Montagnes russes

Bande dessinée de Gwénola Morizur et Camille Benyamina.

Les premières pages sans paroles montrent une indicible terreur et prouvent un vide inexprimable. Aimée et Jean veulent devenir parents, mais chaque mois, c’est la même déception. Les FIV ne donnent rien et, si l’amour est toujours présent, l’espérance s’effrite. « On a rangé nos espoirs dans une boîte qu’on a posée au bord de nos cœurs. » (p. 78) Dans la crèche où elle travaille, Aimée s’attache au petit Julio, gamin dont la jeune maman célibataire est constamment débordée. La relation entre les deux femmes dépasse rapidement le cadre professionnel, mais la frontière est mince entre l’amitié, l’aide et la charité.

En pleine résonance avec le manque qui me hante, ce très bel ouvrage ne formule aucune promesse ni ne professe aucun miracle. Il invite à la vie, simplement, au jour le jour, sans se laisser happer par ce qui n’existe pas. La colorisation très délicate joue habilement avec les ombres et donne à voir, sur tous les visages, la complexité des émotions.

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Récit d’un joueur itinérant

Récit de Jonathan Salamon.

En 2013, Jonathan quitte son emploi et la France pour l’Amérique du Sud, à la rencontre de son rêve : faire le tour du monde en se finançant grâce au poker. « Je ne suis pas un de ces malheureux qui quittent leur pays pour fuir la guerre ou la misère. Je ne suis qu’un jeune gars qui essaie de reprendre un peu de couleurs après quelques années difficiles. Ce voyage n’est qu’une petite parenthèse dans ma vie. Je rentrerai bientôt, reprendrai ma routine. Du moins je crois. » (p. 28) Jonathan atterrit au Brésil et va traverser 7 pays et des milliers de kilomètres en bus ou en moto. Ouvert à l’aventure et aux rencontres, il profite de toutes les possibilités qui se présentent pour vivre au plus près des habitants, loin des mirages de carte postale. À mesure des mois, il raconte son aventure sur son blog et, peu à peu, il est moins question du poker que du voyage. Ce qui intéresse Jonathan, c’est la découverte et cette liberté inaliénable sur sa moto. Même quand celle-ci subit des pannes à répétition. Même quand les projets ne se déroulent pas comme prévu. Même quand les galères de poker et de cœur s’accumulent. «  Je suis exactement là où je dois être, à faire ce que je dois faire. Différent, mais à ma place. Et à cet instant, pour la première fois de mon voyage, me vient cette pensée : je n’arriverai plus à revenir à ma vie d’avant. » (p. 219)

C’est une étrange expérience de lire le récit d’un homme avec laquelle je bois occasionnellement des verres en terrasse. Ce texte m’a permis de le retrouver, de le reconnaître, mais aussi de le découvrir un peu. Jonathan manie avec habileté l’autodérision et la remise en question. « Vu que mon niveau dans la langue de Cervantès n’est déjà pas fameux à la base, et que mon accent évoque plus Valenciennes que Valencia, il est temps de se mettre à bosser sérieusement, puisque je risque de devoir la parler pendant les prochains mois. » (p. 109) Et comme je l’ai souvent constaté, il porte sur l’autre un regard sincèrement bienveillant. Son voyage – un peu fou à mes yeux d’impitoyable organisatrice – est aussi inspirant que touchant, car profondément humain. Lucide et profondément généreux, c’est plus qu’un récit de voyage qu’offre Jonathan Salamon, c’est une introspection humble de ses rapports aux autres, aux femmes, au monde et à lui-même. Le tout servi par une plume fluide, directe et non dénuée de poésie, parfaitement agréable à suivre.

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David Bowie – Rainbowman 1983-2016

Biographie de Jérôme Soligny.

Après avoir fermé David Bowie – Raimbowman 1967-1980, j’ai attendu avec impatience la parution de la deuxième partie de la monumentale biographie de cet artiste que j’admire tant. Et une fois que je l’ai eue en main, j’ai attendu. Pas loin de 6 mois. Parce que commencer cette lecture, c’était en quelque sorte finir un long voyage. Et qui voudrait retrouver son quotidien banal alors qu’il peut suivre les traces d’un météore ? « Cet homme était un comble. Aménagé et pas très bien isolé. » (p. 578)

Ici encore, les nombreuses interviews donnent à voir un David Bowie intime, complet, complexe, voire contradictoire. Et les abondantes notes de fin de chapitre précisent, affinent et recadrent tout en ouvrant des mondes d’exploration. Évidemment, les photographies sont des preuves directes de l’art du grand Bowie, mais les illustrations de Lisa et Margaux Chetteau sont aussi de brillantes interprétations du design unique créé et incarné par l’artiste. Je retiens surtout le dessin en plusieurs pages d’une enfant qui trace une étoile noire…

La pagination de ce deuxième volume ne commence pas à 0, mais reprend à la fin de celle du premier tome, dans une continuité évidente. L’ouvrage est lourd, dense, riche. Seul bémol, les pages vert fluo : mon cerveau de migraineuse a serré les dents pour poursuivre la lecture…

Voilà, j’ai refermé la biographie de David Bowie par Jérôme Soligny. Il faudra évidemment que je la reprenne, que je reparcoure ses pages, ses entretiens et ses images. Le voyage n’est peut-être pas fini…

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Bowie, l’autre histoire

Biographie de Patrick Eudeline.

« Il y avait un Bowie en moi. Comme en tous ceux qui l’ont un jour aimé. Et c’était cela, dont la mort était inacceptable. » (p. 6) À l’instar de millions de fans, Patrick Eudeline a été bouleversé par le décès de David Bowie. Dans son texte, il revient sur l’histoire de ce monument du rock. La biographie est faite d’anecdotes et de références historiques et artistiques et elle mobilise une liste impressionnante de noms. L’auteur souligne les errements artistiques et privés de l’artiste, mais selon un parti pris qui me semble étrange, voire racoleur : il semble dire que Bowie est mort avant le 10 janvier 2016, en se perdant dans des albums commerciaux et en reniant ce qu’il était. Pour moi, David Bowie a passé son existence et sa carrière à réinventer l’essence de son art, parfois en s’engageant dans des voies tortueuses ou des impasses, mais sans jamais se renier. Il a fait feu de toutes ses expériences, jusqu’à son tout dernier album, pour créer une œuvre unique dont je ne méprise aucune production, musicale, théâtrale ou encore cinématographique. « On a tous un Bowie en nous. Ou plusieurs. » (p. 15)

Peut-être n’ai-je pas compris le point de vue de Patrick Eudeline. Je reste en tout cas circonspecte devant l’aigreur qui semble sourdre de cette biographie qui se voudrait différente, mais que je trouve seulement vainement amère. Sans doute suis-je biaisée par que c’est la première biographie de David Bowie que j’ai lue, mais je préfère me référer au texte écrit par Jérôme Soligny.

