Trois nuits au Palais Farnese

Texte de Philippe Claudel.

Un livre pareil, ça ne se résume pas, ou alors mal, et ça devient une note sur un site de voyage. Ce serait laid et triste. Le titre dit tout et ouvre grand la porte à l’imagination. « Je suis dans un palais délaissé par le prince. Je suis dans un palais où seule la nuit s’impose en monarque. » (p. 10) Dans les pièces sombres de l’imposant bâtiment, on a droit à un son et lumière fascinant. Suivre Philippe Claudel le noctambule, c’est un peu comme avoir une chambre à soi, avec vue sur le Tibre. « Je suis au cœur d’un mystère dont je ne peux saisir toute la portée. Sans doute en va-t-il ainsi de certains lieux, de certaines réalisations de l’art, de certains regards de femmes, de certains de nos actes, de nos vies. Il ne faut pas tout expliquer ni tout saisir. » (p. 36)

Ce texte a été publié en édition bilingue franco-italienne. Je ne parle pas un traître mot de la langue de Dante (sauf si pizza compte), mais je me suis surprise à chercher dans le texte italien les formules superbes que Philippe Claudel a composées en français. Et ça donne envie d’ouvrir mes lectures à d’autres langues. Comme toujours, un texte de Philippe Claudel, ça se déguste, surtout quand il est aussi court que celui-ci. Mais il est des délices qui se savourent en une bouchée. Trois nuits au Palais Farnese est un délice de ce type.

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Potins #65

Yann Queffélec est un auteur français né en 1949.

POTIN – Il a rédigé les paroles d’un album de Pierre Bachelet.

Lisez : Les noces barbares (Prix Goncourt de mon année de naissance, c’est forcément un bon cru !), Moi et toi et La puissance des corps.

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La légende de nos pères

Roman de Sorj Chalandon.

Marcel Frémaux est biographe familial. « Je rédigeais la mémoire des autres. » (p. 20) Il écoute et il écrit les petites histoires avant que les souvenirs s’effacent. Lui qui n’a pu ni su entendre le récit de son père, ancien résistant, il se lance éperdument dans la rédaction de l’histoire de Tescelin Beuzaboc, également combattant de l’ombre. « Lupuline Beuzaboc voulait faire un cadeau à son père, lui offrir le récit de sa vie d’homme. » (p. 19) Hélas, à mesure qu’il écoute le vieil homme, Marcel doute : l’histoire est-elle vraie ? Qu’est-il en train d’écrire ? Est-ce le récit d’une délivrance, d’une libération intime ?

Mon admiration pour Sorj Chalandon n’étant plus à démontrer, le plaisir que j’ai pris à cette lecture est redoublé par le fait que l’intrigue se déroule dans ma ville d’adoption. Quel bonheur de reconnaître les lieux que j’aime et de suivre le narrateur dans ses déambulations lilloises ! Quelle joie que cette histoire se déroule en partie dans mon quartier et ses alentours ! Comme si ce roman s’adressait vraiment à moi, peut-être plus intimement qu’à n’importe quel autre lecteur. Oui, c’est une prétention risible, mais ça explique peut-être que j’ai tant aimé ce quatrième roman de l’auteur.

Pour en revenir au texte, je salue le talent de Sorj Chalandon pour mêler et démêler Histoire et histoire, pour sonder la complexité des cœurs et révéler vérité et identité sans jamais accuser ni juger, quelle que soit la faute de ses protagonistes. Cela témoigne d’une bienveillance et d’une tendresse qui, au-delà d’émouvoir, forcent le respect en cette période où indifférence et individualisme ont trop souvent cours.

Je finis avec deux extraits qui prouvent la délicatesse profonde, mais jamais mièvre de l’auteur.

« Neuf personnes et trois drapeaux. Ça a été l’enterrement de mon père. » (p. 11)

« On fait son deuil. C’est effroyable, mais on le fait. […] On fait son deuil, mais on ne revient jamais d’un rendez-vous manqué. J’avais laissé partir mon père. » (p. 16)

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Les formidables aventures de Lapinot – Pichenettes

Bande dessinée de Lewis Trondheim.

Toujours dans son long pardessus beige, mais revenu de Blacktown et à notre époque (ne cherchez pas à comprendre comment), Lapinot se promène en ville avec son ami Richard. À plusieurs reprises, les deux gars empêchent un homme de mettre fin à ses jours. Le malheureux se prétend frappé d’une malédiction lancée depuis des siècles par la dynastie Pÿkchnetz et qui se transmet par une pierre. Lapinot accepte de prendre sur lui ce sort de malchance sans y croire une seconde.  « Ta vocation, c’est quoi ?… C’est de devenir un saint ? » (p. 21) Pourtant, force est de constater que des catastrophes en série frappent Richard, et non Lapinot. Ce dernier fait donc son possible pour libérer son ami de l’emprise de la dynastie Pÿkchnetz. Et il cherche aussi le courage de rappeler Nadia, rencontrée aux sports d’hiver.

On verse ici dans l’absurde sur fond de foi. C’est toujours un plaisir de retrouver Lapinot qui est un authentique bon gars, avec une chance insolente et un cœur gros comme ça. Un lapin selon mon cœur !

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Emily Brontë, une vie

Biographie de Denise Le Dantec.

Née en 1818 et disparue en 1848, Emily Brontë a marqué la littérature anglaise et mondiale avec son roman Les hauts de Hurlevent et ses poèmes, cependant moins connus. Durement frappée pendant son enfance par la mort de sa mère et de ses sœurs aînées, Maria et Elizabeth, elle a vite décidé de vivre sa vie en toute indépendance, et d’écrire pour sublimer l’existence face au mystère impénétrable de la mort et de la disparition. « Rejetant toute conformité à l’usage, aux règles, à la modération et au compris, qu’elle considérait presque comme une lâcheté, Emily Brontë n’accepta jamais la mesure. Tout plutôt que la contrainte. » (p. 30) N’ayant presque jamais quitté Haworth, le village où son père était pasteur, Emily a grandi avec Charlotte, Branwell et Anne et a composé avec eux leur fameuse œuvre de jeunesse, le Gondal, qui se retrouve en partie dans son chef-d’œuvre. Selon la volonté de son père, et à l’instar de son frère et de ses sœurs, Emily est très instruite, mais elle dispose en outre d’un esprit très vif et d’une vie intérieure intense qui la poussent naturellement à l’introspection et à la solitude.

