Lilette

Roman de Claude Durand.

Lilette, orpheline de naissance, est la seule rescapée de l’éruption qui a ravagé son île. Elle confie son histoire au narrateur, correspondant de presse. « Si la chose avait été concevable, elle se fût coupé à elle-même la parole pour pouvoir en placer une. » (p. 22) On découvre la jeunesse de Lilette, son existence monotone de serveuse à L’huître perlière et le grand amour qu’elle porte à son fils, Frito. Lilette est donc une survivante, mais elle n’éprouve aucune gratitude pour le miracle dont elle a bénéficié. « Ce n’était pas un sentiment de paix qu’elle recherchait et éprouvait, mais, bien davantage l’impression d’être enfin admise à se retrancher d’une histoire qui ne lui avait jamais voulu de bien. » (p. 123)

Cette chronique va être courte, non pas à l’image du roman qui est lui-même concis, mais à l’image du peu de réactions que cette lecture a provoquées en moi. J’ai survolé le roman et l’histoire sans m’attacher au personnage de Lilette, pourtant tourmenté et bouleversant. La narration m’a privée de toute compassion : j’aurais préféré que tout le récit soit fait par Lilette, sans passer par le prisme froid et distant du regard du correspondant de presse. Quant à la fin, elle me laisse grandement perplexe et j’ai bien du mal à comprendre cet étrange retour à la nature.

Suis-je passée à côté de quelque chose ? Probablement, mais ce n’est pas grave, il y a d’autres livres, d’autres îles et d’autres horizons.

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Billevesée #103

Mettons les choses au clair : le lapin n’est PAS un rongeur.

Les rongeurs ont une paire d’incisives, le lapin en a deux. C’est donc un lagomorphe.

Alors, billevesée ?

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Malavita

Roman de Tonino Benacquista.

La famille Blake emménage à Cholong-sur-Avre, petite bourgade perdue de Normandie. Fred, le père, prétend être écrivain. « Il se foutait bien de savoir si les mots qu’il frappait seraient lus un jour, si ses phrases lui survivraient. » (p. 132) Maggie, la mère, s’investit à corps perdu dans des activités caritatives. Belle, la fille, est belle et elle le sait. Warren, le fils, se rend rapidement indispensable au sein de son lycée. Malavita, le chien, dort tout son soûl dans des endroits improbables. Cette famille qui semble ne se distinguer d’aucune manière bénéficie en fait du programme de protection des témoins du FBI. « Comme je regrette la ville où je suis né et où je ne mourrai pas. » (p. 98) De Newark à Cholong-sur-Avre, les vieilles histoires mafieuses résonnent comme mille tambours et rien ne va rester calme très longtemps dans le voisinage de la famille Blake/Manzoni.

On m’avait parlé de ce roman en me promettant des éclats de rire à chaque page et un humour détonnant et décapant. Je n’ai rien trouvé de tout cela. Cette lecture est sympathique, mais l’humour est assez piètre. Jugez par vous-même : « Giovanni Manzoni prônait l’art de l’éloquence à coup de barre à mine, et les joies de la dialectique se traduisaient en général par une recherche d’arguments sophistiqués allant du chalumeau à la perceuse. » (p. 152) Il y a une flopée de phrases de ce genre et l’humour est en fait une compilation de clichés plus ou moins déclinés sur les mafieux.

De Tonino Benacquista, j’ai largement préféré Quelqu’un d’autre, fable sur le changement de vie, et Saga, chronique loufoque d’une émission télévisuelle. Malavita est le nom du chien. Si je traduis bien (mon italien est inexistant, alors je me raccroche à mon latin), cela signifie la mauvaise vie. Il paraît aussi que ça veut dire « la pègre ». Bon, si on veut : un mafieux, même repenti, a mené une mauvaise vie. Si ce roman ne m’a pas déplu, il ne m’a pas convaincue pour une simple raison : nombre de ses composantes sont invraisemblables. Je suis une adepte de la fiction et je n’aime rien tant qu’elle me transpose dans un univers créé de A à Z. Encore faut-il que cet univers soit cohérent et plausible. Je n’ai pas réussi à croire un seul instant à l’histoire des Blake/Manzoni, ce qui m’a largement empêchée de m’attacher aux personnages et de savourer pleinement l’intrigue. Malavita reste une lecture plaisante, mais qui ne me marquera pas longtemps.

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Un thé d’été

Album jeunesse de Claude Ponti.

Mademoiselle Moiselle prépare un thé d’été. Mais le boire seule, ce n’est pas drôle. « Monsieur Monsieur reçoit une invitation par poisson volant. C’est un Tifortou avec Mademoiselle Moiselle. » (p. 17) En buvant leur Tifortou, Mademoiselle Moiselle et Monsieur Monsieur se racontent leur enfance. Ils se trouvent bien charmants quand ils étaient enfants. Et ils le sont tout autant maintenant qu’ils sont grands.

À peine 5 pages de textes pour 30 pages de dessins. Mais ce n’est pas n’importe quel dessin : c’est celui de ce magicien de Claude Ponti chez qui les robinets se déplacent, les arbres poussent dans les murs et les rivières font remonter le temps.

Claude Ponti reste, avec Tomi Ungerer, un de mes auteurs jeunesse favoris. Dans son univers, j’entre en ouvrant grand les yeux et la bouche, émerveillée par tout ce qu’il y a à voir, par tous les détails qui ponctuent la page et qui rendent extraordinaire la plus petite des nervures d’une feuille qui tombe de l’arbre.Voyez, même le code-barre s’amuse sur la quatrième de couverture !

En dépit des années qui passent, je suis émue et ravie que l’œuvre de cet auteur m’entraîne encore vers tant de joie et de plaisir.

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Prix Océans 2014 : la sélection

C’est parti pour l’édition 2014 du prix Océans.

Suite des réjouissances pour le juré que je suis : la découverte de la sélection !

Je ne connais pas tous les romans, mais je trouve déjà les titres très beaux et alléchants. Vous pourrez retrouver sur cette page mes chroniques de lecture, en cliquant sur les titres des romans. Qu’il me tarde d’ouvrir les livres de cette belle sélection !

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Silo

Roman de Hugh Howey.

Une communauté d’hommes et de femmes vit dans un silo qui s’enfonce dans les profondeurs de la terre. À la surface, l’atmosphère est apocalyptique : l’air est irrespirable, chargé de toxines et charriant des nuages lourds de poison. « Nous ne sommes pas ceux qui ont fabriqué ce monde-là, […], mais c’est à nous qu’il appartient d’y survivre. » (p. 417) Les survivants ont organisé une existence tournée vers l’intérieur et quiconque laisse supposer que l’extérieur pourrait être plus propice est immédiatement envoyé au nettoyage des caméras, à la surface. Ce châtiment est définitif et sans appel, car les combinaisons ne résistent pas longtemps aux souffles viciés qui balayent la terre. L’histoire du silo est pourtant émaillée de révoltes. « Chaque insurrection s’est produite à cause de ce doute, de ce sentiment que nous sommes au mauvais endroit. » (p. 37) Pour diverses raisons, plusieurs nettoyages vont se succéder rapidement et faire partir l’étincelle d’une nouvelle insurrection. Car il y a des rumeurs qui courent : l’extérieur n’est pas ce qu’il semble être ; les dirigeants manipulent la vérité ; il y a de la vie ailleurs.

