La tour sombre – Tome 1 : Le pistolero

Roman de Stephen King.

« L’homme en noir fuyait à travers le désert et le pistolero le poursuivait. » (p. 9) Depuis plus de 20 ans, un chasseur et un chassé tracent une marche macabre dans un monde étrange et hostile. « Croyez-vous qu’il y ait une existence après la mort ? […] / Oui. Celle que nous sommes en train de vivre, à mon avis. » (p. 19) Quelle est le sens de cette traque à travers le désert et les montagnes ? Après quelles réponses court le pistolero ? On apprend que l’homme en noir peut ressusciter les morts, qu’il manipule les choses, les évènements, les êtres et les évènements. Est-il un prêtre, un magicien ? Est-il au moins un homme ?

Et d’où vient le pistolero ? Qu’est devenu Roland, l’enfant qu’il a été ? À quoi rime l’entraînement qu’il a suivi avec d’autres garçons ? Furtivement, on sait que son père est mort et qu’il a tué sa mère. Comment ? Pourquoi ? Le pistolero cherche la Tour sombre et il maîtrise le Haut Parler. Il répond à un code d’honneur connu de lui seul. « Il se serait bien passé d’avoir à choisir entre la hantise de son devoir, sa quête et une amoralité criminelle. » (p. 87) À mesure que l’on pénètre dans les souvenirs d’un monde disparu et d’une enfance révolue, on comprend que quelque chose a changé, que l’univers a été bouleversé.

Puis survient Jake. C’est un enfant. Le pistolero l’entraîne dans sa chasse à l’homme, tout en sachant qu’il s’attache ainsi une faiblesse. « Aussi longtemps que tu voyages avec le garçon, l’homme en noir voyage avec ton âme en poche. » (p. 101) En écoutant les maigres souvenirs de l’enfant, on comprend que différents mondes existent en parallèle. Mais quel est l’évènement qui a précipité leur croisement ? Quel est cet avant et qu’est-ce qui a suscité sa perte ?

Beaucoup de questions, n’est-ce pas ? Dans le premier volume de ce qui constitue son œuvre monumentale, Stephen King ouvre tous les possibles et les mystères qu’il sème comme d’autres des cailloux blancs hameçonnent le lecteur et le tiennent en haleine. Je ne m’y attendais pas, mais me voilà complètement séduite par ce western post-apocalyptique fantastico-moyenâgeux. Je suis impatiente d’en savoir plus sur la Tour sombre : « La Tour s’élève sur une sorte de centre de connexion. Un carrefour dans le temps. » (p. 155)

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Comme un roman

Essai de Daniel Pennac.

Le narrateur présente une famille. Et le lecteur est chacun des membres de cette maison. Il y a l’enfant avide des histoires qu’on lui raconte le soir. Il y a l’adolescent qui peine sur un livre aux pages trop nombreuses. « Un livre, c’est un objet contondant et un bloc d’éternité. » (p. 24) Il y a les parents convaincus que lire est plus méritoire que de regarder la télé, mais qui ne ratent pas le mauvais téléfilm du soir. La lecture est regardée à l’aune de l’école, de la famille, du loisir, du plaisir, de la télévision, de l’obligation. Dans des chapitres très courts, le narrateur décline le verbe « lire » à plusieurs modes : devoir lire, aimer lire, apprendre à lire, vouloir lire, apprendre à aimer lire, etc.

Lire demande du temps, toujours. « Outre la hantise de ne pas comprendre, une autre phobie à vaincre pour réconcilier ce petit monde avec la lecture solitaire est de celle de la durée. » (p. 133) Un roman ne se donne pas sans un certain effort, mais la récompense est, semble-t-il, largement compensatoire du temps passé à tourner les pages et à déchiffrer les lignes. « Le temps de lire, comme le temps d’aimer, dilate le temps de vivre. » (p. 137)

Daniel Pennac se montre volontiers critique des techniques de l’Éducation nationale et il propose de revenir à une pédagogie débarrassée de la contrainte et de la menace. Selon lui, lire doit rester un plaisir et une rampe d’évasion, pas le motif d’un sujet d’étude et de torture intellectuelle. J’avoue être assez gênée par les positions de l’auteur. Oui, il faut donner le goût de lire aux jeunes lecteurs, mais il ne faut pas oublier que la lecture n’est pas qu’un plaisir, c’est aussi une nécessité. Nous lisons toute la journée, sans nous en rendre compte : en faisant nos courses, en conduisant, en travaillant. Il y a bien un moment où cet apprentissage doit être obligatoire et encadré.

Je ne saurais dire si j’ai vraiment aimé cet ouvrage. Certaines idées m’ont paru trop faciles, mais il paraît que certaines choses qui vont sans se dire vont mieux en se disant… Peut-être est-ce parce que je suis déjà complètement convaincue par le plaisir et la valeur de la lecture que les phrases de Pennac sont tombées un peu à plat. Je n’ai pas la télévision et elle ne manque pas tant je sais que je peux toujours trouver mieux et plus dans un livre. Quant aux dix droits imprescriptibles du lecteur tels que les envisage l’auteur, je ne peux qu’y souscrire, mais ces tables de loi littéraires ne sont pas une révolution pour moi. Finalement, j’ai probablement lu ce livre trop tard : il aurait peut-être davantage ému la jeune lectrice que j’ai été, celle qui passait de Dumas à Harlequin tant l’avidité de livre était féroce.

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Comprendre Camus

Essai graphique de Jean-François Mattéi. Illustration d’Aseyn. À paraître le 31 janvier 2013.

Albert Camus est un homme de paradoxes. Pour Jean-François Mattéi, il est surtout un homme de malentendus. Ce bref essai vise à rétablir certaines vérités et à balayer les jugements à l’emporte-pièce. C’est en analysant les trois cycles de l’œuvre camusienne que Mattéi fait le jour sur les troubles et les paradoxes de l’auteur. L’absurde est le premier convoqué, suivi par la révolte et bouclé par l’amour.

Jean-François Mattéi rappelle tout au long du texte que Camus était un grand angoissé et que la source de cette angoisse latente est l’amour fou qu’il portait à sa mère, sentiment hélas non payé de retour. « Il aimait sa mère d’un amour désespéré qu’elle ne pouvait lui rendre, sourde et demeurée, enfermée à jamais dans son silence. » (p. 19) Loin des théories freudiennes, il s’agit de voir comment le manque de reconnaissance de ses origines a troublé Camus : orphelin de père et quasiment privé de mère, l’auteur a toujours couru après l’expression d’un amour qui a fondé toute son œuvre.

On aurait tort de réduire Albert Camus à la seule peinture de l’absurde, mais c’est bien dans cet angoissant sentiment que sa création prend pied. L’absurde naît du désespoir de ne pouvoir se relier totalement au monde, notamment à sa mère qui est un univers à elle seule, et du désarroi de ne pouvoir percevoir le sens de toute chose. « L’homme et le monde seront morcelés, et le divorce sera à jamais consommé. » (p. 33) Ce hiatus originel et éternel conduit l’homme à la révolte.

« On peut s’indigner seul, on ne se révolte qu’en compagnie des autres hommes. » (p. 43) L’absurde appelle la révolte : elle est l’espoir et l’action. D’aucuns se sont étonnés, voire indignés, des positions de Camus contre la peine de mort et l’utilisation de la bombe atomique. Nombreux sont ceux qui n’ont pas compris ses propos sur la justice quand, devant les bombes lâchées dans les tramways d’Alger, il a déclaré préférer sa mère à toute justice. Pour Camus, la lutte pour la justice ne justifie jamais la mort d’innocents. « La révolte, qui procède de l’absurde, sera à la fois refus de l’injustice et consentement de l’humanité. » (p. 44) Et c’est ainsi que naît l’amour, achèvement suprême de la révolte.

Albert Camus aimait l’Algérie qui l’avait vu naître, mais il était parfaitement reconnaissant de la culture française qui lui avait permis de se sortir de la misère. Pour les Arabes comme pour les Français, impossible de concilier les deux. Et c’est parce qu’il a refusé de choisir que Camus s’est retrouvé seul, repoussé par ceux dont il partageait les idées. Voilà qui aurait pu le troubler ou l’aigrir. Mais il n’a jamais trahi ses engagements et ses idéaux. « Ce n’est pas Camus qui abandonna les positions morales universelles de la gauche ; c’est à ses yeux la gauche qui abandonnait ces positions morales dont relève l’humanité tout entière. » (p. 67) Absurde, révolté et aimant, Camus est l’humaniste ultime.

Sa mort prématurée a hissé son histoire au rang de destin. Le mythe de Camus n’est pas près de s’éteindre, mais il était temps de corriger les malentendus. Jean-François Mattéi propose un court essai riche en réflexions. Entre biographie et étude de l’œuvre, le texte réhabilite Camus, le montre sous un jour débarrassé des ombres. Le seul bémol dans ma lecture est purement formel : les fréquents changements de casse alourdissent le texte et lui donnent parfois l’air d’une leçon dont il faut retenir les informations importantes.

