (p. 105)

Ce très court roman déborde de poésie et de sagesse. Avec ses illustrations fines comme des estampes japonaises, cet ouvrage est d’une beauté saisissante, tant par son histoire que par son message. Certains m’ont dit que ce roman était trop complexe pour de jeunes lecteurs. Je pense au contraire qu’il faut leur mettre entre les mains et leur laisser en tirer ce qu’ils voudront. On y parle de liberté, de différence et de dépassement de soi. Jonathan Livingstone le goéland est un conte plein de force et de subtilité.

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Blanche — Tome 1 : L’île de la solitude

Bande dessinée de Thierry Chavant.

Blanche de Saint-Ange sort du couvent pour se marier. Elle devient Madame de Beau-Près et suit son époux dans son domaine, sur une île battue par les vents et la pluie. Son isolement sur ce caillou hostile s’ajoute à son infirmité : elle ne voit pas les couleurs. « Je n’entends rien aux nuances de ce monde comme disaient les bonnes sœurs dans mon dos. Le monde n’est que grisaille. » (p. 3) Blanche n’a aucune affinité avec les autres dames présentes sur l’île et s’ennuie à mourir lors des thés et des bavardages dont ces femmes raffolent. « Je n’ai ni famille, ni patrie, ni attaches, je n’ai pas de racines, quant à mon avenir, on le trace pour moi. Je suis comme prisonnière. » (p. 10) Blanche doit aussi subir les discours ronflants et bornés du père André, chargé de veiller sur elle en l’absence de son époux. Mais la jeune femme préfère de beaucoup la compagnie de Toumaï, nègre des Caraïbes ramené par Monsieur de Beau-Près. Entre ces deux déracinés, une tendre complicité se noue. « Je ne pensais pas rencontrer un jour quelqu’un comme elle. Surtout ici loin de toute lumière, de toute chaleur. Une femme blanche. Je la vois. Elle n’est pas distante ou froide, juste timide et fragile, elle se protège. Nous sommes si semblables derrière nos différences. » (p. 25)

Ce premier volume est très prometteur et j’ai vraiment hâte de lire la suite, Toumaï, les savanes féroces. J’ai apprécié le dessin : les corps des deux héros sont beaux, comme sculptés au pinceau, tandis que les vices des antagonistes éclatent sur leurs faces. L’histoire n’est pas follement originale : la romance entre une dame blanche et un esclave noir, c’est un fantasme littéraire assez répandu, simple variation de Roméo et Juliette et de toutes les grandes histoires d’amour impossible. Mais j’ai aimé la façon de présenter l’intrigue, notamment l’alternance de cases en couleurs et de cases en dégradés de gris, les dernières étant celles vues du point de vue de Blanche. Cette manière de suggérer la multiplicité des narrateurs est plutôt originale et m’a convaincue.

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Dune, tome 1

Roman de Frank Herbert.

Il y a tant de personnages (non pas que ça me dérange) et tant à dire que je préfère éviter de tout dévoiler. Voici la quatrième de couverture de mon édition.

Sur Dune, la planète des sables, germe l’épice qui donne longévité et prescience. À cause de l’épice, tout l’empire galactique du Padishah Shaddam IV tourne autour de Dune, âprement convoitée par les nobles maisons du Landsraad et la Guilde des Navigateurs. Leto Atreides, duc et cousin de l’Empereur, a reçu Dune en fief. Pour peu de temps. En 10191, il meurt assassiné. Mais son fils Paul, avec sa mère, trouve asile dans les repaires du peuple Fremen, indompté, invaincu, la lie de Dune pour certains, le sel de la terre pour d’autres. Paul grandit dans le désert et forge l’arme de sa vengeance. Mais ne va-t-il pas dépasser son but, lancer les légions Fremen en une incroyable croisade. Il a, dit-on, le pouvoir le connaître l’avenir. Aura-t-il celui de l’éviter ?

En exergue de chaque chapitre se trouvent des extraits de textes relatant l’histoire passée et future de Paul et de sa famille. Dès le début, les prétéritions ne laissent aucun doute sur ce qui va suivre, à savoir la mort de Leto et la destinée de Paul. Il est question de pouvoir, de trahison, de connaissance, d’accomplissement et de vengeance, thèmes millénaires quand il est question d’affrontements entre grandes familles.

La mortelle rivalité entre les Atreides et les Harkonnens ; la perfide Arrakis, également appelée Dune ; l’épice si convoitée ; la prophétie de la venue du Kwisatz Haderach ; les vers de sable ; les mystérieux Fremen… Tout cela est bien loin d’être inintéressant, au contraire. Au début de ma lecture, j’avais l’impression de m’ennuyer, mais ce n’était pas vraiment cela. Frank Herbert a créé un univers complet, avec un vocabulaire nouveau et une mythologie propre. Hélas, en matière de mythologie, je suis une indécrottable lectrice des textes antiques du monde entier. Si Dune reprend pour bonne part des thèmes et des références de ce riche substrat intertextuel, il n’a pas réussi à me fasciner comme le font les légendes égyptiennes, incas ou nordiques. Oui, je sais, Dune est un classique du genre, voire une référence. Ça ne m’a pas déplu, mais ça ne m’a pas transportée pour autant. Alors, pour le moment, je n’ai pas envie de lire le deuxième tome de ce roman.

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Rencontre avec Joanne Harris

Grâce aux éditions Charleston, j’ai eu la chance de rencontrer Joanne Harris, auteure de Chocolat et de Des pêches pour monsieur le curé. Avec Élise, attachée de presse de la maison d’édition, j’ai passé un charmant moment dans un adorable salon de thé parisien et j’ai eu tout loisir de poser quelques questions à Joanne Harris.

Ses desserts préférés sont la tarte tatin ou la tarte au citron, mais elle aime aussi beaucoup le fromage. Voilà un point commun entre nous ! Nous avons parlé du film adapté de son roman et si nous avons convenu que le film n’est pas mauvais, nous nous sommes retrouvées sur le fait qu’il n’est pas représentatif du livre. « Je n’ai jamais vraiment cru qu’il m’appartenait », a même dit l’auteure. Par ailleurs, Chocolat et de Des pêches pour monsieur le curé parlent tous deux de religion. Joanne Harris n’appartient à aucun club, selon ses propres mots. Elle a pris plaisir à peindre la vie du petit village de Lansquenet et estime que cette ambiance est la même dans tous les villages d’Europe, quelle que soit leur religion. Enfin, quand je lui ai demandé si elle envisageait de publier un livre uniquement au format numérique, elle a répondu simplement qu’elle ne voulait pas exclure les personnes qui ne veulent pas lire en numérique.

