Les filles d’Icare – Histoire mondiale des aviatrices

Ouvrage d’Alain Pelletier.

Quatrième de couverture – La carrière des femmes dans l’aviation ne fut pas de tout repos. Celles qui se sont lancées dans l’aventure ont dû faire preuve tout à la fois d’audace, d’une volonté sans faille, mais aussi d’énormément de patience. Aujourd’hui, leurs noms quittent inexorablement la mémoire du grand public. Si certaines, comme Amelia Earhart, Hélène Boucher, Jacqueline Cochran ou Jacqueline Auriol ont atteint une renommée mondiale au point d’être devenues de véritables icônes, beaucoup sombrent peu à peu dans l’oubli, comme c’est le cas de Teddy Kenyon, Lena Bernstein, Florence Klingensmith, Marga von Etzdorf et tant d’autres… Sans compter toutes les anonymes qui, en vol et au sol, ont apporté une contribution inestimable à l’histoire de l’aviation. Ce livre entend rappeler l’existence et retracer la carrière de ces femmes d’exception. Au travers d’une cinquantaine de biographies illustrées, avec quelque 450 photographies auxquelles viennent s’ajouter de très nombreux hors-textes, tableaux et annexes, les Filles d’Icare réunit une quantité d’informations sans précédent sur l’histoire des aviatrices.

Quand un résumé est bien fait, il faut en profiter ! Agrémenté de superbes photographies, l’ouvrage revient sur les exploits renversants et les accidents tragiques des femmes de l’air. La voltige aérienne au féminin, c’est époustouflant ! « Une poignée de femmes voulaient démontrer qu’elles pouvaient prendre les commandes d’un aéroplane et le piloter aussi bien qu’un homme. » (p. 8) Ce qui m’importe surtout, ce n’est pas de refaire leur histoire, mais d’écrire le nom – au moins certains – de ces femmes qui ont marqué l’histoire de l’aviation.

  • Raymonde de Laroche
  • Amelie Beese
  • Hélène Dutrieu
  • Harriet Quimby
  • Katherine Stinson
  • Ruth Law
  • Bessi Coleman
  • Adrienne Bolland
  • Laura Ingalls
  • Viola Gentry
  • Lady Heath
  • Louise Thaden
  • Ruth Rowland Nichols
  • Ruth Elder
  • Carine Negrone
  • Paulina D. Ossipenko
  • Marcelle Choisnet
  • Maryse Bastié
  • Anne-Morrow-Lindbergh
  • Beryl Markham
  • Jean Batten
  • Nancy Harkeness Love
  • Amelia Earhart
  • Hélène Boucher
  • Jacqueline Auriol
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Les mystères de Paris

Roman-feuilleton d’Eugène Sue.

Il est impossible de résumer cette histoire ! Les personnages sont innombrables et tous entretiennent des liens connus ou inconnus les uns avec les autres. Les enfants perdus sont retrouvés, les amours malheureuses ont des dénouements charmants et la justice, toujours, abat son glaive aveugle sur la population. Le récit nous transporte des ruelles les plus sordides de Paris aux salons des plus beaux immeubles particuliers, en passant par les riantes campagnes de province et les sinistres cours des prisons de la capitale. « Le lecteur, prévenu de l’excursion que nous lui proposons d’entreprendre parmi les naturels de cette race infernale qui peuple les prisons, les bagnes, et dont le sang rougit les échafauds… le lecteur voudra peut-être bien nous suivre. Sans doute cette investigation sera nouvelle pour lui ; hâtons-nous de l’avertir d’abord que, s’il passe d’abord le pied sur le dernier échelon de l’échelle sociale, à mesure que le récit marchera, l’atmosphère s’épurera de plus en plus. » (p. 37) Je ne cite qu’un lieu en particulier, Le Lapin-Blanc, bouge infâme où commencent les aventures rocambolesques de Rodolphe, Fleur-de-Marie, Chourineur, La Chouette, Rigolette, le couple Pipelet et de tant d’autres figures mémorables.

Eugène Sue, en plus de mille pages, a écrit un roman d’édification morale où il défend ses positions en faveur de l’éducation du peuple et contre la peine de mort. Les bons et les repentants sont récompensés et les méchants et les récidivistes sont châtiés : le manichéisme est simple. «  J’ai presque toujours eu le bonheur de voir punir, oh ! cruellement punir les méchants que je connaissais. » (p. 386) Il faut évidemment lire cette œuvre dans son contexte : le paternalisme du riche envers le pauvre méritant est assez indigeste vu de notre époque, tout comme la notion de pureté sans cesse attachée ou arrachée aux pas des jeunes filles. L’auteur montre avec force détails que les manigances de la haute société n’ont rien à envier aux vilaines mœurs des bas-fonds. La vertu existe chez les miséreux, tout autant que l’abjection dans la société noble. Être bien né ne suffit pas si cette supériorité sociale n’est pas également une supériorité morale. Là encore, rendons à Eugène ce qui appartient au 19e siècle bourgeois, à savoir une certaine idée que la pauvreté est choisie et qu’il ne tient qu’à l’indigent d’en sortir, à force de travail et de sacrifice. C’est étrange, le discours me semble très actuel dans certains rangs de la droite rance…

La figure centrale est évidemment celle de Rodolphe, altesse richissime qui prodigue ses largesses aux pauvres qu’il juge dignes de son intérêt et de sa miséricorde. « Rodolphe sentait qu’il y avait quelque chose de solennel, d’auguste, dans cette espèce de rédemption d’une âme arrachée au vice. » (p. 114) Avec son goût du travestissement, de la dissimulation et des intrigues, ce personnage préfigure un peu les super-héros des comics. Rodolphe, c’est un peu Bruce Wayne/Batman, aussi à l’aise en société que dans les vapeurs morbides de Gotham/Paname.

Eugène Sue maîtrise à merveille les codes du roman-feuilleton : les péripéties ne manquent pas, chacune plus improbable que la précédente ! Et il faut admettre que Paris est bien petit, et pas uniquement pour ceux qui s’aiment d’un si grand amour : c’est à croire qu’il n’y a qu’un notaire à qui toute la bonne société se réfère et que le 17 rue du Temple est the place to be. Lisez et vous comprendrez ! Évidemment, pour ménager ses effets et combler/frustrer l’attente avide de ses lecteur·ices, Eugène Sue se plaît à laisser en fâcheuse posture un personnage pour aller suivre les déboires d’un autre. « Les exigences de ce récit multiple, malheureusement trop varié dans son unité, nous forcent de passer incessamment d’un personnage à un autre, afin de faire, autant qu’il est en nous, marcher et progresser l’intérêt général de l’œuvre. » (p. 362 & 363) Aujourd’hui, nous attendons fébrilement l’épisode suivant de la série télévisée du moment : j’imagine que l’impatience était la même quand il fallait attendre la parution du prochain numéro du journal pour avoir sa dose d’aventures !

J’avais lu cet énorme roman quand j’étais très jeune adolescente et j’en gardais un souvenir puissant et enchanteur. Ma relecture est à la hauteur de ma première découverte : j’ai évidemment anticipé certains retournements de situation, pas tant parce que je me les rappelais, mais parce que les ficelles sont assez grosses pour comprendre ce qui va suivre. Pour autant, cela n’a pas diminué mon plaisir. Pendant 12 jours, j’ai replongé dans cette histoire ébouriffante et j’en sors un peu triste de devoir revenir au monde réel. Une certitude : dans 20 ou 30 ans, je relirai à nouveau Les mystères de Paris.

Avec ses 1312 pages, cette relecture me fait inscrire une nouvelle participation au Défi des 1000 de Daniel Fattore.

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Maltriarcat – Quand les femmes ont soif de bière et d’égalité

Essai d’Anaïs Lecoq.