L’abondante bibliographie présentée en fin d’ouvrage prouve l’intérêt intense de Denise Le Dantec pour Emily Brontë, et l’introduction présente un projet précis. « Écrire la vie d’Emily Brontë revient-il sans doute à consoler le rêve intérieur que j’avais d’elle, et même à compenser la perte de l’élan excessif qui, jeune, m’avait entraînée vers elle. Néanmoins, loin de réinventer mon rêve, je me suis appliquée ici, au contraire, à la différencier de moi. » (p. 12) Nourrie d’extraits de lettres, de journaux et d’œuvres des Brontë, cette biographie est intéressante, mais se livre parfois à des extrapolations que je qualifierai de romanesques, notamment sur les pensées de la jeune Emily, et à des explications de texte parfois un peu audacieuses. « Ses poèmes ne sont pas pittoresques. Ils ne décrivent pas, même s’il s’agit des landes de Haworth. Emily n’est pas un poète qui exalte sa région mais, sous sa plume, jeune encore, la moindre bruyère devient toutes les bruyères du monde. » (p. 202) C’est à croire que Denise Le Dantec a quelque peu échoué dans son entreprise de se libérer de la fascination qu’elle éprouve pour l’immense autrice des Hauts de Hurlevent.

Si vous cherchez un autre éclairage sur la vie de cette fratrie d’écrivains que furent les Brontë, je vous conseille l’ouvrage de Daphné du Maurier, Le monde infernal de Branwell Brontë.

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Potins #64

Pearl Buck est une autrice américaine née en 1892 et décédée en 1973.

POTIN – Elle a créé une fondation militant pour l’adoption des enfants abandonnés.

Lisez : Vent d’Est, vent d’Ouest, La mère.

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Grace

Roman de Paul Lynch.

La famine ravage l’Irlande. Pour sauver sa fille et soulager la famille, Sarah la chasse de la maison. « Tu dois te chercher un emploi et travailler comme un homme. » (p. 18) Grace n’a pas 10 ans et la voilà seule sur les routes du pays, déguisée en garçon, se joignant à moins pauvre qu’elle pour quelque temps, dormant dans des masures abandonnées, avec pour seuls biens une couverture, un couteau et un instinct de préservation hors du commun. Pendant des années qui passent comme un souffle, mais avec des hivers qui semblent durer des éternités, Grace se réinvente, se renouvelle, voire se ressuscite en avançant avec obstination sur le long chemin qui la conduit à elle-même.

Je n’en dis pas davantage, mais ce roman mérite toute votre attention. Grace est un personnage complexe, double par bien des aspects. Parfois aussi légère qu’un brin de paille emporté par le vent, parfois aussi lourde que la boue d’Irlande qui colle aux bottes, elle survit à tout, semblant traverser mille ans. Quant à la plume de Paul Lynch, elle est de celle qui marque pour longtemps : dense et généreuse, poétique et étourdissante, la langue employée par l’auteur convoque la puissance des légendes irlandaises.

Quelques extraits pour vous mettre en appétit.

« J’ai basculé hors de ma propre vie. Je me suis perdue moi-même, et je suis aussi abrutie que ces bêtes. » (p. 63)

« Elle s’est enfoncée plus avant dans les profondeurs du monde, a passé des jours sans nom sur des routes sans nom qui méandrent en boucles infinies. » (p. 98)

« C’est donc cela la liberté. Pouvoir disparaître de la surface de la terre sans que quiconque s’en aperçoive. La liberté, c’est ton âme dans le vide de la nuit. C’est ce noir aussi vaste que ce qui retient les étoiles et tout ce qu’elles dominent, et qui pourtant semble n’être rien, n’a ni fin ni commencement et pas non plus de centre. Les leurres du plein jour nous font croire que ce que voient nos yeux est bien la vérité, mais la seule chose vraie, c’est que nous sommes des somnambules. Nous cheminons à travers une nuit de ténèbres et de chaos, qui jamais en nous livre sa vérité. » (p. 126)

« Ce qui se passe ressemble parfaitement à la fin du monde, la seule différence, c’est que les riches continueront à vivre sans souffrir. Les dieux nous ont abandonnés, voilà mon idée de la situation. Et le temps est venu que chacun devienne son propre dieu. » (p. 167)

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Les formidables aventures de Lapinot – Blacktown

Bande dessinée de Lewis Trondheim.

« Méfiez-vous, Marshal. Il est dangereux d’interrompre un lapin qui est en train de manger. » (p. 7) Pourtant, Lapinot voulait seulement une table où dîner et un lit où dormir, et surtout échapper aux bandits qui veulent le lyncher. Mais d’une partie de poker sur fond de philosophie à une conférence sur la non-violence, la soirée ne va pas être de tout repos à Blacktown. Dans la pure tradition du Far West, il est question d’un filon d’or et d’une justice expéditive. Et puisque le lapin est un héros, il a forcément une chance insolente. Normal, car comme il le dit, il est naturellement doté de porte-bonheurs.

Dans cet album qui sent bon l’hommage aux chefs-d’œuvre du genre western, ne cherchez pas trop loin qui est coupable. En revanche, je vous conseille de lire attentivement l’échange suivant. On a sûrement descendu des pieds tendres en pleine rue à midi pour moins que ça… « J’ai pas fait ce que vous croyez que j’ai fait. / Ça dépend si tu penses bien à ce que tu crois que je crois. / Eh bien… Je crois que vous pensez à ce que je crois que vous croyez. / Tu veux dire que je crois que tu crois à ce que tu penses que je crois ? / Absolument pas. C’est plutôt l’inverse même… » (p. 32)

Comment Lapinot est-il arrivé au Farwest ? Peut-il voyager dans le temps ? D’où lui vient ce long manteau ? Vous vous posez trop de questions… Le principe de l’absurde, c’est de ne rien expliquer.

