Recueils de grilles de mots croisés de Marc Aussitôt.
Aujourd’hui, pas tout fait de la lecture, mais un loisir très proche des mots.
Depuis que je suis môme, j’adore les mots fléchés et les mots croisés. Passion acquise auprès de mes grands-parents maternels et paternels que j’ai toujours vus noircir des grilles.
En 2016, pendant une courte période d’abonnement, j’ai découvert les grilles de Marc Aussitot dans le magazine Télérama. Énorme coup de coeur pour le travail de ce verbicruciste qui compose des définitions que moi, cruciverbiste amatrice, je prends un plaisir dingue à déchiffrer ! Elles sont drôles, érudites, insolites, évidentes, anecdotiques. Bref, tout ce qu’il faut pour stimuler mes neurones !
Eh non, verbicruciste et cruciverbiste ne sont pas synonymes !
Le troisième volume vient de paraître et a rejoint ma table basse. J’ai fini le deuxième pendant l’été au bord de la piscine, mais je commence à peine le premier. Encore de belles soirées de remue-méninges en perspective, avec de la bonne musique en fond sonore !
La narratrice, c’est Jmiaa, prostituée à Casablanca depuis que son mari a fichu le camp vers le mirage d’une vie meilleure en Espagne. « Pour vivre, je me sers de ce que j’ai. » (p. 17) Jmiaa n’a pas sa langue sans sa poche, elle est droite dans ses bottes et débrouillarde. « Ici, tu rencontres celui qui chaque jour boit sa honte et qui – le soir venu – te fait vomir la tienne, dans les toilettes sales et l’excuse d’un vin frelaté. Mais, au fond, tu te fous bien d’eux, de leur misère et de leur crasse. Parce que tu sais que c’est comme ça. Et que sur cette terre, chacun son lot. » (p. 26) Jmiaa aime la vie, la fête, l’alcool – peut-être un peu trop. Et sa fille, à qui elle tente de cacher son activité. Elle aime aussi Chaïba, son petit ami, aussi brutal qu’inconstant. Arrive Chadlia, dite Bouche de cheval, qui veut réaliser un film dans Casablanca et lui donner tous les accents du réel. « Il faut que ce soit comme dans la vraie vie. Pour que les gens y croient. Qu’ils pensent que c’est vraiment arrivé. » (p. 166) Pour ça, elle a besoin de quelqu’un qui connaît la ville dans ce qu’elle a de plus authentique. Pour Jmiaa, c’est une proposition en or. « C’était ça mon travail avec elle : l’aider pour qu’elle puisse finir d’écrire son histoire. Plus facile que ça, il n’y a pas. » (p. 123) Jmiaa compte bien en profiter autant qu’elle pourra et tirer tous les avantages de cette situation. D’autant plus que Bouche de cheval cherche maintenant l’actrice principale de son film.
Jmiaa est le genre de personnage que je désespère de croiser plus souvent dans la littérature. Quel plaisir de l’écouter parler – à qui, cela reste un mystère – et de suivre son regard profane sur le cinéma, mais acéré sur la nature humaine ! Dotée d’un gros bon sens et d’une tête solide, elle traverse les épreuves de la vie avec majesté et détermination. À l’image de sa protagoniste, le roman est généreux, drôle par moment, profond, vivant et très humain. Et le style de Meryem Alaoui est de ceux qui enchantent dès les premières lignes, à la fois musical et chantant, aussi rythmé que mesuré. Avec ce premier roman, l’autrice fait déjà preuve d’un talent certain et je vais suivre de près la suite de sa carrière littéraire.
« Nous sommes ensemble depuis cinq ans. À part l’amour, tu n’as rien. / Tu ne t’en es pas plainte. » (p. 4) Quand Reine quitte Claude, ce dernier décide de se venger et qu’importe que cela lui prenne 15 ans. Pour cela, il s’attache la douce Dominique qui, sans le savoir, participe à un plan amer poli par le dépit. De leur mariage naît Épicène, petite fille adorable qui ne comprend pas pourquoi son père la hait, mais qui s’en accommode en le haïssant encore plus fort. « Pourquoi avoir des remords de ne pas aimer qui ne l’aimait pas ? La question ne méritait aucun état d’âme. » (p. 21) Cependant, il y a une différence entre ressentir ce violent sentiment et l’avouer à d’autres. Et tandis que Claude poursuit obstinément sa vengeance, la fillette découvre les ravages de la duplicité et de la dissimulation. « À dix ans, Épicène ne fut pas capable de dire à sa meilleure amie que son père était un sale type et qu’elle le détestait. » (p. 26) Plus tard, quand bien des vies auront été bouleversées, il restera une simple question : peut-on vraiment se venger d’un chagrin d’amour ? Et cela a-t-il un sens ?
Après Frappe-toi le cœur qui décrivait le terrible manque d’amour d’une mère envers sa fille, Amélie Nothomb explore ici les relations père-fille et, au-delà, les chemins que l’on emprunte dans l’existence : faut-il vivre pour un autre, contre un autre, pour soi ? Si le style de cette autrice me laisse particulièrement froide, tant son dépouillement frôle la désolation, le contenu de ses derniers romans me stimule agréablement et, toujours, me rappelle la chance que j’ai eue de grandir dans une famille normale, banale, heureuse.
Tarjei Vesaas est un auteur norvégien né en 1897 et décédé en 1970.
POTIN – Il aurait dû hériter et prendre la suite de ses parents dans l’exploitation familiale, mais ces derniers l’ont encouragé à écrire et développer son talent d’écrivain.
Dans le Northern australien, Cotton’s Warwick est une ville oubliée, quasi désertée, où les étrangers ne sont pas les bienvenus. Il n’y reste que seize hommes et une femme qui sont écrasés par une canicule exceptionnelle. « Descendants de bagnards et d’aborigènes violées jusqu’au sang, les Warwickiens sont fiers de leurs origines comme de leur consanguinité. » (p. 6) Il n’y a plus assez d’eau pour se laver, à peine pour boire, mais de toute façon ils préfèrent la bière. Tous se soumettent à Ranger Quinn, à ses ordres tyranniques, à la messe quotidienne et à la répétition inepte des journées. Mais voilà que l’un d’eux meurt, puis un autre et encore un autre et presque tous. Les survivants, loin de faire front commun, redoublent de cruauté les uns envers les autres, achevant le travail de destruction entamé à l’encontre de l’humanité.
La mort est rapide et s’abat en une ligne sur des personnages dont on a tôt fait d’oublier le nom tant ils étaient haïssables et peu fréquentables. La mort est visuelle, presque graphique, d’autant plus que les meurtriers sont inattendus et presque de nature divine, métaphysique. Alors que le soleil embrase l’air et que la fournaise renaît chaque matin après le couperet glacial de la nuit, les kangourous, les razorbacks, les kookaburras et les brown snakes reprennent l’ascendant sur l’Outback.