La bière, voilà bien une boisson de bonhomme ! C’est l’incontournable des soirées pizza-foot, évidemment (toujours) entre potes. C’est la petite mousse bien méritée par Monsieur après 30 minutes à tondre la pelouse, bien assis sur son motoculteur qui consomme plus que la dodoche de Mémé. Ouais, la bière, c’est pas pour les gonzesses, à croire qu’on la produit en fermentant de la testostérone… « Cette boisson reste encore aujourd’hui profondément associée au masculin dans l’imaginaire collectif. » (p. 11) Je force le trait, vous trouvez ? Si peu…

Dans le monde brassicole, comme dans tous les autres mondes, les noms de femmes ont bien du mal à se faire entendre et à être retenus, inévitablement remplacés et écrasés par ceux des hommes. Inévitablement, vraiment ? Pas pour Anaïs Lecoq qui, en retraçant l’histoire de la bière, rappelle que les femmes ont très longtemps présidé à sa production. OK, elles ont été écartées de cette activité dès que les hommes ont compris qu’il y avait de l’argent – beaucoup d’argent – à se faire. Mandieu, laisser les bonnes femmes réussir économiquement et devenir financièrement indépendante, ça va pas la tête ? « Alors que c’est la division genrée du travail qui conduit à l’origine les femmes à produire de la bière, c’est ce même principe qui les écarte ensuite de la pratique. Marrant comme les curseurs peuvent facilement être déplacés pour coller aux désirs des hommes. Tantôt afin de faire trimer bobonne pour nourrir la famille avec de la bonne ale, tantôt pour reprendre le business et s’accaparer le pactole et la gloire. » (p. 35)

Mais les femmes ont-elles alors disparu ? Pas du tout, vous voyez le mal partout : elles sont immanquables sur les étiquettes et les publicités, joliment sanglées dans des atours légers pour vous proposer une bonne pinte rafraichissante. « Si on les a exclues du brassage, on a quand même gardé les femmes sous le coude pour aguicher ces messiers et les pousser à consommer toujours plus. » (p. 12) Passer de bobonne à bimbo, en voilà une promotion… L’industrie brassicole, comme toutes les autres, objective le corps de la femme dans des publicités sexistes et fétichisantes qui imprègnent l’imaginaire collectif et la représentation que les femmes ont d’elles-mêmes. Mauvais goût, vous dites ? Oui, et je ne parle pas des bières premier prix. Attendez que je (Anaïs Lecoq) vous parle de la grossophobie et du racisme décomplexé dans le branding et la communication de certaines marques de bière, vous allez tousser fort !

Mais alléluia, la lumière apparaît au fond de la bouteille ! Avec le féminisme-washing, nous gonzesses avons droit à des bières brassées juste pour nous : sucrées, fruitées, mignonnes, pas trop fortes… Et qui produit ces boissons qui n’ont de bière que le nom ? Mais si, vous avez la réponse ! « On n’est pas bien là, entre mecs, à réinventer le féminisme ? » (p. 67) Ça me rappelle une anecdote personnelle. Pendant une soirée d’été en terrasse avec des amis (tous des hommes), je commande une Guinness (mon péché mignon depuis longtemps). Le serveur revient avec un Ricqlès. Je le corrige et il me répond : « J’avais bien compris, mais je me suis dit que vous confondiez les deux boissons. C’est fort, la Guinness, vous savez. » J’étais alors une petite chose de 22 ans et quelques et j’ai bafouillé que c’était très bien, que j’aimais aussi beaucoup le Ricqlès. Ce mec habillé en pingouin m’a écrasée de sa certitude qu’une femme (jeune de surcroît), ça n’aime que les boissons sucrées. Maintenant, j’ai un peu plus de bouteille et je commande fermement : « Une Guinness, s’il vous plaît. En pinte, évidemment ! »

Pour en revenir au livre d’Anaïs Lecoq, plusieurs études ont prouvé que les hommes n’aiment pas consommer des produits présentés comme féminins. Le savon à la lavande ou la bière à la cerise, pouacre, c’est pas bon pour leurs gros biscoteaux ! Donnez-leur plutôt un gel douche à l’essence de pneu et une bière qui titre fort ! Pauvres petites choses, effrayées par un packaging qui tire un peu trop sur le pastel… « Nos goûts ne sont pas innés, ils sont conditionnés. Cette corrélation entre les saveurs fruitées et la féminité est omniprésente dans la bière. » (p. 86) C’est aussi pour ça que, quand je déguste ma Guinness (et je voudrais, si vous le permettez, déguster en paix), j’entends parfois que je bois comme un homme. C’est-à-dire ? Par la bouche ? Oui, c’est comme ça que l’humanité boit depuis toujours. Le goût, Sandrine Goeyvaerts en parle brillamment dans Cher Pinard, publié aux mêmes éditions Nouriturfu. Lisez aussi son Manifeste pour un vin inclusif.

Parlons d’un sujet avec moins de légèreté, l’alcoolisme. Cette maladie ne doit pas prêter à sourire ni être l’occasion d’un bon mot. Quand on l’étudie par le prisme du féminisme (non, ça, ce n’est pas une maladie), on comprend que les femmes alcooliques souffrent d’une double peine : la pathologie en question et le poids d’une société organisée pour les opprimer depuis des siècles. « Aux origines de l’alcoolisme des femmes, c’est bien le patriarcat qu’on retrouve pour nombre d’entre elles. Avec, pour principal outil, la charge mentale. » (p. 101) Sur le sujet de l’alcoolisme au féminin, je vous renvoie au très puissant témoignage de Charlotte Peyronnet, Et toi, pourquoi tu bois ?

Bon, alors, c’est foutu, les femmes ont perdu la bataille de la bière ? Non, nous consommateur·ices, nous avons le choix de refuser les produits aux affichages sexistes/oppressifs et de nous tourner vers des offres inclusives et décentes. « Les femmes ne sont pas votre caution diversité, je vous rappelle que nous représentons la moitié de l’espèce humaine. » (p. 131) Des brasseries gérées par des femmes, il y en a. Alors oui, il faut les chercher et ça demande un peu d’effort parce qu’elles n’ont pas vraiment table ouverte dans les raouts brassicoles où ça se congratule entre couilles parce qu’une conférence parle de la place de la femme dans l’industrie houblonnée. « Il paraît bien compliqué d’avoir une quelconque influence sur les politiques brassicoles quand on est complètement absentes des institutions et syndicats représentatifs. » (p. 108) Mais en fait, c’est comme tout, si on cherche, on trouve. Et une fois qu’on a trouvé, on trouve encore plus ! Valoriser et consommer les productions portées par des femmes, ça ne rend pas lesbienne (et je ne vois pas en quoi ça serait un mal, ça, mais c’est un autre sujet) et ça ne fait pas flétrir les valseuses, promis ! Anaïs Lecoq nous donne des pistes pour que le monde de la bière change, du/de la brasseur·se au/à la buveur·se. Le point médian, ça en défrise certains ? (Oui, là, je me contente du masculin) Dommage pour vous, parce que je ne vais pas arrêter… « Voilà des décennies qu’on parle de ‘féminiser’ la langue française pour mieux coller aux évolutions sociétales non sans avoir affaire à un régiment de Jean-Michel Linguistes s’offusquant de l’acharnement des féministes à massacrer leur langue. Cette dernière a au contraire été masculinisée au fil des siècles, par des mecs trop fragiles pour accepter qu’une femme puisse oser être une autrice ou une doctoresse. Ce forcing organisé et institutionnalisé a réussi à évincer progressivement les femmes de la langue et surtout des postes qui ne devaient pas ou plus leur revenir. » (p. 27) Ah ça, je réponds HELL YEAH MES SŒURS !

Anaïs Lecoq mène une démonstration impitoyable et brillante. Les données sont sourcées et solides et elles gagnent en force grâce au délicieux humour misandre de l’autrice. J’ai essayé de lui rendre hommage avec ce billet un peu féroce. Lisez le livre d’Anaïs Lecoq et buvez des bières, Mesdames, avec modération évidemment ! Ce livre ne peut que rejoindre de nombreux autres sur mon étagère de lectures féministes !

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Rencontres avec l’archidruide

Récits de John Angus McPhee.

L’auteur dresse le portrait de David Brower, à l’occasion de trois journées passées avec lui, à des époques différentes et dans des lieux emblématiques de l’Amérique sauvage. « Il avait passé sa vie à défendre les montagnes et, par extension, ce qu’elles symbolisaient à ses yeux. » (p. 15) Dans la réserve de la Glacier Peak Wilderness, sur l’île de Cumberland et aux alentours du lac Powell, sur le fleuve Colorado, David Brower n’a qu’un mot d’ordre : protéger la nature, garder intacts les paysages et les écosystèmes, les défendre de l’avidité humaine. Qu’il s’agisse d’exploiter le cuivre dans les montagnes, d’aménager le littoral pour des activités de loisirs ou de construire un barrage électrique, Brower fait toujours passer l’intérêt de la nature avant celui du capitalisme. « J’essaie de sauver des forêts, des coins de nature. Je fais mon possible pour remettre l’homme en équilibre dans son environnement. Il est en total, total déséquilibre. La Terre ne tiendra pas le coup, et nous non plus. » (p. 25) Cette volonté de préserver les derniers arpents de beauté sauvage, David Brower la défend depuis les années 1920.

