La folie du roi Marc

Roman de Clara Dupont-Monod.

« Je m’appelle Marc, je suis roi de Cornouailles et ma femme me trompe. Elle s’appelle Yseut. » (p. 11) La suite, tout le monde la connaît, c’est la passion adultère entre la blonde Yseut et Tristan, le neveu de Marc, son presque-fils. Tintagel bruisse des rumeurs de l’infidélité de la reine, mais le roi reste longtemps aveugle et sourd : aveugle parce que les yeux pleins de la beauté de sa femme, sourd parce que les oreilles pleines de ses silences. « Elle se tait et mes mains fourmillent, je ne supporte pas son mutisme. Derrière son silence, je l’entends ordonner le saccage de ma vie. » (p. 11) Fou amoureux d’une femme qui ne pose sur lui qu’un regard vide et un sourire froid, Marc s’épuise à vouloir lui plaire. « C’est toi que je veux posséder, ton cœur, le sens caché de tes phrases, le rêve de tes nuits. Je n’aspire qu’à te comprendre. Je t’aime trop pour prêter attention à mon cœur qui doute. » (p. 56) Mais vient le jour où le doute n’est plus permis. « À défaut de sentir que tu en aimais déjà un autre, j’ai très vite compris que tu ne m’aimais pas. » (p. 219) Si Yseut partage la couche du roi, c’est dans les bras de Tristan qu’elle exulte. Et voilà que la passion de Marc le cocu prend un autre visage. « J’aime une femme que je déteste. » (p. 14)

Dès lors, le roi Marc veut punir et faire souffrir. Il met Yseut sur un bûcher, la livre aux lépreux et la soumet au jugement divin. Il bannit et renie Tristan. Errant dans Tintagel, il jouit de la souffrance des amants séparés et se repaît des larmes de son épouse. Entre imprécations et suppliques, Marc fulmine et s’humilie pour regagner Yseut. « Rends-moi Yseut, Tristan de malheur, voleur d’amour, voleur de vie, rends-moi ma femme ! » (p. 139) Mais être roi ne suffit pas pour avoir du pouvoir sur le cœur d’une femme. Marc est possessif et il clame à cor et à cris sa propriété pour mieux souligner qu’il l’a perdue. « J’ai épousé une absence – un fantôme qui me rend fou, une pièce vide. » (p. 142) Maladivement jaloux et volontiers narquois, Marc tente de rabaisser la superbe Yseut et de ternir les merveilleuses amours des amants. « Elle est toute entière habitée par un autre. À la soie, Madame préfère la terre. Aux honneurs d’un roi, la misère d’un banni. Si je suis roi d’un domaine, un vassal règne en maître sur ma femme. » (p. 21) Sa douleur et sa colère sont légitimes, mais Marc fait figure de bien triste sire.

Clara Dupont-Monod réécrit un des mythes fondateurs de la littérature amoureuse, mais pas du point de vue des amants. C’est le mari trompé, c’est le cocu qui prend la parole. Ni humble, ni pudique, Marc répand son amour/haine sur les amants coupables. Le monologue du roi résonne comme une longue élégie démente. Marc aurait pu être un cocu célèbre, mais la légende n’a retenu que les merveilleux amants, les exonérant presque de toute culpabilité. « Je suis rayé, banni de ma propre histoire – et c’est moi qui rends la leur vivante. » (p. 27) Mais ancré dans son époque et sa douleur, Marc ne veut pas être oublié. Son chant de haine tend à ébranler les livres. « L’amour conjugal doit ennuyer les dieux et les artistes. Le jour où ceux-là se pencheront sur les gens sans histoire, je ferai sonner toutes les cloches de Cornouailles. » (p. 183) Les glorieux héros sont toujours Tristan et Yseut. « Dieu s’intéresse aux élus, aux Tristan et aux Yseut. Dieu n’a que faire des dupes, des misérables et des naïfs. Il n’accorde sa clémence qu’aux amoureux emportés par une passion partagée. Il raffole des hors-la-loi et des bannis. Moi, je n’ai trompé personne. » (p. 182) Mais le roi Marc de Tintagel, sous la plume de Clara Dupont-Monod, prend enfin place dans l’histoire. Il n’a pas la superbe du neveu traître, ni l’éclat de l’épouse adultère, mais sa voix a résonné et porte une douleur qu’il fallait bien reconnaître.

Ce roman est servi par une plume sublime. Quel souffle et quelle puissance dans ces lignes ! J’ai retrouvé dans ce texte la même beauté douloureuse que dans La passion selon Juette, de la même auteure. Une nouvelle fois, Clara Dupont-Monod tire du Moyen-âge un héros oublié et en écrit l’histoire avec des accents de légende. Je vous recommande le roman, mais surtout l’auteure !

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Billevesée du dimanche #2

En 2011, je suis partie travailler quelques mois à Mayotte. Lagon bleu, climat social et météorologique plutôt chaud, makis dans les arbres et rhum à gogo, ce fut une expérience enrichissante.

En shimaoré, la langue traditionnelle de l’île, Mayotte s’appelle Maore et ce nom vient de son surnom historique arabe signifiant « île de la Mort ». Vous avez dit paradisiaque ?

Alors, billevesée ?

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Eroticortex

Roman de Thierry Maugenest. Parution ce jour.

Le professeur Carrington, éminent chercheur pharmaceutique du laboratoire Lanxis, a découvert l’aire de Dieu dans le cortex. À coups de stimulations neuronales et d’inhibiteurs chimiques, il peut désormais faire naître ou s’éteindre la foi dans le cerveau de ses cobayes. Mais le génie nobélisable est bien décidé à explorer d’autres domaines. Il s’attaque à la bêtise : « Le con, ce n’est pas celui qui se trompe, mais celui qui, en se trompant, est absolument convaincu d’avoir raison. » (p. 31) Carrington entreprend donc de réduire la bêtise en intervenant sur les zones du cortex qui en sont responsables.

Mais très vite, un autre projet accapare son attention : il s’intéresse aux mécanismes cérébraux de la sexualité et envisage de déprogrammer la zone de l’amour pour libérer et soigner les hommes. Voilà le fin mot de toutes ses recherches : tous les comportements irrationnels de l’homme sont des maladies et Carrington est bien décidé à les éradiquer, n’en déplaise au reste du monde. « – Quelle ordure, ce type ! Un cerveau et un sexe, voilà à quoi il se résume… et puis il voit des maladies partout. – Il considérait déjà les religions comme une épidémie mentale… – Et voilà qu’il range l’amour dans les troubles obsessionnels compulsifs. » (p. 87)

Carrington se fait de nombreux ennemis parmi les religieux, les athées et le monde scientifique. Il s’attire également les foudres de ses anciens cobayes dont le comportement a été modifié. Que dire de ce moine devenu acteur de films X ou de cet homme qui ne s’exprime plus qu’en octosyllabes ? La menace s’amplifie : il est évident que Carrington court un danger et qu’on cherche ou cherchera à l’éliminer.

Mais ce n’est pas ce qui tourmente tant le professeur. Carrington enrage que sa belle assistante, Ayumi, repousse ses avances. « Le problème avec Carrington, c’est qu’il n’a pas un seul brin d’ADN qui contienne du charme. C’est une exception génétique ce type… Et puis… il traîne derrière lui une sacrée réputation de mauvais coup. » (p. 12) Ayumi mène pourtant un trouble jeu, séduisant à l’envi les hommes du laboratoire Lanxis, usant de ses charmes et semant des haïkus érotiques qui s’échangent à prix d’or. « Elle voudrait à la fois être admirée par ses compétences et désirée pour son physique. » (p. 46) Est-elle trop belle pour être vraiment intelligente ? Mieux vaut ne pas parier là-dessus.

Le roman est constitué de pseudo articles de journaux, reportages et autres interviews qui répondent à de très courts paragraphes où les discussions vont bon train. Fondé sur le dialogue et les échanges de couloir, ce roman ne donne jamais la parole au professeur Carrington. La mise en page est soignée et parfaitement convaincante. On a vraiment le sentiment de suivre les avancées technologiques et les remous sociaux des dernières découvertes médicales. La conclusion est un délicieux clin d’œil adressé au lecteur qui parcourt le livre : « Et si c’était l’écrivain qui rêvait d’entrer dans le cerveau de ses lecteurs, et toi, lorsque tu lis son roman, tu prononces dans l’intimité de ton cortex chacun des mots qu’il a écrits. » (p. 127) Attention aux nœuds dans la tête !

Thierry Maugesnest interroge avec cynisme et insolence les liens entre progrès et éthique. Il dénonce férocement les dérives d’une société qui se fonderait sur la science et qui tendrait à harmoniser les êtres et les comportements. Eroticortex n’est pas vraiment un ouvrage de science-fiction, mais on y retrouve les frissons que cause la rencontre avec un professeur Frankenstein, à cela près que celui de Thierry Maugenest n’utilise pas la machine à vapeur !

Bien que j’ai trouvé ce roman un peu court et même si la pertinence percutante des dialogues devant la machine à café ou dans les toilettes s’essouffle un peu, humour noir et bon sens font de ce roman une réussite aux airs faussement angéliques de mise en garde. Vous avez peur des piqûres ? Craignez plutôt le scanner !

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Le fantôme de Canterville

Recueil de contes d’Oscar Wilde.