Les illustrations d’Aseyn sont en parfaite adéquation avec l’œuvre d’Albert Camus. Le trait est épais et dense, mais le dessin n’est jamais lourd. Et les camaïeux de noir et de gris sont étonnamment vibrants, presque lumineux. Comme dans les textes camusiens, l’étincelle de l’espoir et de l’amour est là pour faire reculer l’absurde et alimenter la révolte.

2013 est l’année Camus, alors relisez les textes de cet auteur et n’hésitez pas à découvrir l’essai de Jean-François Mattéi.

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Coeurs perdus en Atlantide

Recueil de textes (2 romans et 3 nouvelles) de Stephen King.

1960. Bobby Garfield a 11 ans et sa plus grande préoccupation est d’acheter ce magnifique vélo qui a vu dans une vitrine en ville. Ses amis sont Sully-John et Carol Gerber. Il vit seul avec sa mère, une femme souvent froide, obsédée par l’argent et peu amène avec les hommes. « Il avait peur de sa mère, et pas qu’un peu ; les colères qu’elle piquait et les ressentiments qu’elle pouvait entretenir longtemps n’étaient qu’en partie responsables de cette peur, qui tenait avant tout au sentiment affreux de n’être que peu aimé et au besoin de protéger d’autant plus ce peu d’amour. » (p. 64) Quand Ted Brautigan s’installe dans l’appartement du dessus, Bobby ne sait pas encore qu’il vit son dernier été de petit garçon. Le vieux Ted est obsédé par ceux qui appellent des crapules de bas étage, des hommes vêtus de longs manteaux jaunes qui en ont après lui. Il charge Bobby se garder l’œil ouvert et de lui rapporter toutes sortes d’évènements. Le gamin croit d’abord que Ted est fou, mais peu à peu, le monde semble devenir moins sûr.

1966, université du Maine. Pete Riley est un jeune étudiant boursier qui sait qu’il doit obtenir de bons résultats pour ne pas être recalé et ne pas être appelé par la conscription. La guerre du Vietnam vient de commencer et les consciences commencent à s’échauffer et à protester. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde à l’université. « Lorsque les gens parlent de l’activiste des années soixante, je dois faire un effort pour me rappeler que la majorité de ces mômes avaient traversé cette période de la même façon que Nate. Ils restaient plongés dans leur livre d’histoire, sans lever le nez pendant que l’histoire se produisait autour d’eux. » (p. 364) Ce n’est pas les livres d’histoire qui accaparent toute l’attention de Pete, c’est un jeu de cartes. Dans la salle commune de son dortoir, les résidents s’affrontent dans des parties enragées de chasse-cœur. Pete sait qu’il risque sa bourse à passer ses nuits au milieu des cartes, mais rien ne semble pouvoir le détourner de cette fièvre du jeu, pas même Carol Gerber.

1983. Willie Shearman est un vétéran, héros du Vietnam, qui s’est fait un métier de mendier sur la Cinquième Avenue en prétendant être aveugle. À quelques jours de Noël, on suit toute une journée de cet imposteur qui ne cesse de faire pénitence pour la raclée qui a donné à Carol Gerber quand il était gamin. En outre, il ne peut oublier la guerre et ses horreurs. « Dans la brousse, il fallait parfois quelque chose de mal pour empêcher autre chose de plus mal encore. » (p. 548) Le pire justifie-t-il le mauvais ? C’est ce que Willie ne peut s’empêcher de se demander en serrant un gant de baseball qui n’est pas le sien.

1999. John Sullivan quitte son travail et rentre chez lui. Deux femmes ont marqué sa vie. Il y a Carol Gerber qui fut sa première petite amie. Et il y a cette mama-san qui le suit depuis qu’il a quitté le Vietnam. Certes, il a réussi sa vie, mais les démons de la guerre sont accrochés à son dos, comme à celui de tous les vétérans. « Ceux qui n’ont pas eu de cancer sont alcooliques à mort, et ceux qui ont réussi à laisser tomber la gnôle marchent au Prozac. » (p. 608) Pas de gloire pour les soldats qui ont ravagé le Vietnam, juste des souvenirs aussi collants et brûlants que le napalm.

1999. Bobby Garfield est de retour à Harwich, la banlieue de son enfance. « Quarante ans, c’est long. Les gens grandissent… ils grandissent et laissent derrière eux l’enfant qu’ils ont été. » (p. 668) Mais Bobby en est certain, il va retrouver Carol Gerber. Et peut-être aussi Ted Brautigan : le vieux lui avait fait une promesse et tout indique qu’il va la tenir. Finalement, tous les indices se recoupent : le gant de baseball, le roman Sa majesté des mouches de William Golding et Carol Gerber.

Les histoires de Bobby, Pete, Willie et John Sullivan sont comme des nouvelles indépendantes, ne serait Carol Gerber qui, tel le lapin blanc, passe de l’une à l’autre et relie les intrigues et les garçons entre eux. Au cours de la première histoire, l’angoisse monte progressivement, mais le mystère reste entier. Dans les trois autres histoires, point de surnaturel, si ce ne sont quelques flocons qui pourraient très bien passer inaperçus. Quand tout se rejoint, se noue et forme enfin le tableau ultime, on ne peut que saluer le talent de l’auteur qui fonde toute son histoire sur un amour d’enfance et sur une promesse. Moi qui n’aime que très peu les romans d’horreur, j’étais d’abord inquiète en ouvrant ce livre. Mais Stephen King a produit un récit très particulier qui relève du conte initiatique, du pamphlet pacifiste et du roman à clés.

L’Atlantide, c’est l’Amérique des sixties, un continent mythique disparu sous les bombes de la guerre du Vietnam. Oui, les bombes lâchées ailleurs ont tout de même détruit le pays qui les a envoyées. Les cœurs perdus, ce sont d’abord ceux du jeu de cartes qui a rendu presque fous tous les étudiants d’un dortoir universitaire. Ce sont surtout les espoirs et les rêves qui se sont échoués, soit sur la guerre, soit sur la vie. « Les cœurs peuvent se briser. Oui. Les cœurs peuvent se briser. Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux que nous mourrions en de tels moments, mais nous ne mourrons pas. » (p. 524 & 525) C’est donc le cœur en miettes, plus ou moins rafistolé, que les êtres continuent de vivre. Carol n’est pas le personnage principal, mais elle motive toute l’intrigue à mesure que son histoire se dessine dans le récit de l’un ou les souvenirs de l’autre. Le cœur le plus perdu, c’est le sien, celui de la gamine amoureuse de Bobby, celui de l’activiste presque par hasard et celui de l’enfant maltraitée par une bande de jeunes brutes. Carol est peut-être la meilleure incarnation des sixties. Elle est les sixties, génération désabusée.

Oubliez vos préjugés sur Stephen King : ici, le maître de l’horreur est subtil et génial. Et grâce à lui, j’ai découvert un artiste, Phil Ochs. Il ne me reste qu’à voir le film de Scott Hicks avec Anthony Hopkins dans le rôle de Ted Brautigan.

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Dictionnaire des idées reçues

Dictionnaire de Gustave Flaubert.

Oui, c’est bien un dictionnaire. Les mots sont classés par ordre alphabétique. Certaines définitions se répondent. Mais bien loin du Littré, Flaubert explique les idées reçues, certes avec sérieux, mais surtout avec un parti féroce. L’auteur nous propose souvent de tonner et de fulminer : il est de bon ton d’être en pétard quand on débite un lieu commun. Le lecteur ne s’y trompera pas : Flaubert se moque ouvertement des esprits bien pensants, étriqués et petits-bourgeois. Et c’est avec jubilation que je vous offre une sélection de mon cru.

« Académie française – La dénigrer, mais tâcher d’en faire partie si on peut. » (p. 7)

« compas – On voit juste quand on l’a dans l’œil. » (p. 19)

« diplôme – Signe de science, ne prouve rien. » (p. 25)

« érection – Ne se dit qu’en parlant des monuments. » (p. 31)

« feuille de vierge – Emblème de la virilité dans l’art de la sculpture. » (p. 36)

« hachisch – Ne pas confondre avec le hachis, qui ne provoque aucune extase voluptueuse. » (p. 45)

« Koran – Livre de Mahomet où il n’est question que de femmes. » (p. 57)

« parrain – Toujours le père du filleul. » (p. 71)

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Billevesée du dimanche #56

N’en déplaise aux administrateurs de tout poil, on désigne les actrices en leur donnant du « Mademoiselle », d’après une tradition qui remonte au 17° siècle puisque c’est ainsi que l’on désignait les sociétaires de la Comédie-Française, même les femmes mariées.

Je ne suis pas actrice, mais arrêtez de m’appeler Madame et donnez-moi du Mademoiselle ! Et tant pis si ça fait vieille fille !

Alors, billevesée ?

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Kid Paddle et le lapin-garou

Roman jeunesse d’après le dessin animé de Midam, adapté par Claude Carré.