Dans chaque lieu, Brower échange avec un homme différent : le débat est animé de motivations contradictoires. Comment répondre aux défis économiques, sociaux et politiques de développement sans compromettre l’équilibre de la nature ? « J’ai vu ce que vous étiez capable d’accomplir. À présent, poussez les autres à en faire autant. Il faut utiliser le système pour réformer le système. » (p. 134) Est-il raisonnable de conserver des espaces vierges de toute présence humaine alors que les besoins ne cessent de croître ? « Lorsqu’une prolifération incontrôlée se développe chez un individu, on appelle ça un cancer. » (p. 82) Faut-il enclore la nature sauvage et en interdire l’accès ou permettre aux humains d’en jouir, avec les risques que cela suppose ? « On ne peut pas tout conserver à l’état sauvage. Il faut imaginer un compromis : les hommes au milieu de la nature. » (p. 98)

Aucune réponse définitive n’est donnée dans ce livre, mais les constats alarmistes qui figurent dans le livre de John McPhee, paru dans les années 1970, restent tristement d’actualité en 2024, voire se sont considérablement renforcés. La course au développement et l’obsession du profit n’ont pas cessé, en dépit des alertes formulées par David Brower et tant d’autres. « La théorie de la croissance écologique est vouée à l’échec sur une planète aux ressources limitées. » (p. 45) Je partage cette dernière affirmation : il faut en finir avec la folie de la consommation et du prêt-à-jeter et réinventer notre rapport au vivant. Cela ne se fera pas sans d’immenses réformes et des batailles ardues contre les lobbys capitalistes et les gouvernements qui se désintéressent du sujet. Il me semble que c’est du peuple que doit venir ce grand changement puisque les dirigeants se refusent à prendre les décisions qui s’imposent.

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Et toi, pourquoi tu bois ?

Témoignage de Charlotte Peyronnet.

L’autrice raconte son alcoolisme, de 13 à 30 ans. 17 ans de consommation excessive, problématique, dangereuse. « Si je suis capable d’écrire ces lignes, c’est que je suis sobre. Attention ! Je n’ai pas choisi d’arrêter de boire, JE N’AI PAS EU LE CHOIX. C’était soit ça, soit la mort. » (p. 12) Ce que Charlotte Peyronnet nous donne à lire, c’est le journal de son addiction, ce qui a construit son alcoolisme, événement après événement. « La maladie alcoolique est le résultat d’interactions entre nos gènes et notre environnement. » (p. 46) L’autrice nous offre son récit fluide, lucide et sincère, et son regard sur l’alcoolisme au féminin.

Alors, son histoire, c’est quoi ? C’est celle d’une gamine de bonne famille qui prend son premier verre lors d’un repas de famille, qui enchaîne les soirées très arrosées, puis les années d’études à se torcher plusieurs soirs par semaine. Premier boulot, exaltant et stressant, et toujours plus de raisons de boire : prouver qu’elle tient l’alcool, qu’elle sait faire la fête, qu’elle n’est pas une Parisienne coincée. « C’est apparemment une manière d’emmerder le monde que de picoler quand on est une nana. Tant mieux, car j’aime bien ça, moi, emmerder le monde. » (p. 75) De murge en murge, après le premier coma éthylique, la honte lui colle à la peau. OK, elle sait boire, beaucoup, souvent, mais elle sait surtout que, sans la boisson, elle ne fonctionne pas. L’escalade est méthodique, calculée, jour après jour, heure après heure. « Mon alcoolisme, je l’ai construit. Sournoisement. Verre après verre. » (p. 13) Charlotte Peyronnet raconte combien il lui a été difficile de s’avouer sa propre maladie, de demander de l’aide et d’accepter les mains tendues. Elle reconnaît surtout son talent à mentir, dissimuler, faire semblant, donner le change, se trouver des excuses : tous les synonymes, elle les maîtrise !

Ce témoignage, c’est aussi la manière de Charlotte Peyronnet d’interpeler son lectorat sur sa consommation d’alcool et sa motivation à en boire. « L’alcool est quand même la seule drogue pour laquelle on va te dire que tu as un problème si tu n’en prends pas. » (p. 91) Cette seule phrase est d’une justesse confondante : implicitement, elle questionne le statut quasi sacré du vin, fierté nationale française, et l’insuffisance d’encadrement et de prévention autour de l’alcool, drogue légale si facilement accessible. Pendant une période, j’ai eu une relation compliquée à l’alcool pendant une relation amoureuse elle-même compliquée (pour faire simple, je buvais parce qu’il buvait). Après cette histoire tout à fait foireuse, il m’a fallu plusieurs mois pour réapprendre à boire parce que j’en avais vraiment envie. Ma chance est que deux bières suffisent à me rendre très pompette et que je n’aime pas trop cet état (pas trop fan du lâcher-prise, mais c’est un autre sujet…) Lecteur, lectrice, si tu penses avoir un problème avec l’alcool, n’attends pas, parle-en à tes proches, à ton médecin, à qui tu veux, mais prends soin de toi.

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Cher Pinard – Un goût de révolution dans nos canons

Essai de Sandrine Goeyvaerts.

« En vérité, si l’on boit du vin ou des boissons alcoolisées, c’est pour l’ivresse. Cette ambivalence entre le poison et le plaisir est en soi très révélatrice de la nature humaine. » (p. 8) L’humain aime boire, c’est avéré, mais pourquoi ? C’est quoi, aimer le vin ? Avec des explications limpides et des sources scientifiques solides, l’autrice démontre comment le sens du goût n’est pas que physiologique : il est aussi culturel, social, environnemental et hautement politique. En outre, avoir le goût est une chose : en parler en est une autre. Comme elle l’a déjà brillamment fait dans son Manifeste pour un vin inclusif, Sandrine Goeyvaerts étudie le langage et les mots du vin. Quel vocabulaire convient si l’on veut s’affranchir d’un référentiel occidentalocentré, plus ou moins néocolonialiste et largement sexiste ? « Le goût est affaire d’émotions, c’est à ce registre qu’il faudrait s’adresser. » (p. 68) Quand on sait que le monde du vin est encore très largement tenu par les hommes, on ne peut que soupirer… Parce que bon, not all men, OK, mais les émotions et le chromosome X, c’est pas toujours facile-facile…

« Je cherche à boire non seulement des vins à mon goût, mais qui correspondent aussi à un ensemble de valeurs écologiques, politiques et morales. » (p. 126) Je partage complètement ce positionnement : si mon plaisir entache le vivant et des droits et libertés humaines, alors il est condamnable. Il est urgent de repenser le modèle de production vinicole : faire moins, faire mieux, faire différent. Il faut oser s’affranchir du poids d’un passé finalement très récent qui a dicté des normes étriquées et le fameux bon goût pour se tourner vers des produits plus naturels, plus accessibles. Cela nécessite évidemment que chacun s’interroge sur sa consommation de vin et, plus largement, d’alcool. « On peut boire par goût, mais il ne faudrait jamais boire par nécessité ou obligation. Je crois que l’on peut réfléchir à créer moins d’occasions de boire et plus de moments où déguster en conscience des produits artisanaux qui ont du goût, avec ou sans alcool. » (p. 150 & 151)

Tout le monde peut comprendre le raisonnement passionnant de l’autrice, même les hommes, promis. Vous trouvez que j’insiste lourdement sur l’inaptitude masculine ? C’est pas moi qui ai commencé, c’est Sandrine ! Son humour misandre est un délice parce qu’il fait mouche à chaque fois et qu’il est tout à fait pertinent. Je retiens aussi son humour belge qui griffe gentiment la supériorité autoproclamée française quand il est affaire de vin. Enfin, il y a quelque chose que j’aime par-dessus tout quand je lis, c’est apprendre de nouveaux mots. Sandrine Goeyvaerts ajoute donc à mon répertoire le terme « blouge » et j’ai follement envie de goûter la boisson qu’il désigne.

Je vous recommande sans modération ce bouquin foutrement bien fait ! L’autrice connaît son sujet et elle en parle avec passion.

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Cuisinez les incontournables – Fromage

Livre de recettes de Delphine Paslin.

Sous-titre : 50 recettes et des infos sur le fromage + une grande affiche !

