Les Personnages

Essai de Sylvie Germain, suivi de deux nouvelles.

Dans cet essai aux allures de conte saupoudré de réalisme magique, l’autrice philosophe fait preuve d’une spiritualité incantatoire et décrit une expérience métaphysique, celle de transformer le rien en langage. Elle porte une réflexion sur l’acte d’écrire, cette genèse textuelle que l’écrivain réitère chaque fois qu’il met au monde, ou aux mots, un nouveau personnage.  « Donner une carnation aux mots. » (p. 31) Sylvie Germain s’appuie sur des textes et des auteurs immenses pour étayer son propos : l’Ancien et le Nouveau Testament, Simone Weil, Milan Kundera, Paul Celan, Marguerite Duras, etc. Elle interprète l’excision et les scarifications comme une peur de la bouche vorace et secrète, tenue en respect par un langage qui prend la peau pour support et vecteur du message. Elle rappelle surtout la vanité de la création littéraire. « Écrire est dérisoire : une digue de papier contre un océan de silence. » (p. 88) Voilà un ouvrage à faire lire à tous les aspirants romanciers pour leur apprendre à accueillir cet autre qu’ils font grandir dans leur imaginaire

Je vous laisse avec des concentrés de sagesse et de beauté, comme toujours avec Sylvie Germain !

« Tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées. […] Des dormeurs qui, à force de rêver dans les plis de notre mémoire, à fleur d’oubli, finissent par être touchés par un songe monté des profondeurs de la mémoire, du cœur spiralé de l’oubli. » (p. 14)

« Ils naissent d’un rapt commis là-bas, aux confins de notre imaginaire où, furtivement, dérivent des rêves en archipel, des éclats de souvenirs et des bribes de pensées. Et ils savent des choses dont nous ne savons rien. » (p. 16)

« Sans une parole, il nous dicte son vœu, lequel a force d’ordre tant il est impérieux : être écrit. » (p. 18)

« Ils n’appartiennent à personne. Ils attendent juste la chance d’être lus, pour exister davantage, et toujours autrement. » (p. 34)

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Into the Wild

Texte de Jon Krakauer.

En 1992, l’Amérique s’émeut de la découverte du corps d’un jeune homme dans un autocar abandonné, en Alaska. Christopher Johnson McCandless était parti depuis des mois d’Atlanta, laissant sa famille sans nouvelle, arpentant le sud des États-Unis avant de rejoindre l’extrême ouest du pays. Jon Krakauer est l’auteur du premier article de fond sur la vie météorique de Chris. Pour écrire son livre, il est allé à la rencontre des personnes qui ont connu et croisé le jeune homme. « McCandless a laissé une impression indélébile à beaucoup de gens dans le cours de son voyage initiatique. » (p. 77) Krakauer a retracé le périple ascétique de Chris vers l’Alaska, en cherchant à comprendre son idéal de liberté et d’austérité pure nourri de lectures. « Chris était de ces gens qui pensent qu’il ne faut rien posséder hormis ce que l’on peut porter sur soi. » (p. 54) Les circonstances de la mort du jeune homme restant floues, Jon Krakauer n’essaie pas de les percer, mais de montrer qu’au-delà du portrait romantique qu’il serait facile de faire de Chris, il existait une quête d’absolu et de sens qui n’a rien de celle d’un illuminé.

J’ai relu ce texte avec un immense plaisir et une grande émotion. Tentée depuis un certain temps de tout plaquer pour partir sur les chemins de Compostelle, je comprends un peu la recherche de Chris, son besoin de solitude, de communion avec la nature simple et avec lui-même. « Je ne veux pas savoir l’heure qu’il est, ni quel jour nous sommes, ni à quel endroit je me trouve. Tout cela n’a aucune importance. » (p. 22) Comme Chris, je suis très réceptive aux textes de Jack London et de Léon Tolstoï, à leurs idéaux de justice et de simplicité. Et comme lui, mes interrogations sont parfois peut-être un peu trop grandes. « Je pense que, peut-être, une partie de ses ennuis est venue de ce qu’il pensait trop. Parfois, il essayait trop de donner un sens au monde, de comprendre pourquoi les gens se font souvent si mal. » (p. 37)

Je me souviens avec émotion du film éponyme réalisé par Sean Penn, de l’intense beauté des paysages et de l’impeccable interprétation d’Emile Hirsch dans le rôle principal.

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Pacifique

Roman de Stéphanie Hochet.

Isao Kaneda est pilote et se prépare à accomplir un destin glorieux. « À vingt et un ans, j’ai l’honneur d’accepter de mourir pour l’empire du Grand Japon. Je dissimule le vertige qui me saisit. » (p. 12) Le monde entier l’appelle kamikaze, lui qui se prépare à écraser son avion sur une cible américaine. Au Japon, on l’appelle sakura, ou fleur de cerisier : comme elle, l’intense beauté de sa mission est vouée à passer en un souffle. « Ce n’est pas la mort qui nous fait peur mais de ne pas être à la hauteur de notre future mission. Quant au pire, ce qui ruinerait notre honneur et celui de notre famille, ce serait de tomber vivants entre les mains de l’ennemi. » (p. 72 & 73) Élevé selon le bushido, strict code de conduite des samouraïs, Kaneda sait qu’il est préférable de se suicider au lieu d’être déshonoré. Aussi ne sait-il pas comment vivre avec ses doutes. Cela a-t-il du sens de continuer à mourir après 6 ans de guerre ? Le roman commence le 27 avril 1945. Kaneda est à quelques jours de monter dans son avion pour la dernière fois. Qui sait comment cela finira ?

En regardant du côté du soleil levant, Stéphanie Hochet explore avec brio un nouveau terrain d’imagination. Après les chats et les aurochs, elle étudie l’animal humain et sa stupide complexité. « Le moment où l’appareil ennemi apparaît dans le viseur et où l’on fait feu est l’un des meilleurs. La traque a porté ses fruits. L’adversaire devient une proie. » (p. 79) Ce faisant, elle déploie une magnifique poésie du sacrifice, faite de fleurs et d’étoiles. Quant au double sens du titre, il prend toute son ampleur dans la dernière partie du roman, quand la guerre se fait mirage, écho lointain et oublié, presque irréel. La bascule dans un univers rêvé est faite : sans doute n’est-ce qu’ainsi que l’on peut échapper à la folie du monde.

Amis lillois, venez discuter du roman et rencontrer Stéphanie Hochet à la librairie Place Ronde le 3 avril à 18h30. J’aurai le plaisir d’animer la rencontre.

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L’Institut

Roman de Stephen King.

Luke, un gamin surdoué, est enlevé par un groupe qui mène des expériences étranges sur des enfants. « On était tenté de croire qu’il s’agissait d’une installation gouvernementale […], mais comment pouvaient-ils cacher une telle entreprise ? Contraire à la loi et à la Constitution. Qui reposait sur le rapt d’enfants. » (p. 134) Dans une installation secrète au cœur des forêts du Maine, Luke passe de longues semaines de souffrance, même s’il noue des amitiés puissantes avec les autres enfants de l’Institut. « Je suis un placement. Une action dotée d’un fort potentiel de croissance. » (p. 70) Peu à peu, il comprend ce que l’Institut attend de lui, et ce n’est pas pour le rassurer. Tous les enfants enlevés présentent des capacités télépathiques ou télékinétiques mobilisées à de tristes desseins. « Nous menons une guerre et tu as été appelé pour servir ton pays. […] Il ne s’agit pas d’une course à l’armement, mais d’une bataille de l’esprit. » (p. 153) Luke n’a pas le choix, il doit fuir. Mais que peut une poignée de gamins contre une organisation si bien rodée ? « Si on ne peut pas s’enfuir, on doit prendre possession de cet endroit. » (p. 502)

Simple et efficace, voilà les deux qualificatifs principaux du dernier roman du King. Les personnages sont bien posés, qu’ils soient positifs ou négatifs, leurs interactions sont crédibles. Tout est fait pour maintenir le suspense le plus longtemps possible. Et même quand les premières réponses sont données, l’intérêt du lecteur ne faiblit pas. L’Institut n’est pas à compter au nombre des chefs-d’œuvre de Stephen King, mais c’est un texte dans lequel on sent toute la patte de l’auteur. Il maîtrise ses sujets de prédilection, à savoir l’enfance, le paranormal, l’amitié entre mômes, le chevalier solitaire, etc. Je me suis régalée de cette lecture en deux jours. Et je n’en demande pas plus !

