Bonnes fêtes de fin d’année

À tous ceux qui me font le plaisir de se promener sur ce blog et d’y laisser des messages, des commentaires et des pensées, et à tous ceux auxquels je pense en cette fin d’année, j’adresse mes meilleurs vœux pour Noël et la Saint-Sylvestre.

Au plaisir de se croiser et de se lire pendant les fêtes et pendant toute l’année 2010 !

Bonnes résolutions et autres tyrannies de l’esprit, on verra si j’ai le temps de penser à vous…

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Une femme simple et honnête

Roman de Robert Goolrick.

Ralph Truitt a 52 ans. Il est immensément riche et respecté. Depuis 20 ans et après une infâme trahison, il vit seul, il dort seul. Le masque impavide qu’il présente au monde dissimule une douleur intense, celle du désir inassouvi. Ralph Truitt est obsédé par le corps féminin et sa possession. Décidé à rompre la solitude dans laquelle il s’est enfermé, il fait passer une annonce: « Homme d’affaires rural recherche épouse fiable. Motivations pratiques, pas romantiques. Répondre par lettre. Ralph Truitt. Truitt, Wisconsin. Discrétion requise. » (p.37) Et il reçoit une réponse de Catherine Land. Elle lui écrit qu’elle est cette femme simple et honnête qu’il attend. Catherine n’est cependant qu’une femme assoiffée d’amour et d’argent. Si elle compte profiter pleinement de la richesse de Truitt, elle a bien d’autres desseins pour ce qui relève de l’amour. Le mariage qu’elle contracte avec Ralph Truitt n’est que le premier rouage de la machination dont elle a tout orchestré.

Qu’il est difficile de ne pas trop en dire ! Il y a un troisième personnage fondamental, mais en parler serait dommage. Le texte est riche de tout un ensemble de personnages secondaires: les domestiques, les fantômes du passé qui reviennent hanter les protagonistes, le voisinage rural du Wisconsin, la faune urbaine de Saint-Louis et Chicago. L’Amérique du début du siècle est intelligemment décrite, entre campagne attardée et isolée et progrès technique au sein des villes. Partout la misère, la déchéance physique, mentale, partout les drames humains, subis ou commis.

Les obsessions respectives des deux personnages sont magnifiquement écrites. La solitude glacée et frustrante, le manque sensuel et les désirs lubriques de Ralph crèvent la page, et se révèlent être ce que j’ai lu de meilleur en matière de littérature érotique. Les desseins machiavéliquement ourdis de Catherine sont eux aussi dignes d’attention et d’éloges. On ressent toute la force manipulatrice et dissimulatrice de la jeune femme. La phrase – je précise que la traduction est excellente ! –  se fait même simplement diabolique quand elle évoque ses projets.

La complexité des sentiments amoureux qui attachent les personnages est finement mise en relief. Les méandres tortueux des pensées de chacun mènent lentement, mais sûrement, à la vérité sur les motivations réelles de toutes les actions. Le personnage de Catherine s’oppose à celui de Ralph pour bien des raisons. Catherine est une errante, perpétuellement en mouvement. Son odyssée a commencé bien avant sa rencontre avec Ralph. Lui est profondément attaché à son monde, il n’en sort pas. Il laisse les autres venir à lui. Catherine est un Cheval de Troie, riche de promesses et de tromperies. Elle fait le lien entre le monde extérieur duquel s’est retiré Ralph et le monde mouvant dont elle vient. La phrase s’attache brillamment à différencier les modes de fonctionnement des personnages. La narration est par moment aussi lourde que la chape de neige qui recouvre la campagne du Wisconsin. Mais elle s’emballe aussi au rythme du train qui entraîne Catherine d’un bout à l’autre du pays.

L’évocation des jeunes années de débauche de Ralph en Europe propose un arrière-plan intéressant au récit. Vieux continent et nouveau monde s’opposent. Mais les similitudes qui les caractérisent sautent  aux yeux. Il y a dans la folie meurtrière des paysans du Wisconsin et dans l’effervescence des nuits de Saint-Louis un héritage typiquement européen, fait de distinction, d’élégance, d’atavisme, de crainte et de révolte religieuse.

Je sors de cette lecture complètement séduite et profondément impressionnée. Ce livre est le premier de l’auteur. Aucun doute que je suivrai attentivement ses futures productions. La quatrième de couverture cite des extraits de critiques parus sur ce livre. En voici un du News Observer pour ceux qui se demandent si le texte est fait pour eux: « Voici un roman qui va vous rappeler pourquoi vous aimez les romans. » Alors, séduits ?

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Une page d’amour

Roman d’Émile Zola.

Veuve et nouvellement arrivée sur Paris, Hélène élève patiemment sa fille Jeanne, une enfant à la santé et à l’esprit fragiles. Amicalement accueillie et secourue par son voisin, le docteur Henri Deberle, Hélène s’éprend violemment de lui. Le médecin répond à ses sentiments. Mais c’est compter sans Jeanne qui aime passionnément sa mère, au point de lui refuser tout contact avec un homme ou avec d’autres enfants. Maladivement jalouse et extraordinairement lucide, Jeanne, qui devient adolescente, ne supporte pas de voir sa mère lui échapper.

Ce tome de la série des Rougon-Macquart ne donne pas précisément envie de tomber amoureux, ni d’avoir des enfants… J’ai beaucoup aimé la scène où Hélène et Henri veillent l’enfant malade, dans le silence angoissé d’une nuit d’attente. Les crises de l’enfant m’ont passablement irritée et les émois amoureux de la jeune maman n’ont pas davantage suscité ma bienveillance.

Ceci dit, le texte reste excellent. La narration est travaillée, la langue est riche. L’auteur m’enchante sur la forme, et tant pis pour le fond !

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Le rêve

Roman d’Émile Zola.

Trouvée transie de froid au pied de la cathédrale et recueillie par le couple Hubert, Angélique Rougon grandit entourée d’amour. Ses bienfaiteurs sont brodeurs. Leur profonde et sincère piété s’exprime dans leur travail et dans les broderies dont ils parent les vêtements et ornements ecclésiastiques destinés à la cathédrale. Angélique est un modèle d’obéissance et de renoncement. Fine brodeuse, elle travaille aux côtés des Hubert dans leur atelier. Jeune fille rêveuse, elle attend un amour immense. Et il y a ce garçon qui apparaît un soir sous son balcon, un jeune peintre verrier. L’adolescence et le jeune esprit d’Angélique déjà bouleversés par la découverte de la Légende dorée font de cette apparition céleste la révélation qui changera sa vie, qui la rendra égale aux vierges saintes qu’elle admire tant.

Voilà un Zola en odeur de sainteté! Nous avons la Légende dorée et l’hagiographie en général. Nous avons aussi les doux prénoms des héros Angélique et Félicien, c’est-à-dire un ange annonciateur et un jeune homme qui vit sa passion jusqu’au bout. On se promène entre les surplis, les chasubles brodés et les vitraux peints des cathédrales. Décidément, je suis toujours impressionnée quand je lis un Zola: il a un don particulier pour créer une atmosphère différente dans chacun de ses livres.

La narration se déroule silencieusement et avec recueillement, dans une espèce de pénombre sereine propice à la méditation. La jeune Angélique, bien mystique il faut le reconnaître, rachète par sa conduite douce et modeste et par ses rêves de pureté toute une lignée dévoyée. L’atavisme des Rougon ne prend pas chez elle. Ce livre semble être une pause dans l’ensemble de la série, une respiration éthérée loin des violences et des folies qui caractérisent les membres de la famille Rougon-Macquart.

Je l’ai lu il y a au moins dix ans et j’en ai gardé un souvenir attendri. Et c’est sur ce souvenir que j’ai écrit mon billet. Un peu d’indulgence si vous êtes des spécialistes de la question…

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No et moi

Roman de Delphine de Vigan.

Lou Bertignac a treize ans, un QI de 160, une maman dépressive et un papa fatigué. Pour son cours d’économie, elle doit présenter un exposé. Terrifiée par l’exercice, elle lance un sujet au hasard: les SDF. Sa route croise celle de Nolwenn – No – une jeune fille qui vit dans la rue. Après quelques semaines d’apprivoisement, No se laisse convaincre de livrer son témoignage pour l’exposé de Lou. Puis No disparaît. Déterminée à la retrouver, à l’aider, Lou finit par retrouver son amie. Mais No est « abîmée » par la vie dans la rue, et si les premiers temps des retrouvailles sont parfaits, le passé et les douleurs de No finissent par la rattraper. Pour Lou et son ami, le beau Lucas, sauver No est un rêve insensé, mais c’est le rêve de leur jeunesse.

Première impression globalement mauvaise. L’enchaînement des clichés sur les lycéens via une accumulation de marques fétiches, Converse et Eastpak pour ne citer qu’elles, m’a fait craindre la lecture d’un roman pour ados dissimulé sous une couverture pour adultes. J’ai eu de grosses difficultés avec la langue. Le texte se lit très bien, facilement, le langage est simple et il y a beaucoup de formules d’oralité. Mais justement, il y en a trop et ça ne correspond pas au personnage. Lou est une jeune surdouée passionnée de tout et plus particulièrement de grammaire et elle parle comme tous les adolescents de sa classe. Difficile avec ça de cerner le personnage.

Ce qui est aussi très agaçant, c’est entendre des leçons de morale de la part d’un personnage si peu crédible. Le monde va mal, on le sait. Il y a quelque chose de pourri dans tous les royaumes, on le sait aussi. Mais qu’une gamine, même surdouée, nous déballe ses considérations naïves sur la marche du monde et les difficultés sociales, ça sonne complètement faux. Je cite: « On est capable d’envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l’espace, d’identifier un criminel à partir d’un cheveu ou d’une minuscule particule de peau, de créer une tomate qui reste trois semaines au réfrigérateur sans prendre une ride, de faire tenir dans une puce microscopique des milliards d’informations. On est capable de laisser mourir des gens dans la rue. » (p. 92)

L’histoire est jolie, même si je n’ai pas réussi à y croire. Ce petit bout de gamine qui veut sauver une grande gigue blessée par la vie, c’est le genre de choses qui fait vibrer la corde sensible. La figure de la jeune adolescente qui grandit et qui s’oppose à ses parents a déjà été traitée, et ici il n’y a pas grand-chose de nouveau ni de convaincant. Je n’ai pas détesté ce livre, il m’a laissée plutôt froide. Trop de bons sentiments réunis dans si peu de pages, c’est assez vite écœurant.

