The Wolf in Love and the Hungry Rabbit

Manga de Kanda Neko.

Quatrième de couverture – Shirou est un jeune homme qui ne désire qu’une chose : réussir à caresser un lapin. Malheureusement, son visage sombre et inamical les fait tous fuir. Un jour, il rencontre l’animal de ses rêves dans un parc, mais ce dernier est vite récupéré par son propriétaire, qui s’avère travailler dans un bar à lapins. Persuadé que cette rencontre est un signe du destin, Shirou va chercher à revoir le jeune homme…

J’ai lu ce texte parce que LAPIN en couverture et en titre. La bestiole est évidemment une merveille de choupitude : « Le corps si rebondi… Les prunelles si rondes… Les oreilles tombantes… et petit nez qui frémit !! Il est tout doux. » Bref, je me suis régalé les yeux avec le lapin. La romance entre les deux jeunes hommes est mignonne, avec une certaine délicatesse et une vraie attention au consentement et à la communication.

SAUF QUE… c’était la première histoire ! La deuxième histoire de cet ouvrage décrit une relation très toxique, avec une négation totale du consentement et une perversité qui m’ont franchement mise en colère. Pour avoir vécu une relation amoureuse d’emprise et de violence psychologique, je ne comprends pas qu’on fasse de ce sujet une œuvre de fiction.

Je ne connaissais pas le genre du yaoi, aussi appelé boy’s love, à savoir des fictions présentant des relations sentimentales et sexuelles entre personnages masculins. Je me moque bien de savoir à quel genre appartiennent les protagonistes des histoires que je lis : toutes les sexualités sont belles et légitimes, du moment qu’elles respectent le consentement. Ma première incursion, par hasard, dans le yaoi sera probablement la dernière. Tomber sans avertissement sur des relations toxiques, non merci ! Bref, Lili, arrête de courir après tous les lapins que tu croises !!!

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À la poursuite du Croquemitaine

Texte de Richard Chizmar.

Natasha Gallagher. Kacey Robinson. Madeline Wilcox. Cassidy Burch. Quatre noms et autant de victimes du Croquemitaine, ce tueur qui a sévi à Edgewood, petite ville américaine, en 1988. « Quatre innocentes jeunes filles assassinées. Quatre familles déchirées. Une ville prise en otage par un malade mental sans visage, un monstre bien plus effrayant et maléfique que tous ceux dont mon imagination peuplait mes histoires. » (p. 14) Peu après le premier meurtre, Richard Chizmar retourne chez ses parents, à Edgewood, pour préparer son mariage avec Kara. Il passe ses journées à écrire, bien décidé à devenir un écrivain d’horreur aussi célèbre que Stephen King. Mais ce retour dans sa ville natale est étrange. « Je n’arrivais pas à accepter comme réel le fait qu’une fille que je connaissais – même un peu – avait été tuée en haut de la rue où j’avais grandi. Cela ressemblait à un cauchemar. » (p. 52) Pendant des mois, avec son amie journaliste Carl Albright, il cherche à percer l’identité du tueur, d’autant plus que ce dernier semble le suivre. Le Croquemitaine pourrait-il être quelqu’un d’Edgewood ? Un voisin ? « Qu’étais-je en train de faire, de toute façon ? Malgré mon diplôme tout neuf, je n’étais pas journaliste. Je ne travaillais pour aucune publication. Je n’avais pas de contrat pour écrire un livre. […] J’étais simplement curieux. » (p. 74)

Moi qui ne suis pas friande des récits de type true crime, je me suis laissé happer par celui-là parce qu’il se lit comme un roman. Le sujet est atroce, mais traité sans voyeurisme. Il est fascinant de lire l’entretien final de l’auteur avec le coupable, arrêté plus de 30 ans après les crimes. Pas étonnant que Richard Chizmar et Stephen King soient amis et respectent mutuellement le travail de l’autre : ils partagent le même talent pour dépeindre l’Amérique banale, soudain frappée par l’horreur. De ces deux auteurs, je vous conseille Gwendy et la boîte à boutons. Et de Richard Chizmar dont je prends un grand plaisir à découvrir l’œuvre, je vous invite à lire la suite de ce roman à quatre mains, ici écrit en solo, La plume magique de Gwendy.

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Attraper le lapin

Roman de Lana Bastasic.

Quatrième de couvertureAprès douze ans sans nouvelles, Sara, une Bosnienne installée à Dublin, reçoit un appel de son amie d’enfance, Lejla. Cette dernière lui demande de venir la chercher au pays pour la conduire à Vienne, où se trouverait son frère disparu pendant la guerre, deux décennies plus tôt. Malgré la distance et les années de silence hostile, Sara accepte de l’aider. Ensemble, elles se lancent dans un road-trip au cœur des ténèbres de l’Europe et plongent dans le “terrier” de leur passé commun.

Ce livre m’a été prêté par une amie qui s’est dit que le titre avait de quoi me plaire. Bien vu… mais manqué pour cette fois ! Non seulement je n’ai pas attrapé le lapin, mais surtout je l’ai laissé poursuivre son chemin seul après moins de 100 pages. Lejla m’a été immédiatement antipathique, sans doute parce qu’elle m’a rappelé une ancienne fréquentation qui agissait comme elle : par impulsion, attendant que tout le monde réponde présent pour elle à tout moment, refusant les refus, et surtout incapable de voir que les autres ont aussi des besoins et des limites.

J’ai glané quelques phrases, mais qui n’ont pas suffi à me convaincre de poursuivre ma lecture.

« J’ai échangé la Bosnie contre de l’argent, pour ne pas être obligée d’y retourner. »

« Dans notre amitié, le droit de ne pas répondre avait toujours été plus important que celui de poser des questions. »

« Je ne me rappelle pas parce que personne ne m’a dit de mémoriser tout ça. Chaque fois, je perds un petit bout de cette image. »

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L’échelle de Jacob

Roman de Ludmila Oulitskaïa.

Quatrième de couverture – Dans la malle laissée par sa grand-mère Maroussia avant sa mort, Nora découvre des lettres que celle-ci avait échangées avec son grand-père, Jacob. Féministe avant la révolution, danseuse artistique et communiste ardente, la belle Maroussia a ses propres convictions intellectuelles. Mais le poids de l’histoire soviétique va peser sur leurs rêves et sur leurs ambitions. Et quand Jacob est relégué en Sibérie sous l’accusation de sabotage, même son fils, le père de Nora, lui tourne le dos. Le destin du grand amour de ses grands-parents ne reflète cependant que le début des événements qui marqueront la vie de Nora. Scénographe passionnée et assoiffée de liberté, elle choisit elle-même ses amants et ses projets, élève son fils seule et découvre peu à peu la puissance de ces liens avec ses proches. Sur les traces de la correspondance de ses propres grands-parents, Ludmila Oulitskaïa conte avec autant de tendresse que d’ironie mélancolique les hauts et les bas, la grande et la petite histoire de quatre générations d’une famille, tout en décrivant délibérément ce grand XXe siècle russe comme celui des femmes.

Pour une fois, je présente la quatrième de couverture parce qu’elle est très bien rédigée. Au fil des quelque 600 pages de ce roman, nombreuses sont les existences qui se croisent, dans un arrangement où la chronologie n’a pas sa place. Jacob, musicien et lecteur insatiable ; Maroussia, artiste indépendante et flamboyante ; Nora, scénographe sensuelle et audacieuse ; Yourik, musicien curieux ; Heinrich, fils si désireux de protéger sa mère : tous constituent une famille qui, de génération en génération, connaît les visages successifs de la Russie.

Je retiens de ce grand roman que les femmes peuvent certes être des mères et des épouses, mais toujours en restant les personnages de leur propre existence, les actrices de leur histoire. « Le destin avait voulu que toute sa jeunesse, elle soit l’épouse d’un seul homme, mais intellectuellement, elle était une femme libérée, une femme moderne, émancipée. » (p. 507) L’échelle de Jacob est un texte profondément féminin et féministe. En écrivant l’histoire de sa famille, l’autrice s’inscrit dans une continuité artistique et affranchie qu’aucun régime politique n’a sur réduire au silence.

