Billevesée #249

Tout le monde connaît le jeu (de mains, jeu de vilains) Pierre-feuille-ciseaux. La pierre casse les ciseaux. La feuille enveloppe la pierre. Les ciseaux coupent la feuille. Bref, chaque accessoire en bat un et est battu par un autre.

Il permet aux gamins de se départager et c’est aussi un jeu de stratégie.

La première version de ce jeu est japonaise, sous le nom de Chenille-Serpent-Grenouille.

Alors… La chenille mange la grenouille. Le serpent mange la grenouille. Et la chenille, euh… je ne vois pas !

Alors, billevesée ?

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Le garçon

Roman de Marcus Malte.

En 1908, dans le sud de la France, le garçon se retrouve orphelin. Celle qui était sa mère est morte. Où aller désormais ? « Il sait qu’il se trouve d’autres hommes sur terre mais il n’a pas idée de leur nombre. » (p. 31) Le garçon quitte sa masure et son isolement pour se frotter au vaste monde. Il ne le connaît pas. Il veut tout apprendre. Devenir un homme. « Ce qu’il va gravir maintenant n’est rien de moins que la montagne de la civilisation. » (p. 229) D’abord recueilli par un petit village, puis par un lutteur formidable qui vit dans une roulotte, le garçon rencontre Emma. La jeune fille sera son amie, sa sœur, son amante, sa mère, son univers. Vient la guerre et le garçon part dans les tranchées. À son retour, Emma l’attend. Reste à vivre le bagne, la jungle amazonienne et la solitude encore. Et jamais le garçon ne prononcera un mot.

Garçon, le héros l’est par son sexe et sa solitude. S’il est momentanément fils, ami, amant ou soldat, il redevient toujours le garçon. Son identité se résume à ce vocable. Il est un singleton, mais jamais une anomalie. Son mutisme constant enrichit son anonymat qu’Emma a coiffé d’un prénom et d’un nom. Mais seul, abandonné, le garçon n’est que cela, un garçon. C’est à la fois un mystère et une légende. Le garçon aurait pu être un enfant sauvage, un fou, un ermite. Il a choisi le monde, mais reste à sa lisière, lui qui est plus enfant du silence que de la société.

Ce récit sensoriel et sensuel est souvent affolant d’érotisme et parfois troublant de terreur. Entre musique et extase du corps, l’auteur touche au sublime. Et quand il parle de mort et de gorges tranchées, les images ne sont pas moins belles, seulement plus poisseuses. Marcus Malte a produit un roman puissant et façonné un personnage fascinant.

*****

J’ai lu ce roman dans le cadre des Matches de la rentrée littéraire de PriceMinister. Cette année, j’ai été invitée à partager mon avis sur Instagram et non sur mon blog. Ma participation officielle (et j’espère originale) est donc à retrouver sur mon compte Instagram.

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Et tu n’es pas revenu

Texte de Marceline Loridan-Ivens. Co-écrit avec Judith Perrignon. Suivi d’un dossier d’Annette Wieviorka.

En mars 1944, à quinze ans, Marceline a été déportée à Birkenau. Son père, son très cher père, a été envoyé à Auschwitz. Hasard ou chance, il a réussi à lui faire passer une ultime lettre, quelques lignes perdues dans la mémoire de la narratrice. Des décennies plus tard, obsédée par le souvenir oublié de ce message, elle répond à son père. À son papa. « Ce mot est sorti de ma vie si tôt, qu’il me fait mal, je ne peux le dire que dans mon for intérieur, surtout pas l’articuler. Surtout pas l’écrire. » (p. 15) Shloïme Rosenberg est le seul à ne pas être revenu et son absence meurtrit toute la famille, épouse et enfants. C’est un non-sens, une injustice hurlante. Shloïme, dit Salomon en France, aimait ce pays. Il y avait acheté un petit château, à Bollène, pour loger les siens et tenter de s’enraciner dans cette terre qui ne l’a pas laissé faire. « Tu n’es pas mort pour la France. La France t’a envoyé vers la mort. Tu t’étais trompé sur elle. Pour le reste, tu avais vu juste. Je suis revenue. » (p. 51) Au prix d’une volonté farouche de survivre, Marceline est revenue. Mais ô combien blessée, pour toujours marquée, à jamais différente. « J’ai été quelqu’un de gai, tu sais, malgré ce qui nous est arrivé. Gaie à notre façon, pour se venger d’être triste et rire quand même. » (p. 7) De toutes ses forces, elle a tenté de vivre, surmontant la difficulté d’avoir échappé à la mort. Fallait-il revenir des camps, demande-t-elle à la fin de sa lettre ?

Entre épitre intime et témoignage, le récit à quatre mains de Marceline Loridan-Ivens et de Judith Perrignon est un texte bouleversant, comme tous ceux parlant de la Shoah et de la culpabilité du survivant. On sait la vie de Marceline après son retour de Birkenau et les terribles marches de la mort. Si elle prend la plume à 80 ans passés, ce n’est pas pour accuser, ni pour regretter, peut-être pour se soulager un peu et se préparer à rejoindre celui qu’elle n’a jamais cessé d’attendre. « T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. » (p. 83)

Le dossier final d’Annette Wieviorka met en perspective le récit de Marceline avec la grande histoire. Cet élargissement du point de vue ne rend pas les choses plus supportables, mais leur donne une dimension supplémentaire. L’antisémitisme administratif ne laisse jamais d’horrifier et justifie plus que jamais le devoir de ne pas oublier. « Car la mémoire, bien qu’elle se réfère au passé, se vit toujours au présent. » (p. 122)

De Judith Perrignon, je vous conseille les très beaux L’intranquille et Victor Hugo vient de mourir.

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Le professeur

Roman de Charlotte Brontë.

William Crimsworth quitte l’Angleterre après une désastreuse expérience dans l’affaire de son frère Edouard, un homme odieux à tous les égards. Il tente sa chance à Bruxelles où lui sont proposées deux places de professeur. L’une d’elles est dans une pension de jeunes filles. Entre des jeunes coquettes qu’il doit mater et des élèves modestes dont le potentiel doit être encouragé, le jeune Crimsworth fait l’apprentissage des relations avec les femmes. Il apprend également à dompter son amour-propre et à s’ouvrir à l’amour. « L’élève, dont le corps est parfois plus robuste et dont les nerfs sont moins sensibles que ceux du professeur, a sur son maître un immense avantage ; soyez certains qu’il en usera sans pitié, parce que l’être qui est jeune, vigoureux et insouciant, ne partage pas la souffrance qu’il voit subir et n’épargne personne. » (p. 132)

Misère… quelle purge que ce roman ! Le protagoniste est un geignard insupportable qui, s’il souhaite acquérir une bonne place dans la société, se laisse assez souvent porter par les événements et doit son salut à autrui. Il est finalement gratifié d’un bonheur conjugal et familial parfait. Grand bien lui fasse ! Ajoutez à cela une opposition entre la chère Angleterre et le continent sans charmes, opposition répétée jusqu’à l’écœurement, et vous avez un roman qui a mis ma patience à rude épreuve. Mais je l’ai fini. Gloire à moi ! Ça mérite bien une deuxième part de gâteau, non ?

Avec son substrat autobiographique indéniable, ce roman de jeunesse présente toutes les imperfections des œuvres immatures. Cela mérite sans doute une certaine indulgence, mais peut-être suis-je une trop grande inconditionnelle de Jane Eyre pour apprécier vraiment un autre texte de Charlotte Brontë et donner leur chance à ses autres romans. Malheur, il me reste Shirley à découvrir…

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Le maître des illusions

Roman de Donna Tartt.

