Les dieux de Rachel

Roman de Moacyr Scliar.

Ferenc, juif hongrois, a quitté l’Europe après des investissements ratés. Avec femme et enfant, il a choisi le Brésil pour recommencer sa vie. Cultivé et convaincu que l’éducation ouvre toutes les portes, il inscrit sa fille Rachel au collège tenu par des religieuses, catholiques évidemment. Dès lors, l’enfant doit composer entre son héritage juif et la fascination qu’exerce sur elle ce christianisme jusqu’à alors inconnu. Terrifiée par la damnation promise au peuple élu dans le Nouveau Testament, Rachel se bricole une religion qui la sauvera, entre croix rédemptrice et dieux païens.

Le roman est construit autour d’une journée de Rachel, alors âgée de 37 ans. Le lecteur la suit dans la canicule alors que ses souvenirs se bousculent et dressent son portrait. Le narrateur est JE. C’est un dieu. C’est Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne. « JE l’ai dit. JE suis celui qui compte les heures et les jours. JE suis celui qui décide du temps imparti à chacun. » (p. 105) Il sait tout de l’histoire de cette femme un peu perdue, coupable de tant de trahisons anodines et pourtant tellement pardonnable, qui cherche surtout comment vivre en repoussant l’inéluctabilité de la mort.

J’ai ressenti beaucoup de sympathie pour Rachel. Sans doute parce que j’approche de son âge et que certaines de ses questions sont les miennes. Mais surtout parce que cette môme têtue à l’imagination fertile et à la volonté affirmée est l’enfant que j’aurais aimé être.

De Moacyr Scliar, je vous conseille également Max et les fauves.

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Poursuite

Roman de Joyce Carol Oates.

Abby est mariée depuis un jour à Willem. Elle l’aime et il l’adore. Alors a-t-elle tenté de se tuer en se jetant sous un bus ? Est-ce un accident ? Essaie-t-elle de fuir quelque chose ? Ses rêves emplis de squelettes et de crânes ? Ou d’échapper à quelqu’un ? « Tu croyais que tu pouvais nous oublier ? Tu croyais qu’on pouvait t’oublier ? » (p. 9) Pendant la longue convalescence de son épouse, Willem s’interroge et essaie de comprendre pourquoi il ne sait rien d’Abby, de son passé ou de sa famille. Chacune de ses questions en soulève d’autres. C’est avec le récit de la vie de Nicola et Lew que l’histoire d’Abby prend forme et que les blancs se comblent. « Elle a plutôt trompé Willem comme elle a trompé d’autres gens en leur dissimulant la véritable nature de son âme, qui est tachée, ternie, aussi immonde qu’une éponge sale. » (p. 19)

Joyce Carol Oates revient sur un motif récurrent de son œuvre, le traumatisme survenu dans l’enfance qui ne cesse de déconstruire et de fragiliser la vie de l’adulte. « Chérie est un mot quelque peu nouveau entre eux. Abby songe que Chérie est synonyme de coercition. » (p. 61) Elle développe aussi avec perspicacité et clairvoyance les mécanismes à l’œuvre dans la violence masculine, tant physique qu’émotionnelle. En peu de mots, elle fait ressentir ce qu’est la peur du père, la peur du mari, la peur de l’homme en général. « Il n’arrivait pas à croire que Nicola ne l’adorait plus sans réserve. Qu’elle envisageait sérieusement une séparation, et à terme, un divorce. » (p. 105) Tout y passe, du mensonge aux menaces en passant par la manipulation et la domination. Ce que cherche l’homme, ce n’est pas l’amour, c’est l’emprise, le pouvoir. « Il y a trop longtemps qu’il s’est privé du plaisir dont l’autorité est synonyme. » (p. 139) La description du personnage qui glisse dans une folie vengeresse sadique est glaçante et c’est le souffle suspendu que l’on attend de voir si Abby surmontera ce passé terrible pour construire sa vie.

Le roman est court, et c’est souvent dans la brièveté que Joyce Carol Oates excelle. Elle lui suffit de peu de pages pour installer une ambiance pesante qui colle aux doigts bien après que l’on a refermé le livre.

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Éloge de la baleine

Essai de Camille Brunel.

Évidemment, en commençant cette lecture, je pensais à Moby Dick, et c’est la première référence que donne l’auteur pour illustrer son propos. Mais les baleines, orques, dauphins et autres cétacés ne se limitent pas à ce monument de la littérature. Leur représentation dans les œuvres écrites et filmées prouve la fascination qu’ils exercent sur les humains. « Ils sont les dépositaires de nos mythes, chargés d’une puissance magnétique qui nous dépasse, comme les phénomènes naturels pouvaient dépasser les peuples sans station météo. » (p. 60) Et pourtant, de tout temps, l’homme (et j’utilise ce terme à dessein) a entrepris de traquer et de massacrer ces géants superbes, pour leur viande, leur graisse, leurs fanons, ou encore de les parquer pour son divertissement abruti. Nous avons tous en tête les chasses sanglantes que mènent les pays nordiques ou le Japon, seuls pays n’ayant pas signé le moratoire international de 1986 sur la chasse des baleines. Ces images odieuses sont la preuve que l’être humain échoue, encore et toujours, à vivre en paix avec les autres espèces, surtout les plus spectaculaires. Comme s’il cherchait à compenser, par ses harpons et ses filets, sa petitesse de corps et de cœur. Comme le dit Camille Brunel, « nous n’avons aucune excuse ». (p. 191)

« Le million de rorquals massacrés représente-t-il un désastre écologique ou une tuerie de masse ? » (p. 115) Pour l’auteur, la réponse est simple : les deux ! Au terme d’une démonstration lumineuse, il prouve que les cétacés sont des personnes (non humaines, évidemment), tant leur sensibilité est supérieure à ce que les carnistes et spécistes voudraient croire pour se dédouaner de les tuer. De fait, attenter à la vie des baleines et consorts est un meurtre. « Tant qu’on n’aura pas expliqué aux humains à quel point les animaux peuvent souffrir, ils continueront de les trouver, sinon dans la forme, du moins dans le fond, plus proches des végétaux que d’eux-mêmes. Des ressources. Des aliments. De la viande, du lait, des fraises. La ‘nature’ ». (p. 135) Camille Brunel est un fervent défenseur de la cause animale et un excellent ambassadeur de cette idée simple et pourtant fondamentale : il nous reste tant à apprendre des animaux que notre premier devoir envers eux est de les protéger. Sinon la nature se chargera bien de se retourner contre ceux qui l’endommagent. « De Moby Dick à Pacific Rim, les humains récoltent la tempête du vent qu’ils ont semé. Une rage vengeresse chez le cachalot dont on massacre les semblables d’un océan à l’autre. » (p. 70)

Publié dans la même collection que l’Éloge du lapin de Stéphanie Hochet, ce livre nourrit ma réflexion sur mon rapport à l’animal et à la nature, mais aussi renforce le combat que j’essaie de mener pour les défendre, avec mes petits moyens et ma farouche conviction que l’humain n’est pas l’espèce vivante supérieure. « Pouvons-nous nous racheter ? Cette question est celle de l’anthropocène. Saurons-nous sauver tout ce qui n’est pas nous – les animaux et leur environnement ? Ou, faute d’âme, nous exterminerons-nous nous-mêmes ? » (p. 137)

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La philosophe, le chien et le mariage

Bande dessinée de Barbara Stok.