Autant j’aime le gore décomplexé de Stephen King – parce qu’il sert un propos –, autant je suis restée hermétique à l’escalade hallucinée de violence sanglante et déshumanisée de ce roman. Je n’ai pas compris le propos de ce thriller sauvage sur fond de nouvelles internationales et de musique rock. Je le laisse aux amateurs de barbarie gratuite et de fantasmes hémoglobinés !
Essai de Stéphanie Hochet. À paraître le 11 octobre (Oui, demain ! Au moins, vous êtes prévenus, alors tenez-vous prêts !)
Ce n’est pas première fois que Stéphanie Hochet se frotte à ce bel animal : après son Éloge du chat, elle propose une version voluptueuse de ce sujet décidément inépuisable. « Sybarite de la sieste, Lucullus de la gamelle, toujours prêt à la caresse, le chat est le champion de la délectation. Un félin frigide est une contradiction dans les termes : l’absolue volupté appartient à son essence. » (p. 228) Pour avoir également lu le Petit dictionnaire amoureux du chat de Frédéric Vitoux, je peux affirmer que Stéphanie Hochet est originale et intarissable et que l’animal est insaisissable, tant il y a dire sur lui ! « Honneur aux chats, gloire à la fierté féline, à bas les conifères et leurs alliés flavescents ! » (p. 213)
Devant ce dictionnaire, comme un chat, je n’en ai fait qu’à ma tête, refusant le classement alphabétique et sautant d’une entrée à une autre, en suivant les renvois, un peu comme une histoire dont le chat serait le héros et déciderait de chacun de mes mouvements. « Vouloir civiliser le chat est une aberration philosophique. Le chat est cette partie de nous qui refuge le joug de l’obligeance. » (p. 21) Ce faisant, je suis passée de l’Angleterre à l’Égypte, j’ai sautillé au Japon et j’ai croisé Colette, les Aristochats, Charles Baudelaire et le ténébreux Blacksad. J’ai caressé quelques têtes de chien, animaux que j’aime autant que les chats pour des raisons différentes, et j’ai enfoui mon nez dans la douceur de la fourrure de quelques lapins qui, selon Stéphanie Hochet, sont sans doute les versions végétariennes du chat. Je partage cette opinion qui mériterait largement un développement, voire un éloge impertinent du lapin !
Dans sa préface, Gilles Lapouge cerne avec finesse la magie de cet ouvrage : « Ce n’est pas le chat de Stéphanie qui devient un humain. C’est Stéphanie qui devient un chat. » (p. 8) Et Stéphanie Hochet de renchérir : « Je connais beaucoup de gens qui rêvent de se réincarner en chat. Pour ma part, je n’ai pas vu l’intérêt d’attendre une prochaine vie. » (p. 17) Au gré de cet abécédaire dont les lettres sont déclinées en courbes félines, j’ai largement aggravé mon ailurophilie, et ça me réjouit. « Sa manière de se frotter à votre jambe surtout si vous portez des bas de soie qui font un si joli bruit […] » (p. 12) J’aime profondément les toutous, mais j’ai choisi de vivre avec un matou pour des raisons d’espace : je refuse d’enfermer un chien dans un appartement, alors que je sais que ma Bowie chérie sait exploiter toute la surface, voire tout le volume de la maison. Et comment ne pas compatir quand Stéphanie Hochet donne la parole à son ami écrivain, Jérémy Fel, qui raconte le deuil qui l’habite depuis la disparition de sa compagne à moustaches. Mais qu’on se le dise, le bipède ailurophile n’est pas fou, oubliez l’image de la crazy cat lady ! Le chat n’est pas une religion, ce n’est pas un dogme : c’est une évidence ! « Aimer les chats ne [consiste] pas à idéaliser les félins, mais à se réjouir de leur attitude majestueuse. » (p. 74 & 75)
Cet Éloge voluptueux du chat se lit avec délectation, en s’étirant sur un matelas confortable ou lové sous une couette dont nous sommes le maître. Ce n’est pas un mode d’emploi du petit félin domestique, ni un livre sacré, mais une façon de rappeler l’humain à ses devoirs envers le chat. « Si Dieu est mort, le chat se propose de devenir son voluptueux ersatz. » (p. 30) Ce n’est pas Philippe Geluck qui dira le contraire : lisez sa Bible selon le Chat. Mais surtout, lisez les œuvres de Stéphanie Hochet qui s’y entend pour parler de chats et de bien d’autres sujets !
Et venez la rencontrer à la librairie Place Ronde de Lille le 17 octobre pour discuter de ce charmant animal que nous aimons tant et faire dédicacer votre exemplaire ! Et ailleurs en France si Lille est trop de loin de chez vous. (Mais tous les chemins mènent à Lille, et à Lili.)
Ouvrage de Marie-Hélène Champlain. Photographies de Samuel Dhote.
« Dans ce plat pays flamand bombé de quelques monts et bordé par la mer, la bière a trouvé une terre à son goût dont elle se nourrit sans partage : ici, pas de vignes à flanc de coteau, mais des rangées de houblons sur leurs échasses, plus hautes encore que les géants qui peuplent les rues et les places lorsque l’ambiance est à la fête ! » (p. 7)
Depuis la préhistoire, la bière nourrit et désaltère les hommes. Elle est présente dans les célébrations religieuses et dans les fêtes païennes et civiles. Elle appelle au partage de moments conviviaux. Et en Flandre, la bière et l’activité brassicole sont bien plus que cela : elles sont une industrie, une histoire, un patrimoine vivant.
Marie-Hélène Champlain retrace le destin de quelques petites ou grandes dynasties brassicoles du nord de la France. « Le brasseur est un personnage important de la vie sociale du village. Ce n’est d’ailleurs pas innocent si plusieurs brasseurs sont devenus maires, parfois même de père en fils. » (p. 43) Elle rappelle qu’à 1 ou 2 degrés, la bière était servie en bol pour le goûter des enfants, distribuée aux moissonneurs et recommandée aux jeunes accouchées pour faire monter le premier lait. La bière, c’est une boisson nourricière à plus d’un titre !