Nous avons parlé pendant une heure qui est passée trop vite. Avec le livre en fil conducteur, nous avons évoqué les lectures scolaires, les blogs littéraires, les livres numériques. Quel bonheur de discuter avec elle, de la trouver si chaleureuse et si disposée à répondre à mes quelques questions embarrassées. Un grand merci aux éditions Charleston pour cette rencontre avec une auteure aussi agréable dans ses livres que devant une tasse de chocolat !

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Billevesée du dimanche #90

L’eau de Javel est la meilleure amie des nettoyeurs et maniaques de tout poil. Que l’on aime ou non son odeur, on ne peut pas nier son efficacité contre les bactéries et les microbes qui hantent nos sols, nos salles de bain et nos toilettes.

Initialement nommée « lessive de Berthollet » en hommage à son inventeur, Claude Louis Berthollet, elle doit son nom actuel au premier site où elle fut produite de façon industrielle : il s’agit du village de Javel, à l’ouest de Paris.

Alors, billevesée ?

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Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines

Roman de William S. Burroughs et de Jack Kerouac.

Will Dennison, Mike Ryko, Phillip Tourian, Ramsey Allen et un nombre incertain de femmes forment un groupe noctambule, alcoolisé et assez libre. Allant sans cesse chez les uns et les autres, toujours à l’affût de quelques dollars à gagner ou à grappiller, ils mènent une vie débridée dans le New York de 1944. Allen n’a d’yeux que pour le beau Phillip et le poursuit de ses assiduités, à tel point que le jeune homme forme le projet d’embarquer sur un bateau de la marine marchande avec Mike. « Cette fixette sur Phillip, c’est comme le paradis des chrétiens, une illusion née du besoin, qui flotte dans un nulle part nébuleux platonique, c’est comme la prospérité, toujours pour demain, jamais ici et maintenant. Tu as peur de partir avec lui, tu as peur de prendre le risque, parce que tu sais que ça marchera pas. » (p. 29) Hélas, le départ des deux amis est toujours différé et Allen ne veut pas voir partir Phillip. Tout cela explose un soir quand le jeune homme tue son admirateur. Will et Mike doivent alors décider s’ils veulent ou non protéger leur ami.

Inspiré de faits réels qui ont marqué leur jeunesse, Burroughs et Kerouac écrivent à deux voix, en chapitres alternés racontés respectivement par Dennison et Ryko. Cette double écriture est tout simplement étourdissante. À plusieurs reprises, je me suis perdue dans le récit, ne sachant plus qui était aux commandes. Mais finalement, le narrateur n’a pas vraiment d’importance, il suffit de suivre l’histoire, entre deux verres de whisky et un repas chaud providentiel. Je n’ai pas retrouvé le style de Kerouac qui m’avait tant plu dans Sur la route, mais cette histoire d’hippopotames est un texte de jeunesse, encore plein d’imperfections et d’hésitations. J’ai de tout de même aimé cette histoire et j’ai hâte de voir Kill your darlings, le film qui en a été tiré.

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Le manoir des murmures

Bande dessinée de David Munoz (scénario), Tirso (dessin) et Javi Montes (couleurs).

Sarah

République tchèque, 1949. Sarah se réveille dans un lieu inconnu, une sorte d’hôpital. Elle apprend que ses parents et sa sœur ont été tués par un virus créé par les nazis. Mais Sarah a de vagues souvenirs de l’attaque : quand elle est rentrée chez elle ce soir-là, il y avait un monstre dans sa maison, elle en est certaine. Désormais, elle a peur d’avoir été infectée par l’immonde créature qu’elle a aperçue avant de perdre connaissance. Dans le centre, elle fait la connaissance d’autres enfants qui ont également été séparés de leurs parents de façon très brutale. Les petits pensionnaires se rassemblent et tentent de lever le mystère. Qu’y a-t-il au sous-sol ? Quels sont ces bruits que l’on entend la nuit dans les couloirs ? « Lorsque tu colles ton oreilles contre le mur, tu entends des voix. »

Le premier volume de cette trilogie met en place une atmosphère lourde de secrets et de mystères. Tant de questions restent sans réponse que le deuxième tome est indispensable.

Demian

Désormais, cela ne fait plus aucun doute : tous les enfants présents au manoir ont été infectés par un monstre et il n’y a que le traitement que leur administrent les médecins qui les empêche de se transformer. Certains redoutent plus que tout leur part obscure alors que d’autres brûlent de découvrir leurs potentialités cachées. « Les monstres sont une plaie. Et notre devoir est de les exterminer. » (p. 53) Dans l’ombre, les monstres et les vampires se sont alliés pour lutter contre les scientifiques qui tentent de trouver un remède à la transformation. « Notre alliance est très fragile. Elle ne tient que par notre ennemi commun. Quand les druides seront morts, je suis sûr qu’ils voudront tous me trahir. » (p. 6) À la tête de ces créatures infernales se tient Demian, le père de tous les vampires, figure spectrale douée d’une force extraordinaire.

Le mythe du vampire est un peu revisité, mais sans grande originalité. Quant à savoir qui est le monstre, de la créature différente ou de l’humain qui veut la détruire, cette question a déjà été posée et beaucoup mieux dans d’autres œuvres, notamment Je suis une légende de Richard Matheson. Mais cette bande dessinée reste plaisante et il me tarde d’en connaître la conclusion.

Simon

Avec Dagma, Simon est à la tête de l’équipe des scientifiques. Il pense avoir trouvé le remède absolu pour guérir toute personne mordue par un vampire, voire pour retransformer un vampire en homme. Hélas, sa découverte s’est faite au prix d’éprouvantes expériences sur des victimes contaminées. « Je devrais te tuer… traître que tu es, et pour tout ce que tu as fait à ces pauvres gosses… / Je te rappelle que toi aussi, tu travaillais ici. Et si je me souviens bien, si on t’avait laissé décider, les ‘pauvres gosses’ seraient déjà morts. » (p. 53) Demian a réussi à investir le manoir grâce à un informateur : la guerre entre les monstres et les druides ne peut plus être différée. Et il semble que l’issue finale repose sur Sarah, l’enfant perdue aux pouvoirs extraordinaires.