Kid Paddle adore les jeux vidéos et les monstres. Il aimerait beaucoup avoir une bête féroce bien à lui. Alors, quand le vendeur de l’animalerie lui assure que ce petit lapin blanc est en fait un lapin-garou, Kid Paddle n’hésite pas un instant. « Plus un animal à l’air inoffensif, plus il peut être d’une sauvagerie insoupçonnée ! » (p. 10) Mais les consignes du vendeur sont claires : il ne faut surtout pas ouvrir la cage après minuit. « C’est la nuit que le croisement génétique de ces lapins anthropophages avec les loups-garous de Transylvanie se révèle. » (p. 12)

Avec ses amis Horace et Big Bang, Kid Paddle est résolu à filmer la transformation de son lapin-garou. Il achète un énorme morceau de viande, installe une caméra et attend l’heure fatidique. Mais nuit après nuit, la révélation lui échappe. C’est à se demander si le garçon n’aurait pas été dupé par le vendeur de l’animalerie et si son imagination ne serait pas un peu trop fertile…

Moi et les jeux vidéos, ça fait deux. Et avec les loups-garous, ça fait beaucoup plus. Mais s’il y a un lapin, le compte est bon, quel que soit le flacon ! Je connaissais l’épisode animé et j’ai découvert avec plaisir et rigolade l’adaptation écrite. La présentation est sympathique : le texte est entrecoupé de planches du story-board et d’images directement extraites du film. C’est une petite histoire rigolote sans prétention où l’on peut voir un joli lapin blanc un peu dodu et doux. Que demander de plus ?

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Louis de Funès – Regardez-moi là, vous !

Biographie de Sophie Adriansen.

Qui est Louis de Funès ? Derrière les mimiques et la trogne pointue, qui sait que l’homme était un pianiste émérite ? Qui sait la générosité, la fidélité, le sérieux et l’acharnement professionnel de l’acteur ? Plutôt qu’une biographie linéaire, Sophie Adriansen a choisi de présenter la vie de Louis de Funès sous différents angles, en se postant du côté d’une personne qui a marqué la vie de l’acteur. Qu’il s’agisse de sa mère, de son épouse, de ses fils, de ses amis, des réalisateurs et des acteurs avec lesquels il a tourné, Louis de Funès est taillé comme un diamant. La biographe s’est attaquée au bloc mythique qu’il représente et a doucement fait émerger l’homme derrière l’acteur, mais aussi le père de famille, l’époux, l’ami et le grand timide. Sorti de sa gangue, Louis de Funès est plus éclatant que jamais. Cette biographie par touche a quelque chose du story-board : chaque point de vue est un arrêt sur image, sur une perception particulière. Ainsi, le texte est très vivant puisqu’on peut passer d’un chapitre à un autre, en choisir un ou revenir sur nos pages. Sophie Adriansen a construit sa biographie avec beaucoup d’intelligence et de finesse.

Avec cet ouvrage, c’est tout le cinéma français d’après-guerre qui nous ouvre les portes de ses studios et de ses loges. Bourvil, Jean Gabin, Claude Gensac, Claude Sautet, Gérard Oury, Édouard Molinaro, Daniel Gélin ou Michel Galabru sont au rendez-vous. Acteurs ou réalisateurs, ils ont accompagné, suivi ou soutenu la carrière d’un jeune homme survolté qui ne savait pas vivre et travailler à moitié. L’acteur a marqué la comédie à tout jamais. « Louis de Funès s’est souvent déclaré inspiré par Chaplin : il en est un héritier plus certainement qu’un imitateur. » (p. 30) Il était désespéré quand il ne voyait aucun sourire sur le visage de son public et prêt à refaire une scène jusqu’à l’épuisement (le sien et surtout celui des autres) et le rire enfin déclenché.

Entre les chapitres, il y a quelques encarts qui présentent les films de Louis de Funès, avec certaines répliques mémorables. Il y a certes l’inoubliable « Jaaaaaambier ! », mais il faut noter que Louis de Funès n’est pas un homme de dialogues. Son talent et sa force comiques résident dans ses gestes, voire ses tics, et ses mimiques. Sans aucun doute, le muet lui serait allé comme un gant. Comme je le disais à l’auteure elle-même, j’ai vu très peu de films de cet acteur. Lors des rediffusions, mes parents estimaient souvent que le programme était vu et revu et qu’on pouvait voir autre chose. Je connais La grande vadrouille, La folie des grandeurs et Hibernatus. J’ai aussi vu L’avare. C’est tout. Je ne connais aucun Gendarme et aucun Fantomas. Autant dire que j’ai abordé cette biographie avec un œil très naïf et que je l’ai refermée avec une grande envie de découvrir tous les films de cet acteur de légende.

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Madame Hemingway

Roman de Paula McLain.

D’aucuns disent qu’il y a toujours une femme derrière un grand homme. Pour Ernest Hemingway, la première d’entre elles, c’est Hadley. La première, oui, car il y en eut d’autres, même si Hadley Richardson fut la première épouse. Nous sommes en 1920, c’est l’époque des Roaring Twenties où le jazz et la prohibition contournée marquent une sortie de guerre sous les couleurs de l’euphorie et de l’insouciance. « Prenons une bonne cuite. / D’accord. Ça, on a toujours su faire. » (p. 413)

Dans ce roman, c’est Hadley qui prend la parole et qui raconte sa rencontre avec celui qui n’était tout d’abord qu’un journaliste enragé d’écriture et prêt à tout pour apprendre à devenir un écrivain. « Qu’avez-vous l’intention de faire ? / Entrer dans l’histoire de la littérature, je pense. » (p. 25) Outre cette rage de percer dans le monde des lettres, le jeune Ernest porte en lui le traumatisant souvenir de la guerre et des blessures qu’il a reçues. Tous ses démons sont déjà là, tapis derrière l’appétit d’écrire. Le mariage d’Hadley et d’Ernest est rapide et c’est tout aussi vite que le couple part à Paris. Aux dires de certains, il n’y a que là que l’on peut écrire, vraiment écrire.

Hadley comprend vite qu’elle ne peut et ne doit pas rivaliser avec l’écriture si elle veut garder son mari. Elle se fait son soutien le plus fidèle et le plus solide, alors même qu’elle dépérit dans cette ville étrangère, solitaire parmi la foule. Elle doit sans cesse composer avec les humeurs de son époux qui désespère de voir ses nouvelles publiées. Mais Ernest est un être sensible et attentif : entre deux humeurs, il fait tout pour combler son épouse et se sortir de son marasme intime. « Ce que j’ai compris, moi, c’est que si je m’occupais de ma femme – c’est-à-dire de toi – je me soucierais moins de moi-même. Mais peut-être que ça marche dans les deux sens. » (p. 112) Hadley et Ernest s’affrontent souvent, mais tiennent bon. Jusqu’à ce que la vérité éclate : il est notoire qu’Ernest avait un grand appétit pour les femmes, même si le remords accompagnait souvent ses incartades. « Les gens ne s’appartiennent qu’aussi longtemps qu’ils y croient l’un et l’autre. Il a cessé d’y croire. » (p. 468)

Dans ce Paris des années 1920, Hadley nous donne à voir Ezra Pound, James Joyce ou Gertrude Stein dans les cafés de Montparnasse et de la Rive Gauche. C’est tout un Paris mythique qui surgit sous la plume de Paula Mclain et c’est bien ce qui m’a le plus intéressée. Suivre l’éclosion de l’Hemingway écrivain est fascinant : on voit l’obscur journaliste qui court après les sujets et l’auteur en devenir qui gratte des pages pendant des nuits entières. Et quand vient enfin la reconnaissance, on peut se demander si elle valait tout ça. « Ce fut la fin du combat d’Ernest avec l’apprentissage et la fin d’autres choses également. Il ne serait plus jamais inconnu. Mais nous ne serions plus jamais aussi heureux. » (p. 309) À voir la fascination d’Hemingway pour la tauromachie, on ne peut s’empêcher de penser que l’écriture est une corrida et que l’auteur n’est peut-être pas le torero.

Par certains aspects, ce roman m’a rappelé Alabama song de Gilles Leroy, ce récit où l’on suit les déboires conjugaux et artistiques du couple Fitzgerald. On croise d’ailleurs Francis et Zelda dans les pages de ce récit. Le roman de Paula McLain est fondé sur un artifice, à savoir faire parler la femme cachée derrière l’homme. Mais créer un personnage à partir d’une personne réelle tout en soutenant l’illusion de la réalité, ça prend difficilement avec moi. Nul doute que l’auteure connaît son sujet et qu’elle s’est documentée avant de donner la parole à Hadley, mais il me manque de véritables interventions de cette épouse trimballée dans toute l’Europe. Des lettres ou des extraits de journaux auraient très largement contribué à renforcer la longue confidence de cette femme qui, finalement, reste bien impalpable malgré la volonté de Paula McLain de la sortir de l’ombre.

Le titre original est The Paris Wife et je trouve qu’il correspond beaucoup mieux au roman. Peut-être que cette expression ne fait pas suffisamment sens pour les lecteurs francophones, mais le destin d’épouse d’Hadley est liée à Paris et il est dommage que le titre français occulte cette facette du personnage. Madame Hemingway est un beau roman sur l’amour et l’abnégation conjugale. Il m’a donné envie, plus que jamais, de découvrir les œuvres d’Hemingway qui me manquent.

