Nuit

Roman d’Edgar Hilsenrath.

Dans le ghetto de Prokov, la survie s’organise au jour le jour. Chacun cherche un refuge pour la nuit, car les rafles emportent tous ceux qui sont trouvés dans la rue après le couvre-feu. « Nous envions les morts… et partout, quand sonne l’heure, personne ne veut mourir. Pourquoi tenons-nous tant à la vie ? / Parce que nous n’avons pas perdu espoir. / Si, Déborah, nous avons perdu espoir. » (p. 174) Parmi tous les miséreux, il y a Ranek. Ni plus chanceux ni plus débrouillard qu’un autre, il gagne chaque journée de survie à la force de ses maigres bras et de sa roublardise. Prêt à tout pour une pomme de terre, pour une gorgée de soupe ou une poignée de farine, Ranek se méfie de tous. Dans l’asile de nuit et partout dans le ghetto, la faim et la fatigue conduisent aux dernières extrémités. La solidarité est de plus en plus rare. « On essaie de rester humain… et après ? Qu’est-ce qu’on y gagne ? » (p. 370) Tout s’achète et tout se vend, même la misère et la honte. Dépouiller les morts de leurs maigres biens, jusqu’au plus petit chiffon, c’est toujours une heure de plus gagnée sur la nuit. « Les morts pardonnent aux affamés, et ils pardonnent aux désespérés. » (p. 381)

Dans ce premier roman qu’il a mis plus de 10 ans à écrire, Edgar Hilsenrath a placé beaucoup de sa propre expérience. Lui aussi a connu le ghetto, la faim, le typhus, le froid. Si son roman alimente inexorablement la littérature de l’Holocauste, l’auteur propose une image du Juif débarrassé de son misérabilisme : ici, la victime est prête à tout, à devenir criminelle, cruelle. Bien que bornés par les frontières du ghetto, les juifs de Prokov se rebellent juste en existant et rendent chaque coup, ne serait-ce qu’en crachant. « Mettez-vous ça dans le crâne une fois pour toutes : ne vous occupez pas des autres. Fichez-vous toujours de ce que font les autres, s’ils mangent, s’ils baisent ou s’ils crèvent… Rien à cirer… ici c’est chacun pour sa pomme. » (p. 59)

Le tour de force de ce roman, compris tout entier dans le titre, est de faire de tout le récit une longue nuit, même quand il fait jour. « Une nuit, ça peut être long. » (p. 286) L’aube ne poindra vraiment qu’avec l’ouverture du ghetto et la fin de la guerre. D’ici là, le crépuscule n’en finit pas. Et le temps de la nuit est dilaté par l’angoisse, les souvenirs et les cauchemars : il devient une éternité de peur, de souffrance et d’incertitude. « Tu n’as pas vraiment dormi. Ces pensées ont surgi de ta somnolence. Ces derniers temps, ça t’arrive souvent. Tu ne sais plus distinguer entre les rêves et les pensées. Mais tu n’es pas encore cinglé, juste affamé. » (p. 48) La dernière phrase du roman contient cependant une infinité de possibles et d’espoirs permis par la maternité : le jour ne s’est pas encore levé, mais certains auront la chance de le voir.

Résolument plus sombre que ses romans suivants, Nuit est sans conteste le texte fondateur de l’œuvre d’Edgar Hilsenrath, dont je ne peux que vous conseiller la lecture. Et si vous cherchez un autre texte immense issu de la littérature de l’Holocauste, lisez À pas aveugles de par le monde de Leïb Rochman.

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Potins #57

James M. Cain est un auteur américain né en 1892 et décédé en 1977.

POTIN – Mobilisé en France en 1918, il sera rédacteur du journal de la 79e division, intitulé Lorraine Cross.

Lisez : Mildred Pierce et Le facteur sonne toujours deux fois.

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Le meurtre de Roger Ackroyd

Roman d’Agatha Christie.

Je n’aime pas les romans policiers, notamment ceux d’Agatha Christie. Mais j’ai promis à quelques amis fans de cette autrice de lire au moins ce roman qui est selon eux un incontournable, un fondateur du genre. Qu’à cela ne tienne, voyons ce que ce bouquin a dans le ventre. Je m’abstiens de trop en dire : ceux qui connaissent la chute comprendront et ceux qui ne la connaissent pas m’en voudront peut-être de donner trop d’indices. Sachez seulement que, comme son titre l’indique, il s’agit de découvrir qui a tué Roger Ackroyd. Aidé du Dr James Sheppard, Hercule Poirot mène l’enquête. « La police peut se tromper, […] et à mon avis c’est ce qu’elle est en train de faire. » (p. 62) Tout le monde est suspect et tout le monde a un alibi ou une bonne excuse. Mais on ne l’a fait pas à Poirot : à la retraite ou non, l’insupportable petit Belge ne se laisse pas berner. « Voyez-vous, quand je sens que quelqu’un me cache quelque chose, j’imagine toujours le pire. » (p. 136)

J’ai trouvé le coupable avant la moitié du bouquin tant les indices m’ont semblé évidents, voire hurlants. Le procédé narratif a peut-être surpris les lecteurs de l’époque, mais tout de même, l’assassin dévoile quasi immédiatement son identité. Mais ce que je reproche surtout à Agatha Christie, c’est son style très daté. OK, ce n’est pas sa faute : quand elle écrivait, son style était d’époque, mais celui-ci vieillit très mal. Tout comme les opinions de la dame sur les Juifs, les domestiques ou encore les femmes qui me donnent quelques irritations ! Bref, j’ai lu le livre et on va dire que, maintenant, j’en ai fini avec Agatha Christie.

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Les intrus de la Maison Haute – Précédé d’un autre conte du Wessex

Nouvelles de Thomas Hardy.

Le bras atrophié – Le fermier Lodge rentre chez lui avec sa jeune et jolie épouse, Gertrude, ce qui ne manque pas de blesser Rhoda Brook, laitière abandonnée par le maître des lieux. Rapidement, le bras de la jeune mariée s’abîme et s’affaiblit. « C’est comme si quelque sorcière, ou le diable lui-même, m’avait attrapée là et flétri le bras. » (p. 28) Si on ajoute le passage d’un spectre, un rêve aussi troublant que prémonitoire et un procédé de guérison tout à fait macabre, nous avons là les ingrédients d’un drame fantastique du meilleur tonneau.