Hipparchia était promise à un riche mariage qui aurait fait l’honneur de sa famille. Pour lui plaire, son futur époux l’aurait même laissée lire de la philosophie, n’en déplaise aux femmes de son entourage. « Ces livres n’ont pas été écrits pour nous. Ton père t’a laissé beaucoup trop de liberté à ce sujet. Tu gâches ta féminité. » (p. 30) Mais voilà, Hipparchia a croisé Cratès, le philosophe vagabond et cynique, clochard pouilleux à l’esprit brillant et, plus que jamais, elle refuse de se contenter d’être jolie et de ne pas penser. Puisque la place où l’on voudrait la contraindre de rester ne lui convient pas et parce qu’elle est avide de savoir et de réfléchir, Hipparchia envoie aux orties une vie que beaucoup lui envie, d’autant plus que Cratès l’accepte dans son cercle. « Il m’a donné la parole et ils m’ont prise au sérieux. » (p. 149) Avec ce compagnon qu’elle se choisit, Hipparchia rejoint le courant des cyniques, fondé sur le minimalisme et le refus des différences sociales.

L’autrice le dit en fin d’ouvrage : il y a peu de sources qui traitent de cette philosophe qui a vécu au 4e siècle avant JC, mais toutes soulignent le caractère exceptionnel de cette femme qui a obtenu sa liberté en renonçant à tout. Les notes finales explicitent largement l’ouvrage et développent des points à peine évoqués. C’est passionnant et ça fait plonger dans une bibliographie très dense. Le dessin est simple, dépouillé, presque naïf, cependant très expressif, avec quelques doubles pages riches de détails. J’ai passé une très belle heure de lecture avec cette épaisse bande dessinée et je sais déjà que j’y reviendrai.

C’est évidemment une œuvre que je range sur mon étagère de lectures féministes, pas très loin de la bande dessinée consacrée à Kristina, la reine-garçon.

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Ciao à la campagne

Album de Sarah Khoury.

Nous retrouvons Ciao, le doux dodu doudou aux longues oreilles, cette fois à la campagne avec sa petite humaine. Il rencontre de nouveaux camarades de jeu, de tailles très différentes, de la vache majestueuse à la fourmi industrieuse. Le petit lapin en peluche se régale des petits bonheurs qu’il trouve sur son chemin. « Le goûter est suspendu aux arbres et l’on trouve partout des trésors cachés. » Et à la fin de la journée, Ciao retrouve les bras de son humaine pour un sommeil apaisé et heureux.

Cet adorable album, comme les deux précédents, m’offre une parenthèse douce et poétique. Quand j’ai du vague à l’âme, il m’arrive de rouvrir ces petits ouvrages juste pour regarder les illustrations et plonger dans ce monde minuscule, idéal et rêvé. Les illustrations sont tendres, follement généreuses en couleurs et formes douces. C’est un plaisir simple que je savoure à chaque fois.

Lisez donc Ciao dans les bois ou Ciao et la mer ! Je vous promets que vous ne le regretterez pas !

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Le lièvre de mon grand-père

Nouvelle d’Alexandre Dumas père.

L’auteur est invité à une partie de chasse à l’occasion de la Saint-Hubert, saint patron des chasseurs. Ne pouvant se libérer, il se fait conter par la suite des événements par ses amis. Et c’est finalement un autre récit qui prend le dessus, celui de l’aubergiste qui a accueilli les chasseurs. L’homme raconte comment son grand-père, grand chasseur et homme impie, a eu maille à partir avec un lièvre aux dimensions gigantesques, sans jamais réussir à l’attraper, épuisant ses chiens à la poursuite de l’animal fabuleux. « C’était le lièvre qui riait de son côté, en se renversant sur ses pattes de derrière, et en se tenant les côtes avec les pattes de devant. » (p. 99) Impénitent jusqu’au dernier moment, le chasseur laisse passer toutes les chances de racheter ses fautes, et le démon aux longues oreilles y trouve évidemment son compte.

Avec le ressort narratif des récits enchâssés, Dumas donne de la dimension à une histoire qui aurait pu rester pittoresque, mais qui devient fantastique à plus d’un titre. Évidemment, impossible de savoir si l’auteur invente la partie de chasse et l’histoire de l’aubergiste, mais cela n’a pas d’importance. Avec ce petit conte rural, Dumas s’inscrit dans la tradition des auteurs qui ont écrit le remords qui pousse à la folie, à l’instar de Dostoeivki avec Crime et châtiment. Il y a aussi quelque chose du Horla dans cette histoire de hantise silencieuse et angoissante. Voilà une courte lecture tout à fait plaisante !

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Max et les fauves

Roman de Moacyr Scliar.

Max Schmidt est contraint de quitter Berlin pour échapper aux nazis qui prennent le pouvoir sur son pays. Le cargo qui l’emmène vers le Brésil fait naufrage et le voilà piégé avec un jaguar sur un canot précaire. « Pourquoi avait-il fallu qu’il fréquente une femme mariée ? Pourquoi s’être lié d’amitié avec un gauchiste ? » (p. 28) Finalement sain et sauf, il s’établit au Brésil et mène une existence de colon, laborieuse et simple, mais heureuse. Hélas, les fauves ne cessent de le poursuivre et de surgir devant lui.

Qui sont-ils, ces fauves annoncés dans le titre ? Certainement pas de simples félins majestueux, mais des regrets, des souvenirs, des peurs, des fantômes… Avec ce court roman, Moacyr Scliar raconte brillamment cette part d’Histoire qui lie l’Amérique du Sud à l’Allemagne. Et je découvre donc l’épisode de la barque et du félin a inspiré Yann Martel pour son roman, L’Odyssée de Pi. Comme quoi, rien n’est jamais écrit et tout l’a déjà été. Le texte de l’auteur brésilien m’a beaucoup émue et je vais poursuivre ma découverte de son œuvre.

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À un passant

Roman de Juliette Vallery.

Elle et Lui se rencontrent à un arrêt de bus. La suite ? Une histoire d’amour dans laquelle les protagonistes se laissent prendre. « Les matins s’ouvraient sur des glissements de peau. Des odeurs âcres, pénétrantes. Des transferts de chaleur. » (p. 7) Il y a la joie des débuts et tout ce qui compose la poésie amoureuse d’une relation qui s’installe. Elle déploie une langue sensuelle et charnelle, Lui est plus factuel et détaché. « En amour, les sables mouvants sont les seuls terrains constructibles. » (p. 31) Hélas, le bel amour vite tiédit et s’appauvrit. L’un se détache, l’autre se désole. L’attente délicieuse devient torture et doute. Et les raccommodements sont d’autres déchirures dans la belle histoire.

Le titre est un hommage à Charles Baudelaire, mais surtout le développement de ses célèbres vers : que se serait-il passé si le narrateur poète avait arrêté cette troublante passante dans la rue ? Juliette Vallery tente une réponse, forcément douce-amère, lourde des désillusions et des désenchantements que le quotidien inflige à la passion. « Pourquoi l’avoir suivi ce matin-là ? Probablement parce qu’à son contact effleuré, je sentais mon corps se dessiner. Un éclairage inattendu. Il n’y a que cela que l’on puisse nommer une rencontre. Ce moment précis où la vie se déracine pour basculer vers l’étrange. » (p. 8) En quelque cinquante pages, l’autrice se livre avec brio à un exercice délicat : parler de l’amour sans répéter les mots des autres. De sa plume vivante et vibrante, elle donne à voir l’union des corps et la valse des cœurs. C’est superbe, étourdissant, et même le chagrin est beau.