Je vous laisse avec quelques belles phrases de ce somptueux roman.

« Elle mettait tout le monde sens dessus dessous. Elle était si talentueuse, si rayonnante, et elle n’en faisait qu’à sa tête. » (p. 22 & 23)

« Ces papiers dormant dans l’obscurité attendirent leur heure pendant de longues années, jusqu’à ce que tous ceux qui auraient pu répondre aux questions suscitées la lecture de ces vieilles lettres soient morts et enterrés. » (p. 31)

« Les lettres de Maroussia me font peut-être encore plus d’effet que sa présence. » (p. 187)

« Un mariage ne repose pas sur des timbres-poste. Viens me voir ! » (p. 489)

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La collection de trésors

Album de Deborah Marcero.

Llewellyn remplit des bocaux avec les jolies choses du quotidien. « Il collectionnait des petits objets ordinaires. » Son petit cabinet de curiosités prend une nouvelle dimension quand le lapin rencontre Evelyn. Les deux ami·es emplissent alors des bocaux avec les jolies choses impalpables : un arc-en-ciel, le coucher de soleil en été, le vent d’hiver, etc. Hélas, les lapin·es sont séparé·es. « Le départ d’Evelyn laissa comme un bocal vide dans le cœur de Llewellyn. » Plutôt que de laisser les bocaux de souvenirs se couvrir de poussière, les deux lapins trouvent une autre façon de partager leur amour des trésors inaccessibles.

Les illustrations simples et charmantes portent à merveille cette histoire. Il y a toujours de la place pour un peu de beauté dans les cœurs et dans le quotidien, et on peut toujours la partager.

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Les femmes n’ont pas d’histoire

Roman d’Amy Jo Burns.

Dans les montagnes de la Virginie-Occidentale, les hommes distillent encore leur whisky, poison presque moins nocif que les eaux polluées par les mines de charbon, et les femmes passent de leur père à leur mari. « J’ai pas tellement d’occasions de boire, mais j’ai un tas de raisons de le faire. » (p. 134) Wren, la fille du prédicateur et manipulateur de serpents, veut échapper à cette vie, lire des livres et voir au-delà de sa maison cachée dans les bois. Quand son père réalise un miracle en sauvant une femme du feu, tout se précipite et plus rien ne sera comme avant. « Son accident avait ouvert en grand mon monde désert. Il m’avait rendue téméraire. Vivante. » (p. 52) Le récit explore alors l’amitié indéfectible de Ruby et Ivy, résolue à ne pas subir le destin de leurs mères dans cette région perdue. « Les hommes de la montagne tenaient la barre de leur propre histoire, et les femmes leur tenaient lieu de rames. » (p. 12) Des secrets lovés dans le passé se déploient soudainement et les crocs de la vengeance ont des conséquences terribles sur les vivants.

Entre Betty et My Absolute Darling, ce roman dresse le portrait d’une jeune femme qui combat son destin en l’embrassant pleinement. « Nous, les femmes, on est pas aussi libres que vous de faire ce qui nous chante. Pour vous autres, ça va tellement de soi que ça m’écœure. » (p. 12) La relation profonde entre Ruby et Ivy est l’illustration même de la sororité : chacune sait les frayeurs de l’autre, ses fautes et ses failles, mais reste loyale en dépit de tout. « Dans un monde d’hommes méchants, nous nous sommes battues pour être bonnes l’une envers l’autre. » (p. 154) L’histoire est racontée par Wren, adolescente à un point de bascule. Son propos est sincère, sans concession et généreux : tous les protagonistes seront cités, même les moins glorieux, même les plus honteux. En se délestant de son récit, Wren se donne la chance de poursuivre sa vie. « La vérité s’aigrit si elle s’attarde trop longtemps dans nos bouches. Les histoires, comme les bouteilles de moonshine, sont faites pour être distribuées. » (p. 10)

Je tiens sans doute là mon premier coup de cœur de l’année. La plume est forte et très évocatrice. « Par-delà ces collines, les miens sont connus pour le mordant de leur gnôle et la pauvreté de leur cœur. » (p. 8) Et, surtout, les personnages féminins sont puissants, inoubliables.

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Galopinot

Bande dessinée de Lewis Trondheim et Mattt Konture.

Les deux auteurs convoquent leurs personnages fétiches et les lâchent sur la page vierge. « On compte sur vous pour une super aventure… c’est parti. » En improvisation totale, en roue libre absolue, Lapinot et Galopu sont d’abord un peu paumés, mais très vite, tout semble hors de contrôle : le premier voudrait simplement dormir et le second est prêt à faire les 400 coups. « Retournons en ville… j’ai deux mots à dire aux auteurs… » Mais Trondheim et Konture sont bien décidés à laisser leurs créations se débrouiller toutes seules, d’autant plus qu’ils ne sont pas d’accord sur la direction que devrait prendre l’histoire. Ce n’est pas simple d’écrire quelque chose d’original quand tout semble déjà dit. Et pendant ce temps, Lapinot et Galopu sont bien malmenés et bien trop conscients de leur nature de personnages . « Pour qu’on puisse jouer le jeu, déjà, faudrait qu’on ne sache pas qu’on vit dans une fiction ! »

Avec ces quelques pages foutraques et tout à fait délicieuses, Lewis Trondheim et Mattt Konture explorent la liberté des personnages et ils posent une grande question de littérature : qu’advient-il des êtres de papier quand le livre n’est pas ouvert ou qu’il est refermé ?

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Le cycle de Dina

Herbjorg Wassmo a écrit une saga formidable autour du personnage de Dina Gronelv. Des années 1830 au seuil du vingtième siècle, elle déploie une histoire de famille, de morts, de meurtres et d’amour aux abords du cercle polaire, dans les terres glaciales de la Norvège.

J’ai relu avec grand plaisir la première trilogie avant de découvrir toute cette histoire. Cliquez sur les couvertures pour accéder à mes chroniques.

Avec ces 7 livres, je signe une nouvelle participation au challenge des 1000 de Daniel Fattore !

173 + 190 + 255 + 251 + 317 + 215 + 181 +  282 + 620 = 2 484 pages !

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Le testament de Dina

Roman d’Herborg Wassmo.

Suite et fin du cycle entamé avec Le livre de Dina, Fils de la providence et L’héritage de Karna.

Dina a péri dans l’incendie qui a ravagé la grande maison de Reinsnes. À ses funérailles et à sa demande, sa petite fille Karna a révélé ses crimes. Depuis, la jeune fille s’est murée dans le silence et ses crises d’épilepsie et de rage ne cessent de gagner en intensité. « Elle se voit comme le témoin de ce qui ne peut être dit. » (p.292) Pour tenter de soigner l’enfant, mais aussi pour se libérer d’un mariage où l’amour a trop souffert, Anna part avec Karna à Copenhague. Dans la capitale danoise, l’adolescente est enfermée dans un asile où personne ne sait comment la soigner. « Parfois, elle n’était pas sûre que cet endroit d’où elle venait existât réellement. Peut-être était-ce juste un rêve qu’elle avait fait et qui, depuis, la poursuivait. En réalité, ses pensées étaient sa vraie maison. Et elles, elle les emportait partout où elle allait. » (p. 87) Confrontée à la laideur de l’âme humaine et à la mesquinerie du monde adulte, Karna ne veut plus grandir. Toujours visitée par les fantômes du passé et de Reinsnes, elle finit cependant par s’ouvrir au chef de clinique, Joakim Klim. De son côté, Peder Olaisen continue de l’aimer passionnément. Ses études achevées, il reprend les chantiers de la famille Gronelv et il poursuit deux objectifs : que son frère paye enfin pour les souffrances qu’il fait endurer à ses femmes et retrouver Karna pour toujours. « Elle lui était aussi indispensable. Tout en elle l’était. Absolument. » (p. 107)