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Les petits de décembre

Roman de Kaouther Adimi.

Dans la cité du 11-Décembre-1960, à Alger, il y a un terrain vague où les enfants jouent au football. La parcelle n’appartient à personne, à tout le monde. C’est le royaume des mômes aux genoux couronnés et des gamins heureux. Mais deux généraux l’achètent pour y réaliser un projet immobilier. « Eux, ils ont tout le pays, ils ne peuvent pas nous laisser ce bout de terrain ? » (p. 40) Et soudain, c’est tout un quartier qui s’embrase : les petits qui hier vivaient balle au pied s’opposent aujourd’hui à coup de pierres à des militaires arrogants qui n’hésitent pas à sortir leur arme. « Il n’y eut pas de blessés. Mais quarante enfants avaient humilié deux généraux et ça ne pouvait que mal se terminer. » (p. 109)

Ce roman percutant parle de corruption, de tyrannie et de résistance. Le récit est implacable et se déroule comme un drame antique, selon une fatalité à peine moins prégnante. « A-t-on jamais vu en Algérie des généraux se montrer bienveillants à l’égard d’une révolte ? » (p. 27) Le soulèvement des gamins fait écho à tous les conflits qui ont déjà secoué et martyrisé l’Algérie. Que peuvent-ils contre l’armée et sa toute-puissance arrogante, ces enfants chez qui le sentiment de justice n’est pas encore étouffé par la résignation et la peur ? La réponse est évidente, dès le début : ils sont petits par l’âge, petits par la force, petits par le statut. « Dans l’esprit des gens, les enfants ne conspirent pas, les enfants ne luttent pas. Si un seul adulte dans ce pays imaginait trois secondes qu’un petit pouvait échafauder des plans, se battre contre un ordre établi ou quoi que ce soit dans le genre sans être manipulé ou poussé par un grand, voire un gouvernement étranger, les enfants seraient sur écoute, ils seraient suivis, ils seraient arrêtés. On créerait des camps spécialement pour eux. » (p. 56)

J’ai plongé dans ce livre avec ravissement, portée par le style net de l’autrice. Il y a du journalisme dans cette plume, mais aussi un talent littéraire certain pour dessiner des personnages vraisemblables qui se révèlent terriblement proches de nous. Par son texte, Kaouther Adimi nous rappelle qu’il n’y a pas de petit combat, pas de militantisme inutile, pas d’âge trop précoce pour défendre ce qui est juste. « Quelle drôle d’époque on vivait. […] Un fils de colonel à la retraite qui s’en prend à un général pour un terrain vague où les chiens errants doivent déféquer à longueur de journée. » (p. 38) C’est superbe, forcément, même si l’issue sera nécessairement triste.

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La loterie et autres contes noirs

Recueil de textes de Shirley Jackson.

Dans ces courtes histoires, vous trouverez :

  • Une tradition macabre
  • Une vieille toquée obsédée par la vertu et ses roses
  • Une jeune fugueuse
  • Un homme paranoïaque
  • Un voyage de noces qui pourrait tourner à l’aigre
  • Une odieuse petite voisine
  • Un bon samaritain quelque peu inquiétant
  • Une orpheline peu amène et sibylline
  • Les pensées macabres d’une épouse heureuse
  • Un mari trompé
  • Des fantômes sous la pluie battante
  • Des vacances prolongées moins agréables qu’espérées

Shirley Jackson distille une angoisse justement dosée dans ses textes. Les tranches de vie qu’elle présente sont courtes, mais impeccablement découpées. Et ses portraits sont précis, parfaitement caractérisés. Son économie de mots pour ménager le suspens et la révélation est magistrale ! Elle propose des critiques sociales assez acerbes et ne se prive pas d’ironiser contre la classe moyenne et la bonne société des petites villes. Personne n’est à l’abri de la sauvagerie latente qui ne demande qu’à éclater. Si certains textes flirtent avec le fantastique, ils sont surtout la manifestation littéraire des angoisses intimes des pauvres individus confrontés à l’incertitude et à l’indicible. « Vous vous rendez compte du ridicule de cette conversation ? On croirait entendre des enfants qui se racontent des histoires de fantômes. Nous allons finir par nous convaincre de quelque chose d’horrible. » (p. 61) Évidemment, cette lecture m’a follement rappelé mon cher Stephen King dont les nouvelles savent si bien capter les tourments de l’âme pour en faire de purs objets d’horreur.

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Félines

Roman de Stéphane Servant.

Au début de l’ouvrage, celui qui se présente comme l’auteur annonce avoir recueilli le témoignage de Louise. « Prendre la parole est dangereux. Si on me trouve, je serai certainement pendue, vous le savez. » (p. 6) Si elle est menacée, c’est parce que, comme de nombreuses autres adolescentes, Louise a subi la Mutation. Son corps s’est couvert de poils et elle est devenue plus animale. La panique s’empare de la société : ces jeunes filles sont également plus fortes et parfois très violentes. Rapidement, la situation dérape : les Félines sont écartées, ostracisées, isolées, parquées dans des camps. Comme dans Le pouvoir, les filles font peur. Parce qu’elles diffèrent de la norme imposée depuis des millénaires. Parce qu’elles sont innombrables. Parce qu’elles sont incontrôlables. « La Mutation avait donné à toutes les jeunes filles une conscience, une force et une détermination que rien ne pouvait arrêter. » (p. 189)

Ce roman est fort et riche de nombreuses positions et revendications. Peut-être trop riche… Lesbianisme et homosexualité à l’adolescence, harcèlement, bodyshaming, suicide, viol, dictature de l’apparence, puissance néfaste des réseaux sociaux, contrôle des corps féminins : tous ces sujets sont majeurs et doivent être traités en littérature, et notamment dans la littérature adressée aux jeunes lecteurs. Mais pas nécessairement dans un seul et même roman : avec tous les sujets qu’il aborde, Stéphane Servant avait de la matière pour plusieurs textes. J’ai eu le sentiment que l’auteur, plein d’une bonne volonté qui transpire dans ses phrases, a voulu se battre sur tous les fronts. C’est assez dommage, car chaque combat mériterait des approfondissements. Je salue cependant la jolie plume de l’auteur et son talent pour injecter de la délicatesse là où tout est dur et gris. « Il suffit parfois de peu pour oublier la laideur du monde : une phrase, un sourire, le parfum de l’automne, un bout du ciel. Du maquillage qui fait qu’on peut y croire, encore. » (p. 15)

Et même si je déplore la rencontre un peu brouillonne de sujets graves et actuels, je retiens des extraits très justes de ce roman dont les qualités l’emportent sur les défauts.

