L’inconnue

Premier roman de Philippe Nonie.

Prix Nouveau Talent de la Fondation Bouygues Telecom en 2011. La condition de participation à ce prix littéraire est d’intégrer le langage SMS et/ou les messageries instantanées.

Hubert est un trader obsédé par le travail, à tel point que son épouse, Suzanne, a décidé de le quitter. Elle l’aime toujours, mais elle ne supporte plus d’être délaissée. Hubert est resté seul en Australie et, même si sa femme lui manque, il n’a pas changé son rythme de vie. Un soir, une inconnue lui rend visite et lui apprend qu’il va mourir. Elle tient un étrange téléphone portable noir comme l’ébène et lui propose une expérience étonnante. Au terme de cette nuit, tout bascule pour Hubert. « On ne meurt pas par envie, […], choisir le moment de sa fin serait une porte ouverte sur l’éternité. » (p. 32)

Vingt ans plus tard, Céline décide de passer un été en France. Sur les plages des landes, elle rencontre Xavier, mais elle perçoit souvent une présence étrange et inconnue. Sans le savoir, elle avance sur les traces de sa propre histoire : entre rêves, peintures aborigènes et SMS, la jeune femme va découvrir l’origine de son existence. Pour cela, elle doit retrouver et affronter l’inconnue, et surtout elle devra se battre pour les êtres qu’elle aime.

Non, je n’en dirai pas plus ! Il serait vraiment dommage que je déflore le roman !

Ce premier roman est vraiment très réussi. L’auteur propose une intrigue relativement simple, mais composée de telle façon que le lecteur doit rester vigilant. Le texte ne se découpe pas en chapitres, mais en paragraphes intitulés et, de l’un à l’autre, on change de point de vue, d’époque, voire d’histoire. Le seul point commun est toujours cette inconnue qui sort de nulle part et disparaît en un instant. Je retiens de ce très beau texte que des pas dans le sable sont une preuve de la vie : il ne faut pas oublier que la fin sera toujours identique, quel que soit le chemin parcouru.

Pour ce qui est de la forme, j’ai d’abord trouvé étrange que les SMS soient transcrits en français usuel. Dans un sens, cela fausse un peu le jeu et facilite trop la lecture. À moins que l’auteur ait pris le parti d’affirmer que le langage SMS est une langue étrangère qu’il faut traduire pour les non-initiés. Quoi qu’il en soit, Philippe Nonie présente le langage SMS comme une facilité, mais également comme une protection. Il permet d’échanger des émotions qui, si elles sont codées, n’en sont pas moins bien réelles. J’ai particulièrement apprécié que le langage ne soit qu’un ressort et non un prétexte à l’histoire. Ainsi, il est présent sans être parasite et il s’intègre au texte général sans paraître artificiel.

N’hésitez pas à découvrir ce premier roman : il est très prometteur et j’espère lire bientôt d’autres textes de Philippe Nonie.

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Le Horla, Maupassant

Bande dessinée de Frédéric Bertocchini, dessins de Puech.

C’est le printemps et Guy de Maupassant flâne en Normandie en réfléchissant à son prochain roman. Mais il se met à avoir des insomnies et de la fièvre : le sommeil et l’appétit le fuient. Devant ce mal étrange, l’auteur cherche à se distraire par des séjours à Paris ou de longues promenades avec son ami Gustave. Hélas, rien n’y fait : quelque chose persiste à se glisser dans ses nuits et à vider sa carafe d’eau. Maupassant essaie de se libérer de ses terreurs, mais on dit dans la région qu’un démon serait de retour et qu’il rôderait. Si ce n’est lui, qui donc passe dans le miroir de l’auteur et occulte son reflet ? Qui pèse sur ses nuits et infiltre ses cauchemars ? Maupassant n’en peut plus, il veut se libérer de cette funeste emprise : « Ce n’est pas pour me protéger que je vous ai appelé, mais pour constituer une cage, une sorte de prison… C’est que j’envisage de séquestrer quelqu’un. » (p. 42) Pour en finir, il en vient à la plus terrible des extrémités.

La seconde moitié du XIXe siècle a été le théâtre de prodigieuses avancées scientifiques, notamment dans le domaine de la psychiatrie. Mais cette époque était bien loin d’avoir fait le tour du pouvoir et des mystères de l’inconscient ou d’avoir mis des mots rationnels sur les phénomènes surnaturels. « Vous savez à présent que de puissantes forces occultes habitent l’invisible et se manifestent parfois à nous, sous certaines conditions. Nous baignons dedans constamment, même si nous ne les percevons pas… mais l’obscur est bien là, entre deux rayons de lumière. » (p. 29) Alors, que faut-il comprendre des troubles que rencontre Guy de Maupassant : est-ce la folie ou la rencontre avec le surnaturel ?

Cette bande dessinée propose une lecture très intéressante de la célèbre nouvelle de Guy de Maupassant. Dans le texte original, le narrateur n’est pas l’auteur, même si la nouvelle renvoie au problème d’altérité subi par Maupassant. Frédéric Bertocchini a pris le parti de faire de Guy de Maupassant le personnage de sa propre nouvelle, effaçant ainsi les frontières entre narrateur et auteur. La bande dessinée se propose alors de dresser un portrait inédit du nouvelliste et d’écrire une biographie originale parfaitement sous-tendue par une création littéraire.

Puech dessine avec un grand talent la différence entre la vie paisible et les épisodes psychotiques qui causent la terreur du personnage. Si la couleur est lumineuse et dynamique dans le premier cas, elle devient lourde et épaisse dans le second, mais sans se départir d’un mouvement inquiétant : c’est celui d’une ombre qui ne cesse de se mouvoir dès que l’on a le dos tourné.

Je ne garde pas un souvenir très positif de la nouvelle de Guy de Maupassant, mais sans doute l’ai-je lu trop jeune. L’œuvre de Frédéric Bertocchini et de Puech a cela d’extraordinaire qu’elle tire un texte célèbre de l’univers des classiques pour en faire une quasi-nouveauté et un nouveau chef-d’œuvre. Et surtout, la bande dessinée donne furieusement envie de redécouvrir les nouvelles fantastiques de Maupassant. À la fois hommage au maître et dépassement, Le Horla, Maupassant est une belle réussite du neuvième art.

De Frédéric Bertocchini, je vous (re)-recommande l’excellent roman graphique Jim Morrison, poète du chaos.

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Billevesée du dimanche #26

Le chili con carne est un plat épicé à base de viande et de haricots rouges. Originaire du sud des États-Unis, sa recette diffère d’un pays ou d’une région à une autre.

Petit truc pour relever le goût de la sauce : ajoutez quelques carrés de chocolat noir en fin de cuisson. Laissez fondre et mélangez bien. Vous verrez, c’est un miracle ! En fait, c’est MON chili con carne qui est un miracle !

Alors, billevesée ?

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Adolphe

Roman de Benjamin Constant.

Le jeune Adolphe est un être sensible, taciturne et doté d’une nature sombre. Ouvertement indépendant, il entend mener sa vie à sa guise et nourrir son orgueil par toutes les considérations que les autres pourront lui accorder. Le jour où il décide d’être aimé, il jette son dévolu sur la belle Ellénore. Plus âgée que lui, elle est la maîtresse du comte de P***. « Je ne croyais point aimer Ellénore ; mais déjà je n’aurais pu me résoudre à ne pas lui plaire. » (p. 45) Obtenir l’attention et les sentiments d’Ellénore est donc une conquête d’amour-propre. Passées les premières exaltations et les premières preuves véhémentes d’amour, Adolphe s’agace d’une relation qui entrave son quotidien et le prive d’une liberté à laquelle il est furieusement attaché. « Ellénore était sans doute un vif plaisir dans mon existence, mais elle n’était plus un but : elle était devenue un lien. » (p. 69) Il faut peu de temps pour que le jeune homme cesse d’aimer, mais il ne se résout pas à quitter Ellénore puisque tout le monde le presse d’y parvenir. Son indépendance est mêlée d’orgueil et il refuse qu’on décide pour lui une chose qui est pourtant évidente. Certes, la société et son père s’offusquent de cette liaison qui entrave sa carrière et les ambitions qu’il peut nourrir, mais Adolphe entend décider seul de la rupture. Le problème est qu’il ne se résout jamais à cette issue.

Adolphe fait preuve d’une grande lâcheté et ses tentatives de rupture échouent devant les larmes d’Ellénore. Il se fait un devoir de la protéger et de la soustraire au jugement de la société, mais ce devoir lui pèse et il l’accomplit sans noblesse. Ellénore elle-même ne s’y trompe pas : « Vous vous dévouez à moi parce que je suis persécutée, vous croyez avoir de l’amour, et vous n’avez que de la pitié. » (p. 95) Sous couvert d’indépendance, Adolphe est en fait un capricieux qui s’entête dans une folie de jeunesse en voulant la parer des vertus de la sagesse et de la passion. Son amour pour Ellénore a disparu et sa tiède affection tient plus de l’habitude que du sentiment. « Nous vivions, pour ainsi dire, d’une espèce de mémoire du cœur, assez puissante pour que l’idée de nous séparer nous fût douloureuse, trop faible pour que nous trouvassions du bonheur à être unis. » (p. 108) Ce n’est que tragiquement que cette histoire pourra s’achever et Adolphe comprendra enfin qu’il était le seul obstacle au repos tant espéré par Ellénore.

Ce roman est l’expression littéraire la plus archétypale du romantisme : le héros est jeune, tourmenté par on ne sait quoi, fréquemment saisi par l’idée de la mort et vaguement décidé à contrer la société. Finalement, sa médiocre révolte avorte et il n’y a rien gagné. Adolphe est un personnage résolument insupportable, voire odieux : ce jeune homme capricieux est faussement amoureux, faussement fidèle, faussement noble, etc. Si j’ai eu peu de sympathie pour lui, je n’en ai eu pour Ellénore qu’à la fin, à la lecture de son ultime lettre : c’est évidement la volonté de l’auteur de ne dévoiler la vraie et pure nature de la malheureuse que lorsque l’irréparable est accompli. Adolphe est intéressant d’un point de vue littéraire et dans une étude du mouvement romantique, mais cette intrigue ne m’a pas plu : les jeunes godelureaux infatués n’obtiennent jamais mes faveurs.

