Billevesée #144

« On n’est pas aux pièces ! »

Qué ??

Raz-le-bol de me demander de quelles pièces il s’agit quand j’entends cette expression !

C’est une expression venue du monde du travail : ça ne sert à rien de se presser/précipiter, le salaire n’est pas calculé en fonction du nombre de pièces produites, mais du nombre d’heures travaillées. Donc, que l’on produise 10 pièces à l’heure ou seulement 2, le salaire sera le même.

Alors, billevesée ?

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Le chat, tome 19 : Le Chat passe à table

Bande dessinée (double album et gazette) de Philippe Geluck. À paraître le 8 octobre.

Il n’y a pas un chat et Le chat est parti

Le Chat est un penseur des temps modernes. Sa philosophie est simple, en lien avec les grandes préoccupations de notre époque. Ou pas. « Quand on habille un mort, est-il bien nécessaire de lui mettre des sous-vêtements ? » (p. 72) Habile détourneur d’œuvres classiques, il met sa patte sur des millénaires d’histoire. « Si tu es capable de voir la nuit, si tu te laves en te léchant, si tu retombes toujours sur tes pattes, si tu fais marrer tes contemporains. Alors, tu seras un chat, mon fils. » (p. 11) Le Chat nous parle d’amour, de constipation, de politique, de mort, de religion et de vie quotidienne. Il est comme nous, le Chat, sauf qu’il a un très gros nez. Le mariage gay ? Oui, il a aussi un avis sur la question. « Votre fille peut fonder une famille avec une autre fille qu’elle aime ou avec un sale con qu’elle n’aime pas, que choisissez-vous ? / Je choisis le sale con parce qu’on a toujours fait comme ça dans la famille. » (p. 70)

Le petit plus de ces deux albums, c’est le grand foutoir au niveau de la numérotation des pages. Si elles se suivent, elles ne se ressemblent pas… Et c’est le cas de ce dix-neuvième opus dans lequel Philippe Geluck renouvelle son humour sans jamais nous lasser.

La gazette du chat

Interview, reportage d’investigation, horoscope, page économique et culturelle, rien ne manque dans ce journal ! « Scorpion. Vous êtes une saleté de bestiole. Quel bonheur trouvez-vous à faire du mal aux autres ? Vous et les moustiques, moi je dis merci bien ! »  Avec un tel horoscope, je pense qu’il vaut mieux rester couché et relire le dernier album du chat, c’est le mieux qui peut nous arriver.

Revenons au titre de ce dix-neuvième album et définissons l’expression « passer à table ».

  1. S’asseoir à table dans l’objectif de manger.
  2. Avouer, cracher le morceau (ce qui est plutôt antinomique avec la définition 1)

Deux définitions pour le prix d’une, c’est comme ce volume 19 : deux fois plus de plaisir en un seul album. Philippe Geluck reprend la formule du volume 18, La Bible selon le Chat, à savoir un coffret qui contient deux albums à l’italienne, format qui se prête vraiment aux facéties du gros félin philosophe. Merci le Chat et merci M. Geluck. On prendrait bien un peu de rabiot…

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J’apprends l’heure avec les Lapinos

Album jeunesse de Pierre Couronne.

Il est 7 h, l’heure de se réveiller pour les petits Lapinos. Philipon, Petipol et Pâquerette se préparent pour l’école. Vite, vite, il ne faut pas être en retard ! À 12 h, ils mangent de bon appétit à la cantine et quelle énergie ils ont, à 16 h, pour jouer au ballon ! Voilà déjà le soir, Papa est rentré à la maison. « À dix neuf heures, toute la famille est à table pour le dîner. ‘Hum ! Ça sent bon la soupe de carottes sauvages’, dit Papa. » Une dernière histoire et hop, au dodo !

Avec la petite horloge dont le lecteur peut tourner les aiguilles, il est très facile de suivre le déroulement de la journée des Lapinos, du lever jusqu’au coucher. Une preuve supplémentaire, s’il était besoin, que les livres rendent intelligent. Le texte est imprimé dans une belle écriture cursive qui rappelle les lignes de la maîtresse à l’apprenti lecteur. Quant aux illustrations, vous étonnerai-je si je vous dis que cette famille de lapins est trognonne et que les doux dessins, en déclinaisons de pastel, sont un ravissement pour les yeux ? Non, je m’en doutais.

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Les yeux du dragon

Roman de Stephen King. Illustrations françaises de Christian Heinrich.

Le roi Roland a deux fils, Peter et Thomas. Il a aussi un terrible conseiller, le magicien Randall Flagg. Ce dernier nourrit de sombres desseins pour le royaume de Delain. « Flagg était une véritable maladie, une fièvre qui cherchait un front à brûler. » (p. 63) Le roi Roland est déjà largement sous sa coupe, mais c’est en la personne du prince Thomas qu’il compte asseoir sa domination sur le royaume. Pour cela, il doit discréditer Peter, le fils aîné, et l’éloigner du trône. Accusé du pire des crimes, Peter est enfermé pendant des années dans la plus haute cellule d’une tour battue par les vents. Patiemment, le prince bafoué prépare son évasion et sa vengeance. Mais il doit se hâter : avec Thomas à sa tête et Flagg qui œuvre dans l’ombre, le royaume de Delain est exsangue et la rébellion gronde. « Le magicien était un monstre, un monstre en liberté, au service du nouveau roi. » (p. 235)

Stephen King a écrit ce conte pour sa fille après que cette dernière lui a fait entendre que ses autres romans n’étaient pas vraiment à mettre entre des mains d’enfant. Dans ce texte, l’auteur respecte la structure simple et codifiée du conte. Les personnages sont archétypaux et suivent les schémas que l’on attend d’eux. Si certains passages sont effrayants, ils sont à des lieues des romans d’épouvante que le King a l’habitude de produire. L’histoire est tout à fait plaisante à lire, mais pour un lecteur adulte habitué aux textes corsés de l’auteur, Les yeux du dragon semble bien fade. Mais je pense qu’un jeune lecteur qui aurait découvert et aimé Stephen King avec ce livre aura très certainement envie de poursuivre sa découverte du royaume de Delain avec le cycle de La tour sombre qui, à ce jour, reste ce que je préfère de l’auteur. Et ils retrouveront avec plaisir et frisson l’affreux Randall Flagg, qui est le grand méchant de l’univers littéraire de Stephen King.

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Billevesée #143

Trois mois sans parler nourriture ? Mais que se passe-t-il sur ce blog ? Aujourd’hui, retour aux fondamentaux. Parlons bien, parlons bouffe !

J’aime les œufs. Les œufs à la coque. Les œufs brouillés. Les œufs en omelette, surtout norvégienne. Les œufs en chocolat (Hors-sujet, vous dites ?). Les œufs au plat. Les œufs durs. Les œufs mimosa. Les œufs en meurette. Les œufs Bénédicte.

Mais mes préférés, ce sont les œufs mollets. Sur une tranche de pain grillé ou avec une salade de mâche et du roquefort, ce sont de petites merveilles.

Alors, billevesée ?

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Où est mon lapin ?

Album jeunesse de Fiona Watt, illustré par Rachel Wells.

Dans ce petit livre interactif, le jeune lecteur éveille sa sensibilité en caressant/explorant les pages du bout des doigts, à la recherche d’un petit lapin. Est-ce celui-ci ? Non, ses pattes sont trop rugueuses ! Est-ce celui-là ? Non, ses yeux ne sont pas assez brillants ! Est-ce enfin celui-ci ? Oui ! « C’est mon lapin ! Ses oreilles sont si douces. »

Au fil des quelques pages cartonnées, le petit lecteur rencontre six adorables lapins, de jolies fleurs, des papillons joyeux et des souris facétieuses. J’aime ce genre d’album ludique : son format carré cartonné en fait un objet solide, épais, facile à prendre en main. De la fourrure par ici, de la laine de ce côté ou encore du velours par là, c’est un plaisir de tourner les pages. Bref, comme bébé, je ne me lasse pas de tripoter ce livre-jouet !

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La petite fille qui aimait Tom Gordon

Roman de Stephen King.

