On ne boit pas les rats-kangourous

Premier roman d’Estelle Nollet.

C’est un village perdu au milieu de nulle part. Personne n’en part et ceux qui sont là on peu d’espoir. « On est la lie de l’humanité. Des fions dans le trou du cul du monde. Pas moyen de partir et de toute manière l’envie qui se carapate chaque jour un peu plus. » (p. 10) À part, l’épicerie de Monsieur Den et le café de Dan, rien. L’ennui. Le néant. C’est Willie qui raconte cette histoire. Contrairement aux autres habitants, il n’a jamais quitté les lieux. Il est né ici et ça le rend malade. « Putain, comment j’ai fait pour naître ici ? On dirait que c’est un endroit qui n’existe pas. Pourtant, merde, c’est bien là que je vis. » (p. 10) Alors il va chercher à comprendre pourquoi les gens restent ici, comment ils sont arrivés et quel passé cache ce hameau oublié dans le désert.

Deuxième abandon du mois d’août. Le mystère de cette histoire est trop grand, trop opaque. Il n’est pas inintéressant, comme avec cette histoire de chèques qui arrivent d’on ne sait où. Mais ce qui m’a surtout freinée, c’est la plume. Les mots s’entrechoquent et se précipitent, la syntaxe est erratique et capricieuse et la narration très orale m’a lassée. Attention, ne vous y trompez pas, Estelle Nollet a un vrai style et une signature littéraire originale, mais je n’y ai pas été sensible. De cette auteure, j’avais beaucoup aimé son second roman, Le bon, la brute, etc

Vous n’avez pas compris le titre de premier roman ? Moi non plus et je ne suis pas allée assez loin pour le comprendre. Alors, si quelqu’un peut m’expliquer…

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Bugs Bunny Mag – Numéro 22

Dans ce numéro spécial paru à l’occasion de la sortie sur les écrans du film Les Looneys Toons passent à l’action, on trouve la bande dessinée du film (plus vite lue que le film ne sera vu, et avec plus de plaisir !), mais également d’autres histoires de ces sacrés Toons que l’on aime tant. Toutefois, n’oublions pas que Bugs Bunny est le meilleur d’entre eux ! « Bugs Bunny est le plus grand des Toons, personne ne peut dire le contraire (sauf peut-être Daffy…) » (p. 42)

Excellent cahier d’activités pour les vacances, ce magazine regorge de jeux en tout genre, toujours à propos des Toons, évidemment ! Sur fond de querelle perpétuelle entre Bugs et Daffy, ce numéro se lit avec un plaisir non dissimulé ! « D’après nos recherches, tout le monde aime Bugs alors que les fans de Daffy sont surtout des gros lards vivant dans des caves. » (p. 54) Ça, c’est envoyé ! Bref, voilà une autre parfaite lecture d’été, simple et amusante. Le fait que l’on y trouve un lapin est évidemment une qualité indéniable…

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Billevesée du dimanche #85

D’après la tradition et les superstitions marines, il ne faut pas emmener un lapin sur un bateau, ni même prononcer le mot [lapin] sur un bateau, sous peine de porter malheur à l’équipage et au vaisseau. En effet, l’animal endosse la sinistre réputation de ronger tout ce que lui tombe sous les incisives, notamment les cordages et le calfatage en chanvre, et de provoquer les naufrages des navires en rongeant la coque.

Pour évoquer l’animal, les marins usent de d’expressions et de circonvolutions, comme « l’animal à longues oreilles », « le cousin du lièvre », « le pollop » ou encore « coureur cycliste » et « langoustine des prés ».

Alors, billevesée ?

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Chocolat

Roman de Joanne Harris.

Vianne et sa petite fille Anouk s’installent à Lansquenet, village du sud-ouest de la France. Immédiatement, les langues vont bon train, car Vianne ouvre une chocolaterie juste en face de l’église, le premier jour du carême. Pour Francis Reynaud, le curé de Lansquenet, il s’agit d’une attaque aux mœurs et au sens sacré du carême. Il va tout faire pour combattre l’influence sucrée de Vianne sur le village et tenter de garder les habitants sous son contrôle. Et pour gagner son combat, il est prêt à tout, même au pire, au nom d’une foi qui confine au fanatisme. Mais Vianne sait se défendre et lutter contre l’autorité délétère du prêtre et de ses cohortes de grenouilles de bénitier. Sans être anticléricale, son athéisme est franc et simple. « Je ne crois pas que ce col blanc vous donne l’exclusivité de l’accès au Divin. » (p. 284) Et dans la boutique La céleste praline, on croise une vieille femme un peu folle, un célibataire et son chien, une cleptomane et des gitans. Un joyeux monde qui se moque d’appartenir à la sacro-sainte communauté qui reste fermée aux étrangers, aux marginaux et aux originaux.

On sent planer le fantôme de la mère de Vianne avec un passé vagabond et lourd à porter. Vianne aurait-elle des secrets ? N’est-elle pas un peu sorcière, elle qui devine les friandises préférées de chacun et qui peut voir au-delà des choses ? Vianne donne avec générosité et sans arrière-pensée, car elle sait que tout garder ne rend pas plus riche. « Tout le monde a besoin d’un petit luxe, d’un petit plaisir de temps en temps. » (p. 58) Pourquoi bouder le plaisir ? Un chocolat, une praline, un caramel, ce sont des vices bien innocents quand ils sont consommés avec le cœur, sans gloutonnerie. Du plaisir simple au plaisir défendu, il y a un pas que seules les âmes torturées et vicieuses comme celle de Reynaud peuvent franchir.

Ma première lecture de ce roman date de bien avant l’ouverture du blog et j’en gardais un bon souvenir, mais j’avais oublié la complexité des personnages. Cette histoire est loin d’être innocente ou mièvre et j’ai pris plaisir à retrouver l’atmosphère gourmande et lourde de senteurs de la boutique de Vianne. Par ces temps de canicule, le roman de Joanne Harris ne fond pas dans la main, mais sous les yeux. Je ne sais pas si je reverrai le film avec Juliette Binoche et Johnny Depp : cette adaptation m’avait paru assez niaise.

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Horizon infini

Roman graphique/comics de Gerry Duggan (scénario) et Phil Noto (dessin).

Un capitaine de l’armée américaine enchaîne les missions et les combats dans les pays où les États-Unis ont décidé de lancer des offensives. « Je savais ce que nous étions venus faire en Afghanistan, mais je l’avais oublié une fois arrivé en Syrie. Mon pays était comme un joueur de poker qui doublait la mise alors qu’il n’avait pas de jeu. » Le soldat perd le sens du combat, mais continue d’obéir aux ordres. Et voilà qu’après des décennies de guerre, le conflit doit cesser par manque de pétrole. Retour au bercail pour les militaires, s’ils le peuvent… « Je suis prêt. J’irai en enfer pour te rejoindre, Pénélope. » Pour le capitaine et une poignée de ses hommes, le chemin du retour est semé d’embûches et de dangers, comme cet étrange cyclope russe et ces sirènes qui émettent sur une fréquence internationale pour inviter les survivants à les suivre. « Nous tournions le dos au chaos que nous avions provoqué pour rentrer chez nous, sans imaginer l’enfer qui nous attendait. » Pendant ce temps, à Catskill Mountains, dans l’état de New York, Pénélope attend son époux. Elle tente de protéger son fils et sa propriété des voisins mal intentionnés et peu reconnaissants de l’aide qui leur fut apportée par le passé. Les éleveurs craignent pour leurs terres si Pénélope décide de bloquer la source qui se trouve sur son terrain et ils sont prêts à tout pour mettre la main sur la propriété de celle qu’ils estiment veuve depuis bien longtemps. Mais c’est compter sans la ténacité du capitaine et sa volonté de retrouver les siens.

Dans cette odyssée moderne postapocalyptique où New York est envahie par les eaux, il n’y a plus de dieux querelleurs et revanchards, mais l’homme se débat toujours sous le joug d’une puissance supérieure et écrasante. « Nous ne choisissions plus notre destin, nous l’affrontions. » La transposition du mythe grec dans un univers moderne, voire futuriste, n’est pas inintéressante, mais elle n’apporte rien de nouveau à l’histoire. Les opposants, les adjuvants, les péripéties, tout se retrouve à la place attendue et l’histoire se clôt comme on l’espère. La vraie valeur ajoutée de cette œuvre, c’est le traitement du mythe sous la forme du comics. Tous les codes de cet art graphique sont respectés, qu’il s’agisse du pointillisme dans la couleur, du dynamisme des dessins ou des onomatopées qui prennent des cases entières. Dans des doubles pages et des pages très structurées, l’histoire se donne à voir plus qu’à lire, à tel point que le mythe, tellement connu et ancré dans l’imaginaire collectif, pourrait se passer du texte et laisser toute la place au trait et à la couleur. Horizon infini (The Infinite Horizon pour la version originale) porte bien son titre : levez les yeux du mythe et vivez autrement l’odyssée d’un Ulysse qui, quelle que soit l’époque où il évolue, reste l’archétype du héros valeureux.

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Liberté pour les ours

Roman de John Irving.

Siggy et Graff décident un jour d’abandonner l’université. Ils joignent leurs maigres moyens pour acheter une moto qui leur permettra de faire le tour de l’Europe de l’est. « On va faire un voyage du tonnerre, Graff ; ça fait longtemps que j’y pense et je sais comment faire pour pas que ça foire. D’abord, pas de projets précis, pas d’itinéraire établi à l’avance, pas de détails. Il suffit de penser aux choses très fort. Tu penses à des montagnes, mettons, ou à des plages. Tu penses à des veuves riches et à des petites paysannes et puis tu tends le doigt dans la direction où tu penses les trouver et tu choisis les routes de la même manière, tu les choisis pour les côtes et les virages ; c’est le deuxième point, ça, choisir les routes qui vont plaire à la bête. » (p. 17) Ce sont les premiers jours du printemps à Vienne et il flotte dans l’air et dans les esprits un parfum d’insouciance. Les deux acolytes partent sur leur monture pétaradante avec le projet fou de revenir à Vienne pour libérer tous les animaux du zoo.

Voilà un certain temps que je n’avais pas abandonné un livre. Je n’ai vraiment pas réussi à m’attacher à ces deux garçons plus ou moins vagabonds et à leurs aventures picaresques, cocasses et épineuses. Plus les jours passaient et moins j’avais envie de reprendre ce livre et de connaître la suite de l’histoire. Il est parfois inutile et trop douloureux de s’acharner sur une œuvre quand il y a tant d’autres livres à découvrir. Je rends sa liberté au premier roman de John Irving. Et liberté pour la lectrice !

Du même auteur, j’avais beaucoup aimé Une veuve de papier.

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Billevesée du dimanche #84

Dans les Halles de Paris, les maraîchers bretons qui vendaient leur ail en hiver portaient de gros pulls en laine. Ce vêtement porté par les marchands d’ail est devenu, par métonymie, un chandail. Mais rien ne prouve que cette pièce d’habillement aurait fait reculer Dracula…

Alors, billevesée ?

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Une histoire d’hommes

Bande dessinée de Zep.

Franck, JB et Yvan sont partis retrouver Sandro dans sa demeure en Angleterre. Des quatre membres qui composaient le groupe Tricky Fingers, seul Sandro est devenu une rock star. Franck tient un restaurant, JB vend des surgelés et Yvan est paumé. Au cours du week-end, passé et présent se rencontrent et l’heure est alors à la tombée des masques. Près de vingt ans après la brusque interruption de l’ascension du groupe, chanteur, musiciens et parolier relisent les évènements et ouvrent les yeux, d’un commun accord, sur ce qui s’est vraiment passé, ce soir-là, dans les loges de la BBC.