Bunny est mort. Henry, Francis, Charles, Camilla et Richard étaient présents. Que s’est-il passé dans la forêt derrière l’université de Hampden ? Pour le comprendre, Richard reprend l’histoire là où elle a commencé, quand il est arrivé à Hampden, qu’il a intégré la classe très sélective du professeur Julian Morrow et qu’il a rencontré les cinq élèves. « Je n’ai jamais rien eu de commun avec aucun d’entre eux, rien sinon ma connaissance du grec et l’année que j’ai passée en leur compagnie. Et si l’amour est quelque chose qu’on a en commun, je suppose que nous l’avions en commun, mais j’imagine que cela peut paraître bizarre au vu de l’histoire que je vais vous raconter. » (p. 14) Bien qu’il s’intègre au groupe, Richard sent que ses camarades lui cachent des choses et qu’ils se renferment à son contact. Un jour, Henry lui révèle le secret qu’il dissimule avec Francis et les jumeaux Charles et Camilla, secret que Bunny a découvert et qu’il menace de révéler. « Qui étaient ces gens ? À quel point les connaissais-je ? Pouvais-je leur faire vraiment confiance, au fond ? Pourquoi m’avaient-ils choisi, entre tous, pour tout me dire ? » (p. 189) Alors que l’hiver s’est abattu sur le Vermont et qu’il pétrifie tout par le froid et la neige, la situation devient intenable. Bunny va-t-il parler ? Henry et les autres ne peuvent pas le laisser faire. Et voilà donc, comme annoncé au début, que Bunny est mort. Comment, désormais, vivre avec ce fardeau et dissimuler l’atroce vérité ? Heureusement, ou peut-être pas, Henry semble avoir toujours la solution. « Tu sais ce qui m’étonne ? […] Pas qu’il nous dise ce qu’on doit faire. Mais qu’on fasse toujours ce qu’il nous dit. » (p. 406) Henry, comme un certain dieu grec, est le maître des illusions.

Je m’étais profondément ennuyée avec Le chardonneret, mais Le petit copain m’avait emballée. Pour Le maître des illusions, c’est un entre-deux. La première partie est absolument fascinante. Tout est raconté du point de vue de Richard dans un récit a posteriori dont l’enchaînement logique se déploie lentement. Ce ne sont pas des aveux, ni une confession, mais on sent bien que Richard soulage son âme en reconstituant de vieux événements qui le hantent. La deuxième partie du roman m’a semblé un peu longue : les choses s’éternisent jusqu’au dénouement, mais cela permet toutefois de révéler les rapports malsains qui existent entre les personnages. Je retiens l’épisode des funérailles qui est un morceau sordide époustouflant. Le maître des illusions est un bon roman à suspense, dans cette atmosphère universitaire qui me plaît tant. Nostalgie, quand tu nous tiens…

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Billevesée #248

Gourmandise, me revoilà ! Parlons des petits fours et de l’origine de leur nom.

L’ami Wikipedia fait ça très bien, ne nous fatiguons pas plus !

Le terme provient de l’usage des pâtissiers d’utiliser la chaleur résiduelle des fours après cuisson pour cuire des pâtisseries plus petites. Comme les pâtes où le sucre constitue la base principale sont beaucoup plus délicates que celles préparées pour les autres pâtisseries, leur dénomination vient de ce que, exigeant une chaleur beaucoup plus douce, elles doivent être cuites « à petit four », ce nom comprenant tout ce qui ne nécessite qu’un four doux ou modérément chauffé.

C’est malin, maintenant, j’ai faim…

Alors, billevesée ?

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Quelques adieux

Roman de Marie Laberge.

François Bélanger enseigne la littérature à l’université de Québec. Il est marié à Élisabeth et aime sa femme. Un jour de rentrée, il croise le regard de la jeune Anne Morissette. Dès lors, comment résister au désir fou qui le consume ? « Lui qui s’était toujours cru à l’abri, bien tassé dans son œuf conjugal et professionnel ne comprenait pas pourquoi tout à coup il en ressentait les parois et l’étroitesse. » (p. 15) De son côté, l’étudiante ne sait que faire de l’attirance qu’elle éprouve pour son professeur. Elle qui vit si librement, refusant toute attache et toute promesse, se sent menacée par cette passion qui les consume. François aime Élisabeth. Et il aime Anne. Il ne peut envisager de quitter la première, mais il ne peut tolérer de vivre sans la seconde. « Anne contient la fin, Élisabeth la durée. Et il se doute que jamais il n’aurait pu se consumer en Anne si Élisabeth n’avait pas existé. Que sans elle, peut-être que lui aussi aurait fui. » (p. 136) Des années plus tard, Élisabeth comprend que François en a aimé une autre. Elle s’épuise alors à remuer le passé, à interroger ceux qui savaient, à comprendre comment elle a pu ignorer la grande passion de son mari. « Tu veux savoir si il y a de quoi être jalouse, si François l’aimait plus que toi, mieux que toi, si ça valait la peine, si c’est une fille assez intéressante pour que ton chagrin ne soit pas du gaspillage. » (p. 206) Pour reprendre sa route et pardonner à François, Élisabeth va devoir dire adieu à quelques illusions et à beaucoup de peurs.

Marie Laberge ne parle pas d’adultère, elle parle d’amour. François est-il coupable d’en aimer une autre qu’Élisabeth ? Est-on coupable d’aimer ? « Et, de façon irrémédiable, il sait qu’il a affaire non à une liaison, mais à la passion. Et il y consent. » (p. 89) Le polyamour, thèse à la mode depuis quelque temps, est ici présenté avec simplicité et évidence. Il est des cœurs qui peuvent aimer à foison sans trahir, ni abandonner. La société condamne ce qu’elle considère comme une errance des sentiments ou une manifestation vile de pulsions charnelles. Mais le désir n’est pas coupable quand il est vécu comme le fait François. « Vaincu, débouté, il rentre, taraudé par le désir d’Anne, soumis comme à un vieux mal si connu qu’il en est presque aimé. » (p. 45) Ce roman m’a beaucoup émue. Le style de Marie Laberge est impeccable, sonore et poétique, follement sensuel parfois et terriblement tranchant quand il faut achever. Quelques adieux me donne encore plus envie de découvrir le reste de l’œuvre de cette grande auteure québécoise.

Mon avis sur Ceux qui restent.

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Les quatre filles du révérend Latimer

Roman de Colleen McCullough.

Edda, Grace, Heather et Kitty sont les quatre filles du révérend Thomas Latimer. Elles ont grandi à Corunda, en Nouvelle-Galles-du-Sud. Edda et Grace sont jumelles, filles du premier mariage du révérend. Heather et Kitty le sont également, nées des secondes noces du pasteur. Maude, la mère des deux dernières, n’a jamais caché sa folle préférence pour Kitty, dont la beauté exceptionnelle frappe toux ceux qui la croisent. Mais entre les sœurs, point de jalousie. Les quatre filles s’aiment et se soutiennent envers et contre tous. « Comment aurait-il pu deviner la puissance des liens qui unissaient des sœurs, des jumelles plus encore ? » (p. 359) C’est ensemble qu’elles entrent à l’hôpital de Corunda pour devenir infirmières. Dans les années 1920, en Australie, la profession est en train de changer et l’ambition des filles Latimer ne pourra qu’en bénéficier. Chacune choisit alors son destin. « Leurs personnalités avaient modelé différemment leurs traits, et leurs regards ne se posaient pas sur le même horizon. » (p. 19) Grace préfère se consacrer à un époux et à une famille. Edda est déterminée à devenir la meilleure et à voyager pour oublier sa déception de ne pas avoir suivi d’études de médecine. Heather veut également se consacrer à son métier et ne pas s’encombrer d’un mari. Kitty hésite entre bonheur conjugal et indépendance. Les années passent, les sœurs restent soudées même si la vie écarte leurs chemins. « Comment pourrait-on faire l’économie du chagrin lorsqu’on perd la moitié de soi-même ? » (p. 100) Autour d’elles, alors que l’hôpital se modernise sous l’impulsion de son nouveau directeur, l’Australie souffre de la Grande Dépression.

Après avoir lu Les oiseaux se cachent pour mourir et L’espoir est une terre lointaine (méconnu, mais bien plus épique que le précédent), j’espérais un autre grand roman australien de Colleen McCullough, un texte passionné et passionnant. Hélas, ce roman est plaisant, mais sans profondeur. Il s’attache surtout à rappeler sans cesse, jusqu’à l’overdose, combien les sœurs Latimer se ressemblent, mais pas tant que ça. « Lorsque vous connaîtrez mieux les sœurs Latimer, vous vous rendrez compte qu’au sein de chacune des deux paires de jumelles les traits communs se trouvent nettement délimités chez l’une tandis que chez l’autre on les croirait un peu gauchis, déformés comme dans les miroirs concaves ou convexes des fêtes foraines. » (p. 198) Comme s’il était vraiment nécessaire de démolir à ce point le mythe selon lequel les jumeaux de même sexe sont identiques, copies conformes sans distinction, ni saveur. Mon regard sur la question est sans doute biaisé puisque j’ai un frère jumeau et deux petites sœurs jumelles qui n’ont ABSOLUMENT RIEN de conforme. Autre point que l’auteure répète encore et encore, c’est l’immense affection qui lie les quatre jeunes femmes. « Les filles du pasteur ne demandent rien d’autre que de voir leurs sœurs nager dans le bonheur. » (p. 388) Sorti de cela, le roman tente une réflexion assez maigre sur l’indépendance et l’émancipation des femmes. Bref, Les quatre filles du révérend Latimer offre un bon moment de lecture, mais bien décevant par rapport à d’autres romans de la même auteure.