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L’outsider

Roman de Stephen King.

Le corps du jeune Frankie Peterson est retrouvé partiellement dévoré et souillé. Tout accuse Terry Maitland, l’entraîneur de baseball. « Il n’a pas une tête de monstre, hein ? / C’est rarement le cas. » (p. 57) Pour Ralph Anderson, policier en charge de l’enquête, l’arrestation du coach aurait dû être le premier pas vers une résolution judiciaire rapide. Cependant, les preuves se contredisent : d’interrogatoires en analyses, d’alibis en dépositions, la certitude fait place au doute. Et voilà que l’enquête prend un tournant inattendu, entraînant la mort de nombreux innocents. Devant l’ampleur du drame et du mystère, Ralph est perdu. « J’ai déjà commis des erreurs dans ma carrière, mais pas aussi graves. C’est comme si j’étais devenu aveugle. » (p. 134) Peu à peu, il devient évident que le vrai coupable n’a pas été appréhendé et qu’il n’en est pas à son coup d’essai. « Il se peut qu’on résolve cette affaire, […], mais je ne sais pas si on aimera ce qu’on risque de découvrir. On s’engage dans une forêt profonde. » (p. 316) Avec l’avocat de la famille Maitland et Holly Gibney (lisez Mr Mercedes, Carnets noirs et Fin de ronde), Ralph Anderson se lance dans une enquête tortueuse où chaque nouvel élément est plus improbable que le précédent. « Cet inconnu, je veux que vous le trouviez. Ne le laissez pas s’échapper uniquement parce que vous ne croyez pas à son existence. » (p. 505)

Avec ce roman autrement plus abouti que son précédent, Sleeping Beauties, Stephen King ajoute un nouveau monstre à sa collection déjà bien fournie. D’une certaine façon, il n’en finit pas d’explorer la figure du vampire, depuis Salem et Docteur Sleep. Les quelque 700 pages du roman se dévorent. Cela tient à la brièveté des chapitres, au dynamisme des échanges et à la variété narrative : on passe tantôt d’un dialogue à un interrogatoire, tantôt d’une description à un rapport médicolégal. Et tout s’enchaîne très bien. Sans réussir à mettre le doigt sur ce qui fonde cette intuition, j’ai le sentiment que L’outsider ouvre une suite, soit pour Ralph Anderson, soit pour Holly Gibney. Je serais assez étonnée que Stephen King s’en tienne là avec la créature qu’il a tiré du folklore latino-américain.

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Potins #63

Alain Damasio est un auteur français né en 1969.

POTIN – Dans sa jeunesse, il s’est isolé afin de se consacrer uniquement à l’écriture.

Lisez : La horde du contrevent, La zone du dehors, Novak et son Ai-Phone, Les furtifs, Aucun souvenir assez solide.

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Bolchoi Arena – 1 : Caelum Incognito

Bande dessinée de Boulet et Aseyn.

« Ça va être flippant, tu te sens prête ? » (p. 5) Grâce à son amie Dana, Marje découvre le Bolchoï, une plateforme de réalité virtuelle où chacun, via son avatar, peut devenir ce qu’il veut : explorateur, coureur de rallye ou vaillant chevalier. « Laisse-les te tuer, bon sang ! / Mais c’est stupide ! Je vais pas crever juste pour être polie ! / Tu n’as rien à perdre ! Tu te laisses mourir et demain on y retourne, loin de ces installes ! » (p. 41) La jeune doctorante prudente souhaitait initialement explorer Titan et d’autres planètes pour enrichir sa thèse, mais elle devient rapidement, et à la surprise de tous, une excellente joueuse. « La science ne se fait pas dans le vide. Il faut de la patience, mais aussi de l’imagination. Ce sont nos rêves qui sont le moteur. La science n’est qu’un outil à leur service. » (p. 115) Son enthousiasme ne fait que croître quand de nouvelles zones sont débloquées dans le Bolchoï : les potentialités pour investir et coloniser sont infinies. Et Marje se découvre une ténacité et un goût de la victoire qu’elle a bien du mal à canaliser.

Avec ses bonus en réalité augmentée, cette bande dessinée offre une aventure plus que dépaysante, et ce en dépit d’un look un peu rétro. Je n’ai pas reconnu le trait de Boulet, mais j’ai eu l’impression de lire l’une des vieilles BD que mon grand-père gardait dans son bureau. Entre hypermodernisme et vintage cool, le premier volume de Bolchoï Arena pose les bases d’une histoire qui tient en haleine. Et j’ai plutôt hâte de lire la suite des mésaventures de Marje. « Je croyais qu’on ne pouvait pas avoir mal dans le Bolchoï ? » (p. 66)

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Les formidables aventures de Lapinot – Slaloms

Bande dessinée de Lewis Trondheim.

Lapinot, Richard, Pierrot et Titi se retrouvent à la montagne pour quelques jours à dévaler les pistes. Richard, surtout, est très enthousiaste et décidé à profiter de la poudreuse autant que possible, et qu’importe la rumeur selon laquelle un loup rôderait dans les massifs. Les quatre amis font la connaissance de Nadia. Si Lapinot tombe sous son charme, il a trop de vague à l’âme pour envisager une relation. Et il a déjà un défi à relever : rattraper Richard dans un schuss, son ami empruntant les pistes les plus complexes ! Et notre ami lapin craint vraiment de croiser le prédateur sur les pistes. « Dis-moi, Lapinot, tu cherches des traces du loup ou tu calcules sur combien de centaines de mètres on dégringolerait en cas de chute ? / Je cherche des traces du loup. Mais c’est vrai que la deuxième question est intéressante. » (p. 28)

Avec cet album numéroté zéro, Lewis Trondheim introduit les personnages que l’on suivra pendant de nombreux albums. Et dès les premières cases, Lapinot gagne mon cœur avec une réplique à l’humour de lapin. « Alors là, non !! 19 francs les chips à la carotte, c’est un vrai scandale ! Imagine que quelqu’un en veuille vraiment… » (p. 4) Il ne faut pas se laisser tromper par l’apparente légèreté de cette bande dessinée qui aborde avec délicatesse la condition adulte, les relations amoureuses, le rejet des responsabilités et la capacité de celles-ci à nous rattraper, etc. Bref, grâce à ma bibliothèque de quartier, me voilà partie pour dévorer toutes les fabuleuses aventures de Lapinot !