Benjamin, privé en peu de temps de sa mère, de sa fille et de son épouse, est désemparé. Il lui faut repenser son existence et ses décisions. « Il se rendit compte qu’il s’était bien trop rarement vu obligé de faire un choix. Il avait préféré se laisser porter par les impératifs et le désir. » (p.157) Toujours fou d’amour pour Anna, il comprend que pour l’aimer vraiment, il devra peut-être la laisser vivre sa vie sans lui. « Je pleure les mortes. Mais surtout je pleure les vivantes. Anna et Karna. Je m’aperçois que je les ai peut-être toutes les deux perdues. » (p. 183)

Dans l’épilogue de cette superbe saga, les derniers protagonistes quittent la scène, jamais en silence, mais toujours un fracas indicible. Rien ne semble pouvoir tenir depuis la mort de Dina. « Reinsnes était devenu un lieu auquel il manquait son ombre. » (p. 252) Les derniers vivants doivent réapprendre à vivre dans un monde sans elle, mais aussi dans un monde où tout le monde connaît ses meurtres. Chaque pas, chaque décision, chaque renoncement est lourd, et l’espoir lui-même invite à la prudence. Le final m’a plongée dans un chagrin immense : une fois encore, l’innocence a payé le prix fort. Il est certain qu’après cette saga palpitante, je vais poursuivre ma découverte de l’oeuvre d’Herjorg Wassmo : cette autrice a une façon de raconter qui m’emporte !

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L’héritage de Karna – Trilogie

Romans d’Herbjorg Wassmo.

ATTENTION – Je résume les trois tomes en même temps, vous risquez d’en apprendre plus que vous le souhaitez…

Suite du Livre de Dina et Fils de la Providence.

Tome 1 – Mon péché n’appartient qu’à moi

Benjamin a quitté Copenhague pour se réinstaller à Reinsnes. Il rentre avec la petite Karna, fille qu’il a eue avec Karna, morte en couches. Dans le pays de son enfance, il retrouve Hanna, désormais veuve, et Anders qui est presque aveugle. Dans les eaux, le hareng se raréfie et Reinsnes prend du retard sur la modernité. Avec sa petite fille qui grandit et qui multiplie les crises d’épilepsie, le jeune médecin est désemparé, d’autant plus qu’on lui interdit d’exercer son art puisque son diplôme danois ne plaît pas aux autorités norvégiennes. « Pourquoi faut-il rester à Reinsnes à regarder tout se détériorer et s’écrouler, et la vie nous passer entre les doigts pendant qu’on s’échine pour rien ? » (p. 181) Benjamin n’arrive pas à faire face seul, sans épouse et toujours sans nouvelles de Dina, sa mère partie en Allemagne.

Je retrouve toujours avec plaisir les personnages de cette saga norvégienne, et c’est Reinsnes que je préfère comme théâtre de l’action. Benjamin me reste toujours franchement antipathique, incapable qu’il est de choisir entre Anna et Hanna, laissant finalement le destin choisir à sa place. J’ai en revanche beaucoup de tendresse pour cette petite Karna sans mère, trop intelligente pour son jeune âge.

Tome 2 – Le pire des silences

Après 18 ans d’absence, Dina rentre chez elle. Il ne sera pas dit qu’elle laissera passer la chance de s’enrichir grâce à l’industrialisation. Désormais, ce n’est plus Reinsnes qui domine la région, mais Strandstedet, ville côtière où les bateaux peuvent accoster. Avec l’ambitieux Wilfred Olaisen, Dina lance des chantiers ambitieux et entend bien rester maîtresse de son destin, tout en essayant de faire amende honorable auprès de ceux qu’elle a abandonnés et profondément blessés. De son côté, la jeune Karna rencontre avec fascination cette aïeule qu’elle a tant imaginée. « Dire qu’une grand-mère pouvait arriver avec le vapeur pour transformer tout le monde ! » (p. 27) Rendue superstitieuse à cause de ses crises de haut mal, la jeune fille ne quitte pas la Bible noire qui se transmet depuis des générations dans la famille. Elle observe le monde des adultes avec circonspection, ne manquant jamais de percer des secrets qui pèsent ensuite bien lourd sur ses petites épaules. Elle apprend aussi le deuil et la séparation, notamment quand Stine et Tomas partent s’installer en Amérique. « Alors c’était comme ça ? Ils tombaient ? Tous ceux auxquels on tenait ? » (p. 79)

Quelle joie de retrouver enfin l’impétueuse et fascinante Dina ! Herbjorg Wassmo a créé un personnage qui m’enchante et dont j’apprécie de suivre toutes les péripéties. Savoir que je touche au bout de son histoire me peine un peu, mais Karna est un nouveau protagoniste féminin très attachant.

Tome 3 – Les femmes si belles

Reinsnes est désert : tout le monde s’est installé dans l’effervescence de Strandstedet, à proximité des chantiers et du Grand Hôtel fraîchement rénové. S’en est fini des pêches de plusieurs mois et des grands chaluts. Dina mène ses affaires de main de maître, faisant fructifier sa fortune et ne laissant personne la flouer. Cela étonne, mais Dina a toujours été excentrique, et sa réussite et son indiscutable autorité effacent toutes les critiques. « Il y avait quelque chose d’effrayant chez une femme qui avait tout quitté et avait pour ainsi dire disparu dans le monde. Pour tout à coup réapparaître comme si de rien n’était, s’achetant un hôtel et la moitié d’un chantier naval. » (p. 23) Benjamin et Anna peinent à faire vivre leur couple, et les insinuations jalouses d’Olaisen, nouvel époux d’Hanna, premier amour de Benjamin, enveniment la situation. Karna souffre des bassesses des adultes qu’elle ne cesse de découvrir à mesure qu’elle grandit et elle se raidit dans une rigueur morale terrible. Finalement, la violente nature de Wilfred Olaisen met le feu aux poudres et tout s’embrase.

Quel final terrible et grandiose ! Herbjorg Wassmo clôt sa trilogie et l’histoire de Dina avec fracas pour s’assurer qu’on n’oubliera jamais son personnage. « Si elle n’avait pas été une femme, on aurait été tenté de dire qu’elle était un brave type. » (p. 185) Pour moi, elle est impossible à oublier : je suis déjà revenue vers Dina avec cette relecture et il me reste à découvrir Le testament de Dina, où Karna est au centre de l’intrigue. Je sais déjà qu’il me sera difficile de dire adieu à Reinsnes.

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Fils de la providence

Romans d’Herbjorg Wassmo.

ATTENTION – Je résume les deux tomes en même temps, vous risquez d’en apprendre plus que vous le souhaitez…

Tome 1

L’histoire de Benjamin commence exactement là où l’on avait laissé Dina dans Mon bien-aimé est à moi. L’enfant est désormais lié à sa mère par le drame dans lequel a péri le Russe Léo. Benjamin grandit, toujours fasciné par Dina et avide de la garder pour lui seul. « À mon avis, c’était quelqu’un qui abandonnait tout ce que l’on ne pouvait pas rendre immortel. » (p. 20) Lui aussi entend la voix des morts qui peuplent Reinsnes, mais contrairement à sa mère, cela ne suscite chez lui que des terreurs incontrôlables. Le garçon est envoyé à Tromso pour ses études : loin de Reinsnes, il commence à percevoir qu’il peut devenir quelqu’un, même sans sa mère.

Dans cette duologie, c’est la voix de Benjamin que l’on entend, et non celle de Dina. Dans le prologue, l’enfant devenu adulte part à Berlin chercher le violoncelle de Dina, toujours introuvable. C’est là que l’on comprend qu’elle a fini par quitter Reisnes. Et, entre les lignes, Benjamin laisse entendre qu’à son tour, il a tué quelqu’un par amour. Entre prétéritions, demi-vérités et doubles sens, Herbjorg Wassmo sait construire un récit haletant qui fascine pour longtemps.