L’affrontement final n’est pas celui que l’on pensait et c’est là la vraie richesse de ce tome. La conclusion du troisième volume laisse supposer une suite : il faut espérer qu’elle existera, sinon la fin de cette série me semblera bâclée.

*****

Le manoir des murmures propose un univers très noir, tant sur la forme que sur le fond. Le mythe du vampire est toujours propice à l’élaboration de scénarios macabres et violents. Et l’image elle-même, très dynamique, reste sombre, en dégradés de bruns et de gris. Les touches de couleurs sont sanglantes ou lunaires. Par de nombreux aspects, qu’il s’agisse des enfants ou des monstres, cette bande dessinée m’a rappelé le film de Guillermo del Toro, Le labyrinthe de Pan. Cette œuvre est intéressante, mais les volumes 2 et 3 ne sont pas à la hauteur des promesses du premier. Dommage…

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Beltenebros

Roman d’Antonio Munoz Molina.

« J’étais venu à Madrid pour tuer un homme que je n’avais jamais vu. » (p. 11) Le capitaine Darman est un tueur à gages à la solde d’un réseau antifranquiste qui continue d’agir 20 ans après la fin de la guerre. Envoyé un peu partout en Europe, Darman est un agent froid et efficace qui accomplit ses missions sans ciller, mais qui souhaiterait se retirer. « Je ne leur devais rien et n’avais aucune envie de leur réclamer quoi que ce soit, pas même le temps que j’avais gaspillé à servir leurs rêves délirants de conspiration et de retours vengeurs. » (p. 22) En outre, cette mission à Madrid réveille le souvenir d’un autre meurtre, 20 ans plus tôt, quand Darman avait dû exécuter un ami traître au réseau. Des années plus tard, le capitaine s’interroge : a-t-il eu raison ? Walter était-il vraiment coupable ? « J’ai exécuté ma part de cruauté et de destruction et j’ai mérité l’opprobre. Les effets de l’amour ou de la tendresse sont fugitifs, mais ceux de l’erreur, ceux d’une seule erreur, n’ont pas de fin, comme une maladie carnivore et incurable. » (p. 129) Ici, c’est Andrade que Darman doit exécuter, un nouveau traître à la cause. Dans la ville madrilène, Darman est pris au piège de ses souvenirs, des faux-semblants et du passé qui ne demande qu’à ressurgir. Et il plane l’ombre de Beltenebros, le traître qui a collaboré avec la police de Franco. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? « Beltenebros, on ne peut le découvrir parce qu’il sait vivre dans l’obscurité. » (p. 220)

L’univers mis en scène par Molina est sombre, nocturne, mal famé, louche et tout à fait inquiétant. Avec le passé qui frappe à la porte de sa mémoire et qui ne demande qu’à entrer et tout recouvrir, Darman embarque dans une odyssée intérieure qui malmène ses certitudes. On assiste à un processus inéluctable : dans une progression macabre, l’intrigue se déploie jusqu’à étouffer le héros pour mieux lui ouvrir les yeux. Tous les éléments traditionnels du polar sont au rendez-vous : le héros fatigué et désabusé, la très belle femme énigmatique, la proie innocente ou non et l’organisation supérieure implacable. Mais le roman dépasse ces codes quand la manipulation que subit Darman vire au cauchemar. « On voulait que je refasse les mêmes pas, que j’entende exactement les mêmes sons qu’alors. » (p. 210) Antonio Munoz Molina insuffle à ses pages un petit air de David Lynch avec l’inquiétant glissement des choses et la perte de contrôle de son héros. « Après tant d’obscurité, chaque chose que je regardais devenait une incitation pressante à déchiffrer ce qui me crevait les yeux et m’imposait l’évidence hermétique de sa candeur. » (p. 85) Le traqueur devient traqué et le mystère s’épaissit avant l’ultime épiphanie, alors que les ruines de la mémoire et de la compréhension se redressent lentement pour dévoiler l’évidence et faire sortir Beltenebros de l’ombre.

Ce roman m’a été recommandé par un ami très cher. Il a bien fait, très bien fait. Moi qui ne suis pas vraiment sensible aux polars, j’ai été subjuguée par cette intrigue cauchemardesque. De plus, une lecture qui s’ouvre sous le haut patronage de Don Quichotte annonce à coup sûr un palimpseste de la littérature espagnole. Mais il serait bien réducteur de cantonner Beltenebros  à cette définition. Ce roman est également un hommage au roman noir américain et au cinéma du même genre. Beltenebros, c’est comme un vieux film en noir et blanc avec un héros en pardessus et feutre mou, une femme fatale en talons aiguilles et rouge à lèvres carmin, mais avec en plus l’angoissante certitude que tout n’est qu’apparence et que le rideau va bientôt se déchirer.

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Des pêches pour monsieur le curé

Roman de Joanne Harris. Se place après Le rocher de Montmartre, première suite de Chocolat.

Il y a huit ans, nous avions laissé Vianne enceinte à Lansquenet-sous-Tannes. La voici à Paris, sur une péniche, avec Anouck, Roux et Rosette, leur fille. Un matin, elle reçoit une lettre d’Armande, sa vieille amie de Lansquenet, morte quelque temps avant son départ. Voilà, le vent a tourné et Vianne retourne à Lansquenet. Francis Reynaud, le prêtre, est toujours là, mais il a changé. Il semble plus souple, mais également sur le qui-vive. Depuis plusieurs mois, le père Henri Lemaître semble vouloir prendre l’ascendant sur la petite communauté, avec l’aide de Caro Clairmont et des autres hypocrites bigotes du village. Mais il n’y a pas que ça : depuis peu, il y a des tensions entre la communauté catholique et la nouvelle communauté musulmane, récemment installée aux Marauds, à la place des gens du voyage. « Le quartier des Maraud qui ressemblait jadis à une simple page en couleurs exotiques s’est transformé en un chapitre entier en langue étrangère. » (p. 63)

Le ramadan vient de commencer. On chuchote que le vieil imam Mahjoubi n’est plus capable de gérer les siens, que Reynaud a incendié l’école musulmane pour filles installée dans l’ancienne chocolaterie, qu’Inès Bencharki, sous son niqab, est une sorcière. Et Vianne se crée ses propres rumeurs et elles lui transpercent le cœur : le fils de Joséphine serait-il le fils de Roux ? Sa maison est-elle vraiment sur cette péniche amarrée sur les quais de Seine ou plutôt dans l’ancienne chocolaterie ? Avec le vent qui n’en finit pas de tourner, de souffler et de retourner les esprits, l’atmosphère s’électrise à Lansquenet et il plane une menace, un danger grandissant, comme l’inquiétante promesse d’une guerre entre deux communautés, entre des cœurs qui pourraient s’accorder.