Trisha subit une énième dispute entre son frère et sa mère. Cette fois, la dispute a éclaté pendant la sortie hebdomadaire. Pour s’éloigner des cris et soulager un besoin pressé, Trisha quitte le sentier et s’éloigne dans les bois. Quelques pas du mauvais côté et la voilà perdue, seule, à neuf ans, dans une forêt qu’elle ne connaît, avec un maigre casse-croûte et un walkman aux piles déjà vacillantes. Les heures deviennent des jours et Trisha désespère de retrouver le monde. « Si elle avait pleuré, elle ne serait plus arrivée à se persuader qu’elle n’avait pas peur. Si elle avait pleuré, il aurait pu se passer n’importe quoi. » (p. 35) Casquette des Red Sox sur le crâne, sac sur le dos et écouteurs vissés aux oreilles, Trisha n’a que la radio pour se raccrocher à l’espoir, en suivant les matchs de Tom Gordon, son joueur de baseball favori. « Si Tom Gordon leur sauvait la mise, il lui sauverait la mise aussi. » (p. 91) Mais tout cela est loin de suffire quand il s’agit d’éloigner la faim, la soif, les moustiques, la nuit et la Chose, cette créature qui rôde autour de Trisha sans se décider à attaquer. « Les forêts sont pleines de toutes sortes de choses qu’on déteste, de choses dont on a peur, qui vous dégoûtent, qui font tout ce qu’elles peuvent pour vous remplir d’une panique atroce qui vous rend débile. » (p. 34) Qu’adviendra-t-il de Trisha dans ces bois inconnus ?

Stephen King mérite décidément son titre de maître de l’horreur. En partant d’une histoire d’une triste banalité – une petite fille perdue dans les bois –, il crée une atmosphère angoissante en tirant sur des ficelles très simples. Les seuls monstres de l’histoire sortent de l’imagination effrayée de l’enfant et la terreur va croissant avec la faim et la fatigue. Ramenée au niveau de ce qu’une gamine de neuf ans peut endurer, cette expérience déjà effrayante devient franchement traumatisante. « Je ne suis qu’une petite fille, il ne faut pas m’en demander trop. » (p. 232) Et le lecteur qui suit Trisha pas à pas ne peut pas ne pas sursauter à chaque branche qui craque. Comme dans Cujo où un gentil toutou devient un monstre sanguinaire, Stephen King retourne la réalité pour en faire le décor d’un conte macabre. La simplicité du procédé ne doit en aucune façon faire penser que l’histoire est simpliste : je voudrais vous y voir, vous, perdu et démuni dans une forêt à des dizaines de kilomètres du moindre être humain…

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La nuit de l’oracle

Roman de Paul Auster.

L’écrivain Sidney Orr relève d’une longue maladie. Alors qu’il pensait ne plus pouvoir écrire, il retrouve l’inspiration grâce à un carnet bleu. « Ces carnets sont très sympathiques, mais ils peuvent aussi être cruels et tu dois prendre garde à ne pas t’y perdre. » (p.53) Il commence à écrire l’histoire de Nick Bowen, personnage qui a trouvé le manuscrit de Sylvia Maxwell, La nuit de l’oracle. Absorbé par son nouveau roman, Sidney a l’impression que les frontières entre réalité et imagination deviennent poreuses. « C’était un lieu illusoire qui appartenait à ma tête, et où je me trouvais aussi. Dans ces deux lieux en même temps. Dans l’appartement et dans l’histoire. Dans l’histoire dans l’appartement que j’écrivais encore dans ma tête. » (p. 39) Alors que les mots lui reviennent enfin, il doit faire face à des difficultés d’ordre privé. Très amoureux de son épouse Grace, il a le sentiment que celle-ci lui échappe et il n’a que son imagination pour combler les blancs. « Depuis que j’ai acheté ce carnet, tout se déglingue. Je ne pourrais plus dire si c’est moi qui me sers du carnet ou le carnet qui se sert de moi. » (p. 166 & 167)

Les longues notes de bas de page de Sidney Orr sont des explications, des souvenirs et des justifications qui finissent par constituer une histoire parallèle à celle qu’il raconte. Dans ce roman, Paul Auster propose en fait une multitude d’histoires : il y a l’histoire racontée par Sidney Orr et ses interminables digressions en bas de page, le roman que celui-ci écrit et le manuscrit La nuit de l’oracle – texte que l’on aurait furieusement envie de lire tant il semble obséder le personnage créé par Sidney Orr. À la fois histoires gigognes et histoires en maillons, chacune dépendant de l’autre, ces textes se contaminent les uns les autres et entraînent le lecteur dans un labyrinthe narratif tout à fait étourdissant. Sans aucun doute, La nuit de l’oracle est le meilleur roman de Paul Auster que j’ai lu jusqu’à présent.

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Billevesée #142

Le jeu de dominos est un des plus vieux du monde. Une forme de celui-ci aurait été trouvée dans la tombe de Toutankhamon. Et en parlant de tombes…

Le domino est un jeu familial traditionnel de l’île de la Réunion, les habitants disputant d’ailleurs des parties lors des veillées funéraires. Pourquoi ? Aucune idée ! Une tradition, c’est une tradition !

Alors, billevesée ?

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La formule préférée du professeur

Roman de Yoko Ogawa.

La narratrice est la nouvelle aide-ménagère d’un vieux professeur de mathématiques qui n’aime pas les carottes et dont la mémoire ne dure pas plus de quatre-vingts minutes. Ainsi, tous les jours, elle doit refaire connaissance avec son employeur. Pour le vieil homme, toute chose est bonne à être mise en chiffres. « Les nombres étaient la main droite qu’il tendait vers l’autre pour une poignée demain, en même temps qu’ils lui servaient de manteau pour se protéger. » (p. 17) Au fil des semaines, la narratrice et son jeune fils se rapprochent du professeur et tissent de profonds liens d’amitié. Le vieil homme partage avec passion son amour pour les mathématiques et l’enfant aime apprendre auprès de cet adulte qui ne ressemble à aucun autre. « Une autre merveille de l’enseignement du professeur était l’utilisation généreuse qu’il faisait de l’expression ne pas savoir. Ne pas savoir n’était pas honteux, car cela permettait d’aller dans une autre direction à la recherche de la vérité. » (p. 91) Si le vieux bonhomme perd la tête, il ne perd jamais le compte et les formules mathématiques lui sont un précieux fil d’Ariane dans un monde qu’il ne comprend pas toujours.

Ce court roman déborde de tendresse et d’émotion. Le style de Yoko Ogawa est très poétique et gracieux et, sous sa plume, les chiffres ont leur propre lyrisme : on se prend à lire les formules mathématiques avec le même souffle qu’il faut pour déclamer un bel alexandrin. Si au détour d’une page, vous prenez un papier et un crayon pour reproduire la démonstration du vieux professeur, pas de doute, vous êtes conquis. Et si vous recommencez le même exercice, c’est que vous avez compris la beauté des mathématiques. « Ce n’est pas parce qu’on donne la bonne réponse qu’un exercice est terminé. » (p. 71) Il n’est nul besoin d’avoir faire Math Sup pour se frotter avec ces formules : il faut juste aimer les jeux d’esprit et vouloir découvrir les secrets des chiffres. « On attrape les mathématiques avec l’intuition. » (p. 31) La formule préférée du professeur nous parle de mémoire, de transmission, d’héritage, de baseball et de la famille que l’on se crée pour lutter contre la solitude.

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Le livre du magicien – 8 tours de magie avec tous les trucs

Manuel de magie.

Mon Challenge Totem ne serait pas complet sans un lapin de magicien ! Abracadabra, j’en sors un de mon sac à main. Je ne porte jamais de chapeau, ça décoiffe.

Notre professeur est un lapin portant haut-de-forme et cape de magicien. Baguette à la main à la patte, il nous apprend à manipuler des cartes et des objets du quotidien, mais surtout, évidemment, à distraire l’attention du public pour faire opérer la magie ! « Avant de les réaliser devant un public, prends soin de t’entraîner. Après, tu pourras deviner les pensées des autres, lire à travers leurs yeux, faire apparaître ou disparaître des objets et plein d’autres choses encore… » Pas question de vous donner mes trucs, mais maintenant que le lapin magicien m’a donné mon diplôme, je vais faire sensation dans les soirées. Enfin, uniquement si on m’invite à des goûters d’anniversaire.

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Goat Mountain

Roman de David Vann.

Depuis plusieurs années, un jeune garçon accompagne son père, son grand-père et un ami de la famille lors de l’ouverture de la chasse. L’année de ses onze ans, il aura enfin le droit de tirer son premier cerf. Mais alors que son père l’invite à observer un braconnier dans le viseur de son arme, le garçon commet l’impensable et n’en ressent aucune honte. « Chacun de nous ressentant une sorte d’élan. Aucune action anodine. Chacun de nos pas, un nouveau pas vers une fin. Je le savais depuis que j’étais en mesure d’avoir des souvenirs. » (p. 15) La chasse continue, encombrée d’un cadavre, et les trois hommes s’affrontent, chacun avec sa propre idée de ce qu’il faut faire. Le père peut-il encore protéger le fils face à un aïeul qui cite des règles immémoriales et contre un troisième homme qui pense aux conséquences sociales de l’acte de mort. « Tu es mon fils. Je suis ici pour t’aider. J’essaie de comprendre ce que tu peux bien être, et j’essaie de t’empêcher de le devenir. » (p. 209) Ce sombre récit est porté par l’enfant devenu adulte, comme une introspection a posteriori, probablement trop tardive, mais néanmoins nécessaire. Sur les terres familiales de Goat Mountain, le garçon a tout appris de la vie en apprenant la mort, au cours d’une initiation brutale et sauvage.