Pendant plusieurs siècles, la bière a été la boisson principale dans presque tous les foyers. Mais la Première Guerre mondiale et les impératifs de l’industrialisation ont freiné cette activité, d’autant plus que le produit de la fermentation basse a fini par lasser : trop fade et jugée sans caractère, la bière légère a été délaissée pour d’autres breuvages. « À partir des années 1960, le désamour pour la bière touche l’ensemble des consommateurs. Chez les enfants, la limonade, le soda ou les eaux pétillantes ont l’attrait de la nouveauté et séduisent durablement. À l’école, le lait a remplacé le traditionnel bol de bière et à table, on boit de l’eau. » (p. 75)
Depuis quelques années, de nouvelles brasseries voient le jour et réhabilitent un art qui a failli se perdre, en créant de nouvelles bières : la qualité prévaut sur la quantité ! Et comme le dit l’héritier de la famille Ricour, « la bière, c’est un peu comme la cuisine. Il faut un chef rigoureux, de bons produits, du palais, un savoir-faire et une exigence sur la qualité ! » (p. 87) La brasserie des années 2010 redonne ses lettres de noblesse à une boisson qui sait rester populaire, mais aussi trouver sa place sur les bonnes tables et dans les grandes occasions. La bière de soif n’est pas morte – et heureusement ! –, mais la bière de dégustation sait s’imposer !
L’ouvrage s’achève sur une présentation des trésors de la Flandre, de la table aux visites, des loisirs aux célébrations. Outre les clichés de Samuel Dhote qui subliment les paysages, les récoltes et la boisson, l’ouvrage fait la part belle à des illustrations diverses : images d’archives, cartes postales et vieilles photographies, affiches commerciales et étiquettes de bières. Et quel plaisir de trouver en fin d’ouvrage quelques recettes appétissantes, à base de bière évidemment ! Je ne résiste pas à vous en montrer une que je vais tester sans attendre (passion fromage…) !
Désormais, quand sur une terrasse lilloise ou dunkerquoise vous porterez à vos lèvres un verre de boisson blonde ornée d’une mousse claire, vous saurez que c’est la Flandre tout entière qui vous cavale dans le gosier et vous régale ! Je préfère les bières de type stout, noires et épaisses, comme une célèbre marque irlandaise à la bouteille aussi sombre que son contenu, aux bières blondes et légères des Flandres, mais Brasseries de Flandre enrichit agréablement ma découverte du pays de Flandre que je parcours avec plaisir depuis mon installation dans sa capitale en début d’année. Et il m’a donné follement envie de revoir la série télévisée Les Steenfort, maîtres de l’orge.
Lapinot est un bon gars, toujours prêt à rendre service. Mais à cause de son ami Richard, champion dans l’art de dire et faire des choses stupides et/ou dangereuses, il contribue à une prise d’otages dans une arrière-salle de bistrot. « En tout cas, moi, je rends le monde meilleur. / Tu rendrais le monde meilleur si tu divisais par deux toutes tes formes d’initiatives. » (p. 16) Entre temps, il a rencontré Gaspard qui voit les auras des personnes qu’il croise, il a revu Nadia avec laquelle il espère renouer et il a fait une première rencontre grâce à une application.
Lapinot est un héros du quotidien, à la générosité simple et immédiate. Ni meilleur ni pire qu’un autre, il a une sensibilité peut-être plus développée que celle de ses congénères. « Tu es l’inventeur, le découvreur, le créateur d’une société où la bonté l’emportera. » (p. 23) Il y a beaucoup d’humour dans ces pages, mais il est grinçant et un peu acide, comme la vie en général. C’est surtout un rire jaune, mais un rire qui essaie de tirer le meilleur parti de l’existence et qui apporte une pointe d’optimisme dans le marasme ambiant.
Il faudra évidemment que je comble une grosse lacune en lisant les premières aventures de Lapinot, mais je suis déjà conquise par ce petit personnage aux oreilles et aux dents caractéristiques de son espèce, et pas uniquement à cause de ça. Parce que Lapinot, comme je le disais en introduction, c’est un bon gars. Et j’aime ça, les bons gars.
Encyclopédie de Blandine Le Callet. Illustrations de Valentine Le Callet.
Quatrième de couverture – Caput Draconis ! Piertotum locomotor ! Wingardium leviosa ! Tous les lecteurs de Harry Potter le savent, les sorciers utilisent une langue qui ressemble beaucoup au latin pour leurs mots de passe et leurs formules magiques. Mais les emprunts de J.K. Rowling à l’Antiquité vont bien au-delà. De l’atrium du ministère de la Magie au sombre bureau du professeur Rogue, des transes de Sibylle Trelawney aux foudres de Dumbledore, des centaures de la Forêt interdite au sphinx du labyrinthe, le monde des sorciers est profondément inspiré par la culture gréco-romaine. Dans cette encyclopédie illustrée, à la fois érudite et ludique, Blandine Le Callet révèle l’extraordinaire travail de référence à l’Antiquité auquel s’est livrée J.K. Rowling. On y trouvera des articles sur une foule de personnages de la saga, mais aussi sur des animaux, des plantes, des monstres, des lieux, des formules magiques, et bien d’autres choses encore… Bienvenue dans le monde antique de Harry Potter.
Que j’aime les quatrièmes de couverture bien faites ! Et celle de cet ouvrage est un modèle du genre. Venons-en au contenu dudit ouvrage. En fouillant tous les recoins des livres écrits par J. K. Rowling et bien d’autres sources (sites internet, jeux, etc.), Blandine Le Callet a traqué la moindre trace de culture gréco-romaine et son encyclopédie a des allures de jeux de piste ! Les quelque 550 pages de ce livre ont largement ravi l’ancienne latiniste et la férue d’étymologie que je suis. Quel plaisir immense de décrypter avec l’autrice le sens des formules magiques (en français et dans la version originale), les noms des personnages et des créatures ou encore des épisodes des livres qui empruntent beaucoup à la mythologie antique et ainsi la renouvèlent. Ainsi, vous pouvez voir en Cédric Diggory un nouvel Hector ou en Dumbledore un nouveau Zeus ou un nouveau Socrate. Et grâce à Blandine Le Callet, vous serez incollable quand il s’agira de décortiquer les néologismes de J. K. Rowling !
Certaines entrées sont plus longues que d’autres et les personnages principaux de la saga ont droit à des développements sur plusieurs pages. Je n’en retiens qu’une qui – ô surprise – parle d’un certain animal à longues oreilles… « Lapifors est un sortilège permettant de transformer un objet en lapin. Il apparaît dans le jeu Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. Le nom de ce sortilège est composé de mot français « lapin » – lui-même dérivé du lapin lepus qui signifie « le lièvre » – et de fors qui signifie « le sort », « le hasard » en latin. » (p. 289) Je suis loin d’être une mordue (pas moldue, mordue !) acharnée de l’univers Harry Potter, mais il me ravit et m’enchante, et cette encyclopédie m’a aidée à comprendre quelques points, à faire des connexions, bref à rallumer mon envie de tout relire et de revoir tous les films. Pas mordue, moi ? Hum…
Il me reste cependant une incompréhension de forme : certains titres d’entrée sont imprimées en petites majuscules, d’autres en bas de casse : pourquoi ? Je suis un peu (beaucoup) maniaque quand il est question de mise en page : pourquoi ne pas avoir mis tous les intitulés au même niveau typographique ? Mais c’est un détail… Aucun doute que cette encyclopédie magnifiquement illustrée deviendra un ouvrage de référence pour tous les Potterheads qui n’en finissent pas de décrypter l’œuvre de J. K. Rowling !