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Joris-Karl Huysmans, de Degas à Grünewald

Catalogue de l’exposition Joris-Karl Huysmans, critique d’art – De Degas à Grünewald : sous le regard de Francesco Vezzoli, au musée d’Orsay. Sous la direction de Stéphane Guégan et André Guyaux.

Mon admiration pour Joris-Karl Huysmans n’est pas un secret. J’ai précommandé l’édition de ses œuvres en Pléiade. Et je ne pouvais pas passer à côté de l’exposition organisée par le musée d’Orsay. Pouvais-je me priver du catalogue de cette exposition ? Absolument pas. Ai-je dépensé une somme indécente à la librairie du musée ? Mon banquier peut le prouver.

De naturaliste à décadent et même après sa conversion, Joris-Karl Huysmans a toujours fait état dans ses œuvres romanesques son amour de l’art, notamment pictural et architectural. « Il cherche dans la peinture ce qu’il cherche dans la littérature : le vivant, le vrai, un art qui ne ment pas, qui s’éloigne des clichés académiques, un art où il retrouve la vie, sa vie. » (p. 93) Il était également critique d’art, portant un regard aiguisé, voire acéré, sur les œuvres de ses contemporains.

S’il admirait Edgar Degas, Odilon Redon, Gustave Redon, les impressionnistes et les primitifs flamands, il ne pouvait souffrir les productions des artistes classiques et selon lui vendus au patriotisme et à la quête de médailles. Il abhorre les institutions et la bien-pensance bourgeoise. « Aux yeux de Huysmans, l’État comme l’Académie exercent un pouvoir abusif au détriment de la liberté individuelle de l’artiste et de l’autonomie du champ artistique. Ses conceptions libertaires réclament non seulement l’abolition des institutions, mais aussi que soit retirée à l’administration la prérogative de s’occuper des beaux-arts. » (p. 69)

En toutes choses, Joris-Karl Huysmans cherche l’absolu, l’élévation de l’esprit par le beau. Esthète hypersensible et intransigeant, l’écrivain critique d’art me ravit avec tous ses avis. « Huysmans est un grand pèlerin de l’œuvre d’art auprès de laquelle il se rend et d’où il revient transformé. » (p. 175) Ce catalogue d’exposition est désormais une pièce maîtresse de ma bibliothèque. Je le feuillèterai souvent pour revoir les œuvres et retrouver les critiques de Huysmans.

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Les Lapinous découvrent la campagne

Album de Sylvie Rainaud.

Aujourd’hui, Tom, Tam, Freddy, Anaïs, Blaise et Charlotte partent en pique-nique avec Papa. Direction la campagne et ses merveilles. « C’est ça la vie au grand air !, La campagne a beaucoup d’habitants, il ne faut pas l’oublier ! » Quel est le nom de cette fleur ? Quel est cet insecte ? Qui se cache dans ce trou ? Autant de questions dont les petits lapins obtiennent la réponse en même temps que le lecteur.

Chaque page propose une devinette ou une petite information pour découvrir un peu mieux les secrets de la campagne. Les illustrations sont légendées : désormais, impossible de confondre une marguerite et une pâquerette ! Simple et très accessible, cet album est agréablement ludique. Apprendre en s’amusant, c’est exactement ça !

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Quand arrive la pénombre

Recueil de nouvelles de Jaume Cabré.

D’une page à l’autre, vous trouverez :

  • Un homme toujours abandonné par tous,
  • La confession d’un tueur à gages,
  • L’hommage posthume rendu à un voleur d’agneaux,
  • Un futur assassiné qui sait se défendre,
  • Le choix entre un divorce et un meurtre,
  • Un homme qui entre dans les tableaux et voyage bien au-delà des toiles,
  • Un tueur de petites filles,
  • Un chef d’État mégalomane,
  • L’assassinat d’un collectionneur d’art,
  • Un auteur prêt à tout pour se faire éditer,
  • Des hommes qui ne pleurent pas.

Il y a des liens entre les textes, des fils rouges à suivre : un tableau célèbre ou encore un stylo en argent. C’est finalement un gigantesque puzzle qui ne demande qu’à être assemblé par le lecteur attentif et joueur. Ce dernier doit accepter que rien ne lui est donné dans l’ordre : ni les faits, ni les conséquences, ni les mobiles. Il doit aussi prendre du recul devant l’œuvre qu’il a recomposée. Et ne pas s’effrayer des monstres qui se révèlent à lui. Ici, le mal n’est pas affreux : le meurtre est banal, le crime est hygiénique, l’assassinat est pratique. Face au fameux défilé de gredins et de gibiers de potence que nous dépeint Jaume Cabré, il faut sourire. Mais se méfier un peu aussi… Parce que l’auteur semble être au nombre des vauriens à qui il tire le portrait. « Il décida qu’il faudrait faire preuve d’un peu plus de prudence et laisser passer plus de temps entre une victime et la suivante. Plus de temps pour écrire et lire, […] Et plus de temps pour choisir une victime vraiment chouette. Être le destin de quelqu’un, ce n’était pas un truc à prendre à la rigolade. » (p. 235)

Je vous laisse avec quelques extraits de cet excellent recueil/texte à clé.

« Nous, les livres, nous sommes habitués à deviner les choses parce que dans nos pages sont écrits le passé, le présent et le dénouement de toutes les vies et nous savons lire les histoires que vivent les gens. » (p. 75)

« Je travaille et cherche comme une bête pour réussir à m’approprier ce qui n’est pas encore à moi. Une aspiration qui me paraît louable au plus haut point. » (p. 134)

« C’est fatigant de se souvenir, et les morts dérangent. Et si on n’est pas absolument certains qu’ils sont morts, ils sont plus insupportables qu’un caillou dans la chaussure. » (p. 186)

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Aucun souvenir assez solide

Recueil de nouvelles d’Alain Damasio.

Dans ce livre, vous trouverez :

  • La privatisation du langage et un homme qui veut racheter le mot « chat »,
  • Du clonage et des expériences génétiques,
  • La résistance poétique et la guérilla des mots contre l’ultra-libéralisation,
  • Un père qui part à la recherche de son enfant morte,
  • Un monde surtechnologisé et surconnecté,
  • Des identités à vendre pour tromper le système,
  • La possibilité d’intégrer le réseau Internet,
  • Des parents séparés de leurs enfants,
  • Des phares qui éclairent une mer d’asphalte,
  • Un artiste recréé/absorbé par son œuvre,
  • Un auteur qui écrit un livre que personne ne lira,
  • Un père et son fils dans une ville vide,
  • Un portrait d’Alain Damasio.

