Roman d’Herbjorg Wassmo.
« Est-ce habituel d’avoir oublié sa vie quand on a quinze ans ? » (p. 14) Il était une fille qui grandit entre une mère silencieuse et un père qu’elle déteste, à juste titre. « Son père fait toujours obstacle au monde. Aux gens qu’elle rencontre. Aux évènements. Son père est une ombre qu’elle essaie toujours de gommer, mais ça ne marche pas. Il a le pouvoir d’envahir ses rêves tant et si bien qu’elle se retrouve tout à coup debout au milieu de la pièce dans la nuit noire. Il diffuse au travers de toute chose une répulsion fétide. » (p. 22) Pour échapper à sa jeunesse douloureuse, la fille écrit et elle s’évanouit. Et puis elle tombe enceinte et laisse son fils chez ses parents pour continuer le lycée. Plus tard encore, elle se marie, devient institutrice près du cercle polaire. Elle écrit toujours et on la publie, on la récompense. « Il existe une infinité d’histoires. Il suffit de les trouver. Ou qu’elles nous trouvent ? » (p. 63)
Cette fille se réinvente sans cesse : institutrice, chasseuse, mère, autrice, amante. Mais elle a le sentiment que la vie passe sans elle et elle souffre de ce décalage avec elle-même, avec les autres. « La vie a des possibilités insoupçonnées. Il faut juste qu’elle effectue d’abord sa journée de travail. » (p. 144) Cependant, à force de volonté et poussée par la conscience que sa féminité est un pouvoir, elle ne renonce jamais et refuse d’être la victime silencieuse des hommes et des convenances. « Tu fais preuve d’une singulière capacité à tomber sur des hommes minables. […] / Dois-je soupçonner tous les hommes ? M’abstenir de leur parler ? / Non, mais il faut leur montrer qui tu es dès le premier instant. » (p. 305) Sa puissance et sa détermination, elle la tire des conversations qu’elle a avec des absents, voire avec des personnes disparues, comme un auteur célèbre de sa région natale ou encore Simone de Beauvoir.
Aucun personnage n’est nommé. Les pronoms, les fonctions et les adjectifs suffisent à dessiner les caractères et à révéler les âmes. C’est preuve du très grand talent de cette autrice dont j’ai déjà tellement aimé Le livre de Dina.