Les intrus de la Maison Haute – Accompagné de son témoin, Mr Darton est en chemin pour rejoindre sa fiancée, Sally Halls. « La raison pour laquelle j’ai décidé de l’épouser […] n’est pas seulement qu’elle me plaît, mais que je ne pourrais trouver mieux même d’un point de vue essentiellement pratique. » (p. 67) De son côté, la jeune femme attend son futur époux et une robe qui est un cadeau de mariage. Or, celui qui passe la porte n’est pas le fiancé, mais Philip Halls, le frère de Sally revenu inopinément d’Australie, et la robe escomptée est portée par l’épouse de ce revenant inattendu. Voilà qui bouleverse pour longtemps, voire toujours, les projets matrimoniaux établis.

J’apprécie depuis longtemps les romans de Thomas Hardy : il y déploie des personnages forts et des intrigues complexes, toujours nouées de tragédie, de dilemme et d’honneur malmené. Ses nouvelles – ou contes – sont du même niveau. En peu de pages, avec une remarquable économie de moyens, mais une parfaite maîtrise du principe romanesque, Thomas Hardy offre là deux histoires saisissantes. Il me tarde de lire ses autres contes du Wessex.

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Le magicien d’Oz

Roman de Lyman Frank Baum.

Au pays d’Oz, vous trouverez :

  • Dorothy et son chien Toto, arrachés du Kansas par une tornade ;
  • Les Souliers d’Argent de la Méchante Sorcière de l’Est ;
  • Des Munchkins et des Winkies ;
  • La Cité d’Émeraude et la Cité de Porcelaine ;
  • Une route pavée de briques jaunes ;
  • Un épouvantail sans cervelle ;
  • Un Bûcheron de Fer-Blanc sans cœur ;
  • Un lion sans courage,
  • Une cigogne, des mulots et des singes volants ;
  • Un Bonnet d’Or ;
  • Des lunettes aux verres verts verrouillés.

Je ne résume pas cette histoire que tout le monde connaît. Ce fut une lecture rapide et plaisante, avec une morale bienveillante un peu niaise, mais est-on jamais trop bienveillant ? « Vous autres qui avez un cœur, vous pouvez vous en servir pour vous guider et ne jamais nuire à personne. » (p. 50) Il me reste à voir le film pour achever de combler cette lacune dans ma culture populaire américaine.

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Potins #56

Donna Tartt est une autrice américaine née en 1963.

POTIN – Elle met près de 10 ans à écrire chacun de ses romans.

Lisez : Le maître des illusions, Le petit copain, Le chardonneret.

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Qui a ramené Doruntine ?

Nouvelle d’Ismaïl Kadaré.

Doruntine Vranaj revient chez sa mère après trois ans passés loin de sa famille, auprès de son époux. Elle affirme être revenue avec Konstantin, son frère, mais celui-ci est mort depuis des années, ainsi que les huit autres fils de la famille Vranaj. Qui, alors, a ramené Doruntine chez les siens ? « Peut-être que ce genre de choses plaît aux jeunes mariées d’aujourd’hui. Peut-être qu’elles aiment chevaucher la nuit enlacées à une ombre, dans les ténèbres et le néant. » (p. 185) L’affaire ne manque pas d’affoler le village et le capitaine Stres qui ne peut hélas pas interroger la jeune fille et sa mère, violemment ébranlées par leurs retrouvailles empreintes de mystère macabre. « Sous nos yeux est en train de naître une légende. » (p. 64) D’une noce à des funérailles, entre une promesse et une malédiction, le retour de Doruntine n’est pas seulement une énigme, c’est surtout la puissante manifestation de l’âme albanaise.

Je découvre Ismaïl Kadaré avec ce court texte et je suis enchantée. Sous le prétexte de présenter une fable médiévale albanaise, l’auteur célèbre son pays, son identité et la force d’esprit de son peuple. En outre, l’édition dans laquelle j’ai lu cette nouvelle est destinée aux scolaires et l’appareil critique est très intéressant.

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Sorcières, la puissance invaincue des femmes

Essai de Mona Chollet.

Après Beauté fatale où elle dénonçait l’injonction faite aux femmes d’être jolies et de se taire (pour résumer grossièrement ce brillant ouvrage), Mona Chollet décortique les atteintes faites aux femmes fortes, que ce soit par les hommes ou par les religions (majoritairement menées par les hommes). « Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femmes ces siècles de terreur ont-ils censurés, diminués, réprimés ? » (p. 3 & 4) Pour l’autrice, il s’agit de la femme indépendante, de la femme sans enfant et de la femme âgée. Comme dans son précédent essai consacré aux femmes, Mona Chollet cite de nombreuses penseuses féministes, mais illustre également sa démonstration de références populaires ô combien parlantes ! Les séries Charmed, Ma sorcière bien-aimée ou Buffy contre les vampires, les romans Moi, Tituba sorcière ou La servante écarlate ou encore le film Les sorcières d’Eastwick proposent des représentations différentes de la sorcière et il est passionnant de les croiser, de les comparer et de les opposer.

La sorcière, la vraie, celle qui terrifie le patriarcat – religieux ou non –, c’est la femme qui ne se marie pas, et/ou qui n’a pas d’enfant, et/ou qui a un emploi ou une activité en dehors du foyer, et/ou qui est financièrement ou socialement autonome. Bref, un être à l’égal de l’homme, et ça, mon brave Monsieur, évidemment qu’on ne peut pas laisser faire ! Je passe sur les siècles de violences patriarcales, paternelles, matrimoniales, gynécologiques, obstétriques et institutionnelles : au mieux, vous en avez entendu parler ; au pire, vous les avez subies. Alors, libérer la parole est plus que jamais nécessaire, comme c’est le cas actuellement avec #MeToo. Parce que cette libération, c’est permettre à la vérité d’exploser, mais aussi – pourquoi pas – aux incantations de résonner. Tremblez, oppresseurs de tout poil, la sorcière n’a peut-être plus de balai volant ou de chaudron bouillonnant, mais elle a toujours de grands pouvoirs !

Ma chronique n’avait pas pour but de résumer l’essai de Mona Chollet, mais de vous donner envie de le lire. Et si vous hésitez encore, quelques morceaux choisis pour achever de vous décider !

« À travers elle [la sorcière] m’est venue l’idée qu’être une femme pouvait signifier un pouvoir supplémentaire, alors que jusque-là une impression diffuse me suggérait que c’était plutôt le contraire. » (p. 12)

« Une femme doit avoir un maître, quitte à ce qu’il s’agisse de l’homme qui l’a enlevée et séquestrée alors qu’elle avait douze ans. » (p. 49)

« Les seuls cas où l’on accorde à un féminicide la place qu’il mérite, où l’on reconnaît sa gravité, c’est lorsque le meurtrier est noir ou arabe, mais il s’agit alors d’alimenter le racisme et non de défendre la cause des femmes. » (p. 68)

« La disqualification de l’expérience des femmes représente une perte et une mutilation immenses. Les inciter à changer le moins possible, à censurer les signes de leur évolution, c’est les enfermer dans une logique débilitante. » (p. 156)

« On finit par intégrer ce regard sur soi, cette évidence de sa propre inanité, de sa propre incompétence. » (p. 183)

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Howard P. Lovecraft – Celui qui écrivait dans les ténèbres

Bande dessinée d’Alex Nikolavitch.