Il faut lire ces nouvelles à haute voix, les déclamer, les chanter. Il faut se les rouler sous la langue, se les frotter au palais et se les coller aux lèvres. Parce qu’elles sont délicieuses. Parce qu’il faut conjurer le silence vociférant de la dématérialisation des relations humaines. « Si personne ne te parle, fais parler le monde. Tout seul. Et écoute-le. » (p. 289) Les tragédies humaines semblent encore plus tristes quand le monde autour est froid. L’auteur ne se prive pas de critiquer sévèrement la libéralisation galopante et la technologisation de la société. Ce n’est pas nouveau, il le faisait déjà dans La zone du dehors. « Dans un monde où tout le monde croit devoir s’exprimer, il n’y a plus d’illumination possible. » (p. 161)

Mais Alain Damasio pratique l’art paradoxal de la dystopie enthousiaste. OK, tout a foutu le camp et tout est déréglé. C’est justement l’occasion de tout réinventer, sans limite et sans complexe. « L’Altermonde, c’est ça : une autre mondialisation, fondée sur l’échange intense des différences, une autre façon de relier les peuples. » (p. 32)

« Vous rêvez qu’on vous programme, qu’on vous corrige, qu’on vous débugue, d’être l’image la plus vue, l’information la plus cliquée, le mot-clé qu’on indexe partout, un même. » (p. 121) Dans le monde de Damasio, la data est un nouvel ADN, un nouveau flux vital qu’il faut intégrer puisqu’on ne peut pas le couper, pour réinventer l’être humain. Certains textes annoncent Les furtifs, chef-d’œuvre de l’auteur. Comme dans son dernier roman, Alain Damasio ne s’est jamais privé pas de jouer avec la mise en page et la graphie pour donner à ses textes du relief, de l’écho, de la texture. La lecture n’en est que plus ludique et plus profonde.

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Moi, ce que j’aime, c’est les monstres – Livre premier

Roman graphique d’Emil Ferris.

Karen Reyes vit avec sa mère et son grand frère. Elle rêve d’être un loup-garou, notamment pour pouvoir mettre sa famille à l’abri. « Je savais que je voulais être un monstre… […] J’ai compris qu’il y avait de gentils monstres et des méchants. […] Un gentil monstre, ça fait parfois peur, à cause de son look bizarre, tout en griffes et en crocs… Mais ça, ils ne le font pas exprès, ils ne le contrôlent pas, c’est comme ça… Les méchants, eux, le contrôle, ça les connaît… Ils veulent que ce monde entier soit effrayé pour pouvoir mener la danse. »

Dans un grand carnet à spirale qui lui tient de cahier de dessin et de journal intime, Karen documente sa jeune existence et tout ce qui la passionne. Les monstres, déjà, dans les films et les magazines pulp des années 1960. Son amitié abîmée avec la jolie Missy. La maladie galopante de sa maman. Et enfin la disparition du voisin ventriloque et la mort d’Anka Silverberg. Karen ne croit pas au suicide de l’émigrée allemande : à l’aide de cassettes dans lesquelles Anka raconte sa jeunesse dans l’Allemagne nazie, l’enfant se fait détective privé et cherche à percer le mystère de la mort de sa voisine.

On a déjà beaucoup parlé de cette œuvre. Dès sa sortie, j’ai voulu la lire, but you can’t always get what you want, comme disaient les pierres qui roulent… J’ai longtemps été sur la liste d’attente pour emprunter ce roman graphique à la médiathèque. Je pensais savourer cette merveille, mais je l’ai dévorée goulument en un après-midi. Ogresse ou goule, à vous de voir. Et je ne peux qu’exprimer désormais une intense frustration à devoir attendre la parution du deuxième livre de cette histoire dont le fond et la forme sont d’une perfection rare.

Dans ce premier roman graphique entièrement dessiné au stylo bille, Emil Ferris offre un niveau de détails époustouflant. Je suis restée ébahie devant ses reproductions de tableaux de maîtres, ses couvertures de magazines et ses portraits en général. Anka à l’encre bleue est d’une beauté renversante. Karen et ses quenottes sont adorablement effrayantes.

L’autrice/dessinatrice parle d’une deuxième guerre mondiale que l’on n’a pas l’habitude de lire, celle où les héros ne sont pas tous blancs et où les méchants peuvent faire le bien.

Point bonus pour cette œuvre qui m’avait déjà conquise : il y a un lapin férocement adorable dans ces pages… Gare à vous qui vous en approchez si votre cœur n’est pas pur !

   Rien que pour ça, j’intègre d’office ce fabuleux roman graphique dans mon challenge Totem !

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Là où chantent les écrevisses

Roman de Delia Owens.

En 1952, Kya a six ans quand sa famille commence à se déliter. Sa mère part la première, suivie de ses frères et sœurs, et enfin de son père, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’elle. « Pourquoi celui qu’on a abandonné, celui qui saigne encore, devrait-il assumer la charge du pardon ? » (p. 232) Seule dans la petite maison au cœur du marécage, terrifiée, mais débrouillarde, la gamine survit et grandit, aussi sauvage que l’étendue humide dans laquelle elle se cache. « Un marécage n’ignore rien de la mort, et ne la considère pas nécessairement comme une tragédie, en tout cas, pas comme un péché. » (p. 12) Kya connaît le marais comme sa poche et l’étudie avec une minutie toute scientifique. En 1969, quand le corps de Chase Andrews est retrouvé au pied de la tour de guet, celle que tout le monde appelle la Fille des marais devient rapidement la première suspecte. « Si c’est un meurtre, l’assassin a su y faire. Le marais a bouffé et englouti toutes les preuves, s’il y en avait. » (p. 168)

En construisant le roman selon deux lignes temporelles, celle de la petite Kya d’une part et celle de l’enquête autour de la mort de Chase d’autre part, l’autrice ménage un suspense parfaitement maîtrisé. Aucune intrigue ne prend le pas sur l’autre, car elles se nourrissent mutuellement. Le portrait féminin est délicat et très fouillé et il est impossible de ne pas s’attacher à cette enfant blessée, mais résiliente, farouche et courageuse. Avec ce premier roman qui fait la part belle aux descriptions naturalistes, Delia Owens signe un coup de maître.

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Quand les animaux s’en vont…

Ouvrage de Valérie Lebon

Sous titre : Accompagner les animaux en fin de vie grâce à la communication animale – Communiquer avec les animaux défunts

Valérie Lebon est communicatrice animalière. En présentiel ou avec une photo, elle prend contact avec les animaux vivants ou morts. Par la télépathie, elle entend leurs souhaits ou leurs messages, notamment leurs dernières volontés. « La façon dont un animal conclut sa vie est trop souvent notre décision personnelle alors qu’il faudrait ici prendre l’avis du principal intéressé. » (p. 71) Son travail entre dans une approche holistique des soins à donner à nos animaux de compagnie ; suivi vétérinaire régulier, alimentation adaptée, confort de vie, etc. Dans le monde réel et dans le monde astral, les animaux ont des choses à nous dire, et Valérie Lebon assure le lien entre nous et eux, parfois pour comprendre un malaise, parfois pour réussir à dire adieu. « Il est temps de prendre ce temps entre quatre yeux avec votre compagnon animal. […] Il est bon de verbaliser tout ce que vous souhaitez lui dire avant qu’il rende son dernier souffle. » (p. 89)

Les humains qui ont des animaux de compagnie savent combien il est douloureux de perdre un compagnon à poils ou à plumes. C’est une peine souvent indicible, car mal comprise par ceux qui n’accordent pas une telle importance aux animaux. « Leur amour inconditionnel nous nourrit et nous enveloppe d’une infinie douceur à chaque instant de la vie, dans les bons comme dans les mauvais moments. Leur présence nous procure un bien-être comme bien peu d’individus savent le faire. » (p. 13) Faire le deuil d’un chat, d’un chien, d’un lapin ou autre, c’est long et ça ne doit pas être pris à la légère. Dans mon cœur, il reste pour toujours une place pour Polka, Poupée, Sucette, Hussard et Pitrou. Et je refuse d’imaginer le jour où mon amour de Bowie me quittera.