J’ai pris des pages et des pages de notes en lisant ce roman. En les relisant, j’ai vu qu’elles disaient tout. Or, il serait vraiment dommage de déflorer ce roman et de briser le ressort qui soutient l’intrigue. À dessein, je ne cite aucun personnage, car aucun ne tient seul le haut de l’affiche. Hugh Howey a écrit une excellente dystopie remarquablement construite. Entre science-fiction et roman psychologique, cette œuvre propose une relecture du mythe de la caverne : ce que l’on voit est-il réel ? La projection est-elle un média nécessaire ou une barrière qui bloque l’accès à la vérité ? Est-il sain d’imaginer un ailleurs ? « Quelle que soit la psychologie de l’individu, la vue de tous leurs faux espoirs finissait par les pousser à faire ce qu’ils avaient juré de ne pas refuser. » (p. 229)

Silo est le premier tome d’une trilogie dont la suite est prévue pour le printemps 2014. Pour ma part, la fin du tome premier me satisfait : elle est ouverte et je la trouve suffisante pour laisser l’imagination du lecteur prendre le relais d’une histoire qui a tout pour devenir un classique.

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Billevesée #102

La propriété intellectuelle est une notion de droit assez récente dans l’histoire de l’art et des idées. Avant elle, la paternité (ou la maternité) d’une œuvre n’était attestée que par le nom ou la signature de son prétendu créateur.

Rembrandt, pour distinguer ses œuvres de celles de ses contemporains, apposait donc sa signature sur ses toiles, mais il y ajoutait un verbe. Ses tableaux passés à la postérité présentent la mention « Rembrandt fecit », c’est-à-dire « Rembrandt l’a fait [ce tableau] ».

Tout ça pour dire que j’ai très envie de voir le film Rembrandt fecit 1669.

Alors, billevesée ?

Lili Galipette fecit

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Qui me dérange dans mon terrier ?

Album d’Agnès de Lestrade et Magali Le Huche.

Un soir, quand Lapin rentre dans son terrier, il trouve un hôte inattendu. Et ça se reproduit encore deux autres soirs. Hélas, Lapin n’est pas très accueillant et il renvoie Grenouille, Souris, Taupe dans leurs logis respectifs. « Non, mais quel toupet ! Tu vas filer d’ici et plus vite que ça ! » Étrangement, il se trouve bien seul le quatrième soir, quand il retrouve son terrier vide. Mais voilà qu’une jolie Lapine tombe dans son trou…

Quelle adorable trogne renfrognée il a, ce lapin ! Ce joli petit album aux pages toutes douces explique simplement que le plus joli des terriers est sans intérêt quand la solitude est lourde à porter. Publié dans la collection « La minute du papillon », ce petit livre est parfait pour accompagner le coucher des petits. Quant à moi, je vais le garder à mon chevet…

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Les locataires de l’été

Roman de Charles Simmons.

« C’est pendant l’été de 1968 que je tombai amoureux et que mon père se noya. » (p. 13) Cette phrase liminaire annonce un double drame et il est presque difficile de savoir lequel des deux est le plus violent tant la narration menée a posteriori par Michael brasse tous les sentiments et soulève des interrogations qui sont restées sans réponse pendant de nombreuses années.

Michael et ses parents passent l’été dans leur maison de Cap Bone. Les journées sont consacrées à la nage, aux promenades avec le chien et au voilier. Jusqu’au jour où Michael rencontre Zina : avec sa mère, elle loue le pavillon derrière la grande maison. Michael a 15 ans, Zina en a 20. Pour le premier, c’est l’amour immédiat. Mais la seconde a d’autres choses et d’autres personnes en tête. Michael est un adolescent tendre et inexpérimenté, encore sur le chemin qui vient de l’enfance. « Je tenais à ce que tous ceux que j’aimais fussent proche : ma mère mon père, Zina et Blackheart. » (p. 73)

Hélas, rien ne se passe comme Michael le souhaite. Zina, bien que très affectueuse, ne répond pas à son amour. Par ailleurs, son père dont il était si proche s’éloigne et passe beaucoup de temps en ville. Michael découvre la jalousie en même temps que l’amour. « Il est toujours une illusion. L’être aimé ne se montre pas à la hauteur de l’attente de l’autre, et quand l’amour persiste par-delà la déception, il devient de surcroît une prison. » (p. 107)

Les locataires de l’été, ce sont Zina et sa mère, mais finalement, ce sont tous les personnages qui ne font que passer à la belle saison et qui partiront, sans exception, laissant l’été vide et épuisé. Cette saison est celle du passage et du changement : plus rien n’est identique désormais et les illusions ont fait long feu. Le titre original du roman est Salt Water : comme souvent, il me plaît davantage que celui choisi par le traducteur ou la maison d’édition. L’eau salée, c’est la mer, l’eau amère, celle qu’on avale quand on boit la tasse et celle qu’on pleure. Ce titre simple et équivoque colle vraiment mieux au roman et contient en germe tous les drames de l’intrigue. Mais c’est un détail, car j’ai beaucoup aimé ce court roman au style décisif et précis qui illustre à merveille combien l’été, saison dolente par excellence, peut recéler de violence et trouble.

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Ronya, fille de brigand

Roman jeunesse d’Astrid Lindgren. Illustrations de Mette Ivers.

Ronya est née par une nuit d’orage. Elle est la fille de Mattis, chef d’une troupe de brigands qui dévalise la forêt et se dispute sans cesse avec la bande de brigands de Roka. Ronya grandit dans le sombre château de son père, choyée par les brigands et sa mère et adorée par son père. « Mon enfant, tu tiens déjà mon cœur de brigand entre tes petites mains. » (p. 8) La petite fille explore le château et la forêt alentour, libre et intrépide. Un jour, elle rencontre Rik, le fils de Roka. Alors que les deux enfants devraient être ennemis jurés, ils se lient d’amitié au point de se considérer comme frère et sœur. « Elle avait un frère qui l’attendait, qui espérait la voir arriver. » (p. 127) Hélas, leur belle amitié secrète est menacée quand Mattis décide de se débarrasser de Roka et des brigands qui ont investi la partie abandonnée de son château. Ronya doit alors choisir entre son père et son ami.