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Le café de l’Excelsior

Roman de Philippe Claudel.

Un homme se souvient. Quand il était enfant, il a vécu plusieurs années avec son grand-père. L’homme tenait le café de l’Excelsior. Cet endroit est désormais le réceptacle de tous les souvenirs de l’ancien gamin. Au gré de la mémoire, on découvre un passé chaleureux, bien qu’un peu crasseux, mais incroyablement doux. Le cafetier était un de ces hommes massifs qu’on sait tous avoir croisé, au moins une fois. « Grand-père avait ses pudeurs et se retenait dans ses prophéties inspirées des alcools fruitiers ou bien encore des verjus de l’Anjou. Il fut donc un poète du silence et ce qu’il n’a jamais osé dire valait bien, j’en suis certain, un plein boisseau de lauriers tressés. » (p. 14) C’est un rustre colosse, un cœur immense sous des monceaux de bougonnerie.

Entre le gosse et l’ancêtre, il y a plus qu’un lien de parenté : le vieux protège le jeune et le jeune illumine le vieux. C’est une relation qui pourrait se passer de mots : inutile de nommer les sentiments quand les personnages les incarnent à ce point. « Grand-père ainsi me réécrivait le monde, l’arrangeait à sa façon, pour me plaire, me consoler, parfaire mon éducation familiale ou historique. » (p. 33) Mais comme annoncé très rapidement, l’enfant et l’aïeul ont été séparés. Le lien ne subsiste alors qu’au travers des lettres que le cafetier envoie au gamin, d’une écriture lourde et malhabile. Mais cette correspondance gauche est une prose sublime pour le môme isolé. « Et c’est ce livre-là que j’emporterais, de préférence à tout autre, sur l’improbable île déserte. » (p. 78)

Le narrateur redevient le gamin qu’il était, ou plutôt l’enfant reprend ses droits sur le cœur de l’homme. L’amour transparaît au fil des mots et c’est une nostalgie bourrue qui s’exprime. L’enfant a fait sien le caractère de son grand-père et il ne peut évoquer son souvenir que la gorge serrée, se défendant des larmes qui perlent au coin des mots. Dans une langue superbe, Philippe Claudel donne ses lettres de noblesse au café, à l’estaminet d’antan, au troquet du coin. Il fait briller le zinc et remplit les verres. D’aucuns critiquent la philosophie du café du commerce : ne raillez pas la poésie du comptoir servie par la plume de Philippe Claudel.

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Billevesée du dimanche #55

Maintenant que la période des débauches festives est derrière nous, on peut revenir à un état éthylique normal. Mais il est peut-être temps de savoir si vous aviez ou non la bonne réponse dans le fervent débat qui vous a opposé à beau-papa ou à votre beauf : le champagne, on le sable ou on le sabre ?

Les deux, mon capitaine ! Mais traditionnellement, on le sable, c’est-à-dire qu’on le boit d’un seul coup, d’après une ancienne étymologie. Si vous le voulez le sabrer, c’est aussi possible avec le sabre de grand-papa ou le gros couteau de cuisine de maman, mais faites attention à ne pas y laisser un doigt. Et c’est bien dommage de perdre autant d’alcool juste pour faire mumuse avec une lame parce que ça se saurait si l’ouverture au sabre était économique !

Alors, billevesée ?

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La ballade de Lila K.

Roman de Blandine Le Callet.

Une nuit, des hommes casqués l’ont arrachée à sa mère. Depuis, Lila K. n’a qu’une obsession, celle de la retrouver. Internée dans le Centre, « un monde insensé aux règles implacables » (p. 12), où les autorités font tout pour la reconditionner et la réadapter, Lila se débat pour ne pas oublier. Mais il est dangereux de se faire remarquer : les caméras sont partout et tout le monde est soumis aux contrôles en tout genre. « Tout ce que vous faites, vous le faites pour mon bien, même si j’ai parfois du mal à m’en apercevoir. » (p. 283) Heureusement, Lila K. a la chance de rencontrer M. Kauffmann, puis Fernand et M. Templeton. Le premier lui promet de l’aider à retrouver sa mère. Dès lors, Lila K. fait tout pour atteindre son but. Mais à mesure que ses recherches progressent, Lila K. découvre pourquoi elle a été séparée de sa mère. Dès lors, elle engage un travail de mémoire, mais aussi d’amour.

Dans cette dystopie très bien menée, une ville parfaite de verre et de béton s’oppose à la Zone, lieu de violence et d’insécurité. Sans que cela soit clairement explicite, il semble que la science ait fait des progrès spectaculaires : les animaux de compagnie sont génétiquement modifiés et l’on crée des chimères qui assument les tâches subalternes. Dans ce Paris des années 2090, de nombreuses sources de plaisir sont prohibées, comme l’alcool ou les cigarettes. Et surtout les livres papier. Au motif de leur potentiel allergène, ils ont été retirés du marché pour être numérisés. Sous cette forme, les textes subissent des coupes ou des réécritures et les grammabooks ne sont que des supports aléatoires. Le contrôle de l’information passe désormais par un autodafé numérique.

Le récit rétrospectif de Lila K. est un exutoire au traumatisme et à la haine. Il rappelle qu’il y a toujours des anticonformistes et des réfractaires, même dans les systèmes les plus encadrés. Quant au titre, il renvoie à la chanson que la mère de Lila K. chantait. Mais cette ballade pourrait aussi être une balade, même si la promenade dans les souvenirs et dans l’appareil administratif est plus horrifique que dépaysante. Ce roman dystopique est une belle réussite, même si un ou deux dialogues sonnent faux. Mais l’intrigue est remarquable et bouleversante. Voilà un très beau roman de science-fiction et un véritable hommage à l’amour filial.

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Portrait de l’écrivain en animal domestique

Roman de Lydia Salvayre.

Jim Tobold est le roi du hamburger et de la frite. Il est au sommet du monde capitaliste. Il ne lui manque qu’une chose, passer à la postérité. Pour ce faire, il embauche une jeune auteure et la paye royalement pour qu’elle écrive sa biographie. Mieux, il veut qu’elle écrive l’évangile de Tobold. La jeune auteure entre dans l’intimité du magnat du burger et note toutes ses paroles et ses faits. « Pourrais-je longtemps me taire, […], devant les pratiques de Tobold que je jugeais aussi brutales que cynique et qu’il me fallait, non seulement justifier mais aussi magnifier dans mes catéchistiques écrits ? »  (p. 57) Car oui, c’est vraiment comme un évangile que Tobold voit sa vie et son œuvre, les deux entièrement dédiées au culte de la Libre Économie. « Je veux que King Size vende de tout, des frites et de l’esprit, je veux que l’esprit souffle et que la frite gave. » (p. 24) Oui, Tobold est un nouveau prophète !

L’écrivain est d’abord révolté par la vie d’abus de Tobold et sa conception du monde. « Être non seulement le nègre de Tobold le roi du hamburger, mais le nègre de moi-même étrangère à moi-même. » (p. 12) Mais lentement, elle s’enfonce dans le luxe qui lui est offert. Le récit est rétrospectif et l’auteure commence une réflexion sur la qualité de l’écriture et la valeur du talent. L’argent peut-il tout acheter, même le génie ? Peut-il aliéner l’acte sublime de créer ?

Suivez les mots irrévérencieux de Lydia Salvayre et venez communier à la malbouffe ! « La frite était un modèle, un refus, un style, une entéléchie. La frite était un paradigme, une métaphore, un bâtonnet emblématique. La frite était eucharistique. » (p. 117) Entre coups de griffe à tout va et cynisme aiguisé, ce roman dresse le portrait féroce d’un homme qui a fait sien les principes du capitalisme et de la globalisation, jusqu’à nommer son chien Dow Jones. Son évangile est parfaitement iconoclaste, mais également parfaitement hilarant. Et c’est une croyante convaincue qui vous le dit ! « Les petits enfants, mes amis, sont les anges à notre solde ! Ils magnifient notre œuvre de la fraîcheur de leur connerie et innocente nos profits de leur cœur pur et de leurs boucles blondes. » (p. 168) Tobold est un mystique moderne qui multiplie les frites comme d’autres les pains et dont les disciples sont légion, futurs martyrs du fast-food. Ouvrez ce roman et servez-vous une bonne tranche de noire rigolade !

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Le prix Océans

En juin, j’apprenais que j’étais sélectionnée pour faire partie du jury du prix Océans. C’est avec un immense plaisir et une très grande curiosité que j’ai lu les 12 romans en compétition. À la fin de l’été, les autres jurés et moi avons sélectionné trois finalistes. Cliquez sur les titres pour retrouver mes critiques.

Samedi, nous nous sommes réunis au café Le Sélect pour délibérer et choisir enfin le lauréat de la première édition du prix Océans. Nous avons été reçus par Sylvie Koné et Fabien Voileau de France Ô et nous avons rencontré le président du jury, Alain Mabanckou. Chacun de nous a présenté son livre favori et nos délibérations ont été nourries (dans tous les sens du terme !), chaleureuses, voire enjouées, notamment grâce à l’humour et à la gouaille d’Alain Mabanckou.