« Voilà comment ça se passait au lycée. En gros, il fallait couvrir son corps, mais pas trop. À l’appréciation du proviseur, à l’aune du désir des garçons. » (p. 39)

« Nos corps faisaient débat. Encore une fois. » (p. 45)

« On ne se fait pas violer. On est violée. Le viol, c’est l’autre qui le fait. C’est l’autre qui impose sa violence. Une violence extrême et aveugle qui fait de vous un objet que l’autre veut soumettre et détruire. » (p. 117)

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Le mystère de la saison des pommes

Roman de Nathanaëlle Court, illustré par Judy.

Tommy Lapin s’émerveille devant le changement de saison. « Tommy sentait bien qu’il y avait autre chose derrière tout cela, autre chose que la descente de la sève dans les racines des arbres. » (p. 4) Le petit lapin en est convaincu : il y a de la magie derrière tout ça. Avec ses amis Gaby Renard, Oscar Blaireau et Lili Fouine, il part en expédition dans la forêt, avant le lever du jour, pour surprendre l’être merveilleux qui modifie les couleurs des feuilles.

Avec les pages de texte à gauche et les illustrations à droite, ce petit texte se présente comme un parfait livre pour jeune lecteur. Le travail de Judy est stupéfiant de beauté et capture à la perfection les teintes chaudes et lumineuses de cette saison que j’aime tant. Voici une lecture tendre et charmante pour supporter le lourd été qui arrive.

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Silas Marner, le tisserand de Raveloe

Roman de George Eliot.

Ayant perdu la foi après une triste expérience communautaire, Silas Marner s’est installé loin de son premier foyer. Isolé et indifférent à la société, l’homme solitaire n’a que deux activités : tisser et thésauriser. « Dans son cœur simple et sincère, même la cupidité et le culte de l’or qui allaient croissant ne pouvaient engendrer aucun vice qui portât un préjudice direct à autrui. » (p. 86) Après 15 ans d’une existence monotone et laborieuse à Raveloe, il est pris sans le savoir dans les affaires douteuses de Godfrey et Dunstan Cass, les fils du squire. Dépouillé et de plus en plus souvent accablé de crises de catalepsie, il se rouvre finalement à la compagnie des hommes en trouvant un autre trésor, bien plus précieux que les guinées qu’il cachait sous son métier à tisser.

S’il faut trouver une morale à ce court roman, c’est qu’aucun méfait ne reste éternellement impuni et que tout acte de générosité se voit rendu au centuple. Silas Marner a des faux airs de Jean Valjean, mais le récit de sa pitoyable existence m’a moins enthousiasmé que Middlemarch, toutefois je salue une fois encore le talent de l’autrice pour dépeindre la modeste vie provinciale et ses habitants gentiment toqués. Et je cherche maintenant l’adaptation avec Ben Kingsley dans le rôle-titre.

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La mythologie nordique

Ouvrage de Neil Gaiman.

L’auteur a déjà prouvé et mis à profit son amour pour la mythologie nordique dans American Gods, récemment adapté en série télévisuelle. Avec ce nouvel ouvrage, il propose sa réécriture des grandes histoires de cette cosmogonie étrangement exotique, bien que très proche de nos contrées occidentales tempérées.

Odin, Thor, Loki ou encore Freya sont au cœur de ces contes et légendes qui racontent un monde glacé, peuplé de géants et de monstres. Avec beaucoup d’humour, Neil Gaiman accentue les travers de chaque protagoniste. Si Thor est courageux, il est aussi un brin bourrin, et l’ingénieux Loki est probablement trop susceptible pour son propre bien. « Dès que quelque chose ne va pas, la première idée qui me vient toujours à l’esprit est d’y voir la faute de Loki. Ça fait gagner un temps considérable. » (p. 31) Si vous n’êtes pas familier d’Yggdrasil ni prévenu de la survenue inexorable du Ragnarok, ce recueil de mythes est fait pour vous !

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Pas prêtes à se taire – Portraits de féministes en citations

Ouvrage d’Esther Meunier (textes) et Léa Castor (illustrations).

« Combien de femmes auraient leur place dans ces pages ? Une infinité. » Les autrices en ont choisi 35. 35 noms. 35 figures à qui elles rendent femmage. Oui, femmage, parce qu’hommage, là, ça serait un peu déplacé. « Les combats des femmes que nous mettons à l’honneur sont les nôtres : c’est aussi cette dimension d’héritage qui est apparue à l’écriture. Les héroïnes nous lèguent les percées et avancées qu’elles ont produites. […] À nous de puiser à notre tour dans leurs forces combinées pour bâtir un mouvement féministe contemporain puissant – et pour autant divers. » Mais rien n’est gagné, rien n’est acquis, rien n’est certain. Les combats d’hier sont sans cesse à reprendre. Évidemment, il est question de lutte intersectionnelle, de handicap, de grossophobie, de lesbophobie, d’inégalité de fétichisation raciste et de sexisme, mais aussi de sororité et de collectifs féminins.

Les couleurs de ce livre sont pop, piquantes, vitaminées, mais ne vous y trompez pas, l’ouvrage n’est pas superficiel. Avec les sources en fin de portrait et d’ouvrage, le bouquin ouvre grand la porte à la réflexion féministe et jette des éclairages concis sur ses luttes. Chaque femme est présentée en 3 pages et quelques citations. Et c’est finalement un carnet d’adresses que nous offrent les autrices. De manière simple et efficace, elles ont organisé un répertoire de personnes ressources à écouter, lire et étudier pour progresser sur les questions féministes.

Esther Meunier et Léa Castor ont choisi des femmes connues, mais ont aussi exhumé des figures oubliées. C’est un pouvoir que nous avons toutes : mettre/remettre en valeur le travail et les engagements des autres femmes. Nous pouvons nous pousser, pas pour prendre la place d’une autre, mais pour avancer ensemble. Alors, à mon petit niveau, je mets en avant deux artistes dont le travail me touche : l’autrice Stéphanie Hochet et la peintresse Princesse Connasse que je ne connais que par Twitter.

Je vous laisse avec quelques citations à méditer.

« On met la femme au milieu, et tous les autres besoins autour. »

« La beauté des femmes noires est un enjeu politique. »

« Le militantisme, ce n’est pas un métier mais un art de vivre : personne n’est payé pour prendre une pancarte, on le fait parce que c’est important pour nous. »

« Quand il n’y a pas de mot pour nous, c’est que nous n’existons pas. »

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Mission zéro déchet

Ouvrage de Lucie Vallon et Vincent Bergier.

Ce petit livre est adressé aux enfants, parce qu’il n’y a pas d’âge pour protéger la planète et ses richesses. «  Recycler, ça génère de la pollution. Alors il y a encore mieux à faire : réduire nos déchets ! » (p. 3) Il existe quatre principes fondamentaux pour aborder l’attitude zéro déchet : refuser (ce qui peut devenir un déchet), réduire, réutiliser et recycler. Au fil des pages et des illustrations, des jeux apprennent au jeune lecteur à identifier les sources de déchet et à les éviter. « Souviens-toi que l’essentiel est de limiter au maximum les déchets. Mais si tu dois absolument te débarrasser d’un objet, pense toujours à ce qui sera le moins coûteux pour la planète ! » (p. 24)

En présentant le zéro déchet non pas comme un jeu, mais comme une habitude de vie, les auteurs invitent à une émulation saine et forcément bénéfique pour la communauté. Face à l’urgence environnementale, la prise de conscience est urgente. Ce livre est une ressource précieuse pour les parents et encadrants en tout genre qui cherchent comment aborder le sujet simplement avec les enfants.