« Le fromage […] réconforte, réchauffe et rassemble. » (p. 7) Voilà une parfaite définition de ce produit que j’aime tant. J’ai parcouru l’ouvrage avec l’eau à la bouche. Voici les premières recettes que je compte tester, dès que la saison rendra certains ingrédients disponibles.

  • Muffins aux abricots secs et au rocamadour
  • Velouté d’endives au roquefort
  • Salade de melon aux pois chiches et à la mozzarella di bufala
  • Crumble de légumes d’été à la feta
  • Tartare de fraises à la crème de ricotta

Le livre est agrémenté de très belles photos qui mettent en valeur les fromages. Les recettes sont clairement expliquées et je salue le fait qu’elles soient majoritairement végétariennes. Pour les quelques carnées, il est tout à fait possible d’adapter ! De l’apéro au dessert, on peut composer un repas complet et délicieux (pour la diététique, on repassera…) avec du fromage. Des plus simples aux plus complexes, qu’elles soient chaudes ou froides, sucrées-salées ou sur le pouce et pour toutes les saisons, ces recettes ont de quoi régaler les gourmand·es !

Les copain·es, vous êtes prévenu·es, je vais tout tester ! Rendez-vous chez moi pour l’apéro ?

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Rebis

Bande dessinée d’Irene Marchesini et de Carlotta Dicataldo.

Alors que l’on brûle deux sorcières sur la place centrale, un bébé albinos vient au monde. Moqué et malmené, l’enfant trouve refuge dans la forêt, auprès des insectes qui le fascinent, mais surtout auprès de Viviana, femme solitaire. « Il y a longtemps, j’habitais dans le même village que toi. / Ah bon ? Pourquoi tu es partie, alors ? / On ne voulait plus de moi… Mais moi, je veux bien de toi, Martino… Alors tu es ici chez toi. » (p. 77) Enfin libre et libéré des moqueries, le petit s’affirme et grandit. Auprès d’autres femmes qui ont choisi de s’écarter du monde, il prend confiance et décide qu’il sera lui, aussi, une sorcière. « Aux yeux des hommes, nous ne sommes que des erreurs de la nature. / Moi, je veux être comme vous. » (p. 113)

Cette très belle bande dessinée chante la sororité sincère et totale, celle qui accepte l’autre tel·le qu’iel est et tel·le qu’iel se définit. Puisqu’il a été rejeté pour ce qu’il n’a pas choisi d’être, Martino décide qui il sera, et il n’est plus seul. « Je suis là pour toi. Pour t’aider. Pour te soutenir. Ensemble, on peut y arriver. On peut s’aider à vivre. » (p.166) Sans réinventer les procès pour sorcellerie, l’œuvre pointe une évidence : la sorcière est celle qui dérange, et l’on peut déranger pour bien des choses. « C’est avant tout un mot : beaucoup de gens l’utilisent, mais chacun y va de son sens. » (p. 111) Il me semble que la conclusion de la BD appelle une suite, ce que j’espère ardemment !

Ce beau livre prend place sur mon étagère de lectures féministes, mais je sais déjà qui me l’empruntera en premier !

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Dans la mansarde

Roman de Marlen Haushofer.

Une semaine dans la vie d’une femme autrichienne, chaque chapitre dédié à une journée. La narratrice raconte le quotidien lent, sans surprise, et elle se raconte sans y prendre garde. Son refuge, c’est la mansarde où elle peint et où elle marche sans crainte de déranger son époux. Quoi qu’elle fasse, cette femme tente d’échapper au passé et aux souvenirs qui pourraient ébranler le précaire équilibre du présent, renverser le statu quo d’une existence pétrifiée. « Le passé, quel qu’il soit, doit être liquidé. C’est une démarche douloureuse devant laquelle toute ma vie, je me défile. » (p. 48) Hélas, un oiseau lui rappelle son enfance entre des parents malades, un grain de poussière ravive le souvenir des deux ans durant lesquels elle a perdu l’ouïe. Et justement, le courrier du jour lui apporte les pages du journal qu’elle a écrit pendant ces mois de silence. « Les médecins […] ont dit qu’il n’y avait pas de cause organique à ma surdité. J’aurais seulement oublié comment l’on entend. Cela me reviendra peut-être. » (p. 58) Qui envoie ces courriers, et pourquoi ? En se relisant, des années après, la femme se rappelle la solitude et le détachement de ce qui faisait son monde. Comme elle, le/la lecteur·ice se demande comment elle a retrouvé sa place. Mais l’évidence se fait : cette place est restée perdue, et celle qui est revenue du silence n’était pas tout à fait la même. On comprend alors les terribles efforts qu’elle fait pour ne jamais regarder en arrière. « Il m’est parfois importun d’avoir en tête autant d’images cachées qui peuvent surgir à tout moment. » (p. 115)

La quatrième de couverture parle d’un roman d’une étonnante modernité, et c’est tout à fait juste. On flirte par moment avec le fantastique tant l’étrangeté de cette femme est considérable. Dans son intérieur figé, auprès d’un époux hautement prévisible et d’enfants évanescents, la narratrice marche sans cesse sur des œufs et ne trouve pas le repos. Elle lutte contre ses pulsions de liberté et rêve de s’affranchir des chaînes qu’elle s’est laissé passer au cou. La mansarde, alors, tout autant partie de la maison que refuge mental, est le lieu de tous les possibles, mais aussi celui de tous les interdits. « Les choses et les pensées qui concernent ma vie dans la mansarde n’ont pas à pénétrer dans le reste de la maison. » (p. 26) J’ai découvert Marlen Haushofer avec Le mur invisible, autre lecture tout à fait inoubliable.

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J’accuse [France]

Pièce d’Annick Lefebvre.

Cinq femmes se succèdent sur scène. « Il n’y a pas vraiment de lieux, juste une spirale sociale qui avale tout. » (p. 6) Il y a la Fille qui implose, la Fille qui agresse, la Fille qui intègre, la Fille qui adule et la Fille qui aime. Qui sont-elles ? Nous les croisons sans les voir, ces femmes : l’aide-soignante qui veut mettre de la couleur dans le gris, la cheffe d’entreprise à bout de fatigue, la Française racisée qui n’en peut plus du racisme systémique, la fan qui défend son droit à adorer une star et la dramaturge en tendresse. Ce sont cinq solitudes tonitruantes et déclamatoires qui nous lancent au visage ce que nous essayons souvent de ne pas voir et de ne pas entendre. Cinq voix hurlent pour ébranler le banal et le ridicule et pour montrer leur fragile beauté, dans un monde qui s’obstine à penser uniquement en termes de performances et de réussite.

Les cinq monologues se lisent d’une traite, à l’image de leur déclamation en un souffle. Ils m’ont fortement remuée et émue. Je me suis un peu retrouvée dans chacune de ces femmes et aussi dans l’autrice qui n’est pas tendre envers elle-même, par personnage interposé. Il y a de la violence dans ce texte, mais c’est une violence purgative, exutoire, une violence qui libère et qui guérit un peu des violences sociales que l’on subit. Cela doit être saisissant de voir la pièce sur scène !

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Femmes qui courent avec les loups

Essai de Clarissa Pinkola Estés.

Quatrième de couverture – Chaque femme porte en elle une force naturelle, instinctive, riche de dons créateurs et d’un savoir immémorial. Mais la société et la culture ont trop souvent muselé cette  » Femme sauvage » afin de la faire entrer dans le moule réducteur des rôles assignés. Psychanalyste et conteuse, fascinée par les mythes et les légendes, auteur également du Jardinier de l’Eden, Clarissa Pinkola Estés nous propose de retrouver cette part enfouie, pleine de vitalité et de générosité, vibrante, donneuse de vie. À travers des « fouilles psychoarchéologiques » des ruines de l’inconscient féminin, en faisant appel aux traditions et aux représentations les plus diverses, de la Vierge Marie à Vénus, de Barbe-Bleu à la petite marchande d’allumettes, elle ouvre la route et démontre qu’il ne tient qu’à chacune de retrouver en elle la Femme sauvage. Best-seller aux États-Unis, ce livre exceptionnel est destiné à faire date dans l’évolution contemporaine de l’identité féminine.

Abandon en page 61. Je n’ai pas tenu jusqu’à la page 100, comme je m’y astreins toujours quand un livre ne me plaît pas. Je ne suis définitivement pas faite pour la psychanalyse. Quant à lire des ressources fondamentales sur le féminisme, je vais orienter mes lectures dans une autre direction.

Deux extraits pour vous donner une idée, si jamais ce livre vous intéresse.