Si Franck et JB, tant bien que mal, semblent avoir réussi dans leurs vies anonymes, Yvan est profondément désemparé, voire déprimé. Même sa compagne Béa ne sait plus comment l’atteindre et le faire réagir. « Arrête, Yvan… Tu restes replié sur ton amertume. » (p. 20) Quant à Sandro et son épouse Annie, ils font le deuil de leur fils de 16 ans, décédé l’année précédente. Cette tragique histoire a une résonnance sur le groupe d’amis et on comprend qu’il existe un lien très profond entre Sandro et Yvan. À tel point qu’Annie, ancienne petite amie d’Yvan, ne fait aucun mystère des sentiments qui les lient. « Tu ne m’as jamais manqué, mais à Sandro, oui. » (p. 52) Le week-end en Angleterre n’est pas la reformation du groupe de rock, mais les retrouvailles d’amis qui se sont trop longtemps perdus de vue. Si l’histoire est grave, elle n’en est pas moins touchante et parfois drôle. Potache, voilà le mot, mais jamais lourd. Cette bande dessinée parle d’amitié, de pardon et de volonté de grandir, même à près de 40 ans.

Entre flashbacks et aller-retours dans le présent, cet album one-shot permet à Zep de montrer toute l’étendue de son talent. Depuis Titeuf, l’auteur a grandi : son dessin est plus mûr et son trait, bien que plus crayonné, est plus sûr, plus affirmé. J’ai beaucoup aimé les cases qui, estompées aux angles, sont comme des pastilles temporelles, chacune croquant un instant avec nostalgie. Elles sont monochromatiques, dans des camaïeux pastel et doux. Un grand bravo à l’auteur pour son travail sur les visages qui sont très expressifs. J’ai passé un très bon moment avec cet album tendrement rock’n roll. En musique comme en amitié, the show must go on !

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De cape et de crocs – L’intégrale : Actes I à X

Bande dessinée d’Alain Ayroles (scénario) et Jean-Luc Masbou (dessin).

Résumé du coffret – Le rideau se lève sur la Venise du Grand Siècle, cité des saltimbanques et des spadassins, où le verbe est une arme et l’escrime est un art. Dans ces deux domaines, Armand Raynal de Maupertuis et Don Lope de Villalobos y Sangrin sont passés maîtres. Le premier est gascon, fine lame, poète, hâbleur, rusé ; c’est un renard. Le second est andalous, bretteur redoutable, hidalgo, ombrageux, féroce parfois ; c’est un loup. Ces deux gentilhommes en quête de gloire et de fortune vont embarquer pour une chasse au trésor qui les mènera de geôles en galères, d’abordages en duels, jusqu’aux confins des mondes.

Il est beau ce coffret, hein ?

ATTENTION RÉVÉLATIONS – Je chronique l’intégralité de la série, donc si vous voulez découvrir ces bandes dessinées, lisez en diagonale…

Acte I : Le secret du janissaire – Acte II : Pavillon noir.

Don Lope de Villalobos y Sangrin et Armand Raynal de Maupertuis sont deux amis et hommes d’honneur. Enfin, loup et renard d’honneur. Un soir, pensant voler au secours de Cénile Spilorcio , vieil homme éploré, ils découvrent une carte vers le trésor des îles Tangerines. C’est ici que commence leur fabuleuse épopée au départ de Venise. Ils rencontrent Kader le Maure et Mendoza le fourbe capitan. Don Lope s’éprend de la belle Hermine, mais leur amour est impossible. « Vos aveux m’émeuvent et votre beauté me trouble, ardente enfant ! Hélas… tout nous sépare ! Regardez-moi, regardez-nous. Vous êtes bohémienne… je suis hidalgo ! » (p. 21) De son côté, Armand tombe sous le charme de la blonde Séléné, jeune beauté dont le destin est d’épouser l’avide barbon qu’est Spilorcio. Envoyés aux galères par ce même barbon, Armand et Lope rencontrent le lapin Eusèbe : blanc, dodu et mignon, ce petit bout d’animal ne s’en laisse pas conter. Armand, Lope, Eusèbe et Kader sont désormais unis dans une même quête : découvrir avant les vilains les îles Tangerine et délivrer les belles en détresse.

Brièvement débarquée à Malte, notre fine équipe fait encore parler d’elle : « On a aperçu le loup ! Il a pris d’assaut une chaise à porteurs, à l’aide d’un cul-de-jatte et d’un lapin ! » (p. 66) Mais les quatre compères ne restent pas longtemps sur le plancher des vaches et embarquent sur un navire-pirate pour reprendre possession de la carte au trésor. Hélas, rien ne va dans le sens prévu et les voilà tous les quatre perdus sur un rocher au milieu de l’océan, jusqu’à ce que surgisse un navire-fantôme, l’illustre Hollandais Volant. Une fois qu’ils auront percé le mystère de ce bateau, Armand, Lope, Kader et Eusèbe reprendront la mer à la recherche du trésor des îles Tangerines. « Gageons qu’à force de volonté, d’astuce et de bonne humeur, nous saurons convaincre Dame Fortune de nous présenter un plus riant visage ! » (p. 96) Voilà tout ce qu’on peut souhaiter à nos chers amis…

Les traditionnels remerciements que l’on trouve à la fin de ce premier volume sont adressés à Jean de la Fontaine, Jean-Baptiste Poquelin et Jean-Yves Gaubert. Les auteurs ont de l’humour et de la culture et ils n’ont pas froid aux yeux quand il s’agit de s’attaquer à des monuments de la culture classique. Il est très appréciable de les voir malmener un peu ces mythes, mais surtout les célébrer en leur donnant un coup de neuf…et un coup de patte ! La suite avec le prochain volume !

Acte III : L’archipel du danger – Acte IV : Le mystère de l’île étrange.

Bien du monde fait voile vers les îles Tangerines. Le capitan Mendoza et l’infâme Cénile Spilorcio, ainsi que le captain Boon est ses marins crétins. « Captain ! Je suis malade ! / Un pirate ne vomit pas ! » (p. 24) Mais nos amis canidés ont déjà débarqué sur cette île étrange avec la pierre de Lune qui semble si essentielle à la découverte du trésor. Ils rencontrent Bombastus Johannes Theophrastus Almagestus Wernher von Ulm, savant un peu toqué et fasciné par les machines volantes et autres aéronefs. Ah, les belles îles Tangerines ! Leurs arbres à fromage (pas encore fait à cœur), ses mystères, ses aborigènes… Déjà attristés d’avoir perdu Kader et Eusèbe, Armand et Lope se retrouvent en fâcheuse position, dans une marmite. « Dites donc, Bombastus ! Cela vous navrerait-il le fondement de nous prêter main-forte ? » (p. 47) Pas sûr que nos beaux amis poilus apprécient de passer à la casserole !

Mais le Maure et le lapin sont saufs, heureusement ! Avalés par un monstre des mers, ils tentent de trouver la sortie de ce grand gosier putride pour retrouver leurs compagnons d’aventure. Pendant ce temps, jamais à court de ressources, Armand et Lope ont échappé à la tambouille et, avec Bombastus le fêlé, explorent l’île principale de l’archipel qui cache de nombreux mystères. « Une chose est sûre : ce lagon est aussi nébuleux que vos extrapolations. » (p. 70) Et, ô surprise !, si or et gemmes il y a sur l’île, la fortune n’est pas d’ici, elle est de la Lune. À la fin de ce deuxième volume, Armand et ses compagnons sont confrontés à d’étranges créatures, des Sélénites. Quelque chose nous dit que les îles Tangerines n’étaient qu’une escale dans le grand voyage des compagnons !

Avec ce double volume, les auteurs nous font plonger dans un univers qui bascule clairement dans le merveilleux et le fantastique. Si nous sommes toujours en pleine Renaissance, nous glissons vers des scènes étranges où le théâtre peut vous sauver la vie… La suite au prochain acte !

Acte V : Jean sans Lune – Acte VI : Luna incognita.

Nous avons laissé nos charmants héros en compagnie des Sélénites, ces habitants de la Lune qui rêvent de retourner sur leur astre. À la tête de cette pale société, il y a le prince Jean, frère du Roi de la Lune. « Ce Sélénite est lunatique ! » (p. 9) En effet, l’homme est difficile à cerner, capable de sacrifier des innocents pour son plaisir. Depuis des années, il jette à la mer des bouteilles contenant des cartes au trésor dans l’espoir qu’on lui apporte une pierre de Lune, élément indispensable pour permettre aux Sélénites de rentrer chez eux. Voici nos héros embarqués plus ou moins malgré eux vers l’astre lunaire. Objectif Lune !

Enfin réunis, Armand, Lope, Eusèbe et Kader ont également retrouvé Hermine et Séléné. Le petit lapin fait fondre le cœur des dames, ce qui n’est pas du goût de leurs galants respectifs. Chaud (lapin) devant ! Toute cette compagnie a embarqué sur le Tétrodan ascensionnel de Bombastius. Quant au savant, il a chu de l’aéronef au décollage. Plus que jamais résolu à mettre le pied sur la Lune, il offre ses services au fourbe Mendoza pour lui permettre d’atteindre à son tour l’astre de la nuit. Le capitan ne cache plus sa soif de richesse. « Mais je vous offre bien plus que l’or ! Oui… Je vous promets la Lune ! » (p. 66) Décidément, l’astre pâle suscite bien des convoitises ! En effet, si le prince Jean voulait y revenir, c’est pour se venger d’avoir été exilé et prendre la place de son frère. Le roi en appelle aux compagnons bretteurs pour sauver son trône et la paix de son blanc royaume. « Messieurs les gentilshommes, l’avenir de la Lune est entre vos mains ! » (p. 85) Pour ce faire, Armand et Lope partent à la recherche d’un fameux et mystérieux maître d’armes qui est le seul à pouvoir regrouper les cadets de la Lune.

L’épopée de ce troisième double volume n’est pas sans rappeler L’histoire comique contenant les états et empires de la lune de Cyrano de Bergerac, auteur des Lumières passionné par les voyages stellaires. Pour avoir étudié cet ouvrage, j’en garde le souvenir d’un philosophe et d’un poète fabulant sur les mystères des peuples des étoiles. Ne cherchez pas ici des principes de pression atmosphérique ou d’air respirable ! Vous trouvez que tout cela manque de réalisme ? Parce qu’un lapin qui parle, ça vous semble réaliste ? Zou, incrédules, les auteurs ne vous ont pas promis la Lune, mais un excellent moment de lecture. Force est de constater qu’ils ont tenu parole !

Acte VII : Chasseurs de chimères – Acte VIII : Le maître d’armes.

Sur la Lune, les choses vont différemment que sur la Terre. Les duels d’honneur se règlent au dernier mot et non au premier sang. « L’ultime alexandrin sera le coup de grâce, assénant sans merci douze pieds dans ta face ! » (p. 5) Armand et Lope cherchent le maître d’armes sur la face cachée de la Lune, zone étrange habitée par des chimères pendant que Mendoza et le prince Jean ourdissent un odieux complot pour déchoir le roi de la Lune. Les pirates du captain Boon sont toujours aussi crétins et ils ont toujours aussi peur d’Eusèbe. « Ô fatal rongeur ! Némésis lagomorphe ! Jonas aux longues oreilles qui va attirer sur ce galion épouvante et malheur ! » (p. 40) Comment mettre en déroute un sanguinaire équipage de corsaires ? Un petit lapin blanc suffit ! Au terme d’un long périple, Armand et Lope arrive à la forteresse de cristal, là où réside le maître d’armes.