J’ai lu et relu ce livre quand j’étais enfant. Quel plaisir de le relire après avoir eu le plaisir de fouiller dans mes vieilles bibliothèques. J’ai beaucoup envié la petite Ronya qui se faisait une petite vie indépendante dans les forêts, en pêchant et chassant et en se défendant contre les elfes griffus et les nains gris. Cette histoire me faisait frissonner et rêver, comme tout vrai roman jeunesse doit le faire avec ses lecteurs. C’est une lecture que je recommande chaudement aux jeunes lectrices.

Il existe une adaptation filmée de ce petit roman : j’ai bien l’intention de la trouver et de prolonger le plaisir, en espérant que le film ressemble aux belles illustrations de Mette Ivers.

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Billevesée #101

Ils sont nés un premier décembre.

  • 1761 : Marie Tussaud
  • 1983 : Ernst Toller
  • 1920 : Pierre Poujade
  • 1923 : Morris
  • 1934 : Billy Paul
  • 1935 : Woody Allen
  • 1944 : Pierre Arditi / Tahar Ben Jelloun / Daniel Pennac
  • 1947 : Alain Bashung
  • 1949 : Pablo Escobar
  • 1953 : Antoine de Caunes
  • 1956 : Claire Chazal
  • 1966 : Edouard Baer
  • 1985 : Mon frère jumeau

Alors, billevesée ?

Autres faits marquants :

Vous pouvez vous jeter sur vos calendriers de l’Avent, mais soyez raisonnables : une surprise par jour !

C’est la Journée mondiale de lutte contre le SIDA : comme dirait l’autre, sortez couverts !

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Contes des mille et une nuits

Adaptation d’Antoine Galland. Scénario de Daniel Bardet. Dessins de Nawa.

Trompé par son épouse, le sultan Schahriar décide d’épouser chaque jour une fille différente et de la mettre à mort au matin. Pour faire cesser cette barbarie, Shéhérazade, la fille du grand Vizir, demande à épouser le sultan. « Alors Shéhérazade commença son premier récit qui devait être suivi de bien d’autres, tenant avec constance son auditoire en haleine, reculant ainsi jours après nuits l’inéluctable. » (p. 4) Voici deux des contes qu’elle raconte au Sultan Schahriar.

Le prince Ahmed et la fée Pari-Banou

Pour départager ses trois fils, le sultan des Indes les envoie à travers le royaume en les chargeant de ramener l’objet le plus extraordinaire qui soit. Celui qui sera victorieux épousera la belle princesse Nourrannahar. Le jeune prince Ahmed échoue, mais il rencontre la fée Pari-Banou. Belle et puissante, la fée est prête à tout pour conquérir le prince. Aimée de retour, elle l’aide à déjouer les plans perfides d’une magicienne qui conseille traitreusement le sultan des Indes.

Le prince Bader et Gelnare, princesse de la mer

Le sultan Schahramane, roi de Perse, est riche et puissant, mais il n’est pas heureux : « N’ayant pas d’enfant pour lui succéder, l’idée de mourir en abandonnant son trône vide le rendait fou. » (p. 28) Tombé fou amoureux de Gelnare, princesse de la mer, il l’épouse et atteint enfin le bonheur. Ensemble, ils ont un fils, Bader, qui finit par succéder à son père. À son tour, Bader décide de se marier et il jette son dévolu sur Jawhara, fille d’un royaume de la mer. Mais de sorts en enchantements, tout semble se liguer contre Bader.

Cette bande dessinée est un très bel ouvrage, mais j’ai surtout apprécié le livret final qui, entre histoire et littérature, revient sur la genèse des contes des mille et une nuits et présente de magnifiques illustrations. Il faut maintenant que je lise les 999 contes que je ne connais pas !

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Du côté de Castle Rock

Texte d’Alice Munro.

« Que je sache, mes ancêtres, génération après génération, furent des bergers d’Ettrick. » (p. 17) Pour reconstituer l’histoire de sa famille, Alice Munro remonte à ses ancêtres écossais et retrace toute la généalogie jusqu’aux dernières branches de l’arbre familial. On suit ainsi ceux qui ont quitté l’Écosse pour le Canada et ceux qui pensaient faire fortune en achetant de la terre outre-Atlantique. « À l’exception du journal de Walter et des lettres, l’histoire est tout entière de mon invention. » (p. 105)

Rapidement, le texte se centre sur Alice et ses parents, son enfance un peu douloureuse, sa jeunesse et son mariage. Alice Munro dévoile un peu d’elle et de son être intime en évoquant des souvenirs plus ou moins importants. « Ce n’était pas que j’aie renoncé à la passion. La passion, au contraire, entière, destructrice même, était ce que je recherchais. Exigence et soumission. Je n’excluais pas une certaine forme de brutalité, mais sans confusion, sans duplicité, sans surprise ni humiliation d’une nature sordide. Je pouvais attendre, et ce qui m’était dû me viendrait, quand je serais épanouie. » (p. 269)

Ce texte est difficile à classer tant il emprunte à un certain nombre de genres différents. Roman des origines, biographie, autobiographie, essai historique, récit social, Du côté de Castle Rock ne se laisse pas facilement appréhender. Pourtant, pour fascinant et foisonnant qu’il soit, ce texte m’a un peu déçue. Peut-être parce que j’en attendais beaucoup et sûrement parce que la généalogie de cette famille est bien difficile à suivre. J’ai commencé à raccrocher les wagons vers la page 160 quand le père et la mère de l’auteure entrent en scène.

Cette biographie/autobiographie regorge d’anecdotes et d’instants choisis qui, pris à part, sont plutôt plaisants à lire, mais qui forment difficilement un tout. Au sortir de cette lecture où je me suis vaguement ennuyée, il ne me reste pas grand-chose, si ce n’est le sentiment d’être passée du coq à l’âne. Peut-être peut-on voir dans ce texte un recueil de miscellanées, mais c’est un genre qui m’a rarement séduite. Autre point gênant, j’ai eu beaucoup de difficultés à comprendre l’histoire de la mère d’Alice Munro, tantôt absente, tantôt présente, tantôt gravement malade…

Du côté de Castle Rock est donc une lecture en demi-teinte et je ne suis pas certaine d’avoir envie de m’aventurer encore du côté d’Alice Munro. Pourtant, un titre pareil et tout ce que cela évoque de Stephen King, cela m’alléchait beaucoup !

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Tartarin de Tarascon

Roman d’Alphonse Daudet. Adaptation, scénario et dessins de Pierre Guilmard.