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Le lapin bricoleur – Un récit labyrinthique

Roman de Michaël Leblond et Stéphane Kiehl.

Dans ce roman dont vous êtes le héros, vous aidez Lapin à construire sa maison. Premier choix : la maison sera-t-elle en rondins ou en briques ? « En assemblant les rondins, Lapin pensa à ses congénères qui préfèrent vivre dans des terriers. ‘Chacun fait ce qui lui plaît, dit le lapin. Moi, je suis un lapin moderne.’ »

Une alternative est proposée à chaque page : au lecteur de suivre ses envies et Lapin dans ses différentes aventures. Faut-il échapper au loup ? Discuter avec un géant malvoyant ? Effectuer des voyages dans le temps ? Visiter une cité dans les nuages ? Chacun son choix, et les enchaînements permettent parfois des retours en arrière, au début du roman, voire avant ! « Lapin revient longtemps en arrière, à une époque où, tout petit lapin, il jouait avec ses cubes en bois. »

Parfois, ô surprise, une page se déplie et… Je vous laisse découvrir ce qu’il en est ! Si vous suivez le bon chemin, vous trouverez la fin de cette histoire, mais elle ne se trouve pas à la dernière page du livre ! Alors si la conclusion ne vous convient pas, recommencez !

Enfant, je n’étais pas friande de ces histoires qui m’imposaient de ne pas lire les pages dans l’ordre. Ce déplaisir subsiste un peu, mais l’âge aidant, je suis peut-être devenue plus aventureuse… Et suivre le lapin blanc est toujours un plaisir !

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Lettre de Sergueï Eisenstein à Jean-Luc Godard / Lettre de Joseph Staline à John Wayne

Textes de Jean-Bernard Pouy.

Prenez le livre dans un sens et vous avez une lettre. Retournez-le et vous trouvez une autre missive. Attention, rien dans ces correspondances n’est vrai. Quoi que… Ce qui est certain, c’est que tout est follement déglingué et absurde, écrit pour l’immense plaisir de nos zygomatiques. Chaque lettre est suivie d’une chronologie foutraque et déjantée à laquelle il vaut mieux éviter de se fier si vous voulez réviser l’histoire du 20e siècle…

Pour chacune de ces lettres, je me contente d’un extrait, parce que résumer ces épîtres serait tout à fait vain ! À vous de découvrir ces textes courts au fort pouvoir hilarant !

Lettre de Joseph Staline à John Wayne

« Depuis cette nuit, je sais que vous êtes un de nos plus sûrs agents à Hollywood et que vous mettez un point d’honneur à tout faire […] pour pervertir le système, préparer le Grand soir et amener l’Amérique anticapitaliste face à ses propres contradictions. » (p. 12)

Lettre de Sergueï Eisenstein à Jean-Luc Godard

« Je sais que vous continuez à être considéré comme le plus con des Suisses vaudois, mais même si c’est vrai, n’y faites pas attention. » (p. 10 & 11)

« Mon film sur la révolte du cuirassé passe pour annonciateur de la révolution d’Octobre, le vôtre d’annonce que les Trente Glorieuses et Raymond Barre. C’est ce qui nous sépare. » (p. 13)

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Triple XL

Nouvelle de Rachid Santaki.

Shaina est pleine d’énergie et de rêves. Elle est modèle pour une collection de vêtements. Elle aime danser et rire. Elle pèse 130 kilos. Elle est généreuse et rayonnante. « Ces kilos en plus, c’est juste le reflet que j’ai beaucoup plus de choses que toi. » (p. 24 & 25) Elle vit à Montreuil. Elle subit des violences intrafamiliales. Et malgré son désir de vivre et de se réaliser, elle se heurte à une haine plus forte qu’elle, conjuguée à la pauvreté dont se nourrit le malheur.

En moins de 30 pages, l’auteur envoie un uppercut à son lecteur. Son langage vivant, dynamique et proche de ses personnages nous enchaîne à la page, à chaque ligne. Et la chute n’est que plus cruelle et déchirante pour nous qui, forcément, nous sommes attachés à Shaina. Une seule pensée quand on referme ce livre : chienne de vie !

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Un lapin et un lapin et un lapin…

Album de Lorna Scobie.

Le petit héros aux longues oreilles de cette histoire est enfant unique, ce qui lui convient parfaitement. Mais cette situation est assez rare chez les lapins, et voilà le petit lapin peu à peu entouré d’une fratrie qui n’en finit pas de croître, pour son plus grand chagrin. Car le môme n’est pas partageur… Il se souvient alors des paroles de son voisin. « Le renard d’à côté dit que lui, il aime beaucoup avoir plein de lapins autour de lui. » Et si l’animal pouvait l’aider à se débarrasser de ses frères et sœurs envahissants ?

La fin de cet album est tout à fait surprenante et brise le vieux cliché de la proie et du prédateur. Les dessins sont frais et légers, et je suis tout à fait conquise par la bouille chiffonnée du protagoniste !

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Les yeux bleus

Roman de Thomas Hardy.

La jeune Elfride Swancourt s’éprend de Stephen Smith, l’architecte venu réparer l’église où officie son père. Mais ce dernier s’oppose au mariage des jeunes gens, jugeant la position de Stephen trop inférieure. Après une fuite avortée et un mariage clandestin repoussé, Elfridge décide d’attendre le retour de son fiancé secret et une amélioration du caractère de son père. Sa rencontre avec Henri Knight, ancien précepteur et ami de Stephen, bouleverse cette tranquille résolution. « L’amour meurt fréquemment sous le seul effet du temps qui passe, mais beaucoup plus souvent par suite d’un remplacement. » (p. 332) Auquel des deux hommes Elfride choisira-t-elle finalement de s’unir ?

Le titre est un hommage rendu au regard de l’héroïne. « Ses yeux la résumaient tout entière ; il n’était pas besoin de chercher plus loin, c’est là qu’était sa vie. » (p. 10) Dans ce portrait de femme aux airs de récit initiatique, Thomas Hardy traite des thèmes que j’ai déjà appréciés dans d’autres de ses romans : la différence de condition sociale dans Jude l’obscur, l’amour trahi et l’obsession du lignage dans Tess d’Urberville ou encore l’hésitation d’une femme entre deux amours dans Loin de la foule déchaînée. J’ai retrouvé la finesse d’analyse de l’auteur dans ce roman et son talent indéniable pour peindre les errements du cœur. Auteur tragique s’il en est, Thomas Hardy accorde rarement le repos de l’âme à ses protagonistes : ce n’est pas tant pour édifier ses lecteurs que pour traduire la vérité crue et cruelle du monde.

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Bagarre érotique – Récits d’une travailleuse du sexe

Témoignage graphique de Klou.

Quatrième de couverture – « Je suis une travailleuse du sexe de vingt-quatre ans – une pute quoi. Vendre une prestation sexuelle n’est pour moi ni dégradant ni traumatisant. Être une pute, moi, ça me plaît, et ce qui me choque, c’est que ça choque. Ce qui est insupportable en revanche, c’est d’exercer ce métier au sein d’un système qui ne veut pas de moi. Qui n’admet pas que nous existions, nous, les putes libres et épanouies. Qui ne veut nous donner aucun droit, aucun statut. Qui ne veut pas nous entendre, nous et nos revendications. Sauf qu’un cri de révolte, ça ne s’étouffe pas. Ce livre en est la preuve. » Dans son premier roman graphique, l’auteure et dessinatrice Klou nous raconte son parcours, à la fois intime et politique, de travailleuse du sexe. Elle y décrypte la socialisation liée au genre, mais aussi sa découverte du militantisme féministe pro-sexe et LGBTQIA+. Sur des sujets controversés, elle apporte son regard à la fois acéré, drôle, et engagé.