Tome 2

Après des années à étouffer dans son petit village du cercle polaire, Dina a enfin mis à exécution son projet : quitter Reinsnes avec son violoncelle pour apprendre à vraiment jouer de cet instrument avec lequel elle fait corps. Benjamin a grandi sans cesser d’espérer le retour de sa mère, mais incertain de l’accueil qu’il lui ferait si elle rentrait enfin. À Copenhague, il suit des études de médecine et se lie d’amitié avec Aksel, fils d’un pasteur danois. Quand Bismarck attaque le Danemark, Benjamin s’engage dans les unités de soins et son enfance est désormais loin.  « Reinsnes était comme un endroit décrit dans un livre. » (p. 40) Sur les champs de bataille, il rencontre Karna, beauté blonde dont il causera la perte. Dans les choses de l’amour, Benjamin est comme Dina : brûlant et insatiable. « Si seulement j’avais pu la prendre dans mes bras ! On ne devrait pas avoir besoin de parler de tout. » (p. 69) Il a de nombreuses amantes, dont Karna, mais s’éprend aussi d’Anna, la brillante fiancée d’Aksel. Mais toujours torturé par l’absence de sa mère, même après son diplôme de médecine, Benjamin reste finalement un enfant triste et perdu. « Elle n’écrivait pas ! Pourquoi, nom d’un chien, n’écrivait-elle pas ? Qu’est-ce que je lui avais fait ? Mis à part ce qui avait été involontaire : avoir été témoin de son acte ? » (p. 134) Le jeune Norvégien est déterminé à s’accuser du drame qui a emporté le Russe si cela peut lui ramener Dina.

Ce deuxième tome m’a moins plu que le premier. Dans l’égoïsme, contrairement à sa mère, Benjamin est agaçant (mais peut-être sont-ce ma sororité et mon féminisme qui parlent…). L’absence de Dina est écrite de telle sorte que la maîtresse de Reinsnes est omniprésente et comble tous les creux. Il me tarde de revenir dans les latitudes polaires avec la petite Karna, dans la trilogie intitulée L’héritage de Karna.

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Le livre de Dina – Trilogie

Romans d’Herbjorg Wassmo.

ATTENTION – Je résume les trois tomes en même temps, vous risquez d’en apprendre plus que vous le souhaitez…

C’est dans les années 1830, à Reinsnes, ville du cercle polaire norvégien, que vit Dina. Sans le vouloir, quand elle n’avait que cinq ans, elle a tué sa mère. Depuis, enfermée dans le silence, elle porte en elle ce fantôme. Elle grandit presque comme une enfant sauvage, dure et têtue envers tout ceux qui voudraient l’approcher. « Aucune limite n’existait pour Dina. […] Elle ne craignait le jugement de personne. […] En un éclair, elle saisissait une situation et agissait en conséquence ! Et […] elle avait un talent inné pour retourner sur les autres ce qui la frappait elle-même. » Quand elle épouse Jacob Gronelv, tout le monde pense que Dina va enfin s’assagir et devenir plus fréquentable. Mais Dina n’en fait jamais qu’à sa tête. « Il était inconvenant qu’une si jeune femme ne fasse pas ce que l’on attendait d’elle. » Quand elle devient veuve, meurtrière, mère et de nouveau muette, tout ça en presque une seule nuit, il est désormais évident que Dina restera indomptable et indépendante. Avec son cortège de fantômes et son violoncelle dont la musique fait presque trembler les murs de Reisnes, elle est maîtresse de son destin et ne se cache pas d’aimer qui elle veut. Son aura immense fait oublier ses excentricités. « Ce qu’on avait à faire, on le faisait. Sans demander de conseil à personne, tant qu’on pouvait se débrouiller seule. » Partout, on s’étonne que Dina Gronelv vive avec le fils de son mari décédé et ses enfants adoptifs. On ne comprend pas qu’elle ait embauché une Lapone comme nourrice pour son fils. Pourtant, on respecte son sens des affaires, son intelligence des chiffres et sa rigueur. Dina n’est pas une mère conventionnelle pour Benjamin, petit garçon qui grandit dans la soif constante d’un geste de tendresse. L’arrivée de Léo Zjukovskij, beau Russe aux activités obscures, contrebandier autant que poète, ébranle la puissante Dina : peut-elle accepter de laisser son cœur la guider ?

J’ai relu cette trilogie pour découvrir ses suites (Fils de la providence et  L’héritage de Karna) et je n’ai pas boudé mon plaisir. J’avais le souvenir d’une héroïne aussi attachante que terrifiante et c’est bien elle que j’ai retrouvée. Dina est un personnage remarquablement construit. Pour parler rapidement, je pourrais dire qu’elle est une femme forte, mais elle est plus complexe que cela. Son sens aigu de la justice n’appartient qu’à elle, mais ses règles font loi dans son univers. « C’était toujours comme ça avec Dina. Elle fonçait comme un requin et frappait par tous les moyens là où l’on s’y attendait le moins. » Dina est capable de l’érotisme le plus sauvage et le plus bouleversant : c’est la preuve de sa sensualité affirmée et sans honte, mais aussi sa façon de lutter contre sa terreur d’être abandonnée. Dina, ceux qu’elle aime, elle les veut auprès d’elle pour toujours.

Je me lance sans attendre dans la duologie consacrée à Benjamin ! Herbjorg Wassmo m’a bien accorchée avec sa plume !

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Tâter le diable

Roman de Rachel Darmon.

Manu, jeune diététicienne installée à Binyamina se découvre un étrange pouvoir après une chute à vélo : elle devine qui a des relations extra-conjugales, et avec qui. Grosso modo, tout le monde va voir ailleurs et rares sont les couples vraiment exclusifs. «
J’ai l’impression d’ouvrir les yeux et de découvrir les coulisses des couples. » (p. 43) Entre la France et Israël, Manu s’interroge sur la force du désir face au poids de la morale. Et quand l’adultère la touche personnellement, elle n’a d’autre choix que de remettre en perspective toute son existence. « À quarante ans, je vais devoir repenser ce que veut dire être femme ? » (p. 59)

Loin d’être moralisateur ou bien pesant, ce roman présente avec finesse et humour les fols errements du cœur… et du reste ! « Vous me dégoûtez tous avec vos minables trahisons et histoires de cul. » (p. 65) Les annexes très diverses en fin d’ouvrage sont hilarantes et je ne saurai trop vous conseiller de ne pas en négliger la lecture !

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Les fins du monde

Bande dessinée de Lewis Trondheim.

Boris a fort à faire pour éviter la destruction de la planète. Prétendument assistant de deux savants rivaux qui souhaitent détruire l’humanité, il s’évertue à faire rater leurs funestes plans. C’est loin d’être un job facile tant les fous de l’éprouvette et de la machine se montrent inventifs et déterminés. « Hahaha ! La fin du monde est pour dans deux minutes ! Et c’est inéluctable ! » (p. 13) Courant d’un laboratoire à un autre, Boris arrive toujours à désamorcer les plans complexes, heureusement pleins de failles, des professeurs foldingues. Mais finalement, la destruction du monde est peut-être très facile à atteindre…

Voilà un lapin aux pinglots de taille raisonnable. On est loin des pattes interminables de Lapinot, et c’est sans doute mieux pour s’enquiller à répétition des volées d’escaliers ! Ce petit album se lit rapidement et avec plaisir. J’y ai retrouvé la folie douce de l’auteur.

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Les Rochefort

Roman de Christian Laborie.

Quatrième de couverture – Nîmes, 1898. Un mystérieux inconnu dépose un nourrisson au couvent des sœurs de la Charité. Sept ans plus tard, celui-ci est adopté par les Rouvière, une famille de paysans qui, avec trois filles, manquait d’un héritier. Ils ont pour voisins les Rochefort, à la tête de plusieurs manufactures de toile Denim. Entre secrets, amours et rivalités, le destin des deux clans ne va cesser de s’entrecroiser.