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Moderato cantabile

Roman de Marguerite Duras.

Pendant un cours de piano, le cri d’une femme retentit dehors. C’est un meurtre passionnel qui a eu lieu en bas, devant le café. Cet évènement trouble durablement Anne Desbaresdes qui accompagnait son jeune garçon au cours de musique. Quelques jours plus tard, elle revient au café, poussée par une curiosité un peu honteuse. Au comptoir, elle avale plusieurs verres de vin et entame une étrange discussion avec un témoin du crime.

« Si vous saviez tout le bonheur qu’on leur veut, comme si c’était possible. Peut-être vaudrait-il mieux parfois que l’on nous en sépare. Je n’arrive pas à me faire une raison de cet enfant. » (p. 33) Anne Desbaresdes est une mère trop affectueuse, anxieuse et dépassée. « Vous aurez beaucoup de mal, Madame Desbaresdes, avec cet enfant, […], c’est moi qui vous le dit. / C’est déjà fait, il me dévore. » (p. 16) L’enfant ne veut pas apprendre le piano, il ne veut pas perdre ses après-midi sur des gammes alors que le port est si près et que le bal des navires est si fascinant. « Quand même, […], tu pourrais t’en souvenir une fois pour toutes. Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c’est facile. » (p. 20 & 21) Mais à quoi cela sert-il de connaître des indications musicales ? Ne vaut-il pas mieux jouer la mélodie comme on l’entend, même si l’on est en avance de plusieurs mesures ?

Ce court roman de Marguerite Duras ressemble à une pièce de théâtre : on y trouve la tension de certaines tragédies grecques, mais il y manque le drame, l’action. En fait, une fois le crime liminaire accompli, il ne se passe plus grand-chose et l’on suit Anne Desbaresdes et Chauvin sur le chemin d’un adultère incertain. Le dialogue est composé de répliques en décalage : on n’est pas vraiment certain que ces deux-là s’entendent et se comprennent, mais il s’agit d’une absurdité régulière, étrangement acceptable.

Après le cri, il faudrait continuer la petite musique, modérément et de façon chantante, mais quelque chose s’est brisé dans l’harmonie artificielle d’avant, et la partition sonne faux. Anne Desbaresdes fuit l’ennui et laisse enfin s’exprimer sa haine des heures fixes, des partitions figées. Le vin devient son évasion et plus rien ne reste dans ses limites.

À la fin de l’édition que j’ai choisie sont compilées les critiques contemporaines de la parution du roman. Ces textes donnent un nouvel éclairage et l’envie de reprendre la lecture parce que, c’est certain, on est passé à côté de quelque chose. À la fois fascinant et agaçant, ce roman concentre le talent de Marguerite Duras : plus que jamais, elle exprime son art de ne pas finir.

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Le soleil des Scorta

Roman de Laurent Gaudé.

Au soir de sa vie, Carmela raconte l’histoire des Scorta. À Montepuccio, en Italie du Sud, un jour où le soleil était fou, Luciano a violé Immacolata. De cette union sacrilège est né Rocco, le premier des Scorta. Marié avec la Muette, il a eu trois enfants, Domenico, Giuseppe et Carmela. « Une famille devait naitre de ce jour de soleil brûlant parce que le destin avait envie de jouer avec les hommes, comme les chats le font parfois, du bout de la patte, avec des oiseaux blessés. » (p. 29) Un quatrième enfant s’ajoute à cette famille, Raffaele. Ce gamin a choisi les Scorta, même s’il sait que cette famille traînera toujours avec elle une réputation funeste. « Il ne fallait pas espérer les lampions pour les Scorta. » (p. 69)

Tout le village a peur d’eux, mais personne ne songerait à les chasser : les Scorta appartiennent à cette terre. « La relation qu’entretenait Montepuccio avec les Scorta était faite d’un mélange indémêlable de mépris, de fierté et de crainte. » (p. 91) Les Scorta ont fait le serment de toujours servir leur famille : ce défi lancé au monde n’est pas un affront, mais une revendication fière, un pari lancé sur l’avenir. Toute la fortune des frères Scorta est investie dans le premier bureau de tabac du village et c’est Carmela qui veille aux intérêts du clan. Elle aime et protège les siens, à la fois patiente, fière et intraitable.

Un autre serment lie les Scorta : chacun devra, avant de mourir, transmettre un savoir à un de ses neveux ou nièces. Les Scorta sont pauvres comme la misère, ils n’ont aucun patrimoine, mais leur héritage est immense et ne doit pas sombrer dans l’oubli. Et qu’importe si la véritable histoire des Scorta n’est connue que d’eux seuls ! Qu’importe si les autres ne connaissent qu’une légende ! « Ce que l’on dit de vous, l’histoire qu’on vous prête, c’est cela qui compte. Je voulais qu’on prête New York aux Scorta. » (p. 133) Chez les Scorta, les gens sont taciturnes, alors chaque parole pèse et résonne.

Le soleil brûle les rues de Montepuccio et fait naître la fureur chez les hommes, surtout chez les Scorta où les hommes ont le sang fou : « Je suis un Scorta. Qui brûle ce qu’il aime. » (p. 186) Ne cherchez pas d’êtres normaux chez les Scorta : chacun a la conscience aigüe d’appartenir à une puissance éternelle. Ce roman célèbre le soleil, la pierre et la rocaille. Il dessine l’histoire fabuleuse d’une lignée de fous et d’ambitieux. Porté par la plume âtre de Laurent Gaudé, ce roman est aussi capiteux que le vin qui coule des grappes brûlantes mûries sur les coteaux italiens.

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Le chat du rabbin, intégrale

Bande dessinée de Joann Sfar.

La Bar-Mitsva – Parce que le perroquet du rabbin Sfar était trop bruyant, le chat l’a goulument croqué. Il y a gagné la tranquillité, un bon repas et la parole. Le voilà bien décidé à faire sa bar-mitsva pour prouver au rabbin qu’il peut fréquenter sa jolie fille. « Je lui dis que si je suis un chat juif, je veux faire ma bar-mitsva. » (p. 16) Le rabbin enseigne donc le Talmud au chat. Mais avec la parole vient la fin de l’innocence et le début des ennuis. Le chat est menteur et insolent et bien incapable de garder sa langue dans sa poche. Mais que ne ferait-il pas pour retrouver la tendre compagnie de sa douce maîtresse. « Ça vaut le coup de fermer sa gueule pour être heureux. » (p. 42)

Ce premier volume des aventures du chat du rabbin pose le décor : nous sommes en Algérie, au début des années 1930. Le rabbin respecte la loi judaïque. Son affection pour Zlabya, sa fille, confine au laxisme et la demoiselle s’enivre de romans et de théâtre français. Voici donc pour les personnages principaux. Dans ce premier volume, nombreux sont les phylactères qui comprennent le verbe « dire » ou ses synonymes : la bande dessinée de Joann Sfar est une allégorie de la parole, voire de la Parole. Dire, c’est faire et ce n’est pas le chat qui prétendra le contraire.

Le Malka des Lions – Le rabbin a reçu deux lettres. La première est de son cousin, le Malka des Lions, un sage qui arpente le désert et protège des fauves. La seconde est du Consistoire israélite français : pour être agréé en tant que rabbin, il doit prouver qu’il maîtrise la langue française et se soumettre à une dictée. « Pour faire la prière en hébreu à des juifs qui parlent arabe, ils veulent que tu écrives en français. » (p. 68) Le rabbin doit pratiquer et il demande au chat, affectueux bien qu’impertinent, de lui faire la dictée d’ouvrages français. « Si vous voulez, je peux chercher une fable composée uniquement d’animaux cashers. » (p. 67) Hélas, l’examen officiel semble mal se passer et le chat désespère. Perché sur une fenêtre, il prononce plusieurs fois le nom de Dieu pour attirer la miséricorde céleste sur son maître. Pour cet outrage verbal, il perd le pouvoir de se faire comprendre : il parle toujours, mais on n’entend que des miaulements. Pendant ce temps, dans la maison du rabbin, un mariage est sur le point de se nouer.

Ce deuxième tome donne de nombreuses informations sur la religion juive, sa culture et ses traditions. L’Algérie telle que la décrit Joann Sfar est haute en couleurs et en verbe. Le chat qui perd la parole rappelle l’épisode de la tour de Babel : pour avoir voulu s’approcher trop près du Seigneur, les hommes ont été punis et chaque peuple parle un langage que l’autre ne comprend pas.

L’exode – La belle Zlabya a épousé un jeune rabbin qui a fait ses classes en France. Pour le voyage de noces, tout le monde (même le chat) embarque pour l’Hexagone afin de rencontrer la famille du gendre. Mais le voyage ne sera pas de tout repos. « Tu crois que ça me fait plaisir cet exode ? Tu t’imagines que je suis heureux que le mari de ma fille, il l’emmène chez les eskimos ? » (p. 114) Une fois à Paris, la colère du vieux rabbin est à son comble et il part seul dans Paris, son chat sur les talons, à la découverte d’une ville inconnue et d’un mode de vie bien étrange. C’est l’heure du doute et des questions au Seigneur.

Le shabbat tient une grande place dans ce troisième épisode : le respecter ou non semble démarquer le bon du mauvais juif. Mais c’est toujours avec humour, voire dérision, que Joann Sfar présente la religion juive. À la suite du rabbin et de son matou qui n’a rien de gouttière, on patauge dans le caniveau parisien, sous des pluies torrentielles, bien loin des chaleurs épicées de la ville algérienne.