Encore une fois, le cœur généreux de Vianne la pousse à aider son prochain, à chercher l’apaisement. Elle regarde les couleurs des âmes et elle refuse de juger ou de prendre parti pour le plus fort, le plus nombreux ou le plus évident. Avec la gourmandise et le plaisir de donner en armes pacifiques, elle espère apaiser les cœurs. « Offrir de la nourriture revenait à tendre une main amicale. L’accepter, c’était être adopté par la plus recluse des communautés. » (p. 105) Hélas, cela ne suffit pas toujours et Vianne doit réapprendre que la dissimulation n’est pas toujours menace ou mensonge et que l’ombre qui se cache est parfois celle d’un bienfaiteur.

Comme pour Chocolat, le texte se décline à deux voix : celle de Vianne et celle de Reynaud. Ce dernier a d’ailleurs perdu de sa superbe depuis le premier opus. Il n’est plus maître en sa paroisse et découvre ce que c’est d’être exclu d’une communauté, voire de plusieurs. Pour lui et pour Vianne, l’apprentissage du rejet est douloureux et c’est avec humilité qu’ils devront comprendre que la différence ne s’abolit pas et qu’elle ne s’assimile pas, surtout si on veut l’obliger à entrer dans le moule. Finalement, la différence, c’est comme un morceau de chocolat brut : si on veut le forcer à entrer dans l’emporte-pièce, il va se briser et abîmer l’ustensile. Mais si on prend le temps de l’assouplir, de comprendre sa subtilité, on peut en faire le plus doux des délices.

J’ai lu Des pêches pour monsieur le curé comme j’aurais détaché le dernier fruit d’un arbre à la fin de l’été. J’ai éprouvé le même plaisir reconnaissant pour le livre que pour le fruit qui, morceau de sucre et de soleil, rappelle que tout passe et que tout doit être savouré quand c’est possible.

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Eugénie Grandet

Roman d’Honoré de Balzac. Gravures d’Henri Monnier.

Monsieur Grandet a fait fortune dans les tonneaux. Il a en plus des métairies, des vignes, des domaines et il a hérité plusieurs fois. Bref, il possède une fortune colossale et tout Saumur s’interroge sur l’étendue des biens de Maître Grandet. « Quelque Parisien parlait-il des Rothschild ou de monsieur Laffitte, les gens de Saumur demandaient s’ils étaient aussi riches que monsieur Grandet. Si le Parisien leur jetait en souriant une dédaigneuse affirmation, ils se regardaient en hochant la tête d’un air d’incrédulité. » (p. 15) Mais Grandet n’est pas que riche, il est également avare et obsédé par l’argent et le fait de le dépenser. Il tient son ménage d’une poigne de fer, aveuglément servi par la grande Nanon et confusément craint par son épouse et sa fille. « La discrétion du bonhomme était complète. Personne ne voyait jamais un sou de cette maison pleine d’or. » (p. 149)

Voilà justement que sa fille, Eugénie, a atteint l’âge de se marier. Désormais, presque chaque soir, les Cruchot et les de Grassins essaient de faire valoir les mérites de leurs fils respectifs, chaque famille rêvant de se lier avec la riche héritière. Mais demande-t-on seulement son avis à la première intéressée ? Et c’était compter sans Charles Grandet, le cousin orphelin et déshonoré d’Eugénie. Ruiné après la faillite de son père, le beau Charles inquiète le père Grandet qui est terrifié à l’idée de devoir prendre à sa charge un neveu démuni. Hélas, les jeunes cœurs germains s’accordent rapidement et la douce Eugénie s’éprend de son charmant cousin qui lui fait une promesse d’amour éternel en échange du pécule qu’elle lui offre pour lui permettre de tenter sa chance aux Indes. « Ange de pureté ! entre nous, n’est-ce pas… ? L’argent ne sera jamais rien. Le sentiment, qui en fait quelque chose, sera tout désormais. » (p. 165) Mais rien ne prouve que cette promesse sera tenue et qu’Eugénie n’attendra pas en vain le retour de celui qui a ravi son cœur en quelques jours.

Cette histoire est connue, tellement connue, mais tellement belle. C’est un de mes textes préférés d’Honoré de Balzac et j’ai toujours autant de plaisir à le relire. L’histoire tristement tragique d’Eugénie m’émeut à chaque fois tant le sacrifice subi et choisi par cette fille tend au sublime. Elle laisse son père la spolier de son héritage et son cousin la priver de sa liberté d’aimer, tout ça parce que sa tendresse sans fond ne voit le mal nulle part. Peut-être bien qu’après avoir dévoré Émile Zola, je vais m’attaquer à Balzac…

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Billevesée du dimanche #88

L’informatique est à l’origine de nombreux nouveaux mots, mais certains sont issus de la culture populaire. Démonstration avec le mot [spam] qui désigne les courriers indésirables.

SPAM est une marque créée par Hormel Foods en 1937, l’origine du nom étant «Spiced Ham, à savoir « jambon épicé ». Cette viande précuite en boîte a largement été utilisée par les forces armées américaines pour la nourriture des soldats pendant la Seconde guerre mondiale.

L’association de « spam » et de « indésirable » vient d’un sketch des Monty Python, intitulé Spam, dans lequel le mot « spam », désignant le fameux jambon en boîte, envahit la conversation et le menu d’un petit restaurant (il entre dans la composition de chaque plat et est répété à tout bout de champ). Un groupe de Vikings présent dans le restaurant, interrompt régulièrement la conversation en chantant bruyamment « Spam, Spam, Spam, Spam, lovely Spam, wonderful Spam ». Le sketch parodie une publicité radiophonique pour SPAM, pendant laquelle la marque était répétée de nombreuses fois (« SPAM SPAM SPAM SPAM/ Hormel’s new miracle meat in a can »)

Et voilà comment l’informatique a récupéré une blague et un produit publicitaire pour désigner les courriers qui pourrissent notre boîte mail !

Alors, billevesée ?

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Trilogie new-yorkaise

Romans de Paul Auster.