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Bel-Ami

Roman de Guy de Maupassant.

Ancien hussard, Georges Duroy enrage dans la vie civile, incapable de réaliser ses grandes ambitions. Une rencontre fortuite lui ouvre les portes du journalisme et d’un monde riche et brillant. Sa belle figure lui est en outre un atout non négligeable. « Dis donc, mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succès auprès des femmes ? Il faut soigner ça. Ça peut te mener loin. […] C’est encore par elle qu’on arrive le plus vite. » (p. 18) Il devient l’amant de Madame de Marelle, s’étourdissant d’amour et de plaisir dans les bras de cette bourgeoise. Hélas, sa nouvelle position ne l’a pas rendu plus riche et il court sans cesse après l’argent. « Puisqu’elle avait des envies qu’il ne pouvait satisfaire dans le moment, n’était-il pas naturel qu’elle les payât plutôt que de s’en priver ? » (p. 87) Décidé à réussir et à s’imposer, Duroy finit par épouser la veuve de celui qui l’a introduit dans le journalisme, mais il nourrit une profonde jalousie pour cette femme dont il n’arrive pas à percer tous les mystères. Finalement riche et reconnu, Duroy n’en a toujours pas assez et vise toujours plus haut, vers la jolie fille d’un homme récent devenu millionnaire.

Maupassant, roi du cynisme ! Quel plaisir de lire le portrait de Duroy, envieux et impatient, que rien ne satisfait jamais ! Son ambition est retorse et cruelle, elle ne s’embarrasse pas de scrupules et piétine les sentiments des femmes. Bel-Ami porte un regard acerbe sur le journalisme, montrant ses liens étroits et suspects avec la politique et la finance. Point de tendresse ou de compassion ici : l’amour et la presse se mènent d’une même main de fer et d’affaires.

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Billevesée #247

Le mot « amiral » est dérivé du mot arabe « émir », titre de noblesse attribué à un homme qui commande.

Précisions avec l’ami Wikipedia. Une première étymologie le donne comme dérivé de la locutionʾamīr al baḥr, « émir/prince de la mer », étymologie par la suite contestée au profit de la locution ʾamīr al ālī, « très grand chef ».

Alors, billevesée ?

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Americanah

Roman de Chimamanda Ngozi Adichie.

Ifemelu a quitté le Nigeria pour suivre des études en Amérique. Après des débuts difficiles et des années de doute, la jeune femme a trouvé sa place dans ce grand pays. « Elle aimait par-dessus tout pouvoir prétendre, dans ce lieu où régnait l’abondance, être quelqu’un d’autre, admis par faveur dans le club consacré de l’Amérique, quelqu’un d’auréolé d’assurance. » (p. 5) Conférencière pour Princeton, rédactrice d’un blog renommé sur la race et les relations entre les blancs et les autres ethnies, Ifemelu est devenue une Americanah. Mais après treize ans loin de chez elle, elle éprouve le vif désir de rentrer au pays. « Le Nigeria devint l’endroit où elle devait être, le seul endroit où elle pouvait enfouir ses racines sans éprouver en permanence le désir de les arracher et d’en secouer la terre. » (p. 9) Ce retour aux sources est l’occasion de retrouver son identité profonde et peut-être celle de renouer avec Obinze, son amour de jeunesse. Leur relation avait explosé à cause de la distance et des déboires américains d’Ifemelu dans les premiers temps de son séjour outre-Atlantique. « Cette façon d’insinuer que l’Amérique l’avait en quelque sorte irrévocablement changée avait planté des épines dans sa peau. » (p. 20)

Avant de rentrer à Lagos, Ifemelu décide de se faire tresser les cheveux comme quand elle était jeune. Assise dans une boutique minable, entre les mains d’une jeune coiffeuse, elle se souvient de son arrivée en Amérique, de ses études, de son intégration et de ses deux grands amours américains, Curt et Blaine, qui n’ont cependant jamais réussi à lui faire oublier vraiment Obinze. Elle se rappelle qu’elle s’est sentie noire en arrivant en Amérique, que la couleur de sa peau lui était à la fois une identité, un passé et une condition sociale aux yeux des blancs. « Tu es dans un pays qui n’est pas le tien. Agis comme il faut si tu veux réussir. » (p. 132) Dans son blog, elle a écrit sans tabou sur la place des noirs en Amérique. Elle a réfléchi à la grande question des cheveux des Noires : doivent-elles les défriser, les tresser, les porter librement ? Que disent les cheveux des Noires aux Blancs ? « Tu vois le problème avec des yeux américains. Mais le problème est que tu n’es même pas une véritable Americanah. » (p. 422) Elle a vécu et observé les combines des immigrés : mariages blancs, prêts de carte de sécurité sociale, magouilles pour avoir une carte verte.

Entre intégration, voire assimilation, et racisme, le Noir américain ou non américain doit gagner sa place et sans cesse prouver sa réussite. L’exemple éclatant de ce succès complet, c’est Barack Obama, alors candidat à la présidence américaine. Le rêve américain s’incarne dans cet homme noir charismatique et ambitieux. De retour à Lagos, Ifemelu sera-t-elle qui a réussi en Amérique ? Retrouvera-t-elle sa place dans son pays ? « Parce qu’à l’époque où ils s’étaient quittés, elle ne connaissait rien des sujets qu’elle traitait dans son blog, il eut l’impression de l’avoir perdue, comme si elle était devenue quelqu’un qu’il ne pouvait plus reconnaître. » (p. 415) Entre ici et là-bas, les racines et l’identité sont bien difficiles à préserver.

Que d’humour et de tendresse dans ce récit ! Chimamanda Ngozi Adichie bouscule les clichés et le politiquement correct pour dresser des portraits sincères d’une jeunesse africaine attirée par les lueurs de la grande Amérique ou de l’Europe, mais désireuse de réussir dans son pays. Un très grand roman, sensible et drôle.

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Fin de la parenthèse

Bande dessinée de Joann Sfar. À paraître le 14 septembre.

Seaberstein revient de son exil volontaire. Retour en France. Retour à Paris. Farida Khelfa, responsable du Centre Dalinien pour le Futur, lui propose une expérience particulière : s’enfermer avec quatre modèles pendant quatre jours et les dessiner. « Tu crois qu’il va réussir à faire bosser quatre filles à poil en vase clos pendant quatre jours et quatre nuits sans retirer ses vêtements ? » (p. 37) Un peu comme l’avait fait Salvador Dali. Dali dont le corps n’a pas disparu : il est cryogénisé et son réveil doit être le clou d’un défilé de mode très attendu. Dans un hôtel particulier, Seaberstein et quatre jeunes filles vivent une expérience coupée de l’actualité, entre nudité, champignons hallucinogènes et plongée dans l’univers du grand maître espagnol. Pendant ce temps, le monde continue sa course folle et meurtrière : alors que Seaberstein crée, des hommes massacrent et la réalité se fait coupante.

La nudité explose dans cette œuvre : les modèles déambulent (presque) sans pudeur et sans vêtement alors que Seaberstein reste habillé. Le contraste entre peau nue et peau vêtue n’en est que plus grand. Et même habillé, le corps ne semble pas couvert. Sfar dessine des corps pointus et anguleux. Même les silhouettes corpulentes semblent tranchantes, comme si le corps devait marquer nettement ses contours et ses limites pour exister.

En ouvrant cette bande dessinée, je m’attendais plus ou moins à une suite de Tu n’as rien à craindre de moi et des amours douces-amères de l’artiste Seaberstein. Ici, il est beaucoup moins question d’amour. Plutôt de sexe, de religion, de folie et de création. « Le livre dessiné que vous tenez en mains n’est que la transcription d’une expérience réelle, vécue à Paris l’an dernier par quatre modèles et un dessinateur. » (p. 6) Psychédélique et fantasmagorique, cette œuvre nous plonge dans les tableaux de Salvador Dali : on les voit presque mieux quand ils sont dessinés par Joann Sfar. Ils semblent moins impressionnants, toujours aussi étranges, mais peut-être moins hermétiques. On a en tout cas envie de courir les revoir à L’espace Dali. Peut-être pourra-t-on alors apercevoir la silhouette du peintre, quelque part…

Du 9 septembre 2016 au 31 mars 2017, L’espace Dali Paris présente l’exposition Joann Sfar – Salvador Dali : Une seconde avant l’éveil. Quasi certaine d’y faire un tour !