« Comme chasseur de casquettes, Tartarin n’avait pas son pareil ! » (p. 4) Dans le petit village de Tarascon, tout le monde s’entend pour dire que Tartarin est le meilleur chasseur de la région, même s’il n’y a aucun gibier à chasser. Or, cette légende fait long feu et l’on commence à se moquer de cet homme qui se vante de tant d’exploits alors qu’il n’a jamais quitté son confort douillet. Son honneur étant fort chatouillé, Tartarin s’embarque pour l’Algérie en faisant la promesse de rapporter la dépouille d’un lion. « Tartarin n’était pas un menteur. Comme tout homme du midi, il ne ment pas, il se trompe ! » (p. 6) Ce qu’il ignore, c’est que cette expédition va se révéler bien plus dangereuse et palpitante que prévu. À première vue, point de lion, mais un prince filou et une Mauresque un peu légère. Mais il est hors de question de rentrer au pays sans une dépouille du roi des animaux !

Je n’ai jamais lu le texte d’Alphonse Daudet, mais je connaissais l’histoire de ce pantouflard vantard. Que j’ai ri en lisant les aventures de ce Don Quichotte de pacotille ! Il tient d’ailleurs plutôt de Sancho Pancha : toujours inquiet à l’idée d’oublier quelque chose qui pourrait être essentiel à son confort, Tartarin de Tarascon n’a pas l’étoffe d’un baroudeur. Chargé comme un mulet, bruyant comme deux trains en marche, il est loin de coller à l’image du héros aventurier, fusil à l’épaule. Toutefois, la chance sourit aux innocents : s’il est parfaitement ridicule, Tartarin est avant tout un brave homme sans méchanceté que le destin récompense à peu de frais.

Pierre Guilmard signe une bande dessinée très dynamique, chatoyante et vraiment drôle qui m’a donné une furieuse envie de découvrir le texte original. Quant au livret bibliographique et historique en fin de volume, il m’a rappelé qu’il me reste beaucoup de textes de cet auteur à découvrir.

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Billevesée #100

Et voilà la centième billevesée ! L’occasion d’apprendre à dire « cent » en langue étrangère !

Anglais : One hundred

Allemand : Einhundert

Espagnol : Ciento

Italien : Cento

Portugais : Cem

Russe : Cотня

Japonais : 百

Alors, billevesée ?

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Madame Bovary

Roman de Gustave Flaubert. Scénario de Daniel Bardet et dessins de Michel Janvier.

Quand la jeune Emma Rouault épouse Charles Bovary, brave médecin de campagne qui a soigné son père, elle ne se doute pas que sa vie sera morne et monotone. Charles n’a pas d’ambition et se satisfait à merveille de son quotidien rural, mais Emma s’ennuie dans un monde sans passion. « Charles n’est-il pas l’obstacle à toute félicité ? » (p. 13) Pour tromper son ennui, elle prend un amant, puis deux. Pour leur plaire, elle dépense sans compter et contracte des dettes immenses auprès de M. Lheureux, un marchant sans scrupule. Peu à peu, elle s’enfonce dans le vice et le mensonge où tout est bon pour tenter d’échapper à sa vie sans éclat. « Où donc avait-elle appris cette corruption presque immatérielle à force d’être profonde et dissimulée ? » (p. 34) Pour sortir des gouffres où elle s’enlise, Emma Bovary n’aura qu’une échappatoire, forcément tragique.

Je relis souvent ce roman que je considère comme un des meilleurs de Gustave Flaubert. J’ai une grande tendresse pour Emma : certes, cette femme adultère peut être agaçante, mais il ne faut pas oublier qu’elle a grandi dans un monde de fantasmes et de rêves. Sa confrontation à la banalité du quotidien est donc extrêmement brutale et traumatisante et elle explique bien son caractère lunatique et insatisfait. « Vous savez, je peux être gaie ou triste sans raison. » (p. 6)

Un grand bravo à Michel Janvier qui a su rendre la beauté mélancolique et névrosée d’Emma : la jeune femme est comme un marbre superbe qui dissimule une faille qui ne demande qu’à exploser sous un coup trop appuyé de burin. Cette adaptation BD est donc une grande réussite et m’a vraiment enchantée, tout comme le livret bibliographique et historique qui lui fait suite.

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Avec vue sur l’Arno

Roman de Edward Morgan Forster.

La jeune Lucy Honeychurch voyage en Italie avec sa vieille cousine Charlotte Bartlett. Elles sont descendues dans une pension à Florence et se désespèrent que leurs chambres ne donnent pas sur l’Arno. MM. Emerson père et fils leur proposent de changer d’appartement. C’est ainsi que commence le chassé-croisé amoureux entre Lucy et le jeune George Emerson. De retour en Angleterre, Lucy se fiance pourtant avec le distant et très conventionnel Cecil Vyse, mais l’ombre de George Emerson ne tarde pas à planer sur le couple. Qui donc Lucy épouser-elle ? « Se souvenant qu’elle était fiancée à Cecil, elle se contraignait à mal se souvenir de George ; il ne lui était rien, il n’avait jamais rien été pour elle. » (p. 220)

À mon sens, ce roman pourrait être de Jane Austen, mais il y manque deux aspects essentiels : le talent et la qualité ! Tout m’a semblé faux et maladroit. Lucy est une jeune personne qui bout d’énergie et qui rêve d’aventures tandis que George est un jeune homme cynique, athée et un brin mélancolique. Voilà déjà deux bons gros clichés. Il faut y ajouter une cousine pauvre, sotte et bornée qui est parfaitement agaçante avec sa manie affectée de présenter des excuses pour tout et n’importe quoi, mais aussi avec sa façon de se comporter en société. « Je suis une femme du monde à ma petite façon, je sais où conduisent les choses. » (p. 21) N’oublions pas le possible gendre idéal qui devient de moins en moins idéal à mesure qu’on le découvre : Cecil est atrocement désagréable et aucunement attachant. « Depuis ses fiançailles, Cecil affectait un cosmopolitisme de mauvais garçon qu’il était loin de posséder. » (p. 133) Enfin, il y a toute une cohorte de personnages secondaires, de la vieille fille aventurière au pasteur bedonnant, qui m’ont prodigieusement agacée.

J’en viens au titre : parce que Lucy et Charlotte se sont senties lésées (et ont fait un caprice, grosso modo) en n’obtenant pas les chambres qu’elles attendaient, MM. Emerson père et fils les ont obligées en leur offrant leurs appartements. Mais finalement, les deux femmes ne passent que très peu de temps dans ces chambres et admirent bien peu la vue, d’autant plus que leur séjour à Florence est brusquement écourté avec un départ précipité pour Rome. L’incident liminaire est un prétexte d’une banalité affligeante pour justifier la rencontre entre les deux femmes et les Emerson. En effet, puisque tous ces touristes logeaient dans la même pension, il est fatal qu’ils auraient fini par se rencontrer dans les pièces communes. J’en viens à penser que le sens du titre est le suivant : si l’amour ne peut pas entrer par la porte, il entre par la fenêtre. Oui, cette formule manque d’élégance, mais c’est à l’image du roman.