Or, il se trouve que le maître d’armes, au premier abord, n’est pas des plus aimables. « Si j’ai bien saisi, il dit qu’on pue ? / En alexandrins. » (p. 58) En effet, l’homme d’armes est également un expert en rimes et il manie la lame et la langue avec autant d’habileté. Ah, j’oubliais ! Ce fameux maître d’armes est doté d’un nez – que dis-je ! – d’un cap, d’une péninsule… L’ayant ramené à des sentiments plus urbains, Armand et Lope convainquent le maître d’armes de participer à la défense du roi alors que le prince Jean et Mendoza font marcher leur armée vers la cité. Et l’on comprend que l’odieux capitan ne sert que son propre intérêt. « Savoure ta gloire, petit prince. Tu apprendras bientôt qui est le vrai maître de la Lune ! » (p. 92) C’est une âpre bataille qui s’ouvre sur les plaines lunaires. Nos héros en sortiront-ils indemnes ?

Attention, festival de références, de clins d’œil, de détournements et de blagues pour initiés ! Mais avec le début des vraies hostilités et les premières batailles, le ton devient un peu plus sombre, moins propice à la bouffonnerie. Carne y sangre et Maupertuis, ose et rit ! sont les cris de guerre des deux amis canidés. Et ils résonnent avec puissance sur les pâles champs de bataille de la Lune. Vite, la suite !

Acte IX : Revers de fortune – Acte X : De la Lune à la Terre.

La bataille entre les fiers compagnons terriens et l’armée de Mendoza a viré au drame. Le maître d’armes est en fâcheuse posture et le prince Jean s’est emparé du trône. Armand et ses compères ont fort à faire pour rétablir la paix sur le blanc satellite. « Qu’il soit né de la terre ou du sol sélénite, qu’il soit mime ou disert, un honnête homme habite un pays que ne borde aucun mur mitoyen : de l’immense univers, il est le citoyen ! » (p. 46) Le loup hidalgo, le renard gascon et leurs compagnons pourront-ils enfin revenir sur Terre ?

Hélas, la fin des hostilités entre les Sélénites est suivie par une brouille entre Armand et Lope à cause d’un malentendu et d’amours contrariées. Venir sur la Lune pour en venir aux mains ? Voilà qui est vraiment dommage ! Espérons que les amis sauront se retrouver, surtout parce que Mendoza, bien que défait, nourrit toujours une rage folle entre les valeureux compagnons. « Avec ses mièvreries, sa bonté sirupeuse, ses petites mines et son pelage soyeux, ce lapin incarne tout ce que j’abomine ! » (p. 79) Ah, puisque je vous dis que ce Mendoza est un lugubre personnage ! Heureusement, nos amis s’en tirent et le retour sur Terre est plein de promesses, chacun ayant retrouvé sa chacune, ou presque. Et tout s’achève sur un bisou de lapin !

Ce dernier double volume clôt toutes les intrigues et achève toutes les pistes. Mais il y a comme un petit quelque chose qui me dit qu’une suite est possible. Ah, retrouver Le rusé Armand, le fier Lope et l’adorable Eusèbe ! Ah, repartir à l’aventure, vers la Lune ou ailleurs, en compagnie de ces compagnons d’honneur et de bravoure ! Quel bonheur de découvrir cette saga et de la lire d’un seul tenant. Je vous la recommande, amis des belles lettres et des jolies bulles !

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Dans cette bande dessinée, il est tout à fait normal de voir un loup et un renard porter chausses, rapières et chapeaux à plume. Impertinents et charmants, ils ont du toupet et du panache ! Armand déclame des alexandrins dans les grands moments et Lope a peur des rats. Cette bande dessinée fait fi de l’âpre et tenace querelle entre le renard et le loup, véhiculée par les écrits médiévaux : ici, le goupil et le loup sont frères d’armes et frères de cœur. Détail mignon qui a son importance, l’adorable Eusèbe. Sachez qu’on a toujours besoin d’un petit lapin ! Ce charmant compagnon dodu et câlin tombe très souvent à pic et tire ses compagnons de mauvais pas et de situations délicates.

Au fil des pages, il vole des injures et des noms d’oiseaux qu’un certain Haddock ne renierait pas. Que dites-vous de ces sublimes épithètes : lymphatique endive, psychopompe barbu, gypaète ostéoclaste ? L’humour qui imprègne ces bandes dessinées est à la fois fin et potache et il manie aussi bien les références littéraires et théâtrales des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ainsi que des répliques de cinéma.

Le coffret est un superbe objet, massif et élégant. Les jaquettes des doubles volumes sont douces et épaisses. Et que dire des deuxièmes et troisièmes de couverture qui présentent des cartes très détaillées, à la façon des anciens parchemins sur lesquels les explorateurs s’attachaient à décrire les mille et unes merveilles des mondes inconnus. Alors, n’hésitez pas, prenez le large avec Don Lope de Villalobos y Sangrin et Armand Raynal de Maupertuis et embarquez pour une lecture divertissante, drôle, plaisante, passionnante !

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Retour à Cold Mountain

Roman de Charles Frazier.

La guerre de Sécession fait rage depuis quatre ans. Blessé à la bataille de Petersburg, Inman est en convalescence dans un hôpital militaire. Dès qu’il sera guéri, il sait qu’il devra retourner au front. Mais il a vu trop d’horreurs et trop de morts. Le décès d’un de ses compagnons de souffrance le décide à déserter et à retourner chez lui, en Caroline du Nord, à Cold Mountain, là où est restée la femme qu’il aime, même s’il doute de pouvoir jamais reprendre sa place dans le monde normal. « Si vous possédez encore le portrait que je vous ai envoyé il y a quatre ans, je vous supplie de ne plus le regarder. Je ne lui ressemble plus du tout à présent, ni par la forme, ni par l’esprit. » (p. 287) Hanté par des souvenirs traumatisants, Inman est un homme très perturbé qui cherche la rédemption et un apaisement pour son âme meurtrie. « Inman se cramponnait à l’idée d’un autre univers, un monde meilleur, et il se disait que le situer au sommet de Cold Mountain plutôt qu’ailleurs était une bonne chose. » (p. 34) Durant son long voyage, il rencontre de nombreux êtres, positifs et négatifs. Tour à tour justicier ou dépositaire des récits qu’il entend, Inman est un nouvel Ulysse que de nombreux dangers éloignent de son foyer. Ce qui l’empêche de sombrer dans le désespoir le plus complet, c’est le doux souvenir de son aimée et un livre de Bartram. « À son avis, il s’agissait d’un texte presque sacré, d’une telle richesse qu’à y puiser au hasard et à ne lire qu’une seule phrase on était pourtant assuré d’y découvrir instruction et ravissement. » (p. 469)

Pendant ce temps, au pied de Cold Mountain, dans sa propriété de Black Cove, Ada pleure la mort de son père. Belle et instruite, elle est absolument incapable de trouver sa propre subsistance et elle envisage de retourner à Charleston. « Jamais encore Ada ne s’était aperçue qu’il était si assommant de vivre, tout simplement. » (p. 129) Mais l’arrivée de Ruby, jeune femme énergique et pleine de projets, va changer la donne. À elle seule, Ruby vaut plusieurs hommes et elle reprend en main l’exploitation du domaine. Elle apprend aussi à Ada que tout se mérite et que tout labeur est récompensé. « L’âpre bataille pour la survie, voilà ce que Ruby sembla enseigner à Ada chaque jour, le premier mois qu’elles vécurent ensemble. » (p. 130) Peu à peu, Ada devient moins fragile et envisage l’avenir avec davantage de certitude, même si la guerre qui s’achève ne sera pas à l’avantage de la Caroline du Nord, territoire sudiste.

Outre la longue marche d’Inman et la renaissance d’Ada, le roman est émaillé d’histoires de toutes les personnes que les deux héros rencontrent dans leurs périples respectifs. Les récits parlent de la guerre qui a heurté tout le monde, même ceux qui étaient favorables aux sudistes. Désormais, il n’y a plus que de la lassitude. Né aux États-Unis, le courant du Nature writing excelle dans la description des paysages : Cold Mountain s’inscrit dans cette mouvance, mais j’ose un néologisme en affirmant que ce roman pourrait être la source du courant du Human nature writing. « Nous vivons dans un monde fiévreux » (p. 207) Charles Frazier dépeint des personnages aux âmes troublées qui cherchent dans le travail et dans la communion avec la nature un remède à leurs tourments. Or, Cold Mountain, perdue dans la brume, semble inaccessible et éternelle. Il ne reste alors aux hommes que l’espoir, mais sans éclat et sans gloire, juste l’espoir quotidien et têtu. « On aura beau pleurer à s’en briser le cœur, on n’en sera pas plus avancé pour autant. Le chagrin ne change rien à rien. Ce qu’on a perdu ne reviendra pas. Il restera perdu à jamais. Seules vos cicatrices empliront le vide. L’unique choix qu’on ait, c’est de continuer ou non. Mais si l’on continue, c’est en sachant que l’on emporte ses cicatrices avec soi. » (p. 475)

J’ai beaucoup apprécié ce lent récit qui se déploie au rythme des saisons, de l’été à l’hiver. Les histoires d’Inman et d’Ada se déroulent en parallèle, mais tout l’enjeu de l’intrigue n’est pas vraiment de savoir s’ils vont se retrouver, mais plutôt s’ils sauront vivre avec eux-mêmes, tout simplement. Il ne me reste qu’à voir le film adapté du roman, avec Jude Law et Nicole Kidman dans les rôles-titres, en espérant retrouver la majesté lente et douloureuse qui émane des mots de Charles Frazier.

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Billevesée du dimanche #83

L’allergie aux chats n’est pas causée par leurs poils, mais par leur salive, leur urine et toutes leurs autres sécrétions.

Alors, le prochain pénible qui refuse de me faire la bise parce que mon pull porte quelques poils de mon chat ira voir ailleurs !

Alors, billevesée ?

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Northanger Abbey

Roman de Jane Austen.