Attention, texte dense et étouffant ! Impurs présentait déjà une jeune personne flirtant avec trop de plaisir avec la violence et la mort. Sukkwan Island  et Désolations montraient les violences que l’on s’inflige au sein des familles. Avec Goat Mountain, la boucle est refermée, ainsi que l’annonce l’auteur en postface. « Ce roman consume les derniers éléments qui, à l’origine, m’ont poussé à écrire : les récits sur ma famille et sa violence. Il revient également sur mes ancêtres cherokees, et leurs interrogations lorsqu’ils furent mis face à l’idée de Jésus. » (p. 249) Sur une terre nord-américaine qui a bien changé depuis la découverte du Nouveau Monde, les récits de la Bible se mêlent au folklore américain et ce mélange culturel interroge l’être humain. « Je me fiche bien de Jésus, mais l’Ancien Testament est un recueil d’histoires d’un temps ancestral, des ombres ataviques parmi lesquelles j’erre sans cesse dans l’espoir d’y trouver une confirmation. » (p. 86) En faisant de l’enfant un tueur naturel, le texte questionne le rapport de l’homme à la mort et au meurtre. « Ce qui est instinctif porte soudain le poids d’une conséquence, notre nature animale trahie par la conscience. » (p. 150) Le narrateur est obsédé par la figure de Caïn, le premier assassin dont l’offrande refusée a été remplacée par un sacrifice païen. Les réflexions métaphysiques et religieuses du narrateur sont finalement profondément humaines : dans un monde et une civilisation en décrépitude, sur des terres vidées de leurs grands troupeaux, l’homme expérimente l’enfer de son vivant, toujours en quête de réponse et de sens. « Dans ce que nous considérons comme inviolable, quelle quantité n’est qu’aléatoire, sans aucun fondement ? » (p. 112)

Dans ce roman, David Vann fait montre d’un style extrêmement percutant, où les phrases ne manquent pas leur cible. Avec une économie de mots et une écriture resserrée qui sait tout dire en ne nommant pas tout, l’auteur porte son texte à un degré de précision que n’avaient pas ses précédents romans. Fluide et obsédante, la narration place le lecteur en lieu et place de l’action : il est impossible d’être un simple spectateur, de ne pas sentir le sang, de ne pas entendre les chairs se déchirer et les cœurs battre au rythme fou des pulsations cosmiques. Et ce constat du narrateur peut devenir celui du lecteur, s’il se laisse prendre au piège du texte. « Une partie de moi-même n’aspirait qu’à tuer, constamment et indéfiniment. » (p. 21)

Profondément ancré dans le courant du nature writing, ce roman époustouflant pourrait également s’inscrire dans ce que j’ai déjà appelé l’human nature writing, l’homme étant sans cesse exclu et partie prenante de la nature. Goat Mountain est un récit âpre, barbare et infanticide : lecteurs qui entrez ici, abandonnez toute innocence.

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Billevesée #141

Le cimetière civil du Père-Lachaise, situé dans le 20e arrondissement de Paris, est le plus grand cimetière intra-muros de la capitale et le cimetière le plus visité au monde.

Mais qui était donc le Père-Lachaise ? Il s’agit de François d’Aix de la Chaise, surnommé le Père La Chaise, qui fut le confesseur du roi Louis XIV. Le cimetière porte son nom, car il fut implanté sur des terrains qui lui appartenait.

Alors, billevesée ?

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Silo – Origines

Premier volume : Silo

Roman de Hugh Howey.

Comment l’humanité a-t-elle fini par habiter sous terre, dans d’immenses silos autosuffisants ? Tout est parti d’un soi-disant projet immobilier dirigé par le député Donald Keene. « C’est ce qu’on appelle un bâtiment au-cas-où. » (p. 28) Au cas où quoi ? C’est là le grand secret. « Tu as certainement retenu le meilleur moyen de garder un secret. […] Le déni. » (p. 23) On parle déjà de cryogénisation, de nanobiotiques, de pilules qui effacent les souvenirs et de guerre inévitable. Des décennies plus tard, Troy est tiré d’un très long sommeil et se retrouve en charge d’une importante mission. « Il avait étudié en vue de diriger un silo, mais pas celui qui supervisait tous les autres. » (p. 45) Dans un autre silo, Jimmy se retrouve brusquement seul et doit apprendre vivre ainsi. « Jimmy découvrit une nouvelle Règle du Monde : l’homme n’était pas fait pour vivre seul. Jour après jour, son quotidien le lui confirmait. Il fit cette découverte, mais il l’oublia aussitôt, car il n’y avait personne avec lui pour la lui rappeler. Il parlait avec les machines à la place. Elles lui répondaient, en faisant cliqueter leur gorge de métal, que l’homme n’était pas fait pour vivre du tout. » (p. 443) Il y a l’homme qui voit venir l’horreur et l’homme qui doit en protéger les conséquences tout en dissimulant les causes. « Expliquez-moi en quoi la solution n’est pas pire que le problème. » (p. 266) Pour survivre, l’humanité doit oublier, mais certains hommes ont la lourde responsabilité de se souvenir. « Les mensonges […] étaient ce qu’ils entretenaient ici dans le silo 1, dans cet asile embrumé par les pilules curieusement en charge de la survie de l’humanité. » (p. 69)

Après un premier tome magistral qui l’a fait entrer d’un bond dans la cour des grands auteurs de science-fiction et de dystopie, Hugh Howey offre un préquel parfaitement maîtrisé à Silo. Partant des origines de la catastrophe, il renoue avec des personnages de son premier volume, à une époque où on ne les connaissait pas encore. Le mélange de violence, d’insurrection, de survie, de secret, de politique et de pouvoir est toujours aussi savoureux. D’autant plus qu’il est agrémenté d’un ingrédient de choix. « L’espoir. C’est de ça qu’il s’agissait. De l’espoir et de ses dangers. » (p. 450) Vivement le dernier volume de cette trilogie !

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Gilles et Jeanne

Roman de Michel Tournier.

Quand Gilles de Rais rencontre Jeanne d’Arc, il n’est qu’un seigneur de province sans ambition, ni grande intelligence. « Il a immédiatement reconnu en elle tout ce qu’il aime, tout ce qu’il attend depuis toujours : un jeune garçon, un compagnon d’armes et de jeu, et en même temps une femme, et de surcroît une sainte nimbée de lumière. » (p. 11) Gilles met son bras et son courage au service de la Pucelle et la mort tourmentée de celle-ci le transforme. Après trois ans de retraite dans ses domaines, terré comme une bête, il est devenu un monstre sanguinaire qui dévore et supplicie des enfants. « C’est si émouvant, un enfant qui souffre ! C’est si beau un petit corps ensanglanté, soulevé par les soupirs et les râles de l’agonie. » (p. 48) Effrayé par ce qu’il est devenu, il demande de l’aide à son confesseur, l’abbé Blanchet. En Toscane, l’abbé rencontre François Prélat, alchimiste persuadé de pouvoir sauver l’âme de Gilles grâce au feu. Hélas, le destin de l’ogre de Tiffauges est déjà tracé et sa légende est en marche.

Michel Tournier fait parler les silences de l’Histoire et tente de comprendre comment le compagnon de la pure Jeanne a pu devenir ce monstre de cruauté. La rencontre entre la pucelle et la bête est pétrie de contradictions, mais également d’évidences : ces deux-là étaient faits pour se connaître et se reconnaître et c’est peut-être la sainte qui a donné naissance au monstre.

En 1970, Michel Tournier écrivait Le roi des Aulnes : Abel Tiffauges y était un descendant direct de Gilles de Rais. Cette figure marque la mythologie de l’auteur. En 1983, en écrivant Gilles et Jeanne, il comble les blancs d’une histoire qui a nourri tant de contes et de légendes. Je ne me lasse pas du style de Michel Tournier, à la fois érudit et poétique.

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Mangeclous

Roman d’Albert Cohen.