Entre mauvais romantisme, situations bouffonnes et coquilles à répétition, ce roman a mis ma patience à rude épreuve. On m’en avait pourtant dit grand bien, de même que du film. J’hésite maintenant à ouvrir le boitier DVD…

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L’île au trésor

Bande dessinée d’après le roman de R. L. Stevenson. Scénario de Christian Lemoine et dessin de Jean-Marie Woehrel.

Le jeune Jim vit avec ses parents dans une auberge isolée. Quand arrive Bones, un homme brutal avec un coffre bien mystérieux, tout bascule dans la vie du jeune garçon. Le forban dissimulait une carte qui pourrait révéler l’emplacement d’une île où serait enfoui un trésor. Accompagné du chevalier Trelawney et du docteur Livesey, Jim embarque vers l’île. Sur le bateau, un dénommé Long John Silver ressemble à s’y méprendre à l’homme que Bones craignait de voir surgir. « Au début j’avais craint qu’il fût le marin unijambiste du capitaine Bill. / Moi aussi, je l’ai soupçonné, mais ce cuisinier si jovial n’a vraiment rien d’un flibustier. » (p. 20

Alors qu’une mutinerie s’organise à bord et que Jim et ses amis sont en mauvaise posture, le navire accoste sur l’île tant recherchée. Jim y rencontre Ben Gunn, abandonné depuis des années sur ce caillou perdu en pleine mer. Avec ses fidèles compagnons, Jim met tout en œuvre pour trouver le trésor avant Long John Silver.

L’île au trésor allie le récit d’aventures et une variation du mythe de Robinson. Je n’ai jamais lu le roman original, mais cette bande dessinée et le livret bibliographique qui l’accompagne m’ont donné envie de combler cette lacune. Il n’y a pas d’âge pour découvrir les classiques !

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L’unité

Roman de Ninni Holmqvist.

Parce qu’elle vient d’avoir cinquante ans, qu’elle n’a pas d’enfant, qu’elle est célibataire, en somme qu’elle n’est nécessaire à personne, Dorritt doit intégrer l’Unité. « Il n’y a plus d’excuse pour ne pas procréer. Il n’y a plus d’excuse non plus pour ne pas se tuer au travail lorsqu’on est parent. » (p. 39) Dans l’Unité, désormais, tous ses besoins sont pris en charge : elle est logée dans un bel appartement, nourrie, habillée et a accès à tous les loisirs qu’elle désire. En contrepartie, elle doit participer à divers programmes de recherche scientifique et donner ses organes dès qu’ils sont utiles à une personne nécessaire, à l’extérieur. Enfin, tout contact avec l’extérieur lui est désormais interdit. Si Dorritt semble d’abord accepter sa réclusion volontaire, l’arrivée d’une nouvelle personne va tout bouleverser.

Dorritt est la narratrice de ce récit très angoissant. Si la fin, comme dans de nombreuses dystopies, voit la victoire du système sur l’individu, il y a tout de même un vent de changement qui souffle et la machine semble à deux doigts de se gripper. « Apparemment, nous coûtons cher à entretenir. / Exactement… et pourquoi en définitive ? […] Nous sommes comme des poulets ou des porcs élevés en plein air. La seule différence, c’est que les poulets et les porcs vivent – espérons-le – dans une heureuse ignorance de tout ce qui n’est pas le présent. » (p. 72 & 73) Mais le luxe et le confort ne peuvent en aucun cas acheter la vie ou compenser la douleur.

Je n’en dis pas davantage pour ne pas déflorer ce très intelligent roman d’anticipation. L’intrigue est relativement simple, mais tout à fait glaçante. Dans une Suède du futur, parfaite démocratie où la liberté d’expression est strictement respectée, le rendement économique est devenu une obsession, à tel point que la valeur d’un être humain est mesurée à l’échelle de la production et de la consommation. Les adultes nullipares, en ne procréant pas, sont pointés du doigt et qualifiés d’improductifs. Ils ne sont pas mis au rebut de la société, mais intègrent une gigantesque banque d’organes. « Je ne suis qu’un intendant veillant sur les organes vitaux. » (p. 163) Se posent alors de nombreuses questions. Comment mesure-t-on la valeur sociale d’un être au sein d’un système ? Qu’est-ce qui détermine l’utilité d’un homme dans la société ? Est-ce un crime d’être inutile et à la charge du système ?

Il est donc impossible, sous peine de mort à plus ou moins long terme, de ne pas avoir d’enfant, qu’on en ait ou non le désir. Mais quand la survie sociale dépend de la procréation, dans quelle mesure les parents peuvent-ils aimer/vouloir leur enfant ? Devient-il un sauveur ou un être imposé qui entrave un style de vie qui diffère du canon social ? L’unité pose des questions très actuelles, notamment si je le rapproche de l’attitude de certains jeunes (ou moins jeunes) parents devant mon absence d’enfants – qui est loin d’être un choix. Pour eux, je suis moins, pas tout à fait, pas vraiment, pas encore. Ou encore je ne sais pas, je ne peux pas savoir et mon quotidien est moins important, mes activités sont moins primordiales et mon emploi du temps est forcément plus malléable. Faut-il donc avoir un enfant pour obtenir une place et une reconnaissance dans la société ? Hélas, il semble bien que oui.

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Robinson Crusoé

Bande dessinée d’après le roman de Daniel Defoe. Scénario de Christian Lemoine et dessin de Jean-Christophe Vergne.

Le bateau de Robinson Crusoé fait naufrage. Avec lui, le seul rescapé de la catastrophe est un chien. Isolé sur une île perdue en pleine mer, Robinson se crée une vie civilisé, résistant autant que possible au désespoir que crée la solitude. « Il en résulte qu’il n’est point de condition si misérable où il n’y ait du positif. » (p. 15) Tout change quand il sauve un jeune sauvage d’une bande de cannibales. Désormais, il instruit Vendredi, indigène habile et intelligent. Mais Robinson ne cesse jamais d’espérer qu’un bateau britannique croisera au large de son île et le ramènera dans son pays.

Le mythe littéraire de Robinson Crusoé m’a toujours fascinée et j’avais beaucoup apprécié la lecture de Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier et de L’empreinte à Crusoé  de Patrick Chamoiseau. Ici, c’est un plaisir de voir ce mythe mise en images et de poursuivre la découverte de l’histoire et de l’auteur dans le livret bibliographique qui fait suite à la bande dessinée.

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Chinoises

Recueil de témoignages de Xinran.