Catherine Morland est une jeune fille de dix-huit ans qui n’a pas encore fait son entrée dans le monde. Invitée à Bath par Mr et Mrs Allen, Catherine se lie rapidement d’amitié avec deux couples de frère et sœur, John et Isabelle Thorpe et Henry et Eleanor Tilney. Hélas, parmi les deux couples de frères et sœurs, il y en a un qui pratique le mensonge, la dissimulation, la tromperie et le double jeu avec un art digne des plus grands manipulateurs et cela afin de faire main basse sur des fortunes en épousant des jeunes gens crédules. Catherine devra donc apprendre à reconnaître ses vrais amis et à distinguer les trompeuses protestations d’amitié des véritables déclarations d’affection. Mais avant cela, Catherine est invitée à Northanger Abbey, une demeure qui évoque pour elles les sombres manoirs des romans gothiques dont elle raffole, notamment celui d’Ann Radcliffe, Les mystères d’Udolphe. L’esprit plein de ces récits effrayants, la jeune fille cherche des mystères et des horreurs partout. « Elle avait inventé cette histoire de toutes pièces, n’écoutant que son imagination, résolue à s’alarmer de tout, donnant de l’importance à des détails insignifiants, interprétant le moindre fait dans un sens toujours identique, dans le seul but de satisfaire l’ardent désir, qu’elle nourrissait avant même de pénétrer dans l’abbaye, d’avoir affreusement peur. » (p. 217)

Jane Austen m’avait habituée à des romans longs ou plus denses, notamment Mansfield Park. Ici, elle a signé un roman court – moins de 300 pages – et très efficace. Elle commence par ironiser sur le statut d’héroïne et ce qui fait un bon personnage féminin, notamment en se moquant aimablement des romans gothiques. « Si l’héroïne d’un roman n’est point patronnée par l’héroïne d’un autre roman, de qui peut-elle attendre protection et considération ? » (p. 37) Dans les premières pages, l’auteure s’ingénie à dépeindre Catherine comme une jeune fille tout à fait banale et plutôt indigne de figurer dans un roman. « Elle se montrait là lamentablement dépourvue de la véritable élévation d’une héroïne. » (p. 14) Mais la suite du récit ne manque évidemment pas de contrer cette première et fausse impression en présentant Catherine comme une jeune fille accomplie et dotée des meilleures vertus. « Si l’on n’a pas pu me convaincre de faire ce que je croyais mal, je ne consentirai certes jamais à me laisser duper. » (p. 111) En revanche, tout au long de son texte, l’auteure s’en donne à cœur joie avec Mrs Allen : cette coquette obsédée par sa mise et par ses toilettes est une merveille de frivolité stupide.

Très critique vis-à-vis de la société bourgeoise qui allait prendre les eaux à Bath, ce roman fustige également les manœuvres sournoises des jeunes gens en mal d’argent et cherchant à se faire épouser. Évidemment, comme dans chaque roman de Jane Austen, les couples finissent toujours par s’assortir en fonction de leurs vertus et de leur élévation d’âme. Pour le dire simplement, les gentils épousent les gentils et les vilains finissent entre eux ou seuls et dépités. Northanger Abbey est, avec Emma, un de mes romans préférés de Jane Austen. Je trouve ces deux textes plus efficaces et plus directs, voire plus cinglants. Damned, il ne me reste plus que Persuasion et Sanditon à découvrir de cette auteure !

Le téléfilm réalisé par la BBC avec Felicity Jones et J. J. Feild dans les rôles titres est très convaincant, en dépit de quelques coupes et raccourcis un peu rapides. Ce film dépeint avec brio les relations mises en scène dans le roman et la réalisation décrit très bien l’imagination débordante de la jeune Catherine Morland. La jeune et jolie Carey Mulligan incarne une jeune peste arriviste que l’on adore détester ! Une nouvelle fois, la BBC prouve qu’elle excelle dans l’adaptation à l’écran des grands classiques de la littérature britannique.

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Les fiancées du Pacifique

Roman de Jojo Moyes.

En 1946, 655 Australiennes embarquent sur le Victoria, un porte-avion de la marine britannique, pour rejoindre leurs époux en Angleterre. Mariées à des militaires britanniques pendant la guerre, elles sont prises en charge par l’armée. Avant elles, des milliers d’Australiennes ont déjà traversé la moitié de la planète pour retrouver leurs maris, dans des conditions plus ou moins confortables. « Ils n’ont plus un seul navire décent. Ils vont nous coller sur n’importe quel rafiot pour nous emmener là-bas. Ils doivent se dire que les filles qui veulent vraiment partir se contenteront du bateau qu’on leur fournira. » (p. 71)

À bord du Victoria, l’histoire s’attache particulièrement à l’histoire de quatre femmes qui partagent la même cabine. Maggie quitte ses frères et son père pour retrouver son Joe : enceinte jusqu’aux yeux, elle est une force tranquille et généreuse. Jean a 16 ans, elle est blonde et jolie, mais totalement écervelée. Frances est une beauté grave, silencieuse et solitaire qui semble dissimuler un passé encombrant. Avice est une fille superficielle obsédée par les bonnes manières et les apparences. Au cours des six semaines de traversée, les quatre femmes – et un chien – cohabitent plus ou moins facilement dans l’espace étroit de la cabine. Les premiers jours sont difficiles : le porte-avion est un labyrinthe gigantesque et mouvant et de nombreuses épouses souffrent violemment du mal de mer. En outre, les femmes doivent se soumettre à la rigueur militaire. « La vie à bord sera soumise au règlement aux us et coutumes militaires. » (p. 124) Mais, aussi gigantesque que puisse être le navire, il n’empêche pas certains rapprochements entre les femmes et les marins, peu habitués à transporter ce genre de cargaison. « Elles n’étaient décidément qu’une marchandise qu’il fallait éviter d’endommager, un lot de femmes à trimballer d’un point du globe à un autre, de leur père à leur mari, d’un groupe d’hommes à un autre en quelque sorte. » (p. 230)

Embarquées dans ce qui était un véritable périple à l’époque, les épouses ne savent pas ce qui les attend en Angleterre. Si elles savent toutes ce qu’elles laissent – une famille, un passé honteux, une vie laborieuse –, elles ne savent pas ce qu’elles trouveront ou ce qu’elles ne trouveront pas. « Je ne pense pas que ces petites Australiennes soient très difficiles, tout ce qu’elles cherchent, c’est un type qui les emmène loin de leur bon vieil élevage de moutons fermiers. » (p. 245) Certaines ne débarqueront pas sur les côtes de sa gracieuse majesté, ayant reçu un télégramme sur le bateau leur apprenant qu’elles étaient désormais non grata en Angleterre. Pour ces femmes qui se sont arrachées à leur terre natale, le mariage est un engagement complet, un plongeon dans l’inconnu. « Nous n’avons pas fait cette satanée traversée pour rien, tu ne crois pas ? Nous devons tout faire pour réussir cette nouvelle vie. » (p. 568) Au fil de la traversée, on découvre peu à peu les histoires de ces filles et, pour certaines, les véritables raisons qui les ont poussés à quitter l’Australie.

Avant d’ouvrir le roman, j’étais un peu sceptique : comment faire tout un roman d’une traversée en mer ? Après quelques pages, j’ai rangé mes vilains a priori et je me suis laissée prendre à ce récit très réussi. La vie à bord, entre routine et scandales, réserve bien des surprises, qu’il s’agisse des rencontres clandestines dans les cales du navire ou de l’organisation de l’élection de Miss Victoria. Le roman parle beaucoup des épouses australiennes, mais il ne faut pas oublier que le voyage de Sydney à Plymouth marque aussi la vraie fin de la guerre pour les marins britanniques et le retour au pays. Les extraits qui ouvrent chaque chapitre sont tirés de la presse de l’époque, de journaux intimes, de journaux de bord, de correspondances ou de témoignages recueillis par l’auteure. Ces mises en exergue contrastent très souvent avec une ironie mordante sur le contenu du chapitre. Les extraits de journaux montrent une presse encore marquée par le journalisme de guerre et la propagande. Au contraire, les témoignages se chargent de remettre les choses au clair.

L’auteure s’est fondée sur le témoignage de sa grand-mère qui fut l’une de ces Australiennes qui, ayant épousé un soldat britannique pendant la guerre, est partie le rejoindre à la fin du conflit. J’ai ressenti toute la tendresse et l’admiration de l’auteure pour ces femmes, même les plus agaçantes, qui ont courageusement quitté leur patrie pour fonder un foyer en terre inconnue. J’ai trouvé le personnage de Frances particulièrement attachant, probablement parce qu’il est le plus complexe et le plus travaillé. Le titre français est trompeur : les femmes de cette histoire sont des épouses et non des fiancées. Il n’aurait pas été honteux de suivre le titre original, The ship of Brides. Mais laissons de côté ce problème de traduction. Le roman de Jojo Moyes est une excellente lecture estivale, à la fois simple et passionnante, voire émouvante. N’hésitez pas et embarquez avec ces épouses australiennes sur le Victoria !

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Flon-Flon et Musette

Album jeunesse d’Elzbieta.

Flon-Flon et Musette sont deux jeunes lapins. Amis depuis toujours, ils savent qu’ils se marieront quand ils seront plus grands. Mais voilà que la guerre arrive. Le papa de Flon-Flon part au front et une haie d’épines sépare désormais Flon-Flon et Musette. « Il ne faut plus parler de Musette, c’est défendu ! / Pourquoi ? / Parce qu’elle est de l’autre côté de la guerre. » (p. 18) La guerre dure longtemps et fait beaucoup de bruit. Et un jour, elle est finie. Le papa de Flon-Flon revient enfin, mais la guerre n’est qu’endormie. « Est-ce que je faisais trop de bruit en jouant avec Musette ? demande Flon-Flon. / Non, répondit la maman. Les enfants sont trop petits pour réveiller la guerre. » (p. 32) Flon-Flon reverra-t-il Musette ?

Ce petit album est très joli et très bien fait pour parler de la guerre aux enfants. Les dessins, entre collages et crayon gras, ont un aspect très enfantin et très doux. Une belle histoire qui rappelle qu’il n’y a pas de conflit ou de frontière quand on est enfant.

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Les oiseaux se cachent pour mourir

Roman de Colleen McCullough.

Tome 1

Meggie Cleary est l’unique fille d’une nombreuse fratrie. Ses parents, Padraic et Fiona, mènent une vie laborieuse et économe en Nouvelle-Zélande. La famille est unie, mais les démonstrations ne sont pas fréquentes et Meggie grandit avec un besoin de tendresse inassouvi. Alors qu’elle a 10 ans, toute sa famille embarque pour l’Australie où Padraic a obtenu le poste de régisseur de l’immense domaine de Drogheda, propriété de sa sœur, Marie Carson, veuve aux desseins impénétrables. Sur ces terres inconnues, Meggie se prend immédiatement d’affection pour le père Ralph de Bricassard, jeune ecclésiastique ambitieux d’une grande beauté. « Étrange, le nombre de prêtres beaux comme des adonis, doués du magnétisme sexuel d’un Don Juan. Embrassaient-ils le célibat en tant que refuge, pour échapper aux conséquences ? » (p. 83) Le lien qui se développe entre le prêtre et l’enfant est fait d’attirance et de fascination. Malgré leur différence d’âge, Meggie et Ralph sont des âmes sœurs. Mais Marie Carson voit d’un mauvais œil ce rapprochement pour celui qu’elle considère comme son protégé et son testament met le prêtre face à un dilemme : obtenir enfin son passeport pour les hautes sphères du pouvoir catholique ou sacrifier ses ambitions au profit de Meggie. « Meggie, je t’aime. Je t’aimerai toujours. Mais je suis prêtre, je ne peux pas… je ne peux tout simplement pas ! » (p. 311)

Ralph fera son choix et Meggie, ne pouvant obtenir l’homme qu’elle aime, se résoudra à vivre la vie de femme dont elle rêve, avec un foyer et des enfants. « Pas de révolte chez Meggie, au contraire. Toute sa vie, elle obéirait, évoluerait à l’intérieur de son destin de femelle. » (p. 131) Pour assouvir son désir de maternité, Meggie épouse Luke O’Neill, un ouvrier du domaine qui ressemble beaucoup à Ralph. Hélas, le mariage est loin de combler la jeune épousée. « Elle n’avait pas d’identité propre pour lui ; elle n’était qu’un instrument. » (p. 385) Les aspirations romanesques et domestiques de Meggie volent en éclats, loin de Drogheda.