Je vous propose la quatrième de couverture parce qu’elle présente parfaitement ce livre. Lire les mots de Klou, ça secoue, mais dans le bon sens. Cette travailleuse du sexe est libre, sûre d’elle et assume de ne ressentir aucune culpabilité ni honte envers le métier qu’elle fait. Le travail du sexe n’est pas plus honteux que la comptabilité ou la confection de vêtements, comme Klou l’explique si bien. C’est un métier et sa façon à elle de gagner de l’argent pour vivre. « Ce n’est pas ma faute si tu trouves que l’argent n’est pas une raison valable pour désirer de l’intimité. » (p. 41)

Klou se moque bien de recevoir l’approbation de la morale. Elle revendique une sexualité tarifée débarrassée de la main mise masculine et bien-pensante, et surtout elle milite pour la fin de la traite des êtres humains, afin de rendre au travail du sexe sa juste place, ni pire ni meilleure qu’une autre. « La destruction de l’hétéro-patriarcat ne passera pas par la destruction du TDS. Elle passera par une libération de la normativité hiérarchique du désir des femmes et des minorités de genre et donc par un travail du sexe plus égalitaire. » (p. 7) L’autrice compare sa situation avec le mythe de Méduse et j’ai rarement lu une mise en parallèle aussi pertinente et lourde de sens !

Le livre de Klou élargit ma réflexion sur le travail du sexe et mon engagement féministe. Il parle de plaisir, de genre, de sexualité évidemment, de normes sociales, de libération ou encore de réappropriation de son corps. « J’ai toujours su que le grand méchant loup, il vaut mieux le dresser que d’en avoir peur. Et qu’en devant une pute, je ne serai plus jamais une proie, mais je deviendrai l’appât. Et l’appât est indissociable du piège qu’il dissimule sous ses airs inoffensifs. » (p. 11&12) Et, entre les planches, il y a des pages de poésie. La voix de Klou est forte, elle est puissante, elle est belle, elle est renversante ! J’ai retrouvé dans son trait et sa façon de mener ses démonstrations quelque chose de Liv Strömquist. Et c’est sans hésitation que je range ce livre sur mon étagère de lectures féministes.

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Madame Bovary

Roman de Gustave Flaubert, illustré par les dessins de jeunesse d’Yves Saint-Laurent.

Oui, j’ai rerererelu le chef-d’œuvre de Flaubert. Avoir entre les mains la belle édition rehaussée des illustrations d’Yves Saint-Laurent était une occasion toute trouvée. Le créateur de mode était fasciné – et je le comprends ! – par le roman de l’auteur normand. « Le costume, qu’il s’agisse des robes d’Emma Bovary ou de celles de sa mère, est pour lui la peinture d’un caractère : la littérature lui fait voir la panoplie des humeurs et l’uniforme de la convention. » (p. 46) L’encre noire et les touches de gouache font de ses dessins des œuvres éminemment dignes de figurer en introduction du roman qui n’en finit pas de me hanter.

Et sinon, l’histoire de Madame Bovary, faut-il la rappeler ? La belle Emma, dont l’esprit est pétri de rêves grandioses et de fantasmes fous, s’ennuie à périr à côté de son tranquille époux, Charles, médecin médiocre et compagnon aux ambitions plates. Dans la petite ville normande d’Yonville, Emme se dessèche d’insatisfaction et d’amertume. Et c’est en se jetant dans deux relations adultères et dans des dépenses somptuaires qu’elle pense éteindre enfin sa frustration, en vain, jusqu’à l’issue fatale.

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Si par une nuit d’hiver un voyageur

Roman d’Italo Calvino.

Quatrième de couverture – Vous, lecteur, vous, lectrice, vous êtes le principal personnage de ce roman, et réjouissez-vous: c’est non seulement un des plus brillants mais aussi un des plus humoristiques qui aient été écrits dans ce quart de siècle. Vous allez vous retrouver dans ce petit monde de libraires, de professeurs, de traducteurs, de censeurs et d’ordinateurs qui s’agitent autour d’un livre. Vous allez surtout vous engager dans des aventures qui vous conduiront chaque fois au point où vous ne pourrez plus retenir votre envie d’en savoir davantage, et là, ce sera à vous de continuer, d’inventer. Bon voyage.

Voilà un abandon qui m’attriste un peu, tant j’avais apprécié les autres romans d’Italo Calvino ! Je n’ai pas su m’intéresser à la multitude d’histoires inachevées, chacune dans un style différent, que l’auteur propose. Précisément parce que je savais ces histoires sans fin, donc comment s’impliquer dans l’action et s’attacher aux protagonistes ? Je n’aime pas l’inachèvement, dans ma vie privée et dans mes lectures, et il me semble clairement que les productions postmodernistes et toutes celles qui relèvent de courants comme l’OULIPO ne sont pas faites pour moi. Je suis trop attachée à la belle forme, souvent dite classique. Les réflexions autour du lecteur et de l’acte de lire sont intéressantes, mais noyées dans les incipits à répétition, m’ont lassées par leur caractère décousu.

Je vais donc rester sur l’excellent souvenir que j’ai du Vicomte pourfendu, du Baron perché et du Chevalier inexistant !

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Les Annales du Disque-Monde – 6 : Trois sœurcières

Roman de Terry Pratchett.

Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Magrat Goussedail forment un convent, une réunion de sorcières si vous préférez. La première est revêche, la deuxième est une bonne vivante dans tous les sens du terme et la troisième cherche à se faire une place entre les deux autres. Leur existence est pas mal secouée quand un serviteur du château leur confie le nourrisson et la couronne du roi Vérence, assassiné par Lord et Lady Kasqueth. Peu favorables à l’idée de se mêler du destin des autres, mais tout de même un peu inquiètes pour l’avenir de l’enfant, les sorcières se dépêchent de refiler le bébé et la babiole à une troupe de comédiens itinérants. « Mémé Ciredutemps désapprouvait que l’on regarde dans l’avenir, mais elle sentait maintenant l’avenir qui la regardait, elle. Et elle n’aimait pas son expression, à l’avenir. » (p. 23) Les nouveaux souverains sont loin de faire l’unanimité et une tempête terrible se prépare. Tous les animaux de la forêt le sentent et les fantômes du château ne se tiennent plus tranquilles. « Il y avait quelque chose, là, dehors, quelque chose qui absorbait la magie, quelque chose que glissait, qui avait l’air si vivant que ça cernait la maison. » (p. 74) De plus ou moins bon gré, Mémé Ciredutemps et ses acolytes doivent agir et rétablir le roi légitime.

Terry Pratchett s’en donne à cœur joie et prend ses aises avec les textes de Shakespeare et avec les histoires du petit peuple. Une grande partie du répertoire du dramaturge anglais passe à la moulinette de l’auteur de fantasy, pour ma plus grande hilarité. « Avec une soudaineté alarmante, rien ne se produisit. » (p. 73) Il faut dire qu’une sorcière qui peine à faire démarrer son balai et une autre qui abuse de la bibine, ça fout un coup à l’image du terrifiant trio magique qui hante la lande et le monarque assassin. Macbeth à la sauce Pratchett, c’est burlesque, non dénué d’une certaine tendresse et proprement jubilatoire. De l’auteur, j’ai déjà lu Roublard, hommage à Charles Dickens et la littérature victorienne. Je vais poursuivre ma découverte de cycle du Disque-Monde avec ces histoires de sorcières.