J’en profite pour vous recommander un magnifique roman de Blandine Le Callet, La ballade de Lila K.
En naissant, Ismaëlle a tué sa mère. À 16 ans, elle perd son père, noyé dans le lac Léman. « Je n’avais plus de parents. Pas d’attaches. Une amarre, seulement. Un anneau au port. Un bateau, une barque, un banc de nage. » (p. 38). Émancipée, il ne lui reste que l’embarcation de son père pour vivre. Et voilà que le lac empêche toute pêche en recrachant des dizaines, des centaines de corps, pendant des jours, des mois. Il faut désormais moissonner les eaux de leurs épis macabres. Sur les hauteurs du plan d’eau, Ezéchiel, le fils de l’Ogre noir, de tous les tyrans d’Afrique, aiguise ses pieux et attend que vienne l’heure de pourfendre Mammon, la Bête immonde qui nage au fond du lac. « Je ne suis pas le héros nègre. Je venge les morts, simplement, et je tue les bourreaux. Je crève les animaux qui se nourrissent de nous. » (p. 161)
La rencontre d’Ismaëlle et d’Ezéchiel est presque une éclipse, chacun rêvant et craignant de disparaître derrière l’autre. « L’aimais-je ? C’est quoi, l’amour ? Se fier ? Se vouer ? Se perdre ? S’être promise, déjà abandonnée, perdue, oubliée – laissée loin derrière soi ? » (p. 129) Hélas, ces deux gamins sont trop jeunes pour l’amour et pour la mort. Embarqués sur un esquif dérisoire, Pequod ridicule, ils poursuivent Mammon en ne doutant pas de leur succès au terme de la bataille. Mais comme dans le récit sublime de la chasse à la baleine blanche, l’humain doit revoir sa place dans l’ordre du monde. « Sommes-nous tous ainsi, habités par des monstres ? Sommes-nous encore des hommes et des femmes ? Sommes-nous pires que cela ou simplement cela ? » (p. 229) Que la bête vive ou que la bête meure, tout sera à recommencer. Et peut-être l’espoir sera-t-il porté par l’enfant niché dans le sein d’Ismaëlle…
Dans un style affolant où l’absurde de Beckett côtoie l’épique de Melville, où la poésie bouscule la prose qui lui rend coup pour coup, Vincent Villeminot offre un récit fantasmagorique à deux voix qui dit tout de l’enfance et du sérieux, de la solitude et de la peur, du désir et du plaisir, de la vie et de la mort. « On riait d’insouciance, et de peur qu’on la perde. » (p. 161) Au croisement de Moby Dick et des récits fondateurs, le roman est une nouvelle genèse et une inconsciente odyssée où les sirènes sont silencieuses pour mieux que la vase avale leurs proies. À sa façon de décrire si finement et si épidermiquement l’orgasme féminin, Vincent Villeminot témoigne d’une sensibilité qui touche à l’universel : s’il a compris ce mystère intime, il a très certainement compris beaucoup du reste du monde.
Un immense merci à #Rakuten qui m’a permis de découvrir ce roman dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraires (#MRL18). Fais de moi la colère est le texte le plus intense que j’ai lu depuis des mois.
Edgar Hilsenrath est un auteur juif allemand né en 1926 et décédé en 2018.
POTIN – Son premier roman, Nuit, a été retiré de la vente peu de temps après sa publication, la crudité du texte choquant grandement la presse et le public.
« Est-ce habituel d’avoir oublié sa vie quand on a quinze ans ? » (p. 14) Il était une fille qui grandit entre une mère silencieuse et un père qu’elle déteste, à juste titre. « Son père fait toujours obstacle au monde. Aux gens qu’elle rencontre. Aux évènements. Son père est une ombre qu’elle essaie toujours de gommer, mais ça ne marche pas. Il a le pouvoir d’envahir ses rêves tant et si bien qu’elle se retrouve tout à coup debout au milieu de la pièce dans la nuit noire. Il diffuse au travers de toute chose une répulsion fétide. » (p. 22) Pour échapper à sa jeunesse douloureuse, la fille écrit et elle s’évanouit. Et puis elle tombe enceinte et laisse son fils chez ses parents pour continuer le lycée. Plus tard encore, elle se marie, devient institutrice près du cercle polaire. Elle écrit toujours et on la publie, on la récompense. « Il existe une infinité d’histoires. Il suffit de les trouver. Ou qu’elles nous trouvent ? » (p. 63)
Cette fille se réinvente sans cesse : institutrice, chasseuse, mère, autrice, amante. Mais elle a le sentiment que la vie passe sans elle et elle souffre de ce décalage avec elle-même, avec les autres. « La vie a des possibilités insoupçonnées. Il faut juste qu’elle effectue d’abord sa journée de travail. » (p. 144) Cependant, à force de volonté et poussée par la conscience que sa féminité est un pouvoir, elle ne renonce jamais et refuse d’être la victime silencieuse des hommes et des convenances. « Tu fais preuve d’une singulière capacité à tomber sur des hommes minables. […] / Dois-je soupçonner tous les hommes ? M’abstenir de leur parler ? / Non, mais il faut leur montrer qui tu es dès le premier instant. » (p. 305) Sa puissance et sa détermination, elle la tire des conversations qu’elle a avec des absents, voire avec des personnes disparues, comme un auteur célèbre de sa région natale ou encore Simone de Beauvoir.
Aucun personnage n’est nommé. Les pronoms, les fonctions et les adjectifs suffisent à dessiner les caractères et à révéler les âmes. C’est preuve du très grand talent de cette autrice dont j’ai déjà tellement aimé Le livre de Dina.
Depuis qu’il a quitté les Buttes-Chaumont pour s’installer dans un camp en pleine nature, le groupe de Vernon organise des convergences, étranges nuits de communion hallucinées autour de la musique et de la danse, au son mixé des harmonies produites par Alex Bleach. Vernon ne comprend pas cet engouement et, comme toujours, préfère se laisser porter sans rien décider. « Je suis DJ, je ne suis pas un putain de prophète. » (p. 22) Tout va changer avec l’annonce d’un héritage inattendu : l’argent, comme souvent, multiplie les dissensions et les désaccords. Mais surtout, il y a des représailles en suspens depuis trop longtemps et des vérités qui ne demandent qu’à éclater. Ajoutez à tout ça les attentats de Paris, la mort de quelques légendes du rock ou encore l’attaque homophobe à Orlando et vous obtenez un marasme terrible, collant comme la poix et pesant comme le plomb. Pas étonnant que l’histoire de Vernon Subutex s’achève sur une note catastrophiste et dystopique.