Le fantôme de Canterville (Fantaisie hylo-idéaliste) – La famille Otis, américaine et républicaine, acquiert le manoir de Canterville réputé pour être hanté par un fantôme cruel. Le spectre ne tarde pas à se manifester, notamment en ravivant chaque nuit une odieuse tâche de sang sur le parquet de la salle à manger. Mais les effrayantes manifestations du fantôme n’inquiètent pas la famille Otis, et certainement pas les jumeaux qui élaborent des tours pendables pour le ridiculiser. « C’était de toute évidence des gens habitués à vivre sur un plan d’existence bas et matérialiste, et tout à fait incapables d’apprécier la valeur symbolique des phénomènes extra-sensoriels. » (p. 39) Seule la jeune et douce Virginia témoigne un peu de compassion au spectre dépité et humilié. Certes le fantôme a la dent dure, mais n’est-ce pas une malédiction plus qu’une vocation ? « Il faut que je secoue mes chaînes, et que je gémisse à travers les trous de serrures, et que j’erre pendant la nuit, […]. C’est là ma seule raison d’être. » (p. 47) D’où viendra le salut pour ce pitoyable spectre ?

Oscar Wilde met à mal les codes des histoires de fantôme : a-t-on jamais vu un spectre se prendre les pieds dans des ficelles et prendre peur d’un autre fantôme ? Mais le plus ridicule n’est pas le pauvre esprit frappeur. C’est plutôt le brave Mr. Otis, fort content de lui-même et de son esprit terre-à-terre : certes, il y a un fantôme, mais faut-il vraiment que ses chaînes grincent autant ? Hop, un peu d’huile et tout le monde dormira tranquille. Entre le rationalisme bonhomme de l’Amérique et le mysticisme de la vieille Europe, le choc des cultures est certain ! Et l’humour est au rendez-vous.

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Le crime de Lord Arthur Savile (Étude du devoir) – J’ai lu cette nouvelle pendant l’été.

Pour les curieux, voici mon billet.

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Le millionnaire modèle (Note admirative) – Hughie Erskine est dotée d’une belle figure, mais d’un esprit médiocre. Sans emploi et sans le sou, il lui est impossible d’épouser la jolie Laura. « À moins d’être riche, il est absolument inutile d’être un garçon charmant. Le romanesque est le privilège des nantis, et non la profession des chômeurs. Il vaut mieux avoir un revenu assuré qu’être séduisant. » (p. 127) Ce qu’il lui faudrait, c’est un fabuleux coup de chance. Et s’il le trouvait dans le geste désintéressé qu’il adresse à un mendiant ?

Dans ce texte très court – quelques pages – Oscar Wilde est féroce envers les jeunes gens romantiques. Compter fleurette demande des moyens, et une jolie frimousse n’est pas un gage de réussite, ni de profit. La fin, délicieusement positive, sonne comme celle des contes de fées traditionnels. Sauf qu’ici la bonne fée à une drôle de d’allure et une étrange façon d’occuper ses journées…

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Le sphinx sans secret (Eau-forte) – Lord Murchison se désespère d’amour. Qui est la belle Lady Alroy ? Quel mystère dissimule-t-elle ? Que fait-elle lors des sorties qu’elle s’entête à nier ? Forcer l’aveu sera fatal. C’est ainsi qu’il apparaît que « les femmes sont faites pour être aimées, et non pour être comprises. » (p. 138)

Un brin misogyne, cette nouvelle/conte ne m’a pas vraiment convaincue. La conclusion est cousue de fils blancs et je n’ai vu ici que la bêtise des hommes désireux de tout maîtriser. Pourquoi ignorer que l’amour se nourrit du mystère et que la vérité nue est tristement insipide ?

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Ce recueil de contes est très inégal. Ce ne sont certainement pas les textes que je retiendrai d’Oscar Wilde, mais ils m’ont offert un bon divertissement.

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Déloger l’animal

Roman de Véronique Ovaldé.

Rose a quinze ans, mais son corps et son esprit sont ceux d’une enfant de sept ans. Fille spéciale, un peu attardée, elle vit dans un monde de songes et de représentations fantasmagoriques. Ses seuls amis sont les lapins qu’elle élève sur la terrasse. Vient un jour où sa mère disparaît. Rose se lance alors dans la découverte de l’histoire de ses parents et de leur rencontre. Aidée par une vieille voisine, Madame Isis, elle tente de percer les mystères de la calvitie de sa mère, de l’identité de son vrai père et des raisons du départ de sa mère. « Je fabrique quelque chose, j’ajoute à cet appareil une pincée de tout de que je connais de maman Rose et de Markus, je saupoudre, je colmate et j’invente jusqu’à ça tienne debout, je m’échine à ce que leur histoire tienne debout. » (p. 108) Mais à trop gratter sous la surface des choses, il apparaît souvent que la vérité est moins belle que l’imagination.

Rose est fascinée par sa mère, créature magnifique et outrageusement coquette. « Je m’appelle Rose comme ma mère. » (p. 21) Ce prénom en partage est un trésor extraordinaire pour la jeune fille. Si elle le pouvait, Rose ne ferait qu’un avec sa mère. Mais la distance de celle-ci sonne comme une dépossession : « C’est tout ce qui m’est resté de cette époque, l’anxiété de maman avant l’arrivée du livreur du journaux et le bruit du sable quand il fabrique des dunes. » (p. 38) Rose cherche tous les stratagèmes pour attirer l’attention de celle qui ne rêve que d’ailleurs. Sa disparition est alors la pire des trahisons : « Comment avait-elle osé partir et ne pas m’emmener ? J’ai pris la disparition de maman entre mes mains, j’en ai fait une boule toute serrée, je l’ai avalée pour que l’ennemi ne la trouve pas. » (p. 52)

Étrange personnage que Rose, entièrement tournée vers l’autodestruction qui devient moyen d’exister : « il s’agissait simplement de moi, moi qui ne me voulait peut-être pas du bien, moi contre moi, moi toute seule contre moi. » (p. 50) Entre la compassion et l’agacement, difficile de définir mes sentiments pour Rose et pour ce roman en général. L’auteure écrit du point de vue d’une enfant attardée : ce présupposé devrait enjoindre le lecteur à douter de toutes les réflexions de Rose. Mais la conclusion est tellement déceptive que l’on préfère les certitudes de Rose. Je suppose que le lecteur est mis dans la même position que l’héroïne quand elle voit s’effondrer la belle histoire qu’elle a conçue autour de ses parents. Je sors troublée de cette histoire après une lecture très dérangeante. Le malaise persiste et je me demande si l’animal à déloger, ce n’est finalement pas le lecteur qui n’a pas le loisir de rester tranquillement derrière son livre.

De la même auteure, j’ai lu Et mon cœur transparent et Ce que je sais de Vera Candida.

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L’ingénue libertine

Roman de Colette.

Minne est l’enfant chérie d’une veuve inquiète et très protectrice. Blonde enfant aux cheveux d’argent, Minne s’étourdit en lisant les aventures et les hauts-faits des canailles qui sévissent la nuit dans les faubourgs. « Pour Minne, tout cela est monstrueux et simple à la manière d’un roman d’autrefois. Elle sait, à n’en pas douter, que la bordure pelée des fortifications est une terre étrange, où grouille un peuple dangereux et attrayant de sauvages, une race très différente de la nôtre. » (p. 18) Dans ses rêves échevelés de petite fille, elle se voit au bras du Frisé, le célèbre coquin que les forces de l’ordre échouent à attraper, et régnant sur le monde des malfrats et des assassins parisiens. Que lui importe alors la fébrile admiration de son cousin Antoine, adolescent hésitant et maladroit ! Chipie aux idées terribles, Minne joue à la femme et essaie son pouvoir naissant sur ce pauvre cousin balbutiant et timide. « Antoine éprouve l’indigence des moyens de plaire, et qu’un amoureux ne saurait être beau, s’il n’est aimé… » (p. 51)

Mais les rêves de Minne la conduisent une nuit hors du nid maternel. Au terme de cette équipée tiède, il ne lui reste qu’à épouser Antoine. Si le garçon est follement reconnaissant d’avoir reçu Minne pour épouse, la jeune mariée cherche dans d’autres bras la passion qui manque à son couple. Mais d’amant en amant, se donnant sans chaleur, Minne ne trouve pas le plaisir que tous les romans chantent avec ardeur. Où la trouver cette fameuse extase ? « J’ai couché avec lui et trois autres, en comptant Antoine. Et pas un, pas un, vous entendez bien, ne m’a donné de ce plaisir qui les jetait à moitié mort à côté de moi ; pas un ne m’a assez aimée pour lire dans mes yeux ma déception, la faim et la soif de ce dont, moi, je les rassasiais. » (p. 158) Peut-être lui faut-il d’abord trouver l’amour mais, là encore, où se trouve-t-il ?

C’est avec plaisir que j’ai suivi les folles errances de Minne, enfant gâtée à l’imagination viciée. Mais bien davantage, j’ai éprouvé une tendresse agacée pour Antoine, mari amoureux disposé à tous les sacrifices tant qu’il garde auprès de lui une épouse indifférente. Colette parle avec humour de l’adultère : « Pourvu qu’une femme ait des faiblesses, la force du mari, moi, je m’en fiche ! » (p. 103) Voilà qui est dit et on se demande qui est la moins farouche, l’héroïne ou l’auteure…

C’est avec audace que Colette aborde la question de la quête du plaisir féminin. Au lieu de le considérer comme une fin en soi, elle en fait la preuve de l’existence de l’amour selon une conception très romantique et romancée de la relation physique. L’écriture est enlevée et un brin insolente : Colette se doutait qu’un tel sujet ne laisserait personne indifférent. Aujourd’hui, un siècle plus tard, la formule fonctionne toujours !

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L’horizon

Roman de Patrick Modiano.

Jean Bosman rencontre Margaret Le Coz dans le métro. La jeune femme est inquiète et dit craindre d’être retrouvée par un certain Boyaval. De son côté, Bosman garde un souvenir douloureux de l’emprise avare d’une femme aux cheveux rouges et d’un prêtre défroqué. Au gré des petits boulots qu’il décroche, le couple semble fuir une menace insidieuse tapie dans la ville. Fuyant un passé et tentant de se projeter vers un horizon plus clément, Bosman et Margaret forment un couple vain et sans force : chacun s’accroche à l’autre, croyant trouver une amarre dans un monde incertain.