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Le syndrome des cœurs brisés

Roman de Salomé Baudino.

« Tomber amoureux, c’est n’avoir pas vu que le temps s’arrête ». (p. 13) Lola et Victor s’aiment. Dans leur minuscule appartement, le bonheur et la vie de couple sont simples et joyeux. « Pourquoi dépendre de l’énergie de la conquête lorsque l’on s’aime sans avoir à se surprendre ? » (p. 21) Aussi sont-ils dévastés quand l’application TimeWise leur annonce que leur relation finira dans 2 mois. « Tu penses sincèrement qu’une machine peut décider de la date d’arrêt des sentiments ? / Pas décider. Elle sait. » (p. 31) Désormais, l’horloge tourne, le temps s’échappe, le sablier se vide… Lola et Victor ne comprennent pas ce qui pourrait, en 2 mois, briser leur amour si parfait. « Un amour épanoui pouvait-il supporter les contours d’un temps imparti ? » (p. 58) Le quotidien devient infernal pour les jeunes amoureux. Faut-il qu’ils ignorent le calcul mathématique et espèrent le meilleur ou qu’ils se soumettent au résultat de la Carte de TimeWise et se préparent l’inéluctable annonce ? Doivent-ils précipiter le terme de leur couple, vivre chaque jour intensément avant la fin ou tenter de déjouer les statistiques ?

Le sujet est moins loufoque qu’il y paraît et cette science-fiction gentiment incongrue est finalement très pertinente. Dans un monde où l’informatique est omniprésente, peut-on encore être le maître de son existence ? S’en remettre aux algorithmes et prêter foi à leurs calculs, est-ce de la lâcheté ou un renoncement évident et nécessaire face à une nouvelle forme de fatalité ? « Comment se faisait-il que la technologie ait révolutionné jusqu’aux façons de s’aimer sans avoir produit le moindre antibiotique contre la souffrance amoureuse ? De nos jours, seule la fierté nous poussait à vivre nos histoires d’amour comme un opéra italien du XVIII° siècle. » (p. 228) Dans cette chronique de l’amour à la mort plus ou moins annoncée, l’autrice donne à penser sur ce qui scelle un couple, entre quotidien, passion, confiance et conscience de l’inconnu, et sur le peu qu’il faut pour déstabiliser les plus grands colosses. « Ce n’est pas que le savoir donne le pouvoir. C’est que l’ignorance provoque la psychose. » (p. 119) Finalement, aimer sans certitude n’est-elle pas la seule et vraie manière d’aimer ? La fin du roman est charmante, sur une pirouette peut-être un peu facile, mais maligne. En remettant le bonheur entre les mains du hasard, le couple ne peut qu’en sortir plus fort.

Ici, la Carte est loin d’être celle du Tendre, mais l’autrice exprime une tendresse piquante pour ses personnages. Leurs petits défauts sont agaçants, mais ils sont normaux, humains. Aucune histoire d’amour n’est parfaite et ce qui compte est de s’y investir pleinement. « Tu vois bien que l’on s’aime, Victor. On ne va pas se désaimer en deux mois. » (p. 106) Avec ce premier roman, Salomé Baudino fait une entrée très réussie sur la scène littéraire française contemporaine ! Sa plume est légère et très plaisante à suivre, au gré de chapitres courts et rythmés. Un vrai bonheur de lecture !

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Chez toi

Bande dessinée de Sandrine Martin.

Mona est syrienne. Avec son époux, elle a quitté son pays pour échapper aux bombes qui déchiraient le quotidien. Après un voyage dangereux et terrifiant, ils sont arrivés en Grèce. Leur espoir est désormais de rejoindre l’Allemagne et la famille de Mona, surtout pour que leur enfant naisse là-bas. Pour la future mère déracinée, la grossesse en terre et en langue inconnues est un nouveau parcours du combattant. Sa rencontre avec Monika, sage-femme grecque qui travaille pour Médecins du monde, facilite les démarches. Mais au quotidien, il reste la même urgence : obtenir le passage vers l’Allemagne. Si les voies légales sont bouchées, Mona et Suleiman sont prêts à emprunter celles qui ne se disent pas. « Tout était supportable parce qu’on allait partir. Ça ne pouvait pas être notre vraie vie, le froid, les fissures, les meubles en cageot… Notre bébé allait naître ailleurs ! Pas dans ce foutoir. » (p. 131) L’histoire progresse à mesure des mois de grossesse et du gonflement du ventre de Mona, mère plus résolue que jamais à offrir à son enfant toutes les chances qu’elle-même n’a pas eues. Dans le long monologue intérieur qu’elle adresse au bébé, elle condense ses espoirs et aiguise sa volonté, têtue.

La première et la quatrième de couverture proposent des illustrations en miroir et, tout au long des pages, la fumée des cigarettes dessine des chemins d’évasion et ouvre tous les possibles. Cette bande dessinée se fonde sur une étude anthropologique menée sur les relations entre les femmes enceintes migrantes et le personnel médical. La situation très précaire des premières n’est en rien facilitée par les conditions de travail très difficiles du second. Chez toi montre en outre une particularité grecque, à savoir que les gynécologues sont quasi tous puissants et peuvent décider du terme d’une grossesse sans vraiment consulter les mères, imposant des césariennes à tout va, pour un taux record en Europe. De fait, les méthodes naturelles prônées par les sages-femmes sont difficiles à imposer. En fin d’ouvrage, des documents et des photographies complètent l’histoire et en disent un peu plus sur cette étude.

J’ai lu cette œuvre alors que je venais de fermer Notre humanité d’Ai Weiwei, encore ébranlée par l’urgence d’agir contre la crise des réfugiés et d’accueillir vraiment ces migrants qui quittent tout pour survivre. Cette bande dessinée aux dessins doucement crayonnés et aux camaïeux de bleu ne fait que souligner l’inéluctable nécessité de tendre la main à ceux qui demandent notre aide. L’œuvre m’a beaucoup rappelé Khalat de Giulia Pex, autre bande dessinée qui met en image le déchirement de l’exil et l’impossibilité de trouver sa place dans des pays aux mentalités encore trop fermées.

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Notre humanité

Textes choisis d’Ai Weiwei.