Ce troisième tome s’ouvre sur des paroles de David Bowie, c’était un bon présage. En fait, non. Davantage que dans les tomes précédents, Virginie Despentes développe un lourd discours sur l’islamisation, le terrorisme, la paupérisation ou encore la misère affective, à tel point qu’on croirait lire du Michel Houellebecq. « Arrêter le racisme, il est contre. […] La haine est un contact. On ne déteste cordialement que ceux qu’on côtoie de près. […] Le fond du problème, c’est que ma valeur de Blanc, c’est ta sous-valeur de bougnoule. Ma valeur ajoutée, c’est ta précarité. Ma blancheur, je n’en jouis que quand vous vous noyez par milliers et que personne n’en a rien à foutre. » (p. 110) Certes, ce sont les propos que l’autrice met dans la bouche d’un de ses personnages et je sais différencier ce qui relève de la fiction et ce qui relève de la propagande. Mais mon angélisme de Bisounours supporte difficilement de lire de telles idées. « C’est le niveau zéro du fun, porter un regard bienveillant sur le monde. » (p. 104) Vous me direz que la bonne littérature est celle qui confronte le lecteur à la vérité nue du monde dans lequel il évolue, qui le fait réfléchir sur son quotidien, ses défauts et ses vices. C’est sans aucun doute vrai, mais cette lecture est vraisemblablement tombée au mauvais moment.
J’avais lu les deux premiers tomes sans interruption. Sans doute ai-je trop attendu pour m’attaquer au tome 3 ou peut-être aurais-je dû relire les précédents, car j’ai perdu l’intérêt exalté que j’avais éprouvé en lisant le tome 1 et le tome 2. Comme une redescente brutale et aigre après un trip génialissime. « Tu as encore écouté France Culture ? Arrête. On te l’a déjà dit. Ça se mélange hyper mal avec la cocaïne. » (p. 22) Et je pense m’éloigner pendant un temps des écrits de Virginie Despentes : je préfère la noirceur de Joyce Carol Oates.
Roman jeunesse d’Anne Goscinny. Illustrations de Catel. À paraître le 11 octobre.
Quatrième de couverture – Débordée, Lucrèce ? Vous plaisantez ! Entre un exposé hyper-urgent avec les Lines, une invitation à un concert surprise et les rendez-vous de Scarlett, elle trouve encore le temps de prendre un cours de claquettes…
C’est un vrai plaisir de retrouver Lucrèce, cette collégienne attachante et simple. Plaisir aussi de retrouver la tortue Madonna, le lapin Casserole et la grand-mère Scarlett. Si l’héroïne est aussi charmante – même pour une vieille lectrice de mon âge –, c’est parce qu’elle est moderne et représentative de son époque en évitant habilement tous les clichés que l’on colle à la jeunesse. Alors oui, elle se dispute avec sa mère ; oui, elle a des discussions futiles avec ses copines ; oui, elle se cherche. Mais c’est de son âge et l’autrice s’y entend pour que Lucrèce ne soit pas une adolescente odieuse, seulement une adolescente. « Les adultes, quand ça croit vous aider, ça vous complique les choses au contraire. » (p. 23)
Ce second volume des aventures de Lucrèce aborde des sujets divers avec finesse, comme le mariage pour tous. Mais c’est surtout un formidable roman pour les jeunes lecteurs, avec des questions qui les concernent : comment convaincre sa mère d’obtenir ce que l’on veut, comment gérer le succès lors d’un évènement au collège, comment vivre dans une famille recomposée. « Finalement, je l’aime bien, Nicolas. Il est tellement dans son monde qu’on a l’impression qu’il n’est vivant que dans les livres. Et puis, j’ai réfléchi à cette histoire compliquée de famille recomposée. Et j’ai compris, enfin ! La famille, c’est comme les histoires : celles qui comptent, les vraies, les seules qu’il faut retenir, c’est celles que l’on s’invente. » (p. 163 & 164)
Bref, ce deuxième opus est à la mesure du premier et j’ai bien hâte de lire la suite !
« Penser à des nombres m’apaise. Les nombres sont mes amis, ils ne sont jamais loin de moi. Chacun est unique et possède une personnalité propre. » (p. 8) Daniel Tammet est atteint du syndrome savant : depuis l’enfance, son rapport aux chiffres est particulier, il parle plus de 10 langues, il pense en synesthésie et est capable d’impressionnantes constructions mentales. Tardivement diagnostiqué du syndrome d’Asperger, Daniel a su se construire une vie riche et épanouie, grâce à l’amour et au soutien de ses proches, mais surtout à force d’inlassables efforts personnels et de prises de risque pour s’intégrer dans un monde parfois trop grand pour lui et terriblement angoissant. « Le sentiment de ne jamais être tout à fait à l’aise ou en sécurité, d’être toujours d’une certaine manière à part ou exclu, me pesait toujours. » (p. 69) Ayant appris à vivre en famille, en société et en couple, participant à de nombreuses expériences et fréquents évènements, il partage son vécu pour aider ceux qui souffrent d’autisme, mais aussi pour sensibiliser le plus grand nombre à cette pathologie dont les manifestations sont aussi diverses que ceux qui en sont touchés. « Parfois, on me demande si cela me gêne d’être un cobaye pour la science. Je n’ai aucun problème avec cela parce que je sais que je contribue à une meilleure connaissance du cerveau humain, ce qui est quelque chose de bénéfique pour tout le monde. C’est aussi gratifiant pour moi d’en apprendre plus sur moi-même, et sur la façon dont mon esprit fonctionne. » (p. 168)
Dans cette courte autobiographie, Daniel Tammet porte un plaidoyer pour la différence et le vivre-ensemble. Ce livre même est une démonstration de courage tant il est difficile pour l’auteur de se confronter à ses sentiments et à les exprimer. Daniel Tammet a une vie exceptionnelle, autant que l’est son intelligence devant laquelle les scientifiques restent sans voix. Mais sa singularité n’est pas excluante, car comme il le rapporte très bien après avoir discuté avec une autre personne atteinte comme lui du syndrome savant, « vous n’avez pas besoin d’être handicapé pour être différent, car nous sommes tous différents. » (p. 175) Je vous conseille également de lire La joie de vivre ma vie de Thomas Mandil, témoignage lumineux d’un homme trisomique qui tire le meilleur de l’existence.