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Challenge Auteur 2010

Un challenge pour moi toute seule, un défi à relever que je me lance à moi-même ! (Mais ceux qui veulent participer sont les bienvenus ! Une saine émulation n’est jamais pour me déplaire !)

Sept ans d’études littéraires et toujours la même petite honte: ne pas avoir lu l’intégralité des oeuvres des GRANDS auteurs français. Par grands, j’entends des personnalités comme Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Colette, Gustave Flaubert, Marguerite Yourcenar, Jules Verne ou Émile Zola.

J’annonce ici le Challenge Auteur 2010: il va s’agir pour moi de lire la série des Rougon-Macquart, en 20 livres, d’Émile Zola. Heureusement, je ne suis pas totalement innocente en la matière. J’ai déjà lu quelques ouvrages de l’auteur, et si je l’ai choisi, c’est aussi parce que je l’adooooore (Notez bien que je n’ai pas lu tout Rousseau, et que ce n’est pas demain que je m’imposerai ça…). J’ai donc jusqu’à fin décembre 2010 pour bien avancer, voire pour achever, ce cycle littéraire !

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Le livre des choses perdues

Roman de John Connolly. Grand prix littéraire du web dans la catégorie Roman étranger, décerné par les lecteurs du site des Chroniques de la rentrée littéraire.

David n’a plus de maman. Après un combat éprouvant contre la maladie, elle est partie en laissant l’enfant seul avec son père. Triste et abandonné, David se réfugie dans les livres pour lesquels il partageait un amour profond avec sa maman. L’univers fragilisé de David finit de s’effondrer quand son papa se remarie avec Rose, et qu’un petit frère nommé Georgie fait son entrée dans la nouvelle famille. Ce n’est pas tout: David entend parler les livres, ses rêves sont visités par des personnages curieux et effrayants. Et, chose étrange, il entend la voix de sa maman l’appeler depuis le fond du jardin. Il traverse une brèche et entre dans un monde sombre et dangereux où les Sires-Loups veulent prendre le pouvoir, où les arbres saignent comme des êtres vivants, où rien n’est jamais ce qu’il semble être. Il rencontre l’Homme Biscornu dont les desseins funestes ne sont pas pour rassurer l’enfant.

Hilarante et terrifiante lecture! Hilarante parce que les contes de fées que l’on connaît ont droit à un sérieux ravalement de façade. Les sept nains sont des assassins ratés obsédés par la lutte des classes. Blanche-Neige est un tyran domestique boulimique et obèse. Le Petit Chaperon rouge a bien grandi et ses préférences amoureuses sont déconcertantes. Terrifiante parce que la violence surgit de rien et qu’elle génère toujours plus de violence. Aussi parce que les méchants de tous horizons sont bien au rendez-vous: les trolls se chamaillent avec les harpies, pendant que les loups-garous en décousent avec le croque-mitaine.

J’ai toutefois été déçue par ce livre. Les premières pages sont touchantes et laissent présager bien davantage. Par la suite, je n’ai pas réussi à choisir entre deux impressions: est-ce un livre pour enfants bien trop violent ou un roman pour adultes dont on voit trop les ficelles ? Il y a d’ailleurs deux premières de couverture pour ce livre aux éditions de l’Archipel.

Le parallèle entre la guerre du monde dont vient David et le conflit qui oppose les Sires-Loups au roi est assez grossier. La réécriture systématique des contes de fées en récits d’horreur cynique finit par lasser. La part d’enchantement disparaît au profit d’un étalage de barbarie et de considérations désabusées sur la nature des hommes. L’enseignement des contes de fées, auquel je suis très attachée, est simplement balayé d’un revers de la main, et c’est bien dommage. Si Bruno Bettelheim et d’autres après lui l’ont dit mieux que moi, je ne peux m’empêcher de répéter que la part de peur inhérente à tout conte de fées est bénéfique dans la mesure où elle permet au lecteur-enfant de se retourner contre elle,et de grandir. Dans le texte de Connolly, on perd toute mesure, et le personnage de David ne parvient pas à être attachant. On ne peut pas  s’identifier à ce gamin en pyjama de 12 ans, plongé dans un monde de ténèbres, qui taille des loups et des humains en pièces à la moindre occasion.

Tout au long de la lecture, j’ai eu des images de films en tête. Tout d’abord, L’histoire sans fin dans laquelle le jeune Bastien se laisse emporter par la magie d’un livre d’aventures fabuleuses. Puis Labyrinthe avec David Bowie : un jour de colère, Sarah souhaite que son petit frère Toby disparaisse. Elle est exaucée par le maître du Labyrinthe. Et enfin Le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, où la jeune Ofélia se révèle être « la princesse disparue d’un royaume enchanté ». Cette responsabilité lui coûte d’autant plus qu’il lui faut protéger son petit frère des monstres qui règnent dans cet univers glacial et horrifique. Le parallèle avec ces trois films est aisé à faire, mais le livre ne soutient hélas pas la comparaison.

La lecture a été facile, divertissante mais je suis déçue par ce livre dont on a dit tant de bien. Décidément, moi et les prix littéraires, nous sommes fâchés…

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Seule Venise

Roman de Claudie Gallay. Cadeau d’anniversaire de la part de Ludivine.

La narratrice est une femme à la dérive. La quarantaine mal assumée, elle a perdu pied quand son compagnon l’a quittée. Seule et morose, après des mois d’immobilité, elle prend le premier train en partance et arrive à Venise. Elle loue une chambre dans le palais des Bragadins. Dans la demeure froide et mal isolée, elle rencontre Carla la danseuse et son amoureux Valentino, et elle se lie d’amitié avec le prince russe Vladimir Pokkovitchine, maniaque de la ponctualité. C’est la période des fêtes. Elle arpente la cité lacustre au hasard des rues et des places. Sur le Campo Crovatto, elle entre dans une librairie. Celui qui la tient, Manzoni, rend à cette femme perdue le goût d’aimer.

Bof… Plutôt décevant. Les pensées erratiques de la narratrice et ses déambulations rêveuses m’ont laissée froide. Je n’ai pas été touchée par les sentiments développés au fil des pages. Le personnage du prince russe est bien plus intéressant. Son histoire qui apparaît par touches successives est pleine de finesse. Il est dommage qu’elle n’ait pas fait l’objet d’un traitement plus important.

Et je suis encore scandalisée et furieuse par l’absence de traduction. Tout le monde ne parle pas italien ! Est-ce vraiment trop demander de traduire les inscriptions relevées sur les murs, les dialogues et tout ce qui n’est pas immédiatement intelligible à la première lecture ? Il est vrai qu’il est parfois pénible de quitter le corps du texte pour chercher une information en fin de page ou en fin d’ouvrage, mais quand ça permet de comprendre ce qui se passe, c’est tout de même indispensable !

Petit souci avec le titre : je ne l’ai pas compris. Faut-il comprendre le début d’une phrase de ce genre « Seule Venise a pu m’apaiser ? » Ou alors est-ce la narratrice « seule » et la ville « Venise qui se rencontrent sans se trouver ? Plus j’y pense et plus je choisis la deuxième hypothèse…

Ce n’était pas une lecture désagréable. Plutôt une lecture vaguement ennuyante qui laisse un goût d’inachevé. Le mieux à faire après un tel livre, c’est d’en attraper très vite un autre !

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Des souris et des hommes

Roman de John Steinbeck.

Préface de Joseph Kessel: « Ce livre est bref. Mais son pouvoir est long. Ce livre est écrit avec rudesse et, souvent, avec grossièreté. Mais il est tout nourri de pudeur et d’amour. » (p. 7)

George et Lennie forment un duo atypique. Lennie est un colosse aux mains terribles et à l’esprit simple. George est petit et c’est lui qui pense pour deux. Embauchés dans un ranch de Soledad pour porter des sacs d’orge, ils ne passent pas inaperçus dans l’équipe de travail. Ils rêvent de gagner assez pour s’offrir un coin de terre bien à eux. C’est compter sans les « bêtises » que Lennie accumule et que George s’efforce à chaque fois de dissimuler ou de solutionner.

Bouleversant récit que celui de cette amitié virile… « Parce que moi, j’ai toi pour t’occuper de moi, et toi, t’as moi pour m’occuper de toi. » (p. 44) Entre l’attachement irraisonné de Lennie et l’inquiétude tendre et bourrue de George, on explore une gamme de sentiments extraordinairement colorée.

Majoritairement dialogué, le texte file à toute allure vers son issue funeste et bouleversante. J’ai versé une grosse larme sur les dix dernières pages. Là encore, je trouve que le récit a la force d’une nouvelle. Il est délicat d’en dire davantage sans déflorer l’intrigue.

Un point particulier a retenu mon attention. J’ai lu ce texte et La perle dans l’édition Folio et les premières de couverture sont toutes deux des œuvres de Thomas Hart Benton: Pique-nique et The ballad of the jealous lover. Les toiles de ce peintre illustrent à merveille les textes de Steinbeck. Les couleurs, les formes et la lumière sont l’exacte représentation que je me fais des deux récits de l’auteur.

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Kafka sur le rivage

Roman d’Haruki Murakami.