En un tour de vote, nous avons élu le roman de Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil. Ce roman était mon favori et je suis ravie qu’il reçoive un autre prix. Félicitations à l’auteure !

À l’occasion de la remise du prix qui avait lieu ce matin, j’ai pris la parole après plusieurs personnalités. Autant dire que j’étais dans mes petits souliers devant le micro et la salle. La remise du prix a évidemment été filmée. Je mettrai un lien vers une vidéo dès que j’en saurai plus. Voilà ma petite bafouille :

Au nom de mes camarades du jury, je peux dire que nous sommes très heureux d’avoir participé à la première édition du prix Océans. Nous sommes tous des lecteurs et des blogueurs avec des goûts différents, mais nous avons lu les 12 titres en compétition avec l’envie de découvrir d’autres horizons, d’autres sensibilités et d’autres écritures. En latin, lire et élire ont la même racine : nous avons donc choisi un roman parmi les 12 qui nous étaient proposés, mais chacun des titres nous a fait voyager. Grâce à ce prix, nous avons fait rimer ouverture avec lecture et dépaysant avec océans. Un grand merci à Babelio qui nous a choisis parmi ses membres, un grand merci à France Ô pour l’organisation du prix et un grand bravo à la lauréate !

Pour clore ce billet, je veux remercier Babelio et France Ô pour l’organisation de ce prix. C’est sa première édition et j’espère qu’il en vivra beaucoup d’autres ! Un grand merci à Pierre de Babelio, à Sylvie et Fabien de France Ô, à Alain Mabanckou pour avoir parrainé le prix et à mes camarades du jury pour les discussions sur le forum de Babelio et de visu.

Édit du 09 janvier : voici une vidéo. Attention les yeux, Lili Bouffie passe à la télé !

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Billevesée du dimanche #54

Pour la première billevesée de 2013, je vous propose un peu d’humour avec le Dirks Big Bunny Blog : tous les jours, des lapins qui ne sont ni vraiment crétins, ni vraiment mignons, nous proposent une saynète à hurler férocement de rire ! La preuve en image !

Alors, billevesée ?

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La loge écarlate

Bande dessinée de Pierre Colin-Thibert (scénario) et Stéphane Soularue (illustrations).

En 1770, le prince San Severo perd sa fille, Rosalia. Dévasté de chagrins, il est persuadé que son passé le rattrape. « Dieu me punit d’avoir voulu, jadis, percer les secrets de sa création… Ou alors, ce maudit Salerno a enfin réussi à m’atteindre, à me jeter un sort. » (p. 14) De Palerme à Venise, le récit remonte en 1750, quand le prince a rencontré le docteur Salerno, un savant qui voulait percer les mystères de la vie et pratique en secret des dissections de cadavres humains. « Je veux y trouver la cause de la mort et le moyen d’en retarder l’échéance… » (p. 23) Mais, rapidement, le docteur Salerno perd la mesure : il ne veut plus seulement empêcher la mort, il veut créer la vie, se sentir l’égal de Dieu, voire se passer de Dieu. « Dans la mesure où l’homme est capable de donner la mort, – et c’est même ce qu’il fait de mieux ! – pourquoi n’arriverait-il pas à créer la vie ? » (p. 54) Mais ne vous y trompez pas, il n’y a aucun principe humaniste dans ses desseins, seulement une soif de pouvoir et de gloire.

Cette très belle bande dessinée présente la franc-maçonnerie dans une Italie encore divisée en micro états. C’est à partir de faits réels et de personnages historiques que l’auteur a imaginé un récit qui oscille entre science et fantastique. Les machines anatomiques de Salerno ont réellement existé, mais Pierre Colin-Thibert en fait un conte philosophique et baroque. Au-delà de leurs théories baroques sur la manipulation de cadavres et leur hybris dévorante, ces savants un peu fous menaient un combat essentiel où la science affrontait l’obscurantisme religieux et aristocratique. « Vous vous prétendez maçon, libre-penseur, mais vous encore imprégné des valeurs d’un autre âge… Le progrès, Monsieur, n’a que faire de la morale ordinaire. » (p. 38)

Ainsi que l’annonce le titre, le rouge prédomine dans cet album. Les aquarelles ont des airs de sanguines. Tout ce rouge, c’est la vie qui palpite ou peut-être la mort qui se retire. Quant à la loge écarlate, outre le regroupement maçonnique, elle est le berceau où naît l’étincelle de vie. La loge écarlate est un one-shot très réussi, inquiétant et fascinant.

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Dans la ville des veuves intrépides

Roman de James Canon.

À Mariquita, petit village perdu de la Colombie, les hommes ont disparu un matin de 1992. Les guérilleros communistes sont venus et les ont emmenés. Désormais, le village ne compte que des veuves, des vraies et des veuves de fait, privées d’époux. « Son Mariquita chéri s’était mué en un village de veuves dans un pays d’hommes. » (p. 33) Le gouvernement n’entend pas les demandes répétées des femmes et le village tombe lentement dans l’oubli, comme effacé des cartes et du temps. D’hommes, il ne reste que le prêtre et un adolescent que sa mère a déguisé en fille pour le soustraire aux guérillos.

Après des années de déréliction, la veuve Rosalba décide de reprendre en main le village. La voici maire de la collectivité et bien décidée à rendre sa prospérité à Mariquita, à la force de ses bras et de ceux de ses compagnes. « Il n’existait rien de tel que le sexe faible. Les femmes étaient faites de chair et de sang, exactement comme les hommes. Une femme qui avait ses deux pieds plantés là où ils devaient l’être pouvait travailler comme un homme, ou même mieux. » (p. 68) Même si le manque d’hommes – le manque de l’homme – se fait cruellement ressentir, Mariquita relève la tête et reprend vie. La préoccupation première de Rosalba est de pérenniser l’espèce. C’est alors que le padre Rafael propose le noble sacrifice de sa personne pour repeupler le village. Mais cette tentative, comme celles qui suivront pour repeupler le village, est vouée à l’échec. Il y a comme une malédiction sur Mariquita : les hommes n’y reviendront qu’à une certaine condition…

Peu à peu, la notion du temps s’efface et personne ne sait plus le mesurer. Pour contrer ce lent effacement dans le temps, Rosalba met en place un calendrier parfaitement féminin qui sera la base du futur de Mariquita et de ses habitants. « Bien sûr que nous avons un avenir. Qu’il soit bon ou mauvais, c’est une autre affaire. » (p. 315) Finalement, le destin du village est lié à un accomplissement suprême, à une transformation totale pour atteindre un état à la fois autarcique et pacifié.

Chaque fin de chapitre est consacrée au portrait d’un homme, guérillero ou paramilitaire colombien. En matière de femme, je ne vous ai parlé que de Rosalba, mais vous serez aussi séduits par Orquidea, Gardenia, Magnolia, Emilia et leurs concitoyennes. Chacune d’elles se révèle loin de l’homme et de ses diktats. Il n’est pas question d’amazones et de féminisme brutal, mais d’une féminité qui prend toute la place, d’abord parce qu’elle y est contrainte, puis parce qu’elle embrasse à pleines paumes un destin sans les hommes.

James Canon se réclame de Gabriel Garcia Marquez et son roman n’est pas sans rappeler Cent ans de solitude et ses méandres familiaux et temporels. Mariquita est un village oublié qui arrache son autonomie et sa survie au néant et au désordre. Entre réalisme magique et féminisme loufoque, ce roman est drôle, grave et nourri d’intertextualité. Cette utopie de doux (douces ?) dingues n’est pas d’une originalité renversante, car elle rappelle trop de monuments littéraires sud-américains, mais elle offre un divertissement plaisant, où la cocasserie est férocement tendre et diablement féminine.

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La cloche de détresse

Roman de Sylvia Plath.

Esther Greenwood est une jeune fille talentueuse, invitée à New York pendant un mois après avoir remporté un concours d’écriture. Au fil des nuits, elle expérimente les débauches les plus diverses. Mais cet abus d’exubérances la laisse froide, rien ne lui semble ressembler à la vie. Peu à peu, l’obsession de la mort s’empare d’elle. « Je ne pouvais m’empêcher de me demander quel effet cela fait de brûler vivant tout le long de ses nerfs. » (p. 13) Lassée des soirées et des mondanités, elle redoute toutefois le retour chez elle et attend une réponse positive pour assister à un cours d’été en littérature.

Hélas, sa candidature n’est pas retenue et un été morne et vide se profile. Esther se laisse gagner par un lent découragement et une douloureuse prise de conscience. « Le problème était que cela faisait longtemps que je ne servais à rien, et le pire, que ce n’était que maintenant que je m’en rendais compte. » (p. 89) Esther ne peut plus dormir, ni lire, ni écrire ou manger. Rongée de fatigue et désespoir, elle glisse dans une dépression nerveuse et cherche à mourir plusieurs fois, en vain. « C’est alors que j’ai compris que mon corps possédait plus d’un tour dans son sac ; du genre rendre mes mains molles au moment crucial, ce qui lui sauvait la vie à chaque fois, alors que si j’avais pu les maîtriser parfaitement, je serais morte en un clin d’œil. » (p. 176) Esther se détache de la vie, des siens, de son avenir et même de son corps. La voilà « prisonnière de cette cloche de verre » (p. 202) qui pèse de plus en plus et l’isole du monde et d’elle-même.