D’infidélités en trahisons, de secrets de famille en guerre mondiale, de mauvaises affaires en tristes mariages, l’auteur nous plonge dans l’histoire commune de deux familles prospères pendant une trentaine d’années. Tout n’est pas idyllique derrière les hauts murs des belles maisons. « L’entourage des Rochefort était loin de penser qu’il pouvait exister une fêlure dans l’unité familiale, tant l’image qu’ils offraient au monde reflétait celle d’une famille parfaitement soudée. » (p. 37) Les mœurs changeant, les enfants refusent la tyrannie paternelle et le poids des traditions. En quelque 500 pages, Christian Laborie balaie les bouleversements historiques du début de siècle pour planter son décor et faire évoluer ses personnages. Ou, plutôt, il survole ces événements et les prend comme prétexte pour dynamiser son récit. Entre tendance au romanesque trop facile et rebondissements granguignolesques (et souvent très peu surprenants), ce roman peine à se hisser au niveau d’une autre saga familiale au souffle bien plus puissant, Les Thibault de Roger Martin du Gard.

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Entre Neige et Loup

Bande dessinée d’Agnès Domergue et Hélène Canac.

Lila, toute petite fille aux longs cheveux violets, vit sur une île, loin de tout. Elle a peur de la neige et ne sort jamais, protégée par son père et entourée de ses amis Moshi, Mochi et Bambou. Un soir que son père ne revient pas à la maison, Lila se lance à sa recherche dans l’île enneigée. Ce faisant, elle part à la rencontre de ses souvenirs et de son passé, pour ne pas perdre définitivement ses couleurs.

Délicat comme un conte japonais et dynamique comme une histoire d’aujourd’hui, ce joli album est un plaisir à lire. Les images sont d’une beauté éblouissante et le récit, entre poésie et magie, est de ceux que l’on n’oublie pas. J’en retiens surtout deux phrases qui résonnent profondément dans mon histoire. « On ne peut pas toujours tenir ses promesses. / Alors une promesse, c’est le risque du mensonge. » (p. 14)

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La voleuse des toits

Roman de Laure Dargelos.

Quatrième de couverture – Véritables piliers de la société, les règles écarlates ont prohibé toutes formes d’expression : l’art, la littérature et la musique n’existent plus. Chaque jour, la milice multiplie les exécutions pour asseoir l’autorité du régime. Dans ce monde totalitaire, Éléonore Herrenstein, une jeune aristocrate, s’élève contre l’ordre établi. Demoiselle respectable le jour et voleuse la nuit, elle espère rejoindre la rébellion pour renverser le gouvernement. Hélas, la voilà brusquement fiancée à l’un des hommes les plus puissants du royaume. Qui est donc Élias d’Aubrey, cet être impénétrable qui semble viser le pouvoir absolu ? Un étrange secret ne tarde pas à ressurgir du passé, un mystère qui entoure une toile peinte un demi-siècle plus tôt. Éléonore ignore encore que sa quête l’entraînera bien plus loin qu’elle ne l’imagine. Dans un voyage au-delà du possible…

C’est un abandon en page 100… Ce que j’ai lu de ce premier roman autoédité est loin d’être complètement mauvais, mais je n’ai pas pu surmonter les nombreux défauts de débutante de l’autrice. Le texte est alourdi par des maladresses narratives et une tendance à vouloir expliquer tout le symbolisme du récit. C’est dommage parce qu’en tant que lectrice, je me sens infantilisée. Par exemple, l’héroïne se fait nommer Plume dans ses activités illicites.« C’était l’envie de vivre sans contraintes qui lui avait inspiré son surnom. » (p. 5) Je n’ai pas besoin d’une telle phrase pour comprendre le sens du pseudonyme d’Éléonore. De plus, le style est dodelinant et l’autrice se laisse trop facilement aller aux phrases et idées toutes faites. « Il existait une liberté qui jamais ne s’évanouirait. La liberté de rêver… » (p. 7) Enfin, tout est plutôt cousu de fil blanc, avec toutefois des incohérences qui rendent l’intrigue bien difficile à suivre. Bref, pas pour moi, livre suivant !

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Recherché ! Gabin le lapin, voleur de livres

Album d’Emily Mackenzie.

Gabin préfère les livres aux carottes. Pour les dévorer certes, mais avec les yeux, de la première à la dernière page ! Hélas, rapidement, il a fait le tour – et plusieurs fois – des ouvrages qu’il possède. Il lui faut d’autres sources d’approvisionnement. « Un engouement irrésistible qui le conduisait à s’introduire dans les chambres à coucher d’inconnus pour lire leurs livres pendant qu’ils dormaient ! » De la lecture furtive, Gabin passe au larcin… mais le jeune Arthur ne compte pas se laisser faire ! Le garçon rouquin est aussi un grand bibliophile et il veut récupérer ses bouquins !

Ce court album est un petit plaisir simple et drôle pour les fanas de lecture comme moi ! Alors si un lapin se faufile entre les pages, le plaisir est décuplé, d’autant plus que le coquin Gabin cultive la même manie que moi : dresser des listes de livres ! Lui et moi ne pourrions que nous entendre : mais attention, tout livre prêté s’appelle Revient ! Je te surveille, Gabin…

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Mémoires de la forêt – Les souvenirs de Ferdinand Taupe

Roman de Mickaël Brun-Arnaud. Illustrations de Sanoé.

Dans la forêt de Bellécorce, Maître Archibald Renard tient une librairie où chacun·e est libre de déposer le livre qu’iel a écrit en espérant qu’un client l’achètera. « Trouver le bon livre pour le bon animal était une mission importante, surtout lorsqu’il n’en existait qu’un seul exemplaire. » (p. 15) Un jour, c’est Ferdinand Taupe qui se présente dans la librairie, non pas pour déposer un livre, mais pour reprendre le sien, Mémoires d’Outre-Terre. Le vieil animal, frappé de la maladie de l’Oublie-Tout, n’a que quelques photos et son livre pour retrouver la trace de Maude, son grand amour. Mais le livre a été vendu à un inconnu… « Auriez-vous l’infinie bonté de me ramener sur le chemin de mes souvenirs ? » (p. 105) Archibald quitte alors le confort de sa boutique joliment cirée pour parcourir la forêt de Bellécorce, de lieu en lieu, pour aider Ferdinand à remonter le fil de sa mémoire. D’anciennes connaissances en nouveaux ami·es, les deux compères suivent les traces de Maude.

Il faudrait un cœur bien endurci pour ne pas s’émouvoir de ce voyage à rebours du temps. La tendresse patiente du renard pour la vieille taupe est bouleversante et parle à tous : que faire quand un proche se perd à lui-même ? L’auteur a une façon très délicate de parler de la démence sénile, sans misérabilisme, mais sans cacher ses douleurs. Ode vibrante à l’amitié, le roman est aussi une déclaration d’amour aux livres et à ceux qui les aiment, auteur·ices et lecteur·ices. Vous aussi, tournez les feuilles de la forêt de Bellécorce et laissez-vous emporter par la magie d’un autre monde.

En ouvrant ce roman, je m’attendais à une histoire comme Le vent dans les saules de Kenneth Grahame, roman qui a enchanté mon enfance et que j’ai relu avec délice à l’âge adulte. La comparaison était donc, par défaut, à l’avantage de mes souvenirs. Je suis tout à fait ravie d’avoir découvert un texte qui n’a rien à envier au chef-d’œuvre écossais.

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Miss Charity – Tome 2 : Le petit théâtre de la vie

Tome 1 : Miss Charity – L’enfance de l’art

Bande dessinée de Loïc Clément et Anne Montel, d’après le roman de Marie-Aude Murail.