Cité de verre

Quinn est un auteur de polar de 35 ans, solitaire et sans ambition. Il écrit sous le pseudonyme de William Wilson et met en scène les aventures de Max Work. «  Alors que William Wilson restait pour lui un être abstrait, Work était devenu de plus en plus vivant. Dans cette trinité que formait désormais Quinn, Wilson avait un peu la fonction de ventriloque, Quinn servait de marionnette et Work était la voix pleine de vie qui donnait un but à l’entreprise. Même si Wilson n’était qu’une illusion, il justifiait l’existence des deux autres. Même s’il n’était pas réel, il constituait le pont grâce auquel Quinn accédait de lui-même à Work. Et, petit à petit, Work était devenu une présence dans la vie de Quinn, son frère intérieur, son camarade de solitude. » (p. 19) Un soir, Quinn reçoit un appel d’un homme qui demande à parler au détective Paul Auster. Sans trop savoir pourquoi, Quinn prétend être cet homme et va rencontrer Peter Stillman qui craint pour sa vie et souhaite être protégé. S’ensuit alors une étrange enquête qui mène Quinn sur les traces du langage, de sa création et de son évolution, à la suite de Stillman père qui se croit investi de la mission de sauver le monde par les mots. « Voyez-vous, le monde est en fragments, monsieur. Et c’est à moi que revient la tâche de recoller les morceaux. » (p. 112)

Revenants

« L’affaire semble relativement simple. Blanc voudrait que Bleu file un dénommé Noir, qu’il le tienne à l’œil aussi longtemps qu’il le faudra. » (p. 189) Alors, pendant des mois, Bleu surveille Noir qui habite l’appartement en face du sien. Cette surveillance est vaine et ennuyeuse, car Noir ne fait que lire et écrire. Comme Bleu. « Car en épiant Noir de l’autre côté de la rue, c’est comme si Bleu regardait dans un miroir, et au lieu de simplement observer quelqu’un d’autre, il découvre qu’il s’observe aussi lui-même. » (p. 201) Mais allez savoir, peut-être que cette mission de surveillance est vitale… « Il a besoin de mes yeux braqués sur lui. Il a besoin de moi pour prouver qu’il est en vie ! » (p. 251)

La chambre dérobée

Fanshawe a disparu. Un de ses amis, le narrateur, rencontre son épouse et son jeune fils. Sa mission est d’évaluer si les écrits de Fanshawe sont assez bons pour être publiés. Il paraît rapidement évident que les textes de Fanshawe sont des chefs-d’œuvre et ils confèrent à l’auteur introuvable une renommée mondiale. Pendant ce temps, le narrateur et l’épouse esseulée sont tombés amoureux. « Mais qui ne saisirait pas à bras-le-corps la chance de se racheter – quel est l’homme qui est assez fort pour rejeter la possibilité d’espérer ? » (p. 285) Hélas, l’ombre de Fanshawe plane sur le couple et le nouveau mari, dans la crainte de perdre ce qu’il pensait ne jamais obtenir, ourdit des plans terribles. Car la chambre dérobée, c’est la chambre conjugale de Fanshawe, mais également sa place sociale.

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« En fait, l’écrivain et le détective sont interchangeables. » (p. 22) En effet, l’un comme l’autre cherche des réponses ou un sens aux choses. Dans ses trois romans, Paul Auster s’attache à dépeindre le naufrage du sens et l’incompréhension du monde qui va jusqu’à l’errance et la disparition. Tout cela est dû à une mise en échec du langage qui devient peu à peu impropre à qualifier ce qu’il désigne. Cette évolution négative du langage va de pair avec l’instabilité des identités. S’il semble au premier abord que le changement de nom confère une liberté infinie, il apparaît finalement que la mouvance des identités emprisonne le personnage dans tout ce qui n’est pas lui en l’empêchant d’y avoir accès, si jamais il en était capable. Cette trilogie romanesque met à l’honneur New York, ville labyrinthique par excellence et nouvelle Babel avec des milliers de tours à abattre qui sont autant de preuves de l’orgueil des hommes. Vous sentez-vous étouffé par ces gigantesques parois de verre qui laissent passer si peu de choses ? C’est normal. L’asphyxie du sens se répand à toute chose et la ville devient le cercueil de ceux qui ne savent plus où se regarder pour se trouver.

Cette trilogie offre de nombreux niveaux de compréhension et regorge de références littéraires. En outre, les incessants renvois d’un roman à un autre tissent un plan complexe entre les trois textes et il faut bien plus qu’une boussole pour y trouver son chemin. Je suis tout à fait ravie de cette relecture qui me permet d’apprécier une nouvelle fois ces trois romans et de tenter d’en percer les mystères.

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Jean-Bark

Texte de Philippe Claudel.

En 84 pages, Philippe Claudel parle de Jean-Marc Roberts, auteur et directeur des éditions Stock pendant 15 ans. L’homme était son éditeur depuis 2001 et son meilleur ami. Son unique ami. Cette lettre à l’ami n’est pas un éloge funèbre. C’est une élégie pleine d’élégance, agrémentée de quelques coups de gueule. Jean-Marc Roberts, affectueusement surnommé Jean-Bark, aimait ses auteurs et il aimait la vie. Ce jouisseur est mort d’un cancer, emporté par les conséquences d’un vice dont il n’aurait jamais pensé se passer.

Devant la tombe, en pensée et derrière son clavier, Philippe Claudel envoie ses meilleurs souvenirs à celui qui a quitté la scène littéraire et la scène intime trop tôt. Jean-Bark est un texte puissant, protéiforme et aucunement macabre : confidences, nostalgie, prises à partie, respect, amour, tristesse, amitié, attente des retrouvailles… Jean-Bark, c’est tout cela, plus un supplément d’âme qui n’appartient qu’à la plume de Philippe Claudel. Et comment ne pas penser à Meuse l’oubli, son premier roman, où l’auteur parlait déjà du deuil avec une phrase qui s’adapte tellement à la disparition de Jean-Bark. « Chaque matin, je redevenais veuf en m’éveillant du sommeil où l’alcool m’avait versé et courais dans les toilettes y dégueuler mes rêves. » Quand on perd un proche – amante ou ami –, on est veuf, amputé de la part qui portait l’autre. J’ai relu les dernières phrases de ce texte plusieurs fois : elles ont rompu les digues de mes yeux gonflés par ce texte profondément humain.

Je n’en dis pas plus et vous offre quelques sublimes extraits de ce livre.