Dans ce roman de Patrick Modiano, Paris semble sourdement dangereuse et peu commode. La capitale est à la fois un ogre et un labyrinthe. « Paris est grand. Impossible de retrouver quelqu’un dans la cohue des heures des pointes. » (p. 34) J’avoue ne pas avoir vraiment compris ce texte. Je me suis perdue dans les errances entre passé et présent des personnages. Contrairement à Bosman qui se retrouve sans problème dans la capitale, je me suis aussi perdue dans la géographie parisienne dessinée par l’auteur. « Il n’oubliait jamais le nom des rues et les numéros des immeubles. C’est sa manière à lui de lutter contre l’indifférence et l’anonymat des grandes villes, et peut-être aussi contre les incertitudes de la vie. » (p. 25)

Le style de Modiano est superbe, mais cela n’a pas suffi à m’accrocher. J’ai fini le roman par curiosité, mais je suis bien incapable d’en dire davantage.

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Harry & Hopper

Album jeunesse de Margaret Wild et Freya Blackwood.

Hopper est le nouveau chien de la maison. C’est le meilleur ami d’Harry. Le garçon et le chien  sont inséparables. Mais un jour : « One afternoon when Harry came home from school, there was no Hopper waiting by the gate. No glad yelping. No loving lick of the tongue. » Le chien est parti pour toujours et Harry traîne sa peine en silence.

Mais voilà que la nuit, au creux des rêves, Hopper revient pour une dernière partie de balle avec son ami. C’est seulement alors qu’Harry peut le laisser partir. « Goodbye, Hopper, said Harry softly. »

Bon, vous vous en doutez, une histoire pareille m’a fait pleurer à gros bouillons. C’est immanquable : un chien qui meurt et c’est les grandes eaux chez Lili Galipette. Il faut dire que c’est ancré dans le réel et que les souvenirs affluent toujours en masse. Bref ! J’ai adoré les dessins griffonnés et crayonnés : l’illusion du mouvement est impressionnante. Et le côté brouillonné laisse une certaine place à la pudeur des larmes. C’est peut-être une interprétation un peu trop alambiquée pour un album jeunesse, mais je le ressens ainsi.

C’est une très jolie histoire et qui peut aider un enfant à comprendre et dépasser le deuil. Mais à ne pas lire tout seul !

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Cadavre exquis

Bande dessinée de Pénélope Bagieu.

Zoé est hôtesse d’accueil dans les salons. Elle s’ennuie ferme dans son boulot et son histoire d’amour n’est pas au beau fixe. « Potiche d’accueil avec un mec chômeur qui dort en chaussettes, c’est pas ça ma vie. »Elle rencontre par hasard Thomas Rocher, un écrivain à succès en manque d’inspiration. Entre ces deux solitudes se noue une tendre histoire. Zoé envoie balader sa vie minable et Thomas retrouve le goût d’écrire.

Mais voilà qu’un soir Zoé trouve Agathe dans la cuisine. Agathe, c’est l’ex-femme et l’éditrice de Thomas. Jalouse de cette superbe working-girl, Zoé pressent un secret un peu immonde. Et elle s’interroge de plus en plus sur le comportement de Thomas qui refuse de sortir et qui est tellement obsédé par les critiques de la presse.

Zoé est peut-être jeune, mais elle n’est pas idiote. Et surtout, elle découvre la magie de la littérature en ouvrant Belle du seigneur. Dès lors, ne peut-elle pas être celle qu’elle veut ? La fin de cette histoire est tout simplement exquise ! Agrémenté de délicieuses références littéraires, cette bande dessinée m’a totalement charmée. Un peu de Gatsby par-ci, un peu de Solal par-là, une pincée de prix littéraires et d’esprit oulipien, et le tour est joué !

Le pinceau de Pénélope Bagieu nous avait habitués à des saynètes légères et tendres sur les déboires de jeunes femmes un peu futiles. Avec Cadavre exquis, elle nous offre une nouvelle facette de son talent d’illustratrice. Un peu chaperon rouge en détresse et carrément femme moderne, la jeune Zoé est particulièrement charmante avec ses tâches de rousseur. Cet album est à mettre entre toutes les mains, que vous soyez amateurs d’humour léger ou d’humour caustique.

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Billevesée du dimanche #1

JE VOUS SOUHAITE UNE TRÈS BONNE ANNÉE 2012 !

Entre deux galipettes littéraires, je vous proposerai désormais une futilité, une baliverne, une sornette, une fadaise, une faribole, bref une billevesée du dimanche. Ce ne seront que des informations véridiques, mais qui risquent fort de n’intéresser que moi…

Décidée à placer 2012 sous le signe de David Bowie, faut-il vraiment que je vous dise que ce génialissime artiste n’a pas les yeux vairons, mais bien bleus ? Une bagarre au collège lui a endommagé l’œil gauche dont la pupille reste constamment dilatée, ce qui donne l’illusion qu’un de ses yeux est noir.

Alors, billevesée ?

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L’épée d’Ardenois – I/IV Garen

Bande dessinée. Scénario et dessins d’Étienne Willem. Couleurs de Nicolas Imhof.

Alors que Garen, jeune lapin intrépide, s’exerce aux armes avec le chevalier d’Ardenois, le village de Chassenois est ravagé par le chevalier Hellequin de Bois-Maudits, un odieux bouc à la corne cassée. Ardenois s’élance à la rescousse des villageois, mais périt sous les coups perfides d’Hellequin qui s’empare de son épée et dévoile de terribles projets. « C’est justement l’enfer que je viens apporter aux trois royaumes. » (p. 8) Garen, dissimulé dans le bois, a assisté avec horreur à la mort de son ami. Poussé par un étrange hibou grand-duc, il se met en route vers Oddenbourg pour trouver le roi Tancrède le jeune et lui conter cette triste aventure. Dans la capitale du royaume de Bohan, Garen rencontre Arthus, Grimbert et la Fouine, anciens compagnons du chevalier d’Ardenois. Une vieille histoire refait alors surface : « Le roi Tancrède l’Ancien, armé de la lame de l’aube que l’enchanteur Maugis lui avait confiée, tua Nuhy à la bataille du Mont Quergnon… Le roi distribua les pièces de l’armure noire à ses capitaines en gage de paix et d’alliance. » (p. 28 & 29) Les quatre compères doivent désormais empêcher Hellequin de reconstituer l’armure noire et lutter contre une vieille malédiction.

La carte liminaire propose des toponymes extraordinaires : Herbeutagne, Valdor, Mer de Loth ou Skernovie. On devine une Angleterre romancée et fabuleuse. Le premier volume des aventures du jeune Garen est riche d’intertextualité : un peu de Robin des Bois version Walt Disney par-ci et un peu Roman de Renart, cette bande dessinée propose un anthropomorphisme très convaincant. Arthus, gros ours mal léché et au tempérament volontiers soupe-au-lait, est particulièrement attachant : difficile de ne pas voir la grosse boule de tendresse qu’il porte au fond de lui. M’est avis qu’il ne tardera pas à prendre le jeune Garen sous son aile (velue). Parlons-en de Garen ! Un lapin héros de bande dessinée, il était temps ! Est-ce que sa frimousse aux grands yeux humides participe de mon coup de cœur pour cette histoire ? Ceux qui oseront le prétendre auront tout juste ! Un lapereau chevalier, c’est tout de même vachement chouette ! Cette dernière réflexion d’une affligeante qualité littéraire ne doit pas vous faire oublier que la bande dessinée est très réussie !

Cette fable médiévale démarre sur les chapeaux de roue et j’ai hâte que le deuxième volume paraisse en librairie !

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Le bizarre incident du chien pendant la nuit

Roman de Mark Haddon.

Wellington, le grand caniche de Mme Shears, est retrouvé mort. Pour Christopher Boone, quinze ans, surdoué et autiste, il s’agit d’un meurtre. Décidé à l’élucider, il entreprend une enquête contre l’avis de son père qui n’apprécie pas de le voir mettre son nez dans les affaires des autres. Mais Christopher est têtu et il commence à écrire un texte aux allures de roman policier. « Ce ne sera pas un livre drôle. » (p. 22) Christopher promet de ne dire que la vérité, lui qui hait le mensonge et tolère à peine les approximations. « C’est pour ça que tout ce que j’ai écrit est vrai. » (p. 42) À mesure que son enquête progresse, Christopher découvre un autre mystère qui explique un peu la triste fin de Wellington. Et il embarque seul pour une découverte du monde, ce dernier étant l’espace au-delà du bout de la rue et de l’école.

Mark Haddon propose un roman touchant sur l’autisme et la différence en général. Christopher s’adresse au lecteur, en toute innocence et franchise, et il ne cache rien de ses peurs et de ses paniques. « Il faut que je ferme les yeux, que je mette les mains sur mes oreilles et que je grogne, et c’est comme si j’appuyais sur les touches CTRL + ALT + SUPPR, que je fermais les logiciels, que j’éteignais l’ordinateur et que je le réinitialisais, et après je peux me rappeler ce que je fais et où je dois aller. » (p. 231) Quand le cerveau du jeune garçon s’emballe, c’est toute une machine qui s’affole et l’apaisement ne vient que grâce au refuge qu’offrent les mathématiques.

Le roman s’agrémente de dessins techniques, de croquis scientifiques, de formules et de problèmes mathématiques. Les chapitres sont numérotés exclusivement avec des nombres premiers. Christopher mène des raisonnements clairs et décrit tout en mots. Le bizarre incident du chien pendant la nuit est un roman très ludique et c’est un plaisir de s’essayer aux exercices mathématiques que le héros résout si facilement, tel un Sherlock Holmes moderne. Christophe décortique à merveille Le chien des Baskerville, que je n’ai donc plus besoin de lire !