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Kristina, la reine-garçon

Bande dessinée de Flore Balthazar (dessins et couleurs) et Jean-Luc Cornette (scénario), d’après la pièce de Michel Marc Bouchard.

Kristina est couronnée roi de Suède. Pas reine : roi. Et cela lui convient très bien, elle qui refuse de se soumettre aux diktats imposés à son sexe. « Vous avez besoin de nous, majesté ? / Aidez-moi à ôter cette robe. C’est inhumain d’être déguisée de la sorte. » (p. 5) Kristina s’habille en homme, chasse et s’adonne à l’escrime, et plus que tout refuse les prétendants qui se présentent. Elle n’est pas pressée de se marier et d’enfanter : ce qu’elle veut, c’est éduquer son peuple et élever son pays par la pensée. Au cours de longues discussions avec René Descartes sur le siège de l’âme et des émotions, et avec l’ambassadeur de France sur la pertinence de faire de la Suède protestante un royaume catholique, Kristina ne se départit jamais de son indépendance d’esprit et de cœur. « Quelle reine inflexible que ce roi ! / Par le cul de Dieu, oui ! » (p. 16) La souveraine se sait laide, ce qui la rend imperméable aux flatteries des courtisans et aux déclarations enflammées de son cousin Karl Gustav. « Je me jetterai du plus haut des sommets plutôt que de t’épouser. Et si un de ces sommets atteint l’altitude de ta vanité, c’est celui-là que je choisirai. » (p. 75) Kristina n’est pas moins faite de chair et elle s’enflamme quand elle côtoie la très belle Ebba Sparre. Elle le sait, pour vivre libre, elle devra renoncer soit à son pays, soit à sa liberté. Mais celle que le pape Alexandre VII a qualifiée de reine-vierge est loin d’avoir fini de surprendre le monde.

J’avoue que je ne connaissais absolument pas le personnage historique qu’est Kristina de Suède. Cette bande dessinée ne comble pas cette lacune : elle en définit les contours et je veux maintenant lire une biographie complète de cette reine-garçon, femme brillante et habile politicienne dans une époque et un monde bien peu favorables à l’indépendance et à l’intelligence des individus non porteurs de testicules !

Ce livre rejoint évidemment mon étagère de lectures féministes !

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Féroces

Roman autobiographique de Robert Goolrick.

Robie a quarante ans passés. Peu après avoir enterré son père, il raconte son enfance entre des parents alcooliques, dans une famille plus que tout attachée à préserver les apparences. « Je pensais que je sauterais de joie, le jour où mon père mourrait. Je croyais que tout le poids du monde s’envolerait de mes épaules. » (p. 15) Robie se souvient des longues soirées avec les voisins, dans un ballet parfaitement maîtrisé où le couple Goolrick était le centre de toutes les attentions et de toutes les jalousies. « Nous les adorions et nous les craignions. Notre crainte naissait du fait que nous les savions malheureux. » (p. 67) Dans les années 1950, le petit Robie évolue dans une société désespérée où les femmes au foyer sont dépressives et se gavent de calmants et de cocktails. Il observe la lente déchéance de sa mère. « Elle était élégante en public et négligée en privé. » (p. 63) Mais voilà, chez les Goolrick, il y a une règle : on ne parle pas à l’extérieur de ce qui se passe à la maison. Et chaque secret est une blessure supplémentaire.

Toute son enfance et plus tard, une fois adulte, Robie ne cherche qu’une chose : obtenir l’amour de ses parents. « J’aimais voir ma mère dans de beaux vêtements. Je voulais croire que nous étions plus riches que dans la réalité, et mes parents étaient si malheureux que j’aurais inventé n’importe quoi pour leur faire plaisir, même si, comme on me le répéta maintes fois, ils ne montrèrent jamais le moindre signe de fierté ou de gratitude envers quoi que ce soit que j’aie pu faire. » (p. 64) Avoir quitté le giron familial pour New York ne suffit pas au narrateur pour se libérer la pesanteur d’une enfance aussi lourde. Obsédé par le suicide, bourré de médicaments, Robie glisse lentement dans la même décrépitude mentale que celle qu’il a observée chez ses parents. « Il arrivera des choses terribles. C’est ce qu’on m’a dit, et je le crois. Il s’est passé des choses terribles, bien sûr, des choses terribles plus tard, mais il va s’en produire de bien pires. » (p. 148) La révélation du drame familial n’est pas très étonnante, mais elle est présentée de telle façon et avant tant de violence crue qu’elle remet en perspective les 140 premières pages du récit. Après cet événement, il ne restait à Robie que de faibles possibilités de bonheur. « Le reste n’est qu’une vie, rien de plus, l’histoire d’une vie difforme. La vie où rien d’autre, à aucun autre moment, n’a vraiment d’importance. » (p. 154)

Ce roman est aussi remarquablement écrit que les précédents que j’ai lus de l’auteur. L’histoire est poisseuse, fétide, mais il est impossible d’en détacher les yeux. Pour une raison qui m’échappe, je n’ai compris qu’à la toute fin de ma lecture qu’il s’agit d’un texte autobiographique, ce qui a renforcé l’horreur. Il y a dans ce texte la puissance terrifiante qui me bouleverse chez Joyce Carol Oates. De Robert Goolrick, récemment décédé et dont l’œuvre n’a aucune preuve à faire, lisez Une femme simple et honnête, Arrive un vagabond et La chute des princes.

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La peau froide

Roman d’Albert Sanchez Pinol.

Le narrateur participe à une mission internationale en Antarctique : pendant un an, il doit étudier les vents sur un îlot perdu. Sa seule compagnie est le gardien du phare, homme taiseux et peu accueillant. « L’air n’était pas glacial, mais désagréable. S’il régnait une sorte de désolation, elle n’était pas identifiable. Le problème n’était pas tant ce qu’il y avait que ce que nous ne voyions pas. » (p. 6) Chaque nuit, retranché dans sa cabane, l’homme est attaqué par des créatures à la peau de squale. « La nuit venait et je savais, de source atavique, que l’obscurité est l’empire des carnassiers. » (p. 40) Pour survivre, il doit s’allier avec le gardien. Les deux hommes sont frères d’armes par nécessité dans une guerre interminable et insensée, car chaque créature tuée semble remplacée par dix autres. Dans ce Fort Alamo polaire, le narrateur n’attend qu’une chose : le bateau qui passe une fois par an pour la relève. « Je médite sur les attentes qui m’ont conduit sur l’île. Je recherchais la paix du néant. Et, au lieu du silence, je trouve un enfer peuplé de monstres. » (p. 90) Et entre les deux hommes, il y a une créature femelle soumise à toutes leurs exigences domestiques.

J’ai ouvert ce roman sans rien en savoir, seulement poussée par la recommandation d’une amie, et je suis tombée tout entière dans ce récit angoissant, halluciné, putride et désespéré. L’histoire d’amour est des plus dérangeantes, entre dégoût et obsession. Je suis surtout frappée par la boucle narrative, car tout s’achève par un retour au commencement, dans un douloureux écho. Avec ce roman, Albert Sanchez Pinol poursuit la même réflexion humaniste que celle à l’œuvre dans Je suis une légende de Richard Matheson. Il s’agit de savoir à quel moment c’est l’homme qui devient le monstre, l’anomalie. Et, au-delà des différences, il faut apprendre à identifier les ressemblances pour tenter la cohabitation. Attention, si vous vous lancez dans cette lecture, préparez-vous à des sueurs glacées !