Sous-titre : La première enquête résolue par Miss Maple, la brebis la plus intelligente du troupeau, voire du village, et peut-être même du monde…
Dans un pré d’Irlande, un troupeau de moutons découvre le corps du berger, George Glenn, transpercé d’un outil de jardinage. Pour les ovins, pas de doute, ce n’est pas un décès naturel. « Il n’est pas mort de maladie. Les bêches ne sont pas des virus ! » (p. 7) Les bêtes décident de mener l’enquête, mais les indices sont difficiles à relier : une empreinte de sabot, un bijou perdu, un testament, une nouvelle venue, des odeurs , des silhouettes, des clés. À force d’observation et de déduction, mais aussi en donnant de leur personne, les moutons élucident la mort de leur berger et révèlent toute la noirceur d’une petite communauté rurale. « Les hommes n’ont pas d’âme. Pas d’âme, pas d’esprit, rien. C’est aussi simple que cela. » (p. 18)
Comme dans Watership Down où tout est raconté du point de vue d’un lapin, ce roman se place à hauteur de museau ovin, sans anthropomorphisme, mais plutôt avec moutonmorphisme (oui, je sais, ce mot n’existe pas). « Le loup est à l’intérieur de chacun. […] / Comme un abîme ? […] Un abîme à l’intérieur ? » (p 266) Les moutons seraient-ils capables de spiritualité ? Si l’on parle de métaphysique, cela reste à prouver, mais d’un point de vue humoristique, c’est certain ! « Je suis bien content que ce seigneur-là ne soit pas mon berger ! » (p. 26)
Leonie Swann a magnifiquement développé le caractère de ses moutons : leurs réactions sont parfaitement crédibles et compréhensibles. En opposant un troupeau à un village, elle met en relief les défauts humains et souligne la délicatesse animale. « À quoi bon brouter en ce bas monde tant qu’il y aurait des bouchers ? » (p. 54) Cette enquête n’est donc pas simplement hilarante, elle est également sensible et en un sens poétique.
Quatrième de couverture – Trois nouvelles. Des personnages qui n’ont rien de commun. Des copains de campus devenus sages volant au secours d’un des leurs dont l’enragement terroriste ne s’est pas élimé. Une femme mûre qui ne veut simplement que s’évader de sa vie pour en retrouver la source. Un grand diable d’homme des bois qui a retrouvé un chef indien en plongée et veut l’enterrer dans le cimetière caché de ses ancêtres dont une accorte ethnologue traque le passé à travers lui… Que ses personnages aient quitté les bois pour la civilisation, les nostalgies de jeunesse, les fidélités qu’on se doit à soi-même, Jim Harrison leur garde leur sève, leurs élans et écrit l’un des plus beaux livres depuis Légendes d’automne.
Voilà un abandon. Lâche. Rapide. Sans vergogne. Dans les 2 premières pages, un truc m’a chiffonnée. Je ne sais pas quoi, je n’ai pas cherché. J’ai tenu jusqu’en page 30 et je n’ai même pas essayé de lire la deuxième et la troisième nouvelle. Je vous l’ai dit, c’est un abandon lâche et rapide. J’avais tenu bon jusqu’à la dernière page de Péchés capitaux, je n’ai pas fait cette erreur avec ce recueil. Tant pis, je passe apparemment à côté d’un des plus grands auteurs américains du 20e siècle, mais je le vis bien.
Ces nouvelles ont été publiées dans différents journaux et magazines avant d’être regroupées dans une publication unique. Vous y trouverez :
Une femme qui avertit son premier amour qu’elle est prête à se venger, plus de 20 ans après,
Une intrusion dans une maison vide,
Le souvenir envahissant d’un premier époux,
Une partie de poker où l’avantage change de camp,
Une enfant qui accuse sa mère d’infanticide,
Un interrogatoire qui tourne mal,
Un neveu dont il est urgent de se débarrasser,
Une fille partagée entre son père en prison et sa mère qui refait sa vie,
Une sordide agression sexuelle,
Un soldat gravement blessé qui ne reconnaît pas les siens.
Évidemment, ce ne sont jamais de jolies histoires. « Tant qu’à vous donner délibérément un dur fardeau à porter, on imaginerait que Dieu vous donnerait aussi la force de le faire, non ? C’est ce qu’on imaginerait. » (p. 134) Évidemment, le pire de la nature humaine s’exprime toujours sous la plume de Joyce Carol Oates. Évidemment, ça rend nauséeux. « Quand les filles boivent, elles hurlent de rire. Comme des oiseaux qu’on massacre, elles hurlent de rire. Les filles défoncées hurlent de rire. Et quand elles font l’amour, elles hurlent de plaisir, du moins Jess avait-il des raisons de le croire. » (p. 203) Le plus terrible est que cela ne semble pas si improbable. Ce qui est écrit pourrait se lire en première page d’un journal : ce sont d’affreux faits divers pourtant tristement probables. Et le talent de l’autrice est de mettre les mots justes sur l’innommable.
Roman de Marie Pavlenko et Carole Trébor. Illustration de Marc Lizano. À paraître le 5 septembre.
Chaque soir, dans le petit cimetière du très tranquille village de Noirsant, les morts-vivants sortent de leur tombe, prennent le frais à l’ombre de la vieille église romane et mènent leur vie. Ou leur non-vie, comme vous voulez. « Partout, des os pointaient : trois orteils par-ci, une clavicule ou un humérus par-là. Et toutes les anatomies étaient représentées : des costauds, des minces, des graciles, des minus, des pourris, des pelés, des à moitié momifiés. » (p. 16) Mais une menace plane, sous la forme d’un projet immobilier qui s’installerait à la place du cimetière et de l’église. La jeune Léo, jolie zombie à l’œil baladeur (pour de vrai), est bien décidée à sauver les lieux, mais surtout à ne pas s’éloigner de Romain, un garçon vivant qui a par hasard découvert les activités nocturnes des habitants du cimetière de Noirsant.
Cette nouvelle série pour la jeunesse est plutôt de bonne facture, avec notamment une blague de prout très subtile, totalement Lili-approuved ! À mesure que les personnages sont présentés, les autrices distillent un peu d’Histoire de France, avec des détails qui – j’espère – donneront envie aux jeunes lecteurs d’en savoir plus. D’ailleurs, il aurait été intéressant de proposer un petit carnet thématique en fin d’ouvrage pour expliquer ce qu’est la Commune ou décrire un peu plus les mines du Nord de la France. Seul gros bémol de ce roman, une énorme erreur : non, les cheveux des morts ne continuent pas de pousser après le décès, c’est un mythe largement démonté par de nombreuses études scientifiques ! Cependant, j’ai vraiment apprécié cette histoire qui s’interrompt sur une vraie fin suspendue et j’espère qu’on en saura plus dans le tome 2 qui paraîtra en novembre ! Les zombies devront-ils quitter leur cimetière ? Si oui, pour aller où ?