L’auteur/artiste est un opposant de longue date du régime chinois. Résolument engagé dans la lutte contre la crise mondiale des réfugiés et des migrants (politiques, climatiques, économiques), il a voyagé dans 23 pays et recueilli des dizaines de témoignages. « Laisser les frontières façonner notre pensée est incompatible avec les temps modernes. » (p. 36) Dénonçant l’indifférence des dirigeants et du grand public, il en appelle à la responsabilité de tous, rappelant que tout homme doit pouvoir aspirer librement à toutes les chances qu’offre l’existence. « C’est un problème créé par les humains, c’est donc à nous de le résoudre. » (p. 74) L’humanité est une et unique, en dehors de toutes les considérations fallacieuses de race ou de nation  : elle mérite d’être protégée, défendue, revendiquée comme un bien commun. « C’est le moment de remettre en question l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui et la manière dont nous considérons les réfugiés. Font-ils partie de nous ? Sommes-nous prêts à reconnaître que nous faisons partie du problème ? » (p. 22) Pour Ai Weiwei, l’inaction ou le fait de détourner les yeux sont aussi graves que de tenir le fusil qui menace et oppresse. Ses prises de position combattent l’hostilité grégaire vis-à-vis de ceux qui quittent tout dans l’espoir d’une vie meilleure. Il faut en finir avec la méfiance et ne pas déshumaniser les migrants : ayant tout perdu, il ne leur reste précisément que leur humanité. « Les gens qui ont peur des migrants, parce qu’ils manquent de connaissance et, par conséquent, de compréhension de l’humanité, m’inspirent beaucoup de compréhension. » (p. 12)

« N’importe qui pourrait être réfugié, y compris vous et moi. La crise dite des réfugiés est une crise humaine. » (p. 11) Plutôt que de défendre son bien et de s’accrocher à des avantages plus ou moins mérités, il faut s’investir dans la juste répartition des richesses et placer la dignité humaine au-dessus de tout. « La frontière n’est pas à Lesbos. Elle est dans notre esprit et dans notre cœur. » (p. 36) Ai Weiwei enjoint le lecteur à passer à l’action et à interpeler les décideurs politiques et autres dirigeants, surtout via Internet qui est un formidable contre-pouvoir quand il est dument manipulé, mais aussi par la créativité et l’art. « Le pouvoir a très peur de l’art et de la poésie, car l’art peut défendre les droits les plus essentiels. » (p. 45) La lecture de ce recueil d’extraits d’interviews et de prises de parole est dérangeante, car elle met précisément face à nos propres privilèges et à notre angoisse de les perdre.

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Les nouvelles aventures de Lapinot – L’apocalypse joyeuse

Bande dessinée de Lewis Trondheim.

Après avoir été violemment agressé, Lapinot a besoin de se mettre au vert. Il part à la campagne avec Richard, dans la nouvelle maison de leur ami Titi. Mais voilà qu’une météorite détruit leur voiture. Et beaucoup trop de personnes sont intéressées par ce caillou extraterrestre. Ce qui devait être un week-end de détente se transforme en expérience de survie en terrain hostile.

Me voilà un peu déçue par cette lecture. C’est toujours un plaisir de retrouver le sage et pragmatique Lapinot et l’hilarant bien qu’agaçant Richard. « Si je dis que tu es en train de devenir chiant, je ne râle pas, hein… C’est juste une opinion péremptoire. » (p. 21) L’album déplore la convoitise et l’inconscience générale vis-à-vis des problématiques mondiales, mais il y manque un certain sel. Le discours collapsologue est intéressant, mais n’aboutit pas vraiment. Les dernières pages annonçant une certaine pandémie promettent un futur volume encore bien désespéré. J’espère qu’il sera plus piquant que celui-ci.

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Les ponts

Roman de Tarjei Vesaas.

Les longs et indolents congés d’été sont sur le point de s’achever. Torvil et Aud, amis depuis l’enfance, passent leurs journées à réviser leur examen d’entrée scolaire et à se promener dans les bois tous proches de leurs maisons jumelées. « Aud et Torvil partageaient une amitié qu’ils craignaient de voir détraquée par des intrus. Une amitié où, presque toujours, on se sentait en sécurité. » (p. 11) Les parents des adolescents rêvent d’une union qui scellerait encore plus cette relation criante d’évidence. Le calme quotidien des jeunes gens est brisé par une découverte sordide dans la forêt, disparue dès le lendemain, mais durablement inscrite dans leurs jeunes esprits. « J’ai l’impression qu’on est arrivé au bord d’un précipice et qu’on est chacun d’un côté du gouffre. » (p. 57) Liés par un secret terrible à la jeune Valborg, Torvil et Aud sont précipités dans l’âge adulte et pressés de prendre des décisions qui semblaient, hier, encore si lointaines. « On est coincé en ce moment au creux d’un abîme. Le courant s’écoule dans toute sa magnificence en emportant l’ensemble de ce qui s’est déposé au fond de lui et qui va être emporté. Il existe une tombe pour ça. Et si tout ne se déroule pas trop mal pour nous, on pourra y déposer notre fardeau et être libéré. » (p. 95)

L’œuvre de Tarjei Vesaas, hélas trop peu connue en France, est de celles qui enchantent tout autant qu’elles bouleversent. La nature y est omniprésente, quasi mystique, à la fois refuge et lieu maudit. Sous la plume de l’auteur norvégien, les drames humains prennent des dimensions titanesques, ce qui les rend définitivement universelles. Les ponts, ce sont les liens entre les êtres, pas toujours aussi solides qu’il semblerait. Face à la violence des émotions nouvelles, les cœurs se brisent ou s’endurcissent, et tout est changé. Fermer un roman de Tarjei Vesaas, c’est la certitude pour moi d’être hantée pendant longtemps par l’histoire.

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L’iconographe – 50 livres rêvés par 50 illustrateurs

Ouvrage collectif.

« Demander à des illustrateurs de réaliser la couverture de leur choix. Pas n’importe quel livre : celui qu’ils ont toujours rêvé d’illustrer. » Voici donc le contenu de ce beau-livre : des premières de couverture réinterprétée par des artistes et accompagnée d’une courte explication. Et c’est un festival de beauté, un monde ouvert à l’imagination !

J’ai fondu d’amour devant la vision de Jane Eyre par Lucia Calfapietra et Nicolo Giaconin. Et maintenant, je rêve d’avoir une édition de ce roman avec cette couverture ! Et rappelez-vous, amoureux des livres : « Les livres ont un cœur qui bat silencieusement, ils dégagent de mystérieuses phéromones. »

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(Notez l’adorable lapin presque imperceptible dans la neige…)

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Dieu, le point médian et moi

Essai d’Anne Robatel.

Qualifiée de péril mortel par l’Académie française, l’écriture inclusive fait débat. Et pourquoi ? Parce qu’elle massacre la langue française ? Parce qu’elle rend tout discours illisible ou inintelligible ? Rappelons avant tout que l’écriture inclusive, ça commence par des formules comme « Mesdames et Messieurs »… C’est donc bien le point médian qui cristallise le débat et échauffe les esprits… C’est fou comme un signe aussi anodin peut déchaîner les fureurs !