Le jeune Howard P. Lovecraft supporte mal la vie à New York. De retour à Providence en 1926, qu’il ne quittera plus que pour visiter des amis, il poursuit son œuvre, cependant convaincu que cela ne vaut pas la peine d’être publié, mais tout en maudissant les éditeurs pour leurs lettres de refus. H. P. Lovecraft est un être ambigu, souvent maladroit et inadapté. « Je n’appartiens pas au monde. J’en suis le spectateur amusé, et parfois dégoûté. » (p. 18) De faible constitution physique et nerveuse, il se fatigue vite et ses idées très arrêtées sur des sujets divers ne l’empêchent pas d’être vivement impressionné par les découvertes astronomiques de son temps. Avec Harry Houdini, il commence la rédaction d’un ouvrage sur l’astrologie, pour la démonter, plus précisément. En parallèle, il bataille toujours pour faire publier L’appel de Cthulhu et il commence à écrire Le Necronomicon. Et jusqu’à la fin de sa vie – plutôt courte puisqu’il s’éteint à 47 ans des suites d’un cancer particulièrement agressif –, il entretient une correspondance assidue avec des lecteurs qui admirent son travail ou avec d’autres auteurs, comme Robert E. Howard.

Ayant lu tout Stephen King, auteur qui ne nie nullement l’inspiration que lui ont offertes les œuvres de Lovacraft, il serait temps que je découvre enfin le travail de cet auteur. Et bien que les illustrations de cette bande dessinée ne m’aient pas vraiment plu, le texte, lui, a su raviver une envie ancienne. Lovecraft, à nous deux en 2019, j’espère !

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Potins #55

David Vann est un auteur américain né en 1966.

POTIN – Il milite fortement contre le libre commerce des armes et pour la mise en place d’un suivi adéquat des vétérans de l’armée.

Lisez : Tout. Tout simplement, tout. Et donc : Sukkwan Island, Désolations, Impurs, Dernier jour sur terre, Goat Mountain, Aquarium, L’obscure clarté de l’air, Un poisson sur la lune, Komodo, La contrée obscure.

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Mon traître

Roman de Sorj Chalandon.

« J’étais le luthier de Paris, le silencieux, celui qui vient ici pour partager le temps. » (p. 7) Antoine s’est pris d’affection pour l’Irlande et d’amitié pour quelques habitants de Belfast. Le 9 avril 1977, il rencontre son traître : il s’appelle Tyrone Meehan. Il est membre de l’IRA et devient plus qu’un ami, plus qu’un frère pour Antoine. Il est presque un père. Mais Tyrone est aussi un traître. Traître à l’Armée républicaine, traître à l’Irlande catholique, traître à Bobby Sands, traître aux grèves de la faim, traître aux bombes artisanales, mais surtout traître à Antoine qui perd plus qu’un ami. « Mon Irlande avait suivi mon traître. Il l’avait capturée, emmenée avec lui en exil. » (p. 106) La félonie est révélée en 2006, 9 ans après que l’IRA a déposé les armes et ouvert un processus de paix avec le gouvernement britannique. 25 ans au service des Anglais qui sont bien difficiles, voire impossibles à pardonner. « Je n’étais pas triste de lui. Je n’étais pas triste de nous. J’étais triste de moi. Triste de n’avoir rien vu, rien entendu, rien senti. J’étais triste de ma somnolence, triste de mon affection, triste de mes certitudes. J’étais triste de chacun de mes gestes pour lui. » (p. 125)

Contrairement au Petit Bonzi et à Une promesse, ce roman de Sorj Chalandon n’a pas ému mon cœur intime, mais mon cœur citoyen. Je comprends qu’Antoine se soit épris de l’Irlande et de son combat, de ses habitants et de leur colère. « Je ressemblais à l’un d’eux, à force, sans le vouloir, sans faire exprès, sans rien changer à mon attitude. Je retrouvais en moi quelque chose qui sommeillait depuis toujours. Quelque chose de moi sans que je le soupçonne. » (p. 35) La longue guerre qui a déchiré le pays est d’autant plus révoltante quand elle s’incarne en des êtres qui se donnent entièrement à la cause alors que d’autres lui tournent le dos. Alors comment comprendre la traîtrise ? Comment l’excuser ? Mais aussi, comment blâmer ceux qui ont beaucoup donné et qui finalement renoncent ? « Quel était l’homme qui m’enlaçait ? Un traître ne peut pas regarder sa terre comme cela. Il ne peut pas aimer sa terre comme ça. » (p. 86) Mon traître remue les tripes, fait serrer les poings et trembler les paupières. C’est un magnifique roman.

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Usagi Yojimbo – 3

Bande dessinée de Stan Sakaï.

Je poursuis ma lecture des aventures du brave ronin aux longues oreilles. Ce garde du corps, c’est un peu le Kevin Costner des lapins, voyez-vous : impossible de résister à son charme ténébreux. Et encore moins quand il met ses fines lames au service des innocents, des opprimés et des laissés pour compte. « Fléau des bandits et des tyrans, c’est le guerrier samouraï au glaive cinglant, celui que de nombreux voudraient réduire en ragoût de lapin. » (p. 94) Au début de l’album, il sauve un tokayé (ce lézard bizarre aux airs de mini-dinosaure…) qu’il nomme Tachtu. La bestiole le suit dans son errance et l’aide avec reconnaissance, mais il lui manque une sérénité que Miyamoto ne peut pas lui offrir. Alors, le sage samouraï le laisse partir avec un compagnon plus approprié. Notre usagi (lapin) retrouve d’anciens amis, comme le rhinocéros Gen qui dévoile enfin un cœur aimable et désintéressé, mais il affronte aussi d’anciens adversaires et des chats ninjas aussi féroces qu’impitoyables. Et cerise sur le gâteau, il croise Léonardo, une des quatre Tortues Ninja !

Bref, c’est toujours aussi divertissant et agréable. Et il ne faut jamais manquer une occasion de lire une histoire avec un lapin dedans !