Kafka Tamura a longtemps préparé sa fugue. Le jour de ses quinze ans, avec un simple sac à dos, il quitte la maison d’un père qu’il déteste. Séparé de sa mère et de sa sœur à l’âge de quatre ans, il vit avec la malédiction lancée par son père: « Un jour, je tuerai mon père de mes mains, et je coucherai avec ma mère et ma sœur. » (p.269) Sur l’île du Shikoku, entre les murs paisibles de la bibliothèque commémorative Komura ou perdu en pleine forêt, il cherche à échapper à la prédiction funeste et à comprendre pourquoi sa mère est partie si tôt. Venu du même quartier que lui, le vieux Nakata sait parler aux chats. Après un incident d’une violence inouïe, il décide de partir vers l’Ouest. Il a quelque chose à accomplir, il ne sait pas vraiment quoi, mais il le saura quand ce sera le moment. Là où il passe, il pleut des sardines, des maquereaux, des sangsues. Et ressurgie après un long silence, une étrange histoire d’évanouissement collectif semble relier le jeune Kafka et le vieux Nakata.

Une fourmilière. Un labyrinthe. Une cornu copia. Un sac à malices.  Un jeu de dupes. Ce roman, c’est tout ça à la fois. Et c’est parfaitement délicieux et réussi. Dans un Japon tout à fait moderne, au milieu d’un réseau de transports des plus perfectionnés, les personnages rencontrent des figures emblématiques. Johnnie Walken, avatar maléfique de Johnnie Walker, et le Colonel Sanders apparaissent tout naturellement. Si les amateurs de whisky et de restauration rapide sont servis, les enfants qui sommeillent en chaque lecteur ne peuvent pas manquer d’être touchés par toutes les références aux contes européens traditionnels. Hansel et Gretel, Le Petit Poucet et Le joueur de Hamelin pointent le bout de leur nez au milieu des sanctuaires shinto ou de la soupe au miso. Le réalisme magique est très ancré dans le livre, quand Kafka se perd dans une forêt avaleuse d’hommes ou quand Nakata parle avec une pierre qui s’ouvre et qui se ferme.

« La bibliothèque était ma seconde maison. Ou plutôt le seul endroit où je me sentais vraiment chez moi. » (p. 45) Et tout au long de ma lecture, j’ai eu l’impression que Murakami m’ouvrait sa propre bibliothèque pour me laisser m’y promener librement. L’auteur ne se contente pas de mêler les contes traditionnels occidentaux et les contes traditionnels japonais (voir le Dit du Genji et la tradition des esprits). Il cite et utilise les mythes antiques. C’est ainsi qu’on retrouve le personnage de Kafka dans la situation d’Oedipe, et Nakata dans une situation presque similaire à celle d’Anchise porté par Énée. Murakami ne s’arrête pas là. Kafka rencontre un hermaphrodite féru d’androgynie et d’Aristophane, de Platon, d’Aristote et de Sophocle.

Loin de se contenter des philosophes grecs, Haruki Murakami nous emmène faire une grande balade à travers les siècles philosophiques, de Hegel à Bergson en passant par Freud et Hannah Arendt et sa réflexion sur la responsabilité face au mal dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem. L’auteur nous fait aussi faire la tournée des grands ducs de la littérature universelle: Yeats, Jean-Jacques Rousseau, Kafka bien entendu, et beaucoup d’autres. Et pour finir en beauté, il nous sert aussi quelques épisodes bibliques retravaillés à la sauce soja: la pluie d’animaux version pluie de poissons ou pluie de sangsues, ça fait rire et ça fait peur. En fait, ça fait surtout peur quand c’est un petit vieux aux tendances divinatoires qui l’annonce et que ça a tout l’air d’une malédiction.

Si on déambule dans des siècles de littérature, le seul texte produit par le roman, à savoir le témoignage de Mademoiselle Saeki, part en fumée sans qu’on en connaisse une ligne. Kafka sur le rivage est un texte duquel on sort pour aller vers d’autres textes, ce n’est pas un texte qui retient. Récit d’initiation, il est un roman que l’on traverse, comme les personnages traversent les épreuves qui les mènent à la révélation. L’errance même de Nakata est le reflet de la lecture: on avance dans le livre sans savoir où l’on va, mais en sachant qu’on ne peut pas aller ailleurs.

Pourquoi en rester à la littérature ? Murakami nous emmène dans des univers sensoriels très différents. Après un bon tube de Prince, il envoie Trio à l’Archiduc de Beethoven. Le septième art n’est pas en reste avec de nombreuses références aux films de Truffaut, notamment Les Quatre Cents Coups, ou avec La Mélodie du Bonheur.

J’aime qu’un personnage soit travaillé dans les moindres détails. Kafka signifie « corbeau » en tchèque. Ce n’est pas le genre d’information qui saute aux yeux. Le jeune héros (ou anti-héros…) est accompagné d’un double qui porte le nom du « garçon nommé Corbeau ». Quand ce double prend la parole, le texte est imprimé en gras, c’est une voix de la conscience exacerbée, qui dit tout ce que Kafka Tamura n’ose pas se dire ou comprendre. L’auteur propose une version chantée et une version picturale du prénom de son héros. Il y a la chanson de Mademoiselle Saeki, Kakfa sur le rivage, et la peinture qui décore la chambre d’amis de la bibliothèque, ainsi décrite: « Une âme solitaire errant le long d’un rivage absurde battu par les flots. C’est peut-être la signification de ce nom : Kafka. » (p. 304)

J’ai beaucoup apprécié la différence des niveaux de narration selon les personnages traités dans chaque chapitre. Quand Kafka est le sujet d’un chapitre, le récit est à la première personne. C’est le garçon qui raconte, qui sent, la focalisation est interne, totalement centrée sur les ressentis, les rêves et les pensées de l’adolescent. Quand Nakata s’impose, le récit est à la troisième personne. Le personnage lui-même, dans ses dialogues, parle de lui à la troisième personne. On sent une distance plus nette entre le personnage et le narrateur, même si le lecteur ne saisit pas tout ce qui se fait. On avance à l’aveugle, tout comme Nakata qui cherche sans le connaître l’objet de sa quête. Il y a les interrogatoires au sujet du Rice Bowl Hill Incident (voir le court métrage de Christian Merlhiot): c’est un langage policier, entre questions précises et réponses plus ou moins honnêtes. Enfin, il y a tous les articles de journaux où le langage s’incarne dans ce qu’il a de plus froid et de plus informatif, sans aucune implication ni extrapolation.

D’aucuns diront que j’ai abusé des liens hypertextes pour ce billet. Ce n’est pas à moi qu’il faut en faire reproche. Je n’ai fait que suivre l’exemple de Murakami qui, en un livre, nous fait ouvrir bien des portes de bibliothèques ! Je me suis tout simplement délectée de cette lecture qui m’a tenue en haleine pendant deux jours. Je la recommande à bien des lecteurs, parce que tous sauront y trouver leur bonheur !

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Auprès de moi toujours

Roman de Kazuo Ishiguro.

Kathy, Ruth et Tommy ont grandi ensemble à Hailsham, une école perdue dans la campagne anglaise. Leur enfance a été merveilleuse, entourée de tous les soins les plus attentionnés de la part de leurs gardiens. Élevés dans l’idée que leur existence était un bien précieux, non seulement pour eux mais également pour le monde dans lequel ils entreraient, ils savent que le but de leurs vies sera les dons qu’ils feront. Devenue adulte, Kathy est accompagnante. Elle se remémore tout ce passé idyllique. Chaque plongée dans ses souvenirs soulève de nouvelles questions. Elle se rappelle de Madame qui prenaient leurs plus beaux dessins pour sa Galerie, de Miss Lucy qui semblait avoir tellement à raconter sur Hailsham et leur présence en ses murs. Toute sa vie d’adulte et toute son identité sont pétries des certitudes qu’elle et ses amis avaient acquis à Hailsham. Mais ces certitudes s’effondrent quand Hailsham ne tient plus ses promesses.

Très difficile de résumer ce livre sans dévoiler l’essentiel de l’intrigue. Le mystère qui entoure Hailsham et ses précieux pensionnaires mérite d’être préservé. Le personnage de Kathy est un narrateur habile. En une phrase, elle laisse supposer des mystères et des révélations incroyables: « Ce que je voulais vraiment, je suppose, c’était mettre au clair tout ce qui s’est passé entre moi, Tommy et Ruth après que nous avions grandi et quitté Hailsham. Mais je me rends compte à présent qu’une part importante de ce qui s’est produit par la suite a découlé de notre vie à Hailsham, et c’est pourquoi je veux d’abord passer en revue très attentivement ces souvenirs de jeunesse. » (p. 64)

Le cheminement erratique d’un souvenir à l’autre, en passant d’une association d’idées à une autre, dévoile avec précaution et finesse le fin mot de l’intrigue. L’histoire est bien construite et les personnages sont attachants et effrayants à la fois. Le titre de l’histoire (Never Let Me Go dans la version originale) est prétendument celui d’une chanson de Judy Bridgewater, chanteuse aussi fictive que l’est la chanson. Fictif, c’est exactement le sujet de ce roman d’anticipation dont on ne peut s’empêcher de se demander s’il ne contient pas un peu de vrai.

C’est une très agréable lecture que je conseille aux amateurs de science-fiction : ils seront surpris !

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Tropique du Cancer

Texte largement autobiographique d’Henry Miller.

Le narrateur, écrivain américain isolé en France, fait le récit de ses nuits de débauche et de ses amitiés masculines. Il aspire à devenir un écrivain du vice. Il suit le fil de ses pensées, entre considérations littéraires et vitupérations antisémites.

Voilà un texte abandonné à la page 164. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais décidément, je ne suis pas fan des récits érotico-porno-intellectuels. Lire page après page l’immense considération que le narrateur/auteur nourrit envers son organe et ses performances sexuelles, cela m’a agacée avant de me lasser. Prétendre faire tout un texte sur ce genre de postulat, ça ne marche pas pour moi. Lire la litanie des noms de femmes qui passent entre ses draps (Irène, Tania, Llona, Mona, Elsa, Fanny, Germaine, Claude, etc.), ça ne m’intéresse pas davantage.