« En tant que poète, linguiste et féministe, je suis triplement sensible à la façon dont la langue façonne des représentations du monde qui n’ont rien de naturel, et je sais que la transformation des comportements passe notamment par celle des énoncés utilisés pour les décrire. » (p. 23) L’autrice ne tranche rien ni de donne de réponse définitive. Elle donne sa position d’artiste et de femme sur une langue qui doit être et rester vivante, évolutive et ouverte aux changements. Accepter l’écriture inclusive et envisager l’usage du point médian, ou au moins son existence, cela suppose déjà d’oser s’interroger et d’interroger son schéma de pensée, de le secouer, surtout s’il est figé depuis longtemps. « Le texte que je suis en train d’écrire fait le pari que ce qui est inclusif, c’est l’intelligence, car il part du postulat que l’intelligence est la chose du monde la mieux partagée. J’écris pour des cerveaux pas encore paralysés, j’écris pour des esprits disponibles et agiles. » (p. 39)

Je ne suis pas d’accord avec l’entièreté de la démonstration de l’autrice, mais celle-ci nourrit ma propre réflexion, et c’est très précieux de pouvoir construire ma position en délimitant des frontières et des contre-arguments.

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Le mariage des lapins

Album de Garth Williams.

Un petit lapin noir et un petit blanc jouent dans les marguerites, sous les hautes herbes et derrière les troncs tendres de la forêt. Mais le premier semble triste, presque inquiet. « Je souhaiterais simplement rester avec toi pour toujours. » La solution est évidente : les deux charmants lapins se promettent une vie commune. Et c’est sous l’œil des autres occupants des bois que le couple aux longues oreilles s’engage dans une complicité éternelle.

Voilà une histoire simple. Mais forte ! Il n’est pas ici question d’une femelle et d’un mâle. L’album met en scène des lapins, sans mention de genre. Ce que célèbre cette charmante histoire, c’est l’amour, sans le compliquer, sans le raffiner par des détails inutiles.

Je vous laisse sur un extrait du site des éditions MeMo qui ont republié cette histoire du milieu du XXe siècle. « Publié aux États-Unis en 1958, cet album n’a pas pris une ride. Au Conseil des citoyens blancs d’Alabama qui l’accusait de faire la promotion de l’intégration raciale, Garth Williams répondit que ce livre était pour les très jeunes enfants, et non pour des adultes avides de haine. Ces lapins expriment le désir intemporel d’aimer et d’être aimé, commun aux tout-petits et aux plus grands ! »

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Tante Chinoises et les autres

Ouvrage de Nathalie Jungerman.

Née en 1882 et décédée à 21 ans de la tuberculose, Marguerite Bonnevay aurait pu, à n’en pas douter, être une percusseuse de la bande dessinée française. L’été de ses 12 ans, en vacances avec ses parents dans un petit village du Var, elle a croqué les habitants et les scènes, donnant naissance à des personnages hauts en couleur. Ses illustrations dynamiques et très colorées rappellent des images d’Épinal, mais augmentées de l’humour féroce d’une très jeune fille. « Conférence célèbre et intéressante du futur évêque de Gonfaron présidée par la Révérende Tante Chinoise magnétisée par les pieds de nez qu’on lui envoie. »

Je retiens avec affection les femmes vêtues de rouge montées sur des cochons rétifs qui tentent d’aller à la mer. Après des années d’oubli, l’œuvre précoce de Marguerite Bonnay est redécouverte et David Perlov en a fait un film, qui s’ouvre sur un prologue tendre et admiratif de Jacques Prévert. Certains ne voyaient que des dessins d’enfant, mais les plus avertis ont senti toute l’ironie triste d’une jeune fille déjà marquée par la mort. Voilà un ouvrage touchant et précieux pour les amateurs de bande dessinée.

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Usagi Yojimbo – 14

Bande dessinée de Stan Sakai.

Miyamoto poursuit son chemin. Il passe la nuit dans une auberge cernée par des obakémono. « On a tous les démons possibles et imaginables… Renards, têtes volantes, ogres, démons, gobelins au long nez, mille-pattes géants, gobelins corbeaux… À votre guise ! »  (p. 13) Plus loin, il affronte un démon masqué qui s’en prend uniquement aux ronins, samouraïs sans maître qui vendent leurs services à qui les demande. Il croise aussi d’affreuses araignées bien plus grosses que lui : si ces bestioles vous effraient, passez votre chemin ! Le samouraï aide des potiers et, sans le savoir, rend son bien à un pauvre marchand dépouillé. Bientôt, il sera en mesure de dissimuler la faucheuse d’herbe dans le temple d’Atsuna, dans l’espoir que la paix perdure.

La recette de ces albums est simple : un beau lapin courageux, des aventures, de l’honneur, une dose certaine d’humour et de tendresse. Et ça marche : je me régale à chaque fois !

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Usagi Yojimbo – 13

Bande dessinée de Stan Sakai.

Miyamoto et Gen se remettent de leurs blessures sous la surveillance attentive du prêtre Sanshobo. Dès qu’il se sent suffisamment remis, le ronin décide de partir en reconnaissance du trajet jusqu’au temple d’Atsuna où lui et Sanshobo prévoient de dissimuler la faucheuse d’herbe, cette épée qui menace la paix du pays. Une nouvelle fois, le chemin du brave guerrier est loin d’être de tout repos ! Il croise des démons, des fantômes ou encore le son étrange d’une flûte maléfique. Il se montre toujours juste et protecteur envers les faibles. « Nul n’est au-dessus des lois ! La justice est à tout le monde ou à personne ! » (p. 93) Il aide l’inspecteur Ishida à résoudre des meurtres et vient au secours d’une courtisane d’une grande beauté. Et surtout, il se révèle plus que jamais être un amour avec les enfants. Il leur raconte d’ailleurs une adorable histoire à base de lapin né dans une pêche ! Bref, je suis toujours sous le charme du beau samouraï aux longues oreilles !

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La cuisine de Marguerite

Recueil de recettes de Marguerite Duras.

« Je ne suis pas très expansive, mais les gens ne se trompent pas là-dessus parce que je leur donne à manger… Je ne leur dis pas que je les aime, je ne les embrasse pas, je ne suis pas quelqu’un de tendre, alors je fais à manger pour les autres. » (p. 46) Marguerite Duras aimait recevoir ses proches dans sa grande maison de Neauphle-le-Château. Pour les nourrir, elle privilégiait les recettes simples, conviviales et roboratives. L’ouvrage compile certaines de ses recettes et des conseils culinaires, comme la nécessité de laver plusieurs fois le riz avant de le cuire. Certes, les recettes sont peu précises, mais leurs titres sont originaux, hommages aux personnes dont l’autrice a hérité ces plats ou souvenir de moments particuliers.