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Potins #54

Daphné du Maurier est une autrice britannique née en 1887 et décédée en 1989.

POTIN – Elle a été anoblie en 1969, mais ses enfants ne l’ont découvert qu’en lisant ses journaux, après sa mort.

Lisez : Rebecca (que je n’ai jamais chroniqué ici…), L’auberge de la Jamaïque, Le bouc émissaire, Le monde infernal de Branwell Brontë, La crique du Français.

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Une promesse

Roman de Sorj Chalandon.

Ils sont sept. Sept vieux amis. Sept fidèles qui ont promis de continuer à visiter Ker Ael, la maison de Fauvette et Étienne, après le décès du couple. Pour garder un semblant de vie dans les murs désertés. Pour maintenir une flamme fragile, mais têtue. Pour honorer un souvenir d’enfance. À chacun son jour de visite. À chacun son verre de promesse quand il a rempli son devoir. Et à chaque passage, les présences ténues d’Étienne et Fauvette continuent d’exister, vacillantes et fragiles, déterminées à rester ensemble jusqu’au bout. « Ils doivent s’enlacer fort, se tenir par les yeux, se protéger, ils doivent ne jamais se quitter du cœur. » (p. 24) Mais combien de temps peut-on tenir une promesse et hypothéquer l’existence des vivants d’une dette aux absents ? « Tu ne crois pas qu’on a tous été formidables ? […] Tu ne crois pas que ce cérémonial doit s’arrêter un jour ? / Je ne sais pas. / On n’a rien à se reprocher. Je suis sûr que Fauvette et Étienne sont fiers de nous. » (p. 60)

Après Le petit Bonzi qui m’a permis de découvrir un auteur au talent certain, Une promesse confirme mon impression : Sorj Chalandon sait mettre son grand talent au service d’histoires simples, mais profondément bouleversantes. Ici, le récit est tissé de légendes bretonnes, de superstitions de marins et de fables d’enfants. Se souvenir des morts, c’est garder vivace une veilleuse que l’on refuse d’éteindre, que l’on craint de souffler. Mais c’est surtout reconnaître ce que l’on doit aux gens doux et bons qui ont croisé notre chemin et qui, d’un sourire ou d’une parole, nous ont rendu l’existence moins âpre. Une promesse, c’est 125 pages de beauté, de délicatesse et de fidélité.

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Compromis

Pièce de Philippe Claudel.

À quelques jours de la victoire présidentielle de François Mitterrand en 1981, Denis, comédien raté, vend son appartement. Il attend l’acheteur en présence de son ami Martin, dramaturge que personne ne joue. Entre eux, 34 ans d’amitié. Denis trouve Martin rassurant : ça pourrait aider pour le compromis. « Tu ne crois pas que, au contraire, deux hommes pour en accueillir un troisième quand il s’agit simplement de signer un compromis de vente, ça a de quoi inquiéter ? À sa place, je serais sur mes gardes. » (p. 19) En attendant l’acheteur, ou le pigeon vu l’état de l’appartement, ça parle théâtre, mises en scène, rôles perdus ou gâchés, opportunités manquées. La franchise devient brutale et chacun renvoie à l’autre ses échecs et ses défauts, d’abord avec finesse, puis de plus en plus méchamment. « Tu caches remarquablement ton intelligence. » (p. 20) Voilà qu’arrive Duval, l’acheteur un peu niais : il assiste à un règlement de compte dont il fera aussi les frais.

Brillant et jubilatoire ! Au gré d’un humour noir, acide, grinçant, le rapport de forces entre les protagonistes ne cesse de changer, l’avantage passe d’un camp à l’autre à la faveur d’un mot de trop ou d’un mot de travers. « Martin, aie un peu confiance en toi ! Tu n’es pas un génie, mais tu n’es pas sans talent. » (p. 60) Le comédien et l’écrivain vident leur sac, crèvent un abcès vieux de 30 ans. Bref, on assiste à des épanchements de choses douteuses et dégoûtantes. Et c’est tout à fait réjouissant ! Et de tout cela, un conseil à retenir : quand vous êtes agacés, pensez à Mitterrand !

La pièce est créée en janvier 2019 au Théâtre des Nouveautés à Paris. Si seulement j’avais le temps de la voir… Évidemment, une nouvelle fois et comme toujours, je vous recommande de lire toute l’œuvre de Philippe Claudel.

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Idaho

Roman d’Emily Ruskovich.

De 1995 à 2025 s’entremêlent les destins de Wade, Jenny et Ann. Les deux premiers étaient les heureux parents de May et June, mais un drame inimaginable a détruit la famille. Alors que Jenny purge sa peine en s’interdisant tout ce qui pourrait la soulager, Wade a refait sa vie avec Ann. Mais à mesure qu’il perd la mémoire, Ann tente de reconstituer le terrible évènement de l’été 1995 et de maintenir vivante la famille disparue de son époux. « Parce que Wade avait tout jeté – les dessins, les vêtements, les jouets –, chaque vestige accidentel prenait une importance indescriptible dans l’esprit d’Ann. » (p. 22) Puisque Wade oublie l’accident et ses filles, Ann prend le relais de la mémoire, mais aussi celui de la douleur pour ne pas que s’éteignent le souvenir des enfants, mais aussi l’espoir qu’une d’elles revienne. « Elle a pris le passé de Wade et l’a étalé devant elle, faisant de son propre avenir un retour en arrière, alors même que ce passé disparaît. Ce lent effacement, cette ligne blanche traversent l’obscurité de la mémoire de Wade, voilà ce qu’Ann suivra sa vie durant. Et, à n’en pas douter, cela la mènera jusqu’aux portes de sa propre prison secrète. » (p. 147)

Me voilà bien déçue d’être passée à côté de cette histoire, de n’avoir éprouvé quasi aucune empathie pour ces personnages meurtris. La chronologie malmenée y est pour quelque chose, car je ne comprends pas le sens de ce jeu autour de la temporalité. De mon point de vue, ça ne fait que brouiller l’image d’ensemble. En outre, il y a des arcs narratifs intéressants, mais mal exploités, comme cette somme d’argent envoyée par erreur et dont le manque semble peser, ou encore l’histoire d’Elizabeth, compagne de cellule de Jenny, qui s’ajoute à l’histoire sans vraiment s’y intégrer. Indéniablement, Emily Ruskovich écrit avec talent et elle décrit à merveille la nature rude et superbe de l’Idaho, mais ça n’a pas suffi à retenir complètement mon attention et j’ai survolé les derniers chapitres.

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Potins #53

Thomas Hardy est un auteur britannique né en 1840 et décédé en 1928.