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La partition de Flintham

Bande dessinée de Barbara Baldi.

La comtesse de Flintham vient de mourir. Au cœur de l’hiver 1850, après le décès de leur aïeule, ses petites filles Clara et Olivia se déchirent au sujet de l’héritage : Clara obtient le manoir et Olivia une somme d’argent conséquente, mais cette dernière se sent lésée et part à Londres, laissant à sa sœur le soin du domaine. Rapidement, tout vient à manquer. Clara sacrifie tout ce qu’elle peut, même sa passion pour la musique, pour Flintham Hall Manor ne tombe pas aux mains d’étrangers. « Vous pourriez poursuivre vos études et devenir concertiste. » (p. 14) Est-il normal que tout réussisse à Olivia alors que Clara, restée droite et juste, se voit dépouillée de tout, jusqu’à sa dignité ? Évidemment, question rhétorique. Sans être manichéenne, l’histoire est très symbolique et les destins assez prévisibles. Mais cela ne retire rien à la qualité de cette œuvre qui offre de précieux moments de contemplation.

Il y a de longues pages sans dialogue, où l’image seule a droit de cité, et où chaque dessin devient un tableau violent comme un air de Beethoven ou mélancolique comme une mélodie de Debussy. La dureté des hommes et la caresse glaciale de la nature font de cette bande dessinée une œuvre belle et violente au même titre qu’un roman des sœurs Brontë.

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Paradigma

Roman de Pia Petersen.

À Los Angeles, le quartier ultra défavorisé de Skid Row s’oppose au luxe clinquant de Beverly Hills. Et la fracture entre ces deux univers est d’autant plus marquée que se prépare la cérémonie des Oscars, avec ce qu’elle suppose de paillettes et de démesure. Derrière son blog, Lila dénonce ce monde où être pauvre revient à être coupable : coupable de sa propre misère, coupable du poids que cela fait porter sur la société, coupable de l’image que cela renvoie de la société. Bref, coupable. Et Lila veut que les mentalités prennent conscience. C’est essentiel pour briser le paradigme erroné sur lequel repose le monde moderne capitaliste. « Les pauvres doivent être vus. En rendant les chiffres visibles, on rend aussi visibles l’aperçu de ce qu’est le monde et les choix que les hommes ont faits. Elle est persuadée que le problème du monde est une question de choix et non pas de fatalité et elle sait ce qu’elle veut faire. Il suffit d’une personne pour changer le monde. » (p. 48 & 49) Lila n’est pas une idéaliste : c’est une hacktiviste, une révolutionnaire informatique. À coup de hashtags, elle organise une grande marche silencieuse.

Ce roman arrive dans une période socialement lourde en France. Le fait que l’intrigue se déroule aux États-Unis n’a pas d’importance : elle est vraisemblable et légitime partout où l’injustice sociale règne. Il n’est plus temps que les gens aient peur de devenir ou d’être pauvres, angoisse qui a pour corollaire insupportable la toute-puissance de l’argent. Les richesses doivent être partagées entre tous et ne plus rester à la main des multinationales qui privatisent les ressources naturelles et amputent d’autant les droits fondamentaux de l’être humain. « Être riche est devenu une vertu. Pas question de partager ses biens. Ce n’est plus considéré comme un mal mais comme un droit. » (p. 134) Finalement, le Big One que Los Angeles redoute tant, ce terrible séisme qui doit détruire la ville construite sur une faille, c’est une marée humaine qui va le créer. Cependant, une question demeure : qu’advient-il après la révolution ? « Se battre pour un monde qui n’est plus, c’est se battre contre un monde qui est. » (p. 62)

J’avais déjà beaucoup apprécié Instinct primaire et Un écrivain, un vrai de Pia Petersen. Cette autrice a un vrai talent pour tailler des portraits précis et pertinents. Mon seul regret avec Paradigma est le triangle amoureux : je n’ai pas trouvé qu’il nourrissait le propos de façon pertinente. Mais c’est un détail. Avec son nouveau roman, Pia Petersen pose quelques questions brûlantes d’actualité sur la valeur du monde. « C’est impératif de retrouver le sens des mots et le sens des choses et de créer le modèle qui corresponde à la réalité que l’on veut. » (p. 307)

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Potins #62

Michèle Lesbre est une autrice française née en 1939.

POTIN – Elle a été institutrice et directrice d’école maternelle.

Lisez : Victor Dojlida, une vie dans l’ombre, Un lac immense et blanc, La petite trotteuse, Le canapé rouge, Écoute la pluie.

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Comme convenu – 2

Bande dessinée de Laurel.

Suite des mésaventures de Laurel, Adrien, Cerise et Brume aux États-Unis ! Rien n’a vraiment changé depuis le tome 1, mais Laurel et son compagnon s’accrochent à un dernier espoir : obtenir une carte verte qui leur permettra de travailler n’importe où aux États-Unis – puisqu’ils n’ont pas les moyens de rentrer en France – et de quitter BOULAX. En attendant, Joffrey et Luc continuent leur odieux chantage, leurs crises d’autorité et leurs demandes irréalistes. « Pourquoi restons-nous diplomates ? Pourquoi ne tapons-nous pas du poing sur la table ? Pourquoi ? Parce que nous sommes les seuls qui avons tout à perdre. » Cette situation est si pesante que Laurel y laisse sa santé : la lassitude et la fatigue laissent place à un sentiment dépressif profond et à une certaine tendance à compenser avec la nourriture.