Après avoir suivi les tristes premières amours de Solal, Albert Cohen nous ramène en Céphalonie pour suivre le quotidien de Mangeclous, Saltiel, Salomon, Mattathias et Michaël, ces cinq juifs de nationalité française aux caractères si particuliers. « Si je ne mentais pas, que me resterait-il ? » (p. 161) Au fil des pages, il sera question d’un chèque de trois cent mille drachmes, d’un message codé, de la possibilité d’un trésor, d’une lionne en liberté, d’un voyage vers Genève en passant par Marseille, d’un hideux marin se croyant bourreau des cœurs, d’un Juif emprisonné pour sa religion, de la Société des Nations et d’un gouvernement israélien. Avec les Valeureux, on parle d’amour comme on parle de pets, jugeant le premier à l’aune des seconds, la poésie des choses triviales n’ayant aucun secret pour ces cinq hommes aux manies étranges et ridicules.

« Dieu est grand, dit Mangeclous. Et moi aussi. » (p. 250) Tout à la fois grandiose et grotesque, Mangeclous est une caricature d’égocentrique, d’affamé et de radin. « Je suis victime du dévouement à ma cause personnelle et privée. » (p. 347) Lui et ses compères font montre d’un formidable orgueil et avancent dans le monde comme si chacun devait les connaître et les reconnaître. Sous couverts d’obscurs et lointains hauts faits, lesquels sont largement sujets à caution, les Valeureux portent le nom de Solal comme un oriflamme devant leur ouvrir toutes les portes. « Je suis un inconnu, moi ? Mais ne sais-tu pas qu’un livre tout entier appelé « Solal » a été écrit sur moi avec mon propre nom et que l’écrivain de ce livre est un Cohen dont le prénom étrange est Albert. » (p. 298) Pour faire valoir leurs prétendus droits et privilèges, ils usent et abusent de démonstrations et de récits logorrhéiques : ces avalanches de mots, ces cataclysmes verbaux se déploient dans un langage richement ampoulé et ridiculement fiorituré, l’invention lexicale n’étant pas la dernière des habitudes de nos cinq étonnants compères.

Agaçants, mais attachants, les Valeureux traînent avec eux une mélancolie identitaire et cultuelle : un bon juif est un juif triste, bourrelé de remords et de chagrin. Mais Mangeclous et sa clique savent effacer leur peine devant un buffet ou la promesse d’un profit. Puisque tout est toujours question d’argent ou de tractation, la générosité pourrait sembler impossible. Pourtant, les cinq cousins céphaloniens ont des trésors de bonté et d’abnégation dissimulés sous des dehors crasseux et retords. Et quand il est question de leur religion, même l’auteur y va de bon cœur dans la moquerie. « Allons, allons, c’est pas sérieux comme religion. Vous n’avez pas de Bonne Mère, pas de saints, rien du tout. Rien qu’un bon Dieu là, tout seul. C’est pas sérieux, voyons ! Et puis tu t’imagines que ça me fait plaisir que tu vas rôtir pour l’éternité. » (p. 229)

Sous la plume d’Albert Cohen, le portrait du juif est poussé à un tel extrême qu’il est impossible d’y croire, comme si, au moment de l’écriture, dans un contexte d’antisémitisme grandissant, l’auteur avait voulu tordre le nez aux clichés sur les juifs en les faisant s’écrouler sous leur propre incongruité. Et finalement, en lisant Mangeclous, on se dit que, non, ce n’est pas possible, les juifs ne sont pas comme ça et il ne faut pas les diaboliser. « Les Israélites de Céphalonie forment une espèce à part. Il serait injuste de généraliser. » (p. 102) Mangeclous est un monument comique, écrit avec une verve quasi épique et le texte est si truculent qu’il est à hurler de rire, sans se retenir, comme le ferait le héros éponyme, toute honte bue, gorge déployée et bravache, comme un immense pied de nez fait aux vilains pensants et étroits d’esprit.

J’ai déjà lu Belle du Seigneur. Je me réserve Les Valeureux pour la bonne bouche, un jour où j’aurai envie d’une lecture riche et sucrée comme une pâtisserie orientale.

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La trilogie des jumeaux

Romans d’Agota Kristof.

La guerre a éclaté. Une femme confie ses enfants, des jumeaux, à sa mère, à la campagne. Les garçons sont fusionnels et ne font rien l’un sans l’autre. Pour faire face à toutes les douleurs, ils décident de s’endurcir et se livrent à de cruels exercices. « À force d’être répétés, les mots perdent peu à peu leur signification et la douleur qu’ils portent en eux s’atténue. » (p. 27) De l’insensibilité à la cruauté, les jumeaux font l’apprentissage d’une résistance à toute épreuve. Mais il reste une chose qu’ils doivent surmonter : la séparation. L’un part donc, traverse la frontière, se rend dans l’autre pays. Lucas reste seul, sans Claus, dans la maison de la grand-mère. Il continue à écrire dans le grand cahier, pour que Claus sache qu’il ne l’a pas oublié. « Nous avons décidé de nous séparer. Cette séparation devait être totale. Une frontière n’y suffisait pas, il y fallait aussi le silence. » (p. 319) Lucas rencontre Yasmine et Mathias : il essaie de former une famille avec cette femme et cet enfant, mais sans Claus, il n’est que claudiquant, incomplet. « Je connais la douleur de la séparation. […] Le départ d’un frère avec qui je ne faisais qu’un. Il est parti. Il a traversé la frontière. » (p. 220) Quand vient l’heure de tomber les masques, il faut relire toute l’histoire et démêler le vrai du faux, le véridique de l’inventé.

La générosité froide et automatique du/des protagonistes est effrayante, tout comme leur histoire aux accents si vrais et pourtant si faux. « Ne me remerciez pas. il n’y a aucun amour et aucune bonté en moi. » (p. 233) Qui sont Lucas et Claus ? Existent-ils ? Où est la vérité dans leur histoire ? Qu’y a-t-il dans ce grand cahier ? « Je suis convaincu, Lucas, que tout être humain est né pour écrire un livre, et pour rien d’autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n’écrira rien est un être perdu, il n’a fait que passer sur la terre sans laisser de trace. » (p. 256) Les trois parties de cette trilogie ne sont en fait que trois versions de la même histoire, celle d’un drame si bouleversant qu’il a fallu écrire sur les mots pour les faire taire. « J’essaie d’écrire des histoires vraies mais, à un moment donné, l’histoire devient insupportable par sa vérité même, alors je suis obligé de la changer. » (p. 335) Les dialogues sont terriblement efficaces, incisifs et décisifs. S’il y a beaucoup de mensonges entre les lignes, les répliques disent beaucoup. « Quelqu’un qui n’existe pas ne peut pas revenir. » (p. 276)

J’ai lu ce roman une première fois, il y a près de 10 ans. Déjà, le texte m’avait éblouie, bouleversée, retournée. Forcément, une histoire de jumeaux et de séparation… Cette relecture est tout aussi poignante, le choc est le même. Ce superbe roman, une nouvelle fois, m’a mise KO.

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Victor Hugo

Bande dessinée de Bernard Swysen.

Le 27 février 1802, Victor-Marie Hugo voit le jour à Besançon. De son enfance ballotée entre Marseille, la Corse, Paris et l’Italie, tiraillé entre ses deux parents pareillement adultères, Victor Hugo garde une peine secrète, celle de ne pouvoir accommoder toutes les personnes qu’il aime. Il en ira de même avec les femmes de sa vie, Adèle Foucher et Juliette Drouet, l’épouse et l’amante. Dans la sphère publique, Victor Hugo est d’abord un royaliste conservateur avant de devenir farouchement bonapartiste, mais anti Napoléon III : du lys à l’aigle, l’auteur célèbre ses idéaux politiques à grand renfort d’odes et de poésies. « La poésie, c’est l’expression de la vertu ; une belle âme et un beau talent poétique sont presque toujours inséparables. Les vers seuls ne sont pas la poésie. La poésie est dans les idées et les idées viennent de l’âme. Les vers ne sont qu’un revêtement élégant sur un beau corps. » (p. 30) Très tôt écœuré et engagé contre la peine de mort, il prône l’éducation au lieu de la répression. Exilé par l’empereur, mais adoré par le peuple, lui, le chef de file des romantiques et le défenseur des libertés, devient légendaire de son vivant.

Cet ouvrage est très complet, très dense, à tel point que certaines planches sont sensiblement indigestes. Bernard Swysen a voulu tout représenter de l’homme, de l’auteur et du politicien. Aussi passionné dans ses affaires privées que sur la place publique, Victor Hugo n’est pas un personnage que l’on traite en quelques pages et il me semble que cette biographie dessinée aurait gagné à être présentée au moins en deux volumes. Le dessin est très classique et permet une reconnaissance aisée des personnages : qu’il s’agisse de la famille Hugo ou des personnalités qui ont partagé la vie de l’écrivain, les visages sont nets, mais je déplore des expressions parfois juste ébauchées ou au contraire presque caricaturales. Le livre s’achève sur un livret biographique, bibliographique, iconographique et historique tout à fait intéressant et bien plus digeste que certaines pages. Cette œuvre reste un bel ouvrage, mais je la déconseille aux lecteurs qui voudraient découvrir Victor Hugo : il faut déjà connaître l’auteur et ses engagements pour ne pas se perdre au milieu des planches.