L’ouvrage est illustré de reproductions des recettes manuscrites de Marguerite Duras et de photographies de la cuisine de Neauphle-le-Château. Il y a beaucoup de plats de viande, donc ce n’est pas pour moi, mais j’ai noté quelques recettes végétariennes et toutes les inspirations asiatiques de cette cuisine. Duras aimait les soupes autant que moi, et ça me réjouit follement ! Je retiens aussi que, comme dans ses œuvres écrites, l’autrice place une profondeur certaine, voire du désespoir, dans sa cuisine. « Vous voulez savoir pourquoi je fais la cuisine ? Parce que j’aime beaucoup ça… C’est l’endroit le plus antinomique de celui de l’écrit et pourtant on est dans la même solitude, quand on fait la cuisine, la même inventivité… » (p. 16)

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Komodo

Roman de David Vann.

« Toute ma vie, j’ai aimé mon frère, je l’ai vénéré, je l’ai suivi. » (p. 5) Tracy a 45 ans. Son mariage est loin d’être une réussite et elle est épuisée par ses jumeaux, deux garçons de 5 ans qui la vampirisent. Pour renouer avec son frère Roy et leur mère, elle part une semaine en Indonésie faire de la plongée. « Viens passer des vacances bien plus stressantes que ton quotidien, parce que ça va être super marrant et sympa de se retrouver tous ensemble. » (p. 26) La promesse de quelques jours reposants s’éloigne dès que Tracy rejoint Roy. Entre eux, immédiatement, les conversations sont à couteaux tirés. « Comment est-on censé passer une semaine entière sans parler de rien ? » (p. 34) Et comme un miroir cruel, la beauté des fonds marins est un mirage tant la plongée dissimule des dangers mortels.

David Vann sait terriblement bien parler des familles dysfonctionnelles, comme il le prouve depuis ses premiers textes. « Peut-être que la famille est un immense sac à merde qui se balance dans le vent, et qu’on s’en sert de piñata avant de reculer pour ne pas être éclaboussé quand elle éclate. » (p. 38) L’animosité cinglante entre les trois protagonistes ne fait que révéler la violence que chacun s’inflige, ainsi que des pulsions de meurtre de plus en plus brûlantes. Et le drame irréversible est à portée de main, au bout de doigts. Il ne faudrait qu’un battement de cil pour ouvrir les vannes au pire. Komodo explore l’esprit épuisé d’une femme à bout de patience, de pardon et de compréhension. « Et qu’est-ce que je reçois comme récompense, moi, pour n’avoir jamais causé de problème ? je demande. Si le fils prodigue a droit à tous les honneurs, que reçoit la fille fidèle ? » (p. 65) Et c’est du pur génie : jamais racoleur, jamais caricatural, le roman est une peinture vraie de l’instant qui précède les tragédies.

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Galère of Thrones

Bande dessinée de Madame Lady et Tom.

Quatrième de couverture – Ce livre recueille les aventures de nos héros. Il nous raconte leur courage, leur ténacité et leur bravoure. Des turpitudes de Djone Neige aux amours de Marjolaine et Jéfré… Vous ne verrez plus jamais vos héros de la même manière…

Que dire cet ouvrage parodique ? Peu de choses. Il est à mes yeux sans intérêt, d’une inutilité crasse. Il surfe sur un phénomène populaire, et sinon ? Sinon, rien. Je ne lui ai trouvé aucune dimension humoristique et c’est à peine si j’ai souri devant certaines vignettes.

Cette parodie force tellement le trait que ça en devient idiot et stupide, sans aucun ressort comique. « Vous êtes en présence de l’inflammable, la matriarche des salamèches, l’héritière du trône coupant, la péteuse de chaînes, la nudiste des flammes, la fashion queen des sept terres, la pilote reptilienne, la fille du roi débile… / Tu crois que c’est bientôt fini ? ça fait plus de deux heures! faut vraiment que je pisse ! / Crois-tu qu’elle les invente au fur et à mesure ? » L’ouvrage ne fait que souligner des éléments de la série déjà 1000 fois repris, parodiés et moqués sur les réseaux sociaux et Internet. Bref, sauf si vous êtes vraiment en manque de Daenerys et Tyrion, passez votre chemin, y a rien à voir ici !

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Après l’orage

Bande dessinée de Victor de Taillac.

Le jeune lieutenant Henri de Maury quitte Perpignan et celle qu’il aime pour le front. La guerre sera courte, tous le pensent. Et tous espèrent une victoire éclatante. Mais l’hécatombe des premières semaines remplace le bel enthousiasme du départ. La fin de l’été 1914 moissonne les hommes en pleine vigueur, et non les blés qui brûlent sous les canons allemands. « L’horrible bête sans visage vomit ses balles dans une mécanique implacable. Et les pantins de carnaval, joyeusement fagots de leurs pantalons rouges, se font hacher sans pitié. » 5 septembre, c’est la bataille de la Marne qui commence. Et l’ordre de Joffre tombe : il faut tenir les positions coûte que coûte, ne laisser aucun pouce de terrain à l’ennemi. Henri de Maury doute : où est-elle la glorieuse guerre dont il a rêvé toute sa jeunesse ? Est-ce vraiment cette boucherie à ciel ouvert ?

Parsemée d’extraits de textes de Charles Péguy et de Stefan Zweig, cette lente bande dessinée est comme un film que l’on passe au ralenti. Les balles sifflent pendant des secondes interminables, les corps se soulèvent sous les obus sans jamais sembler retomber. Et les cris de douleurs des blessés composent une bande-son sinistre. Mais le dessin de Victor de Taillac est sublime. Dans des couleurs naturelles et poudrées, il compose des décors superbes où le sang rehausse tristement les détails de l’été. Les pages en camaïeu de gris parlent d’une femme, ou plutôt de plusieurs femmes, beautés éternelles auxquelles les hommes se dévouent et consacrent plus que leur existence. Car pour les survivants des tranchées de 14-18, quelle vie est désormais possible ?

Les éléments d’archive en fin d’ouvrage augmentent le texte avec pertinence. Le centenaire de la Première Guerre est encore tout proche et pourtant semble déjà si lointain. C’est de l’Histoire, mais ça ne doit pas seulement être du souvenir.

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Le château des animaux – 2 : Les marguerites de l’hiver

Tome 1 : Miss Bengalore

Bande dessinée de Xavier Dorison et Félix Delep.