Pendant plusieurs années, Xinran a animé une émission de radio sur les ondes chinoises. Pour la première fois dans l’histoire du journalisme de ce pays communiste, la parole était aux femmes. « J’ai été surprise de découvrir à quel point les histoires des femmes se ressemblaient tout en étant différentes. » (p. 168) L’ouverture de la Chine au monde a levé le voile sur les conditions de vie effroyables des femmes, toujours prises entre les traditions et les tabous, toujours soumises au terrible spectre de la honte. « Tout ce qui compte pour les Chinois, c’est de ne pas perdre la face, mais ils ne comprennent pas que leur face est liée au reste de leur corps. » (p. 291) Xinran rencontre des veuves, des orphelines, des mères meurtries et des femmes accusées à tort. La force dont elles font montre pour endurer la domination masculine et les préceptes communistes, ainsi que leur courage résigné ont forcé mon admiration tout en attisant une amère révolte dans mon cœur de lectrice. « J’espérais que ma douleur finirait par disparaître d’une façon ou d’une autre, mais comment faire disparaître ma vie ? Faire disparaître mon passé et mon futur ? » (p. 51)

Cette lecture entre en résonance avec Vent d’est, vent d’ouest de Pearl Buck que j’ai lu très récemment, mais aussi avec Fleurs de Chine de Wei-Wei et Ma vie en rouge de Zhimei Zhang. « Le tragique, c’est qu’autant de femmes intègrent ce jugement de ‘mauvaises femmes’ que les hommes portent sur elles. » (p. 69) Xinran présente avec amertume plusieurs générations de femmes qui ont dû renier leur féminité et leur sensibilité pour se plier à un régime communiste où l’égalité confinait à l’absurdité : pour parvenir à une totale égalité entre les hommes et les femmes, il fallait surtout que les dernières acceptent sans broncher les désirs des premiers. « L’existence des femmes se justifie par leur utilité. » (p. 338)

Outre les poignants témoignages qu’elle met en forme dans son ouvrage, Xinran présente le journalisme dans la Chine communiste et tout l’aspect administratif et protocolaire de cette activité hautement encadrée par le pouvoir. Gare au journaliste trop enthousiaste, il pourrait être accusé de subversion ou de trahison ! Mais Xinran s’est toujours sentie investie d’une mission simple et essentielle, celle de faire connaître ce qui est inconnu et de dévoiler ce qui est caché. Et tant pis pour l’adage chinois qui dit qu’« à la campagne, […] le ciel est haut et l’empereur est loin. » (p. 16) Pour Xinran, il n’est pas de contrée trop reculée ou d’histoires trop embarrassantes. Sans jamais heurter l’écueil du sensationnel ou du voyeurisme, elle présente avec pudeur des histoires très violentes et très douloureuses. À sa façon, elle rend justice aux femmes qui se sont confiées à elle et rappelle que l’égalité des sexes reste un idéal à double tranchant.

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Le conte de Noël

Bande dessinée d’après le roman de Charles Dickens. Scénario de Patrice Buenda et illustrations de Jean-Marc Stalner.

C’est le réveillon de Noël et Ebenezer Scrooge s’agace de voir tout Londres s’affairer pour préparer une fête qu’il estime stupide. Et c’est avec indignation qu’il met à la porte les personnes qui le sollicitent pour obtenir une obole. « Je désire qu’on me laisse en repos. Un homme a bien assez de faire ses propres affaires sans se mêler de celles des autres. Les miennes prennent tout mon temps. » (p. 7) C’est à regret qu’il accorde un jour de son congé à son employé pour Noël et il rentre chez lui, solitaire et bougon, bien décidé à ne s’adonner à aucune festivité ni à aucune réjouissance. Mais voilà que survient le fantôme de son ancien associé, Jacob Marley, qui lui annonce la venue de trois esprits. D’abord incrédule, Ebenezer Scrooge est bien obligé de se rendre à l’évidence : trois spectres viennent le visiter dans sa chambre. Il suit d’abord le fantôme du Noël passé puis le fantôme du Noël présent et enfin le fantôme du Noël futur. Les trois apparitions et les visions qu’elles lui offrent transforment le vieil avare qui s’éveille, au matin de Noël, plein de bonnes résolutions, déterminé à devenir un homme bon et généreux.

Patrice Buenda a parfaitement respecté l’esprit à la fois onirique et terrifiant du conte de Charles Dickens. Quant à Jean-Marc Stalner, il a su rendre avec précision et intelligence l’aigreur du vieil homme. C’est avec bonheur que j’ai suivi les personnages dans le Londres victorien couvert de neige. La bande dessinée est complétée d’un intéressant dossier bibliographique et historique qui ouvre la réflexion sur le texte de Charles Dickens en le replaçant dans son contexte en apportant une foule de détails passionnants. Cet ouvrage est parfait pour faire découvrir un classique aux jeunes lecteurs ou pour permettre aux lecteurs plus aguerris de relire une œuvre connue sous un angle différent.

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Home

Roman de Toni Morrison.

« Cette maison est étrange. Ses ombres mentent. Dites, expliquez-moi pourquoi sa serrure correspond-elle à ma clé ? » (p. 9) Celui qui cherche à retrouver sa maison, son chez-lui, c’est Franck. Il s’est échappé d’un asile et il est prêt à tout pour revenir à Lotus, en Géorgie : prêt à traverser tous les pays, prêt à essuyer des humiliations, prêt à courir tous les dangers pour retrouver Cee, sa petite sœur qui a besoin de lui. Revenu de la guerre de Corée avec des souvenirs traumatisants qui confinent à la folie, Franck doit se réhabituer à la vie civile, laisser ses démons derrière lui et ne pas plonger dans le traître et éphémère réconfort d’une bouteille de whisky. « Voilà que revenait la rage incontrôlée, la haine de soi déguisée en faute de quelqu’un d’autre. » (p. 22)

En parallèle, on suit la vie de Cee depuis que Franck s’est enrôlé. La jeune fille qui ne pouvait compter que sur son frère est tombée d’illusions en déconvenues. Elle est en bien mauvaise posture quand Franck la retrouve, mais elle a appris à s’occuper d’elle. Si son frère lui sauve la vie, elle n’a désormais plus besoin de l’intense et constante protection dont il l’entourait. Cabossés par l’existence, le frère et la sœur s’aiment toujours autant, mais leurs peines respectives les ont fait grandir et s’ouvrir au monde. Pour Franck et pour Cee, il est désormais temps de trouver leur foyer et d’apaiser leurs peurs et leurs douleurs. Une vie de souffrance leur a appris à être libres et à vivre pour et par eux-mêmes et leur a permis de comprendre que chacun est sa propre maison, que chaque cœur libre est une demeure solide.

Toni Morrison s’attaque à un autre pan de l’histoire des Noirs américains. Après l’esclavage, elle aborde la ségrégation et pointe les cruelles injustices de ce peuple déraciné, sans cesse empêché de s’intégrer. « Une armée où les noirs ont été intégrés, c’est le malheur intégré. Vous allez tous au combat, vous rentrez, on vous traite comme des chiens. Enfin, presque. Les chiens, on les traite mieux. » (p. 25) Home est plus court que Beloved  ou Love, il est aussi moins dense et plus digeste. Entre la narration au style indirect et les chapitres en italique où Franck se livre, voire se confesse, le lecteur découvre toute l’horreur d’une enfance mal aimée et le drame d’une Amérique qui ne reconnaît pas ses héros et qui tremble devant une menace rouge fantasmée.