Le roman de Mark Haddon est-il un roman policier ? Oui mais pas seulement. C’est également une douloureuse fable familiale et un conte initiatique. Le héros, face au bouleversement de repères déjà fragiles, trouve en lui des ressources inconnues et se reconstruit un univers moins enchanté.

J’ai dévoré ce texte et je le recommande à tous type de lecteur. Touchant et drôle, ce roman a tout du divertissement grand public, mais il est fin et avisé. Ne vous laissez pas tromper par le titre et la couverture, ce n’est pas qu’un roman pour la jeunesse. J’aurais pu déflorer le sujet principal, mais je refuse de gâcher le plaisir de la découverte. Mark Haddon ne déroule pas une écriture magistrale, ni ne propose une plume extraordinaire, mais il présente avec simplicité et tendresse un sujet difficile.

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L’avant-dernière chance

Premier roman de Caroline Vermalle.

À Londres où elle est stagiaire sur un plateau de tournage, Adèle reçoit un texto de son grand-père à l’occasion de son vingt-troisième anniversaire. Charmante attention, mais pour le moins étonnante puisque le vieil homme est décédé un mois auparavant. Commence alors le récit des dernières semaines de l’existence de Georges Nicoleau qui, avec son voisin et ami Charles, a décidé de faire le Tour en France. Il n’est pas question d’exploits sur la petite reine, mais d’une virée en Renault Scénic. « C’était la dernière chance de quitter la scène avec un grand coup de chapeau. Il n’avait même pas besoin d’être grand, le coup de chapeau. Juste digne. Et le bonhomme, juste debout. » (p. 36)

Alors que sa fille Françoise ne cesse de s’inquiéter pour sa santé, Georges est bien décidé à laisser ses rhumatismes et douleurs au genou auprès de ses charentaises et de se payer une dernière tranche de vie. Seule concession à cette folie douce, il doit envoyer un texto à Adèle tous les soirs. De simplement informatifs, les SMS échangés entre l’aïeul et la jeune fille prennent la couleur des confidences et des sentiments. « Je n’avais pas vu le temps passer. » (p. 212) Chacun comprend que demain sera peut-être trop tard pour partager un lien.

Le Tour de France des vieux Georges et Charles est une dernière chance de vivre vraiment avant la mort. La cure de jouvence est bénéfique aux deux hommes, mais ce sont les SMS échangés avec Adèle qui redonnent à Georges le plus de vigueur. Ça et Giselle, la sœur de Charles… Ce premier roman nous rappelle à nous, jeune génération, qu’il ne faut pas enterrer nos vieux trop tôt, ni rester figé sur une image d’eux. À tout âge, les générations peuvent se surprendre et surtout se rencontrer. L’incompatibilité d’âge, ça n’existe pas !

Ponctué d’un passage désopilant sur l’écriture SMS vue par le vieux Georges, ce roman est surtout très tendre et émouvant. Avec un brin de magie à la sauce nouvelles technologies, je n’ai pas boudé mon plaisir !

L’avant-dernière chance a reçu le prix Nouveau Talent de la Fondation Bouygues Telecom-Metro : la condition de participation à ce prix littéraire est d’intégrer dans le texte le langage SMS et/ou les messageries instantanées. Nouveau mode épistolaire, ces échanges fondent une nouvelle langue avec ses propres codes. Caroline Vermalle m’a démontrée que le langage SMS peut prétendre à la littérature, même si je reste furieusement attachée à la bonne vieille grammaire française.

Vous pouvez retrouver l’auteure sur son blog.

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Astérix le Gaulois

Bande dessinée de René Goscinny, illustrée par Albert Uderzo.

Jules César est venu, il a vu et il a vaincu la Gaule. Enfin presque toute la Gaule… « Une région résiste victorieusement à l’envahisseur. Une petite région entourée de camps retranchés romains. » (p. 3) Dans un village, de valeureux Gaulois aiment la fête et les banquets, la chasse au sanglier et la taille des menhirs. Et par-dessus tout, ils aiment une bonne bagarre avec les Romains.

Mais c’en est assez ! Caïus Bonus, centurion du camp de Petitbonum veut découvrir le secret de la force incroyable des Gaulois. Il envoie le légionnaire Caligula Minus, déguisé en gaulois, espionner Astérix et ses amis. Le Romain découvre la fameuse potion magique : « Voici la potion qui rend invincible ! La potion qui décuple les forces du consommateur pendant un temps limité. » (p. 6) Caïus Bonus fait alors enlever le druide Panoramix pour obtenir le fameux breuvage et prendre la route de Rome et le trône de César. Mais c’est compter sans Astérix venu délivrer son ami et jouer un bon tour aux Romains.

Dans le premier album du célèbre Gaulois, Goscinny et Uderzo ont posé les fondations de tout un avenir d’humour : les noms des personnages, les notes explicatives, les contrepèteries, tout participe de l’humour par le mot. Pour ce qui est de l’image, on sent bien que les personnages se cherchent d’une case à l’autre. Il faudra quelques albums pour fixer enfin le visage aimable et rusé d’Astérix, la bouille ronde et goguenarde d’Obélix et la face vénérable et malicieuse de Panoramix. Point d’Idéfix pour le moment, mais c’est tout un univers qui se dessine au travers de ce premier album. Du plaisir en perspective !

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La fille aux cheveux étranges

Recueil de nouvelles de David Foster Wallace.

Petits animaux inexpressifs – Deux enfants sont abandonnés au bord d’une route. « Quand les deux gamins étaient petits, leurs parents les ont abandonnés. Il y avait la fille et son frère, Lunt. » (p. 33 & 34) Des années plus tard, dans un célèbre jeu télévisé, une jeune femme enchaîne les victoires. La raison de son succès ? Avoir été obligée d’apprendre par cœur une encyclopédie quand elle était enfant.

Par chance, l’expert-comptable pratiquait la réanimation cardio-pulmonaire – Dans le parking souterrain d’un immeuble de bureaux, un expert-comptable assiste à la crise cardiaque du vice-président. « Il appliquait la réanimation cardio-pulmonaire, frappait les douces bosses du sternum, et tous les quatre coups alternait en insufflant de l’air entre les lèvres pleines mais faiblement bleutées du vieux cadre. » (p. 73)

La fille aux cheveux étranges – Un groupe de punks se rend à un concert et se défonce au LSD. Parmi eux, « La Vrille a des cheveux uniquement au milieu de sa tête ronde et ils sont sculptés habilement pour avoir la forme d’un pénis d’homme géant en érection. » (p. 81) Mais ce ne sont pas ces cheveux qui sont l’objet de toute l’attention du groupe.

Lyndon – « Je m’appelle Lyndon Baines Johnson. Et le sol que vous foulez est à moi, bordel. » (p. 103) Ainsi s’ouvre l’entretien d’embauche que fait passer le sénateur Johnson à Dave Boyd. Alors que le sénateur devient président des États-Unis, tout le monde s’interroge sur la fulgurante ascension du jeune homme préposé au courrier, devenu le plus proche conseiller de l’époux de Lady Bird.

John Billy – C’est l’histoire de Chuck Nunn Junior, héros local qui a brillé du collège à la guerre du Viet-Nam. Mais toute gloire se passe. « Nunn, lui, le jour de sa déchéance, ça a été quand il a plu des moutons. » (p. 169)

Ici et là-bas – Dans une narration à deux vox, un couple évoque ses problèmes devant un thérapeute. Bruce est obsédé par son travail de recherche et son amie se sent délaissée. Mais Bruce l’aime pourtant. « Et l’endroit où vous voulez ‘emmener’ bien cette fille un jour ? Et pourquoi est-ce seulement au moment où elle est ailleurs à jamais qu’elle devient cet endroit dont la perte évoque des images de décapitation et de blessure ? » (p. 208)

Tout est vert – Un matin, Mitch annonce peu ou prou qu’il n’en peut plus de l’existence qu’il mène avec Mayfly. « Mais maintenant, j’ai le sentiment que je vais tout entier dans toi et que il n’y a plus rien de toi qui revient. » (p. 296)

Ces nouvelles sont étranges, entre langue absurde et langue hypnotique. Il est très difficile de savoir où l’on avance à mesure que l’on tourne les pages. Sans remettre en question le travail du travail, il me semble que ce livre est de ceux qu’il faut lire en version originale. Je n’ai pas fini la lecture de ce recueil. Je reprendrai peut-être plus tard les nouvelles ‘Mon image’, ‘Dire jamais’ et ‘Vers l’ouest fait route la trajectoire de l’empire’. L’impression générale que me laisse ce recueil est celle d’avoir côtoyé un génie et un très grand auteur. Et comme souvent dans ce genre de rencontre, je me suis sentie trop petite pour saisir la pleine mesure du talent qui m’était présenté. Et zut, c’est agaçant !

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Joyeux Noël

Joyeux Noël à tous et toutes !

N’est-il pas mignon, mon tout petit sapin ?

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Mouche-toi Cléopâtre

Roman de Françoise Xenakis.

Mariée à 14 ans à Ptolémée, son frère de 12 ans, Cléopâtre est une petite femme, mais sera une grande reine, « une reine d’Égypte qui voulait reconquérir le royaume perdu de son unique dieu, Alexandre. » (p. 12) Alors qu’au loin, par-delà la mer, Rome veut faire main basse sur les richesses d’Égypte, Cléopâtre est « est occupée à [se] durcir pour survivre. » (p. 19) Ambitieuse et courageuse, la plus célèbre des reines du Nil est aussi la femme qui plia deux illustres Romains, Jules César et Marc Antoine.

Royale sauvageonne, puissamment sensuelle et d’une féminité sans borne, la belle et troublante Cléopâtre a désormais pour ambition d’asseoir Césarion sur le trône de Rome et d’unifier les deux plus grandes puissances du monde, d’allier Orient et Occident pour la grande gloire de son fils.