Heureusement, Laurel, Adrien et Cerise ont réussi à quitter la maison qu’ils partageaient avec leurs employés pour un lieu rien qu’à eux. Mais pour Laurel, le pire reste à venir. Bien qu’associée de l’entreprise BOULAX, sa situation devient de plus en plus précaire. Pour la jeune femme, la seule solution pour surmonter cette situation et ces mois de souffrance, c’est rédiger sur son blog personnel cette histoire hallucinante et tellement improbable, mais pourtant complètement vraie. Autre point positif : le jeu Caterpillar que Laurel et Adrien ont créé connaît un démarrage fulgurant et une réussite qui se confirme pendant des semaines. Hélas, une nouvelle preuve de l’incompétence de Luc et Joffrey menace cette réalisation. D’ailleurs, d’après le portrait qui en est fait, ce dernier est tyrannique, narcissique, incohérent, autoritaire, agaçant, déraisonnable, de mauvaise foi, agressif, magouilleur, menteur. Bref, « Joffrey est un gigantesque taré. » Les problèmes financiers n’en finissent pas et la situation des auteurs de BD en France n’incite vraiment pas à revenir dans l’Hexagone. Par chance, le dossier de demande de carte verte progresse.

Toujours aussi saisissant, ce témoignage est édifiant. Si je ne m’étais pas déjà lancée dans le monde de l’entreprise avant de lire cette bande dessinée, je n’aurais jamais sauté le pas. Par bonheur, l’écureuil est de retour ! Cette adorable sale bête est toujours un contrepied aux pires situations et apporte un peu légèreté dans les moments les plus douloureux. « Les débats stériles étaient quotidiens. Il fallait batailler pour tout, c’était infernal. » Je ne sais pas s’il est prévu un troisième volume pour conclure l’épopée américaine de Laurel et sa famille, mais je serais ravie de la lire !

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Inventer les couleurs

Roman de Gilles Paris. Illustrations d’Aline Zalko.

Hippolyte vit seul avec son papa depuis que sa maman est partie avec le voisin. La vie n’est pas très gaie à Longjumeau : papa rentre épuisé de son travail à l’usine et il boit beaucoup. Alors, pour rendre la vie plus belle, Hippolyte sort ses crayons. « J’adore dessiner. Je mets de la couleur partout. » (p. 13) Et heureusement, à l’école, il retrouve Gégé, Fatou, les jumelles et tous ses copains. Là, il est un garçon comme tous les autres : il joue, il découvre la vie et il s’interroge. « Je me demande pourquoi on dit gros mots pour ‘connard’ ou ‘pouffiasse’. Ces mots n’ont rien de gros. Ils sortent de la bouche comme une envie de faire pipi. Une urgence. » (p. 20) Pendant une journée, on suit le quotidien d’un petit bonhomme qui, à sa hauteur et à sa manière, essaie de transformer le monde et de l’inonder de beauté.

L’histoire est simple et c’est très certainement ce qui en fait sa force. En peu de mots, on comprend une réalité sombre, voire sordide, mais la pudeur du texte s’attache à préserver l’innocence. Et les mots soudain prennent une dimension unique, magique, magnifique, quand ils sont mis en regard des illustrations qui donnent à voir les mille nuances du banal, mais aussi du bonheur. Cette courte lecture est sans aucun doute à mettre entre toutes les mains des petits et des grands lecteurs, que ce soit pour l’émotion de son histoire ou pour la beauté de ses images.

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California Dreamin’

Roman graphique de Pénélope Bagieu.

La voix la plus mémorable du groupe The Mama’s and the Papa’s, c’est évidemment celle de Cass Elliot, dite Mama Cass. Cette gamine en surpoids chantait avec son cher papa, fou d’opéra, et voulait en faire son métier. « Je serai la grosse la plus célèbre du monde. » (p. 46) Pour ça, il faut partir, quitter la famille et tenter sa chance à New York. Là-bas, elle fume trop, elle boit trop, elle mange toujours trop et elle découvre la drogue. Mais Cass Elliot ne doute de rien et tente tout pour accomplir son rêve. Lumineuse et drôle, riche d’une énergie inépuisable et d’un espoir chevillé au corps, elle passe de groupe en groupe, tentant d’imposer sa voix dans le folk et dans le rock, pour finalement devenir unique. « Sur scène, les gens ne veulent qu’elle. Et chaque spectateur a l’impression que Cass chante pour lui, et lui seulement. » (p. 120) Chaque chapitre est raconté par un membre de sa famille, un ami ou un artiste qui a croisé sa route. California Dreamin n’est pas l’histoire du groupe The Mama’s and the Papa’s qui a mis un certain temps à se former, mais bien celle d’Eliott Cass, chanteuse dont on ne finit pas de fredonner les titres marqués de sa voix.

Que l’on apprécie ou non le dessin crayonné de Pénélope Bagieu et ce choix du noir et blanc, impossible de ne pas vibrer à la lecture de l’histoire de la chanteuse. Extravertie, extravagante, exubérante, expressive : bref, extraordinaire, Mama Cass est inoubliable.

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Potins #61

Wilkie Collins est un auteur britannique né en 1824 et décédé en 1889.

POTIN – L’inscription de sa pierre tombale l’identifie comme l’auteur de La femme en blanc.

Lisez : La dame en blanc, Armadale, Secret absolu, L’hôtel hanté, La piste du crime, Pauvre Miss Finch, Pierre de Lune.

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Les aventures improbables de Julie Dumont

Roman de Cassandra O’Donnell.