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Billevesée #139

Serge Reggiani, avant d’être acteur et chanteur, a suivi les traces de son père en devenant apprenti coiffeur. Heureusement qu’il a vu la petite annonce du Conservatoire de Paris !

Cette anecdote n’a en fait pour objectif que d’introduire une chanson de cet auteur qui me touche particulièrement et que je voulais partager aujourd’hui, date anniversaire de mon cher papa. Cliquez sur l’image !

 Alors, billevesée ?

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Les Pardaillan – 10 tomes

Cycle romanesque de Michel Zévaco.

Je présente à la suite tous les tomes de ce cycle : il y a donc un risque certain que je dévoile des éléments de l’intrigue.

Les Pardaillan

Jeanne de Pienne et François de Montmorency nourrissent un tendre amour, mais un amour interdit : enfants de deux familles ennemies, ils espèrent pourtant que leur union apaisera les haines. Hélas, un jaloux s’en prend à leur enfant qui ne doit la vie sauve qu’au chevalier de Pardaillan. Seize ans plus tard, Loïse a grandi, mais elle ignore tout de son père. Dans le même temps, Jean de Pardaillan, fils du chevalier, s’est installé à Paris et il est secrètement épris de sa jolie voisine. Et à la cour de France, Catherine de Médicis presse son fils, Charles IX, de débarrasser le royaume de France de tous les protestants. Assistée de Ruggieri, son conseiller italien, et de toutes ses espionnes, la reine mère fomente des assassinats, tisse des toiles cruelles et élabore des plans visant à asseoir sur le trône son fils préféré. « Nous pouvons, nous devons mentir puisque le mensonge est le fond même de tout gouvernement solide. » (p. 235)

Dans un style enlevé et rebondissant, Michel Zévaco pose le décor de sa grande fresque de cape et d’épée. Entre secret de famille et secret d’État, la France est un panier de crabes bien dangereux. Heureusement, il existe des héros valeureux comme les Pardaillan chez qui l’honneur est un héritage sacré. « Un bon fils doit imiter les vertus de son père. » (p. 75) En utilisant la grande Histoire pour écrire son histoire, l’auteur met à l’honneur une « famille réputée dans le Languedoc pour ses hauts faits et sa pauvreté. » (p. 500) qui, entre réalité et légende, a sans nul doute sa place dans la littérature.

L’épopée d’amour

Nous retrouvons Pardaillan père et fils à l’instant précis où nous les avions quittés. François de Montmorency a enfin retrouvé son épouse et sa fille après dix-sept ans de séparation. Et Jean de Pardaillan pense pouvoir enfin vivre librement son amour pour la jeune Loïse. Mais c’est compter sans les troubles qui agitent la cour de France. Les royales ambitions du duc de Guise, le mariage entre Henri de Béarn et Marguerite de Valois et les machinations de Catherine de Médicis se télescopent à la veille de la Saint-Barthélémy. « Je rêve de nettoyer d’un seul coup le royaume que je destine à mon fils. Je rêve de rétablir l’autorité de Rome pour consolider l’autorité de mon Henri. » (p. 37) La haine de Catherine de Médicis pour les huguenots tient surtout à un secret personnel que la reine protestante Jeanne d’Albret a découvert et dont l’incarnation pourrait un jour venir accuser la reine mère. Voilà pourquoi cette dernière tient tant au massacre des réformés. Et tant pis si un ou plusieurs de ses fils doivent mourir pour que sa royale puissance ne soit pas ébranlée.

Le premier volume avait bien introduit les nombreux personnages de cette saga, le deuxième volume se charge d’approfondir leurs relations et les péripéties qui les frappent. Les amoureux sont sans cesse séparés et leurs sentiments sont mis à l’épreuve. Chantage, menace, mensonge, tout est bon pour briser les liens d’amour. Mais les Pardaillan, rapière à la main et noblesse au cœur, défendent toujours les faibles, les tendres et les justes.

La Fausta

Près de vingt ans ont passé depuis les noces de Jean de Pardaillan et de Loïse. Henri III a bien du mal à garder son trône. Henri de Béarn est pressenti pour lui succéder, mais le duc de Guise est plus ambitieux que jamais et il faut compter avec le duc Charles d’Angoulême, fils illégitime de Charles IX. Dans les rues de Paris, la jeune Violetta, enfant illégitime recueillie par un bourreau, attise les désirs des hommes. Et une nouvelle menace est arrivée d’Italie : la princesse Fausta, descendante de Lucrèce Borgia, a été élue par un conclave secret et veut faire scission au sein de l’Église. Elle voudrait aussi être reine de France et projette de couronner le duc de Guise avant de l’épouser. « Et, lorsque je regarde en moi-même, je ne vois qu’une jeune fille épouvantée de voir que la nature s’est trompée en lui donnant le sexe qui est le nôtre, plus épouvantée encore de découvrir, sous ses aspirations insensées, la faiblesse d’une femme. » (p. 179) Jean de Pardaillan n’est pas homme à laisser de telles aspirations menacer la sécurité du trône de France. Il s’oppose donc à la belle intrigante. Mal lui en prend : cette vierge guerrière développe pour lui de vénéneux sentiments. « Pardaillan, tu vas mourir parce que je t’aime ! » (p. 429)

Il est à nouveau questions d’amours échevelées et passionnées. « Bohémienne ou princesse, du moment que vous l’aimez, elle est l’étoile qui vous guidera. » (p. 58) Pour les besoins des affaires d’État ou des affaires personnelles, les enfants sont perdus, volés, échangés. Quant à Pardaillan, alors qu’il cherche l’assassin de son épouse, il croise de vieilles connaissances, règle de vieilles dettes et solde de vieux comptes. Le chevalier, avec la prestance que l’on connut à son père, ne fait que ce qui est juste, dût-il affronter la Bastille ou les pièges les plus cruels.

Fausta vaincue

Jean de Pardaillan a évidemment survécu au piège tendu par Fausta et il aide son ami Charles d’Angoulême à retrouver Violetta, son amante disparue. « Cher ami, […] vous êtes le cœur le plus généreux, le bras le plus terrible, l’esprit le plus fécond en ressources. » (p. 91) À la cour, il est plus que jamais question de tuer Henri III et de prendre le trône. Reste à savoir quel comploteur parviendra en premier à cette sinistre fin. Les guerres de religion ne sont pas achevées et il reste au peuple une envie de sang et de massacre. Manipulé et aveuglé par la haine, le moine Jacques Clément, fils d’Alice de Lux, espionne sacrifiée par Catherine de Médicis, pourrait être le régicide que tant attendent. Mais si Jean de Pardaillan se tire toujours des pires faux pas, il est aussi un habitué des sauvetages royaux, tout en gardant un front modeste et un cœur brave.

Fausta, en matière de complots et de machinations, pourrait largement en remontrer à la défunte Catherine de Médicis. Seul l’amour semble pouvoir vaincre et faire plier cette diablesse italienne aux aspirations royales et pontificales. Ce quatrième volume des Pardaillan ne manque pas de souffle et le feuilleton se lit avec avidité et intérêt. À peine achevé ce volume, il est impératif d’attraper le suivant !

Pardaillan et Fausta

Alors que Fausta est emprisonnée à Rome, au palais de Saint-Ange, elle se découvre enceinte et accouche du fils de Pardaillan. L’enfant est confié à une servante et Fausta est condamnée à mort. « Fils de Fausta ! Fils de Pardaillan ! Que seras-tu ? Ta mère, en mourant, te donne le baiser d’orgueil et de force par quoi elle espère que son âme passera dans ton être. » (p. 8) Après Paris, c’est à Rome et en Espagne que se montent les intrigues. Le pape Sixte-Quint est à la merci de la Sainte Inquisition, en la personne d’Inigo d’Espinosa, grand inquisiteur d’Espagne. Alors qu’Henri de Béarn n’est pas tout à fait assis sur le trône, le roi Philippe d’Espagne a des prétentions sur la couronne de France. Évidemment, Fausta se tire d’affaire et elle poursuit ses ambitieux projets avec toujours la même haine chevillée au cœur à l’encontre de Pardaillan. Lequel ne manque pas de rappeler qu’il n’est pas homme à se laisser tuer. « C’est pour vous répéter qu’il est assez dans mes habitudes de me tirer d’affaire. » (p. 56)

Pardaillan croise, affronte et soutient tour à tour tous les puissants de son époque : rois, nobles, papes, sans orgueil ni bravade, il choisit simplement à qui il s’attache et à qui il offre son épée. « L’épée du chevalier de Pardaillan se donne, mais ne se vend pas. » (p. 136) En Espagne, il rencontre Miguel de Cervantès et le mélancolique auteur a tôt fait de prêter les traits du valeureux chevalier à un certain hidalgo qui combat les moulins. Noble de cœur, courageux et loyal, le chevalier Jean de Pardaillan est un héros sans peur et sans reproche, à l’image d’un certain d’Artagnan. Sans aucun doute, la lignée des Pardaillan est autant historique que littéraire.