« Je vous invite à ne rien croire de tout ce que vous avez absorbé dans cet ouvrage, sans valider par le ressenti de l’expérience et/ou par le discernement de comment ça vibre en vous. » (p. 192) L’autrice fait bien de conclure son ouvrage par cette mise en garde. Malgré toute l’envie que j’ai de communiquer avec mon chat, j’ai très souvent l’impression que cela reste impossible et que tout n’est que coïncidence ou hasard quand Bowie réagit dans mon sens ou anticipe mes mouvements. J’apprécie surtout le message de Valérie Lebon quant à nos responsabilités en tant qu’espèce soi-disant dominante. Cela va dans le sens de mon végétarisme et de ma démarche écologique globale en faveur des animaux. « Il nous appartient en tant qu’humains, de mettre fin au massacre et à la brutalité à l’égard du règne animal ! Il nous appartient de cesser d’y contribuer par nos comportements, nos attitudes égoïstes et notre indifférence. » (p. 74)

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Miroir de nos peines

Roman de Pierre Lemaitre.

Dans ce dernier tome de la trilogie Les enfants du désastre, vous trouverez :

  • Un médecin suicidaire,
  • Une femme très belle, mais seule,
  • Un couple heureux, mais sans enfants,
  • Un enfant adopté et maltraité,
  • Deux militaires déserteurs un peu par hasard,
  • Une femme au cœur fragile,
  • Un mystificateur de génie,
  • Un cafetier bourru en Charentaises,
  • Un homme qui a volé une fortune,
  • Des milliers de réfugiés,
  • Un gros chien.

Cette foule est précipitée et bringuebalée par la Drôle de guerre et par l’exode. « Cette guerre, on ne savait plus ce qu’elle voulait faire. » (p. 357) Éclatent des secrets de famille et surviennent des retrouvailles douces et tendres. L’intrigue se déroule sur trois lignes de front : l’officielle qui mène au feu, la faussement sécurisée de l’arrière et la mouvante sur les routes. « Les civils s’enfuient, les militaires, eux, font retraite, nuance ! »(p. 176) Pierre Lemaitre montre une nouvelle fois la mocheté de la guerre et ce que certains humains savent en tirer de beau. En cela, la figure de Désiré est hilarante. Mais j’avoue une préférence pour Louise, cette trentenaire qui se cherche une famille. L’auteur ne manque pas de critiquer les manœuvres politiques et la propagande martiale, et l’on pourrait lire dans ses attaques des arguments pour accuser notre propre gouvernement. « En temps de guerre, une information juste est moins importante qu’une information réconfortante. Le vrai n’est pas notre sujet. Nous avons une mission plus haute, plus ambitieuse. Nous, nous avons en charge le moral des Français. » (p. 101)

J’ai peut-être un peu moins apprécié ce troisième tome que les deux premiers de la trilogie. Mais j’ai encore passé un savoureux moment avec la plume de Pierre Lemaître et les personnages qu’il malmène avec tendresse. Évidemment, si ce n’est pas fait, lisez Au revoir là-haut et Couleurs de l’incendie.

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Bible du yoga

Texte de B. K S. Iyengar.

J’ai commencé à pratiquer le yoga en septembre. D’abord pour reprendre une pratique sportive non agressive pour mon corps tout déglingué, ensuite pour apaiser mon esprit pas moins déglingué. Dès la première séance, coup de foudre pour cette discipline. J’ai réappris à me tenir debout : c’est la première des postures d’équilibre et elle est loin d’être innée ! Outre les deux heures de pratique en salle chaque lundi, j’essaie de pratiquer chez moi, à mon rythme. Je maîtrise plus ou moins bien les asana (postures), mais je progresse et je prends un vrai plaisir à sentir mon corps fonctionner sans souffrir. « La bonne façon de faire les asana procure une sensation de légèreté et de joie aussi bien dans le corps que dans l’esprit et une impression d’unité du corps, de l’esprit et de l’âme. » (p. 80) Tous les lundis matins, enfiler mon legging et un t-shirt (toujours rigolo parce que c’est cool !) me procure une impatience joyeuse qui me porte toute la journée !

Dans son ouvrage qui tient autant que du guide spirituel que du manuel d’exercice, B. K. S. Iyengar a décrit chacune des très nombreuses postures du yoga qu’il pratiquait, avec des photographies explicatives. Le yoga Iyengar prône des valeurs simples : travail, compassion, charité, humilité, entraide, détachement, etc. Les 8 piliers du yoga ne sont pas sans me rappeler les 10 commandements bibliques et ma foi catholique que j’essaie de vivre dans une pratique moderne, lumineuse et humaniste. Il n’est pas question de conversion ou de prosélytisme, simplement d’une découverte riche de sens et de mystères à décrypter.

Je vous laisse avec de nombreux extraits de l’introduction de ce livre. Cette lecture a enrichi mon début d’année 2020 !

« Le yoga est une science pragmatique dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Il a évolué pendant des millénaires, et traite globalement du bien-être de l’homme sur les plans physique, moral, mental et spirituel. » (p. 7)

« La pratique du yoga développe un sens fondamental de la mesure et des proportions. Elle nous ramène à notre propre corps, notre premier instrument, et nous apprenons à en jouer, à en tirer le maximum de résonance et d’harmonie. » (p. 11)

« C’est une technique idéale pour prévenir les maladies physiques et mentales et protéger le corps en général en développant une sensation inébranlable d’assurance et de sûreté de soi. » (p. 13)

« Les asana maintiennent la force et la santé du corps et son harmonie avec le cosmos. Finalement, le yogi se libère des impressions physiques. Il triomphe de son corps et en fait le digne véhicule de l’âme. » (p. 21)

« Le corps est, pour le yogi, l’instrument essentiel de sa réalisation. […] Si son corps tombe malade, l’élève n’avancera pas. La santé physique est importante pour le développement mental, car le fonctionnement normal de l’esprit repose sur le système nerveux. Une maladie du corps ou du système nerveux rend l’esprit agité ou inerte ou hébété ; la concentration ou la méditation deviennent impossibles. » (p. 26)

« L’étude du yoga ne ressemble pas à la préparation d’un diplôme ou d’un grade universitaire que l’on désire obtenir dans un temps déterminé. » (p. 32)

« Le sisya [disciple] doit valoriser avant tout l’amour, la modération et l’humilité. L’amour engendre le courage, la modération crée l’abondance et l’humilité conduit au pouvoir. » (p. 34)

« Le yogi renonce à tout ce qui l’éloigne du Seigneur. […] Le yogi ne renonce pas à l’action. » (p. 36)

« Le yogi pense que tuer ou détruire une chose ou un être est une insulte à son créateur. » (p. 37)

« Le yogi s’oppose au mal qui est dans l’homme, non à l’homme lui-même. […] Le yogi sait que la bonne façon d’agir est d’aider une personne tout en combattant le mal qui est en elle. La bataille sera gagnée, car il le combat avec amour. » (p. 39)

« Plus importante que la purification physique du corps, est la purification de l’esprit pour le libérer d’émotions telles que haine, passion, colère, convoitise, cupidité, illusion et orgueil. Plus importante encore est la purification de la pensée […]. Cette purification intérieure apporte le rayonnement et la joie. » (p. 45)

« L’ignorance n’a pas de commencement, mais elle a une fin. Il y a un commencement, mais pas de fin à la connaissance. » (p. 49)

« Mieux que ses paroles, les actions d’un homme sont le miroir de sa personnalité. Le yogi a appris l’art de consacrer toutes ses actions au Seigneur, si bien qu’elles réfléchissent la divinité qui est en lui. » (p. 51)

« La voie du yogi est aussi étroite que le fil du rasoir, elle est difficile à suivre, et peu nombreux sont ceux qui la trouvent. Le yogi sait que les voies, soit de la déchéance, soit du salut se trouvent en lui-même. » (p. 60)

« Les qualités demandées au novice sont la discipline, la foi, la ténacité et la persévérance dans un entraînement régulier et sans interruption. » (p. 75)

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10 contes du Japon

Recueil de contes rassemblés et complétés par Rafe Martin. Illustrations de Fred Socahrd

L’imaginaire du Japon est nourri par les spiritualités shinto et bouddhistes, mais aussi de légendes et de figures ancestrales. Il y a des esprits et des fantômes partout, des puissances et des dieux tantôt facétieux, tantôt cruels. Ces contes prônent la bienveillance envers le vivant et rappellent que protéger la nature, c’est s’en attirer les meilleures grâces. La magie est au cœur de chaque être : arbre, poisson, chat, oiseau, tous peuvent exaucer les promesses ou être l’instrument d’une juste colère supérieure.