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Le Panseur de mots

Roman d’Isabelle Aupy.

Le narrateur est un adjectif, l’adjectif belle. Il croise la route du L’Ouïe, Correcteur impitoyable connu pour traquer les Poètes. « Les Correcteurs signent leur présence par l’effacement qu’ils imposent. » (p. 107) Mais voilà qu’après un terrible combat, L’Ouïe décide d’épargner un de ces Souffleurs de Vers. Avec l’aide de belle, il le cache de Mohamed. Ce dernier, Sujet tout puissant du Livre, entend faire respecter sa position et, tout autour de lui, c’est l’œuvre qui se tord et se transforme selon ses volontés. belle devient Belle, puis elle, puis un palindrome parfait et enfin presque une simple lettre, proche de l’effacement. La sauver tiendra du miracle, mais nombreux sont ceux qui œuvreront en ce sens. « Je me sens comblée, emplie pour la première fois, sans doute parce que L’Ouïe me voit comme le sujet de mon verbe. » (p. 71 & 72)

Le texte s’achève sur l’autrice, littéralement. C’est Isabelle qui nous parle, qui nous parlait depuis le début et toute l’œuvre devient une sorte de métatexte autour de l’écriture elle-même. Le combat entre la prose et la poésie est l’acte même d’écrire réalisé par Isabelle Aupy. « Une histoire ne survit que si elle est entendue, et ne sera écoutée que si elle contient celui qui l’écoute, ne fût-ce qu’en partie, ne fût-ce que dans son mensonge. » (p. 111) Le roman est clairement un exercice de style. Entre ces pages, les signes de ponctuation sont incarnés et les protagonistes sont des mots : adverbe, adjectif, mode, etc. Le Livre n’est pas le support, il est le lieu des événements. « Cette marque est un saut de ligne… Notre refuge en cet instant de répit où le Livre se pose et le Lecteur prend le temps de penser ce qu’il vient de lire. Nous sommes où le Paragraphe se termine pour changer de Sujet. » (p. 145)

L’autrice joue avec et se joue de la mise en page, des mots, des sonorités et du sens des mots pour donner à ces derniers une signification nouvelle, plus profonde, parfois revenue à leur origine. « Nous sommes faits d’encre et soumis aux règles. Nous naissons d’une main commune, nous mourrons pareillement. Nous avons peur de l’oubli, de l’effacement, de ne servir à rien. Tous, nous espérons exister dans le regard de l’autre : le Lecteur. » (p. 58) Cette lecture est agréable, mais peut-être un peu trop longue. Après 150 pages, les jeux sur le texte surprennent moins et deviennent un peu artificiels. En resserrant son récit, l’autrice lui aurait donné plus de force et d’éclat, mais je reste curieuse du reste de son œuvre et des autres textes de cette jeune maison d’édition.

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Mademoiselle Baudelaire

Roman graphique d’Yslaire.

Charles Baudelaire est mort. Son amante et sa muse, Jeanne, réclame sa part d’héritage. « Quelle jeune femme n’aurait pas été séduite par ce jeune homme raffiné qui prétendait ne pouvoir écrire qu’entouré de luxe, de calme, de volupté et de ma sombre beauté ? » (p. 57) Dans une longue lettre qu’elle adresse à la mère du poète maudit, la Vénus noire raconte tout : la passion, l’alcool, la drogue, l’inspiration au cœur de la nuit, la syphilis, la bohème, le manque d’argent, la violence, la jalousie et ce Paris artistique qui voulait réinventer la façon de peindre et d’écrire. Cette lettre est un testament, celui qu’Yslaire invente pour la beauté métisse qui partagea la vie du poète aux ailes trop longues. Aussi flamboyante qu’elle fût de son vivant et aux côtés de Baudelaire, Jeanne aux multiples patronymes a presque disparu des mémoires et des archives. Ne reste d’elle que ce que l’écrivain a couché dans ses vers torturés et superbes.

Le dessin d’Yslaire est sombre, foisonnant, dense, profond et torturé. Il s’accorde parfaitement avec la poésie de Baudelaire, invitant la folie dans la veille et titillant le désir d’un simple trait. Cette œuvre lourde et épaisse est une réussite graphique et un très bel hommage rendu au poète sublime dont le talent a été reconnu trop tard.

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Albert Edelfelt – Lumières de Finlande

Catalogue d’exposition. Ouvrage collectif.

Après celles consacrées à Anders Zorn et Peder Severin Kroyer, j’avais hâte de visiter la nouvelle exposition parisienne consacrée à un peintre du nord de l’Europe. La façon dont ces artistes peignent la lumière et l’eau me bouleverse profondément. Alors, avoir partagé cette très belle exposition du Petit Palais – bien que curieusement agencée –, avec une personne que j’aime, c’était un double plaisir ! 

Avide de cette beauté picturale venue des régions septentrionales, je me prépare à visiter très bientôt l’exposition consacrée par le musée Jacquemart-André au peintre finlandais Akseli Gallen-Kallela. Encore de la neige, toujours de la lumière…

Albert Edelfelt est connu en France pour le portrait qu’il a fait de Louis Pasteur dans son laboratoire. Cette peinture lui a valu la Légion d’honneur et a été acquise par l’État. Et Louis Pasteur, depuis que je vs à Lille, il est difficile d’y échapper !

Portrait de Louis Pasteur

Mais plus que les portraits qu’il a faits du scientifique, je préfère les toiles où Albert Edelfelt représente sa famille, dans des décors intimes et simples. Évidemment, toutes ses œuvres de neige ou au bord de l’eau m’émeuvent au-delà du dicible.

« Voyageant beaucoup, très sollicité pour peindre aussi bien la famille impériale de Russie que les élégantes parisiennes, il n’en oublie pas pour autant son pays, la Finlande, dont il faisait aussi le portrait, à travers ses paysages d’une extrême subtilité et limpidité. Il parvient à rendre l’atmosphère incomparable de ces terres d’eau, où les hivers rigoureux laissent place, l’été, aux plaisirs simples des jeux en plein air. » (p. 7)

Je vais me garder de vous présenter la biographie de ce peintre attaché à son pays, luttant contre l’impérialisme russe et moteur du courant pictural du plein-airisme. Je vous laisse sur quelques reproductions de ses tableaux.

Service divin au bord de la mer, Finlande

Chagrin

Sous les bouleaux

En mer, golfe de Finlande

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19h59

Roman de David Dufresne.

La campagne présidentielle bat son plein. Mais voilà que 9 jours avant le deuxième tour, Philippe Rex, grand patron de la chaîne Rex News et magnat des médias, est enlevé par un survivaliste qui demande à participer au débat de l’entre-deux tours pour porter la voix de ceux qui n’en ont pas. « C’est commode votre discours : vous n’avez pas besoin d’être cohérent, simplement d’être constant. » (p. 144) Dans les plus hauts niveaux de la République, ça s’agite et ça réfléchit. Faut-il céder au chantage politique ? Comment protéger le président sortant de tout scandale et assurer sa réélection face à la candidate du mouvement identitaire ? Les jours passent et voilà qu’il ne reste que quelques minutes avant l’annonce du nouveau président de la République…

Avec cette uchronie politique, l’auteur joue à fond la carte du cynisme capitaliste. « Dans la ruée vers l’or, n’importe quelle école de commerce l’inculque : ce ne sont pas les chercheurs qui font fortune, mais les vendeurs de pioche. Rex News, c’est ça : le piolet de l’opinion publique. » (p. 15) Le seul vrai pouvoir, c’est l’information et la façon de la produire et de la diffuser. La véracité n’est plus la valeur suprême, supplantée par le temps d’attention que l’audience peut consacrer à un sujet.