Le paradis terrestre – Le chat du rabbin suit le Malka et son lion dans le désert. Le Malka raconte ses histoires : entre mythe et vérité, la frontière est mince. Le Malka est une légende vivante dont la réputation traverse les pays et déplace les dunes. Au cœur des oasis, on découvre une loyauté animale plus forte que les contingences humaines. « Je vous aime parce que vous êtes vulnérables. Je vous aime parce qu’il faut bien que quelqu’un vous aime. […] Et ceux qui ne t’aiment pas seront toujours plus nombreux. » (p. 203) Malheureusement, dans les villes, l’antisémitisme va croissant. Mais c’est compter sans le Malka qui, du bleu des ses yeux qui ont tout vu, transperce les âmes.

Ce quatrième album est mon préféré sur les cinq : il a des airs de contes des mille et une nuits et un parfum exotique plus prononcé que les autres. Le chat y est moins central, mais sa présence discrète est vraiment celle que l’on attend d’un félin domestique.

Jérusalem d’Afrique – Le mari de Zlabya s’est fait expédier des textes religieux de Russie. Dans la boîte qui contient les livres, il trouve un Russe juif qui fuit l’Union soviétique et cherche à rejoindre l’Éthiopie et ses mythiques juifs d’Afrique noire. Étrangement, le chat comprend la langue russe et se fait entendre du réfugié. Se décide alors une folle équipée à travers le désert, pour remonter aux origines du judaïsme. « Quelle preuve avons-nous que nos ancêtres avaient la peau claire ? / La preuve, c’est que regarde : les Noirs, ils ont l’esclavage, les Juifs, ils ont les pogroms. C’est lourd à porter. Alors imagine un peuple qui aurait les deux à la fois, c’est pas possible. » (p. 242) Cette expédition vers la Jérusalem d’Afrique est à la fois loufoque et mystique. Le chat est du voyage, comme toujours.

Au début de ce dernier volume, Joann Sfar a des mots courageux. « Pendant longtemps, j’ai pensé qu’il était superflu de faire un album contre le racisme. Il me semblait que c’était une évidence, qu’il ne fallait pas enfoncer les portes ouvertes. Les temps changent, semble-t-il. Tout a sans doute été dit, mais comme personne n’écoute, il faut recommencer. » (p. 208) Je n’en dirai pas plus pour vous laisser apprécier la profondeur de ce bel album. Juste un mot sur la présence de Tintin qui s’avère être, comme je m’en doutais, un parfait crétin.

*****

Le chat est un héros élégant, un brin poseur et désabusé, mais toujours en quête de caresses et de tendresse. « Je suis le chat du rabbin. Il m’arrive des tas de choses. Par exemple, une fois, je suis allé à Paris et il a plu. Alors je suis rentré chez moi, en Algérie. » (p. 157) Mais le félin ne prend pas toute la place : il s’efface, file sous une table et laisse se dérouler sans lui d’autres histoires. Cette intégrale est un vrai bijou : outre le grand plaisir de lire les cinq albums d’un trait, j’ai particulièrement apprécié l’humour fin et parfois cynique de l’auteur. Son dessin est particulier, avec des traits vifs et nerveux. La couleur explose sur la page et donne l’impression d’un souk qui ne cesse jamais de s’activer. Les cinq albums constituent une version moderne et ironique de l’Ancien Testament, avec ses légendes, ses cantiques d’amour et ses récits édifiants.

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1tox

Premier roman de Coline Lemeunier.

Prix Nouveau Talent de la Fondation Bouygues Telecom en 2008. La condition de participation à ce prix littéraire est d’intégrer le langage SMS et/ou les messageries instantanées.

Julie a 39 ans, elle est traductrice et elle collectionne les stylos. « On a tous nos petites manies. Ce sont elles qui révèlent notre nature profonde. Beaucoup plus que le caractère que l’on peut laisser paraître. Parce qu’une manie est compulsive, surprenante, inattendue, et qu’elle laisse entrevoir aux autres quelque chose qui relève de l’intimité la plus profonde. » (p. 36) Hormis Clémentine, sa meilleure amie, Julie est très solitaire et elle a le sentiment de n’avoir pas vécu sa jeunesse.

Voici que du jour au lendemain, à la suite d’un défi lancé par Clémentine, Julie devient totalement accro aux SMS. Elle veut en recevoir et elle veut en envoyer. Elle traduit tout en langage SMS et ne peut lâcher le petit écran des yeux. Ce qui n’était qu’un jeu tourne à l’obsession et à la dépendance pathologique. À mesure qu’elle communique par SMS avec de parfaits étrangers, Julie redevient une adolescente et vit une jeunesse qu’elle n’avait pas connue. « Forte de sa toute fraîche identité, Julie est décidée à coller de près à son nouveau mode de vie. Celui d’une adolescente qui ne vit qu’à travers les SMS, car eux seuls lui procurent sociabilité, confiance et surtout, lui donnent une personnalité à part entière. Une sorte d’affirmation de soi salvatrice. » (p. 153) Ce radical changement de comportement ne manque pas d’inquiéter Clémentine. Mais chacune de ses tentatives d’aide se heurte à un mur. Sortie des SMS, Julie ne sait plus communiquer. Elle est plongée dans une sorte d’autisme qui l’isole alors qu’elle envoie des centaines de SMS par jour.

Ce roman discute du bon usage du SMS et de l’immatérialité de certaines formes de communication. La plume est agréable à lire et le sujet est intéressant. Mais une fois le livre posé, je ne pense qu’il m’en restera grand-chose : je ne suis pas une accro du téléphone. Sans doute ne suis-je pas assez jeune pour ce genre de fiction. Je conseillerai ce premier roman à des adolescents ou à des jeunes adultes.

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99 francs

Roman de Frédéric Beigbeder.

Octave est un publicitaire. Pardon, un créatif. Et, à en juger par le succès des campagnes qu’il a proposées, c’est un bon créatif. Mais on risque de lui en demander toujours plus. Alors, c’est décidé, il veut être licencié. Quoi de mieux, pour parvenir à ses fins, que de rédiger un livre sur son métier et de ne rien cacher. « Tout est provisoire et tout s’achète. L’homme est un produit comme les autres, avec une date limite de vente. Voilà pourquoi j’ai décidé de prendre ma retraite à 33 ans. C’est paraît-il, l’âge idéal pour ressusciter. » (p. 18) Du blasphème ? Même pas, ça fait longtemps que ce n’est plus vendeur.

Entre caféine, cocaïne, pornographie et majuscules, Octave dresse les portraits de l’homo consommatus et du publicitaire. Voici deux espèces créées par le monde moderne : elles cohabitent plus ou moins bien, mais elles ne peuvent se passer l’une de l’autre. La publicité, c’est l’obscénité rémunérée et la sexualité sans désir. Puisque tout devient consommation, c’est sans surprise que l’on assiste à la banalisation des excès. « Ne regarde pas la paille qui est dans la narine du voisin, mais plutôt la poutre qui est dans ton pantalon. » (p. 75) Le monde des publicitaires est délétère et éphémère : on n’y fait pas long feu, mais qu’importe si la flamme est belle. Et puis, si tout et tout le monde n’est que produit, rien n’est irremplaçable.

Alors qu’Octave essaie d’oublier Sophie, il travaille sur la campagne du yaourt Maigrelette, nouveau produit du super-puissant groupe agroalimentaire Madone. Pas facile de vendre du lait fermenté ? Fatigant ? Qu’à cela ne tienne, faites une pause avec les interludes publicitaires qui précèdent ou ponctuent chaque chapitre. Mais ne vous y trompez pas : Octave n’est pas heureux. Vous non plus d’ailleurs. Ah, vous ne le saviez pas ? « Vous êtes les produits d’une époque. Non. Trop facile d’incriminer l’époque. Vous êtes des produits tout court. » (p. 256) 99 francs parle de désespoir, de puits sans fond, de non-retour. Certes, il y a du cynisme, mais quasiment sans recul : avoir conscience du mal ne signifie pas vouloir le soigner.

Ce roman, c’est la victoire du name-dropping sur la littérature, c’est un slogan et un clip publicitaire sur plus de 250 pages. Octave/Frédéric Beigbeder nous montre comment la publicité mène le monde et manipule les consommateurs. « L’hédonisme n’est pas un humanisme : c’est du cash-flow. » (p. 20) Rien de très surprenant : il faudrait être somptueusement crétin pour ignorer que la consommation n’est plus la réponse à un besoin, mais la création de désirs inassouvissables. « Pour savoir que l’argent ne fait pas le bonheur, il faut avoir connu les deux : l’argent et le bonheur. » (p. 201 & 202) Si vous voulez savoir ce qui fait le bonheur, ce n’est pas ce roman qui vous le dira. Ne soyez pas triste, reprenez un rail ou faites les courses. Si le ton est volontiers insolent et désabusé, il est de ceux qui m’ennuient et m’agacent. Et, surtout, le message ne me convainc pas : personne n’est obligé de subir la société de consommation et je ne parle pas seulement des pratiques des adeptes de la décroissance.

Film de Jan Kounen avec Alexandre Dujardin.

Le film respecte le découpage du roman, mais propose une fin alternative plus radicale. La ressemblance est troublante entre Jean Dujardin et Frédéric Beigbeder qui fait quelques apparitions. Je m’interroge sur la mention « film familial » en conclusion : l’adaptation cinématographique est plus trash que le livre, ou peut-être l’est-elle autant, mais l’image est plus percutante que le mot. Toujours est-il que le film est une fidèle transcription du roman, mis à part quelques détails. Je pourrais dire que j’ai préféré l’œuvre de Jan Kounen, mais j’ai surtout apprécié la performance de Jean Dujardin. Globalement, ni le film ni le livre n’emportent mon adhésion.