Les morales de ces contes sont souvent des rappels et des mises en garde. L’homme est appelé à honorer ses promesses et à faire preuve de générosité envers toute chose. La curiosité est souvent fustigée, elle qui brise secret et silence et entraîne de tristes conséquences. « Père, mère […], je comptais rester toujours avec vous. Mais vous m’avez vue sous mon véritable aspect. Je suis la grue prise au piège que tu as sauvée, père. Je voulais vous récompenser de votre bonté. Je ne vous oublierai jamais, mais maintenant que vous savez la vérité, je ne peux demeurer davantage avec vous. » (p. 73) Face à la fugacité de l’existence, les transformations des êtres ne sont que plus spectaculaires et illustrent comment tout passe pour revenir autrement.

Chaque conte est précédé un haïku qui insuffle poésie et profondeur dans la lecture à venir. Devant certains textes, je n’ai pu m’empêcher de penser aux sublimes Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, notamment « Comment Wang-Fô fut sauvé ». Je ne me lasse jamais des histoires immémoriales, éternelles et renouvelées.

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L’âge de la lumière

Roman de Whitney Scharer.

Lee Miller est jeune. Elle est belle. Les objectifs l’adorent. Mais elle veut passer derrière. Loin de son Amérique natale, elle espère réaliser son rêve dans le Paris de 1929. « Lors de son premier été à Paris, elle ne connaissait pas encore le pouvoir des photos, la façon dont un cadre crée une réalité, dont une photographie devient un souvenir qui devient vérité. » (p. 28) Sa rencontre avec Man Ray est décisive. L’artiste devient son maître, son amant. Lee devient son assistante et sa muse. Le couple côtoie Paul Eluard, Pablo Picasso, Jean Cocteau, Salvador Dali et tout ce que Paris compte d’artistes et d’intellectuels surréalistes. Les années passent et la jeune Américaine se forme. « Lee observe toutes ces vies autour d’elle et commence à redevenir elle-même – ou à devenir elle-même, pour la première fois. Ses paupières sont comme l’obturateur d’un appareil photo ; quand elle cligne des yeux, un mouvement, une image s’impriment dans son esprit. De temps à autre, une de ces images mérite d’être conservée, de sorte qu’elle la fixe sur la pellicule. Toutes les photos qu’elle prend ainsi semblent vivantes et inattendues. Et Lee elle-même se sent plus vivante que jamais du seul fait de les prendre. » (p. 366) Devenue reporter de guerre, à Buchenwald, elle perd une part d’elle-même. « Il y a matière à photos partout où se pose le regard, des compositions d’horreurs. » (p. 147) Plus de 30 ans après sa rencontre avec Man Ray, elle ne sait quoi faire quand on lui propose de relancer sa carrière de journaliste en écrivant un long portrait de son ancien amant. « Le sujet, c’est Man Ray / Justement pas, pense Lee. Et ça a toujours été le problème. » (p. 28 & 29)

Dans ce roman historique, l’autrice présente la relation intense et dévorante entre l’artiste déjà renommé et celle que l’histoire aurait pu oublier, tant le premier s’est approprié le travail de la seconde. Whitney Scharer joue sur les deux faces de la photographie, entre art et reportage, qui sont deux formes de vérité. « L’un après l’autre, les correspondants de presse. Lee reste. Elle doit porter témoignage. Elle a les poches remplies de boîtes de pellicule, de grenades à envoyer pour publication. » (p. 290) Le récit est très bien rythmé et très agréable à lire. Peut-être un peu trop romancé à mon goût, mais je pinaille : le roman offre un beau portrait d’une artiste.

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Le sauvetage de Choupinou

Album d’Emma Chichester Clark.

Imelda est une petite fille très bruyante, très capricieuse et toujours en colère. Son jouet préféré, c’est Choupinou, un adorable lapin en peluche. Mais l’enfant n’est pas tendre avec le joujou, et un jour, ce dernier n’en peut plus et s’enfuit. Furieuse, Imelda réclame qu’on lui retrouve son jouet. Ses parents, béats d’admiration devant leur petit monstre à couettes, lui offrent un vrai lapin. Mais surprise, l’animal est loin d’être une peluche docile et s’avère être un justicier implacable. « Nous devons parler d’Imelda. » Si la fin de l’histoire n’est pas heureuse pour l’affreuse gamine, elle l’est sans aucun doute pour Choupinou.

Enfant, j’étais convaincue – sans doute comme tous les mômes – que mes jouets étaient vivants, surtout mes peluches. Je ne pense pas avoir été un bourreau de joujou, sauf peut-être toute petite, mais il me semble avoir été une petite fille très précautionneuse avec ses jouets. Pas étonnant qu’Imelda m’ait été autant antipathique ! Il faut dire que le dessin y ait pour beaucoup. Les parents de la mioche sont charmants alors que la gosse a un nez de cochon et des cheveux coiffés à la diable. Abandonne tout espoir, petit jouet qui entre dans cette chambre ! J’ai souvent pensé que la tendresse avec laquelle un enfant traite ses jouets en dit beaucoup sur la façon dont il se comporte en société. Mais bon, je ne suis pas pédopsychiatre, alors je range mes théories fumeuses et je vais border mon doudou pour ne pas qu’il prenne froid.

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Les frères Karamazov

Manga de Hiromi Iwashita, librement adapté du roman de Fiodor Dostoïevski.

J’ai besoin de résumer le roman ou tout le monde est au point ? Bon, rapidement alors. Un père débauché et alcoolique. Quatre fils qui ont tous un motif de ressentiment à son encontre. Un parricide : quel fils est coupable ? « Il faut être un fils indigne pour frapper son père ! » (p. 25)

J’avais abandonné la lecture du roman de Dostoïevski parce que, hein, bon, le style du bonhomme est plus étouffant qu’un sandwich à la purée. Je suis donc ravie d’avoir abordé l’histoire par un autre support. Pas certaine que le manga traduise toute la profondeur du roman, mais il a le mérite de rendre l’intrigue très dynamique. Sans les rendre simplistes, il présente clairement les leitmotivs littéraires que sont l’argent, la foi et l’amour. Et surtout, il met très bien en perspective la colère des paysans russes envers les propriétaires à la fin du 19e siècle. Sans aucun doute, le manga pourra mener des lecteurs vers le roman. Ce ne sera pas mon cas, Fiodor et moi, ça ne colle pas.

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Civilizations

Roman de Laurent Binet.