David Dufresne balance par paquets des noms réels, tant de personnalités politiques que journalistiques. Pour les besoins de sa fiction, il invente des personnages, mais il est très facile de les associer à des individus de notre société. Chacun a d’ailleurs son chapitre, celui au centre duquel il est le héros, vers qui convergent toutes les décisions à prendre et qui semble le/la seul·e homme/femme de la situation. Mais dès le chapitre suivant, la caméra a dézoomé et s’est fixée sur un autre visage. C’est la société du spectacle ou les 15 minutes de gloire dont parlait Andy Warhol. Comme lors du débat de l’entre-deux tours, tous les participants veulent attirer la lumière, mais finalement le seul protagoniste, c’est le show. Et peu importe finalement le nom de la personne qui dirigera le pays pour les 5 années suivantes : le véritable gagnant, c’est la politique-spectacle, également très bien critiquée dans le premier épisode de la série Black Mirror.

Je découvre David Dufresne avec ce roman que j’ai dévoré en moins de deux heures. Sa plume m’a happée et j’ai hâte d’en lire plus !

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Goat Mountain

Roman graphique de O. Carol (scénario) et Georges Van Linthout (dessins). D’après le roman de David Vann.

Nous sommes en 1978, au nord de la Californie. Un gamin accompagne son père, son grand-père et un ami de la famille pour l’annuelle partie de chasse. Pour ses 11 ans, le môme aura le droit de tirer son premier cerf. « Une part de moi n’aspirait qu’à tuer, constamment et indéfiniment. » (p. 26) Mais alors qu’il aperçoit dans son viseur un braconnier sur les terres familiales, il commet l’irréparable et n’en ressent aucune honte. « C’est injuste… si ça avait été un cerf, tout le monde me féliciterait. » (p. 37) Après la sidération, les adultes doivent décider de la suite : reporter l’accident aux autorités ou laisser la loi de la nature reprendre le dessus. « Ce qui était instinctif porte soudain le poids d’une conséquence, notre nature animale trahie par la conscience. » (p. 87) Les jours passent dans ce coin de montagne et de forêt perdu. Faire semblant est impossible : il faut affronter l’affreuse réalité. Les 4 protagonistes pressentent que l’un d’eux ne redescendra jamais dans la vallée.

Voilà une adaptation à la hauteur de l’original ! Par la maîtrise parfaite des couleurs, le rouge en touches magnifiquement dosées, les auteurs montrent l’horreur, la mort, la putréfaction du corps et de l’âme. Le texte de David Vann m’avait submergée d’émotion : c’était le quatrième texte de cet auteur que je lisais et c’est avec celui-là que j’ai complètement compris l’immense talent de Vann. La bande dessinée reprend avec une remarquable économie de mots les grands thèmes du livre : la disparition des grands troupeaux, la décrépitude des valeurs morales et la pulsion de mort nichée au creux de chaque humain. « Nous aurions pu être n’importe quel groupe d’hommes, à n’importe quelle époque. La chasse, une manière de revenir en arrière pour atteindre un millier de générations passées. La première raison de nous regrouper, pour tuer. » (p. 8)

Je vous recommande autant cette bande dessinée que l’œuvre de David Vann en général.

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La gameuse et son chat – 1

Manga de Wataru Nadatani.

Kozakura est une jeune employée de bureau modèle. À presque 30 ans, elle est célibataire et cela lui convient très bien, car elle peut ainsi consacrer tout son temps libre à sa passion : les jeux vidéo. Mais voilà qu’un jour, elle accepte de prendre soin d’un chaton abandonné. « J’ai beau faire des efforts, je crois que la logique féline m’échappe totalement. » Face à cette boule de poils aux réactions parfois imprévisibles, Kozakura décide d’agir comme dans un jeu vidéo : c’est une quête, avec des épreuves à surmonter, et elle fera son possible pour rendre son petit Omusubi le plus heureux possible !

Entre chaque chapitre, l’autrice propose des apartés où c’est le chaton qui prend la parole et s’étonne des comportements de cette nouvelle maman tellement grande et sans poil. C’est évidemment irrésistiblement drôle ! Tous les comportements absolument adorables des chatons sont décrits à la perfection. Et comme la jeune héroïne, on passe de l’agacement léger à l’envie incontrôlable de plonger le visage dans la fourrure si douce et si chaude de ces bestioles. « C’est quoi cette façon toute mignonne de m’embêter ? » Est-ce que cette phrase n’est pas la plus exacte réaction de tous les propriétaires de chat ? Nous sommes un peu énervés, mais en même temps complètement gaga ! Je vais très rapidement lire les autres tomes de cette courte série de mangas félins !

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Nevernight – 1 : N’oublie jamais

Roman de Jay Kristoff.

Quatrième de couverture – Dans un pays où trois soleils ne se couchent presque jamais, une tueuse débutante rejoint une école d’assassins, cherchant à se venger des forces qui ont détruit sa famille. Fille d’un traître dont la rébellion a échoué, Mia Corvere parvient de justesse à échapper à l’anéantissement des siens. Livrée à elle-même et sans amis, elle erre dans une ville construite sur les ossements d’un dieu mort, recherchée par le Sénat et les anciens camarades de son père. Elle possède un don pour parler avec les ténèbres et celui-ci va la mener tout droit vers un tueur à la retraite et un futur qu’elle n’a jamais imaginé. À 16 ans, elle va devenir l’une des apprentis du groupe d’assassins le plus dangereux de toute la République : L’Église rouge. La trahison et des épreuves l’attendent dans les murs de cet établissement où l’échec est puni par la mort. Mais si elle survit à cette initiation, elle fera partie des élus de Notre-Dame du Saint-Meurtre, et elle se rapprochera un peu plus de la seule chose qu’elle désire : la vengeance.

Abandon pur et simple après 90 pages ! La fantasy échevelée, ce n’est plus pour moi : je n’ai plus la patience de comprendre comment fonctionne un univers, quelles sont ses règles et ses interdits. Je préfère la science-fiction, car je peux me raccrocher à du concret, à savoir la science. Mais ce qui m’a fait reposer ce livre, c’est surtout mon incapacité complète à éprouver de la sympathie pour l’héroïne. « Tu seras une rumeur. Un murmure. La pensée qui réveille en sueur tous les salauds de ce monde au beau milieu de la non-nuit. […] Tu seras une fille que même les héros craindront. » (p. 24) J’apprécie les personnages féminins forts et qui sortent des stéréotypes de genre, mais c’est quand même bien si le protagoniste reste un minimum agréable à suivre.

La double scène liminaire, construite en miroir, fait couler beaucoup de premier sang : l’idée était intéressante, mais la réalisation est bancale, et cet élément qui aurait dû être fondateur pour caractériser le personnage est finalement très anecdotique. Autre bémol, les notes de bas de page. Leur longueur n’est pas un problème : c’est le ton du narrateur qui m’a agacée. L’homme se veut désinvolte, parfois vulgaire, souvent mystérieux : la complicité forcée qu’il cherche à établir avec le lecteur est artificielle et sans fondement. Peut-être aurais-je mieux apprécié cette lecture quand j’étais jeune. Là, c’est un non complet et définitif.