Tome 2

« C’est pour l’Église que je l’ai abandonnée, que je l’abandonnerai toujours. Je suis allé si loin au-delà d’elle qu’aucun retour n’est possible. » (p. 12) Entre Ralph et Meggie, la rupture et l’éloignement sont consommés. Ralph devient évêque, puis cardinal et il est un élément essentiel de la diplomatie vaticane pendant la Seconde Guerre mondiale. En Australie, dans le Queensland du Nord, Meggie attend le retour de son époux qui ne pense qu’à couper la canne à sucre et ne fait montre d’aucun désir de s’installer avec son épouse dans une maison bien à eux. Épuisée par une grossesse difficile, Meggie part se reposer pendant deux mois sur l’île de Matlock. C’est sur ce morceau de terre isolé que Meggie et Ralph font enfin céder à la tentation qui les tenaille depuis des années. Après cette unique étreinte, Meggie quitte son époux et revient à Drogheda pour aider sa mère et ses frères à gérer le domaine. Ce sont désormais ses enfants, Justine et Dane, dont on suit le destin. Malheureusement pour Meggie, ce qu’elle a détourné de Dieu lui sera repris au centuple.

Pour Ralph, la faute est longue à admettre et lui-même met longtemps à se pardonner. « Je sais que vous êtes prêtre, très imbu de votre état de prêtre, très conscient de votre soif d’absolu. Il est possible que vous ayez eu besoin de la leçon en question pour rabaisser votre orgueil, vous faire comprendre que vous êtes avant tout un homme et, en conséquence, pas aussi pétri d’absolu que vous le pensiez. » (p. 107) S’il incarne un modèle de prêtre pour son entourage, l’homme reste torturé par son amour pour Meggie. Prêtre et homme dans un seul corps et dans un seul esprit, sa dernière épreuve sera une révélation fracassante.  « Je crois que Ralph de Bricassart était l’un des hommes les plus tourmentés qu’il m’ait jamais été donné de connaître. Dans la mort, il trouvera la paix qu’il a vainement cherchée sur terre. » (p. 369)

*****

Vous aimez les amours impossibles et les histoires qui se déploient sur plusieurs décennies ? Vous êtes en vacances et vous cherchez une lecture facile et passionnante ? Vous êtes une fille au cœur de midinette et vous chouinez facilement ? Les oiseaux se cachent pour mourir est fait pour vous ! Ne vous laissez pas avoir par mon apparent sarcasme : j’ai passé un excellent moment avec ce roman que j’ai dévoré en quatre jours (même si je ne suis pas en vacances…) et qui m’a rappelé qu’il fait chaud ailleurs qu’à Paris ! Quel plaisir de suivre Ralph et Meggie des années 1920 aux années 1960, de l’Australie à l’Europe et pendant tous les évènements de ce siècle. L’auteure développe une certaine critique de la religion catholique et du célibat des prêtres, mais elle laisse libre cours à ses fantasmes amoureux. Sans être renversante, la plume est efficace et l’intrigue se déploie avec aisance. Seul bémol : le nombre ahurissant de coquilles dans mon édition. Certes, il s’agit d’une édition de poche, mais voir le nom d’un des héros écrit de trois façons différentes, c’est agaçant !

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Billevesée du dimanche #82

Quel est le point commun entre Moïse, Aristote, Démosthène, Virgile, l’empereur Claude, Louis II, Thomas Becket, Isaac Newton, Charles Ier, Louis XIII, Jean-Jacques Rousseau, Napoléon Ier, Lewis Carroll, Theodore Roosevelt, Paul Valéry, Somerset Maugham, Winston Churchill, Albert Einstein, Louis Jouvet, Georges VI, Philippe Tailliez, Yukio Mishima, Claude Lanzmann, Darry Cowl, Marilyn Monroe, Carlos, Patrick Modiano, Francis Perrin, Arno, François Bayrou, Bruce Willis ou encore Emily Blunt ?

Oui, ils sont tous connus. Oui, ils ont tous plus ou moins marqué leur siècle ou leur domaine d’élection. Mais plus précisément, toutes ces personnalités étaient ou sont bègues, à des degrés divers.

Alors, bi-bi-bi-billevesée ?

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Olympe de Gouges

Roman graphique de Catel Muller (dessins) et de Jose-Louis Bocquet (scénario).

Née à Montauban, Marie Gouze est une petite fille pleine d’énergie et de questions. La rumeur la veut bâtarde, fille de Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, mais Marie est élevée comme l’enfant du boucher Gouze. Devenue une jeune femme instruite et curieuse, elle est contrainte par sa famille à épouser un officier de bouche. « Je préfère la fréquentation des livres à celles des tripes. » (p. 70) Louis-Yves Aubry succombe à une fièvre peu de temps après le mariage. Veuve à 18 ans, Marie, qui se fait désormais appeler Olympe de Gouges, n’a aucun désir de se remarier. « Mon fils n’a plus de père et pourtant je me réjouis d’être une femme sans époux… Le malheur divin est ma providence ! Comment puis-je être une bonne chrétienne ? » (p. 90) Pour la jeune veuve, cette indépendance de corps et d’esprit et précieuse et elle est bien décidée à élever son fils Pierre dans les principes des Lumières. Alors, pour l’endormir, quoi de mieux que de lui lire des passages de Manon Lescaut, le sulfureux roman de l’abbé Prévost !

« Une femme ne peut pas rester seule dans ce monde. / Seule ou libre ? » (p. 112) Olympe a choisi, elle sera libre, mais jamais seule. Elle devient la maîtresse de Jacques Biétrix de Rozières, riche entrepreneur. Elle refusera toujours de l’épouser, mais l’homme sera généreux et lui assurera sa protection toute sa vie. Résidant désormais à Paris, Olympe ne tarde pas à fréquenter les cercles des érudits et des libres penseurs. Son esprit fait mouche et elle commence à écrire : romans, pièces de théâtre, pamphlets et autres textes lui assurent rapidement une renommée et une reconnaissance dans le monde des lettres, même si ses écrits ne plaisent pas à tout le monde.

Généreuse, passionnée, engagée et résolue à combattre toutes les injustices et toutes les inégalités, elle assiste aux États Généraux qui se tiennent à Versailles et au Jeu de Paume. « La Nation doit comprendre l’injustice qui est faite aux femmes. J’ai défendu les Noirs ; mes sœurs sont-elles mieux traitées ? » (p. 320) Oui, la déclaration des droits de l’homme est une belle chose, mais les femmes y sont oubliées. « Si les femmes sont reconnues responsables et punissables par la justice, alors on doit leur donner accès à l’urne et à la tribune. » (p. 328) Olympe fait de l’égalité des femmes son cheval de bataille et rédige avec ferveur la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Hélas, à force de dénoncer les excès et les défauts des révolutionnaires, elle s’attire les foudres des meneurs du soulèvement et son patriotisme est remis en cause. Elle finira guillotinée, comme tous ceux qui dérangent par leurs faits, leurs écrits et leurs pensées.

Au fil des pages, on croise Bernardin de Saint-Pierre, Condorcet, Benjamin Franklin, Danton ou au Palais Royal, partout où la Révolution s’écrit. L’ouvrage s’achève sur une chronologie très détaillée de la vie et de l’œuvre de la belle Olympe, ainsi sur des notices biographiques de tous les personnages cités. Chaque chapitre présente une date et un lieu et la page liminaire de chacun d’eux est comme une gravure fine et délicate. Un grand bravo à Catel Muller poura voir si bien rendu les vêtements de l’époque ! Ce roman graphique en noir et blanc est un très bel hommage à la figure fondatrice du féminisme social et éclairé. En ces jours où les Femen s’exposent à moitié nues pour revendiquer les libertés de la femme, il semble que le combat d’Olympe doit continuer, et de plus belle.

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Solal

Roman d’Albert Cohen.

Solal des Solal est le fils du grand rabbin de Céphalonie. À 13 ans, il tombe amoureux d’Adrienne de Valdonne, la femme du consul de France. À 16 ans, aimé de retour, il consomme cette folle passion et s’enfuit à Florence avec son amante. Mais Adrienne regrette ce coup de tête et l’abandonne. Rejeté par son père, Solal se rend en France pour terminer ses études. On le retrouve à 21 ans à Genève. Il n’a pas oublié Adrienne et cherche comment la reconquérir et la faire plier à son amour. « Adrienne n’avait qu’à attendre et à mijoter dans sa souffrance. Il irait quand il lui plairait et il ne l’en trouverait que mieux cuite. » (p. 80) L’ancienne consulesse se laisse reprendre, mais Solal s’en lasse et s’éprend d’Aude de Maussane, la future belle-sœur d’Adrienne et la fille du premier ministre français. À force de séduction et de caresses, Solal se fait aimer de la fille et du père : il obtient la main de la première et un ministère de la part du second. Est-ce enfin l’accomplissement, le bonheur serein ? Rien n’est moins sûr tant Solal est un être insatisfait.

Solal est un être orgueilleux, ambitieux et habile à saisir toutes les opportunités qui se présentent à lui, mais il est incapable de canaliser son énergie et de faire aboutir ses désirs, comme s’il estimait qu’après avoir donné l’impulsion première, les choses devait se poursuivre et s’accomplir sans lui, mais pour lui. En amour comme en affaires, il est un intrigant flamboyant, un séducteur exigeant, mais rapidement lassé. Son charme et son charisme lui offrent des victoires faciles, mais il ne sait pas s’en contenter et se laisse toujours glisser dans la mélancolie, l’ennui et le dégoût. Avec les femmes, il a des attitudes de pacha et d’amant oriental, à la fois sensuel et cruel. « Il devait se laisser adorer, mener une vie de paresse. Elle avait le devoir en somme de réparer le mal qu’elle avait fait. C’est à cause d’elle en somme qu’il allait mener bientôt une vie de corruption. Il se trompait lorsqu’il disait qu’il l’aimait. Mais peu importait. Son devoir à elle était de veiller sur lui. » (p. 133) La scène de la confrontation avec le tigre est une mise en miroir de deux personnalités puissantes, gourmandes et indomptables. Finalement, le seul être capable de dompter Solal, c’est Solal lui-même, mais sa tentative finale échoue et c’est en phénix puissamment solaire que Solal revient au monde, débarrassé de ses peines et de ses échecs.

Solal est un Juif qui hésite entre sa religion et la conversion, mais la vraie foi de Solal est la séduction, même s’il feint de haïr les femmes. Entre lyrisme amoureux et contemplation de soi, la parole de Solal est une rhétorique ambivalente. Dans le premier opus de sa tétralogie des Valeureux, Albert Cohen déploie déjà un humour acerbe à l’encontre de la bourgeoisie occidentale et de la religion. Il dénonce l’antisémitisme courant et de bon aloi qui règne en Europe après la première guerre mondiale. « Bilan du mariage mixte. Je suis haï des miens et des tiens. Tu es haïe des tiens et des miens. Et nous nous haïssons d’être haïs. » (p. 409) Avec les Valeureux de France, ces cinq oncles plus ou moins proches de Solal, Albert Cohen dessine un portrait très complet du juif tel que la société européenne se le représente, à savoir paresseux, filou, menteur, voleur et un rien imbécile. Mais Saltiel, Mangeclous, Salomon, Michaël et Mattathias sont en réalité un superbe contrepoids au personnage de Solal : ils mettent sans cesse en valeur ce beau neveu qui porte tous les espoirs de la famille et qui est si généreux avec les siens. Finalement, le peuple juif obtient un vibrant hommage, même dans le reproche. « Un peuple poète. Un peuple excessif. Chez nous, les grotesques le sont à l’extrême. Les avares, à l’extrême. Les prodigues, et il y en a beaucoup plus, à l’extrême. Les magnifiques, à l’extrême. Le peuple extrême. » (p. 379)

Belle du Seigneur, troisième volume de la tétralogie, montre les amours de Solal et d’Ariane (encore une femme dont l’initiale est [a]). Solal initie la destinée du beau héros juif, avant l’ultime combustion amoureuse. Il me tarde de lire Mangeclous et Les Valeureux pour achever ma découverte de l’œuvre magnifique d’Albert Cohen.