« Qui que nous soyons, indéniablement, l’ombre qui trotte derrière nous marque à quatre pattes. » (p. 12)

« Si une femme conserve ce don précieux, être vieille tout en étant jeune et jeune tout en étant vieille, elle saura toujours faire face. Si elle l’a perdu, elle pourra encore le retrouver, grâce à un travail psychique déterminé. » (p. 58)

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La Chaîne

Roman d’Adrian McKinty.

La phrase affichée en couverture résume parfaitement l’histoire : « Le seul moyen de récupérer votre enfant, c’est d’en capturer un autre. » Kylie est enlevée à l’arrêt de bus : pour la revoir, sa mère Rachel doit accepter d’infliger la même angoisse que celle qu’elle ressent à une autre famille. C’est la Chaîne, cruelle et impitoyable, qui se déploie. « Nul maillon de la Chaîne n’a le pouvoir, ni même la volonté, de résister. Rachel filera doux comme tous ses camarades. Soit cela, soit sa fille et elle mourront. Et de façon atroce, histoire de montrer l’exemple aux autres. » (p. 54) Interdiction d’avertir la police ou la presse, obligation de se conformer aux instructions très strictes du commanditaire anonyme. Chaque maillon de la Chaîne fait pression sur le suivant en détenant son enfant et tout manque de docilité a des conséquences rétrogrades sur les maillons précédents. Une question se pose : est-il possible, un jour, de quitter la Chaîne ?

Ce roman propose une course contre la montre palpitante, passant d’un point de vue à un autre, et elle interroge sur les actions que des parents sont prêts à commettre pour retrouver leur progéniture. Plus de valeur ni de morale quand la chair de votre chair est en danger de mort. « Ils ont été victimes et complices. C’est ce que fait la Chaîne. Elle vous torture, et elle vous rend complice de la torture d’autres personnes. » (p. 298) L’idée de base du roman est simple et efficace et la lecture défile à toute allure. Toutefois, je n’ai jamais douté que tout finirait bien pour les protagonistes. Le texte ferait un très bon film, mais du genre qu’on regarde d’un œil en pliant le linge ou en faisant une sieste le dimanche après-midi. C’est une bonne histoire, mais en dépit de l’avis dithyrambique de Stephen King en quatrième de couverture, je doute de garder un souvenir impérissable de ce thriller.

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Les règles de l’amitié #LaVieEstBelle

Bande dessinée de Lily Williams et Karen Schneemann.

C’est bientôt la rentrée au lycée d’Hazelton. Pendant l’été, Brit a été opérée afin de réduire les douleurs de son endométriose. Abby se désole un peu que son site soit en perte de vitesse. Sasha ne quitte plus son amoureux. De son côté, Christine se demande si elle doit avouer à Abby qu’elle est amoureuse d’elle. Les quatre amies grandissent et s’interrogent sur leur identité intime et sexuelle, leurs envies et leur avenir. « Quand j’y réfléchis, je n’ai pas une idée très claire de mes désirs. » (p. 170) Toutes sont cependant certaines d’une chose : elles veulent changer le monde et le rendre meilleur. De la justice menstruelle à la justice sociale, il n’y a qu’un pas et il est facile de le franchir en installant simplement des toilettes inclusives dans les lieux publics.

Le premier tome, #SangTabou, m’avait enchantée tant il pose avec simplicité et en dédramatisant le sujet des premières règles. Dans ce deuxième opus, les autrices parlent davantage de sentiment et sensations physiques. J’ai eu un vrai coup de cœur pour la réécriture d’Orgueil et préjugés qui porte l’histoire d’Abby et de ses deux prétendants. Je retiens surtout le beau discours sur l’amitié et la richesse d’être bien entouré·e. « Avec les amis, au moins, tu sais que s’ils sont là, c’est parce qu’ils en ont envie. Ils ont fait le choix de t’épauler par amour pour toi, au lieu de s’y sentir obligés par les liens du sang. » (p. 55) Évidemment, cette bande dessinée rejoint son premier tome sur mon étagère de lectures féministes.

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Étienne Nasreddine Dinet et l’Algérie : un amour incandescent

Catalogue d’exposition publié par l’Institut du monde arabe de Tourcoing.

« Comment l’œuvre d’un peintre français d’époque coloniale est-elle devenue une des identités visuelles de l’Algérie après l’Indépendance ? Pourquoi est-il l’un des seuls peintres orientalistes qui échappe au reproche d’exotisme et au procès fait au regard colonial ? » (p. 3) Étienne Nasreddine Dinet, né en 1861 à Paris et converti à l’Islam en 1913, a peint l’Algérie sans les fantasmes de l’orientalisme, en privilégiant des prises de vue sur le vif. « Au-delà d’un monde idéalisé par un filtre européen, il peint […] la violence, la misère, le désespoir, l’humilité, mais tout autant la joie, le courage et la dignité. » (p. 11) Fort de ses idéaux républicains et humanistes, Dinet n’a eu de cesse de réclamer la reconnaissance militaire pour les soldats algériens tombés pendant la Première Guerre tombale, dessinant pour eux une stèle afin de remplacer les croix inappropriées sur les tombes. Il est l’initiateur du projet de construction de la Grande Mosquée de Paris.

J’ai découvert l’artiste et son œuvre grâce à la superbe exposition organisée par l’Institut du monde arabe de Tourcoing qui présente toujours des œuvres superbes dans une muséographie de très grande qualité. J’ai passé près de deux heures dans les salles de l’institut, fascinée par l’éclat coloré et lumineux des toiles, la profondeur des regards et les détails des visages. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas été autant frappée par le beau artistique.

Quelques toiles choisies pour le plaisir des yeux.

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Le gros chat et la sorcière grincheuse – 2

Manga d’Hiro Kashiwaba.

La reine veut la mort de Jeanne, l’ancienne et puissante sorcière. En mandatant Frado, cruel mercenaire, elle pense être satisfaite rapidement. Mais le tueur de dragons a une réaction inattendue en voyant un chat pour la première fois. « Qu’est-ce que c’était que cette sensation moelleuse ? » (p. 21) Plongé dans la douceur incomparable de la fourrure féline et face à la placidité adorable de Nâ, le sicaire dépose les armes… pour mieux les reprendre afin de défendre Jeanne et Lou, enfant esclave que la vieille femme a recueillie. Quant aux autres tueurs envoyés aux trousses de Jeanne, tous s’inclinent avec déférence quand ils reconnaissent l’ancienne sauveuse du royaume. Mais pourquoi la reine cherche-t-elle à se débarrasser de la sorcière recluse et privée de ses pouvoirs ?

Ce que j’aime particulièrement dans cette histoire, c’est que Nâ reste un bon gros matou (vraiment très gros ici) qui veut jouer, dormir et manger, être caressé et défendre son territoire. Je poursuis avec avidité ma lecture de ce manga drôle et dynamique, mais aussi riche en intrigues et en flashbacks.

Tome 1

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La dernière reine

Bande dessinée de Rochette.

Édouard Roux est le seul rescapé de sa tranchée après la bataille de la Somme. Il dissimule sa gueule cassée sous un sac percé de trous et évolue en marge des vivants. Son humanité lui est rendue par Jeanne Sauvage, artiste qui crée des visages pour ceux qui ont perdu le leur. Édouard et Jeanne s’aiment dans le Paris des années folles, mais c’est au-dessus de Grenoble, dans la solitude paisible des monts du Vercors qu’ils trouvent le bonheur. « Il faut fuir les hommes. Les forêts sont devenues trop petites pour cacher les ours et ceux qui s’aiment. […] Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté. » (p. 89) Hélas, vivre caché est impossible : l’injustice et la bêtise humaines finissent toujours par tout gâcher. « Tant que dans la montagne régneront les ours, le soleil se lèvera le matin. Mais, au soir où mourra la dernière reine, alors ce sera le début du temps des ténèbres. » (p. 36)

L’histoire d’Édouard est entrecoupée de chapitres qui retracent l’histoire de l’ours dans le Vercors à travers le temps, face à des prédateurs de plus en plus cruels qui ne chassent plus pour se nourrir. Progressivement, on comprend le lien millénaire entre les Roux et les ours. « On respire le même air, on foule la même terre, on boit à la même source, on est de la même famille. » (p. 78)

Il y a des pages avec très peu de mots : les dessins sont si dynamiques qu’ils se passent du verbe humain pour exprimer la vie et le mouvement. Rochette propose un bestiaire montagnard superbe, frémissant sur la page. Et quelle joie de croiser François Pompon dont j’aime tant L’ours blanc et les petites sculptures animales exposées au musée de La Piscine à Roubaix. Je découvre l’auteur avec cette bande dessinée et j’ai hâte de lire ses autres œuvres.

