Kinderzimmer

Roman de Valentine Goby.

En 1944, Suzanne Langlois a 20 ans et vend des partitions dans un magasin de musique. En 1944, Suzanne est aussi Mila, membre d’un réseau de résistants : elle code des messages avec des notes. Dénoncée et arrêtée, elle est déportée en tant que prisonnière politique au camp de Ravensbrück. « Elle n’est ni juive, ni vieille, ni malade. Elle est enceinte, elle ne sait pas si ça compte, et si oui de quelle façon. » (p. 17) Mais quel futur pour cette maternité malmenée ? Quel destin pour cet enfant s’il voit le jour entre les barbelés ? « Le camp est un lieu qui n’a pas de nom. » (p. 11) Et au milieu de cet espace inconnu, il y a la Kinderzimmer, cette pouponnière qui garde les enfants nés des prisonnières. Les femmes y sont admises quatre fois par jour pour allaiter leur bébé. Les mois passent et l’horreur du camp étend son emprise sur les prisonnières. « Ils n’ont pas de vêtements reconnaissables, pas de visage à eux, ils ont tous les traits de la mort en marche. » (p. 170) Le ventre de Mila ne s’arrondit pas, faute de quoi rester elle-même en bonne santé, mais le petit résiste dans la matrice. Et tout autour de la future mère, la solidarité s’organise, renforcée par les rumeurs grandissantes qui annoncent la fin de la guerre.

Le récit s’ouvre sur le témoignage que Suzanne fait dans une classe de lycée. « Phrase après phrase elle va vers l’histoire folle, la mise au monde de l’enfant au camp de concentration, vers cette chambre des nourrissons du camp dont son fils est revenu vivant, les histoires comme la sienne on les compte sur les doigts de la main. » (p. 10) La question d’une jeune fille la déstabilise : Suzanne/Mila a toujours eu l’obsession de raconter, de garder la mémoire de ce qui s’est passé là-bas, pour que personne n’oublie et ne nie cette immense tragédie. « Tous les soirs allonger la liste des choses à retenir. Se la répéter cinq fois, dix fois, croire qu’il est possible de garder intacts les images, les faits, les émotions. Tenir. » (p. 169) Mais hélas, il y a des choses indicibles et tout autant de souvenirs à jamais perdus. Ce que Suzanne a mis si longtemps à dire à son fils est autant une histoire de famille qu’un extraordinaire acte de résistance et de désobéissance. « Elle sait qu’elle va porter Ravensbrück comme elle a porté son enfant : seule, et en silence. » (p. 209)

Après Murène et Un paquebot dans les arbres, Valentine Goby m’a à nouveau saisie au cœur avec ce roman inspiré de l’histoire de la femme médecin française dans la pouponnière de Ravensbrück. Sans tomber dans le sordide ou le pathos, l’autrice dépeint les camps comme on se les représente hélas trop bien. Pendant toute ma lecture, une berceuse enfantine a tourné en boucle dans ma tête, comme pour apaiser l’enfant en moi effrayée par cette histoire humaine trop terrible.

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