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Billevesée du dimanche #81

Depuis le Moyen-Âge, les cloches (celles qui font ding-dong, pas celles qui font hein-quoi) ont des marraines qui choisissent leur nom. Oui, c’est tout pour aujourd’hui.

Alors, billevesée ?

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Curiosités infernales

Textes rassemblés par P. L. Jacob (1806-1884). Présentation et notes de Stéphane Vautier. Photographies de Jean-Louis Marteil (Oui, le bonhomme est le Hitchcock de l’édition, toujours prêt à faire une apparition dans ses œuvres)

Sous-titre : Diables, sorciers, fées, elfes, lutins, possédés, vampires, spectres, loups-garous, etc.

La première partie de cet ouvrage porte sur le diable. « L’on mesure alors combien l’utilisation de cette figure du mal absolu se fait souvent dans un but politique et moral. […] Les anecdotes ont parfois être issues de récits populaires, leur signification est la plupart du temps porteuse d’une dimension moralisatrice pour discréditer un adversaire, comme ce fut le cas pour Luther de la part de certains catholiques. » (p.22) Il est fascinant de constater comment l’existence du diable est devenue aussi communément admise que celle de Dieu et comment le pandémonium s’est heurté à une cohorte de saints. Avec la création de cette figure du mal absolu, l’Église a rendu le combat plus juste puisque le bien suprême affrontait donc une unique figure maléfique et non des légions de petits démons mineurs. Mais le combat est également devenu plus glorieux puisque le dieu de toute puissance a trouvé un adversaire à sa mesure. En identifiant diverses figures maléfiques sous un seul vocable, l’ennemi est plus facile à identifier, à combattre et – jeux de mots – à diaboliser. Les textes compilés par P. L. Jacob présente le diable comme un abject séducteur coupable d’enlèvements, de promesses fallacieuses ou de possessions, intervenant auprès des esprits faibles ou des saints potentiels pour les pervertir.

En opposition radicale au diable, on trouve les anges et les fées. « Leur rôle a toujours été ambigu, entre séduction, enlèvement et protection des lieux et des passants, et cela jusqu’à nos jours où les récits de dames blanches s’adaptent à la modernité, tandis que les fées séductrices trouvent une nouvelle incarnation dans la publicité. » (p. 21) D’origine celtique ou nordique, les elfes s’apparentent aux fées et sont les bons génies des airs et de la terre. Viennent ensuite les esprits, j’ai nommé les gnomes, les silphes, les nymphes, les follets, les lutins et les salamandres. Ils habitent et animent chaque chose du monde et sont les forces telluriques et cosmiques de la nature. Enfin, n’oublions pas toute la sinistre clique des spectres, des âmes en peine et des vampires, tous ces défunts qui passent dans le monde des vivants et brouillent les frontières entre vie et mort.

Revenons aux méchants. « À la fin du Moyen Âge, le diable est devenu le contre dieu, celui qui règne sans partage sur les enfers et qui peut infester tout un chacun. Les possédés sont la preuve de sa puissance maléfique. » (p. 151) Ainsi, les ensorcellements, les sortilèges, les possessions, les hystéries et autres épilepsies étaient la marque du diable. Stéphane Vautier avance une hypothèse fascinante sur les loups-garous : « La croyance dans l’existence d’hommes se changeant en bête et, danger majeur oblige, en loup, est une croyance vivace qui pourrait trouver son origine dans la tradition franque de chasser de la communauté un homme qui, condamné, ne pouvait pas payer son crime. Repoussé dans la nature, il devient pareil à une bête sauvage, à un homme-loup […] » (p. 171) L’ouvrage ne le mentionne pas, mais il en va peut-être de même pour Big Foot et tous ses copains poilus des montagnes.

Le florilège démoniaque constitué par P. L. Jacob convoque des personnages de contes de fées dignes d’une veillée macabre, mais révèle également un bon sens populaire pétri de légendes, de traditions et d’observations. Aussi fantaisistes que paraissent les histoires rassemblées, elles sont loin d’être complètement ineptes puisqu’elles participaient d’une tentative d’explication du monde à une époque où la science n’avait pas encore conquis tous les domaines. Les prodiges et les présages désignaient tout ce que l’esprit humain ne savait pas encore expliquer et tout ce qui échappait à la science. En appeler à dieu ou à diable, loin d’être une faiblesse d’esprit, était le recours pour tenter une première rationalisation du monde et de définition des destinées. Ainsi, quand P. L. Jacob, érudit positiviste, présente ces textes, la science commence à expliquer les phénomènes naturels et les manifestations prodigieuses se réduisent comme peau de chagrin, l’esprit n’ayant plus besoin d’inventer pour expliquer et savoir. Il serait donc très réducteur de considérer avec mépris toutes ces curiosités infernales. En effet, l’homme ne supportant pas l’incompréhension (comme la nature et son horreur du vide, paraît-il), il préférait se donner une réponse effrayante que rester sans réponse.

La compilation effectuée par P. L. Vautier est très érudite et témoigne d’une grande ouverture d’esprit, sans mépris pour les textes issus de ce que le 19e siècle a commencé à appeler le folklore. On trouve des légendes, des récits populaires, des textes religieux, des traités scientifiques ou philosophiques, des témoignages et des minutes de procès ou encore des lais médiévaux. Les textes issus de différentes époques et de différentes zones géographiques européennes entrent en résonance et permettent d’élaborer des portraits très complets, presque en trois dimensions, des diverses figures citées. Le 19e siècle était friand de compilations et de collections, en témoignent les cabinets de curiosités si répandus à cette époque. Le 19e siècle est aussi la grande période du positivisme et de l’expérience : chaque sujet devient digne d’étude et d’analyse. Avec la résurgence des croyances populaires et le début du recul de la religion catholique, P. L. Jacob a exploré un terrain foisonnant.

Stéphane Vautier a un véritable talent pour mettre en valeur et expliciter des textes historiques. Avec Chouan et espion du roi, il explorait les mémoires de Michelot Moulin. Ici, il commente une somme de textes très divers. Ses notes de bas de page sont très complètes et la légère modernisation de la langue des textes anciens permet une lecture aisée de cet ouvrage. Je n’ai finalement qu’un seul reproche à formuler à l’encontre de cet essai, à savoir l’absence de conclusion. C’est un peu rude de laisser le lecteur de cette façon. ! Une page aurait suffi. Et là, c’est clairement l’élève traumatisée par la khâgne qui s’exprime : rendre un devoir sans conclusion, c’est la bulle assurée, ou pas loin. Outre ce détail de forme, je vous recommande chaudement (comme l’enfer) cet ouvrage très accessible et passionnant !

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La grande bleue

Roman de Nathalie Démoulin.

En 1967, Marie a 17 ans et des rêves plein la tête. Sa vie sera extraordinaire, sans comparaison avec celle de ses parents. Mais elle épouse Michel à 18 ans, a deux enfants presque coup sur coup, comme si sa vie se déroulait à son insu. Il reste un rêve de mer et de soleil, incarné par des starlettes qui se dorent au soleil. Sans aucun doute, la vie serait plus belle au bord de la Méditerranée. Mais le quotidien de Marie, c’est Vesoul, parfois Besançon, et l’usine Peugeot. La chaîne. La chaîne du Jura ? Non, la chaîne de montage, la chaîne de conditionnement. La cadence et le rythme des battements de cœur calqué sur l’horloge du grand atelier. De temps en temps, il y a des rumeurs de grèves menées ailleurs qui font sursauter la monotonie. Tous les jours, tous les soirs, les ouvriers syndiqués appellent au rassemblement, à la lutte, mais c’est déjà tellement difficile de tenir toute la journée et de s’occuper ensuite de la maison. « Marie Brulhard qu’on appellera bientôt la Bleue, comprendre l’éternelle nouvelle, l’éternelle paumée. » (p. 89)

La vie n’est pas tout à fait pauvre, mais elle est obligatoirement laborieuse. Alors, les vacances, ces échappées de dix jours au bord de la mer, ce sont des instants trop précieux que l’on range tout de suite sous du papier de soie, comme cette robe bleue qu’on ne remettra plus, mais qui chante si fort un souvenir interdit. On n’est pas tout à fait malheureux non plus, mais on rêve d’autre chose. « Tout ce qui vit s’accompagne d’une douleur sourde dont on ne sait pas la nature. On est avide de la vie des autres. » (p. 89) Ce « on » qui rythme les pages, c’est la déshumanisation lente, la perte de soi au milieu des autres ouvriers et d’une décennie qui va soudainement trop vite. Marie voudrait se libérer, mais par où commencer ? « Il faudrait commencer par dire qu’avant tout on veut en finir avec soi-même, que divorcer c’est se donner une chance d’être la femme que l’on voit naître autour de soi, en ces années 1970. […] On a vingt-cinq ans, huit ans de mariage, noces de coquelicot, trois ans d’usine, noces de froment, et ça devrait durer comme ça jusqu’à la fin de la vie ? » (p. 148)

Cette lecture n’est ni une réussite, ni un échec. D’abord entraînée par la narration d’un souffle et les longues phrases, j’ai fini par m’empêtrer dans le ton monocorde et à perdre toute empathie pour Marie. J’ai compris le sens du « on », mais comme dans le roman de Julie Otsuka, Certaines n’avaient pas vu la mer, où le « nous » préside toute la narration, il m’a manqué une individualité plus marquée pour vraiment m’attacher au personnage.  Chaque chapitre est une année, de 1967 jusqu’au tout début des années 1980 et le récit présente en filigrane la crise qui a frappé le monde industriel français. Il plane sur ce roman une nostalgie dont je n’ai pas saisi toute la portée, n’ayant pas connu les années 1970. Détail personnel : si j’ai autant apprécié les descriptions et les déambulations des personnages dans Besançon, c’est sans aucun doute parce que j’y ai passé le week-end, chaleureusement accueillie par Miss Alfie et son mec. Bref, une lecture douce-amère, pas déplaisante, mais un brin décevante.

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Chanson des mal-aimants

Roman de Sylvie Germain.