Les amours du Chico

En Espagne, Jean de Pardaillan a rencontré le Chico, un jeune nain courageux. À son habitude, le chevalier arrange les affaires de cœur de ses amis et il est bien décidé à réunir le Chico et la coquette Juana. Il se mêle aussi des affaires du Torero, fils illégitime du roi d’Espagne. « Le chevalier de Pardaillan est au-dessus du commun des mortels, même si ces mortels ont le front ceint de la couronne. » (p. 118) À la cour espagnole, la succession est ouverte. Fausta cherche à nouveau un roi à couronner et à épouser. « Elle serait reine, impératrice, elle dominerait le monde par lui – car il ne serait jamais qu’un instrument entre ses mains. » (p. 45) Pauvre Pardaillan qui se trouve à nouveau sur le chemin de l’ambitieuse Italienne : par sa faute, il sera livré à l’Inquisition et se frottera à de bien vilaines machines.

Dans chaque volume, Michel Zévaco se saisit d’une époque et des personnages qui l’ont marquée pour dresser un décor splendide dans lequel faire évoluer ses propres personnages. Son style picaresque et épique fait mouche à chaque page. Il est sans cesse question d’amour, de loyauté, de revanche. « On venge les morts, avant de les pleurer ! » (p. 36) Dans ce tome, Fausta déploie le pire d’elle-même et chaque fois que ses folles ambitions viennent se heurter à la tranquille prestance de Pardaillan, le personnage gagne en fol orgueil et en cruauté. 

Le fils de Pardaillan

Nouveau bond de près de vingt ans. Henri IV est enfin roi de France, mais l’amant de sa femme, Concino Concini, et l’épouse de celui-ci, Léonora Galigaï, ourdissent de sombres projets à son encontre. « Le roi mort, son règle, à lui, Concini, commençait sous le couvert de Marie de Médicis. » (p. 82) Henri IV n’en a pourtant cure : il vient de retrouver la fille naturelle qu’il a eue avec une ancienne maîtresse. Quant à Jean de Pardaillan, il n’a jamais vu le fils qui lui est né de ses violentes amours avec Fausta. Dans les rues de Paris, le jeune Jehan le Brave, bien qu’un peu truand, est noble d’esprit et de cœur. Et son cœur, justement, est tout épris de Bertille, la belle enfant du roi. « Et c’était merveilleux, admirable. Ce lion avouant naïvement qu’il avait eu peur… parce qu’une enfant venait de se pâmer devant lui. » (p. 111) Jean de Pardaillan, Jehan le Brave, voilà deux cœurs faits pour se connaître et se reconnaître.

Serment d’amour, serment de mort : les amoureux ne peuvent vivre les uns sans les autres. Ces sentiments exaltés parsèment le texte : chez Zévaco, on n’aime jamais tranquillement, en tout cas pas quand on est jeune. Il faut de la passion, de la fougue. Et les haines sont à la hauteur de ces amours brûlantes : les enfants sont utilisés pour atteindre les parents et certaines vengeances attendent des années avant de blesser.

Le trésor de Fausta

Nul ne sait où Fausta a dissimulé les millions qu’elle a laissés derrière elle en quittant la France. « Si riche qu’elle a pu cacher, aux environs de Paris, dix millions destinés à son fils, sans que l’abandon de cette somme énorme parût avoir diminué ses immenses revenus. » (p. 181) Ce fabuleux trésor attise les convoitises : Henri IV s’en servirait bien pour faire la guerre à l’Allemagne et affermir son trône ; la Galigaï et Concini sauraient les faire fructifier pour parvenir à leurs fins ; le pape enfin en aurait bien besoin pour se prémunir contre l’Espagne. En France, la menace régicide pèse toujours sur Henri IV et un certain Ravaillac entre en scène. Évidemment, Pardaillan père et fils se sont retrouvé et reconnus. « Il me semble que le fils de Pardaillan fait honneur à son père ! » (p. 106) La lignée des Pardaillan continue !

Dans ce tome, l’intrigue est plus lente à déployer ses méandres. Tous les efforts des protagonistes sont pour une fois tournés vers un trésor plus matériel que l’amour. Il y a toujours de la romance dans l’air, mais il y a aussi l’envoûtante et vénéneuse mélodie des pièces d’or qui s’entrechoquent. À qui ira cette fortune perdue ? Qui en fera le meilleur usage ? Une fois encore, les chevaliers de Pardaillan se montrent dépourvus d’avidité, eux pour qui la réussite n’est jamais matérielle.

La fin de Pardaillan

Marie de Médicis est régente du royaume de France. Le futur Louis XIII n’a que quatorze ans. Autant dire que l’infâme Concini a encore de belles années pour comploter à la tête du pays. « Je vous sais homme de précaution, Concini, et n’êtes-vous pas le vrai roi de France ? » (p. 153) Et pourtant, voilà qu’un de ses vieux secrets ressurgit : il a eu une enfant qu’il croyait morte. Mais la jolie Muguette est bien vivante et elle embaume Paris de ses petits bouquets de fleurs. Elle a recueilli Loïse, petit bébé qui fut arraché à ses parents, Jehan et Bertille de Pardaillan. Comme de bien entendu, Jean et Jehan de Pardaillan cherchent l’enfant et leurs pas les ont conduits à la capitale où ils retrouvent Odet de Valvert, leur cousin, lequel est épris, évidemment, de Muguette. Si une enfant perdue n’était pas une peine suffisante, voilà que Fausta refait surface. « Ah ! Misère de moi, voilà Fausta revenue, et du coup voilà les contretemps et les ennuis qui s’abattent dru comme grêle sur moi. » (p. 158) Fausta et Philippe III d’Espage complotent pour s’emparer du trône de France et l’impitoyable Italienne tente de s’allier à Charles d’Angoulême, fils bâtard du défunt Charles IX.

D’un monarque à l’autre, les Pardaillan savent toujours où donner de l’épée et à qui prêter main-forte. Évidemment manichéenne, la répartition des personnages n’en est pas pour autant simpliste tant l’auteur sait manipuler ses héros au gré des péripéties. Hélas, il n’est bonne compagnie qui ne se quitte. Pour valeureux et exemplaire qu’elle soit, la lignée des Pardaillan doit faire, sous la plume de Zévaco, ses adieux à la littérature. Heureusement, il reste un tome pour profiter des personnages !

La fin de Fausta

Charles d’Angoulême envisage de s’emparer du trône de son père. Fausta est grandement accueillie à la cour de France en sa qualité d’émissaire du roi d’Espagne. Nous avons vu qu’Odet de Valvert a le même sang noble, fier et bouillant que ses illustres cousins Pardaillan. Il vole donc au secours de sa belle Muguette qui est aux prises avec la Galigaï. L’épouse de Concini fait montre d’une intelligence fourbe et perverse pour assurer à son époux le pouvoir royal. Et, encore et toujours, Jean de Pardaillan, doit affronter Fausta qui n’a de cesse de vouloir l’occire. « N’oublions pas, n’oublions pas un instant que Fausta, dans l’ombre, rôde sans cesse autour de nous, guettant la seconde d’oubli fatal qui lui permettra de tomber sur nous, rapide et inexorable comme la foudre, et de nous broyer. » (p. 56) Comprendra-t-elle enfin qu’elle s’attaque à plus fort qu’elle ? « À chacune de nos rencontres, j’ai voulu bassement, traîtreusement, meurtrir le chevalier de Pardaillan. Et chaque fois, lui, il a dédaigné de me frapper. »(p. 309 & 310) L’ultime rencontre de la princesse Fausta et du chevalier Jean de Pardaillan s’achève dans une formidable explosion à faire trembler les soubassements de Paris. Quelle sera donc leur fin ?