Et si les Vikings s’étaient installés en Amérique du Sud ? Et Si Christophe Colomb n’était jamais revenu de son voyage vers les Indes ? Et si les Incas avaient traversé l’Atlantique avant les conquistadors ? Et s’ils avaient établi leur domination sur l’Europe ? « Nous allons voguer vers un nouveau monde, pas moins riche que le nôtre, gorgé de terres. » (p. 73) C’est que propose Laurent Binet dans son uchronie. On y voit un Atahualpa qui rallie ceux que Rome exclue et persécute et qui se paye le luxe de convertir un roi anglais, un certain Henri VIII, au culte du soleil. « La vraie Jérusalem n’est plus à Jérusalem, mais à Cuzco, au-delà de la mer Océane, où se trouve le nombril du monde. » (p. 249)

L’auteur propose un exercice de style ludique et très maîtrisé où tout est inversé pour être réinventé. Le Nouveau Monde, c’est donc l’Europe, et les Incas, nouveaux conquistadors, cherchent à s’y installer, toujours plus loin vers l’Orient. C’est le Far East, en quelque sorte ! Atahualpa écrit les histoires royales d’Europe, sous l’œil de Titien, Michelangelo ou encore Vermeyen qui illustrent ses hauts faits, ses alliances, ses mariages. « L’histoire nous a appris qu’au fond, peu d’événements prennent la peine de s’annoncer, parmi lesquels un certain nombre se plaisent à déjouer les prévisions, et qu’en définitive, la plupart se contentent de survenir. » (p. 84)

Saga nordique, journal intime, épopée élégiaque, correspondance entre grands de ce monde, narration au long court, Laurent Binet explore divers genres littéraires pour constituer son Histoire inventée de l’Europe. C’est brillant, souvent jouissif tant on se régale des trouvailles historiques de l’auteur. « Personne, ne l’ayant vu lui-même, ne pourra croire ce que j’ai vu, et pourtant je peux assurer mes Seigneurs Princes que je n’exagère pas de la centième partie. » (p. 33)

Dans La septième fonction du langage, l’auteur m’avait enchantée par sa plume mordante et son talent pour les rebondissements. Même chose avec Civilizations qui a des airs de jeux de gestion : si je balance des légions d’Incas sur l’invincible armada de Charles Quint, qui gagne ? Au terme de cette lecture, Binet gagne et remporte mon cœur de lectrice une nouvelle fois !

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Croc Croc la carotte

Histoire originale de Fang Yiqun, racontée par Véronique Massenot et illustrée par Clémence Pollet.

La neige a tout recouvert. Petit Lapin a bien du mal à trouver de quoi se nourrir, mais voilà qu’il découvre deux belles carottes. Il en garde une pour lui et offre la seconde à Petit Singe. « Que fait-il dehors, par un temps pareil ? Qu’il rentre vite, j’ai un joli cadeau pour lui ! » Petit Singe était aussi parti en quête de nourriture, tout comme Petit Chevreuil et Petit Ours. Chacun ayant trouvé de quoi manger, la carotte passe de main en main.

Ce joli album aux illustrations douces et colorées montre une belle chaîne de générosité. Il démontre comment un acte charitable initial est toujours récompensé. La morale est sage et simple, à base de karma et d’équilibre du monde. Et de toute façon, qui n’aime pas les carottes ?

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Astérix – La fille de Vercingétorix

Bande dessinée de Jean-Yves Ferry (textes) et Didier Conrad (dessins).

Avant de déposer les armes aux (ou sur les) pieds de Jules César, Vercingétorix a confié sa fille, Adrénaline, a des compagnons de bataille. Ils ont pour mission de la protéger et d’empêcher que le grand Jules n’élève la petite à la romaine, comme c’est le cas de nombreux enfants soustraits aux peuples conquis par Rome. Le temps d’organiser son passage en Bretagne, la gamine est confiée aux irréductibles Gaulois. « Obélix et toi, vous veillerez sur elle, il ne doit rien lui arriver. C’est notre devoir historique de protéger cette petite. Il en va de notre crédibilité. » (p. 8) Mais voilà, la môme fugue. Tout le temps. Cela qui ne va pas faciliter les projets des peuples gaulois qui veulent faire d’Adrénaline le symbole de la reconquête face à l’envahisseur romain…

« Partout où je passe, dès qu’on murmure mon nom, les gens se tapent dessus ! / Mais non ! Ici de toute façon, on se tape tous dessus. » (p. 18) Contrairement à son Gaulois de paternel, Adrénaline est une pacifique. Elle ne rêve que de s’occuper d’enfants orphelins comme elle, et de les faire vivre heureux sur la mythique île de Thulé. Encore faut-il rejoindre ce morceau de terre perdu on ne sait où dans les grandes eaux. Heureusement, les pirates sont toujours là quand on a besoin de les martyriser ! Et à terre, il y a d’autres conflits, plus mineurs, sur le point de se régler : les fils d’Ordralfabétix et Cétautomatix sont bons copains et n’envisagent pas de passer leur vie à se balancer enclumes et poissons à la tronche !

Ce scénario très simple, pro-paix, est charmant et efficace, mais certainement pas renversant, et je suis loin de me rouler de rire sur le sol, comme j’ai pu le faire avec des albums scénarisés par d’autres auteurs. Il y a toujours des jeux de mots, dont certains collent à l’actualité et d’autres sont plus classiques, dans la veine de ceux de Goscinny. Les noms des personnages sont de plus en plus capillotractés, mais ils fonctionnent. Bref, voilà un album sans prétention qui fait le job. On sourit et on se détend.

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Les falsificateurs

Roman d’Antoine Bello.

Sliv Dartunghuver croyait être embauché par un cabinet d’études environnementales. Il a en réalité intégré le CFR, une organisation qui falsifie le réel, le passé et les archives. « Quand tous les éléments d’une organisation comme le CFR travaillent dans la même direction, on peut vraiment changer le monde, plus qu’aucun d’entre vous isolément ne pourrait le faire ou même en rêver. » (p. 104) Quel est le but de cette entité ? Qui décide du Plan qu’elle applique scrupuleusement ? « On peut tout aussi bien imaginer que le CFR est une sorte de bras armé pour les multinationales ou qu’il cherche à prendre le contrôle politique du monde occidental. » (p. 109 & 110) À quoi servent les scénarios que les falsificateurs produisent, dans lesquels l’efficacité est toujours mesurée à l’aune du risque engagé ? « Si tu as pu écrire ce scénario, c’est que tu comprends comment fonctionne le monde. Tu as repéré une injustice et tu as pensé que tu pouvais la corriger. » (p. 111) Et que se passe-t-il quand le risque l’emporte et compromet la sécurité du programme ? « Il suffit de réfléchir cinq minutes pour comprendre qu’une organisation comme le CFR connaît forcément des ratés. Il faut être bigrement niais pour imaginer qu’ils se résolvent tous seuls. » (p. 247) De Reykjavik à Krasnoïarsk en passant par Cordoba, Sliv balance entre enthousiasme et scrupule devant l’ampleur du travail que l’on attend de lui et face au grand mystère qui entoure l’organisation qui l’emploie.

Vous êtes convaincu que l’assassinat de Kennedy dissimule un grand secret ? Ou que personne n’a vraiment marché sur la Lune ? Et si vous aviez raison ? Et si les théories du complot étaient avérées ? En lisant le roman d’Antoine Bello, on se dit qu’être paranoïaque a du bon. « Je défie quiconque est passé par le CFR de pouvoir lire un journal sans chercher aussitôt les symptômes de la falsification. » (p. 274 & 275) Avec le premier tome de sa trilogie, l’auteur met en place un ambitieux polar historico-géopolitique. J’ai un peu tiqué sur le style parfois pauvre ou lourd, mais le roman se lit avec avidité. Et la fin des plus frustrantes donne furieusement envie d’attaquer la suite des aventures de Sliv Dartunghuver pour comprendre enfin la finalité du CFR. « Noyez vos lecteurs dans les détails qui leur feront oublier que vous leur cachez l’essentiel. » (p. 196)

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Le lièvre et les lapins

Album de Timothée Le Véel.