Esther est admise dans diverses cliniques et subit une électrothérapie. Reprendre pied dans le monde semble inaccessible, même si le retour au collège reste un lointain espoir. Avant toute chose, elle doit se libérer de sa dépression, briser la cloche qui l’emprisonne. « Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’était qu’un mauvais rêve. » (p. 260) Esther n’est pas seule dans la clinique, elle retrouve Joan, une ancienne camarade. Entre les deux jeunes filles, un lien étrange se crée. Quand l’une progresse, l’autre va plus mal et vice-versa, comme des Castor et Pollux sous tranquillisants. S’échapper de la cloche de verre, de cette cloche où résonne la détresse comme un écho interminable et assourdissant, c’est plus qu’un combat, c’est un pari sur la vie à la fois hasardeux et nécessaire.

Ce récit à la première personne montre la dépression et la folie comme deux voisines qui se fréquentent de trop près. D’inspiration largement autobiographique, La cloche de détresse est un roman dérangeant et fascinant. Je me suis sentie étrangement proche d’Esther : la jeune fille bouillonne d’inspiration et de génie, mais est incapable de transformer la poussée créatrice en œuvre, au pont d’en venir à se détruire pour finalement produire quelque chose et avoir prise sur un aspect de son existence. La rédemption finale est annoncée dès le début puisque le récit est rétrospectif, mais l’histoire n’en reste pas moins haletante. On voudrait tellement aider Esther, même on se heurte indéfiniment à la même cloche de verre. Voici le roman qui ouvre mon année livresque 2013. Certes, le sujet n’est pas des plus réjouissants, mais la plume est éblouissante, à la fois torturée et vibrante.

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Billevesée du dimanche #53

Pour les fêtes de fin d’année, on aime sortir ses plus beaux atours. Et quelle plus belle occasion de se saper que de le réveillon du Nouvel An ?

On doit le verbe « se saper » à la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, la SAPE. Il s’agit d’un courant vestimentaire populaire né après les indépendances des deux Congo. La SAPE s’inscrit dans la droite ligne du dandysme : les jeunes gens s’habillent chez de grands couturiers et accordent une importance marquée à leur apparence.

Rien à voir avec les sapeurs-pompiers, donc…

Alors, billevesée ?

Avec deux jours d’avance, je vous adresse mes meilleurs vœux pour la nouvelle année !

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Les Lapinos à Lapinpinland

Roman jeunesse d’Ann Rocard. Illustrations de Pierre Couronne.

Ce dimanche matin, Philipon, Petipol et Pâquerette ont décidé de faire une surprise à Papa et Maman Lapinos : un petit déjeuner au lit ! Mais Papa et Maman Lapinos ont également une surprise : toute la famille va passer la journée à Lapinpinland, « le grand parc d’attractions pour lapins malins ! » (p. 19) Dans la voiture, les trois petits lapins chantent à tue-tête et se réjouissent de cette belle journée.

À Lapinpinland, il y a des manèges, des glissades, des barbes à papa et des jeux partout, de quoi enchanter les petits et les grands. Juste avant de partir, les enfants veulent faire un tour dans le train fantôme, mais voilà qu’ils disparaissent dans le tunnel. Que leur est-il arrivé ? Maman et Papa Lapinos sont très inquiets. Mais Philipon est un petit lapin débrouillard : même s’il n’aime pas les carottes, il a une très bonne vue et il va tirer d’affaire son frère et sa sœur. Ça mérite une chanson, non ?

Ce petit roman s’adresse aux très jeunes lecteurs qui adoreront suivre les petits lapins futés dans le parc et dans leur aventure un peu inquiétante. La majorité des illustrations sont au fusain, mais il y a aussi deux très belles pages en couleur cachées au cœur du livre. Une petite lecture très sympathique !

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Jojo Lapin

Recueils d’histoires d’Enid Blyton. Illustrations de Jeanne Bazin.

Les bons tours de Jojo Lapin

Biquette est la meilleure pâtissière de la région. Frère Ours, ce grand gourmand aimerait bien un baba au rhum aussi immense que lui. Mais les enfants de Biquette proposent un concours pour gagner le gros gâteau. « Si quelqu’un réussit à faire jaillir de la poudre de perlimpinpin d’un rocher, tu feras un baba aussi gros que Frère Ours. Mais ce sera le gagnant du concours qui aura le droit de le manger. » (p. 7) À votre avis, qui gagnera le concours ? Jojo Lapin, évidemment ! Mais je ne vous dirai pas comment il a fait jaillir la poudre de perlimpinpin.

Après s’être régalé du fameux baba au rhum de Biquette, Jojo Lapin doit encore et toujours déjouer les vilains tours de Frère Ours, Maître Renard et Compère Loup qui aimeraient le faire cuire une bonne fois pour toutes ! « Il faut que je me venge de tous les tours que ce coquin de Jojo Lapin m’a joués dans le passé. Il y a trop longtemps que ça dure ! » (p. 60) Heureusement, Jojo Lapin peut compter sur son oncle Gros-Lapin, sur son amie Séraphine la tortue, mais surtout sur sa malice ! Ce n’est pas demain que les trois vilains larrons mangeront du civet de lapin !

Jojo Lapin joue à cache-cache

Maître Renard, Compère Loup et Frère Ours sont trois idiots affamés. Si seulement ils pouvaient se mettre Jojo Lapin sous la dent ! Mais le rusé lapin a plus d’un tour dans son sac, qu’il s’agisse de clouer la queue de Renard sur son toit et de voler son repas ou de faire croire aux trois affreux que les maisons sont hantées. Jojo Lapin est aussi toujours le premier à tirer ses amis d’un mauvais pas ou d’un piège tendu par les trois vilains compères.

Mais c’est une chose de jouer des tours à de vilains bonhommes, c’en est une autre de faire des caprices. Parfois, Jojo Lapin est pris à son propre jeu de garnement. « Allons, Jojo, sois beau joueur ! On ne peut pas gagner à tous les coups ! » (p. 43) Heureusement, le lapin est aussi malicieux qu’il a bon cœur.

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D’un livre à un autre, les aventures de Jojo Lapin se ressemblent un peu. Il met en échec les mauvais plans de Maître Renard et de ses acolytes et il aime prendre du bon temps avec ses amis. Un peu gourmand, un peu tricheur, un peu filou, Jojo Lapin n’est pas un héros sans peur et sans reproche. Mais comme il est le plus malin, ce n’est que justice qu’il triomphe des trois balourds qui lui cherchent des noises.

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Tu mourras moins bête* – Tome 1 : La science, c’est pas du cinéma.

Bande dessinée de Marion Montaigne.

La professeure Moustache, affublée de la susdite pilosité et de deux protubérances ridicules que l’honnêteté nous empêche de qualifier de seins, a deux passions : les beaux gosses et la vulgarisation scientifique. Elle répond aux questions des curieux et décortique les effets spéciaux et autres invraisemblances des films d’action, de science-fiction et des séries télé. Grâce à la professeure Moustache, vous comprendrez pourquoi les sabres lasers ne peuvent pas exister et pourquoi les experts des séries TV font un travail de sagouin sur les scènes de crime ! Aidée par la plus ou moins consentante Nathanaëlle, sorte de disciple d’un génie Je-sais-tout, la professeure Moustache vous ouvrira les yeux sur les grosses ficelles du septième art. « C’est comme faire croire qu’en écrivant un blog pseudo-scientifique…, on paraîtra plus intelligent ! » (p. 34)

Désormais, je pourrais citer Marion Montaigne pendant une soirée entre potes devant un gros film américain plein d’explosions et de gadgets. On va me haïr, mais ça pimentera les séances blockbuster ! Cette bande dessinée aurait pu s’intituler La science pour les nuls collés à leur écran 16/9° ! L’astérisque dans le titre renvoie au sous-titre : Mais tu mourras quand même. Voilà, on est prévenu, comme sur le blog de l’auteure d’où sont tirées les planches qui composent ce volume. Le seul point négatif que je retire de cette lecture, c’est l’aspect très vilain des dessins. Je ne suis pas une adepte de l’école belge en bande dessinée et j’aime être surprise par des traits libres, voire anarchiques ou brouillons. Mais là, ça confine parfois au gribouillage… OK, les râleurs diront que je suis incapable d’en faire autant et que l’auteure a une formation graphique. Oui, bon, lâchez-moi : le dessin ne m’a pas plu, mais j’ai aimé les histoires.

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Parva : L’éveil de l’océan

Roman graphique d’Amruti Patil.

Sous les traits d’une très belle femme, un fleuve raconte l’origine du monde et toute la cosmogonie indienne. Dans cette transmission par le conte, il veut éveiller son auditoire à plus de sagesse. « Voici une mise en garde et un secret : faites confiance à qui déroule humblement le fil d’un récit. Méfiez-vous du fanfaron qui embellit ou complique à souhait. Ne lâchez pas l’histoire, même lorsqu’elle passe de main en main. Ne la lâchez pas. » (p. 6) Car ce qui compte, ce n’est pas l’histoire ou celui qui la raconte, c’est le message millénaire qu’elle transporte.