Épreuves non corrigées du premier roman de Philip Lewis.
« Je suppose que j’ai de la chance que mes parents se soient rencontrés et aient éprouvé suffisamment d’attirance l’un envers l’autre pour avoir des enfants. Je me rends pourtant compte aujourd’hui qu’il eût mieux valu pour eux que ce ne soit jamais arrivé. » En Caroline du Nord, une famille vit et tente de s’éloigner, sans y parvenir, de la ville d’Old Buckram et d’une vieille et grande maison maudite. Henry Aster fils raconte son enfance et la disparition de son père, puis sa jeunesse étudiante loin des siens, avec un remords persistant. À l’université, il s’éprend de Story dont le passé est plutôt flou. Il leur faudra un long chemin pour apaiser leur cœur, résoudre leurs histoires familiales respectives et se tourner résolument vers le futur en embrassant pleinement le passé. « J’ignore pourquoi diable je suis revenu. Je sais à présent que l’on ne peut jamais complètement partir. »
À Old Buckram, il règne une ignorance butée et bornée qui va jusqu’à l’autodafé. « Tu ne l’as pas lu ? […] / Non, je ne l’ai pas lu, […] et je n’en ai pas l’intention. […] Mais je sais ce qu’il y a dedans ! » Quant à la mélancolie lourde et noire qui pèse sur la famille Aster, elle découle d’une impossibilité à exprimer ses sentiments, et ce alors que chacun a été nourri de littérature et est parfaitement capable de sonder son âme. « J’écris […] parce que c’est l’une des seules choses qui me semblent réelles. »
Les jours de silence est un premier roman d’une immense qualité, très bien écrit et dans la droite ligne de grands auteurs classiques du sud des États-Unis. C’est brutal, âpre et poussiéreux, et forcément très beau et délicat. Je serai très étonnée que ce roman passe inaperçu au sein de la rentrée littéraire 2018. « Avant de brûler des livres, ouvrez-les au moins, et jugez par vous-mêmes. »
Julia/Turtle/Croquette grandit seule avec son père, Martin, obsédé par la fin du monde. L’homme est brutal et abusif envers sa fille : il l’aime trop et il l’aime mal. « Il existe des parts d’elle qui demeurent sans nom, sans identification, puis il leur donne un nom, et elle se perçoit alors clairement à travers ses mots, et elle se déteste. » (p. 21) Depuis l’enfance, la gamine a appris à manier les armes blanches et les armes à feu et elle sait survivre seule dans la nature. Le père et la fille vivent isolés et, à l’image de Martin, Turtle se méfie de tout ce qui vient de l’extérieur et refuse toute aide. « Je n’arrive pas à croire qu’il t’élève comme ça. / Il m’aime, dit Turtle. […] Il m’aime beaucoup, insiste Turtle. » (p. 95) Mais sa rencontre avec Brett et Jacob, deux garçons de son âge, drôles et heureux, fait naître en elle le furieux désir et l’impérieux besoin de se libérer du joug paternel. Mais avant de se sauver elle-même, elle devra en sauver bien d’autres de la fureur de Martin.
My Absolute Darling présente l’éclosion d’une femme forte poussée par la volonté de vivre. Les sentiments ambivalents et paradoxaux de Turtle envers son père sont complexes et le combat qui se joue dans le cœur de la jeune fille maltraité est parfaitement dépeint. « Il ne veut pas me faire de mal. Il m’aime plus que la vie elle-même. Il n’est pas toujours parfait. Parfois, il n’est pas vraiment l’homme qu’il voudrait être. Mais il m’aime comme personne n’a jamais été aimé. Je pense que ça compte plus que tout. » (p. 210) Ce roman a toute sa place dans le catalogue des éditions Gallmeister, à l’instar de l’œuvre de David Vann avec laquelle il partage de nombreux sujets : la beauté hostile de la nature (normal puisque la maison d’édition est spécialisée dans les expressions littéraires du nature writing), la famille dysfonctionnelle, le corps maltraité ou encore la lutte pour la survie. À deux reprises, le roman cite Délivrance de James Dickey (récemment réédité chez Gallmeister, décidément…) et là encore, des ressemblances sont évidentes, notamment la transformation du protagoniste qui, pour survivre, va au bout de lui-même et de l’horreur.
Stephen King a été dithyrambique au sujet de ce roman et je partage pleinement son enthousiasme. My Absolute Darling est un chef-d’œuvre qui révèle le talent prodigieux de son auteur et j’espère vraiment qu’il ne mettra pas encore 8 ans à produire un nouveau roman.
Antoine Corsini est mort. Cela secoue un peu le village corse où il a vécu. Pas beaucoup. Que restera-t-il de lui, l’idiot, le simple, le baoul ? Ses années de prison après avoir été condamné pour la mort de la jeune Florence Biancarelli ? Sa chaise à laquelle il parle beaucoup ? Son ami Magic, mutique mais toujours présent pour l’écouter ? Il faut plutôt écouter le monologue de cet homme bousculé depuis l’enfance, moqué et dont il est si facile de tirer profit, mais qui jamais ne se laisse aller à la haine ou au repli. « C’est pas parce qu’on est abîmé qu’on est plus bon à rien. » (p. 17) Dans ce village rural, reculé, presque isolé et coupé du monde, tout le monde se connaît et, d’une certaine façon, tout le monde se hait. « Vu que c’est étroit ici, tout le monde a une vengeance en tête avec un mort non élucidé. » (p. 27) Le meurtre non élucidé de Florence prend tout son sens quand on écoute le récit simple et plein de sagesse de l’idiot. Sans le savoir, le pauvre Antoine a toujours eu la preuve de son innocence et celle de la culpabilité de tout un village.
J’avais beaucoup apprécié le premier roman de Julie Estève, Moro-Sphinx, où il était également question de solitude et de détresse. Ici, l’autrice dépeint une terrible et sordide tragédie d’amour, d’autant plus insupportable que plusieurs cœurs purs sont piétinés. D’autant plus atroce que l’innocence d’âme et de fait est sacrifiée à la mesquinerie collective. Cependant, l’immédiateté du récit d’Antoine, sans fard ni mensonge, est comme un baume, car le lecteur sait qu’il ne lit pas une confession. Ce roman me rappelle un autre Simple, celui de Marie-Aude Murail, ô combien plus lumineux, mais qui porte un regard tendre sur les rejetés et les différents, ceux qui ne collent pas au modèle et sont donc d’autant plus précieux.