Dans cet ultime volume, Michel Zévaco se garde bien de conclure les intrigues royales : l’Histoire n’a pas besoin de lui pour continuer sa marche aveugle. Mais c’est avec talent qu’il ferme les portes qu’il avait ouvertes pour ses personnages. L’avenir est enfin serein pour les Pardaillan, illustre lignée dont quatre générations ont servi le royaume de France. Et l’auteur réserve même une éventuelle possibilité de retour à l’un de ses protagonistes. Qui sait ? Quand il n’y en a plus, il y en a peut-être encore…

*****

Avec ses dix tomes, la délicieuse relecture estivale du cycle romanesque des Pardaillan me permet sans peine de signer une nouvelle participation au défi des 1000 de Fattorius ! Faisons le compte des pages.

510 + 510 + 442 + 442 + 350 + 382 + 318 + 316 + 314 + 315 = 3899 pages. Allez, en comptant la relecture de ce billet démesurément long, ça donne 3900 pages !

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Notre-Dame de Paris

Roman de Victor Hugo. Édition illustrée par Benjamin Lacombe.

Il est bien inutile de détailler la sublime histoire inventée par ce génie que fut Victor Hugo. Sur le parvis de la cathédrale Notre Dame de Paris, les passions s’affrontent : la belle Esmeralda rêve du fringant capitaine Phébus, tandis que dans l’ombre, le difforme Quasimodo et le sombre Claude Frollo brûlent d’amour pour la gitane aux pieds légers. La vénérable cathédrale est plus qu’un lieu ou un décor : membre à part entière du roman et de l’intrigue, cette majestueuse dame de pierre se dresse impassible et immuable devant les agitations humaines.

Cet ouvrage est un très bel objet. Le mérite premier en revient au texte de Victor Hugo qui, quelle que soit sa présentation, est toujours sublime. Dans le cas de ladite édition, les dessins de Benjamin Lacombe font merveille, même si Esmeralda est bien trop gracile à mon goût sous le pinceau de l’illustrateur. Quasimodo est tout à la fois grotesque et émouvant, comme la plume de Victor Hugo l’a créé. « Avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure redoutable de vigueur, d’agilité et de courage ; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la force, comme la beauté, résulte de l’harmonie. » (p. 61) Quant à Notre Dame de Paris, elle est gothique et effrayante, mais étrangement protectrice derrière ses bras de marbre. Doré sur la tranche et la reliure, ce livre est un trésor.

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Le roi disait que j’étais diable

Roman de Clara Dupont-Monod. À paraître le 20 août.

Aliénor d’Aquitaine a treize ans quand elle épouse Louis VII, roi de France. Immédiatement, elle sait que cet homme ne lui convient pas. « Je connais deux moments où les rois sont ridicules. Lorsqu’ils sont en colère et lorsqu’on les épouse. Ils découvrent combien ils sont petits. » (p. 14) Arraché du séminaire où il se destinait à la prêtrise, Louis est un homme au caractère pacifique, plus amateur de prières et de paroles que d’actions. Au contraire, en Aliénor bouillonne le sang d’une lignée bagarreuse et puissante, toujours prompte à la fête, à l’amour ou à la bataille. Aliénor est une femme forte, bien trop puissante pour son époux qui, transi d’amour, tente de lui résister pour sauver son trône. « On ne peut pas tenir un royaume les yeux enfiévrés, le cœur ourlé d’amertume. » (p. 79) D’abord portée en triomphe par le peuple, Aliénor devient la cible des ragots et des accusations. Tout le monde sait qui porte la couronne au sein du couple royal, mais personne ne veut de cette femme qui a la prestance d’un roi. « La voilà, celle qui possède dix fois le royaume de France. Celle qui donne des ordres, chevauche comme un homme et ne craint pas le désir qu’elle suscite. Qui colore ses robes. N’attache pas ses cheveux. » (p. 59) Trop belle, trop vivante, trop présente, Aliénor dérange.

Le récit est porté par les voix croisées d’Aliénor et de Louis, chacun commentant les actions de l’autre. Ces deux paroles en regard ne se rencontrent jamais et c’est hélas ce qui précipite la perte de ce couple mal assorti : incapables de se comprendre, les époux royaux ne peuvent que s’éloigner l’un de l’autre, chacun étant attiré par des horizons différents. Clara Dupont-Monod invente les premières années d’Aliénor, personnage historique qui prête tant aux légendes et à l’imagination. Maîtresse femme jamais soumise à ses désirs, Aliénor fait rêver : à l’instar de Cléopâtre, elle est une reine qui n’a pas besoin de roi.

Après avoir savouré La passion selon Juette et La folie du roi Marc, j’ai retrouvé avec un plaisir immense la plume de Clara Dupont-Monod : cette auteure sait convoquer le Moyen Age et l’animer devant nos yeux. Ne craignant jamais de se frotter à la légende, ni de mettre en branle des sentiments puissants, elle signe un texte qui s’ajoute au fabuleux palimpseste qui entoure la belle et fière Aliénor.

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Billevesée #138

Le fez est un chapeau de feutre en forme de cône tronqué. Pour la petite info supplémentaire, ce couvre-chef est grandement apprécié par le Docteur incarné par Matt Smith dans la série Doctor Who.

Comme son nom l’indique, le fez a pour possible origine la ville marocaine de Fez.

Alors, billevesée ?

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Mme Noël / M. Noël

Albums de Roger Hargreaves.

Mme Noël – Mme Noël est la sœur de M. Noël. Toute l’année, elle emballe les cadeaux que prépare son oncle, le Père Noël. Pour une fois, elle a besoin de vacances. Elle profite donc que son frère est venu prêter main forte au Père Noël pour partir au soleil. Mais au lieu de finir les préparatifs de Noël, l’oncle et le neveu s’amusent toute la journée. « Pendant ce temps, Mme Noël se reposait sur une plage des îles Noël (évidemment !) Elle était à cent lieues d’imaginer que le Père Noël et M. Noël passaient beaucoup de temps à s’amuser et très peu à faire des paquets. » Heureusement, Mme Noël rentre avant le grand jour et reprend tout en main. Ah, comment tournerait le monde s’il n’y avait pas une femme pour tout surveiller ?!

M. Noël – M. Noël vit au pôle Sud. Il est le neveu du Père Noël. Et justement, cette année, son oncle a besoin de lui pour livrer tous les cadeaux aux Monsieurs et Madames du monde entier. Il lui faut un traîneau pour transporter tous les cadeaux : il va voir le grand Sorcier des Neiges qui lui fabrique un véhicule épatant. « Je te présente la première théière volante ! Elle fonctionne avec des sachets de thé. Il suffit de la ravitailler tous les mille kilomètres et tu pourras aller jusqu’à trois fois la vitesse du son ! » La distribution de cadeaux peut commencer et personne ne sera oublié !

Ces deux albums aux couvertures légèrement pailletées invitent le jeune lecteur à imaginer les coulisses de Noël. Et les grands lecteurs peuvent aussi prendre leur mal en patience avec ces deux histoires bien rigolotes. Noël, c’est dans moins de cinq mois, mais il n’est jamais trop tôt pour s’y préparer !

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Selon Vincent

Roman de Christian Garcin. À paraître le 20 août.

Dans ce roman, vous trouverez un poisson rouge nommé Mao Zedong, le carnet d’un soldat napoléonien prisonnier des Russes, un chaman, un homme qui se croit possédé par un renard, un franco-chinois, un franco-argentin, une médaille qui montre Vénus et Napoléon, une expédition astrologique en Terre de Feu, et le propriétaire de la Lune. Tout cela se conjugue pour mener à la révélation d’un drame qui n’est pas plus terrible qu’un autre, mais qui est insurmontable pour ses protagonistes. « Les horreurs que recèle le monde réel seront toujours supérieures à l’imagination, si sordide et galopante soit-elle, des romanciers. » (p. 49)

Dans ce roman, il y a un peu de tout, mais certainement pas du n’importe quoi. Il faut laisser le temps aux différentes histoires de s’agencer : comme dans un puzzle, l’absence d’une pièce ne donne qu’une vision partielle de l’ensemble. La narration est multiple, comme si la responsabilité du récit était trop lourde pour une seule voix. Différentes époques et différents lieux concourent à la tragédie qui ne se dévoile qu’à l’ultime récit. Les histoires gigognes ne valent que parce que la plus terrible d’entre elles est aussi la plus petite. Selon Vincent est un roman déconcertant dans la forme et parfaitement bouleversant dans le fond. À découvrir sans attendre !

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Les mots qu’on ne me dit pas

Témoignage de Véronique Poulain. À paraître le 20 août.