J’ai été bouleversée par les passages où Franck parle des femmes, faisant d’elles des anges salvateurs même si elles ne sont que des cocottes ou des emmerdeuses. Pour cet homme meurtri qui flirte avec la folie, la douceur féminine est plus qu’un baume, elle est un chant d’espoir et la promesse d’un lendemain plus serein. « Elle avait quelque chose qui m’a stupéfait, qui m’a donné envie d’être assez bien pour elle » (p. 76) Et d’autres passages m’ont noué la gorge, quand Franck évoque l’enfant qu’il était et l’amour surprotecteur qu’il éprouvait pour sa sœur, les deux gamins ayant grandi en se soutenant l’un l’autre. « Sans mes deux amis, j’aurais étouffé vers l’âge de douze ans. C’étaient eux, en plus de ma petite-sœur, qui maintenaient à l’arrière-plan l’indifférence des parents et la haine des grands-parents. » (p. 89)

C’est un sans faute pour Home qui m’a émue au-delà des mots.

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La lettre de Noël

Album d’Olivier Desvaux.

Basile le lapin et Raoul le renard se promènent en forêt à la recherche de leur arbre de Noël et, sans le faire exprès, ils interceptent un ballon qui transporte une lettre adressée au Père Noël. Raoul est bien embêté : il ne veut pas qu’un enfant soit privé de cadeaux par sa faute. « Je n’ai pas le choix ! Il faut que j’aille remettre cette lettre au Père Noël. » Sur un lit flottant, les deux amis parcourent le monde et affrontent de nombreux dangers pour porter la lettre à son destinataire. Les voilà enfin dans le Grand Nord : le lit se transforme en traineau, tiré par Osto, un des rennes du Père Noël. Et la lettre perdue arrive enfin à destination. Mais l’aventure ne s’arrête pas là : Basile et Raoul ont le bonheur de rencontrer le Père Noël qui leur ouvre les portes de son atelier aux jouets. Qu’il est difficile de se décider devant tant de merveilles ! Heureusement, le Père Noël va mettre d’accord les deux amis en leur offrant le plus spectaculaire des cadeaux.

Quel superbe album, comme je les aime ! Grand, solide, carré, avec des illustrations douces et enchanteresses qui font plonger le lecteur dans le pays des rêves et des merveilles. Et, ô surprise, l’album s’accompagne d’un assortiment de lettres et d’enveloppes pour que les jeunes lecteurs puissent écrire leur propre lettre au Père Noël. Si je m’écoutais, je ferais bien de même, juste pour le plaisir de retrouver des sensations d’enfance, comme la douce illusion du miracle au matin de Noël, devant des paquets chamarrés et un arbre scintillant.

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Le lapin en peluche ou comment les jouets peuvent devenir vivants

Album de Margery Williams. Illustrations de William Nicholson.

Le Lapin en peluche arrive dans la vie d’un petit garçon le jour de Noël. Même s’il est très beau et très doux, il a bien du mal à se faire une place dans la chambre d’enfant, au milieu d’autres jouets plus grands ou plus sophistiqués qui prétendent être vivants. Mais la vérité, c’est qu’un jouet n’est vivant qu’à une condition, et ça ne dépend pas du nombre de ressorts qui s’agitent dans son ventre. « Être vivant ne dépend pas de la façon dont on est fait. […] C’est quelque chose qui t’arrive quand un enfant t’aime très, très longtemps, pas seulement pour jouer avec toi, mais qu’il t’aime vraiment, alors tu deviens vivant pour de vrai. » (p. 9)

Et le miracle prend forme : le Lapin en peluche devient le jouet préféré du petit garçon. « Des semaines passèrent et le petit Lapin devint très vieux et tout râpé, mais l’enfant l’aimait tout autant. Il l’aimait tellement que le Lapin y perdit ses moustaches, que la doublure rose de ses oreilles vira au gris et que ses mouchetures brunes s’effacèrent. » (p. 25) Le Lapin en peluche est devenu vivant grâce à l’enfant, mais voilà qu’il est séparé du petit garçon. Que va-t-il devenir, lui qui ne connaît que la chambre d’enfant ? Que deviennent les jouets quand les enfants ne les aiment plus ?

J’avais beaucoup aimé Le lapin en peluche de Komako Sakaï, album adapté de l’œuvre de Margery Williams. Il était temps de découvrir l’original. L’histoire est identique et l’émotion est la même, mais j’ai préféré les illustrations de Komako Sakaï, plus douces et plus évocatrices des plaisirs perdus de l’enfance.

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Le chant du monde

Roman de Jean Giono.

Antonio est un jeune homme plein de vigueur qui vit près du fleuve. Il accepte d’aider Matelot, un bûcheron, à retrouver un de ses fils disparus. En descendant le fleuve, les deux hommes fouillent les berges et la forêt. Ils rencontrent Clara, une jeune aveugle en train d’accoucher. Antonio est immédiatement attiré par cette femme, mais il ne peut pas rester près d’elle. « Il pensait qu’il allait prendre Clara dans ses bras et qu’il allait se coucher avec elle sur la terre. » (p. 282) Il doit aider Matelot à défendre son fils qui s’est mis à dos Maudru, un prospère propriétaire et éleveur de bétail. Hélas, le fils de Matelot est du genre indépendant et farouche, pas vraiment disposé à se laisser aider. « Ton besson, il m’a toujours fait l’effet d’une bête lointaine. » (p. 121)

Le chant du monde est une histoire d’hommes et de femmes, une histoire de désir et d’attraction, pleine de pulsions et de dynamisme. Dans ce livre où tout fuse, la vie est partout, en toutes choses, prête à éclater et à se répandre. « Ils font l’amour. La terre leur a déjà bourré la tête avec des odeurs et maintenant elle frappe avec de gros marteaux de joie sur la cuirasse de leur crâne. » (p. 159) Jean Giono a écrit un roman charnel et tellurique. Sa force d’évocation est telle que, de l’automne au printemps en passant par un sombre hiver, son récit est puissant et chante quelque chose d’immuable, à l’image du fleuve et de la vie.

J’ai lu ce roman quand j’étais jeune adolescente, pendant ma période régionaliste, entre un Bernard Clavel et un Claude Seignolle. J’en avais gardé un très bon souvenir, même s’il me semblait que je n’avais pas tout compris. C’est donc avec plaisir que je l’ai relu, découvrant une poésie brute et retrouvant la plume fine que j’avais tant aimée dans Un roi sans divertissement, du même auteur.

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Le bébé de goudron et 15 autres aventures de Frère Lapin

Recueil de contes de Joel Chandler Harris. Illustrations de Doris Smith.