« Je me sens à côté de moi-même et dans une inconfortable attente. » (p. 11)

« Tu étais un éditeur qui aurait pu être un voyou. Flambeur guère intéressé par l’oseille, mais habile à monter des coups. Un doux voleur. Un contrebandier. Un artiste en somme. » (p. 14)

« Je savais que tu allais mourir, et je ne pouvais plus écrire. J’ai mis du temps à comprendre que je ne pouvais plus écrire parce que je savais que tu allais mourir. » (p. 19)

« Les gens comme nous qui ont tant besoin d’être aimés, c’est sans doute parce qu’ils s’aiment si peu. » (p. 28 & 29)

« Quand on blessait un de tes auteurs, tu aurais voulu casser la gueule à celui qui avait répandu son fiel. » (p. 37)

« Tu m’as laissé dans une belle merde. Tu m’as abandonné au moment où je doute de l’utilité d’écrire encore. » (p. 45)

« J’ai envie de boire du vin. J’attends que le soir tombe. Boire du vin me permet de te rendre plus léger dans ma vie. De rendre ta mort plus supportable. Bien sûr, au matin, rien n’a changé. » (p. 65)

« Mais dis-moi, qui est donc le condamné ? Celui qui reste ou celui qui embarque, Jean-Bark ? » (p. 78)

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Marche ou crève

Roman de Stephen King, publié sous le pseudonyme Richard Bachman.

Ray Garraty à 16 ans. Comme 99 autres jeunes garçons, il va participer à la Longue Marche, une épreuve sportive de plusieurs jours encadrée par l’armée et qui suscite l’enthousiasme délirant de la foule. « Tout ce qui concernait la Marche tenait un peu de la légende. » (p. 12) Le principe est simple : sans jamais descendre en dessous d’une moyenne de 6,5 km/h, les participants doivent avancer sans se retourner et sans s’arrêter. Après trois avertissements, les soldats abattent ceux qui ne respectent pas les règles. « Quand il fait froid, tu peux marcher plus vite et te réchauffer. Quand t’as trop chaud, tu peux marcher plus lentement… et t’es refroidi. » (p. 200) La Longue Marche ne récompense pas celui qui va le plus loin ou le plus vite, mais celui qui avance le plus longtemps. Ici, ce que l’on teste, c’est l’endurance face à la mort. « Si je tombe, je meurs. Jamais je ne pourrai me relever. » (p. 168)

Ce qu’il faudrait comprendre, c’est la raison qui a poussé tous ces jeunes gens à participer à cette marche mortelle, ce qui les motive à emprunter une voie sans issue qui ne peut voir qu’un seul vainqueur. « Nous voulons tous mourir. […] C’est pour ça que nous faisons ça. Sinon pourquoi, Garraty ? Pourquoi ? » (p. 161) Et pourtant, ils continuent tous d’avancer autant que possible, au mépris de la douleur et de la fatigue, jusqu’à l’ultime épuisement et, pour certains, jusqu’à la folie. Et il y a de quoi devenir fou, car cette marche assassine n’a aucun sens. « Si tout cela est tellement horrible, […] c’est parce que c’est insignifiant. Tu sais ? Nous nous sommes vendus et nous avons échangé notre âme contre du mépris. » (p. 229)

Garraty est le champion du Maine et, tout le long de la route, d’état en état, des pancartes portant son nom sont agitées. Il faut dire que, chaque année, près de 2 milliards de dollars sont investis en paris sur la Marche, alors la foule veut de l’action et du sang. « Il fallait plaire à la Foule. Il fallait la craindre et l’adorer. Ultimement, il fallait se sacrifier à la foule. » (p. 282) Dans cette marche à la vie, à la mort, il est difficile et douloureux de nouer des alliances. Le mieux ne serait-il pas que chacun marche pour lui-même ? Alors, à chaque pas, chaque marcheur attend que les autres tombent et reçoivent leur ticket. La seule possibilité de victoire, c’est de survivre et de le faire seul. « Pas d’aide, pour personne. On marche tout seul ou on ne marche pas. » (p. 315)

Stephen King développe dans ce roman une angoisse très particulière. On sent la présence d’un état militarisé, voire fasciste qui encadre et régule brutalement tous les excès et toutes les fautes. La Longue Marche est l’expression ultime de la cruauté et de l’absurdité d’un régime dictatorial où les êtres ne valent rien de plus que l’excitation de la foule qui assiste, comme au spectacle, à l’abattage de jeunes vies désillusionnées. J’ai souvent pensé au roman d’Horace Mac Coy, On achève bien les chevaux, qui présentait l’enfer des marathons de danse pendant la grande crise américaine et où les danseurs devaient rester sur la piste jusqu’à l’épuisement total pour gagner quelques milliers de dollars. Dans Marche ou crève, le vainqueur peut demander ce qu’il veut tout au long de la vie qu’il aura sauvée de l’enfer de la Marche, mais à quel prix ? La fin du roman est grinçante, tout à fait atroce et angoissante, mais elle n’aurait pas pu être différente. Pas de rédemption ou de soulagement pour le survivant d’une marche contre la mort. Voilà donc un très bon roman de Stephen King, haletant et accrocheur, impossible à lâcher quand on l’a ouvert. Pour un peu, je vous dirais : « Bouquine ou crève »…

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Billevesée du dimanche #87

Le chat de gouttière est un chat bâtard et qui vit plus ou moins en liberté. De race non certifiée et souvent issu de croisements, le chat de gouttière ne doit pas être confondu avec le chat de race européen qui, même s’il présente des caractéristiques physionomiques très proches, justifie d’une véritable pureté de race. Le chat de gouttière est largement répandu dans toute l’Europe, ce qui préside souvent à la confusion avec le chat de race européen.

Alors, billevesée ?

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La cuisine au temps de Gustave Courbet

Livre de recettes de Charles Beauquier.

Gustave Courbet est né en Franche-Comté. Très attaché à sa région et à ses proches, on le savait bon vivant et amateur de bonne chère. Le livre présente des recettes qui rendent hommage au terroir franc-comtois et dont les plats auraient pu figurer sur des toiles du maître. « On possède très peu, pour ne pas dire aucune, informations sur ses goûts culinaires mais quelques séries de toiles font espérer que la convivialité d’un repas en famille ou entre amis ne lui était pas étrangère. » (p. 3)

Ces recettes convoquent les délices et les ressources du terroir, comme le Comté, les morilles, la saucisse de Morteau, les pommes de terre, du Morbier ou encore de la cancoillotte (ce fromage est béni des dieux !!!). C’est parti pour un festival de plats mijotés, de tartes, de soupes, de gratins, mais aussi de plats sucrés comme les bugnes ou les brioches.