POTIN – Il se considérait principalement comme un poète et n’écrivait des romans que pour gagner sa vie.

Lisez : Jude l’obscur, Loin de la foule déchaînée, Le maire de Casterbridge, Tess d’Urberville, Une femme d’imagination et autres contes, La Bien-Aimée, Le retour au pays natal, Sous la verte feuillée, Les yeux bleus, Les intrus de la Maison Haute et un autre conte du Wessex et À la lumière des étoiles.

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Le lapin de Lucas

Roman de Gaïa, illustrations de Rafaël David.

Lucas voudrait un animal, mais sa maman est réticente. Pas question d’avoir un chat, un chien, un perroquet ou encore moins un serpent dans l’appartement. Avec la complicité de sa grand-mère, il reçoit un lapin pour son anniversaire. « Lucas en est sûr, Pilou est son meilleur ami pour la vie. » (p. 30) Hélas, passés les premiers moments de grande complicité, Lucas se désintéresse de Pilou et s’agace de ses bêtises. Persuadé que Lucas ne l’aime plus, le petit lapin tente sa chance dans le grand monde, mais comprend bien vite qu’il n’a pas sa place dans la nature.

Le message est clair et permettra sans doute à des enfants de bien réfléchir : un animal n’est pas un jouet que l’on peut délaisser sans conséquence dans une chambre, ou encore moins abandonner s’il devient gênant ou encombrant. Un animal à poils, à plumes ou à écailles est une responsabilité, un engagement que l’on prend pour plusieurs années. Alors, attention aux coups de tête ou aux coups de cœur : il est facile de se laisser attendrir par une petite bête, surtout en cette période de fêtes, moins de s’en occuper au quotidien. En ce sens, l’histoire est bien faite, mais une partie du message me gêne. En effet, le livre montre Pilou et un chien se reprochant de ne pas répondre aux attentes de leurs maîtres. Ce n’est pas ainsi que la relation doit fonctionner. Certes, il faut éduquer les animaux domestiques qui entrent chez nous, mais pas espérer en faire en marionnettes. Chaque animal a son caractère et son identité et il ne faut pas vouloir le modeler à l’image de son maître.

La fin de ce roman me plaît cependant beaucoup et encourage les jeunes lecteurs à se tourner vers les refuges plutôt que d’acheter en animalerie. Moi qui soutiens le mouvement Adopt, don’t shop, je peux qu’encourager la démarche ! Enfin, dernier bon point pour ce petit ouvrage : il est adapté aux lecteurs dyslexiques grâce à la police d’écriture qui accentue certains jambages et courbes pour éviter toute confusion entre les lettres.

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Bonne année !

Un peu d’humour de lapin pour bien commencer l’année !

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Potins #52

Tracy Chevalier est une autrice américaine née en 1962.

POTIN – Elle a rédigé de nombreux articles sur des auteurs dans diverses encyclopédies lorsqu’elle vivait en Angleterre.

Lisez : La dame en bleu, À l’orée du verger, Prodigieuses créatures, La jeune fille à la perle, La dernière fugitive, Le récital des anges ou L’innocence.

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Le lambeau

Témoignage de Philippe Lançon.

Philippe Lançon est un des survivants de la tuerie du 7 janvier 2015 qui a ravagé la rédaction et le personnel du journal Charlie Hebdo. Parce qu’il a préféré assister à la première conférence de rédaction de l’année au lieu d’aller directement chez Libération, mais aussi parce qu’il s’est arrêté dans un bureau pour parler de jazz au lieu de repartir immédiatement après la réunion, il a frôlé la mort et a perdu – outre des amis – sa mâchoire. « Désormais, toute parole, toute phrase me faisait sentir son prix. Ma mâchoire détruite avait une gueule de métaphore et ce n’était pas plus mal comme ça. » (p. 143) Philippe Lançon était sur le point de s’installer pour six mois à New York pour enseigner à Princeton et retrouver Gabriela. Désormais, tout est suspendu à cette mâchoire décrochée. Commence le long ballet des infirmières et des soignants, sous la surveillance ininterrompue des policiers qui gardent la chambre et filtrent les entrées. Après de nombreuses opérations et d’aussi nombreuses complications, Philippe Lançon retrouve un visage entier et réapprend à parler et à manger. Gueule cassée d’une guerre sans tranchée, il reprend l’écriture d’articles pour les deux journaux qui l’emploient. « Écrire, c’était protester, mais c’était aussi, déjà, accepter. » (p. 92) Après des mois à l’hôpital, entre les murs d’une chambre dont il a fait son cocon, il doit aussi réapprendre à vivre dehors, à sortir, à prendre le métro, à aller au théâtre. Sans trembler et en ignorant les regards. « L’irruption de la violence nue isole du monde et des autres celui qui la subit. » (p. 59)

Puissant et pudique, sans fard, mais sans voyeurisme, ce récit médical porte un éclairage nouveau sur l’après Charlie Hebdo, du point de vue original d’un journaliste devenu sujet de l’actualité. « La chirurgie est un livre qui n’en finit pas. » (p. 181) Dans La légèreté, Catherine Meurisse raconte ce qu’il en est pour ceux qui ont par hasard échappé à l’horreur. Philippe Lançon met des mots sur ce qu’il en est pour ceux qui l’ont éprouvé au plus profond de leur chair. « Je n’éprouve que peu de bonheur à être là, et, contrairement à certains de mes amis de Charlie, qui n’ont pas été blessés, aucune culpabilité à avoir survécu. » (p. 222) Ces deux œuvres se complètent, tant par leur propos que par leur forme : du dessin au texte, de la rescapée au miraculé, le tableau général gagne en profondeur à mesure que les témoignages se croisent, se répondent, se heurtent. Et même si tous échouent en quelque sorte à comprendre l’atrocité, tous clament l’absolue nécessité de continuer à vivre pour faire la nique aux censeurs. « Toute censure est bien une forme extrême et paranoïaque de critique. La forme la plus extrême ne pouvait être exercée que par des ignorants ou des illettrés, c’était dans l’ordre des choses, et c’était exactement ce qui venait d’avoir lieu : nous avions été victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu. » (p. 68)

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Joyeux Noël

Oh, un lapin de Noël…

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Potins #51

Italo Calvino est un auteur italien né en 1923 et décédé en 1985.

POTIN – Il a été membre de l’OULIPO.

Lisez : Le baron perché, Le chevalier inexistant, Le vicomte pourfendu et Si par une nuit d’hier un voyageur.

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Watership Down

Roman de Richard Adams.