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Connaître une femme

Roman d’Amos Oz.

Joël est agent des services secrets israéliens. « À vrai dire, il se voyait comme un négociateur de marchandises abstraites. » (p. 47) Quand son épouse décède brutalement, il démissionne et déménage de Jérusalem à Tel-Aviv. Dans la grande maison qu’il partage avec sa fille Netta et les deux grands-mères de l’adolescente, il laisse passer les jours, se remémorant qui était Ivria. Hélas, il lui semble qu’elle lui échappe, que son souvenir même n’est pas fiable. Tout le monde s’étonne qu’il lâche prise et se laisse engloutir par la lenteur domestique de son quartier résidentiel, lui qui passait sans cesse d’aéroports en hôtels. Alors que son ancien patron le sollicite au sujet d’une ancienne affaire à Bangkok, Joël sait qu’il ne peut compter que sur son instinct. Ce dernier est-il toujours affuté ?

Qu’il est étrange de ne pas retrouver un auteur que l’on aime à la lecture d’un de ses anciens textes ! Joël n’a suscité aucune empathie chez moi, pas plus que sa fille, si distance et cassante. 200 pages, c’est long quand on ne s’attache à aucun personnage… Je continuerai à lire Amos Oz, car ses autres textes m’ont beaucoup touchée.

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La solitude du docteur March

Roman de Geraldine Brooks.

Dans le roman de Louisa May Alcott, le docteur March est le grand absent. Dans ce récit parallèle à l’histoire originale, l’autrice imagine la guerre telle que vécue par ce père de famille. Pour ce faire, elle crée un passé à ce personnage si laconique. On le découvre jeune colporteur dans le Connecticut, vingt ans avant la guerre de Sécession. Dans la demeure d’un riche planteur de coton, il rencontre Grace, belle esclave qui jouit d’un statut particulier, mais qui, par sa faute, subira un terrible châtiment. On suit ensuite le jeune homme et ses engagements nordistes, son mariage avec Margaret, dite Marmee, et sa décision de s’engager comme aumônier quand la guerre éclate. Sur le front, il découvre les atrocités commises par son propre camp et les souffrances des esclaves, bien loin d’être révolues. Et surtout, il retrouve Grace et doit se confronter à la culpabilité qui le ronge depuis des années.

Le roman est le récit du docteur March, agrémenté des lettres qu’il envoie à son épouse et ses filles. Ce fervent abolitionniste, plein d’idéaux et de fougue, refuse cependant d’exposer ses chères « petites femmes » à l’horreur de la guerre. Alors, il tait, il minimise, il détourne l’attention. « Je me disculpe de la censure à laquelle je me soumets : je n’ai jamais promis d’écrire la vérité. » (p. 13) Il chérit ses souvenirs du temps de la paix, de son tendre mariage avec Marmee et de son implication dans le chemin de fer souterrain. Renvoyé du régiment où il officiait, il se voit confier la gestion et l’éducation de la contrebande de guerre, à savoir les esclaves libérés qui apprennent à travailler pour un salaire. « L’abolitionnisme et le pacifisme étaient issus d’une même conviction foncière : il y a quelque chose de Dieu en chacun, et l’on ne peut donc réduire un homme en esclavage, pas plus qu’on ne peut le tuer, même pour libérer ceux qui sont asservis. » (p. 233 & 234)

Geraldine Brooks développe des points à peine évoqués par Louisa May Alcott, comme le caractère impétueux de Marmee, ce qui donne au personnage une épaisseur plus intéressante que sa seule dimension de mère aimante et d’épouse sacrificielle. L’autrice explicite aussi la faillite de la famille March et détaille la maladie du docteur et les soins que lui apporte son épouse. Pour autant, Geraldine Brooks n’a pas cherché à faire du docteur March un homme de notre temps : elle le laisse bien ancré dans son siècle, avec ses certitudes paternalistes à l’égard de sa femme, ses filles et des anciens esclaves. « Au lieu de développer un penchant pour l’oisiveté ou la vanité ou un esprit à qui tout est mâché, mes filles ont acquis énergie, assiduité et indépendance. En ces temps difficiles, je ne crois pas qu’elles aient perdu au change. » (p. 189) Cette histoire s’insère donc très naturellement dans les blancs laissés dans Les quatre filles du docteur March, et ce d’autant plus que les notes finales indiquent que l’autrice s’est inspirée de la famille de Louisa May Alcott pour imaginer son personnage et son texte. Voici une suite/réécriture tout à fait réussie !

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Trois petites histoires de jouets

Recueil de nouvelles de Philippe Claudel.

Hyppolite Framottet est un industriel bourgeois très sûr de son importance. « Il était reçu chez l’évêque, le préfet, quelques secrétaires d’État. Il en concevait une fierté de dindon. Il aspirait à la députation. » (p. 8) Il a fait fortune dans les jouets en bois, mais alors que la demande explose pour un certain type de miniatures, l’orgueil rance teinté d’humiliation d’Hyppolite le précipite vers la faillite.

Firmin Vouge est le meilleur tourneur de l’atelier : il connaît le bois et il sait faire parler les machines. Comme tous les autres hommes du village, il doit rejoindre le front en 1914. « Alors que beaucoup de soldats écrivaient leurs souffrances et leurs pensées profondes, Firmin dessinait des jouets. Son éphéméride de la boucherie universelle se composait de toupies, de moines, de totons, de pantins désarticulés, de poupées à emboitage, de chevaux chantournés, de soldats de bois à la face rieuse. C’était sa façon à lui de survivre. » (p. 36) Hélas, la guerre a des conséquences pires que la mort pour ceux qui reviennent au pays.

Un homme, ancien enfant de l’Assistance, décide un matin de tout quitter pour vivre enfin. « Il lui avait fallu plus de soixante ans enraciné quelque part avant d’oser couper les liens ténus et partir sans autre but de voyage que cette errance elle-même. » (p. 75) Au hasard de son périple, dans un musée poussiéreux, un Pierrot en bois réveille ses souvenirs et renomme un passé qui avait disparu.

Trois histoires, trois portraits, trois façons de peindre la douleur, qu’elle soit physique ou intime. Alors que, selon l’image d’Épinal, le jouet renvoie à l’enfance joyeuse et insouciante, Philippe Claudel en fait des témoins cruels des défauts humains, toujours avec des phrases délicates où la pudeur le dispute à la poésie. J’ai dévoré ces quelque 80 pages en moins d’une heure et je sais que c’est un texte vers lequel je reviendrai souvent.

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Annales du Disque-Monde – 18 : Masquarade

Roman de Terry Pratchett.

Magrat est reine depuis quelques mois et Mémé Ciredutemps déprime un peu. Un convent de sorcières, ça marche à trois, pas à deux. Nounou Ogg en est convaincue : il faut recruter une troisième larronne ! « Une autre sorcière à impressionner et persécuter ferait grand plaisir à Mémé. » (p. 13) Pourquoi pas Agnès Créttine qui a déjà tenu tête aux vieilles sorcières ? Mais voilà ; la jeune femme est convaincue qu’elle peut faire ses preuves ailleurs qu’à Lancre, et pourquoi briller sur les planches d’Ankh-Morpork. C’est vrai qu’elle a une sacrée voix, un excellent caractère et de très beaux cheveux… mais hélas pas le physique pour jouer et les prima donna, contrairement à l’émotive et très expressive Christine. Rapidement, Agnès découvre les arcanes de l’opéra : tout le monde est persuadé qu’un fantôme hante les lieux, surtout la loge numéro huit, et commet des forfaits terribles. Depuis Lancre, Mémé sent que ça peut tourner au vinaigre pour la jeune femme. « Un monstre masqué dispose du théâtre comme ça lui chante, se réserve une loge bien placée pour lui tout seul, tue des gens, et vous me sortez tranquillement qu’il va y avoir du vilain ? » (p. 55) En outre, ce voyage permet à Nounou Ogg de régler ses comptes avec un éditeur peu scrupuleux qui la floue depuis des années sur les ventes de son livre. Évidemment, puisqu’il est de la main de Nounou, le bouquin ne peut pas être inoffensif. « La moitié des pages expliquaient comment chauffer des miches. » (p. 33)

Avec cette hilarante réécriture du roman de Gaston Leroux, Terry Pratchett répond au mot d’ordre des artistes : the show must go on ! « Vous voulez être quelqu’un d’autre et vous restez enchaîné à vous-même. […] Il vous suffit de porter un masque. » (p. 166) Les deux vieilles sorcières prouvent une fois encore qu’elles en ont sous la semelle de leurs bottines cloutées. Et j’ai donc rencontré le Guet pour la première fois : je sens que ce cycle des Annales du Disque-Monde sera tout autant jubilatoire. Il me reste un dernier volume pour finir le cycle des sorcières avant de choisir le prochain à explorer !