Dans ce roman, vous trouverez :

  • Une jeune femme de 27 ans hyper mignonne et quasi sans logement qui séduit tous les mecs qu’elle croise, mais sans le vouloir, évidemment ;
  • La même jeune femme qui se définit comme prude, mais qui est incapable de résister aux caresses d’un mec qu’elle connaît à peine et à qui elle a dit « non » plusieurs fois ;
  • Ledit mec qui est donc incapable de comprendre le vrai sens du mot « non » ;
  • Des phrases creuses et convenues, à l’instar des personnages ;
  • Du name-dropping à vous en faire saigner les yeux ;
  • Des répétitions d’expressions toutes faites d’un paragraphe à l’autre ;
  • Des aberrations grammaticales, parce que la licence poétique ne justifie pas de ne pas connaître le vrai sens d’un mot : exemple en page 13, « Les arbres qui jonchaient le bitume étaient en train de se remplumer. » Joncher, ça veut dire « coucher » : des arbres couchés (donc potentiellement abattus) qui reverdissent, c’est assez rare, surtout en pleine ville…
  • Une mère hystérique et insupportable, obsédée par le célibat de sa journaliste de fille ;
  • Une entreprise familiale de croque-morts sans repreneur ;
  • Ah oui, et aussi, pour en venir à l’intrigue, un mec tabassé jeté dans un fossé ;
  • Des vieilles dames qui meurent de façon suspecte ;
  • Le meurtre d’une femme dont la résolution ne semble pas satisfaire un journaliste, et qui embarque la susdite jeune femme dans une enquête des plus foireuses ;
  • Une hypersexualisation de tous les personnages : même le pépé est accro aux magazines de charme ;
  • Un cambriolage suivi d’une agression sur la personne de notre décidément pas très chanceuse jeune femme ;
  • Et tellement d’autres choses que je vais m’empresser d’oublier tant la nullité de ce livre m’afflige.

Le livre fait 263 pages en ebook. En page 132, une phrase aurait pu marquer avec un peu de bon sens la fin de ce roman navrant : « Enquêter sur un meurtre quand on n’a aucune expérience est non seulement complètement stupide, mais peut aussi s’avérer très dangereux, Julie. » Eh oui, Julie, ce roman manque complètement de crédibilité. Ah, mais suis-je bête, c’est annoncé dès le titre ! Désolée, ça ne suffit pas à me faire accepter le contenu du bouquin ! Quant à l’autrice, si je ne doute pas qu’elle a mis du cœur à l’ouvrage et qu’elle a probablement donné le meilleur d’elle-même pour écrire ce livre, je dirais que n’est pas Helen Fielding qui veut, et que la mode des jeunes journalistes de 25/30 ans dans les romans, c’est un peu dépassé, voire carrément vu et revu.

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Trois petits lapins

Conte de Zemanel. Illustrations d’Amélie Dufour. À paraître le 6 mars 2019.

Trois petits lapins sont prévenus par leurs parents de prendre garde aux humains lors de leur escapade de l’autre côté de la colline. « Venez ! dit l’aîné, les parents sont loin, on peut jouer comme on veut. » Comme il fallait s’y attendre, voilà les trois lapereaux vite attrapés par un fermier.

À vous de découvrir la suite de leurs mésaventures. Mais rassurez-vous, la solidarité est à l’œuvre et les trois garnements tireront peut-être une leçon de leur malheur. L’histoire est simple et efficace pour apprendre aux enfants les vertus et les dangers de la désobéissance. Je retiens surtout le travail d’Amélie Dufour dont les dessins frais et vraiment charmants feraient d’adorables posters pour décorer des chambres d’enfants. Ou d’adultes, hein !

De Zemanel, je vous recommande également la lecture des albums suivants : Perrette et les oiseaux et Gonflée la grenouille !

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Le pouvoir du chien

Roman de Thomas Savage.

Phil et George Burbank gèrent le ranch familial depuis des années. Ces deux vieux garçons ont instauré une routine immuable pour chaque jour, chaque saison. L’aîné, Phil, est un quarantenaire flamboyant, perspicace et au caractère dur et tranchant. « Mon Dieu, comme Phil aimait taper sur les nerfs des gens ! » (p. 11) George est plus taciturne et introverti, mais tout autant respecté par les hommes qui travaillent au ranch. Le jour où George épouse la veuve d’un médecin et l’installe au ranch avec son fils Peter, un gamin malingre, Phil accuse sa belle-sœur de vouloir dépouiller la famille.  « Elle annonçait peut-être la fin du monde tel que Phil le connaissait. » (p. 86) Phil accable Rose et Peter de son mépris glacial et cinglant : si la première s’affaiblit physiquement dans cette promiscuité hostile, le second nourrit des ambitions qui pourraient bien déstabiliser l’odieux rancher. « Je te dirais, Peter, de ne jamais faire attention à ce que disent les gens. On ne connaît jamais le cœur d’autrui. » (p. 86)

Si vous aimez l’œuvre de John Steinbeck, si vous avez vibré à la lecture d’À l’Est d’Eden, vous aimerez ce roman de Thomas Savage : il est simple et même évident d’envisager une filiation littéraire entre l’immense Steinbeck et l’auteur du Pouvoir du chien. Thomas Savage déploie un style riche et profond, avec un vrai talent d’évocation et de description des choses matérielles et immatérielles. Avez-vous déjà lu une image plus belle et plus juste du temps qui passe sans que l’on n’y puisse rien ? « Les pavots fleurirent, fanèrent et moururent ; le vent d’hiver hurlait depuis les lointaines montagnes ; puis la neige disparut à nouveau du sol, les pavots sortirent de terre et fleurirent encore, fanèrent et moururent. » (p. 36) La fin du roman est brutale et incisive comme la chute d’un couperet : tout est dit en une phrase, tout est consommé. Et tout est parfait.

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Potins #60

Virginie Despentes est une autrice française née en 1969.

POTIN – Enfant, elle participait aux manifestations de la CGT avec ses parents syndicalistes.

Lisez : Vernon Subutex 1, Vernon Subutex 2, Vernon Subutex 3, Les chiennes savantes, King Kong Théorie, Cher Connard.

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Là où le regard ne porte pas – Tome 2

Volume 1

Bande dessinée de Georges Abolin et Olivier Pont.