Dans la garenne de Sandleferd, au cœur du Hampshire, les lapins mènent une vie paisible. Mais le jeune Fyveer a le pressentiment terrible d’une catastrophe. « Mais la chose arrive… On n’y échappera pas. Je t’assure, l’herbe est pleine de sang… » (p. 17) Hélas, Cassandre aux longues oreilles, il n’est pas pris au sérieux par le Maître de la garenne. Seul son frère, Hazel, croit en ses visions et accepte de quitter au plus vite les lieux. Suivis de Rubus, Rahmnus, Bigwig, Dandelion, Pipkyn, Léondan, Spidwil, Akraan et Silvère, Hazel et Fyveer se lancent dans l’aventure de leur vie, à la recherche de la garenne qui saura les abriter. Cette courageuse petite troupe traverse des rivières, affronte de nombreux ennemis, creuse des terriers, s’allie à d’autres animaux, combat des garennes perverties, affronte mille dangers et souffre mille blessures. « L’insupportable et terrifiant voyage reprit son cours, interrompu seulement par de nouvelles alertes. » (p. 74) Guidés par les visions de Fyveer et entraînés par le courage d’Hazel, les lapins atteignent la colline de Watership Down, mais leurs aventures ne s’achèvent pas là. L’épisode le plus épique est sans doute celui où les lapins convainquent les hases d’une autre garenne à les rejoindre. Cet enlèvement des Sabines – pardon, des lapines – a tout d’un exploit mythologique. Les épreuves rapprochent les membres de la nouvelle garenne. Chaque personnage a des qualités propres : loyauté, courage, obéissance, sagesse, etc. Certes, ces animaux n’échappent pas à leur nature profonde de proie. « Pour les lapins, tout ce qui est inconnu est dangereux. Leur premier réflexe est de sursauter, le second de déguerpir. » (p. 36) Mais les petits animaux à longues oreilles ne sont pas peureux et ils savent se battre avec une férocité étonnante pour leur survie et la protection de leur garenne.

Quel plaisir d’avoir relu ce livre dans la nouvelle traduction des éditions Monsieur Toussaint L’Ouverture. Ma première lecture était en version originale et j’avais manqué bien des merveilles dans ce roman incontournable. Il y a de magnifiques descriptions de la campagne anglaise qui ont largement élargi mon lexique botanique. J’ai également pu saisir toute la beauté et toute la subtilité les légendes qui parlent de Shraavilshâ, le héros mythique des lapins qui s’oppose sans cesse au roi Darzine ou au prince Arc-en-Ciel, mais qui ne perd jamais le soutien bienveillant de Krik, seigneur absolu qui brille dans le ciel. En français, il est également plus facile de comprendre la langue des lapins : vous aussi, vous comprendrez rapidement ce qu’est un kataklop ou un vilou ou ce que signifie faire raka et farfaler.

Ce que j’apprécie particulièrement dans ce roman, outre le fait qu’il met les lapins à l’honneur, est que tout est vu à hauteur de moustaches. Ainsi, un développement immobilier qui retourne le sol de la garenne est vu comme un cataclysme divin, et la terrible scène de massacre des lapins par les hommes en a toute la triste envergure. À plusieurs reprises, le narrateur omniscient pointe les différences entre les humains et les animaux, toujours au désavantage des premiers. « Il y a tant d’horreurs sur la terre… / Et elles viennent des hommes. […] Les autres vilou se contentent de suivre leur instinct, et Krik les inspire autant qu’il nous inspire. Ils vivent ici-bas et doivent bien se nourrir. Les hommes, eux, ne s’arrêteront pas avant d’avoir détruit la Terre et éradiqué les animaux. » (p. 186) Plaidoyer pour la vie, voire manifeste antispéciste avant l’heure, Watership Down célèbre la nature et ses habitants et ne manque pas d’accuser les bipèdes convaincus de leur supériorité. « Les bêtes […] ne se comportent pas comme les hommes. S’il faut se battre, elles se battent ; s’il faut tuer, elles tuent. Elles ne passent pas leur temps à inventer des moyens d’empoisonner l’existence des autres créatures ou de leur faire du mal. Elles sont pétries de bestialité et de dignité. » (p. 279)

Bref, cette relecture m’a enchantée et elle ne sera pas la dernière. En dépit de sa violence, ce roman a quelque chose du texte-doudou. Il est plaisant d’y revenir pour retrouver des personnages que l’on aime et une histoire qui réchauffe le cœur.

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Avec un grand H – Chroniques historiques

Ouvrage de Jean-Christophe Piot.

Vu qu’on n’a pas toute la journée et qu’une photo vaut mille mots, voilà la liste des sujets abordés par l’auteur, classés par époque, histoire que les cancres du fond de la classe ne soient pas trop paumés.

Sous la plume de l’auteur, l’histoire se lit avec un grand H comme humour parce qu’on se fend la poire, croyez-moi. Mais aussi un grand H comme horreur parce que dans certains de ces épisodes historiques, ce sont parfois les autres qui nous la fende, à grand coup de hache (arme non contractuelle). Mais restons sur l’humour, c’est plus sympa. Si vous aimez les calembours, les jeux de mots, la finesse de langage, mais aussi la langue un peu fleurie, faut lire ce bouquin, ça va vous enjailler ! Vous ne me croyez pas ? « Le moins qu’on puisse dire, c’est que le feu couve sous la cendre du ver qui est dans la pomme. » (p. 41) Avec Jean-Christophe Piot, c’est aussi fulgurant qu’Audiard et aussi foutraque qu’Astier. « Claude part avec un gros handicap d’image : il bégaie ; on le dit con comme un panier, et grâce à sa femme, Messaline, il traîne une telle réputation de cocu qu’il n’a rien de plus pressé que de la faire exécuter. » (p. 48) Voilà, c’est propre, c’est net, ça vous dresse un portrait. Et puis, l’auteur réussit à glisser Le désert des Tartares entre deux lignes, comme s’il fallait encore vous convaincre que le mec a du goût.

Nul doute que ces chroniques doivent être savoureuses à écouter ! V’là t’y pas que le gars va me donner envie d’écouter la radio et des podcasts ?! Clairement, il connaît ses sujets, mais je suis dans l’obligation d’objecter sur un point. Commençons par citer le bonhomme : « Et quand on pense « gladiateur », un nom vient immédiatement à l’esprit : Spartacus. » (p. 25) Fossé des générations, différence de culture ou agitation hormonale, moi, c’est Russel Crowe qui me vient à l’esprit. Mais bon, ça n’a rien à voir avec l’affaire. Conclure cette chronique de blog, ce n’est pas bien dur : ce petit bouquin est foutrement bon. Et je voudrais être un poulpe pour applaudir des huit mains la qualité de l’ouvrage.