Charity Tiddler a désormais 15 ans. Privée de sa douce et aimable gouvernance, Mademoiselle Blanche Legros, la jeune fille trouve encore et toujours refuge dans le troisième étage de la maison familiale, dans la nursery où elle continue d’abriter sa petite ménagerie. Toujours passionnée par l’étude de la nature et le dessin, accompagnée de son fidèle lapin Peter, elle aimerait échapper aux obligations qui pèsent sur les filles en âge de se marier. « À ce stade-là de ma vie, j’avais une terrible envie d’écrire quelque chose, mais je ne voyais absolument pas quoi. Il ne se passait rien, et pire encore, je n’arrivais pas à exprimer ce que je ressentais. » (p. 65) Lors d’un été en Écosse, elle est frappée par la beauté des paysages et elle sait désormais à quoi consacrer son temps : la peinture !

Après avoir relu L’enfance de l’art, j’ai follement apprécié replonger dans l’adaptation du roman de Marie-Aude Murail, évidemment pour le charmant lapin, mais surtout pour la justesse avec laquelle est présenté le glissement doux-amer de l’enfance vers l’âge adulte. Entre l’inquiétante nurse Tabitha et le maladif cousin Philip, la jeune Charity découvre le malheur et les chagrins qu’un goûter ne peut pas effacer.

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Libres de penser – Dix femmes, dix vies philosophiques

Bande dessinée de Jean-Philippe Thivet, Anne Idoux, Marie Dubois, Jérôme Vermer.

« Dans l’histoire, il y a toujours eu des femmes libres et hardies qui ont fait honneur à l’humanité par leurs actes. » (p. 92)

Connaissez-vous ces dix femmes et leurs travaux ?

  • Cléobuline voyait dans les énigmes une excellente façon d’apprendre et de comprendre le monde.
  • Hypatie d’Alexandre a dédié sa vie à apprendre et à chercher la voie de la sagesse.
  • Sei Shônagon voyait la beauté des petites choses éphémères et a créé une nouvelle façon d’écrire.
  • Hildegarde de Bingen cherchait l’énergie du monde pour en comprendre le fonctionnement.
  • Christine de Pizan cherchait l’ordre en toutes choses.
  • Gabrielle Suchon voulait que les femmes aient accès aux sciences.
  • Louise Michel réclamait la liberté pour toutes et tous.
  • Nathalie Sarraute étudiait les mystères du monde et la complexité de l’être humain.
  • Simone de Beauvoir professait que la femme peut être le sujet de sa propre existence.
  • Etty Hillesum a cherché la paix, même au cœur de la barbarie humaine.

Les courtes biographies replacent la pensée de ces dix femmes dans leurs époques respectives. La présentation est simple, voire sommaire, mais accessible et suffisamment claire pour donner envie d’en savoir plus. Excellente introduction à la vie et à l’œuvre de ces femmes, cette bande dessinée philosophico-documentaire est à mettre entre toutes les mains ! Elle rappelle parfaitement que les femmes ont toujours pensé et cherché à dépasser le rôle que la société, la religion et/ou le patriarcat voulaient leur imposer.

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L’écorce des choses

Bande dessinée de Cécile Bidault.

Nous voici dans le monde silencieux d’une petite fille. L’enfant est sourde et les seules paroles que nous lisons sont celles de sa narration interne, aussi muette qu’elle. Dans la nouvelle maison où ses parents ont emménagé, elle fait du grenier le plus formidable espace de jeux, parfois partagé avec un voisin de son âge qui n’a cure de son handicap. Face aux difficultés de couple de ses parents, la fillette fait de son mieux et c’est le passage des saisons qui lui apporte de nouvelles possibilités de bonheur.

Que cette œuvre est belle ! Les sols fleuris sont des prairies magiques où je voudrais m’étendre longtemps ! Avec délicatesse et poésie, Cécile Bidault met en image la différence et la solitude qu’elle peut créer, mais aussi les façons de les dépasser. Il est évidemment difficile de résumer une histoire presque sans texte, mais je vous assure que vous passerez un très beau moment en tournant les pages de cet album qui mérite encore de nombreuses récompenses !

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La fin des hommes

Roman de Christina Sweeney-Baird.

2025 : en quelques semaines, une épidémie décime 90 % des hommes. Pas des humains : des hommes. Les femmes sont porteuses du virus, mais asymptomatiques, et seuls les hommes meurent. De jour en jour, Catherine, Lisa, Amanda, Elizabeth, Dawn, Irina, Morven, Amaya, Rosamie, Maria et des millions d’autres font la chronique de ce mal qui menace l’humanité. Alors que, dans l’attente d’un vaccin, les survivants se terrent pour ne pas être contaminés, les femmes reprennent en main tous les secteurs qui font fonctionner le monde, des professions où elles étaient minoritaires aux instances de décision où elles étaient largement sous-représentées. « Environ un homme sur dix a survécu. Nous devons les protéger. L’avenir de l’humanité en dépend. Sans oublier les femmes que nous devons également soigner afin qu’elles continuent de faire tourner le pays. » (p. 100)

Avec lucidité, l’autrice a imaginé en 2018 ce que ce serait une planète confrontée à une pandémie. La lanceuse d’alerte n’est pas prise au sérieux, jugée hystérique. Les autorités sanitaires et politiques tardent à réagir, laissant passer la seule chance d’endiguer le mal. Les familles amputées de leurs membres masculins, parfois réduites à une seule femme, sont brisées, inconsolables, et pourtant le bonheur reste possible, car la vie continue. Il est facile de chercher des boucs émissaires, moins de continuer à faire société pour préserver l’humanité. Le rationnement, les restrictions, les réquisitions ou encore la conscription, inimaginables dans un monde sain, deviennent des décisions incontournables. « Personne n’est censé tirer profit de l’Apocalypse. » (p. 250) Et quid des homosexuels et des femmes trans dans un univers qui, soudain, ne pense plus qu’à la reproduction ? Christina Sweeney-Baird a pensé avec finesse les comportements individuels et les défauts qu’il est si difficile de gommer en période de crise. « Certains survivants ont développé un complexe de supériorité. Le simple fait d’appartenir au groupe des ‘élus’ leur donne l’impression d’être des dieux. » (p. 265)

Ce roman m’a rappelé La république des femmes de Gioconda Belli et Le pouvoir de Naomi Alderman. Le premier imagine un pays où les femmes au pouvoir font leur possible pour rétablir l’équilibre entre les sexes, le second dépeint un monde où les hommes souffrent désormais des discriminations que les femmes ont subies pendant des millénaires. La fin de l’homme est plus nuancé, plus crédible et très intelligemment mené. L’autrice se permet tout de même quelques traits d’humour misandre tout à fait savoureux. « À mon avis, Bernard est immunisé parce qu’après l’avoir entendu débiter ses âneries misogynes, le Fléau s’est dit ‘Non merci, je n’en veux pas de celui-là’. S’il vous fallait une preuve que les meilleurs partent toujours en premier, considérez le fait que Bernard est l’un des seuls députés de son parti qui ait survécu. » (p. 232) Avoir lu ce texte après la pandémie de Covid 19 laisse une impression étrange, celle de savoir que la civilisation humaine n’est pas passée si loin de la catastrophe.

Sans aucun doute, je range de roman dans mon étagère de livres féministes !

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La neige en deuil

Roman d’Henri Troyat.

Isaïe Vaudagne est berger. Par le passé, il était un guide de haute montagne renommé, mais trois accidents l’ont fait descendre pour de bon des hauteurs. « Entre lui et le pays d’en haut existait une alliance d’amour et de sécurité. Mais, un jour, le pays d’en haut lui avait retiré sa confiance. » (p. 24) Heureux entre ses bêtes et auprès de son jeune frère, Marcellin, il n’envisage l’existence que comme une douce succession de gestes répétitifs et réconfortants. Aussi, quand Marcellin fait part de son souhait de s’installer en ville, Isaïe sent son monde vaciller. C’est en se rendant avec son frère sur le lieu d’un crash d’avion, quelque part dans les cimes enneigées, que l’homme espère retrouver la sérénité de son existence.