Née sous une pluie d’étoiles, Laudes-Marie Neigedaoût est albinos. Immédiatement abandonnée par sa mère dans un cageot de framboises, l’enfant portera toute sa vie un âpre ressentiment envers ceux qui n’ont pas voulu d’elle. « Mes parents n’étaient ni des héros ni des martyrs de la dernière guerre, pas même des gens ordinaires morts sous un bombardement. Juste deux renégats qui m’avait légué le tourment de leur anonymat pour tout héritage, et une inaltérable blancheur de sac de farine en prime » (p. 35) D’abord recueillie par un couvent, Laudes-Marie finit la guerre cachée dans une maison en montagne, avec d’autres enfants. Mais partout où elle passe, elle ne laisse que mort et désolation, comme si sa présence avait le pouvoir d’éteindre les existences. « J’avais juste dix ans et j’étais orpheline à répétition. » (p. 41) Rien de surprenant à ce qu’elle développe un goût prononcé pour la solitude et le silence. L’enfant amère et avide de mots grandit dans un dénuement presque total d’affectation et n’a de cesse de ruminer sa haine/amour pour ses parents déserteurs, rêvant pourtant de prendre son envol et de goûter au bonheur. « Même les ailes imaginaires ont besoin d’être soignées, lustrées, développées. Surtout les ailes imaginaires. Sinon on finit comme Antonin, des galets amassés dans les poches, des éboulis au fond du cœur, et vlan ! on se jette dans le gave. » (p. 46)

Adulte, Laudes-Marie entre comme domestique dans des maisons particulières et dans des hôtels. Elle ne reste jamais longtemps en place, poussée par un besoin d’avancer. « Je n’étais qu’une passante poudrée à frimas, filant au ras des murs, au ras des jours, tellement insignifiante aux yeux des gens qu’il me semblait parfois ne même pas projeter d’ombre. » (p. 130) Dans sa grande solitude laborieuse, Laudes-Marie voit tout, entend tout et noue des liens avec des personnes disparues. « J’avais le chic pour me lier d’amitié avec des voix, des sourires et des larmes de femmes défuntes. Comme quoi la mort n’empêche rien. Enfin, pas tout. » (p. 154) Il faut dire que Laudes-Marie ne semble pas vraiment de ce monde et il ne s’agit pas seulement de la couleur de sa peau. Quelque chose en elle semble impalpable, inatteignable.

De 1939 à 2000, Laudes-Marie fait le récit de sa vie. Narratrice impartiale, sans état d’âme, elle montre le beau et le laid de son existence, les flots de sang, les pertes et les douleurs. Le récit a des airs d’élégie et de chant funèbre, comme si cette fille albinos était morte à elle-même depuis bien longtemps en raison d’un manque d’amour ou parce qu’elle a reçu et donné des sentiments trop imparfaits. Ce roman est très beau, mais j’en ai largement préféré d’autres de Sylvie Germain, comme Le livre des nuits ou Jours de colère. En fait, je préfère quand cette auteure présente les destins croisés des membres de familles monstrueuses : les récits centrés sur des individus uniques m’ennuient un peu, comme ce fut le cas de Magnus ou de Nuit-d’Ambre qui restent toutefois de très beaux textes.

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Moll Flanders

Roman de Daniel Defoe.

L’argument donné par l’auteur en première page est le meilleur résumé possible.

« Heurs et malheurs de la célèbre Moll Flanders, qui naquit à Newgate, et, pendant une vie continuellement variée qui dura soixante ans, en plus de son enfance, fut douze ans une catin, cinq fois une épouse (dont une fois celle de son propre frère), douze ans une voleuse, huit ans déportée pour ses crimes en Virginie, et enfin devint riche, vécut honnête et mourut pénitente. D’après ses propres mémorandums. » (p. 25)

Voici donc les mémoires repentants de Moll Flanders, très jolie femme que le destin malmène sans cesse. Dès l’ouverture de son récit, la narratrice sait convoquer la pitié du lecteur et démontrer que les malheurs sur sa route ne sont pas de sa responsabilité, ou pas tout à fait. « C’est la demande la plus raisonnable qui soit au monde que ne point vous blâmer pour ce qui n’est point de votre faute. » (p 169) Tout en affirmant sa grande honnêteté et sa grande sincérité, elle bat sa coulpe en expliquant que ses différentes déchéances sont le résultat de faits indépendants de sa volonté.

Moll Flanders est venue au monde dans une situation peu favorable, mais avec des ambitions et une sainte horreur à la perspective d’entrer en service chez les autres. Moll veut devenir une dame de qualité, sans vraiment savoir ce que cela signifie, avoir du bien et se marier à un homme bon et beau. Mais elle est coquette et un brin écervelée. « Quand une jeune personne se trouve belle, elle ne doute jamais de la sincérité d’un homme qui lui dit être amoureux d’elle ; car, si elle se croit assez charmante pour le captiver, il est naturel d’en attendre les effets. » (p. 59) Après s’être fait embobiner par un beau parleur, Moll veut croire qu’elle a gagné en jugeote et elle ne manque pas de parsemer son récit d’habiles conseils à l’attention des représentantes de son sexe.

Le long récit ininterrompu (plus de 500 pages sans chapitre !) fait défiler les années et les maris. Moll Flanders enchaîne les bonnes et les mauvaises fortunes avec une capacité déconcertante à toujours retomber sur ses pattes et à se tirer des pires situations. Elle sait également se débarrasser de ce qui pourrait constituer un frein. Sur les 6 ou 7 enfants (j’ai fini par perdre le compte) qu’elle a de ses différents maris, elle n’en garde qu’un auprès d’elle, les autres étant disséminés entre l’Angleterre et la Virginie. Ce n’est pas l’instinct maternel qui l’étouffe, c’est certain !

J’ai lu ce roman d’un œil sans cesse goguenard et méprisant et n’ai éprouvé aucun attachement pour cette femme fort habile à tirer parti des pires situations en clamant ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus ou qu’elle est une femme de qualité. Tout le talent de Daniel Defoe est d’écrire l’histoire d’une fille perdue en appelant à la pitié de ses lecteurs tout en faisant de son mieux pour que cette pitié ne s’enracine jamais. Dans le genre « malheur d’une jeune fille pure et pauvre », j’ai largement préféré Tess d’Urberville de Thomas Hardy, plus sombre, moins pontifiant et dont le nombre réduit de péripéties rend l’intrigue plus crédible. J’ai vu que Moll Flanders avait fait l’objet de plusieurs films. Peut-être en chercherais-je un pour voir comment cette histoire passe à l’écran, pas tout de suite. J’ai ma dose de Moll Flanders pour un moment !

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Billevesée du dimanche #80

« Noir, c’est noir », dit la chanson. Quand on a un coup de cafard, on dit qu’on broie du noir. Mais d’où vient cette expression ?

À l’origine, ce sont les peintres (enfin, leurs assistants…) qui broyaient des minéraux pour créer les couleurs qui finiraient sur la palette de l’artiste. Avec le blanc, il semble que le noir était la couleur la plus difficile à obtenir et que le broyage n’était pas une partie de plaisir.

Une autre explication de cette expression serait que, pendant des siècles, les savants croyaient que notre estomac broyait les aliments qu’il recevait. En outre, pendant la digestion, l’estomac était supposé sécréter de la bile noire (d’où l’expression « se faire de la bile »). Ainsi, on disait d’une personne mélancolique ou neurasthénique qu’elle broyait du noir, car les savants estimaient que la mélancolie était le résultat d’un excès de bile noire.

Pour ma part, je ne broie du noir que quand mon estomac est vide ou trop plein de chocolat… noir.

Alors, billevesée ?

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Les derniers jours de Smokey Nelson

Roman de Catherine Mavrikakis.

Le 20 octobre 1989, Smokey Nelson assassine un couple et leurs deux enfants. Mais Sydney Blanchard est arrêté, jugé et incarcéré à sa place. Pendant 19 ans. « Les erreurs judiciaires manquent pas dans ce pays. Du moment qu’ils ont un négro en prison, ils classent l’affaire ! On s’en fout si c’est lui ou pas, le meurtrier ! Faut plaire au peuple ! » (p. 29) C’est sur la tombe de Jimi Hendrix que Sydney commence une longue imprécation, s’adressant à la fois à sa chienne Betsy, à lui-même, à Smokey Nelson et à un interlocuteur indistinct.

Ce matin-là, c’est Pearl Watanabe qui a découvert les corps dans la chambre d’hôtel. Traumatisée par cet évènement, elle a choisi de retourner sur l’île de sa naissance et c’est à Honolulu qu’elle a tenté d’oublier le drame. En vacances à Atlanta chez sa fille, Pearl ne s’est jamais vraiment remise de la macabre découverte. « Et voilà dix-neuf ans que Tamara se comportait comme si rien n’avait eu lieu, comme si sa mère lui appartenait encore, comme si sa mère ne faisait pas partie des assassinés du 20 octobre 1989 ! Pearl n’était jamais revenue de ce matin magnifique de l’automne 1989. Elle n’était jamais sortie de la chambre 55 du motel Fairbanks dans laquelle elle avait découvert les corps morts, mutilés. » (p. 161) Pearl est une victime, mais Tamara en est une autre puisque, en quelque sorte, elle a perdu sa mère.

Il s’appelle Ray Ryan. Il était le père de la femme assassinée. Il quitte son domaine en Géorgie pour assister à l’exécution de Smokey Nelson. Son voyage est accompagné par la voix de Dieu qui lui affirme qu’il trouvera enfin la paix dans la vengeance. « Demain, à cette heure-ci, tu le sais, l’impie sera mort. » (p. 81) Dieu prononce un prêche âpre, sans miséricorde, si ce n’est pour le père qui a perdu sa fille.

Il y a un style pour chacune des voix. Sydney éructe à la face du lecteur. L’histoire de Pearl est racontée à la troisième personne, comme si elle n’était encore et toujours qu’un témoin sans aucune prise sur les choses. Quant à Ray Ryan, c’est Dieu qui lui parle. À moins que ce soit Ray qui se parle comme il aimerait que Dieu s’adresse à lui. Chaque voix a droit à trois chapitres. Ce triple tryptique est porté par une trinité qui n’est pas bienveillante. Comment pourrait-elle l’être ?

L’ultime chapitre appartient à Smokey Neslon. Tout a été dit par les trois narrateurs précédents et l’heure de l’exécution a sonné. D’une façon ou d’une autre, Smokey Nelson a bouleversé les vies des trois narrateurs. Ils sont trois victimes collatérales de la tuerie. Et l’on voit les dégâts dans ces trois existences qui ont continué malgré tout, marquées du sceau de la mort et de la violence. Smokey espère mourir sereinement, sans peur. Surtout qu’il voit la mort comme la fin de l’agitation et non comme une punition. « La mort a quelque chose de terrifiant, mais aussi de délicieusement maternel. Elle met fin à tous les soucis. » (p. 318) Pendant les nombreuses années de sa captivité, Smokey Nelson a étudié la façon dont il serait exécuté. « On laisserait faire le boulot à des techniciens inexpérimentés qui parfois ne distinguaient pas bien un muscle d’une veine. En effet, l’éthique médicale interdit à tous ceux qui ont fait le serment d’Hippocrate toute participation à un quelconque arrêt de la vie, à un assassinat. Mais un docteur serait là et viendrait bien vérifier la mort de Smokey. Il remplirait la déclaration de décès et cocherait la case homicide pour indiquer la cause de la mort. L’exécution capitale pour un médecin ou un esprit rationnel reste un meurtre. » (p. 320 & 321) Et voilà comment, au bout du roman, l’histoire n’est plus une accusation, mais un plaidoyer contre la peine de mort. Surprenant. Dérangeant.

Si le dernier chapitre m’a bouleversée, je me suis ennuyée pendant tout le reste du roman, surtout dans les chapitres accordés à Pearl. Un grand bravo à Catherine Mavrikakis qui donne à chaque personne une langue différente et un style unique. Mais cela n’a pas suffi à me séduire. L’histoire est difficile parce que vraie. Le titre ne dissimule rien de l’issue de la vie de Smokey Nelson. Mais contrairement au Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, je n’ai éprouvé aucune compassion pour cet homme qui espère juste que sa mort se passera bien. Bref, c’est une lecture manquée.

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Challenge Relisons les Rougon-Macquart : TERMINÉ

Il y a plus d’un an, je me suis lancée dans ce challenge avec l’idée bien claire de tout lire dans l’ordre. C’est chose faite et avec un plaisir infini !