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Billevesée du dimanche #25

Je ne fais pas d’infidélité au lapin, mais rien de ce qui est rond, mignon et pelucheux ne m’est indifférent ! Voici donc le koala, marsupial arboricole d’Australie. Ce petit mammifère est menacé de disparition après une chasse excessive pour sa fourrure et en raison du recul de son milieu naturel. Le koala se nourrit presque exclusivement d’eucalyptus.

Pour connaître l’état de santé d’un koala, il faut lui renifler le derrière des oreilles (étape 1 : attraper la bestiole !) : si la fourrure dégage une fraiche odeur d’eucalyptus, l’animal est en bonne santé. Si la fourrure sent le moisi, l’animal est malade.

Alors, billevesée ?

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Mes années grizzly

Récit autobiographique de Doug Peacock.

Au retour du Vietnam, Doug Peacock est meurtri. Comme de nombreux vétérans, il ne peut pas oublier les horreurs de cette guerre. C’est dans la nature, dans les derniers grands espaces sauvages d’Amérique qu’il cherche d’abord la sérénité, puis qu’il trouve une raison de continuer à vivre. De 1968 aux années 1980, Doug Peacock suit la trace des derniers grizzlys d’Amérique. « Je reviens sur ces lieux chaque année afin de suivre les ours à la trace et de tenir le journal de ma vie. Lorsque je suis rentré du Vietnam, alors que chaque année aurait pu se fondre dans la suivante, que j’aurais pu me perdre dans mes souvenirs sans que rien ni personne me fasse prendre conscience des années qui passaient, les ours m’ont fourni une sorte de calendrier. » (p. 15)

Le texte mêle les chroniques d’hiver de Doug Peacock et ses souvenirs du Vietnam. Sa découverte des grizzlys le renvoie à ses traumatismes de guerre qui ressurgissent sans crier gare. « Les dix années qu’a duré la guerre du Vietnam ont été perdues pour moi. » (p. 95) Mais, à mesure des étés dans les montagnes du Wyoming ou dans le parc du Yellowstone, Doug Peacock fait battre en retraite ces images d’un autre monde. Loin des hommes et de leurs crimes, il retrouve sa sérénité auprès des ours. « Je n’ai fait preuve d’aucune aptitude à réintégrer la société. » (p. 20) Loin des hommes, il ne perd pas son humanité, mais il cherche quelque chose de plus puissant que lui, une puissance qui ne soit ni nocive, ni destructrice comme peut l’être celle de l’homme. La force brute de la nature remporte le combat face au pouvoir néfaste de la guerre.

L’observation respectueuse des grizzlys est un vibrant plaidoyer pour cette espèce gravement menacée. C’est aussi le combat d’une vie : Doug Peacock a sauvé la sienne en suivant les grands ours et il la met au service d’un animal légendaire. « De mon point de vue, peut-être un peu tordu, sauvegarder les ours était une idée révolutionnaire : une tentative pour empêcher notre monde de devenir complètement dingue. » (p. 124) Doug Peacock dresse le portrait d’un animal dont la noblesse et la puissance ne sont pas vaines : le grizzly ne tue pas par facilité et il renvoie l’homme à ses propres instincts et à sa propre humilité. Mes années grizzly est un hymne à la nature et au monde sauvage. L’auteur exprime à mots à peine couverts sa haine de l’exploitation abusive des ressources naturelles et de l’extermination des grizzlys et autres espèces endémiques d’Amérique. Il ne cache pas un mépris certain pour les grands troupeaux d’élevage qui rappellent si malheureusement la disparition des hordes de bisons et, par là même, la disparition d’une richesse faunistique et floristique.

Cette autobiographie polymorphe parle d’hommes, d’un homme, de nature, de respect, de guerre et d’espoir. L’écriture est puissante, sans compromis : l’auteur lance son message et il n’entend pas cacher la réalité. Un texte essentiel pour les défenseurs de la nature, mais aussi pour ceux qui cherchent comment dépasser et transcender un traumatisme. Et si vous aimez les ours, je vous conseille la lecture de l’essai de Michel Pastoureau, L’ours, histoire d’un roi déchu.

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Les enfants de l’aube

Roman de Patrick Poivre d’Arvor.

Alexis assiste au suicide de son père, Tristan. Il ne lui reste qu’un carnet dans lequel Tristan raconte son histoire avec Camille. C’est ainsi que l’enfant découvre l’amour de ses parents.

Tristan est un adolescent malade qui se complaît dans la douleur. « Tristan, si tu t’arrêtes de pleurer, mon vieux, appuie là où tu souffres, et, tu verras, cela repartira tout seul. Cela te va si bien à l’âme et au teint de te sentir seul au monde, malheureux comme les pierres. » (p. 19) Envoyé dans un sanatorium suisse, le garçon rencontre Camille, malade comme lui. Mais l’adolescente ne se laisse pas vaincre sans combattre. Avide de vivre et de ressentir, elle séduit Tristan et l’entraîne dans une passion ravageuse. L’adolescent écrit avec fièvre des déclarations brûlantes et exaltées. Désormais, il ne veut plus vivre que pour Camille. « Je sais que je vais mourir avant les autres. Mais je voudrais que ce soit avec vous. Ou après vous avoir connue. Brûlez-moi. » (p. 48)

Tristan et Camille sont des enfants que la maladie a fait grandir trop vite. Comment rester enfant quand la mort risque de vous saisir avant vos vingt ans ? Il faut que tout aille plus vite et plus fort. À 15 et 16 ans, ils ne sont plus innocents. Alors que Tristan est prêt à tout donner, Camille affirme une indépendance têtue. « Don’t be jealous, darling. Les autres, c’est du pipi. Mais je suis sur un nuage. On ne m’attrape pas. Let me fly. » (p. 85) Pour préserver leur amour, les adolescents fuguent. Cette parenthèse volée au temps et aux adultes est à la fois une épreuve et une récompense. « Le matin du troisième jour, nous avons commencé à comprendre que ce voyage avait un sens et que nous allions beaucoup plus loin que le simple bonheur d’être ensemble. » (p. 94) À s’aimer si fort, Tristan et Camille font un enfant. Mais la naissance du petit Alexis sera la fin de Camille.

Ce roman a tout pour être très émouvant, mais je ne suis décidément pas faite pour les amours adolescentes et les fugues. J’y ai retrouvé ce qui m’avait déplu dans E=mc², mon amour de Patrick Cauvin ou L’attrape-cœur de Salinger. Mon adolescence a été trop sage, voire trop morne, pour que je vibre au récit des exaltations d’autres adolescents. Voici un roman qui devrait plaire à de jeunes lecteurs. Pour moi, c’est décidément trop tard.

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Mon voyage en gâteau

Album jeunesse d’Alice Brière-Haquet. Illustrations de Barroux.

Comment faire un gâteau à la vanille ? C’est un long voyage où tout vient de la nature et passe par les mains de l’homme. « Pour faire un bon gâteau, il te faut : du blé moissonné et un moulin pour que d’un tour de main, le meunier fabrique 200 g de farine. » Des prés voisins jusqu’aux îles lointaines, la confection du gâteau devient une fabuleuse aventure riche en découvertes et en transformations. Cette recette apprend la patience et le respect du temps. La cuisine est donc un merveilleux voyage qui invite le jeune lecteur à ouvrir ses papilles aux saveurs d’horizons lointains et à partager un bon gâteau avec ses amis.

À la fin de l’album, la recette ne fait pas que présenter les proportions : elle offre un gâteau plein de promesses et d’avenir puisque chaque lecteur gourmand est invité à la personnaliser. Le dessin est vraiment réussi et il mêle crayonné, gouache, collage et aquarelle. Le voyage se fait aussi par les yeux, vers des paysages familiers ou des horizons exotiques. Cet album est une façon originale et poétique d’initier l’enfant à la préparation d’un gâteau simple et bon. À mettre entre les mains des jeunes marmitons et des coquins qui aiment lécher le reste de pâte au fond des jattes.

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L’épée d’Ardenois – II/IV La Prophétie

Bande dessinée. Scénario et dessins d’Étienne Willem. Couleurs de Nicolas Imhof.

Hellequin poursuit sa quête des fragments de l’armure à travers les différentes contrées du pays. Grimbert, La Fouine, Arthus et le jeune lièvre Garen attendent et surveillent. Mais voilà que la terrible menace qui pèse sur le royaume se double des attaques maritimes des pirates skernovites : le pays est pris en deux feux et les Compagnons de l’Aube ont fort à faire pour défendre le fort où ils se sont réfugiés et pour empêcher Hellequin de reconstituer l’armure noire.  Au terme d’une terrible bataille, Garen apprend qu’il est au cœur d’une prophétie qui pourrait sauver le royaume. « Selon la prophétie, je dois prendre l’épée de l’aube, qui appartient au roi, pour tuer Nuhy ? » (p. 48)

C’est avec grand plaisir que j’ai retrouvé les personnages du premier tome de L’épée d’Ardenois. Garen affirme son courage et révèle son passé. Les Compagnons de l’Aube, même vieillissants, n’ont rien perdu de leur panache et de leur honneur. Si la bande dessinée peut être lue par un jeune public, le dessin est loin d’être simpliste et certaines références pleines d’humour ne manqueront pas de toucher les adultes. Je n’étonnerai personne en disant que j’attends avec impatience la parution du troisième volume de cette série médiévale très réussie.

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Billevesée du dimanche #24

La cravate est une pièce de tissu qui se noue par devant et qui constitue un accessoire courant de la garde-robe masculine.

L’origine du mot est une déformation du mot « croate » : sous Louis XIII, l’uniforme du régiment des hussards croates comprenait une écharpe blanche dont l’usage s’est répandu dans toute la cour. Louis XIV donnera à ce régiment le nom de Royal Cravate et voilà comment le nom est né.

Alors, billevesée ?