Henri Troyat dresse un duel fratricide et une tragédie terrible dans les montagnes, au moment où l’hiver commence à réclamer son dû aux hommes et à la nature. Les projets du cadet se fracassent sur l’immobilisme de l’aîné, mais le combat le plus retentissant est celui de l’homme qui ose, après en avoir été rejeté, retenter de parcourir les flancs de la montagne. Reste à savoir si celle-ci pardonne à ceux qu’elle a fait tomber.

L’auteur m’émerveille à chaque texte que je découvre. Très jeune adolescente, j’ai été chavirée par Le geste d’Ève, recueil de nouvelles qui flirtent parfois avec le fantastique, et j’ai frissonné d’effroi en lisant L’araigne, titre honoré du prix Goncourt en 1938. Sous la plume d’Henri Troyat, l’humanité est rarement digne d’être sauvée, mais l’auteur l’écrit sans jugement, plutôt avec un fatalisme tendre. Ainsi va le monde, semble-t-il dire, et bien fou serait qui celui ou celle qui voudrait en changer le cours…

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Conte de fées

Roman de Stephen King.

Charlie a 17 ans et déjà une certaine et douloureuse expérience de l’existence. « Les gens au cœur bon brillent d’un éclat plus vif dans les moments sombres. » (p. 434) Après la mort de sa mère, son père est tombé dans l’alcoolisme et le garçon a grandi dans un foyer triste. Ayant obtenu la réalisation d’un souhait formulé dans un moment de désespoir, Charlie s’est promis de rendre ce qui lui a été accordé. C’est ainsi qu’il s’attache au vieux et désagréable M. Bowditch et à sa vieille chienne Radar. D’abord homme à tout à faire auprès du vieillard acariâtre, Charlie devient un ami de la maison et apprend à connaître Adrian Bowditch. L’homme est immensément riche et résolument secret. « L’or n’est pas uniquement fascinant. Il est dangereux. Et celui-ci vient d’un endroit dangereux. » (p. 226) Tout se précipite après un premier drame et, par amour pour le très vieux chien, Charlie s’enfonce dans un monde maudit, prêt à tout pour sauver l’animal.

Je n’en dis pas plus, car il serait dommage de déflorer ce nouveau pavé du King ! Avec ses chapitres très courts et dynamiques, le roman de 1007 pages du roman m’a happée et ne m’a pas lâchée ! D’aucuns pourraient lui reprocher quelques centaines de pages en trop : ce n’est pas mon cas. La longue mise en place est pertinente et fait que l’on s’attache irrémédiablement à Charlie et Radar. On tremble alors d’autant plus quand ils sont en danger. Une fois encore, Stephen King prouve son talent pour le suspense, via des prétéritions suffisamment vagues et inquiétantes pour pousser le lecteur à lire le chapitre suivant. Au 19e siècle, l’auteur du Maine aurait été un feuilletoniste de génie !

Ce qui me touche le plus profondément dans ce roman, c’est la déclaration d’amour que King adresse au meilleur ami de l’homme, le chien. Ce n’est pas la première fois qu’il met en scène ce compagnon à quatre pattes, mais je n’ai jamais ressenti avec autant d’émotion l’affection qu’il lui porte. « L’inconvénient avec les chiens […], c’est qu’ils ont confiance en vous. » (p. 580) La relation entre Charlie et Radar est puissante et a plusieurs fois fait déborder mon cœur d’amie des animaux.

Évidemment, impossible de ne pas souligner le talent de Stephen King quand il s’agit de créer un autre monde. Dans Rose Madder, La Tour Sombre ou encore Histoire de Lisey, il a dressé des univers complets, et il remet ça avec Conte de fées. Comme le titre l’annonce, tout finira peut-être bien, ou peut-être pas, car dans le monde des fées et des merveilles vivent aussi de terribles monstres. Conte de fées est un très bon roman, certes pas le meilleur roman de l’auteur, mais il est efficace et parfaitement mené. Pour moi, King a fait le taf et je me suis régalée !

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Le français va très bien, merci

Essai du collectif Les linguistes atterrées.

Quatrième de couverture – Les discours sur les « fautes » saturent quasiment l’espace éditorial et médiatique contemporain. Mais la différence entre une faute et une évolution, c’est la place qu’elle occupera à long terme dans l’usage. Et l’usage, ça s’étudie avec minutie. C’est le travail des linguistes. Face aux rengaines déclinistes, il devient indispensable de rétablir la rigueur des faits. Non, l’orthographe n’est pas immuable en français. Non, les jeunes, les provinciaux ou les Belges ne « déforment » pas la langue. Oui, le participe passé tend à devenir invariable. Non, le français n’appartient pas à la France. Oui, tout le monde a un accent, voire plusieurs. Dix idées reçues sur la langue, et surtout trente propositions pour en sortir.

Avec ce court ouvrage dont chaque chapitre s’ouvre sur des extraits d’articles ou d’interviews, le collectif des Linguistes atterrées remet les pendules à l’heure. Face à la peur de la faute qui entraîne parfois le refus de prendre la parole, il est temps de revenir à plus de souplesse et de décontraction. Parce que la langue, ça sert avant tout à communiquer. « Nous appelons à nuancer les discours omniprésents qui prennent les grammaires et les dictionnaires pour des tables de la loi immuables, gravées dans le marbre. » (p. 6) La langue française a une histoire, et s’il est intéressant de la connaître, ce n’est pas indispensable pour la pratiquer. Et il serait vain de la réduire à la France. « Quand on l’enseigne comme langue étrangère, on enseigne un français artificiellement épuré. » (p. 13) La francophonie, débarrassée du poids colonial, a beaucoup à apporter à l’une des langues les plus parlées dans le monde.

Ne paniquons face aux emprunts faits à l’anglais : il y a quelques siècles, c’est l’italien qui était le grand péril ! Mais surtout, voyons chaque entrée étrangère comme une belle conséquence de la globalisation. Non au nationalisme à courte vue et bas du front : le français ne disparait pas derrière les mots anglais ou arabes. « Si l’on retient un mot, c’est qu’il nous apporte quelque chose. […] La langue a le sens pratique, elle emprunte pour s’enrichir. » (p. 18) De fait, soyons darwiniens et voyons dans chaque évolution de la langue sa volonté farouche de perdurer.

En matière linguistique, l’élitisme est de mauvais aloi, car loin d’être protecteur, il exclut des locuteurs qui ne maîtrisent pas toutes les règles. On ne peut que rire et s’agacer (dans l’ordre que vous voulez) de la mainmise que l’Académie française pense avoir sur le français. « En définitive, qui a le pouvoir sur la langue ? Toutes celles et ceux qui la parlent. » (p. 26) Le français est un outil, et un outil doit servir, pas s’empoussiérer sur une étagère.

Le collectif met en garde contre le mirage de l’orthographe, cette compétence ultime à maîtriser pour oser prétendre maîtriser la langue. C’est d’une part tout à fait impossible et d’autre part tout à fait inutile. Une nouvelle réforme de l’orthographe est indispensable pour en finir avec les raffinements inutiles. Donc, sus à la dictée et haro sur les règles ineptes où les exceptions font la loi ! Pour bien maîtriser une langue, il est plus utile de comprendre le sens des mots que de chercher les fautes. La réforme rendrait plus accessible le français et lèverait bien des barrières.