Dure mais fragile, Cléopâtre est une reine, mais une femme avant toute chose. Sans cesse elle repousse ses peines et ses faiblesses pour porter front haut et en imposer à ses adversaires. Mais au fond d’elle pleure toujours une enfant qui serre trop fort les poings.

Françoise Xenakis livre une biographie romancée très convaincante. Au fil des pages, on suit les pensées de la reine d’Égypte. On la découvre spontanée, volontiers incontrôlable et dotée d’une langue acérée. Les portraits de Jules César et de Marc Antoine ne sont pas flatteurs : même si les hommes sont grands, ils ne valent pas grand-chose face à la superbe souveraine. En dépit de quelques longueurs, ce texte rend un bel hommage à une femme de légende.

De la même auteure, j’ai lu La natte coupée et Zut, on a encore oublié Madame Freud.

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Simon’s Cat se fait la belle

Bande dessinée de Simon Tofield.

Grognon, possessif, gourmand, teigneux, encombrant, insupportable, calamiteux et pourvu de tant d’autres qualités, voici le chat de Simon (Simon’s cat). Au sortir d’un bain aux allures de combat épique, le chat quitte le douillet foyer pour le vaste monde

Dans la campagne anglaise, le matou croise des oiseaux, des hérissons, des lapins et beaucoup d’autres animaux facétieux. Constamment affamé et toujours à la recherche d’un tour pendable à commettre, ce félin de salon est bien perdu dans la nature.

Avec son faux air de Garfield, Simon’s Cat est un chat hilarant aux aventures pince-sans-rire. En noir et blanc, les dessins muets de cet album sont délicieux et parfaitement expressifs. Un excellent moment de détente ! Je vous conseille également les vidéos. En voici deux, juste pour le plaisir.

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Les fées

Conte de Charles Perrault. Illustrations de Charlotte Gastaut.

Une veuve a deux filles. L’aînée est aussi vilaine et mauvaise que sa mère alors que la cadette est douce et charitable. Pour avoir accepté ou refusé de donner à boire à une fée, chacune des filles recevra un don différent. « Dorénavant, à chaque parole que tu prononceras, il sortira de ta bouche une fleur ou une pierre précieuse. » (p. 12) Ainsi est bénie la cadette alors que l’aînée n’obtient que la juste mesure de sa méchanceté. « Puisque vous êtes si peu serviable, à partir de maintenant, à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche un serpent ou un crapaud. » (p. 25) Bonté et générosité triomphent finalement de la fureur de la veuve et de l’égoïsme de la vilaine sœur.

Ce conte était l’un de mes préférés quand j’étais enfant. J’imaginais avec ravissement les flots de fleurs et de trésors et avec dégoût les hordes de bestioles gluantes sortant des bouches des deux sœurs. De ce conte m’est resté le réflexe de remplir tous les verres d’eau sur la table au début de chaque repas. On ne sait jamais…

Les illustrations sont magnifiques et me rappellent à la fois les œuvres de Klimt et celles du douanier Rousseau : le dessin est foisonnant et très dense, mais également extrêmement lumineux, avec des détails qui sortent presque de la page. Ce conte illustré est magnifique.

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Mary Poppins

Roman de Pamela Lindon Travers.

M. et Mme Banks sont bien embêtés : la nounou est partie et personne n’est là pour les enfants, Jane, Michael, John et Barbara. Mais voilà que souffle le vent d’est et Mary Poppins descend du ciel pour s’occuper de la marmaille. Attention, on ne rigole pas avec Mary Poppins : « on ne pouvait pas regarder Mary Poppins en face sans lui obéir. Il y avait en elle quelque chose d’étrange et d’extraordinaire, de terrible et de fascinant. » (p. 17) Mary Poppins ne se laisse pas marcher sur les pieds et mènent les quatre enfants Banks d’une main de maître.

Mais elle est aussi une gouvernante hors du commun. Avec elle, les enfants découvrent le gaz du rire, apprennent ce qui passe la nuit quand le zoo est fermé et comprennent comme les étoiles sont arrivées dans le ciel. Pour Mary Poppins, pas de limite à l’imagination ou aux merveilles ! Elle peut tout se permettre. « Elle, c’est la grande exception. Elle échappe à toutes les règles. » (p. 157)

La gouvernante est très coquette, mais il faut surtout noter son détestable caractère. Revêche et acariâtre avec les enfants, elle est d’une courtoisie exquise avec certaines personnes, mais elles sont bien rares. « Mary Poppins n’avait pas l’habitude de perdre son temps avec des gentillesses. » (p. 212) Le propre de cette nounou pas comme les autres, c’est de toujours dire non. Et pourtant, les enfants l’adorent et craignent de la voir partir. Mais que souffle le vent d’ouest et Mary Poppins s’envolera vers d’autres horizons.

Que voilà un personnage antipathique ! À la fois Madame Je-sais-tout et mère Fouettard, Mary Poppins est loin d’être la nounou dont j’aurais pu rêver. Je m’étonne que les jeunes lecteurs contemporains de l’auteure aient pu apprécier cette histoire, mais je suppose que ce qui me choque aujourd’hui participait à l’époque d’une forme d’éducation où les enfants devaient être matés et où l’expression « sage comme une image » avait du sens.

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Le film éponyme de Robert Stevenson, réalisé par les Studios Disney avec Julie Andrews et Dick Van Dyke, est de ceux qui j’ai vus des dizaines de fois étant gamine. La Mary Poppins de Disney est bien plus charmante. Bien que sévère et intransigeante avec la discipline, elle donne l’impression d’aider sincèrement les enfants dont elle a la charge. Le film développe à l’envi les scènes du livre et c’est avec un plaisir sans cesse renouvelé que j’ai suivi la belle gouvernante et les enfants Banks dans les méandres enchantés d’un tableau dessiné sur le sol. J’ai encore une fois échoué à prononcer Supercalifragilisticexpialidocious, mais je ne désespère pas…

À choisir, sans aucun doute, je prends le film !

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The Misfits

Texte d’Arthur Miller. Lecture de décembre du Club des lectrices.

À Reno, Roslyn obtient le divorce qui lui rend sa liberté. Ou sa solitude. En compagnie de la vieille Isabelle, elle rencontre Guido et Gay. Guido tombe immédiatement sous le charme de la très belle jeune femme, mais c’est Gay qui obtient ses faveurs. Le couple s’installe dans la maison abandonnée de Guido et la rencontre de ces deux solitudes oscille sans cesse entre rupture et réussite. Ivre de liberté, Roslyn ne peut néanmoins pas vivre seule. Et Gay trouve en elle une compagne unique : « La différence avec vous, c’est que je vous vois. Vous êtes la première femme que j’aie jamais vue pour de bon. » (p. 168)

Roslyn est à la fois fragile et étonnamment dynamique : « Vous avez le don de vie » (p. 108) lui dit Guido. Ce don lui rend tout être vivant sympathique, trop peut-être pour les cowboys qui savent d’instinct que toute existence et toute chose est vouée à disparaître. « Vous devriez cesser de croire que vous pouvez détourner le cours des choses. » (p. 73) Et de fait, on assiste aux dernières heures d’un mythe. Le Far West rend son dernier soupir sous les coups de lassos de cowboys qui attrapent des mustangs destinés à l’abattoir, des cowboys qui sentent que le monde n’aura bientôt plus besoin d’eux, mais qui veulent rester maîtres de leur vie, parce que « tout vaut mieux que des gages. » (p. 186) Comme les derniers chevaux sauvages des plaines d’Amérique, Gay, Guido et Roslyn courent à perdre haleine vers un lendemain qui ne ressemble pas du tout au rêve américain : « Rien que des misfits, ces chevaux… des tocards. » (p. 199)

L’écriture est puissamment cinématographique. Il s’agit d’un scénario, un roman écrit pour la caméra. Comme le dit Arthur Miller lui-même, « ceci est une histoire conçue comme un film, où chaque mot est là pour indiquer à l’appareil ce qu’il doit voir, aux acteurs ce qu’ils doivent dire. […] Les Misfits utilise finalement l’optique du film, en vue de créer une fiction qui allierait les qualités directes de l’image aux possibilités de transmission de l’écriture. » (p. 23) Derrière mon bouquin, petite lectrice qui n’a jamais vu le film, j’ai eu le sentiment d’être une caméra embarquée. Les descriptions, un peu comme les didascalies du théâtre, participent du décryptage d’une image qui n’existe pas encore, d’une image en devenir. Bref, une lecture dynamique et panoramique.

L’édition que je me suis procurée propose une interview liminaire d’Arthur Miller. Il y parle de l’Amérique, de l’Europe, des hommes, du tournage du film et des acteurs.Une incursion précieuse dans le monde de l’auteur/réalisateur. Le roman est dédicacé « à Clark Gable, qui ignorait la haine. » (p. 21)

Même si je ne suis pas certaine d’avoir vraiment cerné le personnage de Roslyn, j’ai passé un bon moment avec ces êtres en proie à une solitude douloureuse. Pas facile de vivre seul, mais pas facile non plus de vivre avec les autres.

Nous fêtons demain le Noël du Club des lectrices ! Joyeux Noël les filles !

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J’irai cracher sur vos tombes

Roman de Boris Vian.