Frère Lapin et Frère Renard sont devenus amis, mais le second garde toujours un œil sur le premier, au cas où ce dernier cacherait un trésor. Mais la bonne entente n’est que façade, chacun essayant de jouer les pires tours à l’autre. « Y a encore des fous sur la terre, heureusement ! Sans eux, ne sais pas ce que je deviendrais. » (p. 16) Frère Lapin fait des farces et des entourloupes à tout le voisinage. « Frère Renard veut sa peau, Frère Busard aussi, et maintenant Sœur Vache ! Mais ce n’est pas demain qu’ils l’attraperont ! » (p. 37)

Comme il est étonnant de retrouver des histoires et des schémas déjà connus ! Par exemple, un renard qui piège un loup en lui faisant croire qu’il peut pécher avec sa queue, ça ne vous rappelle pas Le roman de Renart ? Ici, c’est le lapin qui se fait piéger et perd sa queue, ce qui explique pourquoi il a un appendice aussi court. J’ai retrouvé un peu des fables de La Fontaine et des contes de Ma mère l’Oye dans ces histoires, avec toujours le même plaisir quand le lapin se joue de ses prédateurs.

Ces contes sont issus du folklore africain apporté par les esclaves noirs. L’auteur a entendu ces histoires sur la plantation de ses parents quand il était enfant et il a voulu en conserver une trace. Après leur publication, ces contes ont rencontré un immense succès en Amérique et sont devenus des classiques de la littérature enfantine nord-américaine.

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Billevesée du dimanche #98

Aucune inspiration pour ma billevesée du jour. Comme il n’est pas question de laisser une page blanche, je vous propose un petit rappel : quels sont les noms des neuf Muses, ces divinités supposées apporter l’inspiration aux artistes ? Et quels sont leurs domaines de prédilection ?

Calliope a la charge de l’éloquence et de la poésie épique. Clio a la charge de l’histoire. Erato a la charge de la poésie lyrique et chorale. Euterpe a la charge de la musique. Melpomène a la charge de la tragédie. Polymnie a la charge de la rhétorique. Terpsichore a la charge de la danse et du chant choral. Thalie à la charge de la comédie. Uranie à la charge de l’astronomie.

Alors, billevesée ?

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La plus mignonne des petites souris

Conte populaire raconté et illustré par Étienne Morel.

La fille de Madame et Monsieur Rongetout est la plus mignonne des petites souris et elle est douée de tous les talents. Ses parents décident de la marier au personnage le plus puissant du monde, « car c’est la plus mignonne des petites souris. Et personne d’autre n‘est digne d’elle. » (p. 9) Mais ni le soleil, le nuage ou le vent ne sont assez bien pour la jolie petite souris. Qui donc sera digne d’elle ? Ne serait-ce pas le jeune souriceau de la tour voisine ? Peut-être bien, car la notion de pouvoir, vue de la hauteur d’une souris, diffère sans aucun doute des critères universels.

J’ai découvert ce conte dans la vieille bibliothèque de mes grands-parents quand j’étais encore toute jeune lectrice. Je l’avais plus ou moins oublié jusqu’à ce que les éditions Flammarion me proposent de le recevoir. Sans hésiter, j’ai replongé dans cette histoire qui avait charmé mon enfance, comme de nombreux albums de la collection du père Castor. J’ai vraiment apprécié le dessin d’Étienne Morel et la fine grâce qu’il prête aux souris. De plus, les couleurs poudrées et patinées rehaussent la douceur de cette famille de trotte-menu. Voilà un bel album traditionnel pour les jeunes lecteurs.

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L’homme que j’ai épousé

Roman de Magali.

Paméla [Où a-t-on vu que ce prénom peut faire fantasmer les jeunes filles ? Ah, dans les années 50, peut-être…] et Rudy [Rudyyyyyyyy, dixit Paméla, dans son for intérieur] sont de jeunes mariés, juste unis du matin. Dans la puissante jaguar [attribut viril par excellence de celui qui a réussi dans une exploitation pétrolifère] du jeune homme [14 ans de plus que sa femme, quand même, ce qui lui permet de lui donner du « mon petit »], le couple se promène dans les beaux paysages de Bretagne et décide de passer la nuit dans le Manoir des chênes [comme de bien entendu, le manoir est lugubre et les hôtes sont louches]. Pour Paméla, chaque instant passé avec Rudy est un pur moment de bonheur. « Pour Paméla, qui n’avait jamais rien eu à elle, avoir Rudy était une espèce de miracle. » (p. 10) Il faut dire que Rudy l’a tirée d’une situation peu enviable [Cosette et Cendrillon, allez-vous rhabiller, vous êtes has been : maintenant, il y a Paméla]. Alors oui, pas de doute, Pam est follement reconnaissante et amoureuse. Quant à Rudy, s’il semble attaché à Paméla, il dissimule un passé douloureux [Il a un cœur d’or caché sous une carapace, of course]. « J’ai besoin de douceur… d’une présence tiède et discrète… d’une femme calme et patiente qui accueille un simple bonheur aussi simplement que je le lui offre. » (p. 80) [Fallait prendre un labrador ! C’est bien, un labrador ! C’est tiède et patient et ça se contente de quelques caresses sur la tête. Paméla aussi, cela dit…] Hélas, le couple n’aurait jamais dû s’arrêter au Manoir des chênes [Un manoir dont personne ne veut vous indiquer la route, il ne faut pas y aller !!!] puisqu’il y croise une intrigante femme rousse [à la plastique de rêve et aux yeux froids] dont les sombres desseins se nourrissent des douleurs passées de Rudy. Paméla va-t-elle voir s’éloigner si vite un bonheur si longtemps attendu [Oh noooooooon] ? Devra-t-elle renoncer à Rudy, l’homme qu’elle aime si passionnément [T’avais qu’à pas être si gourde, na !] ?

Non, ce roman n’est pas de moi. Non, ce n’est pas mon histoire. D’ailleurs, je ne m’appelle pas Paméla Alors, pourquoi, oui, POURQUOI ai-je lu ce livre à l’intrigue si mièvre et si convenue ? Non, je n’étais pas ivre. Non, je n’avais pas besoin de lecture doudou : dans ces cas-là, je prends Zola, ce bonhomme-là sachant parfaitement me mettre des papillons les yeux. Donc, disais-je, pourquoi ? Et bien parce que j’ai la mauvaise habitude de lire TOUS les livre que l’on m’offre, même si la première et la quatrième de couverture crient leur niaiserie et annoncent la nullité complète des pages qu’elles contiennent. Qui donc m’a fait ce cadeau empoisonné qui se défend d’être un Harlequin tout en jouant des mêmes ficelles ? C’est une collègue dont le regard goguenard quand elle m’a tendu le livre laissait supposer que je n’ouvrirais pas ce torchon. Et ben, c’est chose faite ! Faut jamais me dire « même pas cap’ » !

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