J’ai cherché, en vain, le sens du titre. Le tropique du cancer, géographiquement, ça veut dire quelque chose. Pour ce texte, je ne vois pas. Chercher l’explication dans le texte, c’est une autre épreuve. Le langage est cru, anatomique, putassier. Bien entendu, ça colle au sujet, mais je n’aime pas le langage vulgaire quand il ne mène à rien.

J’ai sans doute manqué le meilleur, ou peut-être suis-je simplement passée à côté de l’intérêt du texte, mais je ne le reprendrai pas, à moins que quelqu’un soit capable de m’en dire autre chose que « Il est trooooop bien ! ». Je voulais lire au moins un texte de Miller, pour faire pendant à ma lecture estivale de Venus Erotica d’Anaïs Nin. L’un comme l’autre m’ont déçu/déplu. Nin/Miller, c’est fait, je passe à autre chose !

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Ce que je sais de Vera Candida

Roman de Véronique Ovaldé.

Après avoir été la meilleure prostituée de l’île de Vatapuna, Rosa Bustamente a rangé ses charmes pour devenir la meilleure pêcheuse de poissons volants. L’arrivée de Jéronimo, homme au passé louche et aux capacités amoureuses défaillantes, sonne le glas de la tranquillité de Rosa. Elle tombe enceinte de Violette. L’enfant, d’abord lente et muette, grandit en devenant une terrible bavarde et une belle débauchée. C’est sans surprise qu’elle tombe enceinte à quinze ans, probablement du fils du maire. Rosa constate rapidement l’incapacité de sa fille à élever son enfant. « Rosa Bustamente fut une grand-mère formidable » (p. 74), élevant Vera Candida à grand renfort d’aphorismes et de conseils avisés. Étrange répétition de l’histoire, Vera Candida devient aussi mère à quinze ans. Décidée à échapper au sort malheureux de ses aïeules, elle quitte Vatapuna pour Lahomeria, et décide d’élever sa fille, Monica Rose, sans jamais lui révéler le nom de son père, pour effacer toute trace du passé. A Lahomeria, elle trouve refuge dans le Palais des Morues, une maison tenue par Mme Gudrun Kaufman, qui recueille les filles-mères sans foyer. Vera Candida ne veut pas qu’on la remarque, et c’est bien malgré elle qu’elle attire l’attention de Hyeronimus Itxaga, un journaliste qui dévoile le passé nazi de l’époux défunt de Mme Kaufman. Itxaga et Vera Candida vivent longtemps un amour solide qui sauve la jeune femme des démons de son passé. Mais pour Vera Candida, la route ne s’arrête que quand elle accepte de les affronter, et de revenir sur les lieux de son enfance.

Amérique latine, terre d’exotisme, de force et de mystère. Terre de violence aussi, de hiératisme poussiéreux où tout ne change que pour revenir à l’identique. La fatalité et l’atavisme sont la norme pour Rosa et Vera Candida. Vera Candida, celle qui est vraiment blanche, porte en elle une tâche secrète dont elle ne révèle l’origine qu’à la toute fin. Le personnage gagne en épaisseur à chaque page, jusqu’à devenir un personnage supra-littéraire. Dès les premières lignes qui parlent d’elle, « Vera Candida a ce genre de regard, c’est comme un muscle de son visage qui se serait crispé, une malformation congénitale, impossible d’avoir l’air doux et attendri » (p.11), le visage de Frida Kahlo s’est imposé comme représentation de ce personnage féminin hors du commun: femme superbe mais brisée, force de la nature stoppée en plein mouvement.

J’aime que les personnages secondaires aient leur propre histoire, qu’ils dépassent leur fonction initiale d’adjuvant ou d’opposant pour mener au sein du texte une existence indépendante, pour devenir les protagonistes d’une nouvelle histoire. Itxaga est un personnage remarquablement écrit. Il est d’abord le chevalier blanc, redresseur de torts et défenseur de la liberté brandie en étendard. Il devient, l’espace de quelques pages, l’incarnation des victimes des dictatures et des systèmes répressifs. Le récit qui est fait des mauvais traitements qu’on lui inflige est digne des meilleurs apologues et contes philosophiques, dans la veine du Candide de Voltaire. « Ils ramenèrent Itxaga chez lui trois jours plus tard. Il lui manquait dix dents et un doigt (l’auriculaire de la main gauche qui ne sert somme toute pas à grand-chose – parfois ils étaient plus désagréables, ils vous laissaient repartir sans pouce.) Officiellement, il avait dégringolé les escaliers des locaux de la Capa et s’était brisé le doigt sous une meule – il y avait une meule dans la cour de la Capa […], il y avait aussi un piquet au milieu de la dite cour, et parfois vous pouviez attraper des insolations à force de rester à vous faire bronzer trop près de ce piquet. […] Les types de la Capa avaient essayé pendant trois jours de lui mettre l’assassinat de la vieille Gudrun Kaufman sur le dos, et de lui faire signer des aveux. […] Itxaga avait tenu bon. Tout simplement parce qu’il n’avait pas compris pendant un bon moment ce qu’on voulait lui faire avouer. Quand il avait enfin compris, il n’avait déjà plus ses dents ni son doigt, alors il s’était réfugié quelque part dans un tout petit endroit de son corps, serré en boule, et il avait attendu que ça passe. […] La Capa avait épousseté Itxaga, lui avait présenté des excuses, donné l’adresse d’un bon dentiste, l’avait délicatement menacé pour qu’il ne porte pas plainte et l’avait fait raccompagner chez lui […]. » (p. 165 et 166) Impossible de ne pas rire jaune et crispé, surtout quand il s’agit de se justifier, un peu plus loin: « Elle lui demanda enfin comme il avait perdu son doigt. Il lui dit quelque chose comme, J’ai fait du bricolage. Elle haussa les sourcils, Et la balafre, c’est aussi le bricolage? » (p. 198)

Avec finesse, l’auteur dévoile un autre tenant de l’histoire latino-américaine, à savoir comment le continent est devenu le refuge de certains officiers nazis à la fin du second conflit mondial. Cet aspect historique ancre le récit dans une réalité que l’on a, par ailleurs, bien du mal à fixer, tant le sujet de l’histoire tend à se confondre avec l’universel. Que lit-on ici, si ce n’est l’histoire de la femme en général, de son enfance à sa mort? Que lit-on, si ce n’est l’éternelle et désespérante marche du monde? Thème déjà bien éculé, mais l’auteure fait preuve de génie en déclinant le personnage féminin au travers des trois âges qui le compose. Violette a peu d’importance, elle est un maillon obligatoire mais éphémère, la jeunesse fugace dont on ne sait que faire. Vera Candida en femme accomplie et Rosa en vieille avertie sont des incarnations sublimes des deux plus importantes facettes de la vie des femmes.

Le récit file à toute allure. Ébouriffant, le texte sait aussi être impertinent à force d’effets dilatoires. Le prologue/épilogue rend avide, immédiatement. Et le titre ? Qui sait quoi de Vera Candida ? Qui donc nous raconte cette histoire ? Où est le narrateur ? Est-ce l’auteure, humblement qui nous livre sa création en l’état, non achevée ? Est-ce un biographe anonyme qui a retourné le passé ? Est-ce moi, lectrice, qui glane au fil des pages des indices et des semi-vérités ? Voilà bien le premier et le dernier mystère de ce livre étourdissant.

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Le dernier soupir du Maure

Roman de Salman Rushdie.

Moares Gama-Zogoiby est le narrateur d’une surprenante histoire: la sienne et celle de sa famille. Son récit commence bien avant sa naissance. Il se réclame, ainsi que son ascendance, de l’illustre Vasco de Gama. Dans une famille où l’excès et la différence sont monnaie courante, il trouve sa juste place. Biographe familial cynique, tendre, ingrat, révolté ou désabusé, il dresse aussi un portrait vitriolé de l’Inde, avant et après la domination anglaise, dans laquelle des personnages comme Gandhi ou Nehru ont des rôles bien moins grands que ceux qu’ils jouent dans la famille Gama-Zogoiby.

Malchanceux, le Maure l’est dès sa naissance. Fils d’Aurora, une héritière et artiste de génie mais femme de peu de cœur et d’Abraham, juif de Cochin, escroc et soumis à son épouse, Moares, dit le Maure, se distingue à plus d’un titre. Né très largement avant terme, affublé d’une main difforme, il est soumis à un vieillissement deux fois supérieur à la norme. Malchanceux par son nom, malchanceux par son ascendance, il fait aussi des choix malheureux. Il semblerait qu’il s’entête à suivre la voie barrée pour mieux se fourrer dans des situations impossibles. Il échappe de peu au contrat malhonnête que son père passe avec sa grand-mère, mais c’est pour mieux devenir la créature de sa mère, à la fois adorée et détestée, réclamée et repoussée.

Aurora de Gama est belle, impertinente, gourmande et dynamique. Fille adorée d’un père faible et brisé par la mort de sa femme, elle a grandi sans autorité et a gardé de son enfance une insouciance, une liberté et une volonté à toute épreuve. Elle attire les regards et les convoitises des hommes et des femmes. Entourée d’artistes, dont le peintre Vasco de Miranda qu’elle rendra désespérément fou d’amour, elle gravite au centre d’un univers où tout lui est consacré. Son fils n’est qu’un joyau de plus dans son coffre aux trésors.

Dernier-né d’une fratrie de filles, Moares grandit entouré de trois sœurs dont les prénoms tronqués ou déformés tendent à se confondre pour créer une seule entité sororale, polymorphe et inquiétante. Ina, Minnie et Mynah connaissent des destins sublimes et décadents. Toutes les femmes que fréquentent le Maure portent en elles un germe d’auto-destruction. Entre Dilly Hormuz, sa préceptrice et  première amante, et sa fiancée perdue, la superbe et courageuse Nadia Wadia, le Maure connaît l’éblouissement des sens et du cœur auprès d’Uma Sarasvati. La jeune femme, sculpteur au talent naissant, est passionnément attirée et obsédée par Aurora, la pétulante et charismatique maman du Maure. Entre les deux femmes commence malgré tout un combat dont l’enjeu est Moares.