« Entre la fin d’un monde et le début d’un autre, Vishnu dort. » (p. 28) Ici, le début n’est qu’un des commencements possibles. Le temps est perméable et ses anneaux s’entrelacent et se superposent. Les batailles millénaires et les haines immémoriales entre les serpents et les oiseaux ou entre les asurs et les devas portent toute l’histoire du monde. Pour un peu d’amril, la boisson divine, les esprits et les démons se déchaînent. Au fil des millénaires, les dieux se mêlent aux humaines et engendrent des êtres extraordinaires. Tout cela n’est-il que légende ou n’est-ce pas une sagesse à exploiter sans fin ? « Il ne faut pas rester prisonnier des récits anciens. Comme un champ, il faut les labourer et les retourner pour que leur humus respire. On ne doit fidélité qu’à leur essence. » (p. 118)

Amruti Patil est une grande artiste. Elle maîtrise la sanguine, le fusain, le collage, le photomontage. Elle malaxe les mythes et les rend étonnamment modernes. Son roman graphique fait la part belle à l’image et le texte est doublement légende, dans le fond et dans la forme, inscrit dans des cartouches qui laissent la prééminence au visuel. Dans les dessins, on croit voir du Gauguin, du Chagal, du Klimt ou du Botticelli, mais finalement, il n’y a surtout du Patil et c’est très réussi.

Je suis entrée totalement novice dans ce récit. De l’Inde et de ses légendes, je ne connaissais que les noms de Vishnu et Brahma. Je serai donc bien en peine de vous raconter la cosmogonie que déploie Amruti Patil. Sachez toutefois qu’il est question de sagesse et de fidélité, d’amour et de désir, et d’un recommencement dont on ne voit pas la fin, peut-être parce que chaque fin est un renouveau. Ce roman graphique est une très belle œuvre : nul besoin de maîtriser les légendes indiennes pour se laisser prendre à sa beauté sauvage.

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La joie de vivre

Roman d’Émile Zola.

Orpheline à 10 ans, Pauline est recueillie par des parents éloignés. Elle quitte l’exubérance grasse du Ventre de Paris pour Bonneville, un village normand assez reculé. La fille de la belle Lisa et du charcutier Quenu se prend très vite d’affection pour son cousin Lazare, un adolescent rêveur aux projets sans cesse changeants. Mme Chanteau nourrit de grandes ambitions pour son fils, mais l’indolence placide de son époux et la goutte qui le frappe entravent ses projets. La maladie est accusée de tous les maux de la famille Chanteau : « Elle l’exécrait comme l’ennemie, la gueuse qui avait gâté son existence, ruiné son fils, tué son ambition. » (p. 41) Ce qui manque tant à Mme Chanteau, c’est l’argent.  Or, Pauline est riche de la vente du florissant commerce de ses parents. Il serait bien dommage que cet argent dorme alors qu’on pourrait l’investir pour faire de Lazare un grand homme ! Finalement, ce qui ne devait être qu’un modeste prêt se révèle une gabegie : la fortune de l’enfant est pillée et perdue dans les projets sans consistance d’un jeune homme sans poigne.

Pauline grandit et ne veut rien d’autre qu’être heureuse. Ses penchants avaricieux fondent devant les besoins de son cousin pour qui elle éprouve une inclinaison de plus en plus tendre. Pourtant, « même en donnant argent, elle se sentait moins aimée qu’autrefois. » (p. 136) Pire, sa tante en vient à l’accabler de reproches et à lui imputer les misères du foyer et les échecs de son fils. « C’est drôle, cette malheureuse Pauline ne nous a jamais porté bonheur. Et dire que les gens la croient notre ange. » (p. 167) Face à cette mesquine ingratitude, Pauline est prête à tout donner sans retour, mais on lui en veut encore davantage pour cette générosité sans faille : « elle exécrait Pauline de tout l’argent qu’elle lui devait. » (p. 168)

Le renoncement de Pauline est pourtant loin d’être achevé. Dans l’espoir de s’acheter le bon vouloir de sa nièce, Mme Chanteau lui avait promis le mariage avec Lazare. Mais il y a la Louise, la filleule, celle que Lazare ne considère pas comme un bon camarade, mais comme une fleur exotique. Pleine de sa santé franche et de sa simplicité, Pauline est encore prête à s’arracher le cœur pour que son cousin soit heureux. Mais c’est compter sans les démons qui rongent Lazare, son ennui de tout et sa terreur de la mort.

Lazare préfigure le héros décadent : torturé par l’ennui et rongé par l’insatisfaction, il est incapable de mener un projet à son terme et se prend de passion pour un sujet aussi vite qu’il est rattrapé par le désintérêt. Il tend vers des plaisirs trop raffinés et se berce d’ambitions trop grandes. Entre l’inachèvement et le taedium vitae, Lazare ressuscite sans fin à de nouveaux projets qui n’ont aucune solidité face à l’angoisse de la mort que le jeune homme porte en lui comme une Némésis.

Sous son titre aux allures printanières, ce roman est une machine à broyer les espoirs. Arrivée enfant dans un foyer au bord de la faillite, Pauline ne savait pas qu’elle y entrait pour toujours et sans espoir de recouvrer sa liberté. Les scrupules n’ont pas fait long feu et même la générosité de l’enfant a été pillée. Pauline est la bonté même et elle fait tout pour se corriger de ses travers afin d’apporter une félicité sereine dans un foyer rongé par la mesquinerie. La joie de vivre ? Pauline en est débordante, mais tout empêche son épanouissement. L’aigreur contamine toutes choses et l’entourage de la jeune femme semble s’acharner à détruire toutes les pousses des joies simples. « C’était donc possible ? La charité ne suffisait pas, on pouvait aimer les gens et faire le malheur : car elle voyait son cousin malheureux peut-être par sa faute. » (p. 291) L’abnégation de Pauline confine au sacrifice et son existence est phagocytée par des ingrats et des insatisfaits.

Ne vous fiez pas au titre bien innocent du roman : Émile Zola signe ici un tableau très violent. À l’instar de la mer qui ravage les côtes de Bonneville, une tempête sourde souffle sous le toit des Chanteau. Dans cette marine mesquine, Pauline est un bateau en perdition et Zola est la puissance supérieure qui relance les vagues. Beaucoup ont rapproché ce roman de celui de Balzac, Eugénie Grandet : il s’agit en tout cas de deux destins de femmes sacrifiés au bon vouloir des égoïstes.

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Billevesée du dimanche #52

Avec la période des fêtes reviennent les papillotes, ces chocolats ou pâtes de fruits entourés d’un message et de papier brillant.

Cette gourmandise aurait vu le jour à Lyon : un jeune commis confiseur aurait eu l’idée d’envoyer à sa belle des friandises entourée d’un mot d’amour. Surpris par son patron, le voleur amoureux aurait été renvoyé. Mais le confiseur aurait trouvé l’idée si bonne qu’il aurait décidé de la commercialiser.

Alors, billevesée ?

Avec deux jours d’avance, je vous souhaite un très joyeux Noël !

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Le petit lapin de Noël

Album jeunesse de Nadja. Illustrations d’Olga Lecaye.

Toute la famille Lapin prépare Noël. Maman cuisine des biscuits. Aline et Marine découpent des guirlandes pour le sapin. Max, Toto et Papa accrochent du houx. Personne n’a besoin de l’aide de Petit Lapin qui s’ennuie un peu.

Au matin de Noël, quelle triste surprise : il n’y a pas de cadeau dans les chaussettes ou sous le sapin ! Le Père Noël n’a pas trouvé la maison des Lapins qui était cachée sous la neige. Alors, il n’y aura pas de Noël cette année ? « Tandis que tout le monde se lamente, Petit Lapin décide quelque chose. Il va aller chercher le Père Noël. » (p. 20)

Petit Lapin marche longtemps dans la neige. Accompagné d’une souris et d’un rouge-gorge, il trouve enfin la maison du Père Noël et ramène des cadeaux pour tout le monde.

Ce petit album aux douces pages célèbre le courage des petits et le désintéressement des âmes simples. Les illustrations sont très belles, entre pastel et aquarelle. Rien de tel pour se mettre dans l’esprit de Noël. En plus, avec des lapins, ça ne pouvait être qu’une belle lecture !

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Le lapin en chocolat

Roman jeunesse d’Ann Rocard. Illustrations d’Yves Lequesne.

Julie passe les vacances dans la ferme de sa marraine Cathy. Tous les jours, elle s’occupe des animaux. Un matin, elle trouve un lapin en chocolat dans un clapier. Ce drôle d’animal s’appelle Cogolin et il aimerait bien rentrer chez lui. « Si tu me libères, je te ferai visiter mon pays. C’est un pays fantastique qui s’appelle le Pays de Sucrenpoudre. » (p. 9)

Hop, une fois le passage secret trouvé, Julie découvre un pays où les fleurs sont en pâte d’amande, les maisons en pain d’épice et les ruisseaux en sirop de menthe ou de grenadine. Elle rencontre un cochon en pâte à chou, une chatte en nougatine, un pingouin en bonbon et même un papillon en chewing-gum ! Dans ce pays de gourmandise, tout le monde est ami. Il n’y a pas de chef et c’est très bien comme ça. Mais voilà qu’un vilain lion et une méchante hyène se sont mis en tête de devenir le roi et la reine de Sucrenpoudre.