Pour vous donner une idée, voici une recette des plus alléchantes !

Œufs pochés à la cancoillotte (pour 2-3 personnes)

6 œufs / 100 g de cancoillotte / 35 cl de crème fraîche / beurre / sel et poivre / quelques brins de ciboulette.

Dans un saladier, battez les œufs, la crème, le sel, le poivre. Parsemez de ciboulette. Incorporez délicatement la cancoillotte. Faites fondre doucement le beurre dans une poêle et ajoutez-y la préparation.  Faites cuire à feu doux sans cessez de remuer. La crème doit être assez épaisse. Servez aussitôt.

J’y ajouterai quelques patates bouillies et de la salade verte et voilà qui me semble être un parfait plat d’hiver !

Ce livre de recettes va prendre une bonne place dans ma cuisine : les recettes sont simples à réaliser et la majorité intègre des ingrédients économiquement abordables. Que du plaisir en perspective ! Seul bémol de cet ouvrage, les nombreuses coquilles et fautes d’impression, mais l’essentiel, c’est que le plat soit réussi !

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Mickey Parade

Numéro 101 de mai 1988.

Cet album regroupe plusieurs aventures des célèbres héros créés par Walt Disney. On y retrouve Picsou qui a arnaqué un vieux camarade et qui tente de se sortir d’affaire en roulant son neveu. Mais Donald et ses neveux Riri, Fifi et Loulou ne se laissent pas faire. Plus loin, Pat Hibulaire affole la population après s’être échappé de la prison de Mickeyville, avoir volé une formule magique et avoir enlevé Minnie : Mickey vole au secours de sa belle et tente d’arrêter le vilain. Dans une autre histoire, Piscou, Flairsou et Phil Hature sont réunis par un éditeur qui leur demande d’écrire un traité sur les affaires, mais les trois multimilliardaires ne s’entendent pas du tout sur les méthodes. « Première devise de l’homme d’affaires : ne pas vendre (à petit prix) et toujours acheter (pour rien) ! » (p. 118) On retrouve également Mickey et Dingo qui se sont engagés comme garde-frontières et ont bien des difficultés à empêcher le clandestin trafic d’armes de Pat Hibulaire. Dans la dernière histoire, Piscou ne sait plus comment éloigner les frères Rapetou de son dépôt d’argent. Comme le dit le proverbe, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier…

Les dernières pages de l’album proposent des jeux en tout genre. Ce livre est un parfait divertissement pour les jeunes lecteurs. Je regrette de ne pas avoir lu plus de ces albums quand j’étais enfant, mais en découvrant certaines histoires avec un regard adulte, je ne peux que souligner l’évident, voire grossier manichéisme des aventures des héros. Les méchants finissent toujours en prison ou par se faire taper sur la tête. Certes, ces histoires s’adressent à de très jeunes lecteurs, mais le tout manque un peu de finesse.

Pas de panique, je ne vais pas lire tous les numéros de cette publication ! Mon frangin m’a envoyé ce numéro quand j’avais un petit moral et il est vrai qu’une telle lecture est parfaite pour se vider la tête : les histoires sont simples et il y a plein de couleurs. Zou, retour en enfance, au pays des roudoudoux et des grands bols de chocolat chaud !

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Billevesée du dimanche #86

Vers la mi-juin, les élèves de terminale ont composé aux épreuves du baccalauréat. Mais qui sait l’étymologie de ce mot ? Il faut remonter au latin médiéval [baccalarius] qui désignait un jeune homme aspirant à devenir chevalier, sous l’influence du verbe [laureare], à savoir couronner de laurier.

Les bacheliers sont-ils les chevaliers de demain ? À en juger par les perles du baccalauréat, nul doute qu’ils sont au moins les chevaliers de la rigolade, de la poilade et de l’ignorance crasse !

Alors, billevesée ?

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Jojo Lapin chez Maître Renard

Recueil d’histoires d’Enid Blyton. Illustrations de Jeanne Hives.

J’ai retrouvé avec plaisir ce cher Jojo Lapin, toujours prêt à jouer un bon tour à Maître Renard ou à se moquer de Compère Loup et de Frère Ours. Il n’a pas son pareil pour échapper aux vilains pièges que lui tendent ces trois affreux. « C’est bien ce que je pensais. Renard m’attend à dîner, mais il sera, lui, à table, et moi, je serai dans son assiette ! Je n’aurais même pas mis le nez à la porte, le temps de dire ‘carotte !’, et hop ! il me jetterait dans sa marmite ! » (p. 10) Qu’il s’agisse de faire croire qu’il dissimule un trésor ou de se faire inviter à un pique-nique, Jojo est plein de malice et d’idées pour se sortir de toutes les situations !« Avec Jojo, le plus malin des lapins, on n’a jamais le dernier mot ! » (p. 105)

Ce recueil n’est pas très différent de tous ceux que j’ai déjà lus, mais il m’est toujours agréable de retrouver les héros de mon enfance, surtout quand il s’agit d’un joyeux lapin tiré à quatre épingles 

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L’Europe de A à Z

Abécédaire illustré de Claire A. Poinsignon et Frédérique Bertrand.

« Pourquoi transmettre à nos concitoyens le goût de l’Europe ? Parce qu’il est urgent de faire passer le message que l’Europe n’équivaut pas à une pile d’institutions désincarnées et de dispositifs incompréhensibles. » (p. 5) Ainsi, dans cet abécédaire éclectique, les deux auteures présentent l’Europe historique, culturelle, économique, politique, mais surtout humaine. Car l’Europe n’est pas seulement un continent, une aire culturelle ou un territoire géopolitique : elle est tout cela à la fois et bien d’autres choses en devenir. « Aucun continent n’a autant été la proie du fanatisme et de l’intolérance que l’Europe. Aucune zone du globe n’a autant été marquée en profondeur par des guerres de religion, des pogroms, des massacres. Mais, en même temps, aucun espace culturel n’a autant réfléchi sur la tolérance et sur l’importance pour « l’autre » de s’épanouir. » (p. 56)

Alors que la question de la démocratie européenne se pose de plus en plus fort, l’abécédaire de Claire A. Poinsignon et Frédérique Bertrand permet de faire un point clair et concis sur des données essentielles à la compréhension de ce qu’est l’Europe. Sur quelques pages, chaque lettre de l’alphabet renvoie à une notion qui est expliquée simplement et à des références culturelles pour approfondir la réflexion, comme des romans, des films, des émissions télévisuelles ou des bâtiments à visiter.