La construction de la tour de guet continue, par tous les temps. Pour faire face à l’hiver, le taureau Silvio a imposé une heure de travail quotidienne supplémentaire pour le ramassage du bois. Bois que les animaux doivent acheter après l’avoir ramassé. L’injustice creuse les ventres et glace les nuits, mais Bengalore et César sont déterminés à tenir bon. Ils exigent le bois gratuit pour tous. Alors que Silvio s’entête et que les chiens continuent leurs attaques odieuses, les animaux sont de plus en plus nombreux à tomber malades, épuisés par le froid et la faim. Il en faudrait bien peu pour mettre le feu aux poudres. « Seuls des moyens justes donneront des résultats justes. Ce n’est pas en semant du sang et des larmes que nous récolterons la liberté ou la paix ! » (p. 16)

Je savais que j’aurais dû attendre que cette série soit complète ! Parce que maintenant je piaffe de lire les 2 derniers tomes. Je veux retrouver le charmant César et la courageuse Bengalore. Et je veux croire dans leur victoire, parce que s’ils savent faire fleurir des marguerites dans la neige, ils sont capables de tout !

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Le château des animaux – 1 : Miss Bengalore

Bande dessinée de Xavier Dorison et Félix Delep.

Les hommes ont quitté le Château. Les animaux se sont organisés pour survivre, mais sont-ils plus libres qu’avant ? Tandis que le taureau Silvio profite du confort du château et que les chiens organisés en milice font régner l’injustice, les autres animaux s’échinent à remplir le grenier central et à construire une nouvelle tour de guet. Après une nouvelle exécution aussi cruelle qu’injuste, certains habitants décident que tout doit changer. « Il faudra se souvenir de ce jour, Miss B. / Oui, comme du jour de la mort d’Adélaïde… / Non ! Comme du dernier jour où nous n’avons rien fait. » (p. 9) Miss Bengalore, jolie chatte blanche, s’épuise toute la journée pour gagner sa pitance et défendre ses chatons. Avec l’oie Marguerite et le lapin gigolo César, elle réclame une répartition équitable des ressources, en vain. Avec l’arrivée du rat Azélar, qui raconte comment un petit fakir a tenu tête à un empire, c’est tout le château qui pourrait bien trembler. « Il est bien plus aisé que vous ne l’imaginez de vaincre la haine par l’amour, le mensonge par la vérité… et la violence par l’acceptation d’un peu de souffrance. » (p. 50)

Hommage évident à La ferme des animaux de George Orwell, cette bande dessinée n’hésite pas à montrer des images très graphiques. Avertissement : si vous êtes comme moi très sensibles à la souffrance animale, ouvrez cet ouvrage avec précaution. Il y a 2 pages qui m’ont véritablement coupé le souffle et soulevé le cœur. La jolie Bengalore et le coquin César sont des protagonistes attachants. Et voir la désobéissance civile prônée par Gandhi exercée par des animaux de basse-cour, c’est loin d’être bouffon. Bien au contraire, cela remet en perspective bien des systèmes politiques.

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Présentes – Ville, médias, politique… Quelle place pour les femmes ?

Texte de Lauren Bastide.

L’autrice est la créatrice du podcast La Poudre qui donne la parole aux femmes. Dans cet ouvrage, elle compte. Parce que c’est en comptant que l’on prend conscience de la sous-représentation des femmes dans tous les espaces et médias. Les statistiques et chiffres composent une démonstration irréfutable : les femmes sont encore largement minoritaires, partout. « Ça fait des siècles qu’on associe le discours des femmes à une certaine forme d’irrationalité, voire d’hystérie, qui préconditionne toutes leurs prises de parole publiques et façonne les perceptions de leurs discours. Les femmes sont condamnées à être les Cassandre de la société, celles qui disent toujours la vérité et qu’on ne croit jamais. » (p. 183) Alors, pour se faire entendre, elles créent des espaces pour parler des sujets qui les concernent – et tous les sujets les concernent – puisqu’on ne leur donne pas ou peu ou mal la parole dans les espaces existants, souvent dirigés par des hommes et principalement ouverts aux hommes. « C’est pour moi le geste le plus féministe qu’on puisse accomplir : créer des espaces où les récits des femmes peuvent se déployer sans entrave. » (p. 199) Mais au-delà de ça, il faut adapter les espaces, tous les espaces, aux femmes et non l’inverse. Et leur ouvrir tous les espaces : public, artistique, scientifique, médiatique, politique, sportif, etc.

Laurent Bastide aborde de nombreux sujets qui tous rejoignent la question du féminisme : intersectionnalité, patriarcat, validisme, lesbophobie, grossophobie, homophobie, racisme, harcèlement de rue, port du voile, mansplaining, cyberharcèlement, plafond de verre, plafond de mère, etc. « J’aimerais ne plus entendre que le féminisme constitue une sorte de police de la pensée qui obligerait la société à se conformer à sa vision. » (p. 181) Le ton est assez piquant, mais surtout limpide, criant d’évidence et hurlant de vérité. L’autrice emploie les mots justes, surtout s’ils fâchent. Les notes de bas de page sont pertinentes non seulement parce qu’elles renvoient à des sources qui semblent innombrables, mais surtout parce qu’elles donnent le nom des hommes en tout petit : dans le corps de texte, c’est celui des femmes qui est au centre, pas celui de leurs bourreaux et pas celui des oppresseurs. Et la bibliographie en fin d’ouvrage est monumentale, à double titre : grand nombre de références et mise en avant de productions féminines.

L’amie qui m’a offert ce livre estime que chaque femme devrait l’offrir à une autre femme, pour que toutes aient accès à cette démonstration indispensable. Et pour moi, cette lecture a été aussi fluide et impactante que Moi les hommes, je les déteste.

Quelques extraits pour vous convaincre de lire ce texte !

« J’ai voulu écrire un livre engagé et radical. J’ai voulu aussi écrire un livre accessible et convaincant. » (p. 7)

« Pour que les femmes soient respectées, crues, valorisées, il faut, avant tout, œuvrer à ce qu’elles soient vues et entendues. » (p. 9)

« Ce qu’il y a de plus redoutable dans l’invisibilisation des femmes, c’est qu’elle est invisible. » (p. 9)

« Les femmes sont invisibilisées partout où l’on produit de la connaissance, partout où l’on contribue à modeler l’inconscient collectif de la société. Et il ne peut pas y avoir de société juste si les représentations collectives se construisent en oubliant la moitié de l’humanité. » (p. 16)

« Il y a une urgence à dire le nom des femmes et à faire applaudir leurs accomplissements. » (p. 18)

« Vous pensez sûrement que j’exagère, mais c’est ça, le quotidien du féminisme en France. Des femmes qui disent des choses sensées et qui se font aussitôt insulter. » (p. 47)

« La blanchité, comme le masculin, est un faux neutre. Un point de vue qu’on présuppose objectif alors qu’il est, comme tout point de vue, fait de biais et d’imprégnation culturelles inconscientes. » (p. 104)

« Oui, Internet, c’est de la bombe. Mais c’est aussi un espace où les violences contre les femmes sont considérées comme allant de soi. » (p. 154)

« Les femmes sont mes sœurs et j’agis pour cela, pour manifester une communauté de destins avec toutes celles qui subissent, comme moi, l’oppression patriarcale. » (p. 238)

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