Julie doit tout faire pour sauver le pays de ses nouveaux amis. Mais attention, si tout est délicieux à Sucrenpoudre, il ne faut pas manger n’importe quoi, sinon vous vous transformez ! Et Julie est une gourmande un peu tête en l’air. Avant de sauver Sucrenpoudre des méchants projets des envahisseurs, Julie doit d’abord retrouver sa taille de petite fille.

Ce petit roman pour très jeune lecteur est bien construit. Les chapitres permettent une lecture séquencée. Les illustrations sont très appétissantes et on a bien envie de suivre Julie et Cogolin dans le passage secret pour se promener sous les arbres en sucre de ce beau pays merveilleux.

Et pour finir sur une note d’humour, petite pensée émue pour les lapins en chocolat qui sont suppliciés à Pâques…

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Au bonheur des dames

Roman d’Émile Zola.

Denise Bandu arrive à Paris après la mort de ses parents. Elle est accompagnée de ses jeunes frères, Jean et Pépé. La jeune fille croit trouver de l’aide auprès d’un vieil oncle, marchant de tissu. Mais la boutique du commerçant fait lentement faillite sous la poussée vorace du Bonheur des Dames, immense magasin de nouveautés qui s’installe peu à peu et étouffe les petits commerces du quartier. Denise trouve une place de vendeuse dans cette immense machine commerciale. Mais sa gaucherie et sa douceur la desservent grandement auprès des vendeuses, archétypes des petites Parisiennes fortes en mots. À force de patience et grâce, la jeune et blonde Denise attire l’attention d’Octave Mouret, le propriétaire du magasin.

Revoilà donc Octave que l’on avait croisé dans La conquête de Plassans et suivi dans Pot-Bouille. À la fin de ce volume, il épousait Caroline Hédouin, propriétaire d’un commerce en plein essor. Rapidement veuf, mais vite consolé par Le Bonheur des Dames qui était apporté dans la corbeille de mariage, Octave se montre un entrepreneur ambitieux et innovant. Il ne croit plus au petit magasin solitaire et spécialisé dans une gamme d’articles. « Le petit commerce y laissera encore une aile. Enterrés, tous ces brocanteurs qui crèvent de rhumatismes, dans leurs caves ! » (p. 52) Dans son énorme temple des emplettes, Octave décide de vendre de tout, du simple lacet aux meubles en passant par les casseroles. Vous voulez une robe ? Montez à l’entresol, au rayon de la confection. Il vous faut des mouchoirs ? C’est au rayon lingerie, mais gare aux querelles entre les vendeuses ! Entre publicité sans cesse étendue et primes aux meilleurs vendeurs, Octave Mouret invente le commerce moderne. Zola avait parfaitement compris les nouveaux rouages de la consommation : flatter les clientes (oui, évidemment, il n’y a que les femmes qui se laissent aller aux achats compulsifs…), promettre moins cher pour vendre plus, jouer sur l’offre et la demande, etc. Et surtout, écraser la concurrence, ne lui laisser aucune chance. « Partout, Le Bonheur des Dames rachetait les baux, les boutiques fermaient, les locataires déménageaient. » (p. 233)

On l’avait vu dans Pot-Bouille, Octave Mouret est un homme à femmes. Dans l’immeuble du précédent volume, il avait une maîtresse à chaque étage. Ici, d’aucuns s’accordent à penser qu’il y a une fille à chaque rayon. Il semble bien impossible d’attacher ce jeune veuf, un rien joyeux. « Après la mort de Mme Hédouin, il avait juré de ne pas se remarier, tenant d’une femme sa première chance, résolu désormais à tirer sa fortune de toutes les femmes. » (p. 438) C’est par sa douceur victorieuse et fière que Denise fait plier ce galant homme. L’auteur offre une vision moderne, et un peu mercantile, du conte de fées : la provinciale sans le sou qui résiste aux expédients faciles et même à l’homme qu’elle aime parce qu’elle se juge indigne de lui, le riche patron dompté par la blonde innocence d’une ingénue, pas de doute, c’est la version 19° siècle de la bergère et du Prince. Toujours dans l’optique de son étude sociale et morale d’une famille sous le Second Empire, Émile Zola fait entrer du sang neuf et pur dans une branche de la lignée des Rougon-Macquart. Visiblement, la famille ne trouvera son salut que par l’extérieur.

L’exposition au Musée d’Orsay sur les impressionnistes et la mode fait la part belle à ce roman de Zola. Pour ma part, il s’agit d’une relecture. Et comme toujours, c’est un grand plaisir de suivre les descriptions de l’auteur. La lutte des petits commerces devant les grands magasins, voilà bien une question d’actualité. Pour ne prendre qu’un seul exemple, voyons le triste sort des petites librairies qui craquent et résistent si mal sous les coups de boutoir des grands distributeurs de culture. Chez Zola, les gourmets vont vers Le ventre de Paris et les coquettes vont Au Bonheur des Dames. C’est le même étalage de marchandises et les secondes ne sont pas moins périssables que les premières. Les débordements d’étoffes rappellent les écroulements de saucisses et de pâtés dans la boucherie de la belle Lisa. Dans le grand magasin de nouveautés, Émile Zola nous chatouille d’un froufrou de mots et nous enveloppe de la soie de son style. Nous voilà habillés par les mots de l’auteur et c’est avec bonheur que je me suis glissée dans le costume sur mesure qu’il tenait à ma disposition du bout de sa plume.

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Billevesée du dimanche #51

J’ai découvert la mangue très récemment. Ce fruit est rapidement devenu un de mes préférés.

En plus d’être délicieuse, la mangue est un super fruit : un fruit couvre l’ensemble des besoins journaliers en bêtacarotène, en fibres et en vitamines A et C. Aucune raison de s’en priver !

Mais attention à vos doigts quand vous ouvrez le fruit : la lame du couteau peut très facilement glisser sur le large noyau plat et venir finir sa course dans votre pouce. Et je suis encore bien incapable de couper la mangue comme présentée sur la photo ci-dessous…

Alors, billevesée ?

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Certaines n’avaient jamais vu la mer

Roman de Julie Otsuka.

Au début du 20e siècle, des Japonaises quittent leur pays pour rejoindre leurs fiancés en Amérique. Elles ne connaissent de ces hommes que des photos et quelques lettres. Toutes espèrent trouver une vie meilleure auprès d’époux qui ont réussi sur le nouveau continent. « Sur le bateau, nous étions dans l’ensemble des jeunes filles accomplies, persuadées que nous ferions de bonnes épouses. »(p. 14) Après une éprouvante traversée, les fiancées découvrent leur promis. Au terme de la première nuit qui scelle les couples et les destins, beaucoup d’espoirs et de promesses se seront envolés. « En secret, nous espérions toutes être sauvées. » (p. 41)

Toutes ces femmes immigrées découvrent une vie plus misérable que celle qu’elles ont laissée. Elles triment dans les champs ou s’humilient au service des Américains. Il est leur difficile de s’intégrer dans ce pays si différent. « L’une des nôtres les rendait responsables de tout et souhaitait qu’ils meurent. L’une des nôtres les rendait responsables de tout et souhaitait mourir. D’autres apprenaient à vivre sans penser à eux. » (p. 47) Dans les lettres qu’elles envoient à leurs mères et à leurs proches, la plume est honteuse. Que faut-il dire ? Que faut-il taire ? Faut-il mentir et enjoliver des existences qui ne ressemblent pas aux promesses qu’elles ont aveuglément suivies ?

Ces femmes, souvent négligées par leur époux, goutent une autre douleur quand leurs enfants s’éloignent de la culture de leurs ancêtres et font tout pour être assimilés. Hélas, la guerre viendra balayer tous les efforts. Les Japonais sont les ennemis, qu’ils soient ou non nés sur le sol américain. L’exode reprend pour ne jamais finir, ou tragiquement. Le bateau de tous les espoirs n’était finalement qu’une barque de Charon qui emmenait ces femmes et leurs avenirs dans une traversée vers une rive dont on ne revient pas.

La particularité de ce roman est sa narration. C’est un « nous » qui porte tout le récit. On ne s’attache à aucun destin particulier, mais on entraperçoit des bribes d’existences. Ce roman choral exprime une douleur commune. Hélas, la troublante mélopée devient peu à peu litanie et généralité. Enfin, le titre est français est terriblement réducteur et ne traduit que les premières pages. Le titre original est bien plus explicite : The Buddha in the Attic évoque une culture qui recule, que l’on relègue dans l’oubli ou dans la honte. Finalement, ce roman est un bel hommage à des milliers de destins sacrifiés, mais j’ai quelques réserves sur sa forme.

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