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Billevesée #246

J’ai une imagination très visuelle. Parfois trop. L’expression « vent debout » donne de belles choses dans ma tête…

Dans le jargon marin, l’expression s’écrit en fait « vent de bout » (prononcer « boute »), « bout » remplaçant « face ».

Un navire qui vogue par vent de bout se prend donc le vent de plein fouet, un vent venu de la route qu’il veut suivre.

Maintenant que je sais ça, je peux essayer d’arrêter d’imaginer le vent sur ses pattes arrières…

Alors, billevesée ?

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Le festin de Babette

Nouvelle de Karen Blixen.

Dans la petite ville norvégienne de Berlewaag, Martine et Philippa, deux vieilles sœurs célibataires, vivent frugalement et pieusement en respectant la mémoire de leur défunt père, pasteur de la communauté. Leur bonne à tout faire, Babette, est une communarde qui a fui la France et a su s’imposer en douceur dans le ménage. La maison est bien tenue et personne ne peut rien lui reprocher, si ce n’est de ne pas parler très bien norvégien. Un jour, elle apprend qu’elle a gagné dix mille francs à la loterie. Elle offre à ses maîtresses de servir un somptueux dîner français pour l’anniversaire de leur père. « Non, non ! Babette ! Comment pouvez-vous vous figurer pareille chose? Croyez-vous donc que nous vous permettrons de dilapider votre précieux trésor en nourriture et en boissons et, de plus, à notre avantage ? Non, Babette, c’est impossible. Babette fit un pas en avant, et ce mouvement eut la soudaineté et la violence d’une vague qui se dresse, formidable et menaçante. S’était-elle avancée de la même manière en 1871 pour planter le drapeau rouge sur une barricade ? » Babette est bien décidée à user de son pécule comme il lui chante ! Les nombreux invités des deux sœurs se régalent alors d’un repas à nulle autre pareil, digne des meilleurs restaurants français. Et pour Babette, ce festin ravive les souvenirs de sa vie française et de ses talents culinaires.

Élevée au rang d’art, voire de manifeste, la cuisine n’a pas ici pour but de rassasier, mais bien de séduire et d’envoûter. On voudrait être attablé avec les convives pour goûter les vins extraordinaires, l’étonnante soupe de tortue ou les cailles en sarcophage.

J’avais peu apprécié La ferme africaine de Karen Blixen, mais j’ai passé un très bon moment avec la bonne française et ses casseroles. Quant aux autres textes du recueil, je ne les ai pas lus. Et à ceux que ça dérange, j’invoque du droit du lecteur tels que les a écrits Daniel Pennac. Et puis c’est tout !

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La dame en blanc

Roman de Wilkie Collins.

Walter Hartwright, professeur de dessin, s’est épris de la douce et belle Laura Fairlie, héritière du domaine de Limmeridge House. Hélas, la jeune femme est déjà fiancée à Sir Percival Glyde qui, sous des dehors charmants, semblent n’en vouloir qu’à la fortune de sa future épouse. « Il existe un autre malheur, […] qui peut frapper une femme et la faire souffrir toute sa vie dans le déshonneur et la réprobation. […] Le malheur d’avoir cru avec beaucoup trop de candeur dans sa propre vertu et dans la loyauté et l’honneur de l’homme qu’elle aime. » (p. 93) Désespéré par cet amour impossible, Hartwright est également très intrigué par une étrange rencontre qu’il a faite à Londres, la veille de son arrivée à Limmeridge House : une jeune femme tout en blanc, effrayée et désorientée, a surgi devant lui dans la nuit et il semble qu’elle connaisse le terrible secret de Sir Percival et de son acolyte, le comte Fosco. « N’auriez-vous pas peur d’un homme qui vous aurait enfermée dans une maison de folles et voudrait vous y interner à nouveau ? » (p. 201) Figures fantomatiques, asile de fous, échange de personnes, tout cela compose la formidable intrigue dans laquelle sont précipités les protagonistes. Heureusement, Marian Halcombe, la demi-sœur de Laura, veille et puise dans son amour pour la jeune femme une force inépuisable. « Cette histoire montre avec quel courage une femme peut supporter les épreuves de la vie et ce dont un homme est capable pour arriver à ses fins. » (p. 7)

Nouée avec un immense talent et un parfait sens du rythme, cette intrigue se lit sans reprendre son souffle. Les différents témoignages et narrateurs qui composent le récit éclaircissent peu à peu le mystère qui se maintient cependant jusqu’aux dernières pages. Évidemment, gloire à la morale victorienne, les gentils finissent heureux et les vilains sont punis. La dame en blanc est à la hauteur Secret absolu ou de Armadale et me fait oublier la semi-déception de L’hôtel hanté.

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Mrs Dalloway

Roman de Virginia Woolf.

Résumé pris sur Babelio, de la main de Sana Tang-Léopold Wauters (ça change de la quatrième de couverture quand on ne sait pas comment présenter un livre…) : Les préparatifs d’une soirée, l’errance mentale d’un personnage énigmatique… C’est sur ces rares éléments d’intrigue que repose le récit d’une journée dans la vie de Clarissa Dalloway. Dans sa première œuvre véritablement moderniste, Virginia Woolf rompt définitivement avec les formes traditionnelles du roman. Les souvenirs (ceux de Peter Walsh l’amour d’autrefois, de Sally Seaton l’amie de jeunesse) ressurgissent au gré de tout un réseau d’impressions et de sensations propres à l’héroïne, qui elle-même est vue à travers les yeux d’une myriade d’autres personnages (sa fille, Peter lui-même) qui traversent cette journée rythmée par le carillon de Big Ben, seul élément objectif qui demeure dans ce tableau impressionniste. Par un mouvement de ressac, le texte opère des incursions dans les différentes consciences en présence, qui à leur tour se coulent hors d’elles-mêmes pour envahir le monde extérieur et se relayer. Les différentes voix, sur le mode du monologue intérieur et du discours indirect libre, viennent enfler le texte, formant ainsi un entrelacs de « courants de conscience » tissé avec une aisance qui, déjà remarquablement maîtrisée, n’est pourtant qu’un prélude à la Promenade au phare et aux Vagues qui constitueront l’apogée de l’œuvre de Virginia Woolf.

J’ai lu ce livre une première fois quand j’étais lycéenne et j’avais tout simplement détesté. Ah, les grandes déclarations de l’adolescence ! Décidée à ne pas rester sur une mauvaise impression, les mérites de ce livre m’ayant été vantés par de nombreuses personnes, j’ai pris mon courage à deux mains. Et cette fois, je n’ai pas détesté. Je me suis ennuyée. Et c’est bien pire : quel tiède sentiment que le désintérêt ! Certes, la forme de ce roman est novatrice, mais le bât blesse justement là : Mrs Dalloway est davantage un roman de forme qu’un roman de fond. Et je ne suis hélas pas sensible à ce genre de littérature. Deuxième rendez-vous manqué avec Clarissa Dalloway, et probablement avec l’œuvre de Virginia Woolf.

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Billevesée #245

Le corso, défilé de chars fleuris, est une fête très populaire dans le sud de la France ou dans les pays méditerranéens, souvent organisée à l’occasion de l’arrivée du printemps.

Ce terme italien signifie « rue » ou « promenade publique ».

C’est logique puisque le défilé se fait dans la rue.

Alors, billevesée ?

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Purity

Roman de Jonathan Franzen.