Dès le premier volume de de son Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, Émile Zola plante une graine formidable et il explore ensuite toutes les branches de l’arbre, des rameaux les plus nobles aux gourmands les plus indésirables. L’auteur explore tous les milieux et tous les vices. Une phrase de La bête humaine résume assez bien cette famille :

La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire. (p. 63)

Dans chacun de ses volumes, Émile Zola m’a charmée avec sa plume vigoureuse, travaillée sans être jamais étouffante, décisive sans être jamais impudique. Voilà de la littérature, de la vraie, de la bonne ! J’en prendrais bien tous les matins au petit-déjeuner et je la recommande sans aucun doute au lieu de la soupe qu’on veut à tout prix nous servir en tête de gondole !

Le challenge reste ouvert et illimité pour tous les participants !

Et avec la lecture de cette extraordinaire saga, je signe une nouvelle participation au défi des 1000 !

377 + 411 + 378 + 508 + 510 + 443 + 496 + 359 + 508 + 466 + 525 + 443 + 538 + 493 + 501 + 318 + 435 + 501 + 546 + 501 = 8879 pages

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Le docteur Pascal

Roman d’Émile Zola.

À Plassans, le docteur Pascal Rougon a mené une vie heureuse, loin des ambitions de ses frères Eugène et Aristide. Entièrement dévoué à la médecine, à la recherche et à la science, il rêvait d’éradiquer la douleur et la maladie avec « l’espoir noble et fou de régénérer l’humanité. » (p. 57)À presque 60 ans, il se passionne pour ses travaux sur l’hérédité dont il appuie la démonstration sur sa propre famille, depuis l’ancêtre commune, Adélaïde dite Tante Dide, jusqu’aux derniers enfants en passant par tous les rejetons des deux branches Rougon et Macquart. « Il s’était trouvé conduit à prendre sa propre famille en exemple, frappé des cas typiques qu’il y constatait et qui venaient à l’appui des lois découvertes par lui. » (p. 28 & 29)

Quelque vingt années auparavant, le bon docteur Pascal a recueilli, Clotilde, fille du premier mariage de son frère Aristide. Patiemment et tendrement, il a élevé cette enfant librement, déterminé à la sauver de l’atavisme familial. La fillette a grandi et, devenue femme, elle s’est faite l’assistante dévouée du docteur, copiant des notes pour lui et illustrant ses recherches. Entre l’oncle et la nièce, l’harmonie serait complète si la seconde n’essayait pas de ramener le premier dans le giron de l’Église, aidée en cela par Martine, la bonne du docteur depuis des décennies. Mais rien y fait, Pascal est un athée convaincu dont la seule foi est la science. Son plus grand bonheur serait de convaincre sa nièce de l’importance de ses travaux. La lutte sera longue, mais fructueuse et l’adhésion de Clotilde à Pascal sera consommée quand chacun reconnaîtra dans l’autre l’unique objet de son affection, en se moquant bien des 35 ans qui les séparent.z

L’Empire est tombé et la République triomphante étale ses ors en lieu et place des anciennes suprématies impériales. Superbe et inflexible, Félicité Rougon, la mère de Pascal garde l’attitude d’une impératrice déchue et est bien résolue à s’imposer une troisième fois dans Plassans. Mais avant cela, elle veut arracher à son fils tous ses travaux sur la famille Rougon-Macquart et faire disparaître toutes les preuves des ignominies familiales. « S’il venait à mourir et qu’on trouvât les affreuses choses qu’il y a là-dedans, nous serions tous déshonorés ! » (p. 28) Contrairement à son fils, Félicité n’a que faire de l’Arbre généalogique de la famille et ne souhaite que préserver l’honneur des Rougon, en souhaitant tout bas la mort de ses indignes représentants.

J’ai passionnément aimé cet ultime volume des Rougon-Macquart et me suis vraiment attachée à ce bon docteur Pascal, si proche d’Émile Zola dans sa façon de présenter l’hérédité. L’auteur place son dernier volume à Plassans, là où tout a commencé avec La fortune des Rougon. Émile Zola fait la somme de son œuvre et convoque une dernière fois tous les membres de la famille qu’il a créée. Comment ne pas sentir l’infinie tendresse de l’auteur pour ses personnages, surtout pour ceux qu’il a le plus malmenés ? Quel apaisement de lire qu’il réserve un destin finalement heureux à Jean, si malheureux à la fin de La terre et de La débâcle ! Et quel espoir de refermer le dernier volume de cette somme littéraire sur le sourire d’un enfant, dernière bouture d’un arbre gigantesque et fabuleux !

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Peau de lapin

Roman de Nicolas Kieffer.

Virgil Alexander Stilton s’est rendu à la police en s’accusant de la mort de soixante personnes. Les autorités ont rapidement conclu que Stilton n’était pour rien dans toutes ces disparitions et elles l’ont confié à la clinique de Springdale. « Si j’ai tué ces soixante personnes, il faut bien que j’aie un problème dans la tête. Si je ne les ai pas tuées, il faut aussi que j’aie un problème dans la tête, puisque je pense les avoir tuées… C’est logique, non ? » (p. 21) Un dingue qui raisonne juste, c’est déjà quelque chose. Mais ce n’est pas la seule particularité de Stilton : cet homme aux goûts vestimentaires bariolés a la fâcheuse tendance de tout oublier. « Les choses rentrent et sortent de ma tête avec une facilité inimaginable. Je ne retiens rien. » (p. 43) Et c’est bien pour cela que Virgil Stilton se sent désespérément vide.

La clinique compte d’autres malades. Il y a Tibbets, unijambiste obsédé par l’idée de faire repousser sa jambe. Il y a Tim, quasi muet et très attaché à son petit lapin noir, Rommel. Il y a Kemp, persuadé d’être un astronaute. Il y a Rosen, fasciné par le feu. Et il y a les médecins. Le Dr Coleman a bien du mal à inventer des histoires pour son fils. En désespoir de cause, il lui offre une pierre parfaitement ronde. Ce qu’il n’avait pas imaginé, c’est que son fils appellerait le caillou Elmer et prétendrait pouvoir entendre ses histoires. De son côté, le Dr Miller commence à faire des rêves très étranges, peuplés de petits lapins noirs et d’animaux qui parlent. Et le Dr Fenech est bien en peine d’expliquer comment elle peut et venir dans un monde qui n’a rien à voir avec la clinique.

Lentement, les membres de la clinique de Springdale commencent à changer et à agir bizarrement. Et tout a commencé avec l’arrivée de Virgil Alexander Stilton. Stilton, oui, comme le fromage.

Que voilà une étrange lecture ! Ce qui semblait tout d’abord être un roman loufoque peuplé de doux dingues devient peu à peu un texte très sombre et inquiétant. Ne parlons pas de folie ou d’hallucinations, ce serait trop réducteur. Nicolas Kieffer crée une infinité de mondes qui se rejoignent et implosent à la toute fin de son texte. Ni fantastique, ni médical, son roman est une épatante bizarrerie où les lapins qui se multiplient ne sont que la première annonce d’un changement majeur.

Pour finir, je ne résiste pas au doux plaisir de partager une adorable description de lapin. « C’était un lapin noir, de la taille d’un poing fermé, qui tenait ses pattes jointes sous son museau rose et frissonnant. Ses oreilles dessinaient un arc double au-dessus de son échine et retombaient jusqu’à sa queue en forme de dé à coudre. » (p. 173)

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Billevesée du dimanche #79

[L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ]

Si vous voulez éviter que la mousse déborde quand vous versez une bière dans un verre, n’oubliez pas de pencher le verre et de le redresser une fois qu’il est plein à mi-hauteur.

Vous pouvez aussi boire directement la bière à la bouteille ou à la canette. On est entre nous, je ne dirai rien.

Alors, billevesée ?

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Le musée du Dr Moses

Recueil de nouvelles de Joyce Carol Oates. Sous-titre : Histoires de mystère et de suspense.

Salut ! Comment va !

Une salutation qui retentit, c’est toujours agréable. Vraiment ? Ce n’est pas l’avis des joggers qui court dans l’arboretum de l’université de Dells. Le texte lui-même laisse à bout de souffle puisqu’il se déroule sur plusieurs pages sans un seul point, sauf le point final. Mais souvent, ce qui est final est définitif et irréversible.

Surveillance antisuicide

Un petit garçon qui disparaît, c’est un véritable drame, surtout quand il faut jouer au chat et à la souris avec le père de l’enfant. Surtout quand c’est au grand-père de l’enfant disparu de faire jaillir la vérité. Surtout quand la vérité a d’âcres relents de mystification.

L’homme qui a combattu Roland LaStarza

La boxe, sport chéri des Américains, mais pas de la narratrice qui, quelques jours après la mort de son père, se souvient d’un ami de la famille qui s’est suicidé. C’était un boxeur correct, mais un homme qui aimait jouait avec le feu. Le père de la narratrice ne s’est jamais vraiment remis du suicide de son ami et, des années plus tard, il accusait encore la boxe. « J’aimais certains boxeurs. J’aimais les regarder de temps en temps. Mais la boxe… Non, je n’aimais pas ça. La boxe, c’est un business, un homme qui se vend à des types qui le vendent au public. Pouah ! » (p. 90)

Gage d’amour, canicule de juillet

Une femme qui quitte un homme, c’est courant. Une vengeance post-mortem, c’est plus rare. « Voici le paradoxe : l’amour est quelque chose de vivant, et tout ce qui vit doit mourir. Parfois soudainement, parfois avec le temps. »(p. 95)

Mauvaises habitudes

Comment vivre quand votre père est un tueur en série ? Et comment vivre tant que vous ne comprenez pas pourquoi votre père tuait ?

Fauve

Derrie, six ans, est laissé seul dans un bassin. Par un vilain concours de circonstances, il manque de se noyer. Heureusement, le pire est évité. Et si la mort n’était pas le pire ?

Le chasseur

Liam a eu trois belles relations. D’abord avec Hannah, puis avec Evvie et enfin avec Olive. Oui, c’était de belles relations. Jusqu’à ce qu’elles deviennent moches. Pauvre Liam, il semble qu’il n’arrivait pas à trouver de femme à sa mesure. « Enfin quelqu’un qui a davantage besoin de moi que de la vie même. » (p. 173) Pauvre Liam ?

Les jumeaux : un mystère

Le docteur A* a eu deux garçons, des jumeaux, B* et C*. Ces deux-là grandissent avec une connexion que rien ne peut entamer. « Personne ne comptait autant pour C* que B*. Aucun mariage ne pouvait compter autant pour C* et B* que leur gémellité. » (p. 188)

Dépouillement

Quel soulagement de laisser couler l’eau sur soi et de voir disparaître les tâches, les souillures et les saletés ! Mais jusqu’à quel point peut-on se récurer ?

Le musée du Dr Moses

Ella rend visite à sa maman qu’elle n’a pas vue depuis longtemps. Le Dr Moses est un ancien coroner qui tient maintenant un étrange musée médical. Pour Ella, c’est plutôt un musée des horreurs. Sa mère est-elle en danger auprès de cet homme ?

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En 10 nouvelles, Joyce Carol Oates présente une certaine Amérique, une Amérique qu’un rien fait dérailler dans le sordide. Malaise et frisson garantis à chaque page. J’ai apprécié ces nouvelles, mais je suis un peu chafouine parce que je n’ai pas du tout compris celle qui m’intéressait le plus, celle sur les jumeaux. Mais les images sont là et j’en tremble encore !

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