Élie a perdu le goût d’exercer dans le centre d’ethnopsychiatrie qu’il dirige. Quand il rencontre Youri, un jeune garçon roumain, tout change. « Lorsqu’un visiteur fait irruption dans notre monde, la lumière change de couleur, on ne sait plus d’où souffle le vent, les arbres – surtout les arbres, changent d’inclinaison et un son, presque imperceptible, une sorte de tintement, accompagne le pas des promeneurs. » Des évènements étranges et extraordinaires surviennent quand Youri est là : les murs tremblent ou s’abaissent, des cœurs radicalisés retrouvent le chemin de la compassion et de la vraie foi, des êtres sont sauvés contre toute attente. Youri serait-il un nouveau messie, voire un nouveau dieu ? « Il faut prendre garde aux étrangers ; parmi eux se cachent des êtres d’exception. »
Je me refuse à déflorer davantage l’intrigue de ce roman sublime et spirituel qui ironise avec brio sur la politique, la société, la religion ou le couple. « En vérité, nous n’y comprenons pas grand-chose. L’Histoire néanmoins nous incite à être attentifs à certains évènements de nature religieuse. La naissance d’un nouveau dieu peut troubler les esprits les plus sensibles. » Mais avant de vous laisser avec quelques extraits magnifiques, je dois dire que je suis parfaitement en accord avec le récit et son message. Dans un monde en perte de repères et en perte de confiance, il n’est pas si inepte de voir advenir un bouleversement spirituel profond. La fantasmagorie religieuse de Tobie Nathan est loin d’être invraisemblable, bien au contraire, et il me plairait de voir le boulevard Arago et le quartier Denfert-Rochereau devenir de nouveaux lieux de culte et de ferveur mystique. Je découvre Tobie Nathan avec ce roman et je vais regarder de plus près le reste de son œuvre : si elle est à l’avenant de L’évangile de Youri, je me suis trouvé une nouvelle obsession et un nouvel auteur à inscrire dans mon Panthéon personnel, aux côtés de Michel Tournier et d’Amos Oz qui sont, à mon sens, les nouveaux Pères de l’Église. Et j’entends par Église une foi sans dogme ni livre saint particulier, simplement une spiritualité humaniste connectée à son époque.
« Enfant hirsute, où es-tu tombé ? Ici, le monde est sens dessus dessous. Tu n’y gagneras que des coups. Va-t’en ! Fuis pendant qu’il est encore temps. Prends les jambes à ton cou ! »
« La solitude d’un enfant – la vraie ! – lorsqu’il ne crie ni n’écoute, oui, c’est un appel de Dieu. »
« Les migrants, vois-tu, venus d’un monde oublié, fondateur d’un monde à venir, vivent dans le temps du mythe. Le récit de leur vie a la puissance des légendes antiques. »
« Ce gamin, ce petit gitan crotté à la touffe de corbeau, s’élevait insensiblement jusqu’au ciel, la tête dans les nuages et les pieds tressés aux racines des arbres. »
Épreuves non corrigées du roman de Clara Dupont-Monod. Parution ce jour.
« Dans les yeux de ma mère, je vois des choses qui me terrassent. Je vois d’immenses conquêtes, des maisons vides et des armures. Elle porte en elle une colère qui me condamne et m’oblige à être meilleur. » (p. 9) Le narrateur de l’histoire à venir, c’est Richard Cœur de Lion, le fils préféré d’Aliénor d’Aquitaine. Cette ancienne reine de France, désormais reine d’Angleterre, se bat contre son époux avec l’aide de trois de leurs fils pour défendre son Aquitaine. « En réalité, parce qu’ils se ressemblent trop, parce qu’ils se valent, ils deviendront ennemis mortels. » (p. 42) Richard est tout dévoué à sa mère qu’il admire plus qu’un homme, plus que son géniteur qu’il appelle souvent le Plantagenêt, comme si le père et le fils n’étaient pas de la même lignée. « Survit-on à la décision de tuer un père ? » (p. 19) Mais la tendresse et le respect qu’il a pour Aliénor sont pesants : Richard lutte sans cesse pour être digne de cette femme exceptionnelle, doutant parfois d’avoir d’autre destin que celui de faire honneur à sa mère. De bataille en défaite, d’alliance en parole donnée, le troisième fils d’Aliénor et d’Henri traverse le siècle et le monde, de l’Angleterre à Jérusalem. Mais ce sont surtout deux grands pays qui s’affrontent au nom d’une rivalité maritale devenue rivalité royale et politique et finalement fraternelle.
Outre l’hommage qu’il rend à une femme digne de toutes les légendes qui ont été écrites à son sujet, le roman célèbre l’art de la guerre : la stratégie commence bien avant le champ de bataille et la victoire, parfois, est acquise avant le premier coup d’épée. « Personne n’a gagné une guerre sans maîtriser sa colère. » (p. 92) Clara Dupont-Monod a un talent certain pour le monologue, comme elle l’a déjà démontré avec Le roi disait que j’étais diable qui raconte les années de mariage d’Aliénor et de Louis VII, et avec La folie du roi Marc où un époux cocu prend enfin la parole. Ici, Richard Cœur de Lion est le narrateur principal, mais certaines voix s’élèvent ponctuellement : Aliénor, Henri ou encore Aélis apportent par leur témoignage un écho à la parole du bâtisseur de Château-Gaillard. Ce concert de voix fait se dresser sous nos yeux les murailles assiégées et nous fait sentir la puanteur poisseuse qui suit les batailles. Au Moyen Âge, la valeur de la parole était plus grande que n’importe quel papier signé : Clara Dupont-Monod rend ses lettres de noblesse aux mots qui, sous sa plume, ont un immense pouvoir évocateur.
Je ne peux que vous recommander un autre roman ancré dans le Moyen Âge, La passion selon Juette, mais également Nestor rend les armes, roman d’aujourd’hui sur la douleur de l’obésité et de la solitude. Bref, lisez les textes de Clara Dupont-Monod ! J’ai eu la chance de la rencontrer lors de la présentation de la rentrée littéraire des éditions Stock à Lille et nous avons eu une passionnante discussion sur le Moyen Âge, sa culture et sa langue, autour d’une délicieuse tarte aux fraises. Sémillante et pleine d’humour, elle est une interlocutrice attentive et passionnante. Enfin, je vous recommande chaudement deux épisodes de la chaîne YouTube Confessions d’histoire : Aliénor et conséquences et Richard Cœur de Lion et la 3e croisade. Avec humour (beaucoup d’humour !), les protagonistes racontent leur Histoire : c’est aussi hilarant qu’instructif.