Moares est aussi un boxeur surprenant même s’il utilise sur le tard son talent destructeur. Pendant des années, il travaille dans l’entreprise paternelle, prétendument consacrée à la vente de talc pour bébés, même s’il est de notoriété publique qu’Abraham Zogoiby est un magnat de la drogue indienne.

Que cette lecture a été ardue ! Voilà un livre qui ne se laisse pas faire ! Les cent premières pages, loin d’être déplaisantes, riches d’un humour caustique et de détails savoureux, m’ont cependant paru interminables. Il est absolument insupportable d’attendre aussi longtemps pour arriver au cœur du sujet. Avant d’en venir au personnage principal, il faut d’abord faire connaissance – et en profondeur ! –  avec deux générations d’aïeux dont les aventures picaresques nous entraînent bien loin du sujet principal. A moins que le sujet principal ne soit qu’un prétexte pour dessiner une saga familiale qui ne se comprend que dans l’ampleur et la démesure.

Le motif récurrent du dernier soupir du Maure, traité par le texte et par l’image, est intelligemment disséminé au fil des pages. Cela donne envie de relire Chateaubriand. Aurora est un personnage fabuleux, mais il aurait été encore plus fabuleux qu’elle ait existé et qu’elle ait peint les toiles dont les descriptions accompagnent chaque épisode de l’histoire de Moares. Les représentations qu’elle fait d’elle et de son fils sont allégoriques, psychédéliques, iconoclastes, blasphématoires. Cela aurait un délice de les avoir sous les yeux.

Je suis toujours très sensible à la synesthésie d’un texte. J’avais beaucoup apprécié la lecture du Parfum de Patrice Süskind, pour le talent dont l’auteur a fait preuve pour convertir les mots en odeurs. Dans le texte de Salman Rushdie, j’ai retrouvé le même talent. De la première étreinte enivrante entre Aurora et Abraham sur des sacs de poivre, de cardamome et de cumin aux promenades dans les dédales de Bombay, on respire l’Inde onirique de l’explorateur Vasco de Gama, pays merveilleux d’épices et de tissus éblouissants. « De grands arbres généalogiques issus de petites graines: il convient, n’est-ce-pas, que mon histoire personnelle, l’histoire de la création de Moares Zogoiby, ait son origine dans le retard d’un chargement de poivre? » (p.85) Une petite graine de poivre comme un grain de sable qui change le fonctionnement classique de la machine.

Superbe hommage à l’Inde, portrait à l’acide également. L’auteur n’épargne pas son pays d’origine. « L’Inde Mère avec son faste criard et son mouvement inépuisable, l’Inde Mère qui aimait, trahissait, mangeait et dévorait ses enfants puis qui les aimait de nouveau, ses enfants dont les relations passionnées et les querelles sans fin allaient bien au-delà de la mort; elles s’étendaient dans les immenses montagnes comme des exclamations de l’âme, et le long des larges fleuves charriant miséricorde et maladie, et sur les plateaux arides ravagés par la sécheresse sur lesquels des hommes entamaient la terre stérile à la pioche; l’Inde Mère avec ses océans, ses palmiers, ses rizières, ses buffles aux trous d’eau, ses grues aux cous comme des portemanteaux perchées sur la cime des arbres, et des cerfs-volants tournant hauts dans le ciel, et les mainates imitateurs, la brutalité des corbeaux au bec jaune, une Inde Mère protéenne qui pouvait devenir monstrueuse, qui pouvait n’être qu’un ver sortant de la mer […], qui pouvait devenir meurtrière, qui dansait avec la langue de Kali et le regard qui louche pendant que mourraient les multitudes; mais au-dessus de tout, au centre exact du plafond, au point où convergeaient les lignes de toutes les cornes d’abondance, l’Inde Mère avec le visage de Belle. » (p. 77)

L’Orient et l’Inde, ce ne sont pas des zones géographiques vers lesquelles mes pas se porteraient naturellement, encore moins ma curiosité. Je n’y connais pas grand chose, que ce soit en terme de culture, de religion, de spiritualité, d’histoire, et que ne sais-je pas encore ! Je pense sans aucun doute que de grandes choses m’ont échappées pendant la lecture, des finesses culturelles, des anecdotes, des traits d’humour, des vitupérations politiques et historiques… Devant une telle œuvre, on se sent humble. Moi, je me suis sentie toute petite. Le texte foisonne, se développe, bondit et repart en arrière, entre analepses fulgurantes et digressions labyrinthiques. Il y a un peu du récit de Shéhérazade, un peu des Mille et une nuits dans ce texte qui semble ne pas vouloir finir. Et les cent dernières pages, bijou du livre, révèlent les conditions de narration de cette saga rocambolesque et justifient les extrapolations et récits parasites dont on se demandait ce qu’ils apportaient vraiment au texte. Également récit policier, comme on le comprend dans les dernières parties du livre, l’intrigue s’amuse à nier ce qu’elle défendait pour mieux proposer de nouvelles solutions.

Entre le conte d’Andersen La reine des neiges et Le marchand de Venise de Shakespeare, le texte se nourrit et régurgite tout un palimpseste littéraire et baroque. Les érudits parlent de réalisme magique pour qualifier l’écriture de Salman Rushdie. Pour faire simple, c’est quand le fantastique du conte ou de la légende se mêle au réel pour donner une nouvelle réalité dans laquelle on retrouve des éléments concrets mais qui offre aussi des anomalies parfaitement acceptées. Un des derniers exemples de textes de ce genre qui m’a renversé est Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Ensuite, il y a eu Le livre des nuits de Sylvie Germain. Le dernier soupir du Maure est tout aussi renversant, avec sa famille folle et tentaculaire, et ses péripéties démentielles !

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Jacques le fataliste et son maître

Texte philosophique de Denis Diderot.

Jacques et son maître parcourent les chemins. Le valet fait le récit de ses amours. Il est sans cesse interrompu, soit par les anecdotes de son maître, soit par les aventures qui ponctuent leur périple. Le narrateur-auteur prend souvent la parole pour expliquer pourquoi son livre n’est un roman.

Absolument fabuleux! Et je ne pense pas à la grande Josiane quand je dis ça! Ce texte était au programme de mon année de terminale, il y a 6 ans (pfiou, ça passe !) et je l’ai lu et relu, travaillé et surligné, gribouillé et mâchouillé jusqu’à plus soif, avec un plaisir immense.

On connaît le Diderot libertin, le Diderot encyclopédiste, le Diderot des Lumières. Dans ce texte, j’ai découvert un Diderot humoriste. Les malchanceuses aventures sentimentales de son héros sont d’un comique, parfois un peu gras, que Rabelais n’aurait pas renié. Les considérations du personnage sur la destinée et la fatalité sont dignes d’un Sganarelle révisant son arithmétique. Le tout est très habilement ficelé dans une suite de récits enchâssés, de digressions délicieuses et de considérations intéressantes sur le statut du lecteur et celui de l’auteur. Il faut un peu s’accrocher aux pages pour ne pas perdre le fil du récit, mais la lecture reste mémorable.

Et c’est bien le seul livre de Diderot que j’ai relu !

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Deux sœurs pour Léonard

Roman de Karen Essex.

Isabelle et Béatrice sont les héritières du royaume d’Este. Leurs mariages sont la garantie de la paix entre les grandes maisons d’Italie et renforcent tout un réseau d’alliances entre les puissants d’Europe. La belle Isabelle épouse Francesco, prince de Mantoue, qu’elle aime tendrement depuis leurs fiançailles. À la jeune et timide Béatrice revient d’épouser Ludovic Sforza, régent pour le prince de Milan. Ludovic est un homme dévoré d’ambition qui entend bien ne jamais rendre le trône à son neveu Gian Galleazo. Celui qu’on surnomme Le More est un maître de guerre et un fin stratège manipulateur, mais il est aussi un érudit, un esthète amateur de jolies femmes et d’œuvres inestimables. Le fleuron de sa cour est Léonard de Vinci. Entré à son service en tant qu’ingénieur militaire, le Maître a su imposer tous ses talents. Les femmes qu’il représente sur ses toiles sont immortalisées et sublimées. Et c’est bien ce que veut Isabelle, la belle-sœur de Ludovic. Profondément impressionnée par la virile prestance de son beau-frère et par le faste qu’il déploie pour faire de Milan une cité italienne de premier ordre, Isabelle veut être de ces femmes dont il collectionne les portraits. Et qui mieux que Léonard de Vinci pourrait rendre hommage à sa superbe beauté? Entre les deux sœurs de la maison d’Este, tout est sujet à rivalité: le mariage, les enfants, la possession d’œuvres d’art, l’ascendant sur Ludovic, le lien avec le Maître.

Enfin un bon roman historique! Suffisamment de romance pour ne pas avoir l’impression d’assister à un cours magistral, et suffisamment de contenu documenté pour ne pas lire une stupide romance assaisonnée de quelques détails historiques. La facture du texte est élégante: elle présente des ellipses maîtrisées et des analepses intelligentes. La narration s’agrémente fort à propos d’écrits du Maître: des courriers, des études anatomiques et médicales, des analyses physionomiques, des carnets de commande, etc. Tout un paratexte scientifique et détaillé qui fournit sans qu’on s’en rende compte un grand nombre d’informations pertinentes et intéressantes sur la vie et l’œuvre de Léonard de Vinci.

Bon roman historique parce qu’il nous en apprend sur l’histoire de l’Italie avant l’Italie. Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans les conflits qui opposèrent les états italiens indépendants. Naples, Venise, Mantoue, Milan, Florence, Sienne, Pise et tant d’autres noms, qui sont pour nous aujourd’hui des villes, ont d’abord été des royaumes indépendants aux histoires mouvementées, dans lesquelles se sont illustrés des personnages éclatants. Je suis sortie de ma lecture en ayant un peu dissipé le brouillard qui entourait l’histoire italienne.