Sous le grand chêne se trouve une garenne. Et dans une garenne, que trouve-t-on ? Des lapins, évidemment. Mais pas seulement ! « Un grand lièvre à l’air mélancolique se dresse parmi eux. Les lapins l’ont adopté quand il n’était qu’un levreau et l’ont élevé comme l’un des leurs. » Le lièvre voudrait courir dans la plaine la nuit et explorer plus loin que les racines du chêne. Quand il rencontre un congénère, il ose l’aventure, mais il sait que, dans la forêt, rôdent les terribles loups.

Avec un titre qui pourrait être celui d’une fable de Jean de La Fontaine, ce grand album cartonné propose une jolie histoire sur la famille et l’entraide. Rien que pour les superbes illustrations au fusain, chaque page mériterait d’être encadrée. Par endroit, l’image est tellement dynamique qu’on croirait lire un story-board. Nul doute que cette belle histoire ferait un fameux court-métrage animé !

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La Jégado, tueuse à l’arsenic

Bande dessinée d’Olivier Keraval (scénario) et Luc Monnerais (dessin).

Hélène Jégado est condamnée à mort pour le meurtre d’une trentaine de personnes. « Cette femme est folle. Elle tue sans raison. » (p. 28) Son jeune avocat, Magloire Dorange, a été impuissant à obtenir sa grâce auprès du jeune prince-président, Louis-Napoléon Bonaparte. La vieille servante bretonne a toujours nié les crimes qui lui étaient reprochés. « Jamais il n’a été question du mal qu’on m’a fait. Il n’y en a que pour les autres. » (p. 37) Bien après que la tête de l’empoisonneuse est tombée, le fougueux Magloire continue de clamer que la Jégado était aussi une victime. Et il réclame justice pour elle et pour le peuple. « Quelle que soit sa forme, je me bats contre l’oppression, pour la République ! » (p. 85) Le nouveau régime semble bien fragile et le neveu de l’empereur déchu n’inspire pas confiance. Entre Rennes et Marseille se monte un complot qui dépasse le simple assassinat et qui appelle à la fin de la peine de mort, inique instrument de justice.

Jean Teulé avait fait fort avec sa Fleur de tonnerre en peignant un portrait enlevé de la Jégado. Olivier Keraval prend le prétexte du procès de l’empoisonneuse pour emmener le récit plus loin, vers des considérations politiques et sociales qui expliquent, sans excuser, les crimes de la Jégado. On croise un certain Victor Hugo qui affûte déjà ses arguments contre l’échafaud. Les tons sépia et les crayonnés confèrent à cette bande dessinée un charme particulier. L’œuvre interroge les archives pour mieux nourrir la fiction, voire la légende de la tueuse à l’arsenic. Je déplore l’histoire d’amour entre l’avocat et la fille du commissaire qui a arrêté Hélène Jégado : elle tombe comme un cheveu dans le potage et aurait pu empoisonner toute la bande dessinée. Mais dans l’ensemble, l’ouvrage est excellent et a très bien alimenté ma fascination pour la Jégado.

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Les Indes fourbes

Bande dessinée d’Alain Ayroles et Juanjo Guardino.

Sous-titre – Une seconde partie de l’histoire de la vie de l’aventurier nommé Don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et miroir des filous ; inspirée de la première, telle qu’en son temps la narra don Francisco Gomez de Quevedo y Villegas, chevalier de l’ordre de Saint-Jacques et seigneur de Juan Abad.

La bande dessinée s’ouvre une séance de travail de Velázquez quand il peint les Ménines. Ou plutôt, la bande dessinée prend la suite du roman de Francisco Quevedo. « À la fin de ce roman situé en Espagne, le picaro Don Pablos embarque vers l’Amérique – les Indes, comme on disait alors. Quevedo annonce une suite, qu’il n’écrira jamais. » Ou plutôt, la bande dessinée commence par le récit de Pablos, à demi mort, qui raconte comment il a découvert l’Eldorado et ses richesses infinies, en accompagnant Don Diego, hidalgo plein de panache. Il est question de têtes réduites, du terrible rebelle El Tigre, de voyages épuisants, d’esclaves marrons et de bien d’autres choses. Son aventure suscite l’intérêt de l’alguazil et du corregidor. Mais cette histoire est-elle digne de confiance ?

Évidemment, elle ne l’est pas ! Pablos est paresseux, ambitieux, filou, menteur et traître, mais également hautement sympathique. « À force de constance dans la fourbe et d’invention dans la friponnerie, un obscur lève-tard peut y devenir le souverain d’un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais ! » (p. 154) Dans cette bande dessinée, j’ai retrouvé tout le sel des romans picaresques que j’apprécie tant. « J’étais parti de trop bas pour renoncer à m’élever. » (p. 28) Mais il y a plus encore, et notamment des références à des œuvres picturales et littéraires, certaines évidentes, d’autres plus subtiles. Entre autres choses, il est question de lama aux pratiques salivaires étonnantes quand ils sont fâchés. Ce flot de clins d’œil n’est pas étonnant puisque Alain Ayroles est aux commandes du scénario et qu’il m’a déjà enchantée par sa maîtrise de l’intertextualité dans la série De cape et de crocs. Quant à Juanjo Guardino, il fait très fort avec des dessins superbes et une palette de couleurs flamboyante, comme dans la série Blacksad. Je suis restée sans voix devant les pages sans texte et devant la magnifique double page sur l’Eldorado.

Les Indes fourbes est une réussite sur tous les plans. Voilà une bande dessinée que j’aurais plaisir à relire très souvent !

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Monsieur Origami

Roman de Jean-Marc Ceci.

Maître Kurogiku vit depuis quarante ans dans une ruine de Toscane. Ce Japonais exilé par amour fabrique du washi, ce papier traditionnel nippon. « Ce n’est pas pour le vendre qu’il fabrique le washi. C’est pour le plier. » (p. 47) Il cultive l’art de la patience et de la contemplation, comme le veut la philosophie zen. Arrive Casparo qui veut créer une montre qui contiendrait toutes les mesures du temps. « Je passe mon temps à une activité dont personne ne voit l’utilité. C’est sans doute ce que l’on appelle une passion. » (p. 77) Entre le vieux maître et le jeune enthousiaste, il y a la différence majeure entre jouir du temps ou le mesurer, mais aussi la même obsession, celle de trouver le bon moment. « L’homme ne comprend pas le temps. L’homme a inventé sa mesure. Il a enroulé le temps autour d’un cadran, puis il l’a plié. » (p. 101 & 102)

Les chapitres sont très courts, fugaces, mais parfaitement finis, comme de délicats pliages de papier. Le roman célèbre l’esthétique de la lenteur et celle de la fulgurance. Il rappelle aussi qu’il y a toujours une histoire plus grande que les individus. Quant au papier, matière plus résistante que l’on croit, il est à la fois le support magnifié de l’histoire et son sujet principal. Lire entre les lignes, c’est aussi déchiffrer les secrets des pliures des origamis. Avec ce premier roman, Jean-Marc Ceci frappe fort, très fort, et il fait battre un peu plus vite le cœur.

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Une rançon

Roman de David Malouf.