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L’oasis – Petite genèse d’un jardinier biodivers

Bande dessinée de Simon Hureau

L’auteur, sa femme et leur fille emménagent dans une maison dotée d’un grand jardin. L’envie de nature était à la base du projet immobilier, une tentative de lutter contre l’effondrement de la biodiversité dans nos sociétés ultra urbanisées. « Pourquoi personne ne dit qu’il est si facile de la favoriser, voire de la restaurer, la générer ? » (p. 5) Patiemment, au fil des saisons, Simon et sa famille restaurent le jardin, le nettoient, l’enrichissent de nouvelles espèces et creusent une mare pour créer un biotope aquatique. « Au fond, c’est assez basique : plus la diversité végétale augmente,  plus la faune rapplique et se diversifie. » (p. 31) Évidemment, pas question d’utiliser des produits chimiques, ou le moins possible! La petite famille se fait aussi une spécialité de récupérer tout ce qui peut l’être, en sauvant des choses utiles de la benne et en pensant au cycle de la nature. « Avoir un jardin, c’est aussi pouvoir réduire le volume de ses déchets en compostant ses épluchures. » (p. 26)

L’auteur agrémente ses planches de croquis richement colorés d’oiseaux et d’insectes en tout genre, dressant un catalogue naturaliste qu’il est passionnant de parcourir. « J’aime être le spectateur – et l’acteur – de cette prodigieuse porosité entre le domaine domestique du jardin privé et le flux aléatoire du sauvage qui s’invite joyeusement et sans vergogne ! » (p. 108) J’aime la façon dont Simon Hureau présente son action, sans moralisation. Il fait des constats, tente à sa mesure de les combattre et se réjouit des réussites dont il est un humble rouage. « Je ne sauverai pas la planète, mais sur notre modeste parcelle d’écorce terrestre, la vie va plutôt bien. » (p. 113) Sur ce dernier point, je me permets une position divergente : oui, il faut que les états agissent, mais si chaque individu fait un geste pour la biodiversité, on a peut-être une chance de la sauver.

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Le chant d’Achille

Roman de Madeline Miller.

De l’enfance à la guerre de Troie, Patrocle raconte son amour total pour Achille. Le compagnon du meilleur des Grecs a vécu ses premières années entre une mère diminuée et un père méprisant. « J’étais facile à ignorer. » (p. 29) Exilé auprès de Pélée, Patrocle est choisi par le jeune prince pour être son frère d’armes. Les deux garçons font leur apprentissage auprès de Chiron, le sage centaure. Hélas, les heures tendres et dorées de l’enfance s’achèvent quand Ménélas appelle tous les rois grecs à lui apporter leur soutien : le roi s’est vu ravir son épouse, la belle Hélène, par Pâris, prince de Troie. Achille et Patrocle ont l’âge de se battre, quoi qu’en dise Thétis, la mère du prince : la mort l’attend s’il part au combat. Mais toute la Grèce attend que le jeune homme prenne les armes et fasse honneur à son destin.

« Quoi de plus héroïque que de se battre pour la plus belle femme du monde, et contre la plus puissante cité de l’Est ? […] Si tu manques cette guerre, tu perdras ta chance de devenir immortel. » (p. 152) Patrocle, piètre guerrier, mais soutien indéfectible, part avec Achille. Pour rien au monde il n’abandonnerait son ami, son amant, la deuxième partie de son être. Plus que tout, il espère sauver le héros de la mort. « Achille avait choisi de devenir une légende, et cette légende était en marche. » (p. 169) Et tout le monde connaît l’issue de cette légende : la colère d’Achille, le retrait des Myrmidons, la mort de Patrocle, la mort d’Hector et, finalement, la mort d’Achille.

Les mythes sont faits pour être réécrits. Comme dans Circé, Madeline Miller redonne vie à des figures millénaires et leur offre une épaisseur bienvenue. On retrouve Agamemnon, Nestor, Iphigénie, Ajax, Briséis et bien des dieux et déesses. Il y a évidemment l’orgueil d’Achille qui précipite la tragédie. J’ai lu avec passion ce récit porté par Patrocle. L’amant du héros n’est pas un faire-valoir : c’est lui qui révèle l’humanité de cet homme hors du commun. Avec son roman, l’autrice tire Achille de la légende pour lui rendre un hommage incarné et vivant. Je vous recommande aussi Une rançon de David Malouf : ici, c’est Priam qui vient supplier Achille de lui rendre le corps de son fils bien-aimé, Hector.

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Le goût du féminisme

Essai d’Emmanuelle de Jesus-Tritz.

« On ne devient pas féministe : on naît femme et le combat commence. Car le féminisme n’est que combat. » (p. 9) Avec cette affirmation liminaire, Emmanuelle de Jésus-Tritz déroule le tapis rouge aux penseuses de la cause. Elle introduit chaque extrait et dresse une courte biographie des auteur·ices. Oui, il y a quelques textes d’hommes, mais la part belle est faite à ceux des femmes, et c’est bien normal ! La parole doit être donnée et prise par celles qui sont concernées au premier chef. « Pourquoi un hasard chromosomique aboutit à un tel abîme de discriminations ? » (p. 11)

De Benoîte Gould à Virginie Despentes et d’Angela Davis à Olympe de Gouges, on retrouve les thèmes centraux du féminisme : le corps et le viol, le désir et le plaisir féminins, les règles et la grossesse, la maternité et l’avortement, la liberté d’agir et l’intersectionnalité, le capitalisme oppresseur et le patriarcat millénaire.

Ce petit ouvrage ne révolutionne pas le sujet, mais il donne des clés de réflexion, il ouvre des portes. J’ai retrouvé avec plaisir des textes que j’ai lus et grandement apprécié, comme Le papier peint jaune et Les guerrillères. Ce goût du féminisme a évidemment sa place dans mes références féministes.

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Le grand feu

Roman de Léonor de Recondo.

Ilaria naît à Venise au 17e siècle.  Trois jours après son premier cri, elle est donnée par sa famille à la Pietà, un établissement qui recueille les orphelines et les forme au chant et la musique. Dans cette enceinte plus que monacale, Ilaria découvre le violon auprès d’Antonio Vivaldi. Cet instrument et ses mélodies, c’est sa passion, la flamme qui illumine son existence d’enfant abandonnée et avide de tendresse. « Je joue pour donner chair. […] Donner chair  à entendre. » (p. 37) Ilaria rêve de sortir, de voir le monde et de vibrer du même feu qu’elle n’a pas conscience d’allumer chez les autres. Mais il y a Paolo, frère de l’amie d’Ilaria, qui se consumera dans cette passion, obsédé par l’ambition de se faire une gloire pour mériter la jeune fille. « Plus tu m’ignores, plus tu me laisses le loisir de te contempler. Tu es tout entière derrière mes yeux. » (p. 104) Et la passion musicale se fait passion amoureuse.

De l’autrice, j’ai déjà lu avec émerveillement Pietra Viva où elle redonne corps à Léonard de Vinci. Elle sait écrire l’Italie, les arts, la Renaissance et les sentiments avec une délicatesse et une précision qui m’émeuvent  profondément. Je vous recommande aussi Rêves oubliés.

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Le gros chat et la sorcière grincheuse – 1

Manga de Hiro Kashiwaba.

Madame Jeanne est une vieille femme acariâtre encombrée d’un chat cinq fois plus grand qu’elle. Le matou passe beaucoup de temps à dormir et à attendre des croquettes qui sont remplacées par des yeux de grenouilles et des queues de limaces. « Le familier obéit aux ordres de son maître et travaille avec dévouement. / Ça, Madame, c’est valable pour les chiens. » (p. 17) Comment ces deux êtres se sont trouvés ? Oh, pas grand-chose, une simple invocation dans un moment désespéré… et voilà qu’un chat de notre monde a atterri dans le Royaume de Grifford ! Les premiers temps de la cohabitation sont difficiles, mais rapidement les deux solitudes se complètent : le grand chat et la vieille femme isolée se choisissent comme compagnon·nes réciproques.