Un des autres atouts de ce livre tient dans les descriptions. Avec les tenues flamboyantes des héroïnes qui rivalisent de folies pour surpasser toute la cour en beauté et les toiles du Maître, minutieusement décrites, le texte est très visuel et donne envie d’aller se promener au Louvre et autres musées pour découvrir les merveilles de ce temps-là.

En conclusion, c’était une bonne lecture, divertissante et plaisante pour occuper un jour férié. Je la conseille sans aucun doute pour les lecteurs qui voyagent.

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L’astronome aveugle

Roman d’Anne-Catherine Blanc.

Après des années de loyal service auprès d’un monarque avide de révélations et de prédictions, un astronome sage et éclairé quitte sa place. Devenu aveugle, il ne peut plus déchiffrer le mystère des étoiles et du ciel. Accompagné de son chat, compagnon fidèle et éternel, il erre à l’aventure le long des côtes du royaume, vivant de la charité des pauvres gens et de divers travaux. Quand l’hiver s’installe, il trouve refuge dans un phare, auprès de son gardien, un vigoureux gaillard qui l’accueille simplement. L’astronome croit alors avoir atteint la fin de sa route, mais son existence reste soumise aux décisions du roi.

Tout semblait avoir mal commencé quand j’ai lu l’exergue, écrit en espagnol, tirée de Campos de Castilla (Champs de Castille) d’Antonio Machado. Le problème, ce n’est pas la langue, c’est l’absence de traduction. Tout le monde n’a pas étudié la langue hispanique pendant le secondaire. Moi, piètre germanophone, je suis désemparée et frustrée par cet exergue obscur et inutile puisque je n’en tire rien.

Passé ce premier moment d’agacement, je me suis laissée emporter par une narration riche et superbement construite. Les tournures légèrement archaïques et les formules désuètes donnent un charme fou à ce conte philosophique. Impossible de vraiment situer les lieux : il y a un peu des côtes de la Bretagne sauvage, un peu des folies du détroit de Gibraltar et un peu de l’exotisme des terres nordiques. L’astronome est une figure détournée de l’enchanteur bien connu du cycle d’Arthur. C’est un Merlin qui n’a pour toute charge d’âme que la sienne et celle de son matou, sans autre quête que la sienne, ce qui est déjà beaucoup.

L’histoire n’est pas des plus originales, mais elle est bien menée. Je ne me suis pas ennuyée une minute. J’ai particulièrement apprécié que les personnages n’aient pas de nom. Ils sont les modèles d’un théâtre d’ombres: le roi, l’astronome, le gardien de phare, le chat, la belle jeune fille, la foule des paysans, etc. Le texte n’y perd rien. On est plongé dans un récit universel sur l’amitié et les autres relations humaines et sociales, et sur le destin personnel.

Très agréable aussi le petit texte qui fait suite à celui-ci, Le roi, le peintre et l’avocette. (Pour les curieux, allez par ici pour savoir ce qu’est une avocette.) C’est un peu la même histoire, sauf que l’astronome est ici un artiste qui peint les choses du monde sans les avoir jamais vues, juste en fixant la houle. Il a pour seule compagnie une avocette qui se pose sur sa fenêtre tous les soirs. Le peintre est au service d’un roi mégalomane et exigeant. L’art finit par avoir raison de la folie du monarque.

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Les belles choses que portent le ciel

Premier roman de Dinaw Mengestu.

Stéphanos l’Éthiopien, Kenneth le Kenyan et Joseph le Congolais sont trois amis que l’histoire sanglante de l’Afrique a contraint à trouver refuge en Amérique, terre de promesses et de fumée. Stéphanos possède une petite épicerie dans un quartier délabré de Washington, sur Logan Circle, une grande place où trône la statue du général Logan. Les trois hommes se retrouvent régulièrement dans l’arrière boutique de Stéphanos. Ils s’adonnent à leur jeu favori, répertorier les dictateurs et les coups d’état qui ont secoué et secouent l’Afrique. L’existence de Stéphanos change quand Judith, une riche blanche, achète une des maisons en ruine qui bordent Logan Circle et la fait entièrement rénover pour s’y installer avec sa fille Naomi, une adorable fillette métisse. Entre les trois voisins se nouent une douce relation faite de timidité, de gêne et de fossés à franchir.

Très beau texte sur l’impossibilité de s’intégrer totalement à une société. Et les exclus ne sont pas vraiment ceux que l’on croit. Si Stéphanos et ses amis sont plus que déçus par les promesses vaines de la grande Amérique, c’est Judith qui est la plus perdue. Entre un ex-compagnon noir et une fillette qui la repousse et la teste, dans un quartier qui n’a d’américain que la statue qui trône en sa place, la femme blanche est celle qui a le moins de racines.

Stéphanos résume en quelques mots son intérêt pour Logan Circle et en tire des conclusions sur l’histoire de l’Amérique: « J’aimais cette place à cause de ce qu’elle était devenue: la preuve que la richesse et le pouvoir n’étaient pas immuables, et que l’Amérique n’était pas aussi grandiose que cela, après tout. » (p. 25)

Avec l’Afrique toujours présente, représentée sur une carte des années 1980 ou revisitée en mémoire par les trois hommes, le récit devient un conte de l’errance, de la perte de la terre originelle, de son manque, mais aussi du dégoût qu’elle provoque et du mépris qu’elle suscite. C’est une terre qui tue ses enfants, qui les force aux pires exactions, qui les pousse à s’enfuir. Loin des yeux, près du cœur, mais tout de même dans la haine.

Troublante ressemblance entre le nom de l’auteur américain, dont le personnage est éthiopien, et celui du dictateur éthiopien Mengistu Haile Mariam. Comme un petit clin d’œil et un rappel : entre le génie et le monstre, il n’y a qu’un pas.

Avec de belles références à l’Enfer de Dante, à qui le roman doit son titre, et aux Frères Karamazov de Dostoïevski, le texte est riche d’une profondeur littéraire et historique tout à fait agréable à découvrir au fil des pages.

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La Signora Wilson

Roman de Patrice Salsa.

Le narrateur vient d’être nommé dans une ambassade à Rome. Aristocrate dandy et habitué au luxe, il mène une vie de faste et d’indolence. Dans le superbe palazzo où il loge, il est très régulièrement dérangé par des appels téléphoniques. Les interlocuteurs anonymes demandent toujours à parler à la Signora Wilson. Au gré de ses déambulations dans la cité éternelle, il en découvre les splendeurs architecturales et s’initie au libertinage latin. Violemment renversé par une voiture lors d’une de ses promenades, il se relève, et son quotidien rassurant fait place à un voyage onirique au cœur de son enfance, de ses peurs et des chefs d’œuvres antiques et classiques. Au terme de son périple, il comprendra qui est la Signora Wilson et quelle place elle tient dans son existence.

Gros problème avec Actes Sud, en ce qui me concerne. C’est une maison d’édition que j’adore, et dont chaque nouvelle publication trouve grâce à mes yeux. Donc, quand je reste en butte sur un des titres de cette maison, je ne peux m’empêcher d’être persuadée que c’est moi le problème, et pas le livre. Parce qu’Actes Sud ne publie que des très bons textes. Me voilà toute dépitée à la fin de la lecture de ce livre. Parce que je ne l’ai pas aimé.

Prendre le lecteur pour un couillon, tout de même, ça ne peut se faire qu’avec des pincettes! Réécrire les mythes antiques, ça demande aussi de ne pas utiliser une truelle! Un peu de finesse que diable! Passe encore que l’œuvre des Parques soit de détricoter un pull jacquard pour signifier au pauvre mortel qu’il est en bout de course, mais faire de Charon un chauffeur de taxi qui râle sur le pourboire, ça pousse un peu loin le pastiche.

L’auteur est mélomane, on le saura. Pas une page sans qu’un morceau de musique classique rythme la scène. Dans un film, ça serait super. La musique intradiégétique, ça a toujours plus de corps qu’un banal accompagnement musical. Mais sur le papier, ça ne donne pas grand-chose pour qui n’a pas l’intégrale de la musique classique à portée d’oreille… C’est très agaçant de ne pas connaître le morceau dont il est question quand on sait bien que ça nourrit l’intrigue. La synesthésie perd tout son sens. Je ne reproche pas le renvoi à d’autres œuvres, ni ne refuse l’intertextualité. Mais pour ce texte, la moitié, au moins, des références musicales est superfétatoire. Et la façon de les introduire est pompeuse, voire dédaigneuse. L’auteur veut en mettre plein la vue, et c’est très impoli. Non mais!

Il y a tout de même des passages superbement travaillés. Notamment la description des tenues de soirée féminines, dans le magasin de confection. La profusion d’étoffes, de camaïeux de couleur, de coupes et de modèles me rappelle le naturalisme de Flaubert, quand il décrit la pièce montée du mariage Bovary ou la casquette de Charles jusqu’à ce que l’abondance de détails annule la fonction première de la description. On sort de là tout étourdi, plein d’images.

Attendre la toute dernière ligne du livre pour en comprendre le sens, c’est tout de même dommage. Parce que si j’avais cédé à la paresse, le livre me serait resté totalement hermétique.

Dernier point: comme toujours chez Actes Sud, les premières de couverture sont sublimes!

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Syngué sabour – Pierre de patience

Roman d’Atiq Rahimi. Prix Goncourt 2008. (Je n’ai jamais qu’un an de retard…)

« Syngué sabour (du perse syngue « pierre » et sabour « patience »). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s’agit d’une pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l’on n’ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré. » (Quatrième de couverture)

Une femme afghane veille son époux, immobile, absent et silencieux depuis qu’il a reçu une balle dans la nuque. Pieuse d’abord, elle égrène les noms d’Allah au rythme des boules d’un chapelet, et entoure son homme de soins attentifs et inquiets. Le silence et l’impassibilité de l’homme ont peu à peu raison de sa patience et de sa retenue. Seule face à l’homme, elle parle pour la première fois, raconte ses attentes déçues, ses trahisons et ses décisions de femme rebelle. Elle dit sa haine de la guerre qui lui a volé plusieurs fois son époux, sa haine d’une religion qui place les principes au-dessus de l’amour. Dans une chambre, elle prend possession de l’esprit de son homme, en fait le réceptacle d’une vie perdue et d’aveux indicibles.