Pour s’être fâché avec les généraux, Achille a retiré ses Myrmidons du combat, ce qui a permis à Hector de progresser dans les rangs grecs. Pour contrer cette attaque, Patrocle supplie son bouillant ami de lui laisser revêtir son armure et de mener en son nom les Myrmidons contre les Troyens. Et Hector tue Patrocle. Rongé de culpabilité, de chagrin et de colère, Achille tue Hector, puis supplicie son cadavre pendant plusieurs jours. Du haut des remparts de Troie, le vieux roi Priam assiste à la profanation du corps de son fils bien-aimé. Avec un char rempli d’or, il quitte la ville pour rejoindre le camp d’Achille : une rançon contre la dépouille de son enfant. Et pour cela, il est prêt à ne pas exiger en roi, mais à implorer en vieil homme. « [Il] peut aller humblement, en père et en homme, trouver le meurtrier de son fils, et demander qu’au nom et sous le regard des dieux, lui soit remis le corps de son fils mort. Sous peine de voir traîné dans la poussière l’honneur de tous les hommes. » (p. 88)

J’aime les réécritures modernes de mythes antiques, notamment celles qui conservent l’intrigue dans son époque et qui s’attachent à combler des blancs, à expliquer des détails. « Je crois que ce qu’il faut pour toucher ce nœud dans lequel nous sommes tous pris, c’est quelque chose qui n’a jamais encore été fait ni pensé. Quelque chose de nouveau. » (p. 58) David Malouf fait ça avec brio et donne à voir un épisode mythologique comme s’il s’agissait d’une histoire parfaitement inédite. J’avais déjà eu ce sentiment de complète réussite avec L’obscure clarté de l’air de David Vann. Je ne connaissais pas l’auteur australien, mais je vais explorer son œuvre avec plaisir !

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Le bal des folles

Roman de Victoria Mas.

Hiver 1885. L’hôpital de la Salpêtrière bruisse d’une excitation inhabituelle : le bal de la Mi-Carême approche. Seule occasion de l’année où les femmes internées peuvent s’amuser et côtoyer le monde extérieur. Et le grand Paris se presse à cet événement, impatient de se frotter aux folles que traite le Dr Charcot. Parmi ces femmes rejetées par leurs familles et le monde, il y a Louise, Thérèse et Eugénie. L’une a été violée, l’autre a tué et la dernière voit des esprits. Toutes sont coupables de ne pas être restées dans le moule de la femme respectable forgé par la société patriarcale. « Elles ne sont plus des épouses, des mères ou des adolescentes, elles ne sont pas des femmes qu’on regarde ou qu’on considère, elles ne seront jamais des femmes qu’on désire ou qu’on aime : elles ne sont que des malades. Des folles. Des ratées. » (p. 12)

Il y a dans ce premier roman toute la maladresse à laquelle on peut s’attendre, mais sans les promesses d’une œuvre que j’aurais envie de suivre. Je reproche à ce texte un manque certain d’édition, un style parfois maladroit, mais surtout une chute lapidaire et expédiée. Le roman décrit la triste condition des femmes au 19e siècle, mais sans rien proposer qui serait innovant ou qui éclairerait autrement les balbutiements de la médecine psychiatriques. « Un dépotoir pour toutes celles nuisant à l’ordre public. Un asile pour toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables d’avoir une opinion. » (p. 24) Les praticiens ne sont que des sadiques en blouse blanche, plus soucieux d’offrir un beau spectacle aux curieux qui affluent dans les salles d’examen que de soigner les pauvres femmes qui ont été confiées à leurs soins. « Depuis toujours, elles étaient les premières concernées par des décisions qu’on prenait sans leur accord. » (p. 67)

Ce ne fut pas une lecture déplaisante, juste vaguement irritante et finalement légèrement décevante.

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Midi pile

Album de Rébecca Dautremer.

Jacominus Gainsborough a demandé à Douce de le rejoindre à midi pile. Très précisément. Pourvu qu’elle ne soit pas en retard. « Il est seulement 9 h 20 et je t’attends déjà. T’en doutes-tu ? » L’horloge n’arrête pas sa course et l’impatience amoureuse de Jacominus grandit. Il n’admet aucun importun sur le chemin qui mène sa bien-aimée jusqu’à lui. Il a une déclaration importante à lui faire, qui ne peut pas attendre ! Alors il a bien le droit d’être un peu jaloux et injuste, le petit lapin. « Je me souviens de chaque couleur que tu portes, et tu me parais toujours la plus jolie. Aussi ne t’en préoccupe pas trop aujourd’hui. Vois comme l’heure passe et viens ! » Douce sera-t-elle au rendez-vous fixé par Jacominus ?

Avec cet album, l’illustratrice s’est faite dentelière : chaque page est un ouvrage délicat et fragile. Parfois un rien fait toute l’illustration. Parfois la découpe ne tient qu’à un point et pourrait s’envoler. Le lecteur suit le trajet de Douce vers Jacominus et explore tout un paysage en creux, dans ce qui est littéralement un travelling avant dans le livre, en laissant derrière lui les décors et les passants. L’histoire est simple et jolie : l’émerveillement tient surtout à la plongée dans ce remarquable ouvrage de papier. Je retiens la promesse formulée par Rébecca Dautremer en début d’album. « Ce livre qui te fait hausser le sourcil et retenir ton souffle, tu t’apprêtes à le TRAVERSER. […] Bref, si tu traverses avec les yeux ce livre-là, tu pourras t’y réfugier, bien peinard, autant de fois que tu en auras besoin. » Bien rangé dans ma bibliothèque, le livre m’offrira encore de beaux moments, c’est certain !

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Tropique de la violence

Roman de Nathacha Appanah.

Mayotte, c’est quoi ?

  • L’île aux parfums, aux ylangs-ylangs et aux flamboyants,
  • Une préfecture et des dispensaires pris d’assaut tous les matins pour obtenir un ticket de rendez-vous,
  • Les fruits et les fleurs qui alourdissent les branches,
  • Des clandestins venus des Comores, de Madagascar ou d’Afrique, attirés par le mirage français,
  • L’eau si claire du plus beau lagon du monde,
  • Les enfants qui vivent seuls dans les rues et la forêt,
  • Des ONG métropolitaines qui pensent pouvoir tout changer.

Et au cœur de cette poudrière sociale baignée de soleil, il y a Marie, femme blanche qui désespère d’être mère et qui se crée une famille avec un enfant donné. « J’aime lui dire qu’il est né dans mon cœur. » (p. 12) Il y a Moïse, l’enfant trouvé qui s’est perdu, une arme à la main. Il y a Bruce, le roi du bidonville de Gaza, aussi cruel qu’il est jeune. « Parce que tu crois que je suis né comme ça, moi, avec l’envie de taper, de mordre, de rentrer dedans. » (p. 26) Il y a Olivier et Stéphane, policier et bénévole, qui ont appris ou doivent encore comprendre qu’ils se battent contre l’inébranlable. « Que personne ne vienne me juger. J’ai profité de toutes les failles de ce pays, de toutes les tares de cette île, de tous ces yeux fermés. Et c’était si facile, croyez-moi. » (p. 12). Même au son d’une chanson de Barbara et des mots d’Henri Bosco, non, Mayotte n’est pas un paradis.

J’ai découvert la plume de Nathacha Appanah avec Le ciel par-dessus le toit : l’histoire blessée de Loup et de Phoenix a profondément marqué ma rentrée littéraire 2019. Avec Tropique de la violence, l’autrice m’a ramenée à Mayotte, île dont je garde un souvenir puissant pour y avoir vécu plusieurs mois. La pauvreté et la colère quotidiennes, je les ai vues. L’embrasement imminent et la crise civile, je les ai vécus, au point que mon employeur de l’époque, en octobre 2011, avait préféré me faire rentrer en métropole, pour ma sécurité. Quel étonnement en arrivant à Paris de ne rien lire des émeutes qui enflammaient le département français que je venais de quitter ! « Mayotte, c’est la France et ça n’intéresse personne. » (p. 73)

Ce puissant roman m’a rappelé l’excellent roman graphique de Charles Masson, Droit du sol. Il m’est toujours étrange de connaître exactement les lieux ou les trajets d’un personnage dans un livre, pour les avoir parcourus comme lui. Dans ce texte de Nathacha Appanah, j’ai vu les ombres qui s’étendent au débarcadère de la barge quand elle accoste à Mamoudzou. J’ai entendu les avions qui décollent de Pamandzi. Comme si j’y étais encore.

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Bonne année 2020 !

FLOPPY NEW YEAR !

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