Il me tarde de lire les tomes suivants pour en savoir plus le passé glorieux de Jeanne, avant qu’elle ne devienne cette pauvresse méprisée et marginalisée. Son pouvoir semble renaître après plusieurs décennies, ce qui tombe plutôt bien puisqu’une nouvelle grande menace semble s’approcher du royaume !

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Usagi Yojimbo – 30

Bande dessinée de Stan Sakai.

« Je n’apprendrai donc jamais ? [..] Mon problème, c’est que je suis trop curieux. Je finirai par le payer cher. » (p. 23) Miyamoto Usagi ne croit pas si bien dire. Il recroise la route de Kitsune et Kiyoko, ce duo de charmantes voleuses si douées pour l’escroquerie. Une fois encore, elles sont dans de beaux draps, car elles se sont mis à dos Chizu, l’ancienne cheffe des ninjas neko. Ce pauvre Miyamoto est pris entre deux femmes de caractère qui ne sont pas insensibles à son charme. Le chemin du guerrier aux longues oreilles se rapproche surtout d’Hikiji, ennemi de longue date. « C’est Hikiji qui a tué mon maître et a fait de moi un ronin. Il veut maintenant renverser le gouvernement du shogun et prendre le contrôle du pays. » (p. 36) C’est aussi Hikiji qui a évincé Chizu du clan des neko. Il semble que l’heure des comptes se rapproche. Plus loin dans ses aventures, Miyamoto croise un ronin manchot qui rétablit une certaine justice et venge des combattants mutilés. Il s’oppose aussi à un cruel étranger, fasciné par le rituel du seppuku. Et une fois encore, il a maille à partir avec Koroshi, la ligue des assassins.

J’ai le sentiment que l’errance du lapin samouraï sans maître pourrait prendre fin sous peu. Ou peut-être que Miyamoto Usagi réussira enfin à honorer son ancien maître en obtenant vengeance. Évidemment, je poursuis la lecture !

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Watchmen

Comics d’Alan Moore et Dave Gibbons.

Edward Blake, dit le Comédien, est retrouvé mort en bas de son immeuble. Ce héros masqué à la solde du gouvernement américain a un passé trouble. Pour Rorschach, autre héros qui agit dans la clandestinité, ce meurtre signe la réouverture d’une chasse aux sorcières contre les anciennes gloires de la justice. « Il y a le bien et il y a le mal, et le mal doit être puni. Même face à l’Armageddon, je ne céderai pas là-dessus. » (p. 28) Il tente de convaincre Le Hibou, Ozymandias et le Docteur Manhattan que tous les anciens justiciers sous costume sont en danger. « Quatre justiciers attaqués en onze jours, ce n’est pas un hasard. » (p. 246) Mais dans une époque où la troisième guerre mondiale semble sur le point d’éclater entre les États-Unis et la Russie, le devenir de quelques figures déclassées a peu d’importance. « Les rues : des caniveaux géants, et les caniveaux sont pleins de sang, et quand enfin les égouts refouleront, toute la vermine sera noyée. » (p. 5)

Voici le deuxième comics que je lis, après une première expérience adolescente. Le format de celui-ci est déconcertant et tout autant fascinant. Dans chaque chapitre, les pages de bande dessinée sont suivies de chapitres d’ouvrage qui complètent ce que les images ont esquissé. On remonte ainsi aux premières heures des justiciers masqués, nommés les Minutemen, et à leur triste déchéance. « De mon point de vue, une partie de l’art d’être un héros consiste à savoir quand il devient inutile d’en être un. » (p. 104) Suivent les hauts faits de la nouvelle génération de héros, pas forcément plus recommandable que la première. En lisant l’intégrale, et non les épisodes à mesure de leur parution, j’ai profité pleinement du lent déploiement de l’intrigue. Les auteurs nourrissent leur récit de critiques féroces contre la guerre du Vietnam, le libéralisme outrancier et les compromissions faites au nom de la défense nationale.

Chaque chapitre s’attache à l’histoire d’un des héros, ce qui donne lieu à des réflexions qui n’ont rien à envier à la mythologie ou à la philosophie. On voit se dessiner des surhommes que Nietzsche ne renierait pas et qui auraient aussi toute leur place dans une Iliade moderne. « On devient super-héros en croyant au héros en soi et en le convoquant à la surface de la personnalité par un acte de volonté. Croire en soi-même et en son propre potentiel est le premier pas qui conduit à concrétiser ce potentiel. » (p. 374)

Cette lecture est une expérience particulière de mon année littéraire 2023. (Non, mes billets de blog ne sont pas alignés sur ma consommation de livres…). Elle m’a donné envie de relire V pour Vendetta, le premier comics que j’ai lu.

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The Tale of Mrs. Tiggy-Winkle

Album de Beatrix Potter.

La jolie petite Lucie égare sans cesse le contenu de ses poches. Une fois encore, alors qu’elle se promenait dans la forêt, elle a perdu ses mouchoirs. Elle interroge tous les animaux qu’elle croise, mais aucun ne peut l’aider. Finalement, elle arrive à la maison de Mrs. Tiggy-Winkle, lavandière fort affairée. Cette hérissonne en tablier et bonnet immaculés s’occupe des linges de tous les habitants des environs. Lucie fouille dans les corbeilles pour retrouver ses mouchoirs : hourra, les voici ! Avant de repartir, la petite fille aide la lavandière à distribuer tous les vêtements blanchis, repassés et empesés. « She gave them thier nice clean clothes ; and all the little animals et birds were so much obliged to dear Mrs. Tiggy-Winkle. » (p. 51)

La conclusion de cet album est assez surprenante. Alors que, d’ordinaire, Beatrix Potter ne voit pas d’inconvénients à faire cohabiter humain·es et animaux, elle laisse ici planer le doute… et si tout n’était qu’un songe ? Je suis en tout cas tout à fait charmée par l’adorable hérissonne dodue !

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The Tale of Mrs. Tittlemouse

Album de Beatrix Potter.

Mrs. Tittlemouse est un mulot toujours affairé : elle n’aime rien tant que faire reluire sa maison. « She lived bank under a hedge. » (p. 7) Elle tient impeccable chaque centimètre carré de son intérieur : galeries, réserves de vivres, chambres et cuisine, tout est propre. Hélas, Mrs. Tittlemouse a fort à faire avec les intrus qui ternissent son sol étincelant. Le balai sans cesse à la main, elle expulse les araignées, mouches et autres oiseaux. Mais voilà que des abeilles et des crapauds s’invitent plus sans vergogne… Pauvre Mrs Tittlemouse, elle doit refaire un grand ménage.

J’avoue m’être un peu reconnue dans ce portrait : j’aime que ma maison soit propre en toutes circonstances. J’accueille avec plaisir mes ami·es, mais je ne laisse jamais les lieux en désordre après leur départ. Dans l’heure, tout est rangé, nettoyé, apaisé. Beatrix Potter m’a peut-être trouvé un autre animal totem avec cette charmante Mrs. Tittlemouse…

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Usagi Yojimbo – 29

Bande dessinée de Stan Sakai.

Miyamoto Usagi chemine aux côtés d’un peintre formé à l’étranger et qui se sait recherché par Koroshi, la guilde des étrangers. « Certains considèrent les nouvelles idées et les changements comme une plus grande menace que les biens et les armes étrangères. Notre pays cultive une tradition artistique presque inchangée depuis des centaines d’années. […] Ce que j’ai appris de mes voyages à l’étranger compromettrait des générations de traditions artistiques. » (p. 15) Le Japon, fermé sur lui-même, reste résolument hostile aux cultures qui ne sont pas la sienne.

Le lapin samouraï , toujours fidèle au bushido, rend hommage aux morts, même disparus depuis des siècles. Une nuit de pluie, dans une auberge, le voilà en présence de très nombreux convives. Et alors que personne ne peut quitter les lieux, deux meurtres sont commis, apparemment sans lien. Le noble ronin prête assistance à l’inspecteur Ishida, représentant du shogun. « Les lois n’ont pas été suivies, mais justice a été faite ! Cette affaire est classée. » (p. 76) Les dettes d’honneur finissent toujours par être payées.

Au fil des albums, je découvre les traditions, la culture et la spiritualité du Japon féodal. Quel plaisir d’avoir une leçon sur la fabrication du saké ! J’aime toujours autant l’expressivité du visage du lapin qui sait se montrer aussi amical que farouche. Et même enrhumé, il cabotine de manière charmante !

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