D’abord gênée par le ton du texte et son sujet, je me suis laissée prendre à la beauté des mots. Je n’aime pas les récits qui parlent de maladie, d’infirmité et de diminution physique. Encore moins ceux qui montre l’emprise d’un personnage sur un autre, malade. C’est un voyeurisme qui, plus encore que tous les autres, m’écœure.

Mais il y a dans la plume d’Atiq Rahimi une pudeur au cœur même de l’étalage, une retenue subtile avant le débordement. La femme parle avec haine parfois, colère et lassitude très souvent. Elle blasphème, se repent dans l’instant, et recommence. Son discours est une mélopée sans fin. La narration même participe de tous les aveux de cette femme coupable et blessée. Les descriptions sont des cantiques. Tout dans la langue de l’auteur est célébration, quel que soit l’objet de cette célébration.

Il y a peu de gestes, même si le texte est riche en allusions visuelles, en beautés cachées et en horreurs dissimulées. Mais de mouvements, on ne saurait dire qu’ils abondent. Ce qui rend la conclusion, la dernière page si impressionnante, si troublante! Impossible d’en dire davantage sans déflorer toute une narration subtile et très richement construite.

C’est une belle lecture, mais il vaut mieux être bien dans ses baskets avant d’ouvrir le livre. Déprimés s’abstenir…

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Le camion électrique

Roman d’Alain Galindo.

Julien a inventé un camion électrique. Un camion géant. Un semi-remorque. Recouvert de panneaux solaires, le véhicule est censé capter la lumière pour en faire de l’électricité et produire ainsi son propre carburant, propre et économique. Mais les batteries de l’engin tombent en panne. Julien et son épouse Alice sont arrêtés au pied d’une butte, au bord d’une route où personne ne passe jamais. Cinq cent mètres derrière, il y a un village. Cinq cent mètres, ce n’est rien, à pied quelques minutes suffisent. Mais le semi-remorque qui n’avance désormais que d’un mètre par jour n’est pas prêt de l’atteindre. Pour tuer le temps, Julien ouvre, un peu par hasard, un commerce de boîtes de cassoulet et de bouteilles d’eau minérale, à bord de son camion. Les mercredi et samedi, il fait aussi la garde de tous les enfants du village. Alice se lasse de cette vie immobile, ou presque, pendant que Julien échafaude les solutions les plus folles pour faire bouger son camion.

Le début de l’histoire est charmant. Le personnage du savant fou dépassé par sa création est attachant, même si on aurait bien envie de lui secouer un peu les puces. D’emblée, je n’ai pas aimé le personnage d’Alice, l’épouse délaissée qui sacrifie son existence de mauvaise grâce aux projets délirants de son mari. Elle n’avait qu’à partir tout de suite la mijaurée!

Les derniers chapitres et la conclusion m’ont fortement déplu. Je n’ai pas compris le glissement depuis la fable sur la réussite personnelle et l’accomplissement de soi vers le conte gothique et l’apologue moralisateur, dans le genre de l’Ecclésiaste. Vanitas vanitatum omnia vanitas, oui, merci on le sait depuis longtemps.

Néanmoins, la construction est très sympathique. Les chapitres, longs de trois pages maximum, permettent une avancée au rythme du camion: pas beaucoup, mais un peu quand même. Et peu à peu, ça fait une histoire. L’ensemble est agréable, même si je reste sur la réserve quant à la fin du texte. C’est une lecture agréable, simple, sans prétention, tout à fait abordable par des adolescents.

Une phrase m’a beaucoup plu, et je la retiens comme mantra pour les jours à venir: « Arriver au terme d’un projet, était-ce forcément le réussir? » (p. 44)

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Le péplum

Livre de Laurent Aknin.

« Singulière expression que le « péplum »! Terme latin désignant à l’origine une tunique romaine, puis passant dans le langage cinéphile des années 1960 en France, pour former « film en péplum », vite abrégé en « péplum » tout court, il désigne dorénavant un ensemble de films absolument protéiforme. Synonyme bien souvent de kitsh ou de carton-pâte, il évoque aussi bien les superproductions hollywoodiennes que le cinéma bis le plus invraisemblable. A travers lui, ce sont des dizaines d’images archétypales qui viennent immédiatement à l’esprit: empereurs fous, chrétiens jetés aux lions, femmes fatales et jeunes vierges évanescentes, culturistes et gladiateurs, crucifixions, Atlantide et Rome de la décadence, passage de la mer Rouge et construction des pyramides. Le tout se bouscule dans un désordre d’autant plus inextricable que […] la vérité historique n’est et n’a jamais été le but ni l’ambition de ces films. […] La seule difficulté, une fois que l’on admet que le péplum est un film concernant une période quelconque de l’Antiquité, est de déterminer le début et surtout la fin de celleci… Mais dans le fond, qu’importe, puisque l’esthétique des films compte finalement plus que leur traitement de l’Histoire! » (p. 4 et 5)

Cet ouvrage illustré présente de façon fort logique l’évolution du genre cinématographique, de la technique au traitement des sujets choisis. L’Antiquité, qu’elle soit mythologique, guerrière, décadente, païenne ou chrétienne, est mise à l’honneur, tout comme le sont ses thèmes de prédilections: le cirque, la bataille, la Passion, l’esclavage, etc. Art du gigantisme en toutes choses, le péplum engloutit l’Antiquité classique, principalement la romaine, pour en faire « un festival orgiaque de supplices, de tortures et de sexualité débridée. » (p. 28) Hors de tout réalisme historique, le genre fait l’apologie de la débauche de chair, entre héros culturistes invincibles et femmes lascives et dénudées.

L’ouvrage présente les grands noms de l’histoire du péplum: Cécil B. deMille, Quo Vadis ou Ben Hur, sans, hélas, en dire suffisamment. On survole à un train d’enfer cent ans de péplum. Les illustrations sont superbes, mais l’image ne remplace pas toujours avantageusement le discours. Une somme considérable d’exemples ne suffit pas à étayer un argumentaire laconique. Néanmoins, le livre est un bel inventaire de tout ce qui s’est fait, par qui et avec qui, en matière de péplum.

Je reproche à l’auteur un parti pris négatif absolument agaçant pour toute la production pré-1950. Je ne suis pas une fan inconditionnelle de ce qui s’est fait au début du siècle, parce qu’il est vrai que tout a mal vieilli. Mais systématiquement taxer de kitsch ce qui était pourtant parfaitement novateur à l’époque c’est de l’étroitesse d’esprit, ou je ne m’y connais pas!

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Je t’offrirai une gazelle

Roman de Malek Haddad.

Gisèle Duroc, relectrice aux Éditions du Ciel de Paris, découvre le manuscrit d’un auteur inconnu, Je t’offrirai une gazelle. Le roman relate la belle romance entre Moulay et Yaminata, à l’ombre des dunes du Sahara. L’auteur est un poète, un écorché qui ne supporte que la compagnie de M. Maurice, un habitué du troquet qu’il fréquente. Gisèle Duroc est troublée par le texte, mais bien davantage encore troublée par l’auteur.

Très belle construction pour ce roman qui n’a d’exotique que le titre. Le premier chapitre est en fait l’introduction du livre que le personnage écrit. En quelques lignes, il trace le portrait de l’écrivain face à sa feuille, d’une façon qui, si elle n’est pas innovante, n’en est pas moins poétique et délicate. Et tout au long du texte se tisse une image, une idée de l’écrivain. Il est maudit comme au temps des Rimbaud et Verlaine, il est acharné comme l’était Balzac, il est d’ailleurs comme étaient d’ailleurs Desnos et ses acolytes.

De l’auteur du texte, on ne connait pas le nom, à aucun moment. Et c’est toute une théorie littéraire qui s’effondre devant les évidences: « Le manuscrit ne portait pas de nom d’auteur. Ce dernier, un jour qu’il se trouvait en lyrisme commandé, avait affirmé dans une revue que les bienfaiteurs du rêve voyagent incognito. Il se prenait peut-être pour un bienfaiteur du rêve. En vérité il ne comprenait pas cette façon d’agir qui consiste à dire: « C’est moi! » On dit « C’est moi. » Et puis on dit « C’est à moi! » On donne son nom à un enfant. Mais, heureusement, on ne l’appelle que par son prénom. L’hypocrisie patrimoniale que représentait un nom d’auteur sur une couverture le dégoûtait. » (p. 13 & 14)

Le roman offre une vision idéalisée, mais aussi désabusée d’un pays en guerre. L’Algérie n’est pas que le pays des gazelles, des femmes bleues et des onirismes exotiques. C’est aussi un pays marqué par le conflit qui l’oppose au tyran colonialiste, pays qui essaime et perd ses enfants en métropole. Il n’y a pas de descriptions claires de la guerre franco-algérienne, mais les allusions se succèdent et comblent les silences: un contrôle abusif de papiers d’identité, une famille décimée par le typhus, une enfant morte sous le sable, etc. Quelques phrases peut-être sortent du lot, et disent les choses telles qu’elles sont: « Entre Paris et Alger, il n’y a pas deux mille kilomètres. Il y a quatre années de guerre. Il est inutile d’interroger. Ce n’est pas du voyage, ce n’est pas du tourisme. Les trains ne s’en vont plus pour le plaisir de s’en aller. » (p. 98)

Petit coup de griffe envers les maisons d’édition, qui m’a fait sourire: « Il y a longtemps que l’auteur se doute qu’on peut parler de tout dans une maison d’édition, sauf de littérature. » (p. 55)

Une très belle lecture, étourdissante comme l’histoire d’amour qui ne se noue qu’à demi entre Gisèle et l’auteur, grisante comme le soleil qui inonde le désert, incisive par tous ses jugements. Rapide aussi, à peine une heure de plaisir. C’est peut-être là le défaut de ce livre. Sa concision, toute sublime, est frustrante. J’ai refermé le livre avec un mot au bout des doigts : encore.