Istanbul, 1926. Vingt après, William, Pablo et Nino retrouvent Lisa qui est très affaiblie. « Je suis morte… Je suis déjà morte… J’ai déjà connu cette sensation. Plusieurs fois… » (p. 3) La jeune femme les a fait venir pour qu’ils l’aident à retrouver Thomas, son amant, qui est parti au Costa-Rica suivre une impossible quête. Pour Lisa, Thomas est le cinquième membre de leur groupe qu’il est enfin temps de réunir. « Ce genre d’opportunités, cette chance de se retrouver comme ça, alors qu’on s’est perdu de vue, bêtement, ça se présente pas deux fois, tu vois. » (p. 14) Répondant à l’appel de l’amitié, les trois hommes acceptent de suivre Lisa en Amérique du Sud et de s’enfoncer dans la jungle pour retrouver Thomas et, peut-être, percer enfin le mystère qui les unit depuis l’enfance. « Nous nous serions retrouvés, reconnus, aimés, dans d’autres lieux, dans d’autres vies… Nous n’avions plus à nous poser de questions… Nous le savions… » (p. 64)

La bande dessinée alterne entre le périple des quatre amis et des extraits du journal d’Emily Rudeski, jeune femme qui a vécu des dizaines d’années plus tôt et semble avoir connu une expérience similaire à celle que connaissent William, Lisa et les autres. Il est question d’un amour qui transcende les existences, les époques et les continents. « Il est dit qu’on se retrouvera, un jour, ailleurs, où le regard ne porte pas, et qu’on se reconnaîtra. » (p. 96) Ce deuxième tome a définitivement quitté l’innocence et l’insouciance de l’enfance : si l’humour subsiste par endroit, il fait toujours écho à une gravité inéluctable. La fin est terriblement émouvante et mobilise des sentiments très humains. Mais aussi un espoir inexorable. Voilà une magnifique bande dessinée, servie par des illustrations superbes, toujours aussi riches et lumineuses.

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Là où le regard ne porte pas – Tome 1

Bande dessinée de Georges Abolin et Olivier Pont.

En 1906, la famille Bartley quitte Londres pour s’installer à Barellito, petit village de pêcheurs en Italie. Le père a l’espoir de développer la pêche grâce à son bateau à vapeur, mais les villageois sont ouvertement hostiles envers les arrivants. « Faut protéger son territoire ! Faut le défendre des étrangers ! On a rien de bon à attendre d’eux ! » (p. 60 ) Mais pour William Bartley, un gamin d’une dizaine d’années, tout n’est qu’émerveillement, d’autant plus qu’il s’est rapidement lié d’amitié avec Pablo, Nino et Lisa, trois enfants du coin avec lesquels il partage un étrange point commun. « Je pense qu’il y a quelque chose entre nous tous… quelque chose qui nous réunit… » (p. 68) Lors de séances secrètes, regroupés la nuit autour d’un artéfact mystérieux, les enfants font des expériences inexplicables, à base de flashes et de visions venues d’ailleurs. Mais la magie et l’innocence volent en éclats quand un drame affreux survient, brutal, et achève l’enfance.

Ce premier tome pose une intrigue des plus alléchantes et présente des personnages aussi attachants que prometteurs. Les paysages sont superbes et chaque planche explose de lumière italienne, chaude et omniprésente. Et même les nuits sont lumineuses et profondes. Voilà une bande dessinée que je n’aurai pas approchée de moi-même, alors un immense merci aux amis qui me l’ont offerte.

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Potins #59

Henry James est un auteur américain né en 1843 et décédé en 1916.

POTIN – Fortement déçu par la neutralité affichée par les États-Unis dans les premiers temps de la Première Guerre mondiale, il a demandé et obtenu la nationalité britannique en 1915.

Lisez : Washington Square et Le tour d’écrou.

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La nuit des béguines

Roman d’Alice Kiner.

En 1310, les béguinages de France ne savent pas qu’ils vivent leurs dernières années de tranquillité. « Toute femme n’étant ni épouse ni nonne est suspecte. Surtout lorsqu’elle s’acharne à prêcher, usurpant les privilèges du clergé. Et des hommes. » (p. 65) L’accusation d’hérésie et la condamnation de la béguine Marguerite Porete, autrice du Miroir des âmes simples et anéanties, sont les premiers indices de cette fin imminente. L’exécution des Templiers, ordre religieux qui a refusé de se soumettre à l’autoritarisme de Philippe Le Bel, est un autre funeste présage. De partout s’élèvent des voix pour critiquer les béguines et leur reprocher les pires vices. Il devient insupportable que des femmes soient libres, sans époux ni règle religieuse, qu’elles conservent leurs biens, exercent une activité et vivent en communautés, « une citadelle pour les femmes, pas une prison » (p. 15) Au grand béguinage de Paris, l’arrivée de Maheut la Rousse, jeune fille en fuite, lance un incendie qui va longtemps couver sous la braise, balayant d’autres béguines, mais aussi des religieux et des laïcs.

Le roman s’étire sur une dizaine d’années : les jeunes gens gagnent en maturité, des enfants naissent, des personnes meurent, et l’Histoire embarque dans son flot des destinées célèbres ou anonymes. Si le texte se lit facilement, c’est malheureusement en raison d’une narration et d’un style un peu faibles. Mais La nuit des béguines offre une bonne entrée en matière à ceux et celles qui voudraient découvrir l’histoire de ces communautés de femmes. Et je vous conseille surtout le roman de Clara Dupont-Monod, La passion selon Juette, qui présente l’histoire d’une véritable béguine que les Belges célèbrent encore.

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Simone Veil : L’immortelle

Bande dessinée de Pascal Bresson et Hervé Duphot.

