Bien des années après l’intrigue dépeinte dans Journal d’une femme adultère, le psychologue Charlie Perlmutter reçoit dans son cabinet Hannah Schwartz. La quinquagénaire mène une vie simple et rangée, quasi monacale et parfaitement solitaire, mais la nuit, ses rêves sont des inventions fantasmagoriques dignes des inventeurs les plus originaux. « Dans mes rêves, j’ai de nombreux talents. […] Et après, je me réveille et je ne suis que moi-même, banale et plan-plan. » (p. 34) Hannah raconte ses nuits, comme autant de récits enchâssés, et Charlie les interprète. « On dirait des histoires, ou des romans, avec commencement, milieu et fin. » (p. 15) Dans les rêves d’Hannah, les aventures saugrenues se succèdent aux manifestations physiques improbables et fantastiques. C’est finalement un recueil d’histoires à la Borgès que la très sage épouse juive de Brooklyn raconte à son thérapeute. « Je suis juste allée épousseter mes étagères et je suis tombée dans un livre et maintenant je voudrais en sortir. » (p. 19) En passant du récit principal aux multiples fictions oniriques, le lecteur déambule dans un univers mouvant. Et c’est à peine s’il peut se raccrocher aux limites des chapitres dont la numérotation est des plus fantaisistes et dont la longueur varie dans des proportions déconcertantes.
Marqué par le souvenir traumatique de sa relation avec Aviva, la superbe protagoniste du Journal d’une femme adultère, Charlie Perlmutter fait son possible pour résister à l’attirance qu’il éprouve pour Hannah. « De même que j’étais déduit par les rêves, j’étais séduit par la rêveuse. » (p. 131) En revanche, il se laisse entraîner avec moins de scrupules dans une relation complexe avec la jeune Michelle. « Afin de protéger la vie privée des deux femmes que vais vous dépeindre, j’utiliserai leur véritable nom. » (p. 9) L’humour étant souvent la meilleure défense face au pire – vive l’ironie tragique ! –, Charlie Perlmutter en abuse. Vous comprendrez pourquoi à mesure que le roman dévoilera son plus fracassant rebondissement. Le psychologue lance fréquemment des attaques goguenardes au lecteur, défiant parfois la politesse élémentaire, mais avec un talent certain pour clouer le bec à ceux qui posent des questions stupides. « Tu l’as écrit sous un nom de plume ? / Non. […] Sous un pommer. » (p. 11) Car il faut préciser que Charlie Perlmutter revendique d’être le héros du Journal d’une femme adultère, mais aussi et parfois son auteur. Brouillant les pistes avec l’identité, le narrateur efface l’écrivain… ou lui rend sa véritable place. « J’avais coutume de dire que mon copain, Curt Leviant, avait écrit le livre et fait de moi l’un des protagonistes. » (p. 11)
Ce nouveau roman de Curt Leviant sort dans sa traduction française avant même d’être paru aux États-Unis. Je ne boude pas mon plaisir, car beaucoup des textes de cet auteur ne sont pas traduits en français. Hélas, le texte est parsemé de coquilles ! Je le sais, déformation professionnelle… Et depuis que j’enseigne à l’université, je vois encore plus les erreurs d’accords, de conjugaison et autres fautes de français. J’accorde cependant le bénéfice du doute au travail de relecture, en retenant une phrase au tout début du roman. « Quelquefois, le subconscient parle à la place du cœur et il émet ses propres directives, outrepassant la grammaire et les règles de la linguistique, mot dérivé de la langue. » (p. 7) Il est certain que je relirai ce roman, comme j’ai déjà relu Journal d’une femme adultère. En attendant, je le range précieusement dans ma bibliothèque, à côté de la place vide de son prédécesseur. J’ai prêté mon exemplaire du Journal à un membre irrégulier de mon groupe de lecture, et cette personne tout à fait indélicate ne me l’a jamais rendu. Le livre n’est plus édité : il me faut donc le trouver d’occasion, si possible dans un état potable… Et j’ai plus que jamais envie de relire L’énigme du fils de Kafka, autre roman de l’auteur publié en français !