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Sur la tombe de Huysmans

Essai de Léon Bloy.

Léon Bloy se fait le biographe de Joris-Karl Huysmans et il présente l’auteur avant et après sa conversion religieuse. « Ayant été son apôtre, hélas ! ayant travaillé et souffert assez longtemps pour qu’il devint un chrétien, l’excessive médiocrité de sa nature exigeât que je fusse payé aussitôt de la plus affreuse ingratitude et que je contemplasse en lui le plus extraordinaire avortement de la grâce. » (p. 9)

Avant sa conversion, Huysmans était l’auteur chéri du critique Léon Bloy. Avec À rebours, l’auteur rompait enfin avec les odieux naturalistes et le « crapuleux Zola » (p. 22) Il exprimait une spiritualité qui faisait écho à celle de Léon Bloy qui ne tarissait pas d’éloges sur cet auteur atypique, unique et spectaculaire. « Huysmans tasse des idées dans un seul mot et commande à un infini de sensations de tenir dans la pelure étriquée d’une langue despotiquement pliée aux dernières exigences de la plus irréductible concision. » (p. 23) Dithyrambique ? Oui, et d’autant plus élogieux avec l’auteur qu’il est impitoyable avec les lecteurs qu’il considère sans aménité, incapables qu’ils sont de comprendre le somptueux talent de Huysmans. Rares sont ceux qui sont dignes de son estime : « seulement les âmes contemporainement matelassées d’une épaisse toison de bêtise impénétrable à n’importe quelle balistique de l’Art. » (p. 30)

Mais quand Joris-Karl Huysmans publie Là-bas, il s’attire les foudres de Léon Bloy : « Le nouveau livre de Huysmans est la plus monstrueusement futile des rapsodies contemporaines. Je ne crois pas que l’incirconcision littéraire ait encore affiché un aussi furieux dévergondage d’informations anarchiques. » (p. 58) C’en est fini des éloges et hommages, Huysmans représente désormais tout ce que le critique abhorre. Et il se focalise sur l’adverbe que l’auteur utilisait tant dans ses titres et ses textes. « Le dynamomètre de son esprit, c’est la locution adverbiale ». (p. 72) Pour le critique qui se sent trahi, Huysmans n’est plus qu’un grammairien outrancièrement converti, un chrétien illuminé.

Léon Bloy porte la critique littéraire à un niveau exceptionnel : il connaît son sujet, qu’il l’aime ou le haïsse. L’admiration la plus vive laisse place au mépris le plus profond après la conversion et la prétendue trahison de Huysmans. Cet opuscule est riche en informations sur l’œuvre de l’auteur, mais c’est avant tout un superbe exemple de critique littéraire telle que j’aimerais en lire davantage.

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Wazzyjump

Album jeunesse de Michael Moniz.

Wazzyjump est un lapin magique, mais quel est son pouvoir ? Sa légende traverse la forêt et arrive aux oreilles du roi des animaux qui décide de s’emparer de son mystérieux pouvoir.« He vowed to capture Wazzyjump so he could take the creature’s magic form himself, no matter what it was. » Le lion envoie tous les animaux de la forêt à la recherche du lapin. Mais voilà que le renard est bien décidé à s’approprier la magie du petit animal. Ce qu’il ne sait pas, c’est que cette magie va s’exercer sur lui. Et tous les animaux se demandent s’il faut prévenir le lion. Mais les nouvelles vont bien vite dans la forêt. « Lion ran to the hollow tree as his massive paws could carry him, desperate to catch Wazzyjump, capture his magic and punish fox. » Finalement, au fond de la forêt, la magie de Wazzyjump s’exerce tous les animaux, pour leur plus grand plaisir.

Ce joli conte est illustré par des aquarelles très douces et contenu dans une très belle couverture en ombres chinoises. Le sujet est simple : vous pouvez partager la magie, mais jamais la voler. Et, surtout, la magie est partout pour peu qu’on décide de la voir. Voici donc un très bel album pour les jeunes lecteurs. Oui, il est en anglais, et alors ? La magie n’a pas de langue !

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Fahrenheit 451

Roman de Ray Bradbury.

Dans le futur, un monde en guerre interdit la lecture. La brigade 451 intervient dans les maisons pour brûler les livres : ces pompiers d’un nouveau genre ont pour mission de circonscrire les foyers subversifs alimentés par la littérature et la poésie. « Tout homme qui croit pouvoir berner le gouvernement et nous est un fou. » (p. 57) Guy Montag partage avec ses collègues la même jubilation incendiaire débarrassée de tout questionnement. Jusqu’au soir où il rencontre Clarisse. En quelques jours, la jeune femme instille en lui le goût d’autre chose et le doute. « C’est vrai qu’autrefois les pompiers éteignaient le feu au lieu de l’allumer ? » (p. 27) Soudain, Montag ouvre les yeux : qui est vraiment Mildred, cette femme qu’il a épousée ? Quel est donc le sens de son métier ? « Ce n’était que du nettoyage. Du gardiennage, pour l’essentiel. Chaque chose à sa place. Par ici le pétrole ! Qui a une allumette ? » (p. 61) À mesure qu’il remet en question le système, sa mission ne lui semble plus si bénéfique.

Guy Montag franchit le dernier stade vers sa conscience le soir où il sauve un livre des flammes. Dès lors, il veut comprendre les livres et leur pouvoir. Il ne souscrit plus au discours public qui diabolise la lecture. « Un livre est un fusil chargé dans la maison d’à côté. Brûlons-le. Déchargeons l’arme. Battons-en brèche l’esprit humain. » (p. 87) Le pouvoir assure que pour éliminer les différences, il faut éliminer les sources de réflexion et de contestation. C’est pour cela qu’il bombarde le peuple d’images et de faits, mais sans émotion, ni réflexion, afin de rendre les gens heureux. Montag ne se satisfait plus de cette vaine corne d’abondance. « Je ne peux pas parler aux murs parce qu’ils me hurlent après. Je ne peux pas parler à ma femme : elle écoute les murs. Je veux simplement quelqu’un qui écoute ce que j’ai à dire. Et peut-être que si je parle assez longtemps, ça finira par tenir debout. Et je veux que vous m’appreniez à comprendre ce que je lis. » (p. 114) Pour bouleverser le système, voire le renverser, Montag se fait aider par Faber, un vieil universitaire. L’homme est une mémoire, une somme de connaissances et un guide.

Seul face à un système totalitaire et abrutissant, Montag est en danger et sa révolte est bruyante. « Je ne pense pas par moi-même. Je fais simplement ce qu’on me dicte, comme toujours. » (p. 127) Mais il a perdu trop de temps pour être prudent ou accepter de poursuivre l’illusion. « Rentrez chez vous, Montag. Allez vous coucher. Pourquoi perdre vos dernières heures à pédaler dans votre cage en niant être un écureuil ? » (p. 121) Cet opus de Ray Bradbury semble ne pas avoir pris une ride : il résonne toujours aussi juste maintenant. À l’heure où la culture et la lecture oscillent entre élitisme et consommation, à l’heure où l’image déferle par vagues incessantes sur tous les supports possibles, et alors que certains pays en guerre jettent aux flammes des ouvrages supposés subversifs, lire Fahrenheit 451 est un vaccin nécessaire.

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Le front russe

Roman de Jean-Claude Lalumière.

« Je finis un beau jour par ne plus envisager que l’ailleurs, par en faire un but, mais les discours de mon père sur la prévalence du travail avaient fini par me pénétrer et je n’étais capable d’envisager mes départs qu’à l’aune de ses préconisations. Alors quand la possibilité de voyager a disparu de mon univers professionnel, je me suis retrouvé face à un vide immense. » (p. 16) Après une enfance solitaire et rêveuse, le narrateur ne souhaite que voyager. Réussir le concours d’entrée au ministère des Affaires étrangères lui semble le premier pas vers ses ambitions diplomatiques et géographiques. Hélas, « ayant à tort confondu le Quai d’Orsay avec un quai d’embarquement » (p. 20), le narrateur est relégué au bureau des pays de création/section Europe de l’Est et Sibérie. La faute à un attaché-case encombrant et mal placé qui lui vaut cette douloureuse relégation sur ce que le ministère des Affaires étrangères appelle le « front russe ». Triste affectation pour ce fonctionnaire ambitieux nourri au magazine Géo

Je n’en dis pas plus et vous invite à découvrir cet excellent roman dont l’humour acide accompagne à merveille la chronique d’une ambition mouchée. Le narrateur, antihéros assumé, est un éternel dernier, un type lésé et un gaffeur récidiviste. Il est pourtant parfaitement lucide et pointe sans aménité les défauts d’une administration sclérosée et figée, totalement inapte à assurer ses missions de service public. Le roman de Jean-Claude Lalumière est cynique à juste dose et porté par une plume fine et un rien insolente. Un vrai plaisir !

Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter le fameux attaché-case : « Pour mon départ, ma mère m’offrit un attaché-case en cuir noir des plus rigides, agrémenté d’une armature métallique dorée et doté d’un système de fermeture sécurisé à code chiffré. Sans doute avait-elle entendu parler de la valise diplomatique, et elle me rappelait la mallette du représentant de commerce, celle dont mon père était équipé, un objet parfait pour bloquer la porte des clients récalcitrants ou se prémunir des attaques surprises de chiens méchants, et je me demandais si j’allais pouvoir raisonnablement utiliser cet accessoire. » (p. 21)

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Enola Game

Roman de Christel Diehl.

Avant, il y avait le printemps, le soleil, l’insouciance et le superflu. Puis, il y eut Enola Game, cette grande lumière et ses nombreuses détonations. Depuis, la mère et la petite vivent recluses dans leur maison, sans savoir ce qui se passe à l’extérieur. Chaque jour, elles écoutent un morceau de musique et font une photo pour le père qui n’est pas là. Dehors, l’armée distribue des rations d’eau et de nourriture que la mère stocke avec appréhension. Elle sent que la pénurie finira par les condamner à la fuite, qu’il faudra quitter la maison, quitter cet univers.