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Les déracinés

Roman de Catherine Bardon.

Wilhelm Rosenheck est jeune et heureux. Le début des années 30 en Autriche est une période fabuleuse pour ce journaliste. « J’aimais éperdument cette Vienne qui m’avait vu naître. J’étais fier d’appartenir à cette ville de culture, d’art, de musique et d’érudition. » (p. 20) Wil épouse la belle Almah et tous deux pensent que leur bonheur sera éternel. Mais l’Histoire suit son cours en se moquant des tourtereaux : l’Allemagne nazie projette son ombre sur Vienne et les Juifs sont en danger. « Nous dansons sur un volcan qui va exploser d’un jour à l’autre. » (p. 92) La famille Rosenheck choisit de quitter l’Autriche pour les États-Unis, mais le chemin à travers l’Europe est long et semé de tracas administratifs. C’est finalement en République dominicaine que Wil et les siens trouveront refuge, profitant des milliers de visas que le dictateur Trujillo offre aux Juifs du Reich. Avec d’autres exilés, Wil et Almah participent à la construction d’une colonie agricole. Ils suivent de loin la guerre qui ravage l’Europe, tout en continuant à rêver d’Amérique et, plus tard, peut-être d’Israël.

Le style de l’autrice m’a semblé à première vue simple et scolaire. Au fil des pages, il s’est révélé lourd, parfois ampoulé et souvent encombré d’expressions toutes faites déjà lues mille fois ailleurs. Sérieusement, il faut arrêter avec la cascade de cheveux des protagonistes féminines !!! Quant à la manie feuilletonnesque qui consiste à finir un chapitre sur une prétérition et un effet d’annonce qui se veut retentissant, elle passe quand on doit attendre une semaine pour lire l’épisode suivant, pas quand on n’a qu’à tourner la page pour savoir la suite. Et c’est un artifice plutôt paresseux pour retenir l’attention du lecteur. Autre bizarrerie, la plupart des chapitres sont racontés par Wil, mais certains passent à la 3e personne du pluriel. Pourquoi ? Peut-être pour montrer à quel point l’Histoire l’entraîne et le malmène, mais c’est fait tellement maladroitement que l’effet est manqué. Enfin, les ruptures de niveaux de langue sont fréquentes, agaçantes et parfaitement injustifiées. Bref, le style est si mauvais qu’il m’a sorti de ma lecture à plusieurs reprises, ce qui n’est jamais bon signe.

J’ai eu le sentiment de lire une frise chronologique de l’histoire juive des années 1930 à 1960, illustrée par le cas particulier des Rosenheck. Rien ne manque, pas une mesure antijuive, pas un événement depuis l’Anschluss au procès Eichmann. L’histoire de Wil et des siens n’a pas su m’intéresser et m’a à plusieurs reprises fait pousser de longs soupirs d’agacement. Elle séduira sans doute les lecteurs qui aiment les longues histoires familiales sur fond historique. Je suis de ceux-là d’habitude, mais la pauvreté de la forme m’a laissée sur le carreau.

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Les chroniques de l’érable et du cerisier, tome 1 : Le masque de No

Roman de Camille Monceaux.

Ichirô a été recueilli par un maître du sabre qui vit dans des montagnes reculées. Son enfance est heureuse entre l’homme et une vieille servante. Même le dur apprentissage de la voie du sabre et l’instruction complète que lui donne son bienfaiteur sont des bonheurs. « Un sabre fait maître mille sabres. » (p. 18) Un soir, tout bascule quand des hommes tuent son maître pour s’emparer d’un sabre magnifique. Ichirô est encore un enfant, mais il jure de venger l’homme qui l’a élevé et aimé, mais surtout d’empêcher le shogun de mettre la main sur cette arme. Il commence une longue errance solitaire qui le mène à Edo. Dans les rues de la capitale, il n’est qu’un jeune vagabond de plus jusqu’au jour où il rencontre le poète Daichi et découvre le jeune théâtre Kabuki. Auprès des actrices et des courtisanes, la vie est plus douce et Ichirô semble oublier sa promesse. « Je devais me rendre à l’évidence : je n’étais pas plus prêt de retrouver l’assassin de mon maître qu’au jour de mon arrivée à Edo, trois ans plus tôt. » (p. 282) Sa rencontre avec la mystérieuse Hinahime lui rappelle le serment qu’il a prêté devant la maison de son enfance ravagée par les flammes.

Que ce roman est long… et ce n’est qu’un premier tome ! Le héros passe d’aventure en aventure sans que cela semble avoir de sens. Il est jeté en prison, en est libéré, affronte des voyous des rues, manque d’être vendu comme esclave, devient vendeur de saké, puis acteur. Tout ça sur fond historique de répression des catholiques et de souvenirs traumatiques de guerre menée par le shogun des années auparavant. Le caractère rocambolesque, presque feuilletonnesque, du roman ne me dérangerait pas si j’arrivais à m’attacher au personnage, à éprouver de la compassion pour lui. Hélas, il m’a agacée la majorité du temps. Je vais m’en tenir là pour ce roman, sans lire les tomes suivants.

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Eleanor Oliphant va très bien

Roman de Gail Honeyman.

Eleanor Oliphant est franchement bizarre. Elle a 30 ans, un emploi très monotone de comptable, une relation toxique avec sa mère, des cicatrices sur le visage, aucun ami et elle consacre ses week-ends à boire lentement 2 bouteilles de vodka. « J’ai parfois le sentiment que je ne suis pas là, que je suis le fruit de mon imagination. » (p. 8) Jusqu’au soir où elle rencontre l’homme de sa vie : il est beau, il chante dans un groupe de rock, il est fascinant. Pour lui, elle voudrait devenir une femme présentable, mais elle ne sait pas par où commencer. Grâce à l’attention simple de son collègue Raymond et à la rencontre d’un vieil homme dans la rue, Eleanor redécouvre le sel et la douceur des interactions humaines, réussies et amicales. « J’avais l’impression que tout se précipitait, ces derniers temps, que j’étais happée par un tourbillon de possibles. » (p. 172) Elle s’ouvre à un monde qu’elle avait choisi d’ignorer et se plaît à penser que chaque progrès la rapproche de l’homme de sa vie. Mais rien ne change comme par magie : pour aller vraiment mieux, Eleanor devra aller fouiller dans les décombres de son passé et pardonner ce qui peut l’être. « À quoi pouvais-je bien servir ? Je ne contribuais à rien en ce monde, à rien du tout, et je n’en retirais rien non plus. Quand je cesserais d’exister, personne ne le remarquerait. » (p. 237) Ce n’est qu’en explorant au plus profond le traumatisme de son enfance qu’Eleanor pourra s’en libérer.

Je n’attendais rien de ce roman et je l’ai même commencé avec un léger a priori négatif. Mais les premières pages m’ont touchée. L’héroïne aime, comme moi, déambuler dans les rayons des supermarchés. Elle aime les mêmes classiques anglais que moi. L’histoire est bien construite, en 2 parties qui s’articulent intelligemment. Et le message général ne pouvait que me convaincre puisque j’essaie de le vivre au quotidien : la gentillesse envers les autres est une bénédiction. Reste à l’accepter quand ce sont les autres qui vous l’offrent.

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