26 novembre 1974. Simone Veil se prépare à présenter son projet de loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse. « Elle ne doit pas effrayer les hommes. Elle a l’intelligence de les comprendre, de ne pas entrer en conflit avec eux. » (p. 5) Depuis des semaines, la ministre de la Santé reçoit des lettres d’injures, de menaces, d’intimidation. Son projet de loi dérange, choque, révolte. Nombreux sont ceux qui en appellent à la loi divine, mais Simone Veil est confiante. « On ne doit pas se laisser intimider ni même se laisser entraîner dans un débat moral. » (p. 7) À quelques heures du vote, rien n’est joué et elle ne sait pas encore si elle peut compter sur le soutien de la gauche. Elle ne connaît pas la position de l’Église. On la voit fumer, beaucoup, et se souvenir. Reviennent l’enfance, l’adolescence sous l’Occupation, l’arrestation, le camp, la perte de ses proches. Reviennent la rencontre avec Marceline Lorridan-Ivans, la volonté de ne pas fléchir, de tenir jusqu’à la fin de la guerre. Après tout ce qu’elle a vécu, Simone Veil se sait solide et déterminée. Hélas, il en faudrait si peu pour qu’elle vacille, tandis que les hommes politiques de son propre parti agitent le spectre des agissements nazis pour qualifier l’IVG. « Je ne me laisserai pas abattre par ce torrent de haine et je ne montrerai pas à ces hommes qu’une femme est plus fragile qu’eux. » (p. 55) La suite de l’Histoire, tout le monde la connaît : la loi est passée et les femmes ont enfin acquis le droit de disposer de leur corps.

Très bel hommage à Simone Veil, récemment décédée, cette bande dessinée est aussi un rappel nécessaire face aux mentalités rétrogrades qui voudraient tant supprimer des droits à ceux et celles qui ont eu tant de mal à les obtenir. Faut-il rappeler que l’IVG n’est pas un mode de contraception, que l’avortement de confort n’existe pas, sauf dans l’esprit de ceux qui voudraient contrôler les femmes ? Apparemment, et malheureusement, oui. « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. » (p. 32) Avec ses pages en noir et blanc parsemées de touches de monochromie qui changent selon les époques, ce livre est un bel ouvrage. Chapeau aux dessinateurs qui ont su représenter Simone Veil, Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing et bien d’autres sans les caricaturer, mais en saisissant l’essentiel de leurs traits. Ils sont tous parfaitement reconnaissables. Le seul reproche que j’ai à faire à cet ouvrage tient dans les dialogues que j’ai parfois trouvés un peu artificiels. Mais après tout, qu’en sais-je ? Je ne fréquente pas les hautes sphères du pouvoir et peut-être est-ce ainsi que les membres d’un gouvernement discutent…

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Potins #58

Elizabeth Gaskell est une autrice anglaise née en 1810 et décédée en 1865.

POTIN – Elle a commencé à écrire avec les encouragements de son époux pour se départir du chagrin d’avoir perdu son fils à l’âge de neuf mois.

Lisez : Le héros du fossoyeur, Lisette Leigh, L’œuvre d’une nuit de mai, Cousine Phillis, Les confessions de Mr Harrison et évidemment Nord et Sud.

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Chien-loup

Roman de Serge Joncour.

Été 2017. Lise et Franck partent pour trois semaines de vacances, dans un gîte perdu au milieu du causse. Pour Lise, c’est l’occasion de se couper des ondes, de renouer avec la vie simple et avec la nature. Pour Franck, c’est l’enfer : ce producteur stressé, drogué à l’information et à la connexion, ne supporte pas l’immense solitude des lieux. « Il se mit à marcher de long en large pour essayer d’attraper du réseau quelque part, il tenait le téléphone tendu devant lui, comme une télécommande pour rallumer le monde. » (p. 58) Et le calme n’étant pas le silence, Franck redoute tous les bruits venus du sous-bois et des collines alentours. Y aurait-il des ours ou des loups dans les parages, rôdant chaque nuit ? « Cette obscurité, il la ressentait comme une encre qui s’infiltrerait en tout. » (p. 89) Quand arrive un immense chien-loup qui semble se chercher un maître, Lise et Franck ne savent pas encore qu’ils vont toucher du doigt la cruauté et la folie humaines. Et que, par un étonnant retour d’histoire et de destin, leur séjour dans la maison isolée a un lien très fort avec l’Allemand dompteur de fauves, à qui on avait permis de se cacher de la guerre avec ses monstres rugissants tout en haut de la montagne. Cet Allemand dont la présence surplombante et menaçante lui a valu les pires accusations : n’était-ce pas lui qui était responsable des pluies diluviennes de l’automne, de la foudre sur les Orcières et de la disparition du soleil pendant l’hiver, alors que tous les hommes étaient au front et que les femmes s’épuisaient à travailler la terre et à continuer à vivre ? Mais personne, sauf la belle Joséphine, la femme du médecin, n’osait monter les voir, lui et ses fauves. « On ne cherche pas querelle à un homme qui fait s’asseoir des tigres et des lions, ça porte malheur… » (p. 99).

J’ai apprécié les débuts de ce roman qui rappellent la boucherie que fut la guerre de 14-18. Et par boucherie, j’entends le sens premier, ce lieu affreux où l’on abat les animaux : bœufs, chevaux, bêtes de cirque et de zoo, tant d’innocents enrôlés de force dans le conflit des hommes. J’ai aussi apprécié le rappel du lien qui unit l’homme et la bête domestiquée : « Être maître d’un animal, c’est devenir Dieu pour lui. » (p. 189) J’ai également apprécié l’alternance des chapitres, entre 1914 et 2017, ce qui construit un suspense haletant entre le drame passé et le drame en cours. Hélas, la résolution m’a beaucoup déçue : trop courte, trop brusque, trop facile en un sens. Autre point négatif : les répétitions d’un chapitre à l’autre, voire d’un paragraphe à l’autre, qui m’ont donné l’impression d’un récit qui ne progressait pas, qui piétinait, voire qui était tiré en arrière. Cependant, la plume de Serge Joncour est là, généreuse et riche, et rien que pour ça, cette lecture n’est pas manquée !

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