Lee Anderson livre l’aveu jouissif d’une vengeance implacable. « Gérant de librairie à Buckton : voilà mon nouveau boulot. » (p. 12) Mais ce après quoi il court, c’est un objet sur lequel déverser sa haine et venger la mort du gamin, son petit frère. En attendant, il tue le temps avec une bande de jeunes gens aux mœurs plutôt légères. Puis il rencontre Jean et Lou Asquith et il sait qui subira ses foudres. Contrairement à Tom, son frère à la peau noire, Lee ne croit pas en la force de la religion pour surmonter les épreuves. « Il était trop honnête, Tom, c’est ce qui le perdait. Il croyait qu’en faisant le bien, on récoltait le bien, or, quand ça arrive, ce n’est qu’un hasard. Il n’y a qu’une chose qui compte, c’est de se venger et se venger de la manière la plus complète qui soit. » (p. 88)

Ce que personne ne sait, mais que certains soupçonnent, c’est que Lee Anderson est un nègre blanc. Et être nègre, ce n’est pas la meilleure façon pour un homme de rester en vie dans les années 1940, surtout s’il fricote avec des jeunes filles blanches. Mais Lee dissimule sa vraie nature. « Avec ces cheveux blonds, cette peau rose et blanche, vraiment, je ne risquais rien. Je les aurai. » (p. 49) Lee Anderson ne renie pas son sang, bien au contraire : « je sentais le sang de la colère, mon bon sang noir, déferler dans mes veines et chanter à mes oreilles. » (p. 85) Mais il se sert de sa différence de peau à son avantage pour exercer sa vengeance. Quoi de plus jouissif que de souiller deux filles blanches de toutes les manières possibles ? La vengeance de Lee s’accompagne en effet d’une quête de jouissance : le plaisir qu’il donne aux filles est d’autant plus partagé qu’il est lourd d’ironie et de cynisme. Au-delà des apparences, le mal se joue des pudeurs et des tabous.

Le récit que livre Lee Anderson est le lent déroulement d’une projection sur le futur. Dès le titre, une haine pure coule sur le texte et toute l’écriture en est imprégnée. La plume de Vian célèbre également le plaisir de blesser et de pervertir. Une fois sa vengeance consommée, la narration échappe à Lee et la fin du récit, attendue, est menée par un narrateur neutre, comme une caméra embarquée sur le capot d’une voiture de police qui filme tout au ralenti.

J’avais lu ce roman quand j’étais môme. Mon souvenir était flou et je ne me rappelais qu’un certain déplaisir. À le relire aujourd’hui, j’ai bien plus apprécié le style de Boris Vian et le cynisme de cette histoire. Au-delà d’une critique de la ségrégation et des brimades faites aux noirs, ce roman célèbre la liberté d’agir sans entrave et sans tabou. Tout simplement exaltant.

Le film de Michel Gast avec Christian Marquant, sorti en salle en 1959, est loin d’être fidèle au roman. Les personnages ont des noms différents et la poursuite de la vengeance n’est pas le cœur du film. Un autre méchant entre en scène et le héros principal a le cœur bien plus tendre que son homologue de papier. De noir, le film n’a en fait que la pellicule et l’histoire verse assez vite dans la parabole grossière du bon nègre/méchant blanc. La fin est d’un ennui considérable. Pas étonnant que ce pauvre Boris Vian soit mort durant la première projection du film…

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Le géant égoïste

Album jeunesse d’Oscar Wilde, illustré par Daniella Oh.

Dans le jardin du géant, les enfants aiment jouer de longues heures. « C’était un grand jardin ravissant. L’herbe était tendre et verte, parsemée de belles fleurs qui ressemblaient à des étoiles. Il y avait aussi douze pêchers qui s’épanouissaient au printemps en milliers de fleurs délicates, couleur de perle rose. En automne, ils donnaient des fruits magnifiques. » (p. 2) Mais un jour le géant décide de ne plus partager son jardin : il érige un mur très haut et les enfants ne savent plus où jouer.

Les saisons passent, le printemps revient, puis l’été, mais « dans le jardin du géant égoïste, c’était toujours l’hiver. Les oiseaux se souciaient peu d’y chanter, puisqu’il n’y avait pas d’enfants, et les arbres oubliaient de fleurir. » (p. 8) La neige, le gel, la grêle et le vent se sont installés et sont bien contents d’avoir tout un jardin rien que pour eux.

Un miracle arrive enfin : les enfants ont passé le mur et le printemps est revenu dans le jardin. Le géant est heureux de le partager avec ses nouveaux amis. « J’ai beaucoup de belles fleurs, […], mais les plus belles fleurs, ce sont les enfants. » (p. 24) Et le jour où le géant s’en va, il a tourné le dos à ses anciens travers.

Voilà un charmant conte pour enfant, parachevé par une délicate conclusion religieuse. Le texte, sans prosélytisme aucun, offre avec finesse une parabole pour les tout-petits. On y parle de partage, de confiance et d’amour.

Le géant, sous le pinceau habile et délicat de Daniella Oh, est bien vilain et effrayant, mais comme tous les êtres vivants, il ne peut se passer de chaleur, qu’elle soit solaire ou humaine. Et qui mieux que les enfants peut offrir sans réserve une présence douce et tendre ?

Cet album présente en outre une facette bien différente de l’auteur du Portrait de Dorian Gray : le héros est ici laid à l’extérieur, mais bon à l’intérieur. Oscar Wilde, un auteur complet ? Qui en doute !

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Été

Roman d’Edith Wharton.

North Dormer, village de la Nouvelle-Angleterre, est un endroit trop calme pour la fougueuse Charity Royall, mais elle est résignée « à considérer North Dormer comme la mesure de toute chose »(p. 10)

L’arrivée du jeune et beau Lucius Harney lui fait espérer un avenir plus grandiose. Sous prétexte de dessiner les demeures locales, le jeune homme parcourt la région accompagnée de Charity. Éblouie par le savoir d’Harney, Charity se prend à rêver de quitter North Dormer, d’échapper à cette société étriquée et soupçonneuse et de s’affranchir enfin de son tuteur, l’avocat Royall, un homme frustre et parfois brutal.

Mais la liberté n’est pas une proie facile. Charity vient de la Montagne, une région qui fascine et qui terrifie. Si la jeune fille a conscience de sa valeur et refuse de se donner au premier qui la demande, elle est aussi mortifiée par l’étendue de son ignorance et le mystère de ses origines. Cette ambivalence déteint sur sa relation avec Harney : si elle veut être à lui, elle refuse de se brader. « S’il la voulait, il faudrait qu’il la cherchât : qu’il n’obéît pas à une surprise des sens, qu’elle ne fut pas prise comme tant d’autres. » (p. 96)

À mesure que Charity goûte tous les charmes de la romance avec Harney, elle prend conscience des possibilités que lui offre la vie. « Rien ne change à North Dormer : les gens s’adaptent aux choses, c’est tout. » (p. 110) Mais peut-être est-ce moins dangereux que ce jeune homme si insouciant. Les dégoûts de la jeunesse peuvent devenir un refuge quand celle-ci est blessée.

Éclatante de jeunesse et de force, Charity oscille entre la perfection féminine incarnée par la belle Miss Balch et la fille perdue qu’est Julia, une ancienne enfant du village. Entre ce qu’elle voudrait être et ce qu’elle redoute de devenir, Charity a la tentation de revenir à ses sombres origines : « Sans doute il y avait dans son sang quelque chose qui l’attirait toujours là-bas à la Montagne, comme si c’était la seule réponse à ses questions, le seul moyen d’échapper aux angoisses qui l’assiégeaient de toutes parts. » (p. 208)

Encore une fois, Edith Wharton signe un roman qui célèbre la complexité féminine, fustige les sociétés bien-pensantes et apaise les orgueils farouches. Puissamment sensuel et non moralisateur, Été fait de la sexualité féminine un principe d’accomplissement : si l’image de « la fille » reste négative, celle de la jeune fille qui s’ouvre à la sensualité est porteuse d’une promesse de liberté. Sans être licencieux ou libertin, le roman d’Edith Wharton prône un certain affranchissement de la femme, qui peut être autre que la jeune fille à marier ou la fille perdue.

Je vous conseille deux romans de cette auteure épatante : Chez les heureux du monde et Libre et légère (billet à venir…)

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Dracula

Roman de Bram Stoker.

Tout le monde connaît le pitch ! Jonathan Harker, un jeune Anglais, invité par le comte Dracula en Transylvanie, est témoin de choses étranges et effrayantes. Le terrible seigneur se rend ensuite à Londres et fait de Lucy, une adorable jeune fille, sa proie et son esclave. Après la mort de la douce créature, une troupe d’hommes valeureux, mené par le professeur Van Helsing, part à la chasse au monstre jusqu’en Transylvanie, essayant ainsi de sauver Mina, l’épouse de Jonathan Harker. Ce roman est le creuset et la source de toutes les représentations fantasmées des vampires et de leur univers : le mythe du sang comme liquide vital par excellence, l’aspect sensuel et écœurant de la succion, le pouvoir protecteur de l’ail et des objets bénis, etc. etc.

Voilà pour le fond, je m’intéresse surtout à la forme. Le roman est constitué des différents journaux des protagonistes : ceux de Jonathan et Mina Harker, celui du Docteur Seward, celui de Lucy Westenra et celui de son fiancé, Arthur Holmwood. Il y a également des lettres et télégrammes échangés entre les personnages. D’un écrit à l’autre, le lecteur découvre d’abord les différents personnages et les liens qui les unissent. Au-delà des portraits des personnages se dessine en creux celui du héros, celui que tous traquent, le fameux Dracula. Alors qu’il est le personnage éponyme du roman, aucune de ses pensées intimes n’est dévoilée. Dracula est hermétique, mais il s’insinue partout. L’artifice littéraire que constitue la rédaction de journaux est prétexte au dévoilement de toutes les intimités. Le lecteur, comme Dracula, devient un profanateur et un violeur absolu qui ne connaît pas les limites de la pudeur.

