Évidemment, en commençant cette lecture, je pensais à Moby Dick, et c’est la première référence que donne l’auteur pour illustrer son propos. Mais les baleines, orques, dauphins et autres cétacés ne se limitent pas à ce monument de la littérature. Leur représentation dans les œuvres écrites et filmées prouve la fascination qu’ils exercent sur les humains. « Ils sont les dépositaires de nos mythes, chargés d’une puissance magnétique qui nous dépasse, comme les phénomènes naturels pouvaient dépasser les peuples sans station météo. » (p. 60) Et pourtant, de tout temps, l’homme (et j’utilise ce terme à dessein) a entrepris de traquer et de massacrer ces géants superbes, pour leur viande, leur graisse, leurs fanons, ou encore de les parquer pour son divertissement abruti. Nous avons tous en tête les chasses sanglantes que mènent les pays nordiques ou le Japon, seuls pays n’ayant pas signé le moratoire international de 1986 sur la chasse des baleines. Ces images odieuses sont la preuve que l’être humain échoue, encore et toujours, à vivre en paix avec les autres espèces, surtout les plus spectaculaires. Comme s’il cherchait à compenser, par ses harpons et ses filets, sa petitesse de corps et de cœur. Comme le dit Camille Brunel, « nous n’avons aucune excuse ». (p. 191)
« Le million de rorquals massacrés représente-t-il un désastre écologique ou une tuerie de masse ? » (p. 115) Pour l’auteur, la réponse est simple : les deux ! Au terme d’une démonstration lumineuse, il prouve que les cétacés sont des personnes (non humaines, évidemment), tant leur sensibilité est supérieure à ce que les carnistes et spécistes voudraient croire pour se dédouaner de les tuer. De fait, attenter à la vie des baleines et consorts est un meurtre. « Tant qu’on n’aura pas expliqué aux humains à quel point les animaux peuvent souffrir, ils continueront de les trouver, sinon dans la forme, du moins dans le fond, plus proches des végétaux que d’eux-mêmes. Des ressources. Des aliments. De la viande, du lait, des fraises. La ‘nature’ ». (p. 135) Camille Brunel est un fervent défenseur de la cause animale et un excellent ambassadeur de cette idée simple et pourtant fondamentale : il nous reste tant à apprendre des animaux que notre premier devoir envers eux est de les protéger. Sinon la nature se chargera bien de se retourner contre ceux qui l’endommagent. « De Moby Dick à Pacific Rim, les humains récoltent la tempête du vent qu’ils ont semé. Une rage vengeresse chez le cachalot dont on massacre les semblables d’un océan à l’autre. » (p. 70)
Publié dans la même collection que l’Éloge du lapin de Stéphanie Hochet, ce livre nourrit ma réflexion sur mon rapport à l’animal et à la nature, mais aussi renforce le combat que j’essaie de mener pour les défendre, avec mes petits moyens et ma farouche conviction que l’humain n’est pas l’espèce vivante supérieure. « Pouvons-nous nous racheter ? Cette question est celle de l’anthropocène. Saurons-nous sauver tout ce qui n’est pas nous – les animaux et leur environnement ? Ou, faute d’âme, nous exterminerons-nous nous-mêmes ? » (p. 137)