« La mère s’aperçoit qu’elle a toujours considéré l’hygiène et le confort comme définitivement acquis. » (p. 33) Le quotidien sans eau, ni électricité est devenu une succession d’économies et de rationalisation. Il ne faut plus rien gâcher, le temps n’est plus au superflu et chaque chose compte puisqu’elle pourrait être la dernière. La mère voudrait tout donner à son enfant, mais c’est par amour qu’elle apprend à compter. « Elle voudrait que sa fille n’ait pas besoin de subir l’épreuve de la prodigalité pour apprendre à suspendre mille fois le temps et choisir de révérer mille choses, que sa fille, d’instinct, ne claque jamais les volets au nez du printemps. » (p. 41) Quand une crêpe cuite au-dessus d’un feu de fortune devient une fête et un cadeau, quand la petite se met à raisonner comme un adulte, la mère sait qu’elle perd le combat contre l’inconnu.

Alors que l’anarchie envahit les rues, la mère veut maintenir une apparence de normalité dans la maison. Pour combattre le froid, la solitude et la peur, elle met en place une organisation salvatrice. « Elle respecte le rituel matinal du maquillage comme les quelques autres habitudes qu’elle a pu conserver. Il s’agit de baliser les journées pour ne pas se perdre dans le néant. Elle refuse de donner à son enfant l’image d’une femme qui se laisse aller. » (p. 50) La survie est aussi un état d’esprit et la mère veut donner à la petite l’illusion d’une réalité normale. Et pour se sauver elle-même, elle s’impose d’écrire un journal, de tenir l’espoir au bout de la plume. Elle raconte le passé et évoque les proches dont elle ne sait plus rien. « Elle se demande comment on en vient à se laisser aller. Au bout de combien de temps. Elle se demande ce qu’il faut de lassitude pour faire pencher la balance du côté du renoncement. » (p. 97)

Petit à petit, les mots deviennent des souvenirs puisqu’ils désignent des réalités disparues. Quand le langage devient relique, la pensée est plus solennelle, mais elle est également plus pratique : il faut dire l’utile, le concret et l’immédiat et ne pas se perdre, ni perdre la raison, à évoquer ce qui n’est plus. « Enola Game l’a débarrassée de sa vanité en lui volant son insouciance. » (p. 51) Enola Game est à la fois l’évènement fondateur et le nom d’une nouvelle époque. Enola Game a créé une nouvelle réalité qui demande de nouveaux mots et une nouvelle façon d’être au monde.

Enola Game a un air de déjà vu et la référence à la première catastrophe nucléaire est explicite. Au-delà de la survie en autarcie d’un petit groupe de survivants, le roman évoque le comportement de l’humanité devant un évènement traumatisant majeur. Cette réflexion alimente les terreurs de la mère. « Elle ne se fait pas d’illusions. Elle sait que chaque époque est capable de générer sa propre barbarie. Il suffit d’un déclic et les pires instincts se réveillent. Depuis plusieurs jours, des hordes sillonnent les rues. » (p. 71) Comme les deux femmes, le lecteur est enfermé dans cette maison qui ne pourra se suffire à elle-même. Dans ce huis clos narratif, le découpage en paragraphes plus ou moins courts évoque des fragments de conscience, des sursauts d’humanité après Armageddon.

Si le sujet n’est pas neuf et si le traitement n’est pas spécialement original, ce roman est toutefois très réussi. Il dégage une atmosphère profondément oppressante et une angoisse palpable. Les rapports duo/duel entre mère et fille, entre intérieur et extérieur, entre passé et présent alimentent une dialectique qui tend à devenir cyclique et à générer la folie. Un roman que je recommande aux amateurs de dystopies et de science-fiction post-apocalyptique.

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Sac au dos

Nouvelle de Joris-Karl Huysmans.

Eugène Lejantel, jeune Parisien, est mobilisé pour la guerre de Prusse. Peu de temps après son départ, il tombe malade et a bien des difficultés à se faire soigner. Avec son compagnon Francis, il trompe l’ennui à l’hospice et tente des sorties de polissons dès que l’occasion se présente. « Mon ami et moi étions arrivés à ce degré d’abrutissement qui vous jette sur un lit, s’essayant à tuer, dans une somnolence de bête, les longues heures des insupportables journées. » (p. 36)

De la guerre, il ne voit finalement pas grand-chose : de son grabat, il apprend la défaite de l’Empereur. Et il a à peine le temps de rentrer à Paris que la capitale est occupée par l’ennemi. Mais c’est sans importance : de retour dans son petit logis, il profite d’une intimité que l’armée n’offre pas. « Il faut avoir vécu dans la promiscuité des hospices et des camps pour apprécier la valeur d’une cuvette d’eau, pour savourer la solitude des endroits où l’on met culotte bas, à l’aise. » (p. 56)

C’est ici le Huysmans naturaliste qui écrit, bien avant sa période décadente ou mystique. Cette nouvelle propose un naturalisme guerrier, mais surtout un naturaliste médical. Ici, on parle de dysenterie et de furoncle en toute liberté. Eugène Lejantel incarne le jeune Parisien attaché à son petit confort. Huysmans évoque avec humour et ironie la joie de disposer de latrines personnelles.

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Mémoires d’un proscrit

Mémoires de Frédéric Guillaume de Vaudoncourt, annoté par Laurent Nagy.

Tome  1 (1812-1815) Récit des derniers temps de l’empire par un général de Napoléon – Général de l’armée napoléonienne, Frédéric Guillaume de Vaudoncourt ouvre ses mémoires par des réflexions liminaires sur la littérature et les récits historiques. Entre l’honnêteté et la flagornerie, il a choisi la première et se place résolument du côté de la vérité. « Je me suis attaché avant tout à la vérité historique, et j’ai osé la dire tout entière et sans détour. » (p. 369) Le mémorialiste se veut sincère et prétend faire œuvre d’intérêt public pour restaurer l’histoire de l’Europe. « Il y aura peut-être dans ce récit quelques leçons utiles pour ceux qui pourraient encore être dupés par les sycophantes de liberté et les escamoteurs de révolutions. » (p. 171)

Le premier volume des mémoires présente les années 1812 à 1815, entre revers de fortune personnels et bouleversements historiques. « La fin de la campagne de 1812, origine des malheurs qu’a éprouvés la France, a été pour moi le temps où devait s’arrêter ma carrière jusqu’alors agréable et brillante autant qu’elle est honorable. » (p. 67) Pour lui, la fin de la campagne de Russie et la chute de l’Empire préfigurent la chute de l’Europe et le début de ses malheurs personnels. « Mon temps se passait à Pétersbourg aussi agréablement qu’il était possible, étant éloigné de ma patrie, prisonnier de guerre, et au milieu des inquiétudes que me causaient les malheurs que je savais menacer la France. » (p. 148) Loin de chez lui, le général d’Empire, observe ce qui l’entoure, étudie et écrit.

Ses mémoires ont le ton de chroniques européennes quand il écrit de longues descriptions de la cour de Catherine II de Russie ou qu’il porte un regard lucide sur la création de l’Italie. Frédéric Guillaume de Vaudoncourt est un spectateur et un protagoniste de la grande Histoire. Proscrit après la chute de Napoléon et son exil à Sainte-Hélène, il reste fidèle à ses convictions et fidèle à Napoléon. « De même que dans les temps de la grandeur de la Napoléon, me contentant de servir ma patrie sous ses auspices, on ne m’avait jamais vu au nombre de ses adulateurs, on ne m’avait pas entendu, après sa chute, chanter la palinodie et lui chercher les défauts que lui trouvaient des misérables qu’il avait couverts d’or et chamarrés de titres. » (p. 227) Mais le général est surtout attaché à la France avant d’être attaché à l’homme. Son récit est plein d’une lucidité immédiate, sans l’exaltation romantique que les historiens ont pu laisser sourdre dans leurs écrits sur l’Empire. On note surtout que le mémorialiste n’est pas tendre avec certains de ses contemporains et qu’il a une haute conscience de sa valeur. Il porte même sa condition de proscrit en étendard et rend hommage à ses compagnons d’infortune, « nous tous les proscrits pour avoir défendu notre patrie jusqu’à ce qu’on nous brisât les armes dans les mains. » (p. 339)

Tome 2 (1816-1834) Un général de la Grande Armée et les révolutions européennes – Le deuxième volume des mémoires du général Frédéric Guillaume de Vaudoncourt ne parle plus d’Empire, mais toujours de révolution. De 1816 à 1834, il sillonne l’Europe et se rend sur tous les fronts où les peuples se révoltent contre le pouvoir en place. L’ancien général d’Empire est partisan de la révolution piémontaise et espagnole. « La nation espagnole, accoutumée à ployer à la voix intérieure du despotisme, fut frappée de surprise et d’enthousiasme aux premiers rayons de la liberté. » (p. 147)

Homme éclairé, Vaudoncourt est un humaniste, un fervent héritier des Lumières. Le plus surprenant est qu’il était un républicain bonapartiste, mais une fois Napoléon exilé, il lui reste attaché tout en proclamant ses revendications révolutionnaires. Il s’oppose aux Bourbons rétablis à la tête de la France et rêve d’une Europe unifiée et débarrassée des tyrans. « Je partage l’opinion de tous les hommes éclairés sur la nécessité de rétablir ou d’assurer la nationalité de tous les peuples, et je crois, comme eux, qu’une allégeance fondée sur une communauté d’intérêts donne bien plus de force qu’une conquête, qui tend plutôt à les mettre en opposition. » (p. 14 & 15) Le mémorialiste rêve d’unir les peuples révolutionnaires d’Europe au sein de la Sainte-Alliance. Il est convaincu que sa cause est juste et il mène son combat sans relâche.