À mesure que la quête avance et que la chasse au monstre est lancée, les protagonistes lisent les écrits des uns et des autres afin de constituer une somme de connaissances sur Dracula. Mais l’effet secondaire est une nouvelle destruction des barrières de l’intimité. Que le lecteur sache tout des personnages, c’est le principe même de la lecture, mais que les personnages deviennent transparents les uns aux autres, c’est pousser la volonté de savoir et la perversité de la curiosité à un paroxysme certain. « Chacun connaît à présent les secrets des autres et nul ne s’en porte plus mal. » (p. 313) Finalement, le roman de Bram Stoker crée une seule intimité et une seule conscience. Le groupe qui s’oppose à Dracula est une entité multiple, mais dont la pensée est unique et n’a qu’un seul but, détruire le vilain pas beau.

Le roman s’agrémente de quelques articles de journaux (l’anglais traduit mieux la différence entre newspapers et diary) qui décrivent d’étranges phénomènes, comme une tempête sur Londres ou l’apparition d’une très belle dame aux abords d’un cimetière. L’intrusion d’une réalité supposément objective ne sert en réalité qu’à nourrir les écritures subjectives des personnages qui, même s’ils prétendent faire acte de réflexion, se laissent constamment déborder par leurs émotions et leurs craintes.

Le plus moins prolixe d’entre eux est Van Helsing, mais ses propos sont toujours fidèlement rapportés par les autres protagonistes. À l’instar de Dracula, c’est parce qu’il produit peu de contenu écrit qu’il semble vraiment puissant. Van Helsing et Dracula ne s’incarnent pas dans l’écriture, mais dans l’action. Le professeur flamand est le seul réel adversaire du comte : les autres ne sont que des sous-fifres, certes dévoués et courageux, mais constamment sceptiques et sujets à des accès d’émotion. Van Helsing est « un philosophe, métaphysicien, un des hommes de science les plus avancés de cette époque, un de ces rares hommes qui, en dépit de son monstrueux savoir, ait gardé un esprit ouvert. Ajoutez à cela des nerfs d’acier, un tempérament que rien ne vient briser, une résolution indomptable, une maîtrise de soi, une tolérance sans pareille et, enfin, un cœur d’or. » (p. 155) Bref, il a tous les traits du héros sotériologique.

Reste Mina Harker, la deuxième victime féminine de Dracula. Dotée de toutes les qualités qu’une femme peut espérer, elle surpasse la valeur de son sexe : « Cette merveilleuse madame Mina ! Elle a le cerveau d’un homme, d’un homme supérieurement intelligent, […] mais le cœur d’une femme. » (p. 312) Bram Stoker ne cesse d’accumuler les poncifs au sujet de Mina et des talents des femmes. Passé cette écœurante misogynie, il faut reconnaître que Mina se pose en négatif du comte : bien que contaminée et attirée par le chant macabre du vampire, elle reste animée d’une âme pure. Mais en se livrant comme elle le fait au travers de son journal, elle ne peut prétendre au statut fascinant qu’occupe Dracula. Elle reste désespérément humaine et, à mon sens, désespérément insipide.

Un dernier point sur l’opposition entre l’Occident industriel et rationnel et l’Orient mystérieux et effrayant. Quand Jonathan Harker arrive en Transylvanie, il incarne l’homme moderne issu d’un monde de sciences et s’oppose immédiatement au comte Dracula qui ne vit que par les traditions et le folklore des siècles passés. C’est bien un choc des cultures et des époques qui s’opère. Quand Dracula rejoint l’Angleterre, ce choc se matérialise par la terrible tempête qui s’abat sur le port anglais. Le rationnel recule un peu et perd pied devant tant de puissance occulte. « Vous savez déjà combien l’étrange, ici, peut s’imposer à vous. » (p. 39) Mais les manifestations étranges ne suffisent pas à convaincre. Dracula, c’est aussi un roman de la croyance et du doute. Seul Van Helsing est pétri de certitudes, il est le prophète qui ouvre la voie et les esprits de ses compagnons. « Pensez ce que vous voulez. Ne craignez même pas de considérer l’impossible. » (p. 177), leur dit-il, ou encore « Vous ne croyez pas qu’il existe des forces que vous ne pouvez comprendre – ce qui n’exclut pas leur existence ? » (p. 255) En cela, c’est aussi au lecteur qu’il s’adresse. Van Helsing est l’avatar de l’auteur : dès le début, il détient le sens et le savoir et, même s’il use de précautions pour le diffuser, il n’a de cesse de vouloir convaincre son auditoire. Une fois que cela est fait, la chasse au monstre n’est plus qu’une formalité. Plus que détruire l’ignominie, il s’agit avant tout d’y croire.

Bon, et après tout ça, est-ce que ce roman m’a plu ? Je dirais que j’ai surtout pris plaisir à lire l’histoire d’un vampire qui soit un vrai méchant et non un adolescent blafard au régime sans protéine. La bit-lit, très peu pour moi, sauf celle où le vampire met du cœur à l’ouvrage !

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Un don

Roman de Toni Morrison.

Florens a été donnée en paiement d’une dette. « Prenez ma fille » (p. 36), a dit sa mère qui l’a tendue à Jacob Vaark comme on offre son meilleur trésor. Florens, fille d’esclave qui ne sait pas marcher sans soulier, a 16 ans quand la Mistress l’envoie quérir celui qui pourra la sauver de la variole. Mais Florens fait bien plus que cela : elle part à la rencontre du forgeron qu’elle aime. « Tu es celui qui me façonne et tu es aussi mon monde. C’est fait. Nul besoin de choisir. » (p. 87) Mais le forgeron est un homme libre et Florens ne peut rien attendre de cet amour fou. Cependant, son espoir est sauvage, insatiable : « Je reviens juste de toi, douloureuse de péché mais déjà impatiente d’en avoir plus. » (p. 121)

Dans la plantation Jublio, rien ne va dans le sens traditionnel. Sir et Mistress sont libres-penseurs et se sont écartés des chicanes qui opposent les baptistes aux presbytériens de leur région. Mais en 1690, même dans le Nouveau-Monde, il est impossible d’être sans culte, de vivre retranché du monde et encore plus inconcevable d’entretenir des liens humains avec les esclaves. La Mistress Rebekka et l’esclave Lina sont amies, unies dans la découverte partagée d’un monde inconnu et hostile à toutes les originalités.

L’amour maternel sous toutes ses formes est au cœur du texte, qu’il s’agisse de la mère privée de ses enfants, de l’enfant avide d’amour ou de la femme en mal de grossesse. Cette récurrence de sentiments place le roman sous l’égide des femmes, même si ces dernières ne sont que faibles et conscientes de leur infériorité dans un monde soumis à la brutalité. Le don, c’est celui de la vie et il prend de nombreux visages. Est mère celle qui porte l’enfant, celle qui l’offre au monde, mais aussi celle qui sait que la plus douloureuse des séparations sera la meilleure des chances.

La traite des esclaves est un sujet déjà largement exploré en littérature. Ce n’est pas la première fois qu’un auteur donne la parole à un Noir. Ici, ce sont plusieurs d’entre eux qui se font entendre : d’abord Lina qui semble la plus raisonnable, puis Sorrow qui l’est un peu moins, mais aussi Scully, homme en servitude qui s’accommode de sa situation. Mais la voix principale est celle de Florens. Elle est la seule dont le récit se déroule à la première personne de narration. Le long monologue amoureux que déroule la jeune fille oscille entre psalmodie et délire. Les autres voix, à la troisième personne de narration, sont plus posées et elles présentent par touche la plantation Jublio et l’histoire de la famille Vaark. Le roman se fait polyphonique et est servi par une oralité parfaitement maîtrisée. Ce que l’on lit ressemble aux récits qui se transmettent au coin du feu, comme la légende d’une malédiction.

La temporalité est floue. Les différents récits débutent à des moments divers et font la part belle aux allers-retours entre présent et passé. À la fois projection et réminiscence, le roman de Toni Morrison est mouvant. C’est probablement cette imprécision temporelle qui a rendu ma lecture si difficile. Souvent je me suis perdue dans cette chronologie bouleversée. Et c’est dommage parce que l’histoire est belle, sous-tendue de passions diverses et affolantes. Il y manque un je-ne-sais-quoi qui aurait permis que le flou soit clarté et adhésion. Je sors de cette lecture un peu frustrée et triste de ne pas avoir tout apprécié.

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L’Écoute-aux-portes

Album jeunesse de Claude Ponti.

Alors qu’elle enfile sa chemise de nuit, Mine se retrouve dans un monde étrange où tout est blanc et plat. Quelqu’un a arrêté de raconter une histoire et voilà que tout va de travers. Mine doit retrouver « l’Écoute-aux-portes qui se cache derrière les portes des chambres d’enfant pour écouter les histoires que les parents racontent le soir » (p. 20) parce qu’il est « le seul à pouvoir retrouver l’histoire arrêtée. »

Mine est toute petite, mais elle est courageuse. Elle traverse la Forêt-Profonde et retrouve l’Écoute-aux-portes, puis elle aide tous les personnages de toutes les histoires du monde à traverser un précipice. Et surtout elle relance l’histoire arrêtée. Tout cela mérite bien une histoire avant d’aller se coucher, n’est-ce pas ?

Comme toutes ses autres histoires, cette œuvre de Claude Ponti mêle ce qu’il faut de loufoque et de merveilleux pour faire une histoire unique. Les illustrations, dans un style qui n’appartient qu’à lui, m’émerveillent toujours autant. Les bestioles y sont étranges et adorables, grondantes et douces à la fois. Bref, Claude Ponti, mon auteur jeunesse par excellence !

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Interview de Lydia Bonnaventure

Pour cette deuxième interview, c’est Lydia Bonnaventure qui est passée à la question. Et l’expression est assez appropriée quand on connaît sa passion pour le Moyen-Age. Je vous invite à lire son essai La maladie et la foi, aussi intéressant que facile d’accès.

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Quel est ton parcours universitaire et comment es-tu venue à l’histoire ?