Cet ouvrage est très pédagogique et tout à fait accessible aux jeunes lecteurs qui voudraient approfondir leur connaissance de l’Europe. Comme tout abécédaire digne de ce nom, le livre est richement et intelligemment illustré. Voilà une saine lecture pour remettre certaines notions au clair et réviser son savoir sur l’Europe.

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La danseuse du temple

Roman de John Speed.

1658, île de Goa. Pour tirer le meilleur parti de la succession du sultan défunt, Carlos Dasana décide d’offrir une superbe bayadère au grand vizir de Bijapur, Wali Khan. « C’est l’Hindoustan… les bakchichs sont plus importants que les armes. » (p. 51) Ce faisant, Carlos espère assurer l’avenir de sa jeune pupille, Lucinda Dasana, héritière d’une fortune colossale. Pour cette raison et bien d’autres, la jeune Portugaise accompagne la caravane qui emmène Maya, la danseuse, vers le grand vizir.  Avec elles cheminent Geraldo, lointain cousin des Dasana qui rêve d’hériter de la fortune familiale, et Pathan, l’homme de confiance du vizir. Sur le chemin qui entraîne la caravane vers Bijapur, Lucinda se lie d’amitié avec la bayadère dont le passé est bien trouble. Ancienne danseuse pour la déesse, elle est devenue esclave après la disparition de sa gourou, mais elle ne comprend pas pourquoi la Fraternité, organisation qui rassemble les eunuques du pays tout entier, s’intéresse tellement à sa personne. « Les eunuques sont une véritable peste. Comme les ténias, ils s’attachent aux nobles et aux riches ; comme des tiques, ils se gorgent du sang d’autrui. » (p. 284) Parmi eux, Babouche est le plus enragé et le plus sournois.

Le chemin vers Bijapur est semé d’embûches et Lucinda est enlevée par des bandits cachés dans les montagnes. Sauvée par Pathan, elle développe à son égard des sentiments troubles et interdits. De son côté, Maya goûte le fruit défendu dans l’espoir d’échapper à son triste sort. Pour ces deux femmes à la beauté inestimable, la liberté est un rêve bien lointain. « Nous devons prendre la route qui nous a été préparée, aussi difficile soit-elle – il n’y a pas moyen de faire autrement. » (p. 392) Jouets ou objets entre les mains des hommes, Lucinda et Maya doivent trouver en elles-mêmes les ressources pour affronter leur destin la tête haute, quitte à envisager l’irréparable. « Avoir de l’arsenic, c’était avoir prise sur son destin. L’arsenic procurait la liberté, la liberté la plus cruelle. » (p. 440)

Je ne vais pas vous jeter de la poudre aux yeux : ce roman est une aventure follement romanesque et échevelée avec deux beautés qui se débattent dans un monde brutal et cruel. Ce n’est pas de la grande littérature, ce n’est même pas un bon roman historique même s’il y a un effort pour présenter le mélange des cultures propre à l’Hindoustan, avec des hindous, des chrétiens et des musulmans. Mais cette lecture est parfaite pour les vacances, au bord de la piscine avec un verre de jus de fruit à portée de main. En quelques 650 pages, l’intrigue se déroule sans temps mort, les méchants y sont clairement identifiables et les gentils y sont vachement gentils, et beaux en plus ! Entre poison, complots politiques et économiques, mystères, manipulations, mensonges et amours interdites, La danseuse du temple remplit parfaitement son office de divertissement et, rien que pour ça, il mérite toute votre attention si vous cherchez ce genre de détente.

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À la recherche du temps perdu – Tome 1 : Du côté de chez Swann – Première partie : Combray

Roman de Marcel Proust.

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » (p. 1) Le narrateur adulte évoque ses souvenirs d’enfance, notamment les vacances à Combray dans la maison du grand-père. L’homme se souvient du rituel du coucher qui lui était nécessaire pour trouver le sommeil, à savoir l’ultime baiser d’une mère adorée. Hélas, ce besoin infantile est mal perçu par les parents, jusqu’au soir où l’absence de baiser bouleverse tellement l’enfant que son père se montre moins sévère. « Ainsi, pour la première fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable. » (p. 46) Le narrateur se remémore ainsi toutes les chambres où il a dormi, mais également les visites de M. Swann, les premiers émois sensuels et la rencontre décisive avec la jeune Gilberte. On ressent tout l’attachement de l’enfant à un lieu aimé et la nostalgie douce-amère de l’adulte qui revient sur les places de son passé. « Aussi le côté de Méséglise et le côté de Guermantes restent-ils pour moi liés à bien des petits évènements de celle de toutes les diverses vies que nous menons parallèlement, qui est la vie intellectuelle. » (p. 237)

Au fil des pages, le narrateur énonce une lente et majestueuse réflexion sur le souvenir et la mémoire. « Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. » (p. 54) C’est ainsi qu’intervient la fameuse madeleine, symbole des délices perdues et du temps assassin qui ampute plus qu’il ne comble. Le narrateur initie également une réflexion sur la lecture, l’interprétation que chacun fait d’un texte et l’influence des écrits sur les personnalités et les sensibilités. Il est également question du désir d’écrire du narrateur et de ses hésitations de jeune homme. « Combien depuis ce jour, dans mes promenades du côté de Guermantes, il me parut plus affligeant encore qu’auparavant de n’avoir pas de dispositions pour les lettres, et de devoir renoncer à être jamais un écrivain célèbre. » (p. 230)

Avec ce roman de Marcel Proust, je signe ma première lecture numérique, grâce à ma belle tablette. Mais je ne pense pas renouveler l’expérience très souvent. Je reconnais la facilité de lecture et l’avantage d’avoir les mains libres pour lire, mais il me manque l’objet livre avec son poids et son caractère inimitable. Quant à Proust, je ne suis pas certaine de poursuivre ma découverte de ses écrits. Pour le moment, je ne termine pas Du côté de chez Swann et je doute d’avoir réellement envie de lire toute La recherche du temps perdu. La plume de Proust est belle, très noble et travaillée, mais il y a quelque chose chez cet auteur qui, étrangement, me rappelle Rousseau en ce qu’il a de plus insupportable, les jérémiades et les gémissements autocentrés. Mais je suis très fière d’avoir enfin vaincu ce monument qu’est Proust : mon cinquième essai est le bon, j’ai tenu 200 pages et j’ai lu une partie en entier !

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