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Le Montespan

Roman de Jean Teulé.

Louis-Henri, marquis de Montespan, est un époux comblé. Françoise est assurément la femme la plus belle du royaume, et elle l’aime d’une commune passion. Mais un tel trésor ne peut que faire naître les convoitises. Nommée dame de compagnie de la reine Marie-Thérèse, Françoise de Montespan ne tarde pas à se soumettre et à succomber aux désirs du Roi-Soleil. Tout autre époux que Louis-Henri aurait tiré profit de cette union adultère. Mais en Gascon simple et homme amoureux, il refuse de céder son épouse à un autre, fût-il roi de France. Téméraire et insoumis, il accuse le roi. Son carrosse, repeint de noir et affublé de bois de cerf, annonce partout la honte qu’il subit. Ne cédant ni aux cadeaux ni aux menaces, retranché sur ses terres de Guyenne, il attend le retour de sa femme.

Truculente et enlevée, cette biographie du marquis de Montespan ne manque pas de piquant. L’auteur appelle les chats par leur noms, et les grands de l’Histoire sont rhabillés pour l’hiver. Je doute que les gravures et autres illustrations aient pour but premier d’informer. Il s’agit surtout de faire rire. Voilà un roman qui se lit en une demi-journée, parfait pour occuper une après-midi trop longue, derrière une vitre au soleil.

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Le livre des nuits

Roman de Sylvie Germain.

Victor-Flandrin Pléniel, que l’on appelle aussi Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup, quitte la péniche qui l’a vue grandir, s’éloigne de l’eau à laquelle sa famille était attachée depuis des générations pour s’enfoncer dans les terres. Il porte au coup les sept larmes de son père, dont le visage a été marqué par le sabre d’un uhlan en 1870. Il avance accompagné de l’ombre blonde de sa grand-mère qu’il porte comme une protection. C’est à Terre-Noire, un lieu reculé, qu’il établit son existence, qu’il prend femme, quatre fois, et qu’il engendre une descendance nombreuse, sous le sceau de la gémellité et de la tache d’or qu’il transmet à l’œil de tous ses enfants. Traversant les conflits qui agitent le reste du monde, incapable de soustraire les siens aux remous de l’histoire et des passions, Victor-Flandrin dure longtemps alors que sa famille meurt et se réduit.

Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup est un personnage comme j’aimerais en croiser plus souvent dans mes lectures: « Nul ne savait vraiment d’où il venait, ni pourquoi ni comment il était arrivé là. Les légendes et les ragots les plus fantasques couraient au sujet de son teint noirci par la poussière de charbon, des taches d’or de son oeil qu’il se mettait maintenant à distribuer à sa progéniture, de son ombre blonde qui hantait toute seule les chemins, de son accointance avec les loups, de sa voix dont l’accent différait de celui de la région, de son regard capable d’éteindre les miroirs et de sa main mutilée. » (p. 94)

Et tous les autres personnages sont aussi bien construits. La question de l’identité est au cœur de tout le roman. Il y a impossibilité pour tous d’être unique. Il n’y a que double et dédoublement, soit par la gémellité, soit par un double prénom, soit par un surnom qui parachève la personne, qui valide l’existence.

Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans la progéniture de Victor-Flandrin. J’y ai vu une famille fantastique, aux ramifications infinies, un peu comme l’immense tribu des personnages de Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. À la fois bien réels et totalement chimériques, les êtres traversent le texte et lui confèrent une valeur merveilleuse, aux limites du fantastique. Il y a celui qui parle aux loups, celui qui porte en lui son frère, celles qui sentent et vivent les malheurs de demain, celui qui chante mieux que les oiseaux, etc.

Le texte, à la fois récit familial, récit initiatique pour chaque personnage, apologue, conte philosophique, légende, se décompose en strates qui ne peuvent aller les unes sans les autres. C’est très bien écrit, puissant et entraînant. C’est la meilleure lecture de mon mois d’octobre.

Pour m’y retrouver et pour ceux qui seraient tentés par le livre, voici un petit récapitulatif de la famille Pléniel. C’est basique, mes compétences en description généalogique n’étant pas bien étendues.

Génération 1 
Génération 2 
Génération 3 
Génération 4 
Vitalie + Le Père
Théodore-Flandrin
Théodore-Flandrin + Noémie
Honoré-Firmin & Herminie-Victoire
Théodore-Flandrin + Herminie-Victoire
Victor-Flandrin (Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup)
Mariages et descendance de Victor-Flandrin Pléniel
Victor-Flandrin + Mélanie Valcourt
Augustin & Mathurin (Deux-Frères), Mathilde & Margot (La Maumariée)
Deux-Frères + Hortense = Benoît-Quentin
Victor-Flandrin + Blanche Davranches
Rose-Héloïse (Sœur Rose de Saint-Pierre) & Violette-Honorine (Sœur Violette du Saint-Suaire)
Victor-Flandrin + une femme anonyme
Raphaël, Gabriel et Michaël
Victor-Flandrin + Elminthe-Présentation-du-Seigneur (Sang-Bleu)
Baptiste (Fou d’Elle) & Thadée
Baptiste + Pauline = Jean-Baptiste (Petit-Tambour) & Charles-Victor (Nuit d’Ambre)
Thadée = Tsipele et Chlomo
Victor-Flandrin + Ruth
Sylvestre & Samuel, Yvonne et Suzanne
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Fragments d’un discours amoureux

Texte de Roland Barthes.

« La nécessité de ce livre tient dans la considération suivante: que le discours amoureux est aujourd’hui d’une extrême solitude. Ce discours est peut-être parlé par des milliers de sujets […], mais il n’est soutenu par personne. » (p. 5)

Pourquoi faire un résumé imparfait quand l’introduction est si claire ? Le texte présente les états du l’état amoureux au travers du langage qui les sanctionnent. Il y a des jolies réflexions. « Le langage est une peau: je frotte mon langage contre l’autre. Comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. » (p. 87)

J’ai été un peu irritée par la similitude systématiquement pointée entre la figure de l’aimé absent et la réminiscence de l’abandon par la Mère. Freud n’est pas ma tasse de thé.

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai picoré dans un livre, je n’ai pris que ce que je voulais. Ça fait du bien de changer de pratique.

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Princesses de science

Roman de Colette Yver. Prix Fémina en 1907.

Le docteur Fernand Guéméné est amoureux de Thérèse Herlinge, la fille du prestigieux docteur Herlinge. Elle est interne dans le service de son père. Quand Fernand demande la main de Thérèse, il attend d’elle qu’elle renonce à la médecine pour se consacrer au foyer, ce qu’elle refuse. Pour vivre avec la femme qu’il aime, Fernand comprend qu’il doit céder.

Féministe et catholique, tout comme son auteur, ce livre est passablement démodé sur le fond. On ne demande plus à une femme de choisir entre sa carrière et sa famille aujourd’hui. Sur la forme, peu de choses à dire. Ce n’est pas mal écrit, ça se lit sans déplaisir, mais tout ça manque de sentiments.

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Rouge

Roman de Marie Delvigne.

Le narrateur, un homme, évoque la maladie de la femme qu’il aime, et combien cette maladie déshonorante pour elle est objet de jouissance pour lui.

Estomacs sensibles s’abstenir… C’est toujours dérangeant de lire la confession d’un déviant sexuel. Je me demande ce que ça apporte au lecteur. Je reconnais au texte une puissance rythmique parfaite: en 70 pages, impossible de reprendre haleine. L’obsession du narrateur pour le rouge est palpable, on a l’impression que la couleur suinte à chaque page. Mais le sujet n’est définitivement pas de ceux que j’affectionne. Et je me demande où j’ai pu trouver ce livre pour avoir envie de le lire…

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La place

Biographie d’Annie Ernaux.

L’auteure fait le récit de l’existence de son père, depuis ses premières années de garçon de ferme jusqu’à la réussite du petit commerçant. Elle raconte aussi les brisures constantes entre cet homme du passé et elle, jeune femme happée par la modernité.

Moins catastrophique Les années, ce livre ne se laisse toutefois pas lire avec plaisir. L’auteure parle de son père, un être pour lequel chacun ne peut qu’éprouver des sentiments extrêmes, quelle qu’en soit la nature, avec une insupportable platitude assumée. « Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant » ou « d’émouvant »? Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée. Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles. » (p. 24) Cela ne me convainc pas. J’ai l’impression de lire le résumé objectif de toute une catégorie sociale. À croire que le père d’Annie Ernaux n’est qu’un prétexte pour raconter de façon grossière toute la destinée d’une génération.

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Les amants du Tage

Roman de Joseph Kessel.

Antoine a tué sa femme après l’avoir trouvée dans les bras d’un autre. Il est acquitté. Kathleen a poussé son époux du haut d’une falaise. Elle fuit, se croyant hors de tout soupçon. C’est à Lisbonne, au son d’un fado, qu’ils se rencontrent. Entre eux, l’amour n’est que doute et questionnement. Un enquêteur de Scotland Yard se sert de leurs crimes respectifs pour les amener à se détruire l’un l’autre.

Bof. La jalousie hystérique et vociférante n’est pas de mon goût. J’ai eu la constante impression que l’auteur n’était pas capable de finir ses phrases, a fortiori ses chapitres. On passe d’un moment à un autre par des hiatus pleins d’une brusquerie qui frôle avec la grossièreté. J’apprécie la concision, pas l’avarice de mots. Lu très vite, à oublier très vite. On ne peut pas écrire Le lion tous les jours.

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