Et la numérisation du monde, alors, n’est-ce pas un danger terrible pour notre belle langue ? Stop à la diabolisation de l’ordinateur et des smartphones ! « Le français est très présent sur Internet. Une langue absente de la toile serait une langue morte ! » (p. 40) Vous voyez que tout va bien ! Cessons d’opposer l’écrit et l’oral. Agissons contre la glottophobie et l’insécurité linguistique ! Dédramatisons la langue inclusive et la féminisation des mots ! Si de nouveaux mots apparaissent, c’est que le besoin existe. « C’est d’ailleurs souvent parce qu’un usage devient majoritaire à l’oral que la littérature s’en empare. » (p. 56)

Le collectif des Linguistes atterrées rappelle à juste titre que la linguistique est une vraie science. Si ces professionnel·les ne s’émeuvent pas des « menaces » que la presse et certains milieux réactionnaires montent en épingle, je pense que nous pouvons tous nous détendre. La langue française a encore de longs et beaux jours devant elle. « Face aux puristes qui prétendent éradiquer des façons de parler, rendre mutiques des catégories entières de gens, discréditer quiconque n’ose pas suivre leurs pseudo règles, les linguistes permettent à chacune et à chacun de se réapproprier sa langue. » (p.58 et 59)

Ce n’est un secret pour personne, je suis passionnée par la langue française. C’est parfois agaçant pour mon entourage parce que je vois les fautes et que je les corrige. Je le sais, je me soigne. PROMIS, JE FAIS DES EFFORTS ! J’ai pris un immense plaisir à lire cet essai. Cela m’a rappelé mon amour pour le français, ma volonté de défendre son accès pour tous·tes et le chemin qu’il me reste à parcourir pour être davantage accompagnante quand je remarque des erreurs.

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Apaiser nos tempêtes

Roman de Jean Hegland.

Anna et Cerise tombent enceintes très jeunes. La question se pose pour elles de garder l’enfant. Choisir ou refuser d’être mère : deux chemins possibles dans la vie d’une femme. Les années passent, Anna et Cerise sont confrontées à leurs échecs et leurs terreurs de mère, face à tout ce qui peut blesser l’être qui reste à tout jamais le tout petit. « L’amour, ça protège pas. »  (p. 164) Quand l’indicible survient et que la vie bascule à jamais, continuer à vivre est une option terrible. « C’était une autre défaite, cette possibilité de guérir. » (p. 199)

Je choisis de ne pas trop en dire pour vous laisser découvrir les histoires croisées de Cerise et Anna. Vient un moment, évidemment, où ces femmes se rencontrent, autour des enfants, mais surtout autour de leur détresse. « On est tellement seules, dans notre rôle de mère. » (p. 274) Le roman dépeint la solidarité des femmes entre elles, sans angélisme ni bons sentiments. Il montre aussi une Amérique dangereuse et impitoyable avec les plus fragiles. « Elle pleura parce qu’elle était épuisée, […] parce qu’elle était inquiète et triste, et parce qu’elle ne savait plus tomber amoureuse de la lumière. » (p. 187)

De la même autrice, j’avais lu avec enthousiasme l’excellent Dans la forêt. Et si le thème de l’avortement traité en littérature vous intéresse, je vous recommande Un livre de martyrs américains de Joyce Carol Oates.

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T’as pas l’impression de prendre toute la couverture ?

Ouvrage de L’Indéprimeuse.

Sous-titre : Poésies visuelles et jeux de (mauvais) caractères

Dans la préface, Maurice Barthélémy nous rappelle que « la forme fait le fond, et inversement. La typographie a autant d’importance que la phrase. » Dans une mise en page qui rappelle la collection Blanche des éditions Gallimard, l’autrice-artiste s’amuse avec l’espace et avec la langue. Entre jeux de mots et marges malmenées, elle laisse entendre sa délicieuse misandrie décomplexée. « Sachez qu’à l’origine, le mot ‘virgule’ signifiait ‘petite verge’. Pensez-y la prochaine fois que vous la mettrez n’importe où. » C’est un vrai plaisir d’explorer ce livre féministe et inclusif !

L’ouvrage se fait joliment vachard, voire piquant à l’encontre des intellos poseurs et des snobs de la culture. Les bobos germanopratins ne sont pas interdits d’accès, mais s’ils peuvent baisser d’un ton, c’est mieux ! Et soudain, une fulgurance simple et follement poétique traverse la page. « Le mot ‘sexes’ est un palindrome, et je pense que c’est très beau qu’on puisse le lire en va-et-vient. »

D’aphorismes en fantaisies typographiques, l’Indéprimeuse nous entraîne dans son univers original et drôle.

Je vous laisse avec quelques extraits.

« Scoop : la fameuse intuition féminine était en fait de l’intelligence. »

« La réponse à toutes les questions que vous vous posez est soit «’le patriarcat’, soit ‘le vinaigre blanc’. »

« Rappel : un féminisme qui ne dérange personne, ce n’est pas du féminisme. C’est du marketing. »

« Il n’y a pas de filles faciles, il n’y a que des filles qui ont envie. »

« Femme : avec un ‘e’ prononcé ‘a’, on a tout de suite su qu’on allait rien nous simplifier. »

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Crépuscule

Roman de Philippe Claudel.

Aux confins de nulle part, dans un hiver terne, un meurtre et des profanations religieuses entrechoquent les haines et les médiocrités. « On n’aime jamais tout à fait ce qui est différent de nous et vient d’ailleurs. » (p. 7) Au milieu des laideurs aux remugles interminables, des ambitions malsaines et des destins obscurs, des figures pures se détachent.

Pour une fois, je n’en dis pas plus des personnages ou des péripéties et je vous laisse plonger dans cet intense roman. Comme dans Le rapport de Brodeck et L’archipel du chien, l’auteur interroge le rapport à l’autre et la façon dont l’humanité se livre si facilement à des scènes de barbarie d’un autre temps et à des ravages criminels commis sous la dictée d’une autorité lointaine. « Si l’Enfer avait choisi la petite ville pour y planter son théâtre de feu, qui seraient en ce cas les damnés ? » (p. 259) L’espoir semble maigre, et pourtant sa flamme vacille sans s’éteindre.

Crépuscule est selon moi un des meilleurs romans de Philippe Claudel. Ce dernier y manie une fois encore une plume acerbe et délicieusement féroce pour peindre des portraits terriblement humains. « L’immobilité est gage de paix et la bêtise, bien souvent son alliée. Les sociétés, petites ou grandes, savent donner les rênes de leur administration aux crétins somptueux. » (p. 37) J’ai ri autant que frémi dans ces pages enténébrées.

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Les employés

Roman d’Olga Ravn.

Le texte est une compilation de dépositions. Celles-ci ne sont pas dans l’ordre, de longueur très variable, parfois expurgées, et il en manque certaines. Devant des enquêteurs à l’identité inconnue, les membres d’équipage racontent ce qui se passe dans le six millième vaisseau depuis que des objets venus de La Nouvelle Découverte sont stockés à bord. « Je sais que vous dites que je ne suis pas dans une prison ici, mais les objets m’ont dit le contraire. » (p. 27) Ces artéfacts sont-ils vivants, conscients, sentients ? Sont-ils responsables des dérèglements émotionnels qui affectent les humains et les ressemblants ? « C’est peut-être la raison pour laquelle vous me prenez pour quelqu’un de criminel. À moitié humain, fait de chair et de technologie. Quelqu’un de trop humain. » (p. 19) Et qu’est-il arrivé au cadet 4 et au troisième pilote ? À mesure des dépositions, il est évident que la production à bord est menacée et que le six millième vaisseau est en perdition.

Avec son découpage haché et lacunaire, le récit oblige le/la lecteur·ice à combler les manques et à accepter qu’iel n’aura pas toutes les réponses. Et c’est aussi bien, car le centre de la réflexion est l’humanité et ce qui la caractérise. Faut-il être né·e pour être humain·e ? Un être conçu dans une machine, créé pour être parfaitement ressemblant à l’humain, ne peut-il pas prétendre à la même définition ? Évidemment, les ombres tutélaires de Philip K. Dick et Isaac Asimov planent sur ce roman, mais Olga Ravn propose une œuvre de science-fiction sensible et inclusive.

« Je ne sais pas si je suis encore humain. Suis-je humain ? Est-ce que dans vos papiers on peut voir qui je suis ? » (p. 25)

« N’est-ce qu’une question de nom ? Puis-je devenir humain, si vous me dénommez ainsi ? » (p. 55)

« Pensez-vous que l’on se souviendra de nous ? Qui se souviendra de ceux qui ne sont jamais nés, mais qui vivent quand même ? » (p. 77)

« On m’a peut-être créée, mais maintenant je suis en train de me créer moi-même ? » (p. 107)

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