De grandes dents – Enquête sur un petit malentendu

Essai de Lucile Novat.

« Je crois que ce que nous enseigne Le petit chaperon rouge, c’est que le danger n’est pas dans la forêt, mais bien plutôt dans le foyer. Qu’il n’y a pas tant à se méfier des loups inconnus que des loups familiaux. Qu’on risque moins quand on part à travers bois que lorsqu’on glisse dans le lit d’un membre de sa famille. » (p. 15) Voilà qui me semble évident et qui mérite d’être dit et répété. Oui, les contes de fées sont des récits métaphoriques : encore faut-il chercher quelle est la métaphore. Ici, l’autrice parle de pédophilie, d’inceste et de tabou. Oui, programme chargé, je sais, mais se taire ou fermer les yeux, ça ne fait pas disparaître le problème, ça l’absout, et pas de ça chez moi ! Lucile Novat explore les contes de fées, dont le fameux qui envoie une belle enfant se promener dans les bois avec une jolie coiffe rouge, mais aussi diverses affaires fortement médiatisées. En notes de bas de page, elle raconte son enfance, son rapport au danger et la découverte progressive de l’histoire de sa propre mère.

Qui sont les monstres ? Où sont les ogres qui dévorent les innocent·es ? Une fois encore, il faut rappeler que les fauves aux babines sanglantes, les pervers dissimulés dans les parkings souterrains et les brutes qui enlèvent leur victime dans des camionnettes ne sont pas la majorité des coupables : la menace se tapit – ou plutôt s’épanouit dans le confort du foyer familial. Oui, les violences intrafamiliales ont un caractère systémique. Non, on ne va pas arrêter de le répéter, pas tant que l’omerta continuera de peser et que la parole des victimes – quand elle n’est pas étouffée –, sera minimisée. En évoquant les contes de la culture populaire, Disney ou encore Twin Peaks, en citant les terribles affaires Dutroux, Outreau ou encore Kampusch, Lucile Novat mène une démonstration limpide. Son ton enlevé, direct et ironique, parfois familier et sainement furieux est de très bon aloi : il faut interpeler le lectorat, le secouer de son confort tiède et lui remettre les points sur les i. « Un conte ne peut pas se résumer à la morale qu’il affiche. Ces quelques phrases bien ciselées […] doivent être lues avec attention, mais aussi avec méfiance. » (p. 91)

Après cet essai simple, clair et brillant, Lucile Novat propose un texte littéraro-ludique, Barbie-Bleue, un conte dont vous êtes le Perrault. À vous de décider si notre jeune héroïne se soumet à un mariage arrangé/forcé ou si elle cherche à échapper à son destin formaté. Vos choix vous entraînent d’une péripétie à une autre, toutes inspirées des contes de Perrault et des frères Grimm. « Que faites-vous là ? Tricheuse. Cette page n’existe aucune des combinaisons qui vous étaient proposées. Vous avez désobéi. C’est bien. » (p. 134) Le caractère interactif de l’ebook est absolument parfait pour ce genre de récits ludiques.

L’ouvrage de Lucile Novat est un incontournable. Il faut parler de l’inceste, il faut croire les victimes et il faut agir pour protéger les enfants. Il y a urgence, bien plus que restaurer un ersatz de service militaire pour mater la jeunesse, Macronie de merde !

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