Doué d’une plume ardente et sincère, il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques et militaires. « J’ai rempli, au moins en partie et gratuitement, la tâche pour laquelle Napoléon voulait me récompenser. J’ai écrit l’histoire de ces dernières catastrophes où la trahison eut tant de part ; j’ai eu le mérite d’élever seul la voix en faveur de mes nobles et infortunés compagnons d’armes, lorsque chacun s’aplatissait devant les vainqueurs, lorsque moi j’étais proscrit et à la merci de ces mêmes vainqueurs. » (p. 363) Sa passion du rapport et du témoignage se retrouve dans ses mémoires. Ce récit autobiographique rappelle celui de Chateaubriand. Si les deux mémorialistes ne s’entendaient pas sur les mêmes opinions, ils avaient le talent de mêler leur histoire individuelle à l’Histoire de leur pays. Il doit être particulièrement intéressant de comparer ces deux récits.

Les notes de Laurent Nagy sont une mine d’informations absolument indispensable pour suivre les mémoires du général de Vaudoncourt. Le texte est dense, truffé de références, de dates et de noms. Impossible de ne pas se laisser emporter par ce récit-fleuve et par ces chroniques européennes. Ardent promoteur d’une Europe pacifiée et unie, Frédéric Guillaume de Vaudoncourt n’est pas un simple mémorialiste ou un historien, c’est un visionnaire. D’aucuns diront qu’il était utopiste, je pense qu’il était au contraire pleinement conscient des besoins des peuples européens et que certains de nos contemporains pourraient s’inspirer de ses écrits.

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Mme Anniversaire

Album de Roger Hargeaves.

Madame Anniversaire est une jolie petite femme rose en forme de paquet cadeau. Devinez à quoi ressemble le ruban qu’elle porte dans les cheveux. À du ruban d’emballage, évidemment ! « Madame Anniversaire adore chaque jour de l’année, car c’est toujours l’anniversaire de quelqu’un. Et Madame Anniversaire adore faire des cadeaux ! Elle aime les choisir, les emballer et les offrir. Elle peut se vanter d’avoir toujours trouvé le cadeau parfait. Aussi difficile la personne fût-elle. » Pas de doute, Madame Anniversaire est une amie attentionnée. Mais voilà que l’anniversaire de Monsieur Farfelu approche. Comment lui trouver un cadeau qui lui corresponde ?

Cet album mise sur l’humour : les cadeaux que Madame Anniversaire offre à ses amis sont de ceux que nous n’aimerions pas recevoir, mais ils collent si bien à leurs destinataires que cela nous renvoie aux albums qui les concernent. On a très envie de comprendre pourquoi tel cadeau réjouit tel personnage.

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Billevesée du dimanche #23

Toujours à traquer l’étymologie, je pensais que les mots « peccadille » et « Piccadilly » avaient un lien. Après recherche, il semble que non… Zut alors ! Mais voici quelques explications !

Une peccadille est un petit péché et Piccadilly vient des « piccadils », les hauts cols empesés que portaient les Anglais aux XVI° siècle. Donc pas de lien ou alors je n’ai pas réussi à mettre l’œil dessus…

Alors, billevesée ?

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Le monstre

Recueil de nouvelles de Gaston Chérau.

Ici, pas de jolis pastoureaux ou de gentilles bergères. Chez Gaston Chérau, les moutons sont malpropres et faméliques et l’on se dispute les fermes brique par brique. Voici quelques-unes des nouvelles de ce savoureux recueil.

Le monstre – Massé engrosse toutes les servantes qui passent dans sa ferme. Jusqu’au jour où c’est sa fille Hortense qui remplace les servantes. La pauvre enfant connaît le même sort et de cette immonde union naît un fils. Une fille-mère, ce n’est jamais surprenant dans la région, mais pour celle-ci, tout est différent, à la fois atroce et honteux. « Cette fois, on frissonnait comme au récit d’un conte de méchantes fées. » (p. 42) L’enfant grandit en ayant pleinement conscience de son statut de maudit : sa famille et le village ne voient en lui que le fils de son grand-père. Le garçon est solitaire, mais il n’est pas faible. « Il possédait cette puissance des réprouvés dont on redoute les mauvais sorts et les caresses plus que les violences. » (p. 56)

Les vieilles – Constance et Adeline sont deux vieilles qui ont marié ensemble leurs enfants. La première espère mourir dans sa ferme, mais voilà qu’Adeline s’installe et que tout change. Brusquement, Constance est envoyée et oubliée à l’hospice. « Comme elle souhaitait la mort de cette Adeline, qui avait pris sa place à sa table, à son foyer, dans sa maison, chez elle. » (p. 97) Pour retrouver sa place à la ferme, la vieille sera finaude. Pour y rester jusqu’au bout, elle se montrera terriblement retorse.

Les frères – Pierre et Firmin Dorigny ont hérité de la ferme familiale et chacun aimerait être seul maître de la propriété. « Les deux frères avaient le même mouvement en avant, un mouvement de meurtre. » (p. 142) Violents et haineux, Pierre et Firmin traquent la faiblesse en l’autre.

Fifi l’Esguarrat – « En bon fermier, il savait bien que c’est d’être jolies qui perd les bergères. » (p. 195) Une vilaine bergère tombe amoureuse d’un vilain musicien. Ces deux-là auraient tout pour être heureux. Mais on se moque toujours des vilaines figures et les amoureux l’apprendront à leurs dépens.

Loin de l’image d’Épinal de la riante campagne française, Gaston Chérau brosse des portraits qui évoquent les farandoles hideuses de Brueghel. Le patois alourdit la phrase, la rend traînante et la teinte d’un vernis crasseux. J’ai retrouvé certains thèmes chers à Claude Seignolle, mais les victimes sont ici mieux armées que leur bourreau. Il faut se méfier de l’eau qui dort et du miroir lisse du purin. Dans la campagne de Gaston Chérau, il n’y a que des monstres. Allez donc conter fleurette ailleurs si vous n’aimez pas vous salir les yeux. Pour ma part, je me suis délectée du sadisme et de la cruauté brute de ces personnages.

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Partir

Roman de Tahar Ben Jelloun.

Azel et Kenza, comme tant d’autres jeunes, ne rêvent que de quitter le Maroc, d’échapper à la pauvreté, à la cruauté et à la mafia locale. Le pays perd ses forces vives au profit d’une Espagne aux airs d’El Dorado. « Quitter le pays. C’était une obsession, une sorte de folie qui le travaillait jour et nuit. Comment s’en sortir, comment en finir avec l’humiliation ? Partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sauver sa peau, même en risquant de la perdre… » (p. 25) Nombreux sont ceux qui tentent de traverser le bras de mer entre l’Espagne et le Maroc. Au matin, on retrouve leurs corps gonflés sur les plages. Au Maroc, on dit que traverser la mer et partir, c’est « brûler ». Le départ, c’est un peu un suicide. Et pour ceux qui gagnent les côtes espagnoles, la solitude de l’immigré est une autre mort.

Pour Azel, le départ prend les traits de Miguel, un riche Espagnol homosexuel. Le jeune homme se soumet aux désirs de son protecteur et espère mener la vie dont il rêvait dans ce nouveau pays. Dès qu’il le peut, il écrit une lettre. Son destinataire n’est autre que son pays d’origine : au Maroc, il déclare son amour, il confie ses espoirs et adresse ses reproches. « Soigner les apparences et faire des cochonneries en douce, c’est ça le Maroc qui m’énerve. » (p. 97) Hélas, Azel laisse s’échapper ses rêves et se perd lui-même. Finalement, quitter le Maroc semble moins prometteur que d’affronter ses vicissitudes.

Il y a différentes façons de partir : certains échappent au pays, d’autres quittent une identité, d’autres encore courent après un rêve. Mais tous les immigrés le savent, le départ n’est jamais une fin en soi. « Nous partons, mais toujours pour revenir. » (p. 269) Ce roman polyphonique mêle des voix furtives et des voix récurrentes. Le Maroc parle au travers de ses enfants, il pleure leur départ et attend leur retour. Cette galerie de portraits parle d’Islam, de sexualité, de péché et surtout d’humanité. « Vous savez, il vaut mieux partir du principe que l’homme est bon, s’il se révèle mauvais, c’est lui qui se fait mal. C’est une question de sagesse. » (p. 273) Pas de manichéisme dans ce roman, ni de leçon de morale. C’est plutôt une troublante élégie et un puissant hommage à la jeunesse et à la terre natale.

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Le photographe

Une histoire vécue, photographiée et racontée par Didier Lefèvre. Écrite et dessinée par Emmanuel Guibert. Mise en page et en couleur par Frédéric Lemercier. (p. 6)

Tome 1 – Didier Lefèvre, photographe, intègre une équipe de Médecins Sans Frontières. Sous la direction de Juliette, avec Robert, Régis, John, Mahmad, Sylvie, et tant d’autres, il passe du Pakistan à l’Afghanistan. « En Afghanistan, il y a la guerre. D’un côté, l’armée d’invasion soviétique et l’armée du gouvernement communiste en poste à Kaboul, de l’autre les moudjahidin, les résistants. Au milieu, les organisations humanitaires. » (p. 10) Avec la caravane clandestine qui l’emmène dans un pays en guerre, Didier connaît un voyage très éprouvant.

Didier a toujours l’œil à portée de viseur, mais il ne voit pas le monde uniquement à travers l’objectif. Le photographe sait prendre du recul et saisir la beauté des choses. « La lumière est très franche aujourd’hui, l’air pur comme jamais. L’épuisement et les circonstances de la guerre ne viennent pas à bout d’un sentiment de joie intense. Il faut dire que ce soleil, ces montagnes, John, sac à dos, qui marche d’un pas de randonneur, ça ressemble à s’y méprendre à la paix. » (p. 52) Le passage du dessin à la photo empêche de croire à une histoire : tout est réel. Le dessin sublime la réalité, l’adoucit un peu, mais il n’est pas bon de trop s’en écarter. Ce serait comme quitter la piste : les mines ne sont pas loin.