Finissons avec quelques morceaux choisis pour vous mettre l’eau à la bouche.

« À Sparte, la tatane, c’est culturel. » (p. 17)

« T’as beau être entraîné, quand le type que t’es sensé protéger te fonce dessus en agitant des trucs qui piquent, il faut un petit moment pour se reprendre. » (p.82)

« Un macchabée a ceci de commun avec un camembert de devenir coulant avec la chaleur. » (p. 160)

« On oublie souvent les femmes, dans les guerres. Quoiqu’un peu moins ces derniers temps, et heureusement. Parce qu’aux soldats inconnus, il serait bon de ne pas ajouter les combattantes invisibles. » (p. 260)

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Désorientale

Roman de Négar Djavadi.

Alors qu’elle mène les démarches pour effectuer une insémination artificielle, Kimiâ Sadr se souvient de son enfance en Iran, de la fin du régime du Shah et de l’exil en France. Elle parle de ses oncles, de ses sœurs, de sa mère et d’elle-même, du dénuement et de l’arrachement. « Tout ce que je vous raconte est dépourvu d’images. Je n’ai aucune preuve à vous fournir, aucune, pas même un certificat de naissance. Vous devez me croire sur parole. » (p. 134) Elle évoque son adolescence et sa douloureuse transformation en femme. « Je savais que j’étais une fille, mais j’étais sûre qu’en grandissant je deviendrais non pas une femme, mais un homme. » (p. 40) Elle raconte comment son père s’est élevé contre le gouvernement jusqu’à en devenir un des plus grands opposants. La figure paternelle est centrale, quasi mythologique aux yeux de l’ancienne petite fille, et Kimiâ s’appuie sur ce modèle pour revendiquer une totale liberté sociale, sexuelle et identitaire.

De flashbacks en digressions, de récits interrompus en souvenirs croisés, l’histoire de la famille Sadr se mêle à l’histoire de l’Iran. La narration de Kimiâ s’apparente à une discussion à bâtons rompus où les associations d’idées font dévier l’histoire, mais reviennent toujours au sujet principal. « Je pense à ce qui n’a pas été vécu ensemble. Les êtres meurent et le temps fait son travail. Mais demeure le regret, qui aboie parfois dans le ventre, d’avoir laissé des occasions en suspens comme des fils qui pendent d’un vêtement usé et sur lesquels pourtant il ne faut surtout pas tirer. » (p. 187) Et c’est avec la même décontraction un peu goguenarde qu’elle raconte les anecdotes familiales et les épisodes historiques, le tout agrémenté d’une amertume qui ne cède le pas qu’à l’espoir farouche que l’avenir sera plus radieux pour la merveilleuse lignée aux yeux bleus. « L’existence est ainsi faite que même au fin fond du drame, il y a toujours une petite place pour l’absurde. » (p. 128)

Je m’attendais à apprécier ce roman et j’ai sciemment reporté le moment de le lire, afin que l’anticipation soit aussi délicieuse que la lecture. Finalement, je suis tellement enchantée par ce roman que j’aurais voulu ne pas attendre et ce afin de ne pas avoir trop longtemps à patienter pour le relire. C’est une histoire touchante, enlevée et drôle. Il y a des pertes, des morts, des filles enfermées à vie dans des maisons obscures et des pères aux dimensions ogresques, mais aussi des enfants qui jouent en criant dans les cours et une volonté têtue de vivre. Impossible de ne pas penser à Persépolis, mais là où Marjane Satrapi avait mis des images – ô combien belles et réussies –, Négar Djavadi introduit de la poésie et un je ne sais quoi d’insolite et de loufoque.

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Potins #50

Marie Laberge est une autrice québécoise née en 1950.

POTIN – Elle a écrit une chanson pour Céline Dion, Le temps qui compte.

Lisez : Le goût du bonheur, Juillet, Revenir de loin, Quelques adieux, Mauvaise foi, Ceux qui restent, Le poids des ombres, Annabelle, et tout le reste de l’œuvre de cette autrice.

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In the cut

Roman de Susanna Moore.

Quatrième de couverture – Un soir, alors que Fiona, enseignante new-yorkaise, prend un verre avec l’un de ses élèves dans un bar miteux de son quartier, elle surprend les ébats amoureux d’un homme tatoué et d’une jeune femme rousse dont on retrouvera peu après le corps mutilé… Dernier témoin à l’avoir vue vivante, Fiona est d’abord suspectée puis interrogée par les deux inspecteurs chargés de l’enquête. Mais la menace se précise : une main en plastique sordide lui est adressée… Serait-elle la proie du maniaque qu’elle a surpris ? Ou bien victime du jeu pervers de l’un de ses élèves ou de l’inspecteur Malloy avec lequel elle entretient une relation trouble ? Considéré comme un classique du thriller érotique, In the cut offre une plongée dans les abysses de la psyché humaine.

Grande admiratrice du travail de réalisatrice de Jane Campion, j’étais curieuse de lire le roman dont elle s’est inspirée pour son film éponyme. Meg Ryan y est quasiment méconnaissable avec son nez refait (défait ?), mais l’alchimie avec Mark Ruffalo est parfaite, et je garde de ce film un souvenir frémissant et le désir de lire – enfin – La promenade au phare qui est si souvent cité par les personnages.

Mais le roman de Susanna Moore est un peu décevant. S’il tient toutes ses promesses de thriller érotique, il offre un pauvre traitement au protagoniste féminin. Le texte est certes très lucide sur la complexité des rapports amoureux, mais sans dépasser une sorte de premier degré assez tiède, entièrement incarné par le coupable. « Ils ont besoin de nous détester pour surmonter la peur terrible que nous leur inspirons. » (p. 79) C’est cependant avec intérêt que j’ai lu les entrées du dictionnaire argotique que Fiona tente de rédiger en se frottant à ses élèves et à la population bigarrée du métro new-yorkais. Bref, In the cut se lit vite et vaut surtout pour le matériau qu’il a offert à Jane Campion. Lisez le livre si cela vous tente, mais surtout, regardez le film !

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La vie avant l’homme

Roman de Margaret Atwood.

Elizabeth est mariée avec Nate, mais elle a une liaison avec Chris. Nate a une liaison avec Martha. Chris se suicide. Lesje et William sont en couple, mais Lesje a une liaison avec Nate. Elizabeth a des liaisons avec beaucoup d’hommes. Nate sait que sa femme le trompe. Elizabeth sait avec qui son mari la trompe. Cependant, ils restent mariés parce qu’ils ont des filles et qu’aucun ne supporterait d’en être séparé.