Véronique est la fille de deux sourds-muets. Elle a grandi avec deux langues maternelles, la langue française et la langue des signes. « Si je ne suis pas entendue, qu’est-ce que je suis regardée ! Il ne peut rien m’arriver, mes parents ont toujours un œil sur moi. » (p. 14) Dans ce texte, elle raconte son enfance et son adolescence auprès de ses parents si différents de ceux de ses amis. Oscillant sans cesse entre fierté et colère, admiration et embarras, Véronique a dû trouver sa place entre le silence de ses parents et le bruit du reste du monde. « Le silence. Imposé à ma naissance, apprivoisé par obligation, puis accepté par nécessité, il a fini par devenir indispensable à mon équilibre comme une vieille habitude, un vieil ami. Il est de ma famille. Il me réconforte, me rassure et m’apaise. » (p. 84) Le langage des sourds-muets est dépourvu d’artifices ou de faux-semblants : il dit ce qui est dans une nécessité irrépressible de communiquer au-delà du silence. Mais pour une enfant qui n’est pas sourde, ni muette, certaines subtilités manquent, comme la gamme complète des sentiments. « Pas entendu, donc indicible. » (p. 137) Comment grandir quand vos parents ne vous ont jamais dit qu’ils vous aiment ? Certes, le langage du corps est très complet, mais l’être entendant a besoin des mots.

Sans excès de sentiment, Véronique Poulain signe un roman émouvant et plein d’amour pour ses parents. Difficile toutefois de saisir l’étendue de son témoignage : ne connaissant pas de sourds-muets, c’est tout un univers qui me reste inaccessible.

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Billevesée #137

Aujourd’hui, parlons d’une injustice.

On ne présente plus Harvey Keitel (à prononcer Harveyyyyyyyy Keiteeeeeeel) : cet acteur au charme indéniable (cet article a été écrit par mes hormones) s’est illustré dans des monuments du cinéma : Thelma et Louise, Taxi Driver, La leçon de piano (meilleur du film du monde, puisqu’on vous le dit !), Reservoir Dogs, etc.

Bref, un grand acteur, un beau gosse bien conservé à la soixantaine charmante. Mais une injustice, vous disais-je en introduction ! Harvey Keitel n’a pas reçu un seul Oscar de toute sa carrière. Alors, oui, c’est vrai, pas besoin d’accumuler les récompenses pour prouver qu’on est le meilleur, mais tout de même, s’il y a un acteur qui mérite la statuette, c’est Harveyyyyyyy ! Les années passant, je me prends à rêver d’un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière…

Alors, billevesée ?

Je mets autant de photos que je veux, c’est mon blog, c’est moi qui décide !

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Constellation

Texte d’Adrien Bosc. À paraître le 20 août.

Le 27 octobre 1949, l’avion F-BAZN d’Air France, aussi appelé Constellation, disparaît des radars, pour la catastrophe que l’on sait : les trente-sept passagers et les onze membres d’équipage de ce vol en direction de New York sont retrouvés morts dans l’épave carbonisée de l’appareil, sur une île des Açores. « Un concours infini de causes détermine le plus improbable des résultats. Quarante-huit personnes, autant d’agents d’incertitudes englobés dans une série de raisons innombrables, le destin est toujours une affaire de point de vue. Un avion modélisé dans lequel quarante-huit fragments d’histoires forment un monde. » (p. 37) Sur ce vol, Marcel Cerdan et Ginette Neveu, deux virtuoses à leur manière, le premier avec ses poings, la seconde avec son archer. Mais il y avait aussi tous ces inconnus que le temps pourrait se charger de faire disparaître. Au terme d’un long travail de recherche sur toutes ces trajectoires interrompues, Adrien Bosc dresse des portraits volés à l’oubli. Cette galerie de visages forme une constellation humaine qui brille là où le soleil s’est couché pur toujours.

L’exhumation de ces histoires anonymes et de leur voyage sans retour donne un texte qui, nourri de références poétiques, est un dernier hommage funèbre, mais aussi une main tendue à ceux qui partent. « Quand tu aimes, il faut revenir. Une vie à casser la boussole, à s’ouvrir aux points cardinaux, et puis, au bout du monde, le lieu commun. Quand tu aimes, il faut revenir. Une vie à jouer à cache-cache, à tromper l’ennui, à tromper la mort, et au seuil, la vieille cabane, l’origine, le trésor. Quand tu aimes, il faut revenir. Maudit, désespéré, en vrac. […] Quand tu aimes, il faut revenir. » (p. 191) Premier roman, coup de maître : Adrien Bosc maîtrise son sujet et sa plume. Le grand ramdam des prix littéraires me laisse assez froide, mais je ne serai pas étonnée que le jeune auteur décroche un titre.

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La décision

Roman de Britta Böhler. À paraître le 20 août.

Réfugié en Suisse avec sa famille, Thomas Mann se languit de l’Allemagne, patrie qu’il aime et pour laquelle il souffre alors qu’elle sombre dans l’horreur nazie. Tout son entourage le presse de prendre la plume, de dénoncer ce qui se passe à Berlin. Un écrivain de sa trempe et de sa renommée ne peut pas se permettre le silence. On pourrait croire qu’il cautionne, qu’il est lâche. Thomas Mann rédige alors une lettre qui doit paraître dans un grand journal allemand. « Il a laissé parlé sa conscience et sa conviction profonde, ainsi dit la lettre, que de l’actuel gouvernement allemand il ne peut rien sortir de bon, ni pour l’Allemagne ni pour le monde. » (p. 13)

Durant les trois jours qui précèdent la parution de sa lettre, l’écrivain doute : a-t-il eu raison d’écrire ce texte ? « Ce n’est pas son genre de se consumer de haine. » (p. 78) À n’en pas douter, sa lettre fera grand bruit en Allemagne. Presque aussi certainement, ses livres seront interdits dans sa propre patrie. « Qu’un écrivain persécuté par le Reich y rencontre le succès, n’est-ce pas un coup porté au régime ? » (p. 97) Le retour lui sera interdit puisque l’Allemagne nazie l’accuse déjà de fuite et de trahison. « L’image de sa patrie se fait de plus en plus et imprécise. Il est devenu un outsider, un spectateur qui ne connaît plus la vie en Allemagne que de seconde main. » (p. 61) Enfin, cette lettre peut mettre en danger toute sa famille : accomplir son devoir de citoyen vaut-il vraiment de courir ce risque ? L’auteur peut-il encore retenir sa lettre ? Publier cette accusation, est-ce perdre l’Allemagne pour de bon ou en préserver la meilleure part, celle qui ne se plie pas devant un régime qui aboie ?

Ce premier roman est une réussite. L’auteure révèle avec talent les doutes et les peurs d’un homme vieillissant qui est fatigué de mener des batailles et de fuir. Mais tel un chevalier éternellement loyal, il revêt une dernière fois son armure de papier et porte une féroce estocade à l’ennemi immonde qui menace son pays. L’Histoire le sait déjà, la lettre de Thomas Mann a bien été publiée, mais il était tout à fait intéressant d’interroger les jours qui ont précédé sa publication : il faut se souvenir que l’Histoire accouche parfois de ses héros dans la douleur et qu’un acte de bravoure peut cacher des abysses d’incertitude.

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Le diable tout le temps

Roman de Donald Ray Pollock.

De son père, Arvin garde le souvenir d’un homme rendu fou de chagrin par la maladie incurable de son épouse. Il ne peut pas non plus oublier les interminables heures passées sous le tronc de prières, macabre totem élevé à la gloire d’un Dieu sourd et absent. « Aussi loin qu’il pût se souvenir, son père lui semblait avoir passé sa vie à combattre le Diable, tout le temps. » (p. 10) À Knockemstiff, la dévotion est fanatique et la monstruosité à tous les visages. Elle a celui de cet avocat cocu et humilié. Elle a aussi ceux de deux prédicateurs assassins et en cavale. Elle a surtout ceux de ces deux automobilistes qui nourrissent une fascination perverse pour les autostoppeurs. Dans cette portion d’Amérique, le diable est partout, tout le temps.

Ce premier roman aurait pu être écrit à quatre mains par Quentin Tarantino et David Lynch. Macabre, morbide, sanguinolent, blasphématoire, ce texte combine des mythes américains pour en faire des cauchemars éveillés. C’est avec fascination que le lecteur regarde les membres de cette humanité dévoyée cohabiter et s’entrechoquer. Plus les pages se tournent, plus il semble évident qu’il est vain de lutter contre l’horreur et qu’il faut laisser la sauvagerie prendre le dessus. Le diable tout le temps ne peut pas laisser indifférent : soit il révulse son lecteur, soit il le charme par sa beauté perverse. Je suis du deuxième type. Mais ce genre de littérature est à consommer avec modération.

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