
Bande dessinée de Lou Lubie (scénario) et Solen Guivre (dessin et couleur).
Un riche convoi funéraire se dirige lentement vers un château immaculé, en haut d’une montagne, au milieu du désert. L’éminent défunt sera inhumé au plus près des dieux. Voilà qu’une frêle silhouette se détache de la masse et s’enfuit dans les dédales de la ville perchée. C’est Eurydice, mutique et émaciée : elle se laisse mourir en dépit de l’aide et de l’amour que lui apporte Orphée. De son côté, le chanteur refuse de vendre son art aux prêtres qui orchestrent les cérémonies funèbres. « Sans ses artistes, Pygmalion n’est rien ! » (p. 43) L’homme est en effet un habile entrepreneur, manipulateur et mystificateur. Dans le secret de son atelier, il fabrique des automates auxquels il ne manque presque rien, si ce n’est un supplément d’âme. Finalement, comme dans le mythe, Eurydice meurt et Orphée est prêt à tout pour la faire revenir du royaume des morts.
Dans cette réécriture de nombreux mythes grecs, les autrices célèbrent le corps des femmes : il est fort, superbe, opulent et, puisqu’il faut sans cesse le rappeler, intouchable si cela n’est pas souhaité. Le sujet des agressions sexuelles est pudiquement amené, mais fracassant tant il donne de profondeur à l’histoire. L’intrigue interroge aussi sur le choix et le libre arbitre. Qui a un jour pris un instant pour demander son avis à Eurydice ? « Ses sentiments lui donnent-ils le droit de décider à ma place ? Et moi, qui se soucie de qui j’aime ? » (p. 81) En s’inspirant de diverses cultures et médias pour figurer leurs personnages, Lou Lubie et Solen Guivre ont créé une œuvre patchwork très réussie et bouleversante, envoûtante comme un rêve et déchirante comme un drame.
J’ai toujours un peu de mal avec la réécriture des mythes mais si c’est pour faire passer des messages, ce qui était également le but des récits antiques, pourquoi pas.
Je suis trèèèèès friande de la réécriture de mythes : ces histoires sont faites pour ça, selon moi.