J’ai une maîtrise de Lettres Modernes. J’ai toujours été passionnée par la littérature et l’Histoire. A l’école déjà, c’était deux de mes trois matières préférées (avec la biologie, ce qui explique peut-être le thème de mon Essai ). Il m’est presque impossible de dissocier les deux. Je pense honnêtement que l’Histoire fait partie de nous. Ne pas la connaître, c’est rater de grands pans de notre humanité. Voilà pourquoi, à présent, mon site et mes écrits sont basés sur ces deux axes.

Comment as-tu découvert Gautier de Coinci et ses écrits ?

Grâce à mon directeur de recherches. A l’époque, le mémoire de maîtrise devait faire entre 80 et 120 pages (format A4 bien sûr). Autant dire que pour arriver à écrire autant, il fallait que le sujet plaise. Mais il fallait également s’assurer qu’il n’ait jamais été traité. Lorsque Paul Bretel, éminent médiéviste, m’a fait connaître cet auteur et, surtout, m’a proposé de travailler sur les maladies au Moyen âge, je n’ai pas hésité une seule seconde. Ce thème m’intéressait vraiment. Et j’ai trouvé ce Gautier plutôt attachant et atypique (notamment dans son lexique).

As-tu fait des recherches médicales ou es-tu entrée en contact avec des médecins ou scientifiques pour comprendre les différentes maladies évoquées par Gautier de Coinci ?

J’ai effectivement fait quelques recherches médicales (livres, revues) pour m’assurer que je ne racontais pas n’importe quoi. En revanche, je ne suis pas entrée en contact avec des médecins ou des scientifiques. Gautier de Coinci utilise toujours les mêmes maladies car pour lui, elles ne sont finalement qu’un prétexte pour engager les gens à vénérer la Vierge. Ce sont des maladies « typiques » donc facilement décelables. Le plus difficile pour moi fut de trouver la raison pour laquelle il ne prenait à partie que certaines maladies.

Combien de temps t-a-t-il fallu pour écrire cet essai ?

Il faut déjà compter un an pour le mémoire de maîtrise qui a constitué ma base. J’ai ensuite repris ce dernier et ajouté toute la partie historique qu’il manquait puisque le mémoire avait pour thème la littérature médiévale et non l’Histoire à l’époque. J’ai élagué, ajouté… bref, au final, il n’en reste plus qu’un quart. Pour écrire l’essai en lui-même, j’ai commencé en septembre 2010 et j’ai fini en janvier 2011.  Quatre mois, donc… Mais encore une fois, j’avais ma base.

A l’heure actuelle, je travaille sur un deuxième essai qui, cette fois, partira de l’Antiquité pour arriver au XIXe siècle. Le sujet sera totalement différent. Je vais mettre beaucoup plus de temps à l’écrire. Il m’a fallu travailler sur les sources historiques (j’y suis dessus depuis 4 mois) et je commence à peine la rédaction.

Comment es-tu entrée en contact avec les éditions de la Louve ? Entre nous, il est comment ,le grand Jean-Louis Marteil ?

Eh bien, c’est Jean-Louis Marteil qui est entré en contact avec moi après avoir trouvé mon blog. Comme quoi, internet est utile. Le courant est passé de suite entre nous. Lorsque je lui ai proposé mon projet, qui me tenait à cœur depuis un petit moment, il n’a pas hésité non plus.

Le « grand Jean-Louis » est profondément humain. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. On peut lui faire confiance. Il croit en ses auteurs, donne des conseils en toute gentillesse … Bref, c’est un éditeur très sympathique sur qui on peut compter.

Tu tiens un blog sous forme d’éphéméride historique : d’où t’es-venue cette idée et quelles sont tes sources pour alimenter ce blog tous les jours ?

L’idée m’est venue du fait que j’allais tous les jours sur d’autres sites pour voir les éphémérides. Je trouve cela plutôt sympathique et c’est une source d’enrichissement. Je ne traite qu’un seul événement par jour car je n’ai pas le temps d’en faire plus. Mais cela me permet d’avoir ma petite dose historique quotidienne.

Ma principale source est le site Herodote où je suis abonnée (je vais également sur « La France pittoresque » et sur « linternaute »). Lorsqu’un événement me plaît, je vais ensuite voir les sites le concernant et j’essaie d’en faire une synthèse.

Quelle lectrice es-tu ? Dévoreuse ? Appliquée avec un carnet de notes ? Polyvalente avec plusieurs lectures en cours ?

Certainement pas appliquée en tous les cas, ne prenant jamais de notes. Je trouve que cela gâche le plaisir de la lecture. Polyvalente, c’est certain. J’ai toujours plusieurs ouvrages en cours de lecture. Dévoreuse, c’est sûr. Et je rajoute « compulsive ».  Lorsque je vais dans une librairie, je n’achète jamais qu’un ouvrage. J’en ressors toujours avec une dizaine… minimum !

J’aime particulièrement les romans (surtout lorsqu’ils sont historiques d’ailleurs), les polars, les nouvelles, le théâtre. Mon point faible ? La poésie… je n’aime pas vraiment.

Bref, je vis entourée de mes livres. J’en ai toujours un à portée. Je crois qu’ils me rassurent.

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Un grand merci, Lydia, pour la rapidité avec laquelle tu as répondu à mes questions et surtout pour avoir accepté mon indiscrétion littéraire.. Amis lecteurs, faites un tour sur son site et mettez un peu d’histoire dans vos journées !

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D’autres prendront nos places

Premier roman de Pierre Noirclerc.

Pierre, la vingtaine un peu entamée, monte à Paris dans l’espoir de faire quelque chose de sa vie. Mais il n’y trouve que la solitude et une forme vicieuse de galère. « J’avais pas toujours souffert d’insomnie. J’avais pas toujours été obligé de boire pour dormir et pour supporter la vie éveillé. Ça remonte à loin. Je devais être enfant et avoir de l’espoir. » (p. 96) Chaque démarche, professionnelle ou personnelle, est une nouvelle incarnation de la lutte pour la survie. « J’ai pensé à tous ces gens qui ont le pouvoir et qui l’utilisent pour briser des échines et accabler leur prochain. Les hommes politiques, les grands patrons et les petits chefs, les musiciens et les femmes. » (p. 68) Autant dire que Pierre ne situe pas bien haut sur l’échelle de la réussite ou de l’ambition. D’ailleurs, selon lui, « l’ambition, c’est quelque chose qui résulte de l’angoisse de manque. Moi, je manquais de tout donc rien ne pouvait me manquer. » (p. 161)

Quelques velléités d’écriture le taraudent, mais comme il dit, « on est écrivain qu’une fois qu’on a publié. En attendant, on est un tocard. » (p. 137) Du fond de son inaptitude, Pierre jette un œil lucide sur ce qu’est devenue sa vie. Entre tuer le temps et tout faire pour oublier qu’il passe, il boit trop et postule sans enthousiasme à des offres d’emploi qui ne lui correspondent pas. D’entretiens foireux à des jobs minables, il survit comme il peut avec le RSA et les allocations et trompe la solitude en rencontrant des filles sur Internet. Après plusieurs relations maladroites ou sans intérêt, il rencontre Chloé. Elle est belle, sa carrière débute et elle ne semble pas vouloir le jeter comme un malpropre. D’accommodements en renoncements, Pierre trouve pied dans une existence qui n’est malgré tout pas vraiment faite pour lui. Mais il faut bien avancer, avant de laisser sa place à d’autres.

Entre cynisme et lassitude, ce premier roman brosse un portrait convaincant d’une génération perdue. La langue est enlevée et je ne me suis pas ennuyée un instant. Les pages se tournent à toute allure et c’est sans mal que je me souvent reconnue entre les lignes. Galère, mon amie, tu as bien des visages… Y a-t-il des échos autobiographiques dans ce roman ? Probablement, mais ce n’est pas ce qui importe. C’est plutôt de voir que le mal de vivre version 2.0 peut s’écrire avec autant de talent que le mal de vivre d’un Baudelaire ou d’un décadent.

Un grand merci à l’équipe du site  qui m’a envoyé ce premier roman très réussi et un autre merci à Pierre Noirclerc pour son aimable dédicace. L’auteur a été découvert par les professionnels du site et on peut saluer leur flair !

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Petit lapin rouge

Album jeunesse de Rascal, illustré par Claude K. Dubois.

Petit Lapin Rouge est un jour tombé dans un pot de peinture rouge, d’où son nom. « Aujourd’hui, Petit Lapin Rouge doit porter un pain d’épice, une botte de jeunes carottes et du sirop pour la toux à sa grand-mère qui a la grippe. » (p. 10) Le lapinou, tout de rouge couvert, doit prendre garde au vilain chasseur et ne parler à personne. Cela ne vous rappelle rien ? Et devinez qui il croise sur le chemin forestier. Un petit chaperon de la même couleur que lui… Chemin faisant, les deux compagnons comprennent qu’ils sont chacun le héros du livre préféré de l’autre. Mais comme les deux histoires tournent au vinaigre, Petit Lapin Rouge et Petit Chaperon Rouge décident de faire un sort aux fins qui font peur. Et finalement ? Finalement, « un lapin et une petite fille pique-niquent paisiblement sur un tapis de fleurs odorantes. » (p. 30)

Cet album est un vrai bijou. L’histoire est originale : je suis toujours friande des parodies et des réécritures, alors s’il y a un lapin dans l’histoire, c’est doublement gagné ! Les illustrations de Claude K. Dubois sont par ailleurs très réussies, douces et tendres comme je les aime, un peu comme celles de Beatrix Potter (encore des lapins…)

Pourquoi une telle lecture ? Et bien, parce que Noël a chaussé ses bottes de sept lieues et se rapproche à grands pas et parce je suis une marraine qui fait ses devoirs avant de retrouver sa princesse québécoise et de lui lire de belles histoires…

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