La chronologie de ces évènements est malmenée tout au long du roman, alors suivez bien les titres des chapitres. Moi qui apprécie beaucoup les textes de Margaret Atwood, notamment C’est le cœur qui lâche en dernier où l’adultère est traité sur un mode burlesque tout à fait approprié, j’ai ici été très désappointée. Ce roman est profondément désespéré et lourd. L’insatisfaction est générale, tous les personnages se sentant piégés à des degrés divers, dans des situations diverses, par leur passé ou leurs peurs. Même l’humour est aussi désagréable qu’une craie qui raye un tableau : certes, cela brise l’immobilisme, mais on souhaite y échapper sans délai pour retrouver la torpeur.

L’adultère n’est pas honteux, mais il reste pesant. Il ne provoque pas d’exaltation et il est moins transgressif et passionnel qu’hygiénique. Il est même raisonnable et fait l’objet d’accord au sein du couple principal : que chacun batifole autant qu’il l’entend, mais qu’il ne porte jamais atteinte à l’équilibre des enfants. Cela est-il durable ? Pas certain… Margaret Atwood porte un regard féroce sur le couple et l’amour à l’ère contemporaine, à une période de grands bouleversements politiques, quand des élections portent René Lévesque à la tête du Québec en 1976. Et elle oppose aux misérables atermoiements du cœur la disparition de géants paléolithiques qui ne vivent plus que dans des musées. Déprimant, je vous ai prévenus !

Je vous laisse avec des extraits de ce roman, pour que vous vous fassiez une idée.

« Il entre dans la chambre, brisant le fil invisible qu’elle tend ordinairement en travers du seuil, pour le maintenir au-dehors. » (p. 9)

« Elle déteste que l’on détienne un pouvoir sur elle. Nate ne possède pas ce genre de pouvoir. Il ne l’a jamais eu. Elle l’a épousé facilement, comme on met une chaussure. » (p. 21)

« Le sable coule dans son corps en sablier, depuis sa tête jusqu’à ses pieds. Quand tout aura coulé, elle sera morte. Enterrée vivante. Pourquoi attendre ? » (p. 101)

« Je suis une adulte, et je refuse de me considérer comme la seule somme de mon passé. Je puis faire des choix et en subir les conséquences, même si elles diffèrent parfois de ce que j’avais imaginé. Cela ne signifie pas que je doive aimer cela. » (p. 111)

« Il va téléphoner à Lesje, la revoir. Il ne la reverra pas. Il est le roi des cons, il a tout gâché, elle ne voudra jamais la revoir. Il faut absolument qu’il la revoie. » (p. 151)

« Je crois à la nécessité de demeurer civilisés dans ce genre d’affaires. » (p. 165)

« Avant, il voulait être protégé. Il voulait une femme qui fût une porte qu’il pouvait franchir et refermer derrière lui. Tout avait été parfait tant qu’elle avait bien voulu faire semblant d’être une cage, Nate une souris et son cœur un fromage. » (p. 183)

« Pourquoi se battre pour Elizabeth quand elle sait visiblement fort bien choisir ce qu’elle veut ? Et l’a déjà fait. » (p. 198)

« Si Lesje vit avec un type révélant un tel mauvais goût dans le choix de ses cravates, elle ne vaut vraiment pas la peine d’être vaincue. » (p. 206)

« Dans le cours normal des choses, elle serait indifférente à cette liaison. Elle ne se sent nullement comme le chien du jardinier : si elle n’a pas envie de tel ou tel os, ceux qui en veulent peuvent bien le prendre. » (p. 231)

« Je veux sentir que je vis avec toi. […] Pas avec toi et ta femme et tes enfants. » (p. 274)

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Usagi Yojimbo – 2

Bande dessinée de Stan Sakai.

Pendant une grande partie de ce deuxième volume, nous suivons les années d’apprentissage du samouraï, auprès de Katsuichi, vieux senseï aussi sage qu’exigeant. « L’épée est l’âme du samouraï et le symbole de sa position. Apparaître en public sans elle est une disgrâce, car derrière l’âme se trouve l’esprit. Quand tu frappes, frappe d’abord avec ton esprit. » (p. 18) On voit le jeune Miyamoto avec ses oreilles encore libres du catogan des samouraïs (et c’est absolument trop mignon !). Il raconte sa jeunesse à Gen, compagnon plus ou moins gredin dont il ne cesse de croiser la route. « Tu n’es pas un ami ! Tu es un tricheur et un manipulateur, indigne de confiance et… / OK, j’accepte tes compliments. Maintenant, je te laisse m’offrir un verre et tu pourras continuer à me raconter ton histoire. » (p. 54) Le lapin ronin détaille également les circonstances qui l’ont conduit à entrer au service de maître Mifune, seigneur auquel il est resté fidèle jusqu’à la mort de celui-ci, et même au-delà.

Ce tome d’apprentissage est plutôt sombre et s’attarde un peu sur les agitations politiques du Japon, mais moins que le précédent. Il s’agit surtout de comprendre comment Miyamoto est devenu un ronin et pourquoi il reste fidèle au code des samouraïs. « Pourquoi l’as-tu tué ? Pour l’argent ? / Bien sûr que non ! C’était une dette d’honneur. / Ah ! L’honneur ? Je ne connais pas ce mot ! L’argent, ça, je peux comprendre ! » (p. 8) Parce que l’honneur, c’est également savoir punir ses amis quand ils trahissent le bushido. Cependant, cette bande dessinée ne manque pas d’humour et d’une certaine légèreté. Stan Sakaï introduit des créatures du folklore japonais, comme des fantômes qui offrent l’hospitalité ou des kappas, ces démons aquatiques dont le crâne ouvert rempli d’eau ne doit jamais se vider. Et Miyamoto croise aussi la route d’un étrange dragon cracheur de feu nommé Zylla, ou peut-être Godzylla…

Il y a bien des animaux dans ces pages : lapin évidemment, phacochère, rhinocéros, lion, chat, ours, loup, renard, blaireau, tigre ou encore souris. Et toujours ces sortes de lézards/dinosaures sortis d’une époque préhistorique. Entre parenthèses sont proposées les traductions des mots japonais utilisés. C’est bien plus pertinent qu’un lexique en fin d’ouvrage ou que des notes de bas de page, car cela ne brise pas le rythme de lecture de cases en cases.

Je poursuis avec bonheur ma découverte des aventures du brave lapin Usagi Yojimbo avec ce deuxième volume et les suivants m’attendent déjà dans la pile à lire !

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