Planches contacts, négatifs, portraits, paysages et clichés pris sur le vif se côtoient : le photographe n’a pas toujours le temps de poser son objectif ou de faire poser son modèle. Alors se substitue le dessin qui comble les vides et qui honore autrement.

Tome 2 – La caravane achève sa marche forcée dans les montagnes. Après un mois éprouvant, l’équipe MSF arrive à Zaragandara et installe son hôpital dans une maison ouverte aux quatre vents. Les malades ne tardent pas à affluer : les chirurgiens traitent les victimes de la guerre et les accidents domestiques. Leur autre mission est de former des Afghans sur place : une fois que l’équipe de Médecins Sans Frontières sera repartie, les locaux devront se soigner seuls.

En dépit de la rudesse de la mission et des piètres conditions de vie, l’équipe reste soudée. « Tu connais l’expression “Avec eux, j’irais au bout du monde”. Ben on y est. Chacun d’entre nous est en situation de faire des choses pour lesquelles il n’est pas formé. On est tous voués, à un moment ou à un autre, à endosser une grosse responsabilité. C’est ça qui nous soude. » (p. 46) Cette entente réussie dépend surtout de Juliette, chef de la mission MSF. La jeune femme fait sensation auprès des Afghans avec ses pantalons et son aplomb. « Moi, j’ai cette chance de pouvoir aller partout. En tant que chef de mission, je peux aller chez les hommes et en tant que femme, je peux aller chez les femmes. Et j’aime mieux te dire que nos rapports sont tout ce qu’il y a de naturel et de spontané. » (p. 65) Pour autant, Juliette reste humble et respectueuse des traditions et des pudeurs afghanes. Son regard éclairé est débarrassé des clichés occidentaux.

Le photographe peut désormais cadrer ses photos. Sur les planches contact, on remarque des photos marquées au rouge, celles qu’il garde et celles qu’il rejette. Ce choix s’est opéré après son retour en France, quand il a pu développer les films. Au-delà de la mission photographique, Didier découvre un pays. « En dépit de la rudesse du voyage, mais aussi grâce à elle, je suis déjà très amoureux de l’Afghanistan, très attaché. » (p. 19) Didier photographie les opérations et les blessés. Sur ses clichés apparaît une misère courageuse, profondément bouleversante. Au terme de ce second volume, il décide de rentrer seul, sans la caravane de MSF : découvrir le pays en solitaire, voilà ce qui lui manque pour faire sa propre expérience de l’Afghanistan.

Tome 3 – Didier a laissé l’équipe MSF derrière lui et il rentre au Pakistan seul, avec une petite escorte. « J’ai la sensation agréable d’être aux commandes de mon voyage. » (p. 6) Mais ce retour est lent, poussif et déprimant. « Je continue, presque malgré moi, à prendre les photos d’un reportage déjà fini. » (p. 32) Les quatre hommes chargés de l’escorter finissent par l’abandonner quelque part en bas d’un col. Seul avec son cheval, perdu en pleine montagne par des températures glaciales, Didier fait l’expérience de la solitude et de la folie. Miraculeusement ramassé par une caravane, Didier poursuit un périple éprouvant avec des escrocs qui le dépouillent lentement. Le retour au Pakistan est finalement bien loin d’être l’expérience exaltante que le photographe espérait. Mais il ne regrette rien. « Je pense au meilleur et au pire de ce que je viens de vivre en Afghanistan. Et je réalise une chose : j’ai envie d’y retourner. » (p. 94)

Cet album en solitaire présente de superbes photos en noir et blanc, en pleine page. Au terme de sa mission, Didier aura réalisé 130 pellicules. Il n’a qu’une hâte, celle de rentrer en France pour découvrir enfin ce que les films ont à révéler. Au terme de ce dernier album et en conclusion de cette expérience époustouflante, tous les participants de cette aventure ont droit à un bref portrait. C’est un bel hommage final à des médecins qui ont fait de l’abnégation leur credo, à des Afghans qui participent à leur façon au jihad et à des êtres courageux qui n’attendent pas le flash des appareils pour briller et faire rayonner la paix et la fraternité.

Ce récit de voyage en trois volumes est une belle réussite artistique, entre photographie et bande dessinée. C’est également l’illustration d’une charité qui dépasse les frontières, les religions et les guerres. Il ne s’agit pas de lisser les différences, mais de les honorer pour mieux les respecter. De l’objectif à la plume, l’hommage est courageux et émouvant.

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Billevesée du dimanche #22

Le mascara est un cosmétique que l’on appose sur les cils pour les épaissir, les allonger et les colorer. L’origine de ce mot est italienne et on peut le rapprocher du mot mascarade : dans les deux cas, il s’agit de se masquer, de porter un masque.

Alors, billevesée ?

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La femme du Ve

Roman de Douglas Kennedy.

Après une sordide histoire, Harry Ricks a quitté précipitamment les États-Unis, son université et sa famille. Seul dans Paris, il est démuni et déprimé. Il hante les cinémas et tente, sans succès, d’écrire son premier roman. Son existence s’effondre et Harry désespère de reprendre pied. Son épouse lui interdit tout contact avec leur fille et sa réputation est fortement entachée. Les rencontres qu’il fait sont plus désastreuses les unes que les autres : un gérant d’hôtel sans scrupule, un logeur escroc ou encore un voisin brutal. Dans une misérable chambre de bonne, il voit ses économies fondre à vue d’œil. Il trouve un boulot de veilleur de nuit dans un local assez louche. « Ce qui se passe au rez-de-chaussée, ce ne sont pas tes oignons. Ni maintenant ni jamais. Crois-moi, c’est mieux ainsi. » (p. 95) Mais il ne se pose pas de question : il a besoin d’argent et ça lui laisse le temps de travailler à son roman.

Et il rencontre Margit, la cinquantaine passée. Entre eux, la séduction est brutale et immédiate. Margit est très secrète et elle n’accepte de voir Harry que deux fois par semaine, en fin d’après-midi. « Avec cette femme, il va falloir du doigté, du sang froid, un peu de détachement… » (p. 134) Difficile pour Harry de suivre son propre conseil : totalement subjugué par la troublante Margit, il se laisse dominer par cette relation et ne se reconnait pas. « Tout le monde joue un rôle dans une relation sentimentale. Surtout quand elle est aussi étrange que celle-ci. »(p. 171) Mais de troublantes coïncidences émaillent le séjour parisien d’Harry. Peu à peu, il a le sentiment d’être suivi, voire piégé. Et Margit ne semble pas innocente : « Tu avais besoin de moi pour régler tous les comptes qui restaient en suspens. » (p. 320)

Harry est un passionné de cinéma. En ce sens, le fait que le roman se déroule comme un mauvais film est particulièrement ironique. Entre répliques attendues, situations rocambolesques et scènes un peu trash, le roman est digne des séries B ou des téléfilms de l’après-midi. Les ficelles sont grosses comme des poutrelles et le retournement vers le deuxième tiers du roman est vraiment grotesque. La dichotomie est criante de ridicule entre Harry le raté qui culpabilise et Margit la sublime femme mystérieuse. Enfin, les constantes références à une certaine morale américaine puritaine plombent l’ambiance : l’atmosphère est suffisamment oppressante sans besoin d’en rajouter.

J’ai trouvé de nombreux défauts à ce roman, mais j’ai été incapable d’en arrêter la lecture. Complètement fascinée par la médiocrité certaine du texte, j’ai continué à tourner les pages juste pour relever d’autres défauts et formuler d’autres critiques. Oui, je sais, c’est particulièrement mesquin…

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Les lois de la gravité

Roman de Jean Teulé.

Soirée tranquille au commissariat. Le lieutenant Gilles Pontoise attend la fin de sa permanence pour être enfin en repos. Mais voilà qu’entre une femme qui veut être arrêtée. Elle s’accuse du meurtre de son mari, décédé des années plus tôt. Et elle veut être arrêtée parce que le délai de prescription échoit le lendemain. « Mais il faut bien finir par dire la vérité… » (p. 88) Après avoir raconté son histoire de femme battue et effrayée, elle attend toujours d’être arrêtée. Mais le lieutenant Pontoise refuse d’incarcérer la coupable. « Mais comment va-t-il pouvoir ne pas l’arrêter jusqu’à minuit ? »  (p. 76) Cette femme qui s’accuse, pour lui, il est impossible de la mettre sous les verrous.

Le meurtre est horrible et les remords de la coupable sont à la hauteur du crime. Mais la femme a sauvé sa vie et probablement celle de ses enfants. C’est ainsi ce qui devait être l’arrestation d’une criminelle devient la confession d’un policier. D’abord pour gagner du temps, puis parce qu’il a besoin de s’ouvrir, Gilles Pontoise parle de lui, de ses attentes, de ses réussites et surtout de ses échecs.

Cette coupable victime, anonyme, se désespère : même si son existence est un échec, sa culpabilité l’emplit de noblesse. Dommage que rien n’aille comme elle le voudrait. « Tout dans sa vie aura été loupé : son mariage, ses enfants… même son arrestation aura été loupée ! » (p. 134) Ce roman de Jean Teulé, c’est un peu le chapitre manquant entre Darling, femme suppliciée, et Longues peines, chroniques carcérales. Le roman se lit très vite et il s’inscrit dans l’œuvre générale de Jean Teulé. C’est un autre fait divers romancé, non pas sublimé parce qu’il est soumis au traitement littéraire, mais sublimé parce qu’on lui a prêté attention. Il n’y a pas d’histoires insignifiantes, seulement des histoires minuscules qui attendent une loupe. Et Jean Teulé est une loupe de grand talent.

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