Quatrième de couverture : Purity, alias Pip, est étudiante à Oakland, en Californie. Elle qui a grandi sans connaître l’identité de son père, élevée par une mère qui ne dévoile rien de sa vie, elle se tourne naturellement vers le journalisme d’investigation. On la dirige alors vers l’Allemand Andreas Wolf, un lanceur d’alertes charismatique rappelant par bien des côtés Edward Snowden et Julian Assange. Depuis la base secrète de son ONG en Bolivie, Andreas se livre à des attaques ciblées sur internet. Tandis qu’ils se rapprochent dans une relation trouble, Andreas avoue à Pip son secret : il a tué un homme. Dans un récit époustouflant de virtuosité, Jonathan Franzen plonge dans le passé d’Andreas, qui fut un dissident connu dans l’Allemagne de l’Est des années 80, et jette ses personnages dans les courants violents de l’histoire contemporaine. Purity est un livre où tout le monde ment, pour cacher ses erreurs, ses fautes et ses crimes. C’est un thriller qui n’épargne pas les pouvoirs et ceux qui en abusent. Mais aussi un roman d’amour désespéré dans lequel le sexe et les sentiments s’accordent rarement. On l’aura compris : jamais Franzen n’aura été aussi audacieux, aussi imprévisible que dans ce roman à la fois profond et formidablement divertissant.

Quand je fais l’impasse d’un résumé à ma sauce pour me contenter de la quatrième de couverture, c’est souvent que j’ai abandonné le livre avant la fin. Ici, j’ai rendu les armes à la page 172 sur 730. La lenteur dans la mise en place de l’intrigue et dans l’installation des personnages qui ne m’avait pas gênée dans Freedom m’a semblé ici exagérée et artificiellement prolongée. Chaque entrée dans l’histoire est immédiatement stoppée par des souvenirs, des récits parallèles et autres effets dilatoires qui m’ont perdue, puis agacée. Ajoutons à cela des personnages qui ont TOUS des problèmes avec la figure maternelle et vous avez une Lili qui s’emmerde royalement.

Purity est pourtant un personnage qui m’intéressait : sa quête du père est motivée et pas uniquement au niveau sentimental. Son manque de confiance fait écho au mien et ses interrogations sur sa place et son utilité dans le monde et la société sont de celles qui m’obsèdent. Mais à force d’attendre de voir son personnage prendre de l’ampleur, et bien que j’ai sauté quelques dizaines de pages pour voir si ça progressait un peu, je me suis lassée. Tant pis, rendez-vous manqué avec ce roman !

Des extraits pour terminer.

« Elle-même n’avait ni frère ni sœur, elle ne pouvait s’empêcher d’être agacée par les exigences et le soutien potentiel de ceux des autres, leur normalité de famille nucléaire, leur fortune de proximité héritée. » (p. 24)

« Pip voulait œuvrer au bien commun, ne serait-ce qu’à défaut de plus grandes ambitions. Sa mère lui avait transmis l’importance de mener une vie moralement déterminée, et l’université, une inquiétude et un sentiment de culpabilité face aux schémas de consommation non viables du pays. » (p. 47)

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La dernière séance

Roman de Larry McMurtry.

Sonny et Duane sont lycéens. Entre les cours, les entraînements de football ou de basket et les petits boulots pour gagner quelques sous, ils pensent toute la semaine au samedi soir, moment béni où, dans le cinéma de la ville ou sur la banquette de leur camionnette, ils pourront peloter leurs petites amies respectives. À Thalia, dans le Texas, il n’y a de toute façon pas d’autre chose à faire en 1951. Alors que Sonny s’ennuie avec Charlene et pense à rompre, Duane est fou d’amour pour la jolie Jacy. Hélas, l’adolescente a un peu trop conscience de sa beauté et elle nourrit des rêves romantiques qui alimentent ses ambitions naïves et sa perversion naissante. « Elle avait couché avec deux des hommes les plus intéressants de toute la ville, et ni l’un ni l’autre n’était tombé amoureux d’elle, ni même manifesté le moindre intérêt pour recoucher avec elle. » (p. 198) Sonny aimerait bien peloter la jeune fille, mais c’est la copine de son meilleur copain. Et il y a Ruth, la femme de l’entraîneur, la seule personne véritablement disposée à aimer quelqu’un dans la petite ville de Thalia.

En dressant le portrait d’une jeunesse disposant de peu de perspectives, à savoir le service militaire, un mariage prématuré et un boulot sur la plateforme pétrolière, Larry McMurtry déploie une nostalgie cocasse portée par une désillusion désabusée. Les garçons ne pensent qu’aux filles, lesquelles savent très bien se faire désirer et se dérober. « Il avait le cafard parce qu’il la désirait et savait bien qu’il ne l’aurait jamais. » (p. 35) Ces jeunes gens ont peu de distractions : les matches où l’équipe de Thalia est systématiquement battue, le billard, le maigre cinéma ou les blagues plus ou moins méchantes envers Billy, le simplet qui balaie toute la ville. « Il voulait travailler dur et se fatiguer pour ne plus passer les nuits éveillé à se sentir seul. Il ne se passait pas grand-chose et il semblait que ça ne changerait plus jamais tellement. » (p. 239) Ces gamins sont à l’image de Thalia, ville qui vivote à côté d’un champ de pétrole qui a fait la fortune de quelques familles et qui épuisent toutes les autres. Ce n’est pas une Amérique glorieuse que présente Larry McMurtry : effacé le grand rêve américain, disparu l’espoir d’une vie libre. À Thalia, tout n’est que routine, morosité et solitude.

Larry McMurtry a écrit d’autres romans dont Duane est le protagoniste. J’ai bien envie de voir ce qu’il advient de ce jeune homme dont le cœur a été piétiné. Peter Bogdanovitch a adapté ce roman au cinéma : ne me reste qu’à mettre la main dessus ! Et McMurtry, je vous recommande vivement Lonesome Dove, magnifique épopée dans le Far West, chant du cygne de toute une époque.

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L’île au trésor

Roman de Robert Louis Stevenson.

Faut-il vraiment résumer ce roman ? Bon, d’accord, en quelques mots. Le jeune et intrépide Jim Hawkins accompagne le docteur Livesey et le chevalier Trelawnay dans un voyage maritime vers le trésor de Flint, terrible flibustier disparu depuis des années. Mais le trésor intéresse aussi la bande de Long John Silver, pirate à une jambe. « Je veux que ce chevalier et ce docteur trouvent la marchandise et nous aident à l’embarquer, par tous les diables. » (p. 77) Sur l’Hispaniola, puis sur l’île, les deux groupes s’affrontent vaillamment afin de découvrir le fameux butin et le garder.

Il était temps que je relise ce roman d’aventures découvert dans ma lointaine jeunesse. J’avais oublié certaines subtilités de l’intrigue. Je voulais surtout comparer l’histoire originale avec l’adaptation animée La carte au trésor que j’ai récemment vue et appréciée. Dans l’une comme dans l’autre, l’aventure et l’héroïsme sont au centre de l’histoire. Ce roman est absolument parfait en lecture d’été : divertissant, palpitant et dépaysant !

* L’illustration n’est pas une première de couverture, mais la carte figurant en première page de l’édition numérique que j’ai lue.

L’adaptation en BD était très sympathique !

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La science chez Stephen King

Essai de Loïs H. Gresh et Robert Weinberg.

Sous-titre : De Carrie à Cellulaire, la terrifiante vérité derrière la fiction du maître de l’horreur.

Si la marque de Stephen King est l’horreur, les ressorts de cette dernière ne sont pas (que) des monstres sanglants, mais des sciences qui ont dégénéré, donnant des personnages inquiétants et dérangeants ou encore des machines animées de sombres intentions envers les hommes. « Avec Stephen King, l’humanité profite rarement de la science. » (p. 8) Les pouvoirs psychiques de Carrie ou Charlie sont terrifiants, tout autant que le comportement haineux de Christine, bagnole démoniaque, ou d’une presse à linge qui broie les ouvriers.

Les deux auteurs remontent aux sources de bien des théories : télékinésie, extraterrestre, intelligence artificielle malveillante, voyage dans le temps ou super-virus qui décime l’humanité, Stephen King n’a rien inventé, mais il a su faire à sa main les grandes terreurs humaines nées de la science pour les rendre profondément modernes et, par conséquent, bien plus terrifiantes. « Dans tous ses livres, il pose la question universelle : que se passerait-il si ? » (p. 50) Ses sources et ses inspirations sont nombreuses, et il sait glisser des références et des clins d’œil dans ses œuvres, prouvant ainsi son érudition et son intelligence.

Pour apprécier cet ouvrage, il est évident qu’il est préférable d’avoir lu un certain nombre des textes de Stephen King, de Carrie à La tour sombre, d’autant plus que les romans se répondent entre eux et forment un gigantesque puzzle narratif, un impressionnant univers littéraire. « Le plus grand talent de Stephen King est sa capacité à mélanger l’horrible à l’ordinaire. Ses romans, comme ses nouvelles, mettent en scène des gens normaux, comme vous et moi, qui rencontrent le bizarre, l’étrange et le monstrueux. » (p. 6) Preuve irréfutable avec Cujo : le gros saint-bernard autrefois débonnaire qui terrorise tout le monde lors d’un épisode caniculaire a simplement été mordu par une chauve-souris enragée. « King et Alfred Hitchcock partagent cette habileté de nous faire peur par la psychologie au lieu de mettre en scène des monstres ou de montrer du sang. » (p. 222) Pourquoi a-t-on peur de Cujo ? Parce qu’il est follement agressif, parce qu’il empêche une mère et son enfant de quitter leur voiture sans climatisation exposée en plein soleil, parce que ce qui aurait dû être une journée tranquille dans une petite ville devient une fournaise interminable.

Cet ouvrage n’est pas inintéressant, mais il souffre de quelques faiblesses, à se demander si les auteurs ont lu attentivement les romans dont ils parlent puisqu’ils les résument au mieux grossièrement, sinon avec des erreurs. En outre, certaines théories et conclusions sont hâtives et, selon moi, un peu bâclées. « Lisez n’importe quel livre de Stephen King pour observer la méfiance de l’humanité et la haine de l’étranger. C’est peut-être pour cela que les livres de Stephen King sont si populaires. Ils jouent sur nos peurs les plus profondément ancrées et notre terreur collective de l’inconnu, y compris des étrangers. » (p. 106) Ce n’est pas faux, mais les auteurs semblent méconnaître l’importance de l’amitié, de la famille et de la communauté. Certains héros de Stephen King sont curieux, courageux et ouverts au monde, même si la confrontation avec des forces malveillantes les oblige à se protéger. « Comme la science chez Stephen King est un mélange de science et d’horreur, il part du principe que les étrangers seraient forcément hostiles. » (p. 96)

Un autre reproche que je fais à cet ouvrage est de présenter des sujets scientifiques très complexes, comme la théorie des cordes ou les trous de ver. C’est certes passionnant, mais ça ne sert pas vraiment le propos du livre. Pire, les auteurs tentent à toute force de rattacher les romans de Stephen King à ses théories. Parfois, c’est crédible, parfois, c’est manifestement tiré par les cheveux… La conclusion est intéressante en ce qu’elle ramène au fonds de commerce de Stephen King, à savoir foutre les chocottes à ses lecteurs, mais elle ne dit rien du postulat des deux auteurs de l’essai : quid de la science ? Plus rien. « Il vaut mieux se permettre certaines peurs, comme celles de chiens tueurs ou de rôdeurs psychotiques. Si nous faisons disparaître la peur, comment pourrons-nous combattre Ça ou Les Tommyknockers ? » (p. 238)

Bref, cet essai n’est pas dénué d’intérêt, mais à lire avec circonspection et en connaissant un peu son King. Moi, fan ? Si peu…

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Juste avant le crépuscule

Recueil de nouvelles de Stephen King.

En ouvrant ce recueil, vous êtes invités à :

  • Attendre un train pour l’éternité,
  • Courir pour échapper à la mort,
  • Raconter vos rêves pour qu’ils ne se réalisent pas,
  • Intervenir dans une dispute conjugale,
  • Pédaler pour maigrir et échapper à des poursuivants mécontents,
  • Vous débarrasser d’objets venus du passé pour alléger votre culpabilité de survivant,
  • Contempler la fin du monde,
  • Rétablir l’ordre du monde,
  • Vous méfier des chats,
  • Vous méfier des autostoppeurs,
  • Vaincre la maladie par un baiser,
  • Vous équiper pour aller au petit coin et vous méfier de vos vieux voisins.

Le rythme de chaque nouvelle, courte ou longue, est impeccable et leur enchaînement fait sens, comme un gigantesque plan cosmique qui se mettrait en place. « Il y a la partie rationnelle de mon esprit qui me dit que ce ne sont que des conneries, mais une est persuadée que non, pas du tout, et c’est celle-ci qui a le dessus. » (p. 206) Au détour d’un article, on retrouve Castle Rock qui est le lieu de l’intrigue de plusieurs romans du King et on croise Julia Shumway dont le personnage sera largement développé dans Dôme. Il y a les sujets que l’on aime retrouver chez cet auteur, parce qu’on sait qu’il les aime aussi et qu’il sait en parler : la famille, l’écriture, l’Amérique, les rêves, les peurs, etc. Comme l’assassinat de JFK, le 11 septembre a une place particulière dans l’univers de l’auteur : c’est une balise sinistre qui jette un éclat sombre sur les États-Unis et l’histoire.

Dans l’introduction, Stephen King explique son rapport aux nouvelles qui sont des histoires urgentes qui se présentent à lui, souvent quand il consacre son énergie à des textes plus longs. S’il met certaines idées de côté pour les reprendre ensuite, d’autres lui échappent ou évoluent jusqu’à se transformer et devenir des histoires complètement inédites. « La réalité est un mystère […], et la texture quotidienne des choses est le rideau dont nous le drapons pour masquer son éclat et ses ténèbres. Je pense que nous recouvrons le visage des morts pour la même raison. Nous voyons dans le visage des morts une sorte de portail. Il est fermé sur nous… mais nous savons qu’il ne le sera pas toujours. Qu’un jour il s’ouvrira pour chacun de nous, et que chacun de nous le franchira. Mais il y a des endroits où ce rideau est usé jusqu’à la trame, où la réalité est ténue. Un visage regarde de l’autre côté. » (p. 217) Juste avant le crépuscule est une excellente moisson de textes dans lesquels Stephen King prouve toute l’étendue de son talent de conteur d’histoires qui font flipper. « Les rêves sont les poèmes écrits par le subconscient. » (p. 101) Il y a du sang, de la sueur et de la merde, de la peur, du désespoir et de l’angoisse. Mais aussi une certaine dose d’humour pour qui aime le second degré et l’autodérision. Et dans la note conclusive, ce bon vieux King titille mes terreurs récurrentes et mes TOC mal assumés. À croire qu’il lit dans ma tête, ce salopiaud !

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Billevesée #244

À l’abordage !

Qui ne connaît pas le fameux drapeau noir avec un crâne et deux tibias (ou deux sabres) croisés ?

En anglais, ce terrible pavillon s’appelle le Jolly Roger. Ce nom vient du français « joli rouge » : dans les codes maritimes, le drapeau rouge signifiait qu’il ne serait pas fait de quartier pendant la bataille. À l’origine, le Jolly Roger était donc rouge et pas noir.

Alors, billevesée ?

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Bug-Jargal

Roman de Victor Hugo.

Le capitaine Léopold d’Auverney se bat farouchement et désespérément dans tous les combats. À croire qu’il veut aller au-devant de la mort. À la demande de ses camarades, il raconte un soir son histoire, comment il a perdu la femme qu’il aimait, mais aussi un ami inattendu en la personne d’un esclave noble et fier. Tout cela s’est déroulé à Saint-Domingue où la longue opposition entre Blancs et Noirs a fini par éclater dans un sanglant affrontement. « Il existait seulement entre les blancs et les mulâtres libres assez de haine pour que ce volcan si longtemps comprimé bouleversât toute la colonie au moment où il se déchirerait. » (p. 27) Léopold, pour sauver sa fiancée, est prêt à se livrer aux esclaves révoltés, notamment à l’infâme Biassou, mulâtre perfide. Mais c’est compter sans Bug-Jargal, fils de roi, homme de principe et frère de cœur du capitaine. « Tu es protégé par un homme que tu hais, il plaide pour ta vie, et tu veux sa mort. » (p. 172)

Je n’en dis pas davantage pour ne pas gâcher la fabuleuse tension dramatique de ce texte. Comme toujours avec Hugo, les sentiments sont puissants et plus un homme est noble et valeureux, plus son ennemi sera odieux et cruel. Le manichéisme est évident et l’opposition blanc/noir ne se réduit pas à la couleur de peau. Victor Hugo a écrit ce roman à 16 ans, en 15 jours. Voilà voilà… Pour l’apprenti plumitif que je suis, c’est une leçon d’humilité et une très belle lecture.

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Insomnie

Roman de Stephen King.

Depuis la mort de sa femme, Ralph Roberts fait des insomnies : il se réveille de plus en plus tôt chaque matin et son sommeil se réduit à peau de chagrin. « Personne ne semblait savoir exactement ce qu’était le sommeil lui-même : ses mécanismes, son utilité. » (p. 31) Il a beau s’astreindre à de longues marches ou suivre tous les conseils qu’on lui donne, rien n’y fait, il ouvre les yeux en plein milieu de la nuit. À soixante-dix ans, ce n’est pas vraiment ce qu’il lui fallait pour rester en forme. « On ne se rend jamais compte de l’importance du sommeil que quand il se met à manquer. Parce qu’alors les planches commencent à tanguer et les angles des choses à s’arrondir. » (p. 37) Et voilà que Ralph se met à voir des choses étranges : des auras colorées autour des gens et des créatures bizarres armées de lames qui entrent et sortent des maisons sans passer par les portes. Sénilité ? Hallucinations ? Ou peut-être nouveau niveau de conscience… « C’était de loin le rêve le plus réaliste que Ralph ait jamais connu de sa vie, et le fait de savoir qu’il rêvait paraissait même renforcer cette impression de réalisme. De lucidité. » (p. 208) Tout cela a un lien avec Ed Deepneau, charmant voisin qui a visiblement perdu les pédales jusqu’à battre sauvagement son épouse et qui mène une guerre acharnée contre Susan Day, militante féministe, et l’avortement. Avec ses voisins et amis, Bill McGovern et Loïs Chassey, Ralph vient en aide à Helen et son bébé. Et il doit mener à bien une mystérieuse tâche qui lui a été confiée par des personnes bien étranges. Bref, voilà une drôle de mission pour les petits-vieux de Derry, dans le Maine !

Et hop, un excellent opus du maître de l’épouvante ! Parce que l’insomnie, moi, ça me terrorise depuis que j’y suis sujette. Tout autant que les cauchemars dans le demi-sommeil qui n’ont ni queue ni tête.  « Ralph ne doutait pas que certains rêves fussent assez puissants pour tuer. » (p. 212) Si l’insomnie est le sujet principal pendant le premier tiers du roman, elle ne disparaît pas quand se déroulent les autres pans de l’intrigue, entre surnaturel et angoisse. C’est avec plaisir que j’ai constaté que ce texte est une pièce du plan qui mène vers La tour sombre, avec ses personnes emblématiques et ses paysages inoubliables. Ah, ce fameux champ de fleurs si rouges que les couleurs semblent crier… J’ai véritablement apprécié la fin qui, après la victoire des gentils (évidemment, hein !), n’est pas une conclusion de conte de fées : la vie continue, avec ses petites joies et ses bobos, et la fin n’est jamais que le début d’autre chose.

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Anne et la maison aux pignons verts

Roman de Lucy Maud Montgomery.

Sur L’Île-du-Prince-Edouard, à Avonlea, Matthew et Marilla Cuthbert vivent paisiblement. Mais le frère et la sœur commencent à vieillir et il leur serait bien utile d’avoir de l’aide pour entretenir la propriété de Green Gables. Ils décident d’adopter un jeune garçon qu’ils pourront éduquer et former aux travaux de la ferme. Mais surprise, c’est une petite fille qui leur est confiée, la rousse et pétillante Anne Shirley. L’enfant est enthousiaste, expansive, bavarde et déterminée à prendre le meilleur de ce que la vie lui offre. « Ça me fait un petit mal bien agréable, […] rien que de penser que je vais arriver dans une vraie maison, un vrai foyer, pour de vrai. » (p. 26) D’abord désemparée devant cette gamine pleine d’imagination et de fantaisie, Marilla se laisse peu à peu aller à éprouver des sentiments maternels et à apprécier son incessant babil. « Cette enfant n’est pas facile à comprendre, je dois avouer, mais je suis persuadée qu’elle deviendra quelqu’un de bien. Et, en tout cas, chose certaine, il n’est pas possible de s’ennuyer en sa compagnie. » (p. 119) Quant au doux et timide Matthew, il est tombé sous le charme d’Anne dès les premiers instants. La vie à Green Gables est désormais plus animée et certainement moins monotone puisqu’Anne, sans le faire exprès, trouve toujours une mésaventure dans laquelle se fourrer. « Marilla, n’as-tu pas remarqué quelque chose d’encourageant ? Je ne fais jamais la même bêtise deux fois. / Je me demande où est l’avantage, puisque tu en inventes toujours de nouvelles. » (p. 196) Avec sa chère amie Diana, Anne grandit, découvre les joies et les rivalités de l’école, développe son caractère bien trempé, mais aussi son cœur d’or. Cette enfant-là n’a pas fini de faire parler d’elle.

Et pour cause, Lucy Maud Montgomery a écrit plusieurs suites à ce premier volume. Il y a fort à parier que la vieille querelle entre Anne et Gilbert se transforme en un sentiment bien plus doux et que l’intelligente jeune fille devienne une femme exceptionnelle.

Il y a un petit air de Jane Austen dans la peinture des caractères et dans la façon de pointer les ridicules ou les vertus des personnages. Impossible de ne pas penser à la jeune Sophie de la Comtesse de Ségur, tant cette pauvre Anne ne cesse de commettre de bourdes, jamais méchamment cependant. J’ai également beaucoup pensé à Pollyanna, cette gamine attachante à l’imagination fertile et à l’optimisme inébranlable. J’ai passé un moment délicieux avec cette jeune Anne et ses taches de rousseur. Pas étonnant que ce roman soit un classique de la littérature jeunesse et qu’il prenne sa place dans le jeune catalogue des éditions Zethel.

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Pardonnable, impardonnable

Roman de Valérie Tong Cuong.

Quand Milo est renversé par un véhicule, toute sa famille se met en suspens. Cet enfant miraculeux et tant aimé va-t-il mourir, comme un autre avant lui ? Va-t-il se réveiller de son coma ? Si oui, pourra-t-il encore marcher, parler, penser ? Céleste, sa mère, vit dans sa chair la douleur de son cher petit garçon. Lino, son père, encaisse à nouveau la souffrance de son épouse et le mépris de sa belle-mère. Jeanne, sa grand-mère, s’impose encore et toujours comme seul soutien de Céleste, sa fille préférée. Marguerite, sa tante mal-aimée, se ronge de remords et désespère que son si cher neveu lui soit arraché. « Qu’adviendrait-il de nous en son absence ? » (p. 15) Milo est le ciment entre les membres de cette famille qui cache tant de secrets, de mensonges et de trahisons. Chacun pense avoir un lien privilégié avec cet enfant supplicié. « Un fil invisible s’est tissé entre nous deux. Un fil d’amour invisible, pur, sans motif. » (p. 37) Chacun se donne raison et tort aux autres. Puis chacun s’accuse, se juge et se flagelle de cet accident si bête si imprévisible qui pourrait leur voler leur cher enfant. Il y a tant de fautes passées et présentes à pardonner : est-ce seulement possible ?

J’avais tant entendu parler de ce roman que je rechignais à le lire. Finalement, je ne regrette rien. C’est une histoire réussie et émouvante, même si elle a tendance à tirer un peu trop sur certaines cordes sensibles. Mais le résultat est là : le lecteur est suspendu au souffle du garçon dans le coma et il se passionne pour les révélations qui surgissent de cette grande douleur. La grande force de ce roman est sa construction qui alterne les points de vue d’un chapitre à l’autre et qui donne la parole aux quatre adultes. Ces différentes perspectives construisent un tableau d’ensemble qui semble honnête, autant que peut l’être la représentation que chacun se fait de sa vie. Il me manque peut-être un chapitre final où la parole aurait été donnée à Milo, comme une conclusion et un point d’orgue. Le jeune héros de cette intrigue ne prononce en effet que très peu de mots. Et si tout ramène toujours à lui, il aurait été intéressant d’entendre sa propre version de l’histoire. Mais je chipote ! Pardonnable, impardonnable est un très bon roman familial.

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À tombeau ouvert

Texte de Bernard Chambaz.

Le 1er mai 1994, des millions de téléspectateurs assistaient en direct et avec horreur à l’accident qui fut fatal à Ayrton Senna. Sur le circuit d’Imola, un des plus grands coureurs automobiles du monde sortait de la piste pour la dernière fois. Le narrateur revient sur la jeunesse de ce conducteur hors pair aux allures de héros grec, ce champion des courses de chars modernes. « Il a les moyens de courir deux lièvres à la fois, il va plus vite que les lièvres. » (p. 55) Il a suffi qu’il touche un volant pour devenir un prodige de la course automobile. « En course, il est exalté : il double à droite, il double à gauche ; il mène un train d’enfer, il donne l’impression qu’il vole. Sa précision et sa capacité de prévision font merveille. Et en matière de prévision, il fait déjà les temps qu’il annonce qu’il va faire. » (p. 47) Ayrton Senna s’impose au fil des saisons, sur tous les circuits et remporte tous les titres. Il fréquente, avec plus ou moins de bonheur, des femmes superbes et enflamme l’asphalte dans ses bolides. Pourtant, il y a comme des signes annonciateurs, des présages funestes sur sa route. « Au début de l’automne, c’est le souffle de la mort qu’il sent sur sa nuque. » (p. 113) Mais comment faire autrement que rouler, toujours plus vite, et vouloir atteindre les plus hauts sommets ? Ayrton Senna met les gaz. « La vitesse est la grande affaire de sa vie. Dieu aussi, mais la vitesse est d’essence divine. Avant le Dieu des chrétiens qui a repris l’éclair et la foudre à Zeus, c’est Hermès qui l’a incarnée. Hermès va à la vitesse du vent. » (p. 121) Même s’il a conscience des dangers de la course et qu’il œuvre pour la sécurité des coureurs, il ne peut pas lever le pied jusqu’au jour fatal que l’on sait.

En parlant d’Ayrton Senna, Bernard Chambaz convoque le souvenir de Martin, son fils décédé en 1992 dans un accident de voiture. Il évoque aussi l’accident bénin qu’il a eu avec sa compagne. La mort au volant est une peur puissante qui entre certainement dans ma décision de ne jamais passer le permis de conduire. J’avais neuf ans le jour tragique de la disparition d’Ayrton Senna. Et il me semble bien que mon papa regardait cette course. J’ai gardé de cet accident un souvenir puissant, sans doute parce que j’avais à l’époque le béguin pour Alain Prost et que j’avais bien peur qu’il lui arrive la même chose. D’une manière ou d’une autre, la disparition d’Ayrton Senna a probablement marqué tous ceux qui avaient entendu parler de lui. Et c’est avec tendresse et admiration que Bernard Chambaz rend hommage au sportif brésilien.

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Bronson

Roman d’Arnaud Sagnard.

Fils d’un immigré lituanien, Charles Bronson n’a pas toutes les cartes en main au début de son existence. Très tôt, il perd son père et plusieurs de ses frères. Il est contraint de travailler à la mine pour assurer la subsistance des siens, puis appelé à la guerre dont l’horreur le marquera profondément. Pas étonnant qu’il préfère le silence et la réserve. « Charles parle peu, il écoute à peine, on dirait qu’il a dans la bouche un trou où tombent les mots. » (p. 19) Pour réaliser le rêve d’un de ses frères, il part à New York, puis à Los Angeles pour devenir acteur. Sa jeune épouse, Harriett, le suit, et deux enfants couronneront bientôt le mariage. « Au cinéma, justement, je réalise qu’il n’élève jamais la voix. […] Si le cinéma est né pour faire taire le silence, pour l’habiter et l’occuper le plus possible, Buchinsky fait exactement le contraire. Le débutant joue à nu, sans aucun artifice. » (p. 88) Le succès tarde à venir, mais celui qui se fait désormais appeler Charles Bronson est déterminé à trouver sa place.

Le théâtre ne lui réussissant pas, il se tourne vers le cinéma où il devient l’une des gueules les plus emblématiques d’Hollywood. « Il y a pourtant cette évidence, les similitudes entre ce visage et une paroi rocheuse ravinée ou une montagne, cette façon de ne pas laisser prise aux passions liquides ou inflammables telles que l’amour. Bronson est minéral mais ce n’est pas exactement cela. Sans l’avoir jamais vu, on le reconnaît, quelque chose de millénaire passe, il est de toutes les époques, de toutes les fois où un individu a pu penser en regardant le visage d’un autre : je suis face à un mystère et sa solution, face à un sphinx qui formule la question et sa réponse. » (p. 106) Bronson fascine, hommes et femmes. Ces dernières, justement, il en aura beaucoup, mais il se retranche sans cesse de la société. Dans sa gigantesque villa de Bel-Air, Bronson se terre, géant d’airain aux pieds d’argile. Bronson a toujours eu du mal à vivre : sa place n’était pas parmi les vivants. « La mort ne l’abandonne pas, peut-être parce qu’il la tutoie depuis son enfance ou parce qu’il a été son héraut et son interprète. » (p. 243)

On sent toute la fascination du narrateur qui effectue des recherches fiévreuses pour se rapprocher de l’acteur. « On ne mesure pas le pouvoir que confère la consultation d’archives et de témoignages à celui qui s’y adonne. » (p. 52) Comme lui, on n’en finit pas d’observer le visage de Charles Bronson pour comprendre quelque chose aux sillons qui le parcourent. La filmographie de l’acteur se déroule au fil des pages, mais un film en particulier hante le roman et, semble-t-il, l’existence de Charles Bronson, Le flingueur. Ah, profondes sont mes lacunes en cinéma, surtout ancien ! Mais Arnaud Sagnard a ouvert une porte dans laquelle je vais m’engouffrer avec plaisir et curiosité. De Charles Bronson, sans avoir jamais vu aucun de ses films, je connais la gueule brutale (mais tout à fait séduisante) et son corps massif. Ce monstre d’Hollywood appartient à l’imaginaire collectif et Arnaud Sagnard assoit encore un peu plus sa place en le faisant héros du roman de sa propre vie.

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Les visages pâles

Roman de Solange Bied-Charreton.

À la mort de Raoul Estienne, industriel qui a fait fortune dans les brosses à dents, son fils Jean-Michel envisage de vendre la Banéra, grande maison familiale. Mais ses propres enfants se braquent contre son projet. Pourtant, ils vivent tous à Paris. Hortense est à la tête d’une start-up performante, Lucile est graphiste à la Défense et Alexandre s’investit passionnément dans la Manif pour tous. Pour eux, liquider cet héritage bourgeois, c’est signer la fin d’une époque, perspective tout à fait insupportable. « Tous conclurent mentalement qu’il était regrettable que la perte des principes atteigne jusqu’aux élites, que c’était là le signe d’une dégénérescence. La fin des traditions était entérinée. » (p. 23) Les enfants de Jean-Michel se raccrochent à un passé glorieux et voudraient, en quelque sorte, arrêter le temps et nier une certaine forme de progrès social. Étrangement, c’est la jeune génération qui est la plus acharnée quand il s’agit de préserver le vieil empire familial pourtant décrépi et menaçant ruine. En fait, ce qu’il reste à protéger, c’est plus un souvenir qu’un véritable patrimoine industriel ou bourgeois.

Pour Jean-Michel, ses rejetons souffrent d’un excès de confort. « Le problème de ses enfants et des gens de la génération de ses enfants, c’est qu’ils étaient malheureux de n’avoir pas suffisamment souffert. Alors, ils se créaient des contraintes. Il n’y avait qu’à voir Alexandre qui avait demandé à passer son lycée dans un pensionnat de curés, et se laissait séduire par des pensées rétrogrades. En d’autres termes, ils ne supportaient pas que leur vie soit agréable. Paradoxalement, la moindre contrariété les bouleversait durablement. […] Il leur manquait vraiment cette colonne vertébrale que seule la frustration vient prodiguer aux hommes. » (p. 124) Finalement, Hortense, Lucile et Alexandre vont apprendre le tumulte et quitter la quiétude tiède de leur existence pour commencer à vivre comme tout le monde. Face aux peines de cœur et au désarroi professionnel, il n’y a pas de bourgeoisie : la société est enfin égalitaire. « Ce tas de cendres, c’était eux-mêmes, et ils se regardaient bien en face dans le miroir, et longuement chacun, Hortense, Lucile, Alex, avec l’effroi de vivre, l’effroi d’être finis, décombres parmi les décombres. » (p. 269)

Si j’ai lu ce roman avec intérêt, je n’ai pas éprouvé beaucoup de compassion pour les protagonistes, probablement parce que l’univers bourgeois m’est inconnu. Je retiens surtout la plume forte et affirmée de Solange Bied-Charreton